JUST Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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37e LÉGISLATURE, 3e SESSION
Comité permanent de la justice, des droits de la personne, de la sécurité publique et de la protection civile
TÉMOIGNAGES
TABLE DES MATIÈRES
Le mardi 30 mars 2004
¹ | 1535 |
Le président (M. Derek Lee (Scarborough—Rouge River, Lib.)) |
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé (juge de la Cour suprême du Canada (à la retraite), à titre personnel) |
¹ | 1540 |
¹ | 1545 |
¹ | 1550 |
Le président |
M. Chuck Cadman (Surrey-Nord, PCC) |
¹ | 1555 |
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé |
M. Chuck Cadman |
Le président |
M. Richard Marceau (Charlesbourg—Jacques-Cartier, BQ) |
º | 1600 |
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé |
M. Richard Marceau |
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé |
M. Richard Marceau |
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé |
M. Richard Marceau |
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé |
M. Richard Marceau |
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé |
M. Richard Marceau |
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé |
M. Richard Marceau |
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé |
M. Richard Marceau |
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé |
M. Richard Marceau |
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé |
M. Richard Marceau |
º | 1605 |
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé |
M. Richard Marceau |
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé |
M. Richard Marceau |
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé |
M. Richard Marceau |
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé |
M. Richard Marceau |
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé |
M. Richard Marceau |
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé |
M. Richard Marceau |
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé |
M. Richard Marceau |
Le président |
M. Joe Comartin (Windsor—St. Clair) |
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé |
M. Joe Comartin |
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé |
º | 1610 |
M. Joe Comartin |
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé |
M. Joe Comartin |
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé |
M. Joe Comartin |
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé |
º | 1615 |
Le président |
L'hon. Stéphane Dion (Saint-Laurent—Cartierville, Lib.) |
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé |
L'hon. Stéphane Dion |
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé |
L'hon. Stéphane Dion |
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé |
L'hon. Stéphane Dion |
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé |
L'hon. Stéphane Dion |
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé |
L'hon. Stéphane Dion |
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé |
L'hon. Stéphane Dion |
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé |
L'hon. Stéphane Dion |
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé |
L'hon. Stéphane Dion |
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé |
L'hon. Stéphane Dion |
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé |
L'hon. Stéphane Dion |
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé |
L'hon. Stéphane Dion |
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé |
º | 1620 |
L'hon. Stéphane Dion |
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé |
L'hon. Stéphane Dion |
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé |
L'hon. Stéphane Dion |
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé |
L'hon. Stéphane Dion |
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé |
L'hon. Stéphane Dion |
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé |
L'hon. Stéphane Dion |
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé |
L'hon. Stéphane Dion |
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé |
L'hon. Stéphane Dion |
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé |
L'hon. Stéphane Dion |
Le président |
M. Chuck Cadman |
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé |
M. Chuck Cadman |
Le président |
º | 1625 |
Mme Paddy Torsney (Burlington, Lib.) |
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé |
Mme Paddy Torsney |
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé |
Mme Paddy Torsney |
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé |
Mme Paddy Torsney |
Le président |
Mme Paddy Torsney |
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé |
Mme Paddy Torsney |
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé |
Mme Paddy Torsney |
Le président |
M. Richard Marceau |
º | 1630 |
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé |
M. Richard Marceau |
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé |
M. Richard Marceau |
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé |
M. Richard Marceau |
Le président |
M. Robert Lanctôt (Châteauguay, Lib.) |
º | 1635 |
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé |
M. Robert Lanctôt |
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé |
M. Robert Lanctôt |
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé |
M. Robert Lanctôt |
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé |
M. Robert Lanctôt |
Le président |
M. Joe Comartin |
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé |
M. Joe Comartin |
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé |
M. Joe Comartin |
º | 1640 |
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé |
M. Joe Comartin |
Le président |
L'hon. Yvon Charbonneau (Anjou—Rivière-des-Prairies, Lib.) |
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé |
L'hon. Yvon Charbonneau |
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé |
L'hon. Yvon Charbonneau |
º | 1645 |
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé |
Le président |
M. Chuck Cadman |
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé |
Le président |
L'hon. Sue Barnes (London-Ouest, Lib.) |
Le président |
L'hon. Sue Barnes |
M. Paul DeVillers (Simcoe-Nord, Lib.) |
º | 1650 |
Hon. Claire L'Heureux-Dubé |
L'hon. Paul DeVillers |
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé |
L'hon. Paul DeVillers |
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé |
L'hon. Paul DeVillers |
Le président |
M. Richard Marceau |
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé |
M. Richard Marceau |
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé |
M. Richard Marceau |
º | 1655 |
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé |
M. Richard Marceau |
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé |
M. Richard Marceau |
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé |
M. Richard Marceau |
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé |
M. Richard Marceau |
Le président |
M. John Maloney (Erie—Lincoln, Lib.) |
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé |
» | 1700 |
M. John Maloney |
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé |
Le président |
M. Joe Comartin |
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé |
Le président |
L'hon. Sue Barnes |
» | 1705 |
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé |
L'hon. Sue Barnes |
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé |
» | 1710 |
Le président |
L'hon. Yvon Charbonneau |
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé |
L'hon. Yvon Charbonneau |
Le président |
» | 1715 |
L'hon. Stéphane Dion |
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé |
L'hon. Stéphane Dion |
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé |
Le président |
Mme Paddy Torsney |
Le président |
L'hon. Yvon Charbonneau |
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé |
L'hon. Yvon Charbonneau |
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé |
» | 1720 |
Le président |
Mme Paddy Torsney |
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé |
Mme Paddy Torsney |
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé |
Mme Paddy Torsney |
» | 1725 |
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé |
Mme Paddy Torsney |
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé |
Mme Paddy Torsney |
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé |
Le président |
» | 1730 |
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé |
Le président |
Mme Paddy Torsney |
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé |
Mme Paddy Torsney |
Hon. Claire L'Heureux-Dubé |
» | 1735 |
Mme Paddy Torsney |
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé |
Mme Paddy Torsney |
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé |
Le président |
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé |
Le président |
CANADA
Comité permanent de la justice, des droits de la personne, de la sécurité publique et de la protection civile |
|
l |
|
l |
|
TÉMOIGNAGES
Le mardi 30 mars 2004
[Enregistrement électronique]
¹ (1535)
[Traduction]
Le président (M. Derek Lee (Scarborough—Rouge River, Lib.)): Je déclare la séance ouverte.
Chers collègues, nous poursuivons notre examen du rôle que pourraient jouer les parlementaires dans le processus de sélection et de nomination des juges à la Cour suprême du Canada.
Nous sommes heureux d'accueillir aujourd'hui une juge de la Cour suprême du Canada à la retraite, Mme Claire L'Heureux-Dubé. Nous avons deux raisons d'être particulièrement ravis de la recevoir: d'abord, Mme L'Heureux-Dubé est une juriste éminente, mais ensuite et surtout, à cause des conventions existantes, nous avons rarement l'occasion de voir comparaître des juges ou d'anciens juges au Parlement, devant un comité parlementaire, et qui plus est notre comité. C'est une rare occasion d'écouter quelqu'un qui a eu une longue carrière de juriste, particulièrement à la Cour suprême du Canada, et qui peut fournir des renseignements très importants et très utiles à des parlementaires qui examinent cette question.
Je vais donc donner la parole à notre témoin, si elle le veut bien, puis les membres du comité voudront sans doute lui poser des questions.
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé (juge de la Cour suprême du Canada (à la retraite), à titre personnel): Merci, monsieur le président, et merci de cette invitation. Apparemment, il faut du courage pour l'accepter, puisque nombre de mes anciens collègues l'ont déclinée. Je ne vous apprends rien, je suis connue pour ce genre de courage.
Je n'ai pas préparé de texte. Je suis trop prise, ces temps-ci. Les gens à la retraite peuvent être très occupés.
On m'a dit que vous aviez l'article que j'ai écrit en 1991 pour le Manitoba Law Journal, qui présente bien ce que je pensais à l'époque, et ce que je crois toujours. Vous pourriez en déduire que je n'ai pas l'esprit ouvert, mais à l'époque, j'avais longuement réfléchi à cette question. Le même article a été présenté à l'Association québécoise de droit comparé.
[Français]
En français, c'est l'Association québécoise de droit comparé. C'est dans les deux langues.
[Traduction]
Je présume qu'on vous l'a remis à l'avance. C'est l'essentiel de mon exposé.
Si vous permettez, parlons d'abord de mon expérience du monde judiciaire. J'ai eu la chance, au cours des dix dernières années, de faire beaucoup de formation des juges, dans le monde entier. Je suis allée presque partout dans le monde. Je suis allée en Inde et au Pakistan, je reviens tout juste du Bangladesh et je suis aussi allée en Moldova, en Europe orientale. Il s'agit de programmes de formation des juges parrainés en général par l'ACDI ou par des ONG du monde entier.
D'expérience, je peux vous dire, contrairement à certains qui disent ne pas l'avoir entendu, qu'on m'a dit que la magistrature canadienne était un modèle pour le monde. Pourquoi un modèle? En raison de la compétence, de l'indépendance et de l'intégrité du système lui-même, ainsi que des juges, en particulier.
Je peux aussi vous dire que nos décisions sont exportées partout dans le monde. Nous le faisons nous-mêmes, mais ces décisions sont citées dans le monde entier. Ainsi, l'Afrique du Sud a cité une de nos décisions sur l'égalité. Ce pays a même adopté notre définition de l'égalité.
Il y a eu aussi, soit en Australie... récemment, la Chambre des lords ou la Cour d'appel d'Angleterre—je ne me souviens plus bien laquelle, mais je crois que c'était la Cour d'appel—a adopté une solution à la responsabilité du fait d'autrui pour les enfants maltraités, écartant sa propre jurisprudence pour adopter la nôtre.
Je suis donc très fière de vous parler aujourd'hui de mes 30 années d'expérience à la magistrature, à divers paliers.
D'après ma lecture des journaux... j'ai aussi pris connaissance de ce que le ministre de la Justice, M. Cotler, a dit ce matin, de même que du mémoire de l'Association du Barreau canadien. Je n'ai pas lu tout ce qui existe, mais j'en sais suffisamment sur ce qui se passe, ce qu'on dit, pour pouvoir reconnaître un consensus au sujet de l'idée que la méthode américaine ne nous convient pas. Le modèle américain ne concorde pas avec le mode de vie canadien, nos façons de faire, et nos autres différences, notamment culturelles.
Écartons donc cela. Par contre, quand je lis certains écrits sur la façon dont le comité parlementaire pourrait avoir des entrevues directes avec les juges, cela correspond exactement au modèle américain. Alors? Là-bas, c'est un comité judiciaire, ici, ce serait un comité parlementaire. Je pense qu'il faut bien comprendre cela, quand on parle d'un comité parlementaire. Je ne sais pas si c'est la solution qui a été proposée, mais certains ont dit... notamment des professeurs qui ont comparu devant vous. Je constate toutefois que la plupart vous exhortent à la prudence.
À mon avis, le système actuel n'a pas de problème. Il nous a donné ce qu'on veut avoir comme juges de la Cour suprême: de la diversité, des gens qui viennent de milieux différents. Et ne pensez pas qu'on puisse faire fi de la personne; nous ne serons jamais des anges. Je ne crois pas que le Canada veuille être jugé par des anges. Ce seront toujours des personnes, qui ont des interactions avec d'autres personnes, et qui ont des antécédents.
Je suis une femme. Je suis une mère. J'ai cette expérience-là. Mon collègue, le juge Sopinka, avait été élevée sur une ferme. Moi, je venais de la rivière. Nous avons des expériences différentes et je crois que personne ne s'attend à ce que nous ne soyons pas qui nous sommes, de la même façon que lorsqu'on vous élit, on s'attend à ce que vous soyez qui vous êtes.
Il me semble que cela va de soi: on ne peut pas s'attendre à avoir des anges, ni à nommer des personnes qui n'ont pas d'idées, qui n'ont jamais écrit quoi que ce soit et qui n'ont jamais rien fait.
¹ (1540)
Ceci m'amène à mon point suivant: on nous connaît depuis le début. J'ai pratiqué à Québec pendant 22 ans. Tout le monde savait que je pratiquais dans le domaine du droit de la famille, pendant au moins 15 ans dans mon cabinet; que j'avais des connaissances juridiques très vastes; que j'avais gagné des premiers prix à l'université, etc.; que j'étais à une commission d'enquête sur l'immigration; et que j'étais membre d'une commission de réforme du droit visant la révision du code civil. Ce ne sont que des exemples. C'est mon cas à moi, mais on pourrait en dire autant de tous les autres dont la candidature à un poste de juge a été envisagée.
Tout le monde sait que nous avons une feuille de route, que nous avons laissé notre marque. Je pense bien que lorsque j'ai été nommée, on a fait un examen approfondi de tout ce que j'avais écrit comme juge pendant près de 15 ou 14 ans. C'était un processus gouvernemental. Il n'était pas mauvais pour autant, mais il pourrait être un peu plus transparent, et être vu par davantage de gens.
Ce que j'avais écrit à l'époque et mes réflexions sur la question étaient les mêmes que celles de Bill Lederman, qui était probablement le meilleur constitutionnaliste universitaire que nous ayons eu, et de Jeremy Webber, qui était probablement l'un des plus grands érudits de McGill, mais il est allé en Australie et je ne sais pas s'il en est revenu. J'étais du même avis que ces gens: il est important de faire le meilleur choix possible. Le ministre vous a parlé ce matin des qualités personnelles et professionnelles exigées d'un juge.
Ce que je crains, c'est ce qui n'est jamais arrivé au Canada et qui se produit constamment aux États-Unis: qu'on verse dans l'idéologie et la partisanerie. Ce serait la fin de l'indépendance de la magistrature, la fin d'une Cour suprême au service du public, comme nous avons depuis si longtemps, depuis 1875. C'est ce que je crains vraiment, soit qu'il y ait un processus qui mette un candidat sur la sellette, devant le public et les médias, et qui serve à chercher non pas les meilleures qualités, mais les points faibles, les petites bêtes.
J'étais en Floride à l'époque où le juge Thomas a été nommé et j'ai suivi ces délibérations toute la journée. Ce processus m'a vraiment dégoûtée. J'ai aussi suivi la nomination de Rehnquist comme juge en chef. Ces procédures m'ont laissé l'impression qu'il s'agissait de personnes horribles et pourtant, les nominations ont eu lieu.
J'ai donc l'impression que cela n'augure rien de bon pour l'institution non plus que pour les candidats, qui ont tous été nommés juges, même compte tenu du fait que le juge Rehnquist avait signé un accord dont les Noirs étaient exclus, ou quelque chose du genre. Il y avait aussi ces infractions au code de la route, ou quelque chose du genre. On peut toujours reproché quelque chose à quelqu'un. Personne n'est parfait.
J'ai été nommée même si je n'étais pas parfaite, comme tous mes collègues, et je ne pense pas que c'est ce que le comité veut savoir. Le comité veut s'assurer que la personne choisie a un bon jugement, qu'elle est intègre, qu'elle sait écrire, parce qu'on ne saurait être à une cour d'appel ou à une cour suprême sans savoir rédiger des décisions, et si le candidat a un bon esprit de décision. Si vous n'êtes pas ce genre de personne, vous ne devriez pas siéger à ces tribunaux. Vous pouvez enseigner ou faire autre chose, mais vous n'êtes ni un politicien, ni un juge, parce qu'alors vous auriez à prendre des décisions. Et si vous n'êtes pas courageux... Pour moi, le courage est la meilleure qualité d'un juge, pour qu'il puisse faire son travail, peu importe sa popularité. Il paraît que Rob Martin a écrit des choses si méchantes que je ne devrais pas les lire, mais peu importe. J'essaie de faire de mon mieux et j'ai fait de mon mieux de manière à dormir en paix la nuit.
Je vous parle de mon expérience personnelle. Le modèle américain ne fait rien pour rehausser la qualité des candidats, ou de l'institution. C'est une tendance à la politicisation, qu'on n'a jamais vue ici.
¹ (1545)
Dans un article, on disait que j'avais été nommée à l'époque de M. Trudeau par Otto Lang, je crois, qui était ministre de la Justice; ensuite, que j'ai été nommée pendant les six mois de règne de Joe Clark et j'ai toujours dit que c'est la meilleure chose qu'il ait faite; ensuite, pour la Cour suprême, que c'était Brian Mulroney alors que j'étais censée être libérale. Comme vous pouvez le voir, cette préoccupation n'a jamais existé. Je n'ai jamais eu l'impression que le parti d'appartenance ou l'idéologie du juge pouvait être une source de préoccupations.
On parle d'idéologie, mais nous sommes très rares à en avoir. Vous ne l'avez peut-être pas constaté, mais nous considérons une cause en lisant et en prenant connaissance des faits, en lisant les mémoires, avant de nous faire une idée... préliminaire. Je peux vous dire quelque chose qui réconfortera certains avocats qui comparaissent devant nous: après avoir consulté nos collègues de la Cour suprême et d'autres collègues de la Cour d'appel, nous nous faisons une idée, nous avons tout entre les mains.
Pour certains des plus hauts tribunaux des États-Unis, les décisions sont rendues uniquement sur dossier; il n'y a pas d'audiences. je suis pour les audiences, mais je dois dire que nous travaillons au tribunal, et que dans 15 à 25 p. 100 des cas, nous changeons d'idée.
L'un des grandes qualités d'un juge, c'est l'ouverture d'esprit. Selon le type de causes—et les exemples sont si nombreux—nous avons une idée au départ, mais ce n'est pas une idée arrêtée. Nous connaissons bien les règles de droit se rapportant à cette cause, mais il nous arrive de changer d'idée. Même plus tard, dans nos discussions, il nous arrive de changer d'idée. Dans quelques rares cas, nous étions unanimes à vouloir rejeter un appel, puis unanimement, nous l'avons accueilli.
Je peux vous dire qu'en essayant d'interroger publiquement un candidat en quelques heures ou quelques jours, vous apprendrez peu de choses, mais vous causerez de grands torts au juge, au candidat.
Par ailleurs, en général, les candidats n'annoncent pas qu'ils veulent devenir juges. Ils préféreraient refuser, parce qu'ils ont une carrière au sein de leur cabinet et que si le cabinet est au courant de leur intention de passer à la magistrature, cela pourrait nuire à leur carrière. C'est pourquoi en général les candidats ne tiennent pas à faire savoir que le poste les intéresse, pour bon nombre de raisons personnelles, mais surtout pour celle-là.
[Français]
Si cela ne vous dérange pas, je vais continuer en français.
Je vous ai fait part de quelques-unes de mes inquiétudes, et je crois que c'est reflété dans un éditorial publié ce matin dans le Globe and Mail, je crois. Il s'agit du risque.
Je crois que, dans ce domaine, on ne devrait pas prendre le risque, premièrement, de n'ajouter rien à ce qu'on pourrait trouver en étudiant les candidatures et, deuxièmement, de faire plus de dommages par un scrutin public.
Toutefois, tout cela ne veut pas dire que je suis entièrement réfractaire à un changement dans le processus. Je crois qu'au stade où l'on en est actuellement, il est difficile de renverser la vapeur et qu'un comité pourrait parfaitement se charger de cette fonction qu'exerçait le gouvernement par l'entremise de ses sous-ministres et des membres de la fonction publique.
Il s'agirait simplement de créer une commission qui aurait pour fonction de recevoir les candidatures, d'examiner le dossier des candidats et de faire toute la recherche nécessaire. Ce comité pourrait très bien inclure des députés au Parlement, notamment le Président de la Chambre et le président du Comité de la justice, ainsi que le président de l'Association du Barreau canadien, le président du Barreau de la province lorsqu'il y aura un candidat exerçant sa profession dans une province, le juge en chef de la province et le juge en chef de la Cour suprême.
Pourquoi le juge en chef de la Cour suprême? Parce que le juge en chef connaît les besoins de sa cour. À l'occasion, on peut avoir besoin d'un civiliste, d'un criminaliste ou d'une personne plus spécialisée dans le domaine constitutionnel. Donc, le juge en chef connaît les besoins de sa cour.
C'est très intéressant, parce qu'il faut une diversité de connaissances, de spécialisations, etc. Nous ne sommes pas une cour spécialisée, mais nous avons toutefois des problèmes en droit maritime, comme en droit des faillites ou du divorce. Il faut donc une diversité d'expériences dans ces domaines. Je crois que le juge en chef devrait automatiquement faire partie d'un tel comité, comme devrait en faire partie le président de l'Association du Barreau canadien. Je ne parle pas des gens, mais bien de la fonction.
Également, des membres de tous les partis politiques pourraient être désignés par leur parti pour faire partie de ce comité, dont le mandat pourrait être de cinq ans, non renouvelable, etc. On pourrait parler de la fonction de Président de la Chambre ou de président de tel comité, et cela pourrait être institutionnalisé.
Ce comité pourrait faire un travail très approfondi: recevoir et interviewer les candidats et proposer au premier ministre trois personnes, une short list, comme on dit, ou une seule personne. Je n'ai pas d'idée absolument arrêtée à cet égard.
Il faut savoir que ce genre de comité avait été recommandé par Bill Lederman, Jeremy Webber et tous les autres gens qui s'étaient penchés sur cette question. J'en avais fait mention dans un article que j'avais publié à l'époque. J'avais aussi étudié ce qui se passait ailleurs, mais je n'avais pas trouvé de système qui corresponde à ce qu'on proposait. La plupart des systèmes sont comme le nôtre. En Australie... Toutefois, il y a maintenant l'Afrique du Sud qui a un processus en deux étapes. On y trouve un peu ce genre de comité. Il semble qu'actuellement, le comité ait trop de membres et qu'on doive réduire sa taille. Quand il y a plus de 9 ou 13 membres, cela ne marche pas bien. Je pense qu'ils en ont 27; ils ont voulu inclure God and his Father ensemble.
Voilà l'essence de ce que je pense. J'appuie entièrement le mémoire de l'Association du Barreau canadien. En particulier, j'ai lu ceci dans son introduction:
¹ (1550)
[Traduction]
«L'ABC appuie un processus ouvert et transparent denomination des juges fondé uniquement sur le mérite et, en dernier ressort, représentatif de ladiversité de l’ensemble de la société.» L'ABC veut protéger «les principes d’indépendance judiciaire--d’accessibilité, d’expertise, de représentativité,d’efficacité et d’équitabilité...» Et: «Les candidats et candidates ne doivent pas être assujettis à un processus de révisionet d'examen public semblable à ce qui se fait au Congrès, ce qui politiserait le processus de nomination etminerait le principe d’indépendance du pouvoir judiciaire.»
Je suis tout à fait d'accord avec l'ABC. Je suis aussi en faveur de ce qu'a dit le ministre de la Justice ce matin, c'est-à-dire que le comité ne sera pas prêt à temps pour les deux prochaines nominations. Il a fait des suggestions sur ce qui peut être fait, dans les circonstances. Le ministre comparaîtrait devant le comité, expliquerait la nomination, entre autres, mais je ne sais pas si ce serait possible. Il a expliqué qu'il fallait considérer la compétence, les qualités professionnelles et personnelles du juge.
J'ai résumé mes réflexions sur le sujet depuis 1991.
Merci beaucoup.
Le président: Merci beaucoup.
Mes collègues sont en train de digérer vos propos. J'entends même tourner les engrenages de leurs cerveaux.
Nous allons passer maintenant à leurs questions. Après discussions ce matin, nous sommes convenus d'une procédure de rondes de questions de sept minutes, pendant lesquelles j'interviendrai après trois minutes, pour leur rappeler que le temps passe et que la question doit être posée, pour qu'il y ait suffisamment de temps pour une réponse.
Monsieur Cadman, vous avez sept minutes.
M. Chuck Cadman (Surrey-Nord, PCC): Merci, monsieur le président.
Merci à vous, madame, d'être venue. C'est à la fois un honneur et un plaisir de vous voir ici aujourd'hui.
Je sais qu'il est difficile d'avoir des juges. En Colombie-Britannique, nous avons un juge, Wally Oppal, qui aime beaucoup s'exprimer. Je suis convaincu que vous connaissez Wally.
Je suis ravi que vous soyez là.
J'ai une très brève question. Le processus de nomination a fait l'objet de critiques, aussi de médisance, pour une raison quelconque, mais en gros, les gens le voient comme un processus secret, et opaque. Tout dernièrement, on nous dit que ce n'est pas du tout le cas. Comment transmettre le message au public?
Pour commencer, vous avez parlé de certains changements que vous approuveriez. Vous pourriez peut-être nous en parler davantage. Comment transmettre ce message au public? C'est au Canadien moyen qu'il faut parler, afin que le processus ait sa confiance, ou qu'il retrouve sa confiance.
¹ (1555)
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé: Le processus que j'envisage inclurait des députés. Les députés représentent la population et, ainsi, la population aurait voix au chapitre. On pourrait aussi faire appel à certains membres du public, des personnes bien informées.
Chez les juristes et les juges, tout le monde se connaît. Nous nous connaissons tous. Nous savons qui est qui. Nous savons qui ferait un bon juge, mais le public ne le sait pas vraiment. Il faudrait donc que des membres du public qui connaissent bien le milieu juridique et ce qui s'y passe pour bien représenter le public.
On pourrait peut-être même inclure des représentants des médias, mais le problème, ce ne serait pas le risque que le contenu des discussions de ce comité soit connu des médias, puisqu'il y aurait un processus bien établi pour ce qui est du rapport. Le président de ce comité présenterait le rapport au premier ministre, mais je ne crois pas qu'il serait bon que cela soit transmis aux médias sur-le-champ. À mon sens, ce n'est pas ainsi qu'on doit informer le public.
Jusqu'à présent, le processus a bien servi le public. Il nous a donné de bons juges. Je pense, par exemple, à des juges exceptionnels tels que Bora Laskin et les juges Dickson et Wilson, qui ont laissé leur marque en droit canadien. Il ne m'apparaît pas essentiel que le public sache tout sur-le-champ, avant que le processus ne soit terminé.
À une certaine époque, au Québec, l'aide juridique était administrée par le Barreau. Nous étions tous tenus de nous occuper de certaines causes gratuitement. Il n'y avait pas d'aide juridique officielle. Les avocats qui faisaient le plus souvent les manchettes et qui étaient les mieux connus du public étaient les pires. C'étaient eux qu'on voulait le plus souvent comme représentants.
Ce genre de publicité n'aide pas véritablement le public à bien évaluer les candidats. C'est superficiel. Moi, quand j'ai été nommée juge, il y a eu toutes sortes de conjectures sur ceci et cela, conjectures qui se sont révélées tout à fait fausses.
Je crois que nous voyons le rôle du public de la même façon.
M. Chuck Cadman: Merci.
Merci, monsieur le président.
Le président: Monsieur Marceau, vous avez sept minutes.
[Français]
M. Richard Marceau (Charlesbourg—Jacques-Cartier, BQ): Merci beaucoup, monsieur le président.
Madame, il me fait très plaisir de vous voir, moi qui vous ai lue très régulièrement dans mes cours de droit.
Vous avez dit tout à l'heure, et vous n'êtes pas la seule personne à l'avoir dit, que la jurisprudence canadienne est citée partout dans le monde. Je ne veux pas discuter de cela avec vous, mais c'est fort probablement vrai.
En revanche, vous n'avez pas dit que le système de nomination canadien n'était répété nulle part au monde. Je voudrais savoir ce que vous pensez de ce que Peter Russell, professeur à l'Université de Toronto, a dit. Je le cite:
Je dois dire que le Canada est la seule démocratie constitutionnelle au monde où le chef du gouvernement a tout pouvoir pour choisir qui siégera au plus haut tribunal du pays... |
Il parle d'un pouvoir discrétionnaire absolu.
º (1600)
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé: Vous parlez d'un pouvoir discrétionnaire absolu. Je vous arrête là, parce que, si j'ai bien compris, le caucus est informé et les ministres sont partie à la chose. Selon ce que j'ai compris, ce n'est pas uniquement le premier ministre qui fait les nominations.
M. Richard Marceau: Ce n'est pas ce que le ministre Cotler nous a dit tout à l'heure. Il a dit que le caucus n'était pas informé et que cela se déroulait simplement entre le ministre de la Justice, ses employés et le premier ministre. Il n'était pas question du Cabinet. En tout cas, dans ce qu'il nous a dit aujourd'hui, il n'était question ni du Cabinet ni du caucus, gouvernemental ou autre.
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé: C'est nouveau pour moi, parce qu'on m'avait dit le contraire, soit que le caucus était parfaitement informé et qu'il y avait de grandes chicanes.
M. Richard Marceau: Je sais qu'ils n'ont pas besoin de parler de cela pour avoir des chicanes au Parti libéral, mais non, le caucus n'est pas informé de cela.
Donc, êtes-vous d'accord sur l'affirmation selon laquelle le système de nomination des juges au plus haut tribunal du pays est assez unique au Canada?
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé: Je ne le pense pas. En Australie, c'est un peu la même chose, d'après l'information que j'avais à l'époque. Je ne sais pas si les Australiens ont réformé leur système de nomination. J'arrive de Moldavie, par exemple, où le système est comme le nôtre. Il y a beaucoup de pays dont le système est comme le nôtre. Je pense que si l'on faisait le tour, on verrait qu'il y en a beaucoup.
Toutefois, cela ne veut pas dire que c'est parce qu'on est unique ou qu'on n'est pas unique qu'on est mauvais ou qu'on est bon. Je ne conteste pas cela. Il est très possible que le système puisse être amélioré. Cela ne me pose aucun problème.
M. Richard Marceau: Une des choses qui m'ont surpris ces derniers temps, c'est l'extrême informalité du processus canadien. On dit que généralement, on consulte le juge en chef de la Cour suprême, que généralement, on consulte le ministre de la Justice de la province intéressée, que généralement, on consulte le barreau de la province ou de la région intéressée. Le ministre lui-même a dit tout à l'heure qu'il ne pouvait pas nous garantir qu'un processus précis avait toujours été suivi.
Étant donné le pouvoir énorme que détiennent aujourd'hui les juges à la Cour suprême, surtout à une époque où la Charte joue un rôle fort important dans l'état du droit canadien, cette extrême informalité ne devrait-elle pas à tout le moins être codifiée pour que quelque chose de très précis puisse être appliqué?
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé: Je ne vois aucune objection à cela. Dans un processus qu'on veut changer, on peut faire des règles, des guides. Je crois que le ministre de la Justice a mentionné les qualités personnelles et professionnelles qu'on requiert du candidat. Il n'y a absolument rien qui s'opposerait à cela.
M. Richard Marceau: Vous disiez que dans le système qui sera éventuellement en place, vous verriez d'un très bon oeil la participation des parlementaires et des provinces à ce qui remplacerait l'informalité actuelle. Vous ai-je bien comprise?
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé: Absolument, mais quand je parlais des parlementaires, je pensais notamment au président du Comité de la justice, au Président de la Chambre ou à quelqu'un qui représente le Parlement. Je ne parlais pas de 25 parlementaires, par exemple, qui iraient interroger le candidat. Je parlais beaucoup plus d'inclure des membres du Parlement et des partis.
M. Richard Marceau: C'est ce que j'avais compris.
Vous nous semblez complètement fermée à l'idée de faire cela en public.
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé: Oui.
M. Richard Marceau: Par contre, vous semblez très ouverte à l'idée qu'un comité formé de parlementaires représentant des provinces et d'autres puisse interviewer derrière des portes closes la personne qui pourrait être nommée .
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé: Absolument, sans problème.
M. Richard Marceau: Je vous ai bien comprise à cet égard.
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé: Oui. Il y a des ministres de la Justice qui l'ont fait. Je me souviens très bien que Turner allait lui-même voir les candidats. D'ailleurs, on a dit que c'était celui qui avait fait les meilleures nominations. Le second, c'est Otto Lang, celui qui m'a nommée. Turner faisait cela: il allait les voir.
M. Richard Marceau: Que diriez-vous de l'idée qui a été énoncée d'avoir ce qu'on appelle une cooling-off period? Il ne s'agit évidemment pas d'empêcher quelqu'un qui a été politiquement actif d'accéder éventuellement aux plus hauts tribunaux. Au contraire, je crois qu'on devrait accepter et même promouvoir l'implication dans la vie politique.
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé: Absolument.
M. Richard Marceau: Cependant, on devrait attendre deux ans, disons, après la fin de l'implication politique active de la personne avant de pouvoir la nommer à un tribunal.
º (1605)
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé: On aurait ainsi manqué un bon candidat: le juge MacGuigan, qui a probablement été l'un des meilleurs juges. Il a été ministre de la Justice et ministre des Affaires étrangères. J'hésiterais à mettre des barrières trop sévères. Cela devrait être flexible. Cette idée est peut-être bonne en principe, mais il y a des cas où on aurait manqué un candidat exceptionnel si une telle barrière avait existé. Il n'a pas été nommé à la Cour suprême, mais il aurait pu l'être. Dans ce sens-là, j'aimerais mieux qu'on soit un peu plus flexible.
M. Richard Marceau: D'accord. Que pensez-vous de l'idée qu'il y ait un représentant du milieu universitaire siégeant à ce comité? Ce pourrait être un doyen de faculté de droit.
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé: Oui, absolument. J'ai parlé de 9 à 13 personnes, mais cela comprend ce type de personnes qui sont au courant de la personnalité du candidat, de ce qu'il peut représenter sur le plan intellectuel, etc.
M. Richard Marceau: Il faut qu'il y ait quelque part une liste pour qu'on puisse y arriver. Actuellement, on ne sait pas d'où vient la liste. Est-ce que les gens s'assoient ensemble pour y penser?
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé: De quelle liste parlez-vous?
M. Richard Marceau: Le ministre ne nous a pas expliqué clairement le processus ce matin.
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé: Vous parlez des guidelines?
M. Richard Marceau: Non, je ne parle pas des guidelines. Je parle des gens qui, potentiellement, pourraient être nommés à la cour. On ne sait pas d'où viennent ces gens. On dit que ce sont probablement des gens des cours d'appel, des membres seniors des barreaux, etc., mais on ne sait pas qui dit, à un moment donné, qu'on a 10 noms et qu'on va les regarder ensemble et faire des consultations sur ces 10 personnes.
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé: Au Barreau, nous le savons bien facilement.
M. Richard Marceau: Oui?
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé: Ah, oui. Vous êtes au Barreau et vous le savez. Nous savons tout ce qui se passe.
M. Richard Marceau: C'était justement le but de ma question. Ne pensez-vous pas qu'il devrait y avoir un point de départ, c'est-à-dire quelqu'un qui propose une liste? Je vous demande cela parce qu'au début des années 1990, il avait été suggéré que cela vienne d'une liste proposée par les provinces. Cela avait aussi été suggéré par le Comité Beaudoin--Dobbie, si je me souviens bien. Est-ce une chose sur laquelle vous êtes d'accord, ou si vous n'avez pas vraiment d'opinion à ce sujet?
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé: Je ne parlerais pas d'une liste. Je dirais, comme le ministre l'a bien dit ce matin, je crois, que toute personne ou province qui veut poser la candidature de quelqu'un devrait pouvoir le faire. Ce serait très ouvert. Pourquoi faire une liste des candidats? Le comité en question pourrait même aller chercher des candidats qui ne seraient peut-être pas trop intéressés. Je vois cela très ouvert. Un député pourrait proposer une liste de candidats. Les candidats pourraient venir de partout dans un processus comme celui-là, et il appartiendrait ensuite au comité d'éliminer certains candidats et de dresser sa petite liste.
Je ne parlerais pas d'une liste, car cela me paraît trop formel. Je crois que cela devrait être un processus libre dans lequel on pourrait même aller chercher les candidats. Je sais qu'on le fait en Afrique du Sud. On se dit que tel type serait un bon candidat pour la Cour constitutionnelle. On le fait venir, on discute, etc. Je connais assez bien tous les processus parce que j'ai examiné la question. En Israël, on va aussi chercher les candidats. On leur donne même l'éducation nécessaire, etc.
Le processus que je suggère est bien proche de celui de l'Afrique du Sud et de celui d'Israël, qui ont de tels comités, qui vont chercher les candidats ou qui les reçoivent, et qui font l'analyse des dossiers.
M. Richard Marceau: Merci.
[Traduction]
Le président: C'est maintenant au tour de M. Comartin, pour sept minutes.
M. Joe Comartin (Windsor—St. Clair): Merci, monsieur le président.
Madame L'Heureux-Dubé, je vous remercie d'être venue. C'est un privilège que de vous accueillir aujourd'hui. Vous avez cité Mark MacGuigan comme exception, mais c'est parce qu'il venait de Windsor. C'est pour cela qu'il était un si bon juge—d'ailleurs, c'est lui qui a mis sur pied notre faculté de droit.
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé: Je l'aimais beaucoup.
M. Joe Comartin: J'ai observé qu'il y a une trentaine d'années, nos juges sont devenus beaucoup plus compétents. Si vous êtes d'accord avec moi, comment expliquez-vous ce phénomène tant en première instance qu'aux cours d'appel et à la Cour suprême du Canada? Quelque chose de particulier s'est-il produit à cette époque?
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé: J'ai toujours cru que les premiers ministres étaient très fiers des nominations qu'ils faisaient, surtout à la Cour suprême, et qu'ils feraient donc l'impossible pour choisir les personnes les plus compétentes. Je crois savoir que les premiers ministres ont toujours fait leur choix avec beaucoup de soin pour s'assurer que c'était, justement, le meilleur choix. Bien sûr, je n'étais pas née à cette époque, mais est-ce qu'on a commencé à faire de meilleurs choix parce qu'on a délaissé un peu le favoritisme? Car tout le monde sait qu'à une certaine époque, ces nominations étaient partisanes.
Cela ne signifie pas que les choix étaient mauvais. J'estime que si vous avez le courage de consacrer votre vie à la politique, cela ne devrait pas vous exclure automatiquement de la magistrature. Cela m'a déplu qu'on souligne que Michel Robert avait été président des libéraux quand il a été nommé juge. Et alors? C'était un bon candidat; c'était un homme compétent. On l'a fait juge à la Cour d'appel. Ce n'est pas parce que la personne choisie a fait de la politique que la nomination est partisane.
Cela dit, la politique ne devrait pas être le seul critère et il se peut que les nominations partisanes se fassent de plus en plus rares, du moins, je l'espère. Pour ce qui est de l'observation que vous avez faite, j'ignore si les juges sont plus compétents depuis une trentaine d'années. Je sais que M. Mulroney, par exemple, s'inquiétait beaucoup du choix qu'il ferait, tout comme M. Trudeau. Je préfère ne pas me prononcer sur le gouvernement actuel, mais j'imagine qu'il en va de même pour lui.
º (1610)
M. Joe Comartin: J'ai aussi eu Ed Ratushny comme professeur de droit. Après l'école de droit, il a travaillé au gouvernement fédéral. Si j'ai bien compris ce qu'étaient ses responsabilités d'après ce qu'il nous racontait quand il revenait nous voir et qu'il s'en vantait, il avait aidé le premier ministre Trudeau et le ministre de la Justice, qui était alors John Turner, je crois, à trouver les meilleurs candidats. Votre affiliation politique pouvait vous aider, mais elle ne suffisait pas à faire de vous un juge. Ça c'est produit à peu près à cette période.
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé: Il se peut qu'à cette époque, le conseiller est devenu plus actif et a su trouver de meilleurs candidats. Ed est un type formidable. J'ai énormément de respect pour lui. Cela a peut-être eu une influence quelconque, je l'ignore.
M. Joe Comartin: J'aimerais faire une petite remarque, monsieur le président.
Je peux vous dire à quel parti politique appartiennent tous ceux qui ont reçu une nomination dans le comté d'Essex. Néanmoins, comme l'a dit Mme L'Heureux-Dubé, on a nommé d'excellents juges, à quelques exceptions près. Cela vaut pour les libéraux et les conservateurs.
On semble cependant avoir négligé jusqu'à présent le fait que, lorsqu'on choisit un juge pour la Cour suprême, on choisit majoritairement quelqu'un qui est déjà juge, dans une proportion d'environ 90 p. 100 je crois. Cela étant, notre comité devrait-il se pencher sur le processus de nomination des juges des cours inférieures, des cours suprêmes et des cours d'appel des provinces? Dans la plupart des cas, et je crois que vous en conviendrez, si le candidat retenu doit provenir des Maritimes, on se limite à une liste d'une quinzaine de juges. On peut aussi chercher du côté du Barreau ou des universitaires, mais en général, on regardera d'abord du coté des juges.
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé: Et c'est une bonne façon de faire.
Si vous me demandez ce que j'en pense, je peux vous le dire.
M. Joe Comartin: Les tribunaux inférieurs constituent un bon milieu de formation. Il est donc bon de choisir parmi ces juges, car ils sont généralement compétents. Nous savons qu'ils ont de l'expérience. Si nous constatons que l'un d'entre eux ne fait pas le poids, nous ne l'élèverons pas à une cour supérieure.
En fait, voici où je veux en venir: notre comité devrait-il aussi se pencher sur la façon dont sont choisis les juges des cours inférieures?
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé: Il y a déjà un processus en place; il y aurait peut-être dédoublement du travail fait par les comités de sélection. Comment éviter cela, à moins de supprimer les comités existants et d'en créer un nouveau qui serait chargé d'examiner toutes les nominations, du début à la fin? Il pourrait donc y avoir dédoublement et ce serait difficile.
Les prochains juges seront de l'Ontario. Il y a déjà d'excellents juges à la Cour d'appel de l'Ontario. Tous ces juges ont une feuille de route. Tout le monde sait s'ils savent bien écrire et s'ils seraient mesure d'assumer les responsabilités d'un juge de la Cour suprême. Voudriez-vous aller jusqu'à examiner comment ils ont été nommés juges la première fois?
Rien ne vous empêcherait de le faire, car vous pourriez certainement avoir un dossier complet contenant toutes les informations sur cette personne, à partir de sa naissance en passant par ses études universitaires, etc. Vous aurez aussi l'ensemble des décisions qu'a rendues ce juge aux autres tribunaux où il a siégé. Vous pourrez examiner tout cela, mais devrait-on remplacer le processus de nomination des juges des cours inférieures par un nouveau mode de nomination? Je ne sais pas. Il faudrait examiner les deux processus, peut-être.
º (1615)
Le président: Je cède maintenant la parole à M. Dion, pour sept minutes.
[Français]
L'hon. Stéphane Dion (Saint-Laurent—Cartierville, Lib.): Bon après-midi, madame la juge.
Comme la grande majorité des témoins que nous avons reçus, vous nous orientez vers un modèle qui est souvent utilisé à l'étranger ainsi que dans les cours inférieures au niveau des provinces, c'est-à-dire vers une commission juridique qui serait formée en gros des personnages que le ministre de la Justice consulte actuellement un à un. On les réunirait en commission, et ils auraient pour tâche de faire une recommandation.
Le diable étant dans les détails, je vais vous poser une série de questions. Dites-moi si vous avez une réponse qui vous apparaît grosse comme la lune ou si vous n'êtes pas trop certaine de la réponse.
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé: Je vais vous le dire.
L'hon. Stéphane Dion: Premièrement, qui devrait présider cette commission?
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé: Le juge en chef de la Cour suprême du Canada.
L'hon. Stéphane Dion: La juge en chef n'écraserait-elle pas les autres de son prestige et de son autorité?
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé: Elle n'est pas écrasante. Si vous acceptez qu'elle a un rôle à jouer parce qu'elle connaît les besoins de sa cour, vous ne pouvez pas l'éliminer. De toute façon, elle est toujours consultée.
L'hon. Stéphane Dion: Le comité aurait-il la possibilité de choisir un candidat qu'elle n'aimerait pas?
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé: Sûrement. J'imagine que vous trouverez une façon de décider. Il y a des compromis qui vont se faire. Je suis parfaitement d'accord et je crois que c'est assez important. En Israël et en Afrique du Sud, par exemple, c'est le juge en chef qui préside. Cela a été expérimenté.
L'hon. Stéphane Dion: Donc, la crainte qu'elle soit tellement écrasante que ce soit elle, le comité, n'est aucunement justifiée.
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé: Absolument.
L'hon. Stéphane Dion: J'imagine qu'il serait important, pour ne pas faire revenir le pouvoir du premier ministre par la fenêtre une fois qu'on l'aurait circonscrit autrement, de faire en sorte que les membres des comités soient nommés de façon statutaire. Par exemple, mon collègue Marceau mentionnait ce qui se passe souvent à l'étranger: nommer quelqu'un du monde universitaire. Si on laisse le ministre de la Justice ou le premier ministre nommer quelqu'un du monde universitaire, cela affaiblit un peu la crédibilité du processus. Une façon de le faire serait peut-être de demander aux doyens de la région concernée de s'entendre sur une personnalité.
Mais il pourrait se poser un problème: si ce sont des nominations statutaires, il est possible que l'une de ces personnes soit justement une personne qu'on voudrait nommer.
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé: Il y a probablement toutes sortes de moyens pour éviter que cela se produise. La personne qui acceptera d'être membre de ce comité doit savoir si elle est intéressée ou non à une nomination. Si elle est intéressée, elle n'acceptera pas. Je ne verrais pas qu'une personne intéressée accepte.
L'hon. Stéphane Dion: Mais si, de par la loi, elle est obligatoirement...
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé: Si c'est le cas, on peut toujours déléguer...
L'hon. Stéphane Dion: Mais il faut lui laisser une porte de sortie, parce que tout le monde saura qu'elle est intéressée à compter du jour où elle refusera d'être membre du comité.
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé: Peut-être.
L'hon. Stéphane Dion: Il y a là un problème.
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé: Je ne vois pas de problème. Je dis que tout en prévoyant cela dans la loi, il faut avoir assez de flexibilité. Il faut qu'on se fasse représenter.
L'hon. Stéphane Dion: D'accord.
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé: C'est aussi simple que cela. C'est l'institution qui est là.
L'hon. Stéphane Dion: Vous ne voyez pas d'objections à ce que cela se fasse par entrevues, alors que d'autres y voient des objections. À votre avis, à quoi ces objections tiennent-elles et pourquoi ne les retenez-vous pas?
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé: Je ne vois pas pourquoi il n'y aurait pas d'entrevues. Le ministre Turner allait voir les gens. Donc, il n'y a pas de raison pour que cela ne se fasse pas. On s'oppose surtout aux entrevues publiques, je pense. Pour ma part, j'aurais bien aimé qu'on me convoque à une entrevue privée. Je ne voulais pas y aller de toute façon. On aurait pu m'appeler pour me dire qu'on pensait à moi. J'aurais aimé cela, mais personne ne m'a appelée. Donc, je ne vois pas d'objections à ce que quelqu'un qui veut se porter candidat soit interviewé. Je n'en vois pas.
L'hon. Stéphane Dion: Dans un milieu où tout le monde se connaît à fond, il vaut la peine d'interviewer les gens?
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé: Je sais que cela se fait en Afrique du Sud, en Israël et partout parce qu'on veut voir la personne face à face. Autrement, certaines personnes représentant le public n'auraient probablement jamais la possibilité de rencontrer cette personne et de la connaître. Dans le milieu, on se connaît, mais se connaître et s'interviewer sont deux choses.
º (1620)
L'hon. Stéphane Dion: Ce comité serait composé de près d'une quinzaine de personnes.
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé: Je dirais 13.
L'hon. Stéphane Dion: Il y a déjà là quatre parlementaires. Comment pourrait-on garantir la confidentialité? Est-ce qu'il n'y a pas d'énormes craintes à y avoir à ce sujet?
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé: Je ne le sais pas. J'imagine que lorsque vous vous réunissez dans une salle, vous allez...
L'hon. Stéphane Dion: Nous ne sommes pas un exemple de confidentialité.
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé: Je pense qu'il y a des serments d'office. Cela ne me poserait pas de problèmes.
L'hon. Stéphane Dion: Vous ne savez pas si ce comité devrait recommander une short list de trois personnes ou une seule personne. C'est très différent.
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé: Je n'ai pas d'idée particulière. J'ai parlé d'une short list de trois personnes, mais je n'ai pas vraiment d'opinion là-dessus. C'est ce qu'on fait actuellement, n'est-ce pas? On présente au premier ministre, m'a-t-on dit, une liste de deux ou trois personnes. Je préférerais qu'il y ait un peu de flexibilité.
L'hon. Stéphane Dion: Pour qu'on garde la mémoire de ce processus et qu'on puisse l'améliorer au fil du temps, auriez-vous objection à ce que le président du comité vienne témoigner à ce comité-ci, au comité parlementaire, avec les journalistes? Il ne révélerait rien de confidentiel, mais décrirait ce qu'on a appris en cours de processus.
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé: Parlez-vous de décrire le processus lui-même? Par plusieurs?
L'hon. Stéphane Dion: Par le président du comité, pour qu'on s'améliore d'une fois à l'autre.
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé: Personnellement, je ne verrais pas d'objections à ce que le président du comité vienne témoigner, mais je crois qu'il ne devrait pas être tenu de révéler tout ce que le comité a découvert sur cette personne, à part des choses comme le fait que...
L'hon. Stéphane Dion: Il pourrait parler du type de consultations qu'on a faites et de choses semblables.
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé: Oui, oui. Je ne verrais aucune objection de principe à cela. Je ne sais pas si c'est nécessaire...
L'hon. Stéphane Dion: Pour apprendre.
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé: Oui, pour apprendre. Je ne sais pas si c'est nécessaire, mais je n'y verrais aucune objection de principe. Je crois que le président du comité n'aurait pas non plus d'objection de principe à cela, mais on ne sait jamais.
L'hon. Stéphane Dion: Merci.
[Traduction]
Le président: Très bien, cela a pris moins de sept minutes.
Nous commençons maintenant les interventions de trois minutes.
Tout le monde a su respecter son temps de parole cet après-midi, y compris Mme L'Heureux-Dubé. Félicitations à tous.
Monsieur Cadman, à vous la parole.
M. Chuck Cadman: Merci, monsieur le président.
Vous me permettrez une question personnelle, car j'ai rarement l'occasion d'interroger un juge. Pourriez-vous nous dire quand vous avez su que votre candidature pourrait être retenue? Quand vous avez été choisie, comment et par qui en avez-vous été informée?
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé: Je vais être honnête avec vous. Tout le monde le sait. Des rumeurs circulent à la cour. Je siégeais alors à la Cour d'appel et les juges avaient l'habitude de prendre leur déjeuner ensemble. Quelqu'un a dit: «C'est ce soir que l'appel fatidique sera fait». Je n'avais entendu parler de rien. On avait mentionné mon nom, comme d'autres. J'ai alors dit: «Ça ne m'intéresse pas, je préfère me cacher dans mon bureau»—ce que j'ai fait. Je suis restée dans mon bureau jusqu'à 23 heures environ. J'étais très heureuse de n'avoir pas reçu l'appel fatidique, mais c'est à ce moment que M. Mulroney m'a téléphoné. Voilà. On ne m'a rien dit d'autre. J'ai dit à M. Mulroney que la Cour suprême ne m'intéressait pas. Il a tenté de me convaincre en me disant que cela me plairait sûrement, etc.
Je lui ai alors dit qu'il me faudrait y réfléchir—il était alors 23 heures ou 23 h 30—et il m'a répondu: «Vous devrez me rappeler au plus tard à 8 heures demain matin». Je lui ai dit que je voulais appeler ma fille qui étudiait à Yale à l'époque. Il a ajouté que la signature se ferait à 9 heures le lendemain. J'ai accepté.
J'ai passé une nuit difficile, je vous l'avoue. C'est ainsi que cela s'est passé. Je n'en avais pas eu vent auparavant. Cela s'est fait comme ça.
M. Chuck Cadman: Merci, monsieur le président. C'est tout.
Le président: Merci.
C'est maintenant au tour des ministériels. Je cède la parole à M. Charbonneau.
Oh, en fait, j'ai le nom de Mme Torsney sur ma liste, et je devrais m'en tenir à la liste que dresse la greffière. C'est donc au tour de Mme Torsney pour trois minutes.
Mais j'ai votre nom sur la liste, monsieur Charbonneau.
º (1625)
Mme Paddy Torsney (Burlington, Lib.): Je vais poursuivre sur la question posée par mon collègue M.Cadman.
Est-il donc plausible de dire que vous auriez consenti à comparaître devant un comité d'experts ou de parlementaires, par exemple? Le cas échéant, quelles questions auraient été appropriées?
Votre exposé a porté surtout sur les étapes initiales du processus et non sur ce qui se passe une fois que le premier ministre a une personne à désigner, ou sur un examen par le Parlement. Votre exposé portait plutôt sur la façon dont est obtenue la liste des personnes qui devraient ou pourraient être nommées.
Revenons donc à ce processus initial. Vous envisagez la création d'un comité qui pourrait être composé du juge en chef de la Cour suprême et d'un certain nombre de personnes qui seraient assermentées pour un mandat de cinq ans; j'imagine que je devrais vérifier le nombre de nominations qui devront avoir lieu au cours des cinq prochaines années. Ce comité produirait-il une liste, rencontrerait-il les candidats, entre autres tâches? Est-ce que cela s'apparenterait au processus actuel d'examen judiciaire pour les juges fédéraux, un processus selon lequel un avocat et quelques personnes n'appartenant pas à la profession passent en revue les candidats, dont vous n'avez pas fait partie, je suppose? Est-ce que le comité maintiendrait une liste à jour de tous ceux qui sont des candidats possibles?
Selon vous, comment est-ce que ce comité pourrait fonctionner à l'échelle nationale, alors que certains de ses membres, originaires, par exemple, de la Colombie-Britannique ou d'ailleurs, pourraient n'avoir aucune expérience du régime de droit civil? Comment procéderiez-vous avec cette liste de candidats qui sont disponibles, comme dans le cadre du processus judiciaire actuel? Les candidats seraient-ils classés en ordre? Les candidats constitueraient-ils un bassin potentiel? Si un juge prenait sa retraite, le premier ministre serait-il obligé de désigner un remplaçant parmi cette liste? Comment cela fonctionnerait-il exactement? Comment assureriez-vous une sécurité adéquate pour une durée de cinq ans en ce qui concerne les candidats potentiels ou les membres du comité?
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé: D'après ce que je comprends, le comité travaillerait seulement lorsqu'une nomination devrait être faite.
Mme Paddy Torsney: Alors, le comité se réunirait seulement dans ces circonstances.
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé: Oui, car il est impossible de produire une liste permanente. Certains candidats meurent, certains candidats passent à autre chose. La liste doit être préparée au moment où il y a un poste à pourvoir. Ainsi, les personnes sont nommées lorsqu'il y a un poste vacant. Les membres du comité se réunissent ou leur secrétariat recueille tous les renseignements. Ils se réunissent de temps en temps. Ils discutent. Ils reçoivent tous les documents, comme pour tous les comités dont nous faisons partie.
Ainsi, selon moi, il ne s'agit pas d'une procédure très lourde. On parle ici de la Cour suprême du Canada. Il y a un poste à pourvoir aux trois ans ou aux cinq ans.
Mme Paddy Torsney: Par une coïncidence ironique, nous avons deux postes à pourvoir au cours des deux prochains mois.
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé: Il se trouve que nous en avons deux à l'heure actuelle. De façon générale, c'est un comité qui fonctionne.
Si vous parlez d'un comité qui ferait le travail des comités provinciaux, c'est une tout autre question. Ces comités existent. Ils ont leur propre façon de procéder, qui paraît plus qu'acceptable. Je n'y vois pas de problème.
Mme Paddy Torsney: Alors suggérez-vous...
Le président: Trois minutes.
Mme Paddy Torsney: Désolée, je veux seulement obtenir des éclaircissements à ce sujet.
Votre comité prépare-t-il une liste de noms et passe-t-il en revue des candidats qui sont ensuite nommés par le ministre ou par le premier ministre, ou bien votre comité examine-t-il les candidatures une fois que le premier ministre ou le ministre les a recommandées?
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé: Non, non, le comité intervient avant. Lorsqu'il y a une nomination, le comité se réunit d'abord et s'engage à recueillir des renseignements sur des candidats éventuels. Les membres peuvent estimer qu'une personne devrait être candidate, et ils peuvent prendre contact avec cette personne, ou encore, les personnes intéressées peuvent envoyer leur candidature à ce comité. Les membres du comité reçoivent tous les renseignements dont ils ont besoin, les jugements, et ils se réunissent par courrier électronique ou en personne. Selon moi, il ne s'agit pas d'un problème de taille.
Mme Paddy Torsney: Très bien, et comme le temps qui m'est alloué est écoulé, pourriez-vous envoyer à la présidence du comité une liste de questions auxquelles, selon vous, ce candidat répondrait? Comble de l'ironie, vous auriez refusé de comparaître devant ce comité et nous n'aurions pas pu tirer profit de vos années d'expérience.
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé: Vous savez, vous m'avez demandé si j'aurais consenti à comparaître devant un comité. Je n'y verrais pas d'inconvénient. J'aurais comparu devant un comité de ce genre. En ce qui me concerne, j'aurais probablement dit non immédiatement, car cela aurait constitué un nouvel obstacle dont je ne voulais pas. Beaucoup de gens auraient été heureux que je refuse, d'après ce que j'ai lu.
Mme Paddy Torsney: Les Canadiens n'en auraient pas été très heureux.
Le président: Très bien. Nous sommes tous gagnants ici.
Monsieur Marceau, vous avez trois minutes.
[Français]
M. Richard Marceau: Merci.
Dans votre introduction, vous avez dit que vous appuyiez ce qu'Irwin Cotler a dit ce matin. Il a dit que le critère premier qui devait être pris en considération était évidemment celui du mérite. Il parlait de la capacité professionnelle, des qualités personnelles et aussi de la diversité. Concrètement, comment peut-on équilibrer toutes ces choses? Il peut y avoir quelquefois conflit ou perception de conflit entre la diversité, de genre, de région, d'origine ethnique, de religion etc., et le mérite. Comment un comité peut-il équilibrer tout cela concrètement?
º (1630)
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé: De toute façon, les nominations à la Cour suprême se font province par province. On part avec des candidats de la province, de la région. Déjà là, on a des dossiers et si deux dossiers sont aussi valables l'un que l'autre, on décide si la diversité va jouer, si on va nommer une femme, un homme, une personne d'origine ethnique différente, etc. C'est une décision que le premier ministre a toujours prise. Quand ils ont voulu nommer une femme, ils ont nommé une femme. C'est une décision politique, que le comité pourra prendre.
M. Richard Marceau: Si c'est une décision politique, il y a déjà une certaine politisation de la composition de la cour. Je ne dis pas cela dans un sens partisan.
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé: Non, je parle de politique générale. Le comité lui-même pourrait dire qu'à ce stade-ci, il serait important de nommer une personne en particulier, que cette personne a un très bon dossier et qu'il va donc la recommander. Je crois que c'est comme cela qu'on procéderait. Je vois cela de façon pratique.
M. Richard Marceau: Que pensez-vous de l'idée de limiter la durée du mandat des juges? Cela se fait dans certains pays. Au lieu de siéger jusqu'à l'âge de 75 ans, les juges auraient un mandat de 10 ou 15 ans, par exemple, pour qu'il y ait plus souvent du sang neuf à la Cour suprême.
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé: Je suis satisfaite de l'âge de la retraite à 75 ans. C'est un bargain qui a été fait à un moment donné. Les juges américains sont nommés à vie. Ils ne reçoivent jamais de pension; on leur paye le même salaire jusqu'à ce qu'ils meurent. De leur côté, les juges canadiens ont accepté la limite de 75 ans pour ce qui est des salaires, des avantages, etc. Je vois là l'idée d'avoir ce qu'on appelle des terms. C'est tout à fait contre l'indépendance de la magistrature. Si vous regardez les Principes de Bangalore, la Déclaration de Montréal et la Déclaration des Nations Unies, vous verrez que c'est une fonction qui doit être permanente.
Je ne suis pas d'accord du tout sur le fait qu'on tente de mettre une limite, parce qu'il y a une histoire, une continuité dans une cour. Par exemple, réduire l'âge de la retraite irait à contre-courant, à mon point de vue. Dans le temps de Bismarck, la limite d'âge était de 65 ans, mais aujourd'hui, les gens vivent beaucoup plus vieux. Le juge Dickson, par exemple, m'a dit qu'il regrettait être parti à 75 ans, qu'il aurait voulu continuer d'être juge. Il avait la capacité de continuer: il a fait beaucoup d'autres choses par la suite.
Donc, je pense que l'idée de réduire l'âge n'est pas bonne. Je pense aussi que nommer des gens pour cinq ou dix ans ne serait pas bon pour l'indépendance de la magistrature. Je crois que c'est maintenant une carrière qu'on fait dans la magistrature.
M. Richard Marceau: Merci.
[Traduction]
Le président: Du côté du gouvernement, j'ai MM. Lanctôt, Charbonneau, Devillers ainsi que Mme Barnes.
Je cède la parole à M. Lanctôt pour trois minutes.
[Français]
M. Robert Lanctôt (Châteauguay, Lib.): Merci.
Madame la juge, après vous avoir écoutée, il me semble qu'à votre avis, un tel comité ou un tel processus aurait pour but d'évaluer toutes les candidatures retenues, qu'il y en ait huit, neuf ou dix. Il y a d'autres possibilités, et j'aimerais vous entendre sur cela.
Est-ce qu'il y aurait possibilité que le comité évalue tout le monde ou évalue seulement les deux ou trois personnes de la short list qu'il a choisies afin de ne pas trop politiser le processus? C'est une autre possibilité: ce comité pourrait examiner les candidatures après avoir fait son choix. J'aimerais vous entendre sur ces trois possibilités si vous les avez examinées. Ce serait un processus démocratique. Sans garder le statu quo, on pourrait ne pas enlever ce qui existe. Si notre Cour suprême est si bien vue à l'international, c'est peut-être que le processus n'est pas si mauvais.
º (1635)
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé: Je le pense.
M. Robert Lanctôt: Si on a de si bons juges, serait-il possible de ne faire cela qu'après? Quelle serait la différence?
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé: À mon point de vue, non. Pourquoi? Parce que le processus, qui est bon, se fait avant, justement. En ce moment, il est fait par le ministère, mais ce serait une fonction pour cette commission élargie qui inclurait tout le monde. Je pense que si on le faisait après, cela ne garantirait pas la qualité du candidat qu'on proposerait.
Deuxièmement, je ne crois pas qu'on puisse évaluer tout le monde. Il ne faut pas alourdir le processus. On sait très bien qu'il y a des personnes qui font de parfaits juges de première instance, mais qui ne feraient pas l'affaire comme juges de cour d'appel. Je pense qu'il faut que des candidatures soient soumises ou qu'on aille chercher des candidats. Je pense que c'est la meilleure façon de les évaluer. À ce moment-là, on fait un tri, comme celui que fait un président de compagnie quand il engage son chef de la direction.
M. Robert Lanctôt: Les candidats seraient-ils d'abord proposés par le ministre de la Justice et ensuite évalués par la commission, ou si c'est la commission elle-même qui irait les chercher?
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé: C'est la commission. Moi, je le vois comme cela. La commission serait en charge du processus total et présenterait des candidatures au premier ministre, ce que fait actuellement le ministre de la Justice, et le premier ministre choisirait parmi ces candidats. Je n'aime pas les a posteriori. Je crois que cela ne donne absolument rien, parce que dans un tel cas, lorsque la personne est nommée, les médias se mettent à chercher. La personne est connue de toute façon. Je ne vois pas ce que donnerait un processus après... Je crois qu'il est beaucoup plus important de le faire au début et de s'assurer qu'on a le bon candidat ou la bonne candidate.
M. Robert Lanctôt: Que pouvez-vous nous dire pour nous convaincre que ce processus devrait demeurer à huis clos? Je crois que c'est la bonne chose à faire en raison de l'indépendance, mais est-ce le seul élément qui joue en faveur de la tenue de ce processus à huis clos?
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé: Il y a aussi la vie privée des gens. Lorsque la personne n'est pas encore choisie, elle doit continuer sa vie professionnelle. Dans le milieu, si on sait qu'une personne est intéressée à être juge, son bureau cherche déjà un autre partenaire. Je pense donc qu'il est important de conserver le huis clos. C'est une chose.
Deuxièmement, je ne vois pas ce qu'un processus public pourrait ajouter au processus que je suggère, un processus qui serait fait avec profondeur, avec tous les éléments pertinents. Le processus public ne peut être que superficiel et n'ajoutera rien à ce qu'on aura déjà trouvé, à mon point de vue. Donc, je n'y vois pas d'avantages. Si on m'avait demandé publiquement si j'étais pour ou contre telle chose, j'aurais dit que je n'en savais rien parce que je n'avais pas vu le dossier. On peut avoir des opinions, mais cela n'a rien à voir avec le fait de juger.
M. Robert Lanctôt: Merci.
[Traduction]
Le président: Monsieur Comartin, vous avez trois minutes.
M. Joe Comartin: Merci, monsieur le président.
J'aimerais revenir sur un point soulevé par M. Marceau, soit l'idée de limiter la durée du mandat des juges. Êtes-vous d'accord avec moi pour dire que si nous procédons de cette façon...
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé: Parlez-vous de limiter la durée des fonctions du comité? Oh, non, des juges.
M. Joe Comartin: Je parle des juges, est-ce que cela limiterait le nombre de candidats? Un certain nombre de juges refuseraient de quitter la Cour d'appel.
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé: C'est là le problème. Si vous acceptez d'être nommé pour 10 ans, que ferez-vous par la suite? Vous vous trouvez dans l'incertitude; vous êtes associé d'un grand cabinet et ensuite, qui sait? Cela poserait problème, selon moi.
M. Joe Comartin: Relativement à la question de la diversité, j'ai lu votre article dans le Manitoba Law Journal. Peut-être que c'était le juge Coulter. Non, je crois que c'était l'actuel ministre de la Justice. Je suis désolé. Il a laissé entendre aujourd'hui qu'il accepterait des recommandations fondées sur le sexe, l'origine ethnique, religieuse, raciale ou sur d'autres motifs. Quelqu'un d'autre, et il s'agissait peut-être de votre article, a suggéré qu'un rôle pourrait être dévolu à certains groupes, les Premières nations, par exemple, et que ces groupes pourraient faire des recommandations au sujet des membres de la commission. C'est une autre possibilité. La troisième possibilité consiste à permettre à des représentants de siéger à la commission, prenons à nouveau l'exemple des Premières nations.
Privilégiez-vous une solution en particulier?
º (1640)
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé: Si vous vous engagez dans cette voie, vous aurez des représentants du monde entier. Si vous souhaitez que le comité puisse travailler par l'entremise de représentants de la population, alors il s'agit probablement de la meilleure façon d'intégrer certains groupes. Si vous choisissez cette solution, vous devrez intégrer les Tamouls, par exemple, ainsi que de nombreux autres groupes.
Je ne suis pas en faveur d'un immense comité qui serait incapable de prendre une décision. Je crois qu'il faudrait suffisamment de membres pour avoir une bonne représentation. Je ne suis pas opposée à ce qu'un groupe avance le nom d'un candidat. Le nom de LaForme a été mentionné au cours du processus. Il n'y a aucune opposition à cela. En revanche, le processus serait très difficile à mettre en pratique s'il faut que chaque groupe soit représenté au sein du comité. Je n'y suis pas opposée en principe, mais, de façon pratique, je ne souhaite pas que le comité soit ainsi élargi. Si un groupe est absent alors que vous devez en inviter un autre, cela devient un problème.
M. Joe Comartin: Merci.
Le président: Monsieur Charbonneau, vous avez trois minutes.
[Français]
L'hon. Yvon Charbonneau (Anjou—Rivière-des-Prairies, Lib.): Madame la juge, je voudrais revenir sur la question de la diversité. On parle de transparence, etc. On doit aussi parler de crédibilité et de confiance. Je voudrais vous demander de revenir un peu sur cette question de la diversité, non pas de la commission mais de la cour.
Feriez-vous un plaidoyer quant à l'importance que la cour inclue un juge d'origine autochtone, par exemple, ou d'une minorité? On sait que la règle veut que l'on tienne compte des régions et aussi de la question des femmes et des hommes. Faites-vous un plaidoyer pour que la cour soit plus représentative de la population canadienne sous les angles que j'ai mentionnés, ou si c'est pour vous un peu secondaire à la question de la compétence professionnelle pure?
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé: Je crois que les deux sont importants. Il faut de la compétence, et si on a de la compétence dans la diversité, c'est encore mieux.
On a souvent dit qu'on n'avait pas un pool suffisant de femmes, mais on en a un maintenant. Il y avait beaucoup de diversité à la Cour suprême. Il y avait le juge Sopinka qui était ukrainien, et il y a M. le juge Iacobucci qui est italien. Donc, il y a eu un effort de diversité. Il y avait un Acadien, M. le juge Laforêt. Il y a même trois femmes. Donc, ce n'est pas quelque chose qui a été ignoré. Je crois qu'il faut conserver le degré de compétence nécessaire tout en cherchant la diversité. Les deux peuvent très bien se combiner.
L'hon. Yvon Charbonneau: Je vais revenir à la question de la durée du mandat. Actuellement, la démission est obligatoire à 75 ans. Si les juges étaient nommés pour une période de 10 ans, par exemple, à titre inamovible et que leur mandat était renouvelable...
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé: Ce serait encore pire. Alors là...
L'hon. Yvon Charbonneau: Permettez-vous que j'ajoute un argument ou deux?
Par exemple, une personne est nommée à l'âge de 61 ans. Dix ans plus tard, certaines qualités peuvent s'être confirmées et certaines caractéristiques peuvent s'être détériorées chez cette personne. La personne a été nommée à l'âge de 61 ans, mais à 71 ans, elle peut avoir des chagrins immenses dans sa vie; elle peut avoir des problèmes de santé, souffrir de stress, avoir moins de patience, travailler plus difficilement en équipe. Au bout de 10 ans, il y a peut-être des choses qui étaient très bonnes au début mais qui commencent à se détériorer.
Est-ce qu'il n'y a pas là quelque chose, en termes de confiance et de crédibilité, qui pourrait être amélioré si, au bout de 10 ans, il y avait évaluation et confirmation du mandat si tout va bien?
º (1645)
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé: Je ne favoriserais pas cela du tout, pour plusieurs raisons. Je dois vous dire qu'il est arrivé à la Cour suprême qu'une personne ait des problèmes de santé mentale en raison des pressions. Cette personne a pris sa retraite. Donc, il n'y a pas de problème de ce côté-là, et c'est la même chose pour tous les juges. Il y a des fonds d'invalidité comme dans tout emploi. Donc, le problème n'est pas là.
Le problème quant au renouvellement d'un mandat est celui de la confiance qu'on pourrait avoir en quelqu'un. On peut se dire qu'il veut que son mandat soit renouvelé et qu'il va s'arranger pour ne pas faire de vagues. C'est toujours la crainte qu'il y a, et cette possibilité est absolument contre l'indépendance de la magistrature. C'est peut-être une illusion, mais il faut avoir à l'esprit l'apparence de justice.
On reproche cela aux tribunaux administratifs, par exemple. On dit à leurs membres qu'ils sont nommés pour trois ou cinq ans, mais que s'ils font des écarts et que le gouvernement ne les aime pas, leur mandat ne sera pas renouvelé. Évidemment, il y aurait peut-être moins de choses de ce genre si on avait une commission plus indépendante, mais je crois que ce ne serait pas la voie à suivre. On pourrait peut-être dire aux juges qu'ils peuvent quitter après 10 ans à la Cour suprême. Je ne suis pas de ceux qui font campagne pour ces choses-là. Je crois que la carrière judiciaire est une carrière en soi et qu'on doit s'attendre à aller jusqu'à la fin de sa carrière, sauf en cas de maladie. Il y a eu quelques cas où des juges ont dû prendre leur retraite pour ce motif.
Les choses que vous mentionnez se passent aussi à la Cour suprême. Il y a des malades, des gens qui n'ont pas été capables de subir la pression, etc. La sortie normale est de démissionner.
[Traduction]
Le président: Monsieur Cadman.
M. Chuck Cadman: Merci, monsieur le président.
Relativement au même sujet, je vais me faire l'avocat du diable. Vous avez dit qu'au nom de l'intérêt de l'indépendance de la magistrature, les nominations devraient être permanentes ou jusqu'à l'âge de 75 ans. Les Canadiens ne sont-ils pas en droit de s'attendre à ce que les juges respectent cela, continuent de siéger jusqu'à ce qu'ils ne soient plus capables d'assumer leurs fonctions, et ne quittent pas leur poste avant la fin de leur mandat?
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé: J'ai écouté votre question en français mais je répondrai en anglais.
Je crois qu'on s'attend tous à ce que les juges finissent leur carrière comme juges, mais il arrive que des choses se produisent, comme dans le cas de Mme Arbour, et c'est peut-être à son cas que vous faites allusion, qui mène à un cheminement différent. Cela ne met pas en jeu l'indépendance de la magistrature, car cette personne a quitté le système judiciaire. Moi, je parlais de la possibilité d'amorcer une autre carrière après dix ans. C'est bien différent. Une carrière reste une carrière et certaines sont plus courtes que d'autres, mais cela ne change rien au fait que, si vous voulez être juge, vous devriez prévoir de rester juge jusqu'à l'âge de 75 ans et le public est en droit de s'attendre à cela.
Le président: Monsieur DeVillers, suivi de M. Maloney et de M. Charbonneau. Les députés de l'opposition auront leur tour.
L'hon. Sue Barnes (London-Ouest, Lib.): Ne suis-je pas sur la liste?
Le président: Je croyais que vous vouliez attendre que tous les autres députés aient intervenu.
L'hon. Sue Barnes: Je prendrai la parole en dernier de ce côté-ci, s'il reste du temps.
M. Paul DeVillers (Simcoe-Nord, Lib.): Merci, monsieur le président, et merci à vous, madame.
D'après les témoignages que nous avons entendus jusqu'à présent, le système actuel de nomination des juges à la Cour suprême semble bon, mais pour permettre ce que le professeur Russell appelle la maturation de notre démocratie, nous devrions le rendre plus transparent. Ce qui m'amène à m'inquiéter de la hâte avec laquelle nous semblons vouloir changer le système. Notre comité est saisi de bien des questions et de beaucoup de possibilités.
Quand les universitaires ont comparus, je leur ai demandé d'évaluer le rendement de la Cour suprême, mais ils ont été trop sages pour le faire.
º (1650)
Hon. Claire L'Heureux-Dubé: J'ai lu le compte rendu de cette réunion.
L'hon. Paul DeVillers: Il n'ont pas évalué notre rendement non plus, et je ne vous demanderai pas de le faire, mais j'aimerais connaître votre opinion. Compte tenu de la complexité du processus et de l'importance pour nous de bien faire notre travail, ne pourrait-on pas combler les deux postes qui seront vacants sous peu selon le mode de nomination actuel plutôt que de nous hâter à apporter des changements?
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé: Je partage entièrement votre préoccupation. Bien des membres du Barreau et d'autres vous ont encouragé à faire preuve de prudence et à prendre tout le temps voulu pour concevoir le meilleur système possible. Il faut faire des recherches. M. Marceau a fait allusion à ce qui se fait ailleurs dans le monde. Ce serait une bonne idée d'examiner cela. Je crois que vous ne devriez pas vous précipiter. Comme vous l'avez dit, le système fonctionne encore très bien. Il est compréhensible que vous vouliez le modifier, car bien des gens réclament des changements et vous voulez faire ce qui s'impose. Mais je ne crois pas que vous puissiez apporter ces modifications à temps pour les deux prochaines nominations. Comment pourriez-vous mettre en place un tout nouveau système en si peu de temps? Ces juges devront être choisis au moins un mois avant la reprise des audiences de la Cour en octobre, donc, ils devront être nommés en septembre. Cela ne vous donne pas suffisamment de temps.
Je me joins donc à ceux qui vous encouragent à la prudence et à la réflexion. Prenez le temps qu'il faut pour faire une analyse plus approfondie et voyez ce qui pourra être fait plus tard.
L'hon. Paul DeVillers: Et serait-il acceptable de combler les postes actuellement vacants selon le mode actuel?
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé: Oui. Le ministre de la Justice s'est dit prêt à venir témoigner devant votre comité pour expliquer le processus et son choix; ce pourrait être une bonne solution dans l'intervalle. Comme vous l'avez dit, si vous changez le système, il importe de le remplacer par un processus de nomination qui soit meilleur et non pire. Voilà pourquoi il faut bien y réfléchir.
L'hon. Paul DeVillers: Merci à vous, monsieur le président, et à vous également, madame.
Le président: Merci.
Monsieur Marceau, suivi de M. Maloney.
[Français]
M. Richard Marceau: Étant donné que la grande partie des juges qui sont nommés à la Cour suprême viennent des cours d'appel, est-ce qu'un processus semblable devrait, selon vous, être appliqué aux nominations aux cours d'appel, étant donné l'importance des cours d'appel?
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé: Absolument.
M. Richard Marceau: C'est quelque chose de similaire à la Cour suprême actuelle. Est-ce qu'un processus semblable devrait être mis en place?
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé: Je crois qu'il existe. Ces comités-là fonctionnent à peu près de la même façon.
M. Richard Marceau: Cela s'applique à la Cour supérieure, mais pas aux cours d'appel, à ce qu'on nous a dit.
º (1655)
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé: Il n'y a pas ce processus pour les cours d'appel? Je n'y verrais pas d'objection, parce que les qualités d'un juge de première instance et les qualités d'un juge de cour d'appel sont totalement différentes. Pour la Cour d'appel, ce n'est pas compliqué: the name of the game is writing. Je me souviens du juge Jessup qui était là, au bout de la table. Il faisait des conférences et nous disait: «N'oubliez pas que the name of the game is writing!» C'était assez épeurant. Il serait probablement utile qu'on ait pour ces cours le comité qui est en place pour les nominations à la Cour supérieure. Je ne verrais pas d'objections à cela.
M. Richard Marceau: Je veux revenir sur la question des mandats des juges. Vous avez dit que les juges ne devraient pas avoir de mandat défini dans le temps parce que cela serait contraire à l'indépendance judiciaire. Au départ, vous avez parlé de l'Allemagne comme d'un exemple à examiner. Or, les juges de la Cour constitutionnelle de l'Allemagne sont nommés pour un mandat de 12 ans non renouvelable. Pourtant, cette cour est considérée comme l'une des meilleures cours constitutionnelles au monde. Ce pays a aussi un système fédéral, comme vous le savez. Le mandat fixe et l'indépendance judiciaire sont-ils nécessairement contradictoires?
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé: Ce n'est pas le mandat fixe qui pose problème quant à l'indépendance judiciaire; c'est le renouvellement du mandat.
M. Richard Marceau: Leurs mandats à eux sont non renouvelables. Donc, s'il s'agissait de mandats non renouvelables, vous auriez moins de craintes.
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé: Oui, mais il y a un autre problème: qui acceptera de faire une carrière de 10 ou 12 ans seulement? Est-ce qu'on les nommerait alors qu'ils sont plus vieux à ce moment-là? Aujourd'hui, on nomme des juges assez jeunes. Je ne me prononce pas quant au bien-fondé de cela. Tant que la personne remplit tous les critères, il n'y a pas de problème d'âge. À ce moment-là, on sera dans le dilemme qu'on évoquait avec M. Comartin tout à l'heure: ou bien vous acceptez à 30 ans d'être là pendant 12 ans et ensuite vous faites une autre carrière, ou bien vous acceptez que l'âge de la nomination augmente.
M. Richard Marceau: Entre vous et moi, pensez-vous réellement que quelqu'un qui terminerait un mandat à la Cour suprême à l'âge de 45 ou 50 ans aurait de la difficulté à se trouver un emploi dans un grand cabinet d'avocats?
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé: Non, je ne le crois pas nécessairement. Je ne sais pas si, en Allemagne, on fait cela en fonction de l'âge. Comme on les nomme alors qu'ils sont plus vieux, on sait qu'ils feront une pleine carrière et qu'à 75 ans, de toute façon, ils vont quitter. Je ne connais pas les détails. En principe, il n'y a pas d'objections, mais il y a peut-être des objections pratiques. Ce n'est pas dans notre système, d'ailleurs. Cela ne cadre pas avec notre système, ce qui est toujours dérangeant. Il faut y penser.
M. Richard Marceau: Merci.
[Traduction]
Le président: Monsieur Maloney, monsieur Comartin, puis madame Barnes.
M. John Maloney (Erie—Lincoln, Lib.): Merci, monsieur le président, madame L'Heureux-Dubé.
Je crois entendre dans votre témoignage des éléments contradictoires. Vous avez dit que le processus n'est pas si mauvais. Vous nous dites d'éviter par contre d'y ajouter quoi que ce soit et que l'examen public pourrait causer plus de tort que de bien. Vous dites que la transparence est très importante—nous sommes du même avis—et que peut-être faudrait-il une commission pour examiner les candidatures, elle pourrait être composée de membres du grand public ainsi que de parlementaires, qui par définition sont des êtres partisans. Par contre, vous dites aussi que l'on n'apprendra pas grand-chose à interroger les candidats pendant quelques heures ou quelques jours. Pouvez-vous expliquer cette contradiction?
[Français]
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé: Je comprends votre intervention.
[Traduction]
Il serait sans doute avantageux que le comité interroge le candidat. Je n'y vois aucun inconvénient. Il n'en apprendrait sans doute pas davantage sur lui, mais aurait l'occasion de lui parler. L'interrogatoire en public n'a pas cette connaissance accumulée de la personne, parce que c'est fait par le comité, etc. Vous ne pouvez poser que des questions auxquelles vous n'avez sans doute pas de réponse. Les questions pourraient être intéressantes pour le grand public, mais n'ont pas autant de pertinence pour le juge. Si vous me demandez si je suis en faveur de l'avortement, je répondrais que je ne peux pas répondre à la question. C'est aussi simple que cela.
Vous voyez ce qui se passe dans le système américain. Les juges se préparent pendant des jours et rendent visite à tel ou tel sénateur. On ne veut pas de cela ici. Cet élément est très superficiel; les questions ne touchent sans doute pas au fond de ce que vous souhaitez chez un juge alors que l'entrevue réalisée par une commission qui connaît déjà le candidat, a déjà étudié... L'interview n'est pas essentielle, au fait, mais c'est l'entrevue publique qui se fera surtout à l'intention des médias et, comme vous l'avez dit, vos gens veulent savoir qui est la personne.
Je ne suis pas convaincue que cela vous mènera là où vous voulez aller, et c'est là la difficulté pour moi. Parce que vous voulez un bon candidat, quelqu'un qui a du jugement. Mais interroger la personne en public sur ses convictions et un certain nombre de questions ne vous donnera pas d'indication de ce que la personne est vraiment comme candidate à la magistrature.
» (1700)
M. John Maloney: J'ai trouvé intéressant que dans le cas de votre nomination, vous avez été informée par M. Mulroney à la toute dernière minute et que vous avez eu des hésitations. Le mécanisme dont nous discutons ferait intervenir le candidat beaucoup plus tôt. Vous devez trouver avantageux l'idée de faire intervenir le candidat plus tôt dans le processus.
[Français]
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé: La plupart des juges savent qu'ils sont des candidats possibles.
[Traduction]
La plupart des juges savent qu'ils sont des candidats possibles. Les noms circulent dans les journaux. Je ne parle donc pas de candidats qui ont l'occasion de savoir qu'ils sont sur la liste; je pense à un processus qui garantirait le meilleur candidat possible. Mon nom a circulé dans les médias; il était donc connu que mon nom y figurait. Même si vous avez cette interview et même si votre candidature est à l'étude, ce n'est qu'une étude; vous n'avez pas l'assurance que vous serez le candidat désigné. Pour le candidat, je n'y vois ni grand avantage ou inconvénient. En pareil cas, je crois que c'est plutôt neutre. Pour être honnête, j'aurais préféré ne pas le savoir.
Le président: Merci.
Monsieur Comartin, vous avez trois minutes.
M. Joe Comartin: Je vais essayer d'être objectif ici. Y a-t-il un avantage à faire siéger un ex-juge de la Cour suprême à la commission au moment de sa création?
Peut-être aussi une question supplémentaire pendant que vous y réfléchissez. Le comité a examiné la question et le premier ministre en a parlé et il me semble que dans la société en général, au pays, on a le sentiment que le processus est exagérément politisé. Est-ce que la création d'une commission contribuerait à réduire ce sentiment, surtout quand on sait que des parlementaires y siégeraient, ou cela augmenterait-il le risque d'ajouter à la politisation du processus?
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé: Je ne pense pas. Je pense que si vous avez un comité qui regroupe une diversité de gens, cela donnera au processus une meilleure chance d'être perçu comme transparent parce qu'il fait appel à plus de gens. Il y a le fait que les lignes directrices seront connues; nous allons demander telle ou telle chose, nous allons examiner ceci et cela. Je ne le vois pas.
Comme je l'ai dit, je pars du point de vue que le processus de mise en candidature a été efficace jusqu'à présent, mais je peux accepter que l'on puisse faire mieux. Je ne pense pas que ce serait un inconvénient d'avoir un juge à la retraite. Je ne la trufferais pas tant que cela avec des juges; il y aurait le juge en chef et le juge en chef de la cour de la province dont vient la personne. Si c'était une candidature du Québec, je verrais le président du Barreau du Québec plus le juge en chef du Québec parce qu'ils connaissent leurs gens, etc.
Mais avoir des juges à la retraite, écoutez, nous ne sommes pas mauvais, mais ce ne serait pas une de mes principales recommandations. Peut-être pourraient-ils représenter le grand public, ou quelque chose comme ça.
Le président: Merci.
Madame Barnes.
L'hon. Sue Barnes: Merci beaucoup, et merci d'être venue nous rencontrer aujourd'hui.
Mes collègues ont déjà posé beaucoup de questions et j'ai écouté vos réponses, mais je veux être bien certaine d'avoir compris ce que vous nous dites. Vous dites que le processus actuel jette un éclairage, si vous me passez le mot, et de la transparence et qu'il a donné de bons résultats. Le comité est d'avis qu'il peut être modernisé et être plus transparent et souhaite que des élus y participent à une étape ou à une autre.
La question est de savoir où et comment; il y a plusieurs stades au processus. Il y a ce que j'appelle le stade final, le stade initial, quand le gouvernement enclenche le processus, mettons. Vous avez parlé aujourd'hui de la participation des parlementaires, d'une interview et de l'évaluation. Pour moi, l'examen du dossier vient en amont. Songez-vous aussi à la participation des parlementaires là aussi? Je sais que l'ABC y songeait. Je vous ai aussi entendue parler de l'interview; est-ce seulement vers la fin, lorsque l'on a réduit le nombre de dossiers, ou parlez-vous des deux?
J'essaie seulement de bien comprendre ce que vous avez dit.
» (1705)
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé: Je n'ai pas vraiment fait de distinction. Vous n'allez pas interviewer tous les candidats qui soumettent leur nom. Vous allez évaluer les dossiers et quand vous aurez trouvé trois candidats à qui vous seriez prêt à faire une offre, vous allez les interviewer. Cela pourrait se faire pour dix, vingt ou cinquante personnes, mais je ne pense pas que cela serait aussi utile que lorsque vous aurez fait un certain tri; ensuite vous pourrez les interviewer avant, et il pourrait y en avoir trois ou il pourrait y en avoir cinq.
Parfois, quand nous choisissons nos adjoints judiciaires, nous avons les dossiers, mais c'est l'entrevue qui est déterminante. Il importe parfois d'avoir une certaine connaissance de la personne même.
L'hon. Sue Barnes: Imaginons que je sois en train d'interviewer le dernier candidat. Quel genre de questions à votre avis serait-il indiqué de poser et en quoi seraient-elles utiles?
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé: Les questions ont été données par le ministre de la Justice ce matin et j'estime qu'elles doivent avoir un lien avec le travail. Par exemple, comment estimez-vous votre capacité de gérer le stress? S'il y a eu des épisodes de stress dans votre vie, avez-vous eu à prendre des médicaments pour le maîtriser?
Je ne peux pas vous dire combien la pression est forte à la Cour suprême. Vous ne le saurez jamais—je le sais—mais il faut une bonne santé mentale et physique. C'est très difficile. C'est un travail très solitaire et vous devez supporter cet isolement. Y parleriez-vous de votre famille et habiteriez-vous ici ou là-bas? Êtes-vous du genre indécis? Voilà les questions pertinentes. Il y a évidemment aussi la connaissance du droit. Avez-vous été membre d'une association juridique, de droit comparatif, par exemple? Qu'avez-vous fait pour actualiser vos compétences? Ce sont là autant de bonnes questions.
Il y a aussi la familiarité avec le contexte social, le bilinguisme, et les connaissances spéciales exigées de la Cour suprême, notamment en ce qui concerne la jurisprudence relative à la Charte, ainsi que l'impartialité et l'humilité: tous ces éléments. L'intégrité et la déontologie ne font habituellement pas problème, mais il est arrivé que des juges qui ont tenu certains propos en audience et qui ont dû démissionner. Il faut donc s'assurer que la personne a du jugement. Voilà le genre de questions.
Ce n'est pas: «Que décideriez-vous dans cette situation?» ni «Quelle est votre philosophie?» Pour moi, le juge n'a pas de philosophie. Ne vous y trompez pas. Ils ne sont pas là pour faire valoir leur propre avis. Si vous me demandez quel est mon avis à propos de l'avortement, je vous dirai que j'en ai peut-être un, mais qu'il n'a rien à voir avec l'affaire que je juge.
Voilà donc le genre de questions que j'estime importantes
» (1710)
Le président: La question est importante.
Nous passons maintenant au deuxième tour: M. Charbonneau, puis Mme Torsney. Monsieur Charbonneau.
[Français]
L'hon. Yvon Charbonneau: Madame L'Heureux-Dubé, je voudrais vous poser une question qui a trait peut-être à la structure de la Cour suprême et à son mandat quant à la sélection des juges.
Dans notre système, la Cour suprême est aussi la cour constitutionnelle. C'est la cour qui doit porter des jugements ou donner des opinions sur les questions d'application et d'interprétation de la Charte. Ce sont là des spécialités extrêmement particulières, et on doit exiger que chacun des neuf juges ait une telle spécialité, puisque les juges doivent être à peu près égaux sur le plan professionnel, qu'aucun ne doit dépendre d'un autre, etc. Bien sûr, il y a là des champs de compétence particuliers, mais les neuf juges doivent être habilités à se prononcer de manière très experte sur les questions de Charte et de Constitution. Est-ce que cela ne pose pas une contrainte énorme dans le choix des juges?
On peut faire sa carrière comme juge de première ou de deuxième instance en jugeant des crimes de tous genres sans avoir à traiter de ces questions. Lorsqu'ils arrivent à la Cour suprême, tous les juges doivent devenir compétents en ces matières. Est-ce que ce n'est pas une contrainte énorme? Est-ce que cela ne nous donne pas l'idée d'avoir une cour particulière pour les questions constitutionnelles et de Charte?
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé: Dieu nous en préserve! Je vais vous dire pourquoi. Le droit est une chose. De toute façon, je suis contre la spécialisation. De nos jours, aucun juge au Canada ne peut ignorer la Charte ou ne pas être un spécialiste de la Charte. Que ce soit en droit criminel, en droit administratif ou en droit civil, la Charte est là pour protéger les valeurs fondamentales. On ne peut pas ignorer les valeurs fondamentales. Aucun juge au Canada ne peut ignorer la Charte. Nous en sommes tous des spécialistes, à divers degrés. Évidemment, quand on siège à la Cour suprême, les questions sont plus difficiles.
Que ce soit la question du tabac ou d'autres questions, elles ont toutes d'abord passé par la Cour supérieure. Ces juges ont tous eu à décider si la liberté d'expression, comme dans l'affaire RJR Mac Donald, était plus importante que le droit d'adopter des règlements pour protéger la santé des gens. Ils ont tous eu à discuter de cela. On ne peut donc plus parler de la Charte comme d'une spécialité. Tous les juges doivent connaître la Charte et sa jurisprudence. C'est pour cela que notre travail de juge, aujourd'hui, est beaucoup plus difficile qu'il ne l'a jamais été. Il est très difficile de tout savoir, de tout lire. Il y a une abondance de jurisprudence mondiale. Nous devons connaître les décisions internationales des cours sur les droits de la personne. Il faut que le juge soit informé tout le temps au sujet de la Charte. Ce n'est pas compliqué, c'est comme cela. Le devoir de s'informer est un fardeau très lourd.
Je peux vous dire en passant que notre Institut national de la magistrature est vraiment le meilleur au monde. Notre institut d'éducation pour les juges est vraiment réputé à travers le monde et les juges y reçoivent de la formation continue sur la Charte et sur tous les sujets. Ils sont à la fine pointe des dernières décisions, européennes ou autres, particulièrement dans le domaine des droits de la personne, parce que notre Charte est basée sur les droits de la personne et sur les conventions internationales, ce qui est tout à fait différent du American Bill of Rights. Je suis en mesure d'affirmer, si cela peut vous rassurer, que les juges d'ici bénéficient d'un système d'éducation judiciaire qui est admiré à travers le monde. En effet, nous recevons le monde entier et nous exportons notre système. Nous avons des contrats avec les Philippines, avec la Chine, etc.
En ce sens, les juges doivent faire beaucoup plus d'efforts pour s'informer qu'auparavant et il leur faut toujours être à la fine pointe, même en première instance.
L'hon. Yvon Charbonneau: Puis-je continuer, monsieur le président?
[Traduction]
Le président: Le temps est largement dépassé, mais avec la permission de vos collègues, vous le pouvez.
Y a-t-il des objections? Une deuxième série de questions a été demandée par Mme Torsney, qui pour l'instant ne...
Vous allez vous prévaloir de son temps de parole? Très bien, M. Dion aussi.
Je voudrais donner la parole aux autres, après quoi je reviendrai à vous. Il nous restera sans doute quelques minutes à la fin.
Je donne la parole à M. Dion.
» (1715)
[Français]
L'hon. Stéphane Dion: Ce dont nous parlons n'est pas si compliqué, en fin de compte. Ce serait une commission juridique qui réunirait ceux qu'on consulte en ce moment un par un, présidée par la juge en chef de la Cour suprême, qui produirait une liste. Celle-ci, au départ, serait assez évidente. On sait à peu près qui on considère, on ferait des entrevues avec quelques personnes qui paraissent ressortir et on ferait une recommandation. Après, c'est moins clair. Si quelqu'un sortait très clairement du lot, il serait recommandé. Si, par contre, les candidats étaient plutôt équivalents, on proposerait au premier ministre peut-être trois noms.
Parlons du processus de décision de ce comité. S'il y a des parlementaires, il y aura peut-être des désaccords. Devrait-on voter?
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé: Je crois que c'est la même chose dans tous les comités où il faut arriver à une décision. Habituellement, cela se fait par compromis, si je comprends bien. On décide d'en choisir un et on se dit que la prochaine fois, ce sera peut-être l'autre, etc. Il faudrait probablement décider si le vote serait gagné avec la majorité ou s'il faut les deux tiers des votes, par exemple. Le comité lui-même pourrait décider cela. Je ne crois pas que cela soit un gros problème quand on a un comité formé d'une douzaine de personnes. Je pense que les comités sont en mesure de prendre des décisions.
L'hon. Stéphane Dion: Nous devons faire une recommandation. Suggérez-vous que l'on propose à tous les comités la même procédure pour la prise de décision ou si on laisse le soin de choisir à chaque comité?
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé: Je crois qu'il serait mieux de laisser chacun décider. Dans certains comités, cela se présente mal, peut-être, et dans d'autres, c'est mieux. Personnellement, je n'établirais pas de règles fixes. Je préfère la flexibilité. Je dis toujours que si on s'enferme dans des petites boîtes, il est compliqué d'en sortir. Il ne faut pas trop faire de petites boîtes.
J'accuse toujours mes collègues anglophones de faire des petites boîtes et de nous enfermer dedans. Les francophones, généralement, ne font pas de petites boîtes. Nous sommes beaucoup plus flexibles: c'est l'influence de notre Code civil. Je ne suis pas en faveur des petites boîtes.
[Traduction]
Le président: Merci.
Madame Torsney, puis monsieur Charbonneau; le président voudrait ensuite poser une question.
Si vous le voulez bien, je voudrais donner maintenant la parole à M. Charbonneau.
Mme Paddy Torsney: Passez à M. Charbonneau.
Le président: Monsieur Charbonneau.
[Français]
L'hon. Yvon Charbonneau: Vous avez surtout retenu de ma question de tout à l'heure l'aspect des connaissances relatives à la Charte. Ma question était plus large: je parlais de la Constitution. La Charte est incluse dans la Constitution. Il est assez rare que des personnes ayant pratiqué la profession juridique pendant 45, 50 ou 30 ans n'aient jamais donné leur avis sur des questions sociales ou morales, comme vous l'avez souligné tout à l'heure. Vous avez parlé de l'avortement, du suicide assisté, de l'euthanasie, de l'usage des drogues, du mariage entre personnes de même sexe. Quand on a 30 ans de métier, on a émis des opinions, on a écrit des articles, on a pris parti, on s'est parfois lié avec certains groupes, on a participé à des mouvements, des organisations. Quand arrive le temps d'être choisi pour siéger à la Cour suprême, tout ne disparaît pas, n'est-ce pas?
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé: Non, et c'est heureux parce que les gens ont eu le courage d'exprimer leurs vues.
L'hon. Yvon Charbonneau: Tout ne saurait disparaître. Donc, il est un peu inutile de dire, si on vous pose de telles questions, que vous ne savez pas et que vous étudierez le cas. Forcément, dans le contexte, en arrière-plan, il y a des écrits, des opinions, des partis pris qui se sont exprimés dans le passé. Comment tout cela peut-il s'effacer quand des gens soulèvent la question de la Loi 101 et du droit pour les parents d'envoyer leurs enfants à l'école anglaise? On n'a pas besoin de revoir 100 fois le cas, car c'est toujours le même cas: ce sont toujours les parents de langue anglaise qui veulent envoyer leurs enfants à l'école anglaise. Qu'ils s'appellent Jos ou Normand, c'est la même chose. Il y a des opinions qui ont été émises et des biais qui ont été pris au fil des années. Comment peut-on faire table rase de tout cela?
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé: La mission du juge n'est pas de donner son opinion. Tout d'abord, il y a neuf juges et donc neuf opinions différentes. Mais ce n'est pas notre fonction. Il y a eu le cas du juge de Grandpré. Le juge de Grandpré, quand il était bâtonnier, s'était prononcé contre l'avortement, et on a demandé sa récusation quand il a eu une cause d'avortement. Je ne sais pas si c'était la cause de Morgentaler. Il ne s'est pas récusé et il a jugé selon le dossier. Telle est la distinction. On peut avoir exprimé un certain nombre d'opinions sur certains sujets. Comme vous le dites, on vit dans la vie, etc., mais lorsqu'un dossier nous est soumis, nous devons le juger objectivement.
C'est la même chose dans le cas des ministres. Un dossier vous est soumis, et vous vous êtes peut-être déjà prononcé sur cette question, mais comme vous devez maintenant prendre une décision, vous allez examiner tous les arguments. C'est comme cela que nous travaillons. Le fait d'avoir une opinion n'est pas fatal, loin de là. Je pense que les gens qui ont eu des opinions sont des gens qui ont été courageux, qui se sont prononcés, qui ont fait avancer les choses, et lorsqu'ils sont juges...
La plus belle réponse que je puisse vous donner est justement un jugement de la Cour suprême de l'Afrique du Sud. Ce sont tous des amis de Mandela. Chaskalson, qui est président ou juge en chef de la cour, a été l'avocat de Mandela, et la cause est celle de Mandela c. SARFU. On a alors demandé la récusation de tous les membres de la cour, et le juge a pris une décision que nous avons citée quand M. le juge Bastarache a eu à se prononcer sur l'histoire des francophones. On lui avait reproché d'avoir été l'avocat des francophones du Manitoba devant la cour. Il a refusé de se récuser et il a cité la décision de l'Afrique du Sud.
Pour la résumer très simplement, je dirai que, dès le moment où le juge met la main sur la Bible, ce qu'il a fait avant est fini, point. On ne peut pas le récuser pour cela parce que la fonction est totalement différente. Il juge son dossier autrement. Pourquoi les avocats viendraient-ils devant nous? Comme je vous le dis, on change d'idée dans 15 à 25 p. 100 du temps. On peut avoir telle opinion, mais on a juré sur la Bible--enfin généralement--qu'on jugerait suivant notre mission, qui est de rendre la justice. Il faut partir de là pour comprendre le processus.
» (1720)
[Traduction]
Le président: Merci
Madame Torsney.
[Français]
Mme Paddy Torsney: Madame L'Heureux-Dubé, je pense que le problème, quand on parle de changements, est que tout le monde parle d'un autre système et que chacun a sa propre idée de ce qu'est le meilleur système.
[Traduction]
Si nous devons apporter des changements, vaut-il mieux à votre avis donner à la population un certain temps pour débattre le pour et le contre des changements proposés ou instaurer le nouveau système d'ici au mois de juin?
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé: Non, je viens de dire—en réponse à votre question, je crois, monsieur DeVillers—qu'il est bon d'avoir une période de réflexion. On ne peut pas se précipiter pour changer un système qui a fait ses preuves.
Personne n'a dit que le système ne marche pas...
Mme Paddy Torsney: Effectivement.
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé: Avant de passer à un autre système, il faut du temps. Pas de précipitation.
Le grand public en a débattu. J'ai écrit cela en 1991; il en est donc question depuis longtemps. Ce n'est pas tant la population, mais la réflexion qui doit se faire autour de la formule que vous allez adopter.
Mme Paddy Torsney: La raison même pour laquelle c'est une priorité pour certains membres du grand public, c'est qu'ils ne comprennent pas bien ce qu'est l'activisme judiciaire, ou qu'ils ont l'impression que ce n'est plus le Parlement mais plutôt la Cour suprême qui fait la loi. C'est donc là où j'ai un problème quant à la façon dont les questions seront traitées.
Si la question est: «Que pensez-vous du rôle des provinces ou du gouvernement fédéral» ou «Quel est le rôle du Parlement par rapport à celui des tribunaux», et que quelqu'un dit «Légitimement, nous avons notre propre place», eh bien, vous êtes peut-être trop activiste pour ce comité, ou il y a peut-être un besoin, ou je pourrais certainement imaginer qu'il puisse y avoir divers partis de l'opposition peut-être, ou des gouvernements qui voudraient que quelqu'un soit plus ou moins activiste.
Je sais que vous avez déjà répondu—je m'excuse d'avoir quitté la salle une seconde—pour ce qui est du type de questions que les gens pourraient poser, mais je pense qu'il est nécessaire de parler davantage de ce processus d'entrevue et du genre de personnes que nous avons, et de voir si les gens comprennent vraiment quel est le rôle de l'interprétation et quels sont nos rôles distincts.
» (1725)
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé: C'est exact.
Ce que les gens ne comprennent pas, c'est que le rôle du juge consiste à examiner une loi par rapport à la Constitution. La loi est-elle constitutionnelle? C'est ce que nous faisions auparavant, c'est ce que nous faisons maintenant. Nous le faisons selon des critères différents. Auparavant, il fallait déterminer si les gouvernements fédéral et provinciaux empiétaient sur leurs pouvoirs respectifs. Maintenant, il est plutôt question de droits fondamentaux. Le rôle n'a jamais changé, le rôle des tribunaux consiste à déterminer si une loi est conforme à la Constitution.
Vous avez peut-être donc raison. Ce rôle n'est peut-être pas parfaitement compris, mais combien de temps faudrait-il pour que les gens en débattent davantage? Je ne suis pas du tout contre, mais vous demandez si nous ne devrions pas avoir un tel débat pendant des années peut-être, ou des mois, avant de réexaminer la question. Ce ne serait pas du tout une mauvaise idée.
Mme Paddy Torsney: Je songe plus particulièrement à l'arrêt Sharpe: «Pour qui ces juges de la Cour suprême se prennent-ils, lorsqu'ils encouragent la pornographie juvénile?» C'est devenu le débat le plus absurde alors que le gouvernement...
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé: J'ai exprimé un avis minoritaire.
Mme Paddy Torsney: Très bien, nous n'allons pas entrer dans les détails.
Cependant, comme le gouvernement tente de modifier le projet de loi afin de s'assurer qu'il convient et qu'il permet d'atteindre l'objectif de tous, en respectant ce que la Cour suprême nous a dit et nos objectifs à nous tous, on se fait matraquer en nous disant «Bonté divine, vous appuyez la pornographie juvénile».
La solution la plus simple, naturellement, est d'invoquer la disposition d'exemption. Les conséquences de certaines de ces choses ne sont pas bien comprises. Plus le processus est politisé, même lorsqu'on a un autre comité pour faire ce travail ou pour interviewer les gens, je pense que cela crée un processus plus politique, non pas moins politique. Donc, votre témoignage m'intéresse, et je vérifierai le reste de votre témoignage pour voir où les questions que vous recommandez pourraient être appropriées, etc.
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé: Eh bien, ce n'est certainement pas une mauvaise idée de dire qu'il ne faudrait pas adopter des changements à la hâte parce qu'il n'y a rien d'urgent et qu'il faudrait plutôt débattre davantage de la question.
Comment expliquer ce processus au grand public? C'est la question. Les médias ont eu leur mot à dire pendant des années à ce sujet.
Je n'ai pas de solution à proposer pour ce qui est de l'éducation du public, mais j'aimerais bien qu'il y en ait une, car j'estime que le rôle du tribunal n'est pas bien compris. Il y a de nombreuses critiques qui ne sont pas justifiées. Nous ne sommes pas parfaits et nous n'avons rien contre la critique. La seule chose qui me dérange, ce sont les attaques personnelles, comme je l'ai dit. Ils ne proposent rien. Ils ne font que tuer le messager, et le message n'est jamais débattu. C'est une autre question.
Il serait intéressant de voir si vous pouvez trouver un processus qui permettrait au grand public de mieux comprendre le rôle du tribunal. Ce serait merveilleux pour le tribunal, pour le grand public, et pour tout le monde; nous pourrions cesser de parler d'activisme, qui, à mon avis, est une mauvaise expression. On utilise cette expression uniquement pour les gens qui sont censés dire au Parlement que la loi n'est pas bonne, pour les gens qui sont réactionnaires ou activistes. Les réactionnaires prônent leur programme.
En fait, personne ne prône de programme. Il y a un article aujourd'hui écrit par Dan Gardner qui dit qu'il n'y a pas de programme pour le tribunal. Je suis tout à fait d'accord avec cela. Nous tentons de faire de notre mieux dans des cas difficiles, où très souvent le Parlement n'a pas pu régler le problème. Nous devons le régler.
Donc, je pense qu'il y a là une contradiction. On nous confie le dossier parce que le gouvernement n'a pas pu régler le problème, et on nous dit que nous dirigeons le pays. C'est très troublant pour les juges, car ce n'est pas ce que nous faisons. Nous tentons de faire de notre mieux.
Je ne suis plus là, donc je ne les défends pas.
Le président: Je vais moi aussi poser la question, car nous avons rarement l'occasion d'entendre un ancien juge. La plupart des avocats considéreraient la réponse comme assez évidente, mais les non-spécialistes, les gens qui ne sont pas avocats, ne la comprennent peut-être pas.
Pourquoi, lors de la sélection d'un juge, ses points de vue personnels sur des questions politiques ou sociales ne sont-ils pas importants? Pourquoi cela n'est-il pas important, étant donné que le rôle du juge est de trancher en ce qui a trait à la loi, et que le juge a appris depuis de nombreuses années que sa décision doit se fonder sur la loi?
Je tente en partie de répondre à la question. C'est pour vous l'occasion de nous aider à préciser, aux fins du compte rendu, exactement ce que vous avez fait pendant toute votre carrière. Vous n'appliquez pas vos points de vue personnels de façon arbitraire, et vous ne jugez pas non plus d'avance un cas en vous fondant sur votre point de vue en ce qui a trait à l'homme, à la nature et à la religion. Pourriez-vous étoffer davantage la question et tenter de nous parler davantage du travail essentiel d'un juge?
» (1730)
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé: La première chose que je peux dire à ce sujet, c'est qu'un juge est là pour rendre justice, et que la loi est une façon de rendre justice. Nous devons donc adapter la loi à la justice. C'est tout à fait fondamental. Si l'on connaît la loi, il n'y aura pas d'injustice. Certains juges connaissent tellement bien la loi qu'ils ne pourront jamais rendre une injustice.
Lorsqu'on a ces grands principes de droit, il y a un danger. Les législateurs adoptent des lois pour une raison. Il est très rare que le Parlement adopte une loi pour rien. Nous devons donc comprendre pourquoi la loi a été adoptée. Nous devons comprendre quel est le mal ou le tort que le Parlement voulait corriger. Et nous devons comprendre le délai dans lequel la loi a été adoptée, le contexte, etc. Le juge doit donc prendre en compte un certain nombre de facteurs qui n'ont rien à voir avec sa propre opinion. C'est la première chose.
Nous sommes tout simplement là pour décider des faits. La Cour suprême discute rarement des faits. À un certain moment, tous les juges doivent prendre une décision relativement aux faits et à la loi. Nous devons prendre en compte tout le contexte de la loi, le contexte de l'application de la loi. Nous devons appliquer la loi aux gens qui vivent aujourd'hui, non pas à ceux qui vivaient au XIXe siècle. Nous devons donc prendre en compte la vie réelle des gens, non pas les mythes et les stéréotypes—que les femmes ne sont pas crédibles, par exemple : c'était il y a 200 ans.
C'est ce que nous faisons, ensuite nous entendons les gens. Il y a toujours les deux côtés. Au tribunal constitutionnel, il y a habituellement d'un côté le gouvernement, et de l'autre les gens. Il s'agit donc de lire, d'être informé, et d'entendre, puis, de décider une fois que l'on a mis tout cela ensemble.
Nous avons souvent hésité avant de rendre notre décision. Dans l'affaire Keegstra, par exemple—la liberté d'expression—la décision a été très difficile. Les causes concernant le tabac sont des causes très difficiles. Jusqu'où peut-on aller? Tout le monde est d'accord avec la Charte. C'est une évidence. Certains d'entre nous interprètent la Charte différemment d'autres. Certains interprètent la Charte en tant que libertariens—par rapport aux libertés civiles : moi, moi et encore moi, et j'ai tous les droits, la société n'en a aucun. D'autres, comme moi, disent non, la société a des droits. Nous devons trouver un juste équilibre entre les deux, car c'est ce que dit la Charte.
La Charte est un document qui porte sur les droits de la personne, non pas sur les droits civils. La Déclaration des droits est un document sur les libertés civiles. La Charte s'appuie sur les droits de la personne. Donc, selon notre interprétation de la Charte, et de l'article 1—ce qui est raisonnable dans une société libre et démocratique—nous pouvons établir la limite différemment.
En général, nous tentons de rendre justice. En écoutant, en regardant et en nous informant, c'est ainsi que nous en venons à notre décision. Cela n'a rien à voir avec notre opinion personnelle, car nous ne sommes pas là pour cela.
Le président: Merci beaucoup.
Mme Torsney dit qu'elle a une question et une demande de renseignements.
Mme Paddy Torsney: Si vous interprétez la Charte par rapport à la Déclaration des droits, et ce genre de choses, c'est une question que quelqu'un pourrait poser. Quoi qu'il en soit, vous pourriez être saisi d'une cause alors que vous avez cette prédisposition selon laquelle la société a certains droits, mais dans la cause dont vous êtes saisi, vous pourriez rendre une décision que d'autres personnes pourraient interpréter comme étant contraire à ce point de vue. Cela n'est-il pas possible?
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé: Absolument.
Mme Paddy Torsney: Alors à quoi sert-il de faire cela?
Hon. Claire L'Heureux-Dubé: Dans certains cas, ce sont les droits individuels qui l'emportent, tandis que dans d'autres, ce sont ceux de la société. En général, certains collègues interprètent la Charte d'une certaine façon, et ils sont très bien connus, et ils disent «Je suis un libertarien», etc., et d'autres diront non, c'est plus... Tout cela est très subtil.
» (1735)
Mme Paddy Torsney: Mais ils examineraient tous la preuve qui leur a été présentée avant de prendre une décision.
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé: Absolument, absolument.
Mme Paddy Torsney: Ils pourraient donc complètement changer d'idée.
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé: Absolument. Il y a en général une certaine évolution, qui n'est pas du tout prédéterminée. C'est ce qu'il faut lorsqu'il est question de la Charte. Tout le monde doit trouver cet équilibre, mais dans certains cas, d'aucuns penchent d'un côté, tandis que d'autres penchent de l'autre. Il n'y a rien de coulé dans le béton. Cela dépend de la disposition personnelle des juges, qui ont peut-être un certain point de vue et une certaine façon d'interpréter la Charte.
Je dirais que les Canadiens français ont l'habitude de la Charte car le code civil est une série de principes, ce qui est contraire au système que l'on retrouve dans la common law. Cela fait donc une différence.
Le président: Au nom de mes collègues, du Parlement, et du grand public, merci beaucoup d'avoir bravé un contexte politique aujourd'hui et d'avoir accepté de venir nous rencontrer pour nous faire part de votre précieux point de vue.
L'hon. Claire L'Heureux-Dubé: Merci beaucoup. J'ai trouvé cela bien agréable.
J'espère que vous avez suivi mes idées.
Le président: Je les ai suivies.
Chers collègues, nous nous retrouverons jeudi. Nous entendrons alors trois témoins du milieu juridique.
Merci beaucoup. La séance est levée.