:
Merci, monsieur le président et mesdames et messieurs les députés.
Je vous remercie de m'avoir invitée et j'ai hâte de répondre à vos questions.
[Français]
S'il y a des questions en français, j'y répondrai également.
[Traduction]
Mon exposé d'aujourd'hui sera axé sur la stratégie de développement économique que le Canada et d'autres pays donateurs suivent en Haïti. Je vais vous donner un aperçu de notre démarche et vous présenter quelques suggestions personnelles d'amélioration.
Pour éviter dès le début toute ambiguïté, je vous précise que j'évalue notre approche en Haïti à l'aune de la réduction de la pauvreté. En d'autres termes, je cherche à déterminer si notre approche au développement économique va aider les couches les plus pauvres de la population de ce pays. L'importance accordée à la réduction de la pauvreté s'explique en partie par sa nature normative et par l'importance que les spécialistes de la consolidation de la paix et du développement ont accordé à cet objectif.
C'est ainsi que l' International Crisis Group relève que la violence qui touche Haïti s'explique dans une large mesure par l'incapacité chronique à s'attaquer à la pauvreté, à la privation sociale et à l'exclusion qui menace la majorité de la population. En résumé, les donateurs ont reconnu que la pauvreté et les inégalités comptent parmi les éléments qui mènent à la violence, à l'insécurité et à l'instabilité politique en Haïti. Dans un document récent de stratégies sur Haïti, l'ACDI prétend que la principale difficulté à laquelle est confronté le Canada est de trouver et de mettre en oeuvre des stratégies qui contribueront à réduire la pauvreté.
Plus de la moitié des Haïtiens, environ 56 p. 100, vivent avec moins d'un dollar US par jour, ce qui en fait le pays de l'Amérique latine dans lequel la pauvreté est la plus enracinée et la plus répandue. Les paysans haïtiens sont le segment le plus défavorisé de la population avec 75 p. 100 des pauvres du pays résidant dans de régions rurales. Haïti présente également la scission la plus marquée entre les riches et les pauvres de tous les pays des Caraïbes.
Le Canada et la collectivité internationale ont adopté une stratégie à trois volets pour relancer l'économie d'Haïti. Le premier objectif est d'instaurer des liens plus solides avec les membres de la diaspora haïtienne. Le second est de renforcer le secteur privé comme moteur principal de la croissance économique. Le troisième consiste à doter de nouveau Haïti d'un secteur de l'assemblage et de la fabrication en mesure d'exporter.
La thèse que je vais vous présenter aujourd'hui est que si ces objectifs peuvent contribuer à dynamiser à nouveau l'économie, il est peu probable qu'ils améliorent sensiblement la situation des pauvres d'Haïti. Une telle stratégie comporte en effet peu d'éléments destinés à améliorer la situation de la majorité de la population vivant dans les régions rurales. Mais je reviendrai plus en détail sur ce point un peu plus tard. Comme nous ne disposons que de peu de temps, je ne dirai que quelques mots sur deux stratégies mises de l'avant par les donateurs: le renforcement du secteur privé et les efforts pour dynamiser à nouveau le secteur de l'assemblage destiné à l'exportation.
Pour ce qui est de la première stratégie, bien que le secteur privé du pays soit fragile et faible, c'est un objectif important de développement du gouvernement canadien. C'est ainsi qu'Ottawa appuie l'initiative de formation des leaders haïtiens du monde des affaires en Haïti. Le Canada a également accueilli récemment la première réunion jamais organisée entre le président de la Banque interaméricaine de développement, M. Enrique Iglesias et des membres du secteur privé haïtien pour discuter du rôle de cette banque dans la reconstruction d'Haïti.
Bien que le secteur privé puisse contribuer à la relance économique, cette entreprise n'est pas sans difficulté. C'est ainsi que les organismes de développement international ont tendance à percevoir le secteur privé haïtien avec méfiance. L'élite haïtienne du milieu des affaires est depuis longtemps soupçonnée d'être plus intéressée à des profits rapides qu'au développement économique à long terme. En outre, les anciens liens entre les intervenants du secteur privé, les dictateurs haïtiens, les militaires et les groupes paramilitaires continuent à préoccuper les organismes de développement, à juste titre.
Des évolutions favorables font que cette perception commence à se modifier, mais c'est là un processus très lent. Le fait qu'une réunion entre la BID et le secteur privé haïtien se soit tenue à Ottawa contribuera sans doute à créer des liens précieux entre les deux partenaires éventuels, mais encore une fois l'image de ce secteur en matière de démocratie et de développement demeure mitigée.
Toutefois, pour revenir à l'objectif de réduction de la pauvreté, il est important de signaler que peu de données portent à croire que les Haïtiens les plus pauvres, dont la plupart gagnent leur vie dans les régions rurales et dans le secteur non structuré, profiteront automatiquement d'un secteur privé plus solide.
Même la Banque mondiale, un fervent partisan du développement du secteur privé, note que les effets observés des petites et moyennes entreprises sur la croissance et le niveau de pauvreté ne permettent apparemment pas de prétendre que les PME sont des créateurs d'emplois particulièrement efficaces. L'analyse de la banque relève aussi qu'il n'y a pas de relations importantes entre la taille du secteur des PME et les revenus du quintil le plus pauvre de la société, le pourcentage de la population vivant sous le seuil de pauvreté, ou sur l'écart de pauvreté.
Ainsi, alors que les économies prospères ont en général des secteurs de PME dynamiques, les comparaisons entre pays ne montrent pas que les PME exercent des effets particulièrement bénéfiques sur les revenus des pauvres.
En ce qui concerne les activités d'assemblage pour l'exportation, ce volet du plan de développement économique s'inscrit très bien dans le prolongement de la pensée économique traditionnelle. Haïti a l'avantage d'avoir une main-d'oeuvre à bon marché et d'être situé tout près de la côte américaine. Par conséquent, il semble raisonnable d'encourager les entreprises d'assemblage tournées vers l'exportation. Il est intéressant de constater que c'est une stratégie qui a été effectivement essayée en Haïti durant les années 1970 et 1980. Je me contente aujourd'hui de souligner que ces efforts intérieurs pour encourager des entreprises d'assemblage tournées vers l'exportation n'ont pas permis de provoquer un développement économique. Au contraire, ils ont eu pour effet d'accroître les inégalités et les niveaux de pauvreté.
Jean-Claude Duvalier s'est fait le défenseur du développement des activités de fabrication destinées à l'exportation entre 1971 et 1986, en offrant plusieurs mesures incitatives comme une exonération d'impôt de dix ans, le rapatriement complet des profits et une main-d'oeuvre qui n'avait pas le droit de se syndiquer. Cela a conduit à une forte augmentation des activités d'assemblage. Les exportations de l'industrie légère ont augmenté à un taux annuel moyen de 40 p. 100 pendant les années 70.
Au début des années 1980, Haïti n'était dépassé, dans les territoires de l'hémisphère occidental sous-traitant des activités pour les États-Unis, que par le Mexique alors que 240 sociétés multinationales employaient entre 40 000 et 60 000 travailleurs, selon les sources d'information choisies.
En 1985, un an avant que Duvalier ne soit contraint à l'exil, Haïti se classait à la neuvième place dans le monde pour l'assemblage des produits destinés à la consommation américaine. On dit en fait qu'à l'époque la totalité des balles de baseball des États-Unis étaient fabriquées en Haïti. Le secteur générait plus de la moitié des exportations industrielles du pays et était le pourvoyeur d'un quart de ses devises étrangères.
Malgré cette expansion énorme, les effets sur l'ensemble de l'économie haïtienne ont été décevants, en particulier en ce qui concerne le nombre de Haïtiens vivant au niveau du seuil de la pauvreté ou en dessous. La dette du pays a augmenté, les réserves en devises étrangères étaient épuisées en 1981. Les responsables de la Banque mondiale, en analysant la balance des paiements d'Haïti, ont concédé que l'industrie de l'assemblage n'avait, à long terme pratiquement pas contribué financièrement à l'économie. Les répercussions sur les citoyens les plus pauvres d'Haïti ont aussi été importantes.
Tout d'abord, confronté au manque de revenus générés par les importations, parce que les produits de luxe entrent maintenant au pays en franchise sous prétexte que les entreprises d'assemblage en ont absolument besoin, le gouvernement haïtien a mis en place des taxes à la consommation qui ont eu, comme des études l'ont révélé, des effets néfastes sur les paysans et les membres des classes les plus pauvres des régions urbaines en particulier.
En second lieu, les coûts des aliments ont augmenté de façon marquée alors que la production diminuait, en raison de l'exode massif des régions rurales vers Port-au-Prince, où se retrouve l'essentiel du secteur de la fabrication. Entre 1975 et 1985, le prix moyen des produits alimentaires a plus que doublé, et ce sont encore une fois les ménages les plus pauvres qui ont été les plus gravement touchés.
Si le modèle appliqué a assuré une certaine croissance économique, il a également eu pour effet d'accroître la pauvreté et la concentration des revenus en favorisant le développement économique de Port-au-Prince, le secteur urbain, par rapport au reste du pays, le secteur rural. En résumé, si la pauvreté n'a pas été réduite, c'est essentiellement parce que la stratégie laissait clairement de côté le secteur rural, même si le niveau endémique de corruption de l'ère Duvalier a aussi joué un rôle, je dois le reconnaître.
Les donateurs ont également ignoré depuis longtemps les besoins du secteur agraire haïtien. Les plans de développement économique des années 1990 ne réservaient que 7 p. 100 de l'aide à l'agriculture, source de revenu de 80 p. 100 de tous les Haïtiens vivant sous le seuil de la pauvreté. Les donateurs actuels prétendent que l'agriculture haïtienne n'est ni durable, ni respectueuse de l'environnement. Le développement rural constitue donc un défi énorme.
En Haïti, les parcelles de terre sont petites, se trouvent essentiellement sur de fortes pentes, ce qui rend la mécanisation virtuellement impossible, et près d'un tiers de toutes les parcelles se trouvent dans les régions ne présentant qu'un intérêt marginal en agriculture. Les spécialistes d'Haïti prétendent cependant que ce sont là les conditions atroces qui rendent le développement rural essentiel, au moins pour empêcher la situation des pauvres des régions rurales de se dégrader encore davantage. La relance de la production agricole et l'amélioration de la sécurité alimentaire des ménages des régions rurales doivent se voir conférer le statut de priorité stratégique par les donateurs internationaux qui ont pour objectif principal de réduire la pauvreté.
Le Canada a fait preuve d'un leadership réel quand il a publié, en 2003, un document de politique intitulé L'agriculture au service du développement durable, surtout qu'à l'époque les organismes bilatéraux et multilatéraux venaient, pendant les années 1990, de réduire de façon importante l'aide à l'agriculture et au développement rural. Malheureusement, Ottawa a décidé en 2005 de ne plus accorder la priorité à l'agriculture dans ses programmes d'aide étrangère. Cela a eu d'énormes répercussions sur des pays comme Haïti dans lesquels la promotion d'un développement rural durable grâce à l'agriculture est essentielle pour venir à bout de la pauvreté. En venant en aide aux paysans, les petits producteurs seraient incités à rester sur leur terre et à améliorer leurs moyens de subsistance en produisant des aliments destinés à la consommation et à la vente sur les marchés locaux.
Il est manifeste que les nouvelles priorités du Canada dans le domaine de la santé, de l'éducation, de la bonne gouvernance, de l'environnement et du secteur privé sont importantes. Il est par contre difficile d'imaginer que l'on viendra à bout de la pauvreté extrême en Haïti sans un plan énergique et durable ciblant le monde rural.
En conclusion, pour ce qui concerne le développement économique, c'est-à-dire la réduction de la pauvreté et des inégalités et l'instauration d'une économie viable, le Canada a décidé de suivre la voie adoptée par les autres grands donateurs en appliquant des stratégies de développement qui reposent essentiellement sur les régions urbaines. Cette approche a été un échec dans les années 1970 et 1980, alors que le gouvernement haïtien privilégiait les zones de transformation destinées à l'exportation au détriment de son secteur rural, et elle a aussi été un échec tout récemment au milieu des années 1990, lorsque les donateurs ont aussi négligé ce secteur.
Je ne prétends pas ici que le Canada ou les donateurs étrangers devraient consacrer l'essentiel de leur aide et de leurs prêts au secteur agricole. Étant donné le niveau de dégradation de l'environnement en Haïti, la surpopulation, et la fragmentation accrue des parcelles de terre, l'agriculture ne deviendra jamais le principal moteur de la croissance économique d'Haïti. Toutefois, si la réduction de la pauvreté est bien un objectif important pour le Canada, la relance de la production agricole et l'amélioration de la sécurité alimentaire pour les ménages des régions rurales doivent se voir accorder une priorité stratégique.
:
Merci, monsieur le président et honorables membres du comité.
Depuis que j'ai oeuvré bénévolement dans un hôpital sans but lucratif à Limbe, dans le nord d'Haïti, durant l'été 1998, j'écris sur les droits de la personne et je travaille à la Section canadienne et au Secrétariat international d'Amnistie internationale sur le dossier d'Haïti.
J'aimerais profiter de cette occasion pour résumer brièvement l'état actuel des droits de la personne en Haïti, avant de conclure sur la nécessité d'inscrire les droits de la personne au coeur de toute démarche canadienne en Haïti.
Depuis le soulèvement du 5 février 2004, l'état des droits de la personne est critique en Haïti. Malgré la présence des forces de la Mission des Nations Unies pour la stabilisation en Haïti, les droits de la personne y demeurent menacés, et doivent être renforcés. Malgré la réussite des élections de février dernier, le pays est divisé politiquement et, partout l'anarchie et la violence règnent. Une culture d'impunité profondément enracinée, un abus de pouvoir généralisé des policiers (arrestations arbitraires, torture, mauvais traitements et exécutions sommaires), un appareil judiciaire manquant d'indépendance, des activités criminelle foisonnantes, des assassinats intentionnels et arbitraires de civils, des viols, des menaces de mort, de l'intimidation et un sentiment général d'insécurité ne sont qu'une partie des défis à relever en Haïti dans un avenir plus ou moins rapproché.
Ces exactions sont commises notamment par des gens armés, dont certains entretiennent des liens politiques avec l'ancien président Jean-Bertrand Aristide, par des agents de police corrompus, d'anciens rebelles, des membres démobilisés de l'ancienne force armée haïtienne et des gens faisant partie de gangs criminels organisées.
Haïti est une petite nation insulaire qui a instamment besoin d'une force policière capable de maintenir l'ordre de façon juste et équitable, dans le respect des normes internationales. Le problème ne date malheureusement pas d'hier. L'histoire d'Haïti est ponctuée de cas de corruption et d'abus de pouvoir de la part de policiers, malgré l'ampleur de l'aide internationale dans ce domaine. Les tentatives de la communauté internationale pour réformer la police, dans les années 1990, n'ont guère donné de résultats. À la fin de la décennie, un peu moins d'un policier sur cinq avait été démis de ses fonctions à la suite de condamnations pour corruption, crimes liés aux stupéfiants et violation des droits de la personne. De plus, la force est elle-même très politisée et certains de ses membres se sont eux-mêmes rendus coupables d'odieuses violations, qui ont souvent causé la mort. Les arrestations arbitraires sont monnaie courante et les fréquentes exécutions sommaires font rarement l'objet d'enquêtes.
Le problème s'explique en partie par le manque d'effectifs. Les milliers d'agents mandatés pour surveiller une population d'environ huit millions d'habitants sont confrontés à la violence politique et à des gangs de criminels lourdement armées.
L'appareil judiciaire d'Haïti, que plusieurs jugent extrêmement dysfonctionnel, a également besoin d'être réformé. La culture de l'impunité règne dans le pays. De plus, l'indépendance de l'appareil judiciaire laisse beaucoup à désirer. Les conditions de détention sont déplorables, les prisons étant surpeuplées et incroyablement insalubres. Encore aujourd'hui, la liberté d'expression est constamment menacée. Dans ce contexte, la primauté du droit n'a plus cours dans la plupart des régions du pays. Les femmes et les enfants de la rue sont particulièrement vulnérables: les premières sont souvent la cible de campagnes de terreur et de viols, tandis que les enfants subissent les attaques de la police.
La présence de la MINUSTAH en Haïti, depuis juin 2004, est un sujet de controverse. Ceci était particulièrement vrai pendant que le gouvernement provisoire était au pouvoir, en partie à cause de la faiblesse relative du mandat de la MINUSTAH. En vertu de la résolution 1542 du Conseil de sécurité, la MINUSTAH doit travailler de concert avec la Police nationale d'Haïti sur toutes les questions concernant le maintien de l'ordre. Ainsi, la MINUSTAH ne dispose ni de l'autorité ni des ressources pour mener des activités indépendantes de maintien de l'ordre; elle détient cependant le pouvoir de soumettre à des contrôles de sécurité et d'agréer les membres actuels de la Police nationale d'Haïti.
Selon certains, cette connivence apparente avec la Police nationale d'Haïti remet en question la neutralité de la MINUSTAH. Les forces onusiennes ont d'autant plus de mal à se légitimiser qu'elles ne parviennent pas à protéger tous les secteurs de la société, bien que le contingent ait récemment été augmenté, passant à huit mille soldats.
Les violations ont été exacerbées par la présence et l'accessibilité de milliers d'armes légères. En effet, selon certains organismes non gouvernementaux, la prolifération d'environ 170 000 armes légères (une estimation prudente), constitue le problème le plus pressant en Haïti. Ces armes contribuent à attiser la violence entre les insurgés, les gangs de criminels et les partisans d'Aristide.
Malgré les tentatives de démobilisation d'anciens militaires dans le cadre de la Commission nationale haïtienne de désarmement mise en place en février 2005, les premiers résultats ne sont pas très encourageants : à ce jour, peu d'armes ont été recueillies. Il reste encore beaucoup à faire.
Pour conclure, voici cinq recommandations pour que le gouvernement du Canada améliore l'état des droits de la personne en Haïti.
La première recommandation est de promouvoir les normes internationales en matière de droits de la personne en Haïti. J'ai pris connaissance, il y a deux semaines, de l'engagement canadien de $48 millions pour la promotion de la bonne gouvernance et de la démocratie en Haïti. Sans connaître les détails de ce programme, je félicite le gouvernement d'avoir pris cet engagement en faveur des droits de la personne et de la paix. J'exhorte le gouvernement à en faire sa priorité et à condamner publiquement les violations perpétrées.
La deuxième recommandation est de continuer à investir dans la réforme policière, judiciaire et pénale. Pour que la police haïtienne devienne une institution fonctionnelle et apolitique, tous ses membres doivent être formés selon les normes internationales. Les critères pour mesurer le succès de cette entreprise doivent se fonder sur les principaux documents internationaux en matière de droits de la personne. Il en va de même pour les systèmes judiciaire et pénal, qui doivent respecter les normes internationales et assurer une procédure équitable.
La troisième recommandation est de contribuer au désarmement, à la démobilisation et au programme de réinsertion à l'échelle nationale. Il faut s'employer à désarmer les intervenants non étatiques, tout en insistant pour que la Police nationale d'Haïti utilise ses armes de façon mesurée et légale.
La quatrième recommandation est de contribuer à empêcher Haïti de se retirer du programme international.
L'incertitude permanente et les ressources de plus en plus limitées nuisent aux nombreuses missions internationales et remettent en question la mise en oeuvre d'une réelle réforme. Le mandat actuel de la MINUSTAH prendra fin le 15 août 2006. Le Canada peut oeuvrer auprès des Nations Unies afin de veiller à ce que son mandat soit renouvelé en avril prochain et d'insister pour que les mécanismes de la MINUSTAH en matière de droits de la personne disposent de moyens suffisants pour remplir leurs fonctions.
C'est dire que la mission devra aussi faire appliquer en priorité les dispositions prévues dans la Déclaration des Nations Unies sur l'élimination de la violence contre les femmes ainsi que dans la résolution 1325 du Conseil de sécurité, qui précise à la communauté internationale la démarche à suivre pour protéger les femmes et les enfants aux prises avec des conflits ou dans un état précaire et périclitant.
La cinquième recommandation est de faire preuve de patience. Il n'existe pas de solution miracle pour Haïti. Les personnes chargées de venir en aide à Haïti doivent s'attendre à subir des reculs. Il est vrai que l'absence de résultats à court terme risque de remettre en question la viabilité d'un engagement à long terme. Mais ce serait, à mon sens, une optique bornée.
Je n'avance rien de nouveau dans mes recommandations, reprises sous une forme ou une autre dans plusieurs résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unies. Les solutions existent. Il s'agit maintenant de les appliquer afin qu'un jour Haïti puisse devenir une société viable.
Merci beaucoup.
:
Merci beaucoup, monsieur le président.
Merci, madame Shamsie et monsieur Thompson.
Ma question s'adresse à Mme Shamsie. Comme je ne dispose que de cinq minutes, rien ne me sert de poser trop de questions, car je n'obtiendrai pas de réponses à la fin.
Docteur Shamsie, vous faites une évaluation concernant l'approche canadienne en Haïti en relation avec la réduction de la pauvreté, sachant très bien que même si la pauvreté est très importante dans les secteurs urbains, dont Port-au-Prince, elle semble sans espoir dans les régions rurales. Vous notez avec raison que dans le passé, sous le régime dictatorial de Jean-Claude Duvalier, les activités d'assemblage et les exportations ont créé des emplois dans les villes, mais non pas dans les régions rurales. Vous semblez favoriser une approche agricole inexistante actuellement et délaissée par le Canada.
Ma question est double. Premièrement, comment fait-on pour favoriser cette approche agricole, sachant très bien, entre autres, que dans les régions rurales d'Haïti, les parcelles de terrain sont très petites et qu'il est difficile de les agrandir?
Deuxièmement, ne croyez-vous pas que ce que vous décrivez comme un échec en tant que générateur de revenus substantiels pour diminuer la pauvreté en Haïti, soit les usines d'assemblage qui ont existé il y a environ 15 à 20 ans, était plutôt une conséquence du régime dictatorial, auquel étaient probablement assujetties ces 240 sociétés dont vous parlez?
Merci.
La première a trait, d'une certaine manière, à la façon dont nous envisageons une politique de développement axée sur les régions rurales en Haïti, pour ce qui est de la taille des parcelles de terre, etc.
Puisque je dispose de quelques minutes, je commencerais par dire que le Canada, la BDI et d'autres donateurs ciblent le secteur rural de façon à améliorer l'infrastructure en s'occupant, par exemple, de la dégradation de l'environnement et de la promotion de cultures d'exportation et de l'aquaculture. Ce sont là tous des objectifs très valables.
Ce que j'essaie de préconiser, c'est davantage un cheminement de développement paysan qui accorderait la priorité à la sécurité alimentaire. Certaines politiques semblables viseraient à réduire l'écart, par exemple, entre les exploitations capitalistes et les exploitations paysannes; à adapter les technologies modernes existantes aux besoins des paysans étant donné les conditions qui existent là-bas; à créer des technologies plus adaptées aux paysans, plus durables; et également à promouvoir des réformes socio-politiques permettant de rendre les exploitations rurales paysannes durables et productives.
Ce que je veux dire, par là, c'est qu'il était évident pour les donateurs dans les années 70, 80 et 90 que la libéralisation des marchés haïtiens et l'abaissement de tarifs protecteurs sur le riz, par exemple, qui est l' aliment de base du pays -- sera absolument catastrophique pour les producteurs de riz haïtiens. C'était bien connu et cela figurait même dans un rapport de l'USAID en 1987 et dans un autre en 1995 qui nous apprenaient que si l'on abaissait les tarifs, cela représenterait essentiellement une perte de quelque $15 millions par an pour les paysans riziculteurs et réduirait ainsi d'autant leur niveau de vie déjà très bas. C'est ce que disait un rapport de l'USAID. Autrement dit, nous préconisons des politiques macroéconomiques sachant très bien qu'elles vont appauvrir ces secteurs. Peut-être ainsi serait-il bon de commencer par adopter une politique qui ne porterait pas préjudice aux paysans, qui ne décimerait pas ce secteur, ne pousserait pas la population rurale à aller se réfugier dans les taudis de Port-au-Prince où elle ne trouverait évidemment pas d'emploi.
Parlons maintenant du régime Duvalier. Rappelons qu'il s'agissait d'une dictature. C'est pourquoi j'ai parlé de corruption. C'était en partie un problème de corruption. Il ne fait aucun doute que les Duvalier étaient experts en la matière. Ils ont réussi à faire sortir des quantités incroyables d'argent du pays en recourant à la stratégie de promotion des exportations.
L'autre chose à ne pas oublier est que les spécialistes en sciences sociales qui se sont penchés sur le secteur de la fabrication destinée à l'exportation disent que, au maximum de sa capacité, il employait seulement 60 000 personnes, ce qui représente environ 4 à 5 p. 100 de la population. Des experts en sciences politiques et des gens qui connaissent bien Haïti ont dit qu'il n'y avait aucun espoir qu'il puisse générer des emplois comme on a voulu le laisser entendre.
Il y a donc des problèmes dans la stratégie elle-même, indépendamment de la structure politique, qu'il s'agisse de la dictature Duvalier ou d'autre chose.
Bonjour. Ma collègue vous adressera ses questions, monsieur Thompson, ne vous inquiétez pas.
Madame Shamsie, j'ai trouvé votre texte très intéressant. Il y avait dans ce texte beaucoup de similitudes, d'une part, avec l'étude effectuée par l'ACDI en 2003, qui est une étude intéressante où on reconnaît avoir fait des erreurs, et, d'autre part, avec la dernière étude de la Cour internationale de justice, la CIJ, sur les 100 jours du gouvernement Préval.
J'aimerais savoir ce que vous pensez de la cohésion politique dont parle la CIJ. Elle propose entre autres d'utiliser le Document stratégique pour la réduction de la pauvreté parrainé par la Banque mondiale pour poser les fondations d'un dialogue national, jamais matérialisé sous le gouvernement transitoire, qui favoriserait une participation active de la part des populations démunies, des groupes communautaires, des femmes, des agriculteurs, etc.
Il y a trop d'attentes. Je comprends ce qu'on veut faire. Il faut aussi chercher à faire en sorte de leur donner des moyens d'être patients. Il faut que les donateurs soient patients, mais il faut aussi que la population sente que les choses bougent et qu'elle est écoutée.
Que pensez-vous de cet élément, compte tenu du travail que vous avez effectué?
:
Je dirais que les conditions qui ont été appliquées en 2000 étaient dues au fait qu'il y avait des élections sénatoriales. En effet, comme il y a eu des irrégularités pendant ces élections-là, et qu'il s'agissait en quelque sorte de pousser Aristide soit à organiser de nouvelles élections pour doter ces sept sièges au Sénat, en encore de concéder ces sièges ou que sais-je. Il s'agissait donc de lui forcer la main. C'est de cela qu'il parlait en invoquant la gouvernance.
Bien sûr, Aristide a résisté, et il n'y a pas que le Canada qui ait interrompu son aide. Le FMI, la Banque mondiale, l'USAID et la plupart des pays de l'OCDE ont également interrompu leur aide pendant cette période. La situation n'arrêtait pas de s'aggraver.
Je conçois donc fort bien qu'on veuille pousser un gouvernement à faire son devoir lorsqu'il y a corruption par exemple, mais à mon avis cela n'avait pas fonctionné. Lorsque cela a fini par avoir un résultat et lorsqu'Aristide était prêt à capituler, l'opposition politique en Haïti réclamait en fait sa démission. En d'autres termes, l'opposition n'était pas prête à accepter autre chose que sa démission.
À ce moment-là, la communauté internationale aurait dû dire: « Écoutez, il a promis de recommencer les élections, et pour nous cela suffit. Nous allons donc rouvrir les robinets de l'aide. » Mais au lieu de cela, nous nous sommes rangés aux côtés de l'opposition politique et nous avons continué à attendre. Nous attendions que l'opposition haïtienne dise: « Très bien, ce sont des conditions que nous pouvons accepter » alors même qu'elle n'était pas prête à accepter quelques conditions que ce soient.
Je dirais donc que nous avons nous aussi un jugement à porter lorsque nous constatons que la situation économique en arrive à un état de crise, vu qu'Haïti dépend à ce point de l'aide étrangère. Nous aussi, nous devons former un jugement et dire: « Écoutez les gars, il va falloir que vous trouviez une solution, mais à notre avis cette solution, soit de nouvelles élections pour doter ces sept sièges au Sénat, est suffisante, et nous allons donc rouvrir les robinets de l 'aide. » Et je dois vous dire que ce sont les États-Unis qui ont insisté dans ce sens. J'ignore quelle était la position du Canada à ce moment-là, mais je pense qu'il s'est rallié aux autres donateurs multilatéraux et à l'USAID.
:
Monsieur le président, vous avez le texte dans les deux langues, alors je vais m'adresser au comité dans les deux langues. J'aimerais d'abord et avant tout vous remercier de nous avoir donné l'occasion de comparaître devant votre comité sur un sujet qui nous tient tellement à coeur.
Le moment ne saurait être plus opportun, car Haïti est aujourd'hui à la croisée des chemins. Je crois que ce sont les mêmes mots qu'a utilisés hier le ministre MacKay à cet effet. Ni les dirigeants haïtiens ni la communauté internationale ne peuvent ni ne doivent décevoir une fois de plus une population si démunie et pourtant si avide de sortir du cercle vicieux de la pauvreté.
Tant la participation massive de la population au processus électoral que le discours de réconciliation national du président Préval ouvrent la voie pour un développement durable. Mais en même temps, l'histoire nous rappelle qu'il n'y a pas de développement sans sécurité et qu'il n'y a pas de sécurité sans développement. C'est pour cette raison que l'ACDI s'y investit avec autant de détermination.
[Traduction]
Quantités de définitions existent sur ce qu'on entend par sécurité. J'aimerais d'entrée de jeu clarifier que, pour l'ACDI et la communauté internationale en général, le secteur sécurité repose sur trois piliers, c'est-à-dire la police, la justice et l'administration pénitentiaire. Il faut s'attaquer aux trois piliers à la fois pour avoir des résultats durables puisqu'ils sont des vases communicants. C'est dans ce cadre que l'ACDI intervient en Haïti.
Les défis à relever dans le secteur sécurité en Haïti sont considérables. Une police nationale dont le nombre de policiers est insuffisant, mal équipée et peu professionnelle, un système de justice défaillant et des prisons inadéquates, regorgeant de détenus coupables ou pas. Imaginez un système de sécurité qui repose sur un corps policier de un pour 2 000 habitants alors qu'au Canada la proportion est de un pour 500, en Europe elle est de un pour 450 et ailleurs en Amérique latine elle est de un pour 600.
L'engagement du Canada dans le secteur de la sécurité en Haïti repose sur une approche pangouvernementale et s'appuie sur l'expertise des ministères de la Défense et des Affaires étrangères, de la Gendarmerie royale du Canada et de l'ACDI.
[Français]
Aujourd'hui, mes interventions vont porter essentiellement sur trois grands points: les enjeux, les actions que nous avons menées et nos réalisations, et les pistes d'intervention futures.
D'emblée, il y a cinq grands enjeux dans le secteur de sécurité en Haïti.
Le premier enjeu est la durée. Les leçons du passé nous ont appris que dans un État fragile tel que ce pays, la présence des forces externes est importante. Elle a un effet stabilisateur mais limité. Cet effet est temporaire et n'a pas d'impact durable s'il s'agit d'interventions de substitution. Il faut donc que cette présence soit accompagnée d'initiatives de renforcement institutionnel, de professionnalisation à long terme et sans discontinuité. Il faut s'inscrire dans la durée; on peut penser à un minimum de 10 à 20 ans.
Le deuxième enjeu majeur est la volonté politique. La volonté politique des autorités haïtiennes est indispensable pour mener à bien une réforme du secteur. Il est impossible de dépolitiser le secteur de la sécurité, de professionnaliser le corps policier et de lutter contre la corruption sans cette volonté politique. Elle a été faible de 1996 à 2004, d'où la suspension des programmes de l'ACDI dans ce secteur et un ajustement par l'intermédiaire d'une nouvelle approche que je vous décrirai plus loin.
Troisièmement, il nous faut une vision commune du processus de réforme. Il est essentiel que l'ensemble des acteurs impliqués dans le secteur accepte de travailler à partir de plans communs de réforme de la police et de la justice, et que ceux-ci soient d'abord et avant tout pilotés par les autorités haïtiennes. L'élaboration de ces plans doit se faire également en consultation avec la société civile et il doit y avoir un mécanisme de coordination entre tous les intervenants. Une seule vision mobilisatrice des actions de tous les intervenants est critique pour assurer la synergie.
Les actions parallèles constituent le quatrième enjeu. La sécurité ne peut d'abord être exclusivement considérée comme une question de contrôle ou une question de répression. C'est d'abord et avant tout une question de développement socio-économique, d'où la nécessité de s'attaquer également à la pauvreté.
Finalement, il ne faut pas sous-estimer l'importance du contexte socioculturel dans lequel nous oeuvrons. Les leçons du passé nous ont clairement démontré que cette compréhension peut faire la différence entre le succès ou l'échec.
[Traduction]
J'aimerais maintenant parler des actions financées par l'ACDI au fil des ans et de ses réalisations en matière de réforme du secteur sécurité.
De 1994 à 2002, l'ACDI a soutenu plusieurs initiatives bilatérales auprès des institutions haïtiennes dont elle a dû se retirer progressivement, et ce à cause de l'absence de volonté politique des autorités haïtiennes à s'attaquer au problème de la réforme du secteur sécurité. La politisation et l'accentualisation de la corruption ont fait en sorte que l'ACDI a mis fin à sa programmation bilatérale dans le domaine de la justice en 1999 et de la police en 2001.
Nous avons néanmoins continué à dispenser une certaine aide en justice, droits de la personne et prison par le biais des Nations Unies. Des efforts soutenus ont été déployés pour renforcer la société civile haïtienne. L'ensemble de ces actions a résulté, entre autres, à la mise en réseau du parquet et du tribunal, la formation de greffiers et du personnel carcéral, à la création d'une banque de données sur les détenus car nul ne connaissait l'état réel des effectifs et à la connaissance accrue des citoyens et des citoyennes de leurs droits et devoirs. Et nous travaillons par le biais des normes internationales des droits de la personne.
L'avènement d'un gouvernement de transition en mars 2004 s'est traduit par une nouvelle volonté politique, timide mais suffisante, pour continuer notre engagement multilatéral et reprendre notre programmation bilatérale dans le secteur sécurité. Comme je l'ai mentionné plus tôt, nous sommes conscients qu'il ne peut y avoir de développement sans sécurité et que celle-ci relève d'abord et avant tout de l'État et de ses citoyens.
Que faisons-nous depuis l'arrivée du gouvernement provisoire en 2004?
[Français]
Dans le domaine de la justice, nous travaillons avec les Nations Unies, l'Organisation internationale de la Francophonie et l'Organisation des États américains, l'OEA, ainsi qu'avec des ONG canadiennes et haïtiennes, pour renforcer le ministère de la Justice, améliorer l'administration pénitentiaire au moyen de la formation des agents correctionnels, de telle sorte à instaurer une justice pénale plus équitable, accessible et rendue dans des délais raisonnables. Nous facilitons une justice de proximité. Enfin, nous tentons d'améliorer les conditions de détention et le respect des droits des détenus.
Au chapitre du renforcement de la police, l'ACDI a financé pendant deux ans le déploiement de 100 policiers canadiens sous le leadership de la MINUSTAH et géré par le ministère des Affaires étrangères ainsi que la GRC. Nous avons également envoyé 25 policiers additionnels pour la période des élections afin de renforcer la sécurité. Mon collègue David Beer vous apportera davantage de précisions sur UNPOL.
Toujours au sujet de la police, je considère que c'est peut-être une des réalisations les plus importantes des deux dernières années. Nous avons répondu à la requête du ministre de la Justice, duquel relève la police, pour élaborer un seul plan stratégique commun. Ce plan de réforme a effectivement été adopté par le Conseil supérieur de la police nationale qui, jusqu'à maintenant, guide les actions de l'ensemble de la communauté. Ceci a également résulté dans la création d'une nouvelle unité au sein de la police de développement stratégique qui bénéficie donc de l'appui technique d'experts canadiens et de la MINUSTAH.
De plus, pour démontrer de manière tangible et visible à la population des progrès dans le secteur, l'ACDI a financé un état des lieux et l'élaboration de cahiers techniques pour la réhabilitation de 20 commissariats et de 14 tribunaux de première instance qui avaient été saccagés pendant les émeutes. Quatre des commissariats sont en cours de réhabilitation grâce aux fonds de l'ACDI, tandis que la formation dans les 16 autres commissariats a été partagée avec les bailleurs de fonds et la MINUSTAH, afin qu'ils prennent la relève. Du côté des tribunaux, l'ACDI a financé la réhabilitation de quatre tribunaux, et l'État haïtien a procédé à la réhabilitation de huit autres. Nous sommes donc en train de remettre l'infrastructure judiciaire en place.
Enfin, nous finançons des projets d'apaisement social dans les quartiers chauds de Port-au-Prince. J'ai entendu évoquer tout à l'heure à plusieurs reprises Cité Soleil. Nous y sommes présents. Ces projets ont pour objectif d'appuyer les efforts de stabilisation sur le plan de la sécurité par la création d'emplois et l'amélioration générale des conditions de vie.
[Traduction]
Permettez-moi de souligner que toutes ces activités répondent aux priorités énoncées dans le cadre de la coopération intérimaire, adoptées par la communauté internationale et le gouvernement haïtien et qui guident tous nos engagements depuis 2004.
Pour ce qui est de l'avenir, nous sommes à la croisée des chemins. Un nouveau gouvernement élu est maintenant en place à Haïti. Les signaux jusqu'ici sont positifs quant à la volonté politique d'entreprendre une véritable réforme. Les prochaines semaines seront déterminantes dans la définition des rôles et des responsabilités de tous les acteurs internationaux. Cela soulignera que le Canada n'agit pas seul.
Le mandat actuel de la MINUSTAH se termine le 15 août 2006 et il doit être renégocié. L'Organisation des États américains, est en train de redéfinir le mandat de sa mission spéciale en Haïti et nous saurons qu'il y aura une conférence des donateurs le 25 juillet, sans doute à Haïti, pour le prolongement du cadre de coopération. Tous ces événements guideront nos actions futures.
Monsieur le président, avant de terminer, j'aimerais vous donner un aperçu de ce que nous pourrions faire dans le secteur sécurité à l'avenir.
[Français]
Du côté canadien, les ministères et les agences concernés sont actuellement en train de se concerter pour articuler une nouvelle stratégie d'intervention qui soit commune dans le secteur de la sécurité. Cette stratégie devra tenir compte des priorités que va énoncer le gouvernement sous peu et devra s'inscrire dans le renouvellement du mandat de la MINUSTAH.
Déjà, certaines pistes se dessinent. En ce qui concerne l'ACDI plus précisément, un consensus se dégage avec les autorités haïtiennes et les membres de la MINUSTAH quant à son rôle à long terme. Nous pensons à nous concentrer sur la création d'une académie de police pour la formation des cadres, ce qui aura un impact majeur sur la professionnalisation de la police.
[Traduction]
Nous allons également poursuivre nos interventions en matière d'appui aux ONG qui oeuvrent dans le domaine des droits de la personne.
Enfin, nous travaillons en coordination avec la GRC, qui assure le déploiement de policiers canadiens -- mon collègue David Beer vous donnera des précisions -- et nous travaillons en étroite collaboration avec les Affaires étrangères.
[Français]
En conclusion, j'aimerais rappeler que l'ACDI reste pleinement engagée dans le secteur de la sécurité, car les enjeux sont critiques pour le développement, le redémarrage de l'économie d'Haïti et la stabilité, non seulement de ce pays, mais également dans la sous-région.
[Traduction]
Merci. J'attends avec plaisir vos questions et vos observations.
:
Tout d'abord, au nom du Commissaire de la Gendarmerie royale du Canada, j'aimerais remercier le comité de me donner la possibilité de me comparaître ici aujourd'hui.
La GRC est fière de sa longue tradition d'aide au développement international de la police et de son partenariat très fructueux avec les ministères de la Sécurité publique, des Affaires étrangères et du Commerce international et l'Agence canadienne de développement international en ce qui concerne le déploiement de la police à des missions internationales de maintien de la paix et en sa qualité de partenaire de l'arrangement sur la police civile au Canada. Cette tradition et ce partenariat ont été freinés de bien des façons par des missions menées en Haïti.
L'actuelle mission des Nations Unies en Haïti est la septième à être menée depuis 1993. La GRC et ses partenaires policiers canadiens ont participé à chacune de ces missions, et ont facilité le développement bilatéral pendant des années, avec le soutien financier de l'ACDI.
Bien qu'on ait obtenu quelques réussites, le contexte de notre réunion d'aujourd'hui a trait à l'incapacité de faire durer ces réussites et à en tirer profit. Même si je n'ai pas préparé beaucoup de documentation sur nos actions actuelles, j'ai remis au comité une annexe à mon allocution qui donne d'abord un aperçu des activités actuelles puis une chronologie des déploiements de police en Haïti depuis 1994.
Le comité a sans doute entendu parler de la situation de crise qui règne en Haïti à de nombreux égards. Pensons notamment aux violations des droits de la personne, à la violence, à la pauvreté inégalée dans cet hémisphère, à la dégradation environnementale, à l'inefficacité du gouvernement et de ses institutions, à la lutte des classes, au racisme et à la nécessité de protéger les femmes et les enfants, entre autres. Bien que je sois ici aujourd'hui principalement pour parler des services de police, nous n'allons pas perdre de vue le fait que peut-être aucune facette de la société haïtienne n'est épargnée par la crise. Haïti constitue peut-être l'exemple par excellence de ce qu'on appelle un « État fragile ».
Au milieu et à la fin des années 90, l'environnement de sécurité était presque idéal pour un développement dirigé. Il n'y avait pas de violence ouverte entre les intérêts opposés, et la criminalité organisée telle que nous la connaissons aujourd'hui, n'était pas encore solidement implantée. Le gouvernement portait son attention sur le développement des services de police, et non sur des opérations policières. Plus de 5 000 agents de police ont été désignés, formés et déployés. Des programmes supérieurs étaient en cours d'élaboration. On notait une continuité dans le leadership. On établissait les normes de rendement et la discipline interne. Il y avait beaucoup de travail à faire et l'on progressait.
Aujourd'hui, la situation a changé. Le crime organisé -- la drogue, les armes, les enlèvements et la contrebande -- s'est enraciné et semble se tramer au tissu politique de ce pays. La corruption dans la police et à tous les échelons de la bureaucratie est démoralisante. Il est compliqué d'accorder une attention suffisante aux opérations lorsque les actes de violence sont commis par des bandes de criminels et d'insurgés -- qui agissent parfois pour des motifs politiques -- à l'aide de tactiques et d'armes et par un engagement qui constitue une guérilla de faible intensité. En l'absence d'un système juridique fonctionnel, le problème peut être énorme.
En outre, plus de 50 p. 100 des ressources policières des Nations Unies au sol, soit 1 800 agents de police, sont affectés aux opérations de sécurité. Quant aux agents disponibles pour accomplir les tâches du développement, ils sont nombreux à n'avoir aucune connaissance linguistique du créole ou du français.
L'engagement financier et matériel pris dans les années 90 par la communauté internationale envers le développement de la police était énorme, mais pas très bien coordonné. Les partenariats étaient souvent gênés par les intérêts personnels de l'État, on notait l'absence de mécanismes de durabilité et la responsabilisation était insuffisante.
En 2000, des pays donateurs fatigués passaient à d'autres priorités au moment critique du changement de gouvernement en Haïti. De retour en Haïti en 2004, encore une fois pour s'occuper de la sécurité et du développement de la police, il était évident que presque rien -- équipement, matériel, infrastructure et formation -- n'avait survécu au vol, au pillage, à la destruction gratuite ou, dans le cas de la formation, au simple abandon des principes et des procédures.
Aujourd'hui, la liste des partenaires engagés est plus courte. Bien que de nombreux pays se disent « amis d'Haïti », les États-Unis et le Canada continuent de représenter les principaux donateurs engagés au développement de la police. Pourtant, la dépendance d'Haïti envers les donateurs bilatéraux est évidente, et les donateurs échaudés ont besoin que règnent la responsabilisation et la transparence s'ils veulent contribuer aux millions de dollars encore nécessaires.
Si l'on combine ces éléments, soit des donateurs bilatéraux circonspects et une organisation policière novice minée par la corruption et un environnement de sécurité incertain, on ne peut que constater l'ampleur des défis.
Nous devons nous engager à améliorer le secteur de la justice en faisant un système intégré. Les systèmes judiciaires et correctionnels dysfonctionnels doivent être traités dans la même foulée que les services de police. Sans développement parallèle, les services de police ne feront aucun progrès durable. Abordés sérieusement et de toute urgence, l'examen détaillé de la corruption et la politisation des fonctionnaires démontrera la volonté du gouvernement de faire des changements.
Prédire l'avenir des services de police en Haïti n'est pas une mince tâche. Ce qui est positif, c'est que les donateurs principaux semblent s'entendre sur le plan des défis et des stratégies, et ils semblent déterminés à rester dans la course à long terme. Mais nous savons qu'il n'y aura aucune solution magique ni miracle. Les nouveaux plans n'auront pas l'air tellement différents de ceux qui ont été présentés par le passé.
La variable incertaine qui reste dans la formule, c'est la volonté politique du nouveau gouvernement d'Haïti, une volonté qui serait transparente et qui se caractériserait par l'engagement envers la réforme fondamentale de la justice, l'établissement de la primauté du droit, le règlement des questions de droits de la personne et la lutte contre la corruption systémique. Sans cette volonté, les ressources, la formation, le temps ou les efforts ne suffiront pas à la tâche.
Un gouvernement qui s'engage à changer encouragera les donateurs, jettera les fondements de la confiance du public et établira des normes de comportement à l'échelle du secteur public et il n'y aura pas de changement durable dans les services de police ni dans aucun secteur sans une volonté politique de le produire. C'est la clé dans la serrure. On a vu qu'un gouvernement dirigé par M. Préval a fait des progrès par le passé. Il faut rapidement continuer ces progrès et en tirer profit. Si le développement de la justice pose vraiment le fondement du développement durable dans tous les secteurs, alors l'avenir des Haïtiens qui ont véritablement besoin de notre aide en dépend.
Merci, monsieur le président.
:
Je vous remercie de votre question. Je crois que cela nous amène au coeur du sujet concernant la transformation de ce pays. Vous avez raison, monsieur Patry, de demander comment se comportera la classe politique.
J'ai accompagné la Gouverneure générale lors de l’investiture du président Préval. Pendant les quatre jours où nous avons eu l'occasion de le rencontrer à plusieurs reprises, ainsi que d'autres députés, il est clair qu'on a beaucoup entendu cette volonté, ce désir d'entamer un processus de réconciliation nationale, de dialogue, non seulement entre la classe politique, mais également avec la société civile. Ce même message, notre Gouverneure générale l'a également livré, et elle a encouragé les Haïtiens à faire cette réconciliation.
Je crois comprendre que c'est la volonté du gouvernement Préval d'entamer un processus d'États généraux dans les mois qui viennent, afin de consolider une vision commune autour d'un grand projet de développement étalé sur 25 ans.
Par ailleurs, afin d'aider à cette maturation, comme vous l'appelez, de la classe politique, l'ACDI est déjà engagée avec le Centre parlementaire ici pour aider à la formation des nouveaux élus. Plusieurs d'entre eux n'ont jamais été députés, ils n'ont jamais été élus et ils doivent comprendre un peu ce qu'est le fonctionnement du processus démocratique et connaître leur rôle. Il faudra les équiper pour qu'ils aient la capacité de faire des analyses et des recherches afin de faire des interventions qui ne soient pas uniquement anecdotiques, mais qui soient basées effectivement sur un travail de rigueur.
Donc, il y a la volonté politique, il y a un processus qui sera mis en place avec des États généraux, et, troisièmement, il y a l'aide que l'ACDI apportera à ces nouveaux élus.
:
Ce sont deux questions très pertinentes. Peut-être pourrais-je commencer par répondre à la deuxième.
J'ai passé plus de trois ans à Haïti et pendant ce temps -- sans vouloir minimiser ce qui semble être un problème -- j'avais des doutes sur les quantités d'armes dans ce pays. Dans les années 90, quand une importante force multinationale était présente, ainsi qu'en 2004, pendant tout le temps où j'ai été à Haïti, il n'y a pas eu une seule saisie importante d'armes. Dans toutes les enquêtes ou interventions militaires ou policières, on n'a jamais saisi plus d'une douzaine d'armes. Je ne suis donc pas certain qu'il y ait tant d'armes qu'on le dise à Haïti. Mais je ne dis qu'entre parenthèses.
Deuxièmement, je ne veux pas minimiser l'importance du désarmement, mais je suis convaincu que le gouvernement haïtien en fera fi dans une certaine mesure. Il donnera le change, comme nous, mais je ne suis pas certain que cela devrait être la priorité absolue. Bon nombre de ces armes sont aux mains d'entreprises de sécurité qui, du jour au lendemain, pourraient devenir illégales ou membres de gangs qui, du jour au lendemain, se mettent à travailler pour une société privée de sécurité.
Le désarmement me semble donc un peu utopique. Cela m'amène à répondre à votre première question.
Les problèmes de sécurité, aussi graves étaient-ils la dernière année que j'ai passé à Haïti et l'an dernier, ont toujours été concentrés dans une région d'environ six kilomètres carrés au centre-ville de Port-au-Prince. Cette zone comprend les routes qui relient le centre-ville à l'aéroport, au port et à l'océan, une route d'environ deux kilomètres. C'est le principal couloir économique du pays. C'est aussi là que se produisent la plupart des actes de brigands et des enlèvements. C'est la zone qui entoure Cité Soleil et les zones telles que Fort National adjacentes aux bidonvilles qui sont depuis longtemps contrôlés par les gangs.
En général, il n'y a pas de problème de sécurité ailleurs au pays, mais parce que cette région est le moteur économique du pays, tout ce qui s'y passe est scruté à la loupe et prend des proportions indues. Cela peut paraître étonnant, mais l'enlèvement d'une seule personne importante provoquait l'arrêt de toute l'activité au sein de la ville. Il y avait des grèves générales. Les médias ont profité pour critiquer la MINUSTAH et déploré l'inefficacité du gouvernement provisoire.
Je ne veux pas minimiser la gravité des problèmes de sécurité, car Dieu sait que ceux qui travaillaient pour moi au centre-ville de Port-au-Prince étaient sur la ligne de feu 365 jours par année. Chaque soir, j'allais au lit en me demandant si j'allais perdre un de mes hommes. C'était très difficile.
Dans une situation et un milieu où, tout d'abord, il n'y a pas de système de justice et où la mission de la police était ce que j'appellerais une mission hybride -- nous n'avions pas de pouvoir exécutif, nous n'avions pas compétence en matière de police et n'étions pas encadrés par le système de justice -- on ne peut faire autrement que de respecter le plus possible ce que les militaires appellent les règles d'engagement, ce qui va tout à fait à l'encontre de la façon dont travaille la police dans la société civile.
Nous étions aux prises avec un mandat double du chapitre 6, presque du chapitre 7 de la Charte des Nations Unies. D'un côté, nous avions des responsabilités de développement: nous devions faire du mentorat, conseiller et former la police nationale haïtienne pour lui montrer comment fonctionner au sein d'un système de justice, dans une division de justice. Il fallait lui montrer comment faire partie de ce système et rendre compte au système. D'un autre côté, plus de 50 p. 100 des personnes qui travaillaient sous ma responsabilité à titre d'unité policière étrangère étaient exposées au tir et se livraient à des batailles quotidiennes dans un environnement fort densément peuplé. L'on s'attendait à ce qu'ils travaillent conformément aux règles d'engagement par rapport à la primauté du droit, et qu'ils aient recours à la politique de la force, qui est une pratique courante au sein de la police civile. C'était une situation extrêmement difficile pour les personnes sur le terrain, en ce qui concerne la gestion du MINUSTAH.
Nous devions également faire face à la corruption au sein de la police nationale haïtienne. Nous pourrions vous parler de ce sujet toute la journée: il s'agissait de la plus grande bande organisée du pays, qui était responsable de la majorité des enlèvements.
Pour être bien honnête, en ce qui concerne la majorité des engagements avec les bandes, avec l'élément criminel des bandes, il y avait des abus des droits de la personne qui auraient été scrutés à la loupe par des organisations de droits humains, et ce, à juste titre, mais nous ne pouvions pas les enquêter. Sinon, nous nous serions exposés au tir. Nous ne pouvions pas simplement aller cogner aux portes pour faire des déclarations comme on le ferait au Canada, suite à un événement majeur ou à une enquête criminelle importante. Lorsque nous entrions dans les bidonvilles ou dans les quartiers où il y avait un engagement, nous nous retrouvions de nouveau à être exposés au tir, dans un milieu de guérilla. Nous ne pouvions pas mener d'enquête.
Par ailleurs, il y a eu des occasions où nous avons pu aller de l'avant avec diligence et entamer des enquêtes, telles que la plus grande évasion de prison qui a eu lieu au printemps dernier. Nous croyons fortement qu'il y avait des éléments orchestrés au sein des trafiquants de cocaïne qui ont travaillé de concert avec la complicité des agents correctionnels et des policiers. Nous avons mené une enquête, mais, étant donné que ce n'était pas de notre compétence, nous avons fait des enquêtes mais nous avons amené la police avec nous dans des situations où la police elle-même était considérée responsable ou encore accusée d'abus des droits de la personne.
En résumé, nous pouvions amener nos enquêtes jusqu'à un certain point, mais ensuite, nous ne pouvions pas les faire approuver par le ministre de la Justice. Nous ne pouvions recevoir aucune aide additionnelle de la part du bureau de l'inspecteur général. Tout cela revenait à la notion de dissimuler la situation et de l'oublier.
Le ministre de la Justice avec lequel nous avons travaillé -- celui avec lequel j'ai travaillé lorsque j'étais à Haïti -- n'a rien fait. Il n'était pas aveugle au fait, mais il faisait de l'obstruction en pratiquant de l'immobilisme.
:
Merci, monsieur le président.
Madame et messieurs, merci d'être là. Votre présentation est très intéressante.
Monsieur Beer, je voudrais d'abord vous féliciter pour la franchise avec laquelle vous nous avez expliqué les problèmes vécus par les policiers ou la Gendarmerie royale du Canada là-bas. J'avais d'ailleurs posé une question à M. Thompson, qui vous précédait, pour savoir pourquoi on n'avait pas de résultats probants. Je vous trouve peu positif, je vais donc m'adresser à Mme Laporte.
Madame Laporte, je connais le travail que font les représentants de l'ACDI sur le terrain, puisque j'étais porte-parole de l'ACDI pour le Bloc québécois, et je ne voudrais pas que vous preniez mes questions comme un désaveu de l'ACDI. Je veux seulement comprendre ce qui s'est passé.
En Haïti, l'impunité et la corruption existent depuis longtemps. J'ai un ami qui y est allé en 2000 pour y faire une thèse de doctorat et qui est revenu en disant que le système y est pourri et l'impunité, omniprésente. À l'endroit où il se trouvait, il y avait environ 5 000 policiers pour 8 millions d'habitants. Les gens qualifiaient cette situation d'épouvantable.
Comme ce n'est pas d'hier que l'ACDI est présente en Haïti et que je connais suffisamment ses représentants pour savoir qu'ils sont habituellement très au fait de ce qui se passe sur le terrain, comment se fait-il qu'elle ait quand même continué à investir en Haïti? Elle s'est désengagée graduellement et s'est de moins en moins investie financièrement, mais elle y a quand même investi. N'avions-nous pas une obligation de résultats?
Dans une récente annonce faite le 1er mai 2006, la ministre a dit que l'ACDI investira 48 millions de dollars en Haïti. Vingt millions de dollars seront alloués au programme de développement local en vue d'aider les collectivités à prendre en charge le développement socio-économique, et 5 millions de dollars seront consacrés à l'appui à la démocratie.
Il existe deux grands problèmes en Haïti. Les gens doivent trouver le moyen de se nourrir. Donc, le premier problème est celui de l'agriculture. Le deuxième problème est celui de la sécurité.
N'est-il pas bizarre de consacrer 20 millions de dollars au développement socio-économique afin de promouvoir la petite entreprise et seulement 5 millions de dollars à la démocratie, quand on sait que celle-ci représente un gros problème? Vous disiez d'ailleurs plus tôt qu'il n'y avait pas de développement sans sécurité, ni sécurité sans développement.
Quelles garanties officielles avons-nous que cette fois-ci, cela fonctionnera? Vous avez donné tout à l'heure des garanties, mais y en a-t-il d'autres? Avons-nous des garanties de la Banque mondiale, du Fonds monétaire international, de l'ONU, ou si on se dit que Préval va poser tel et tel geste?
J'ai constaté qu'il s'agissait d'une déclaration conjointe faite par l'ACDI et la GRC. Peut-on exercer des pressions pour que cela marche?
:
En ce qui concerne la question de la corruption, certes, nous sommes constamment au courant de ces situations, de la culture d'impunité qui existe. Cette culture est en train de changer très doucement. Je pense que pour l'instant, c'est une approche à petits pas. J'ai fait allusion au fait que le directeur général de la police nationale a traité quelques cas difficiles. Nous pensons que d'autres se présenteront. Vous comprendrez que pour des raisons de succès des opérations, nous ne les annonçons pas à l'avance. Il doit utiliser quelques cas modèles à très haut niveau pour envoyer des signaux forts au reste de la population que cette culture d'impunité est en train de changer et de disparaître. Je crois qu'il s'agit là de gestes porteurs pour le futur.
Il est évident que l'agence, dans la gestion de l'ensemble de ses projets et de sa programmation, dispose pour chaque projet de mesures de réduction des risques. Nous avons des agents de suivi de projets et des mécanismes de contrôle sur le financement pour s'assurer que l'argent soit consacré aux fins prévues et ne finisse pas dans les poches de personnes qui ne devraient pas avoir ces ressources. Nous avons donc des mécanismes de gestion financière très efficaces sur le terrain, assortis d'agents de suivi et de contrôle financiers.
Nous avons une obligation de résultats pour l'ensemble de nos projets. Lorsqu'on considère l'agrégat du pays, il existe plusieurs facteurs sur lesquels nous n'avons pas un contrôle immédiat et direct. Cela doit se faire par le moyen d'un dialogue politique avec les autres membres de la communauté. Je suis heureuse que vous ayez relevé, entre autres, la Banque mondiale et le Fonds monétaire international.
Pour donner un appui budgétaire au gouvernement sur un élément de son budget, il faut disposer de mécanismes démontrant que cet argent est destiné aux salaires des policiers, pour prendre cet exemple. La même situation prévaut dans le cas des salaires des enseignants qui ne sont pas payés pendant plusieurs mois. Avant de considérer si nous allons financer ou non un programme, des mesures de contrôle doivent être mises en place.
En ce qui concerne le développement local, la somme de 48 millions de dollars ne reflète pas le portrait global de l'ensemble de notre coopération. Je pense que vous aurez l'occasion d'entendre Mme Verner, notre ministre, qui comparaîtra la semaine prochaine. Elle va vous parler de l'ensemble de la coopération.
L'ACDI est essentiellement orientée vers quatre grands secteurs: la gouvernance, la démocratie et les besoins essentiels en santé et en éducation. Nous travaillons également beaucoup, dans le secteur de la relance économique, avec les caisses de crédit pour l'accès au crédit, pour relancer l'économie, ainsi que dans les infrastructures en électricité. Nous travaillons autant avec l'État qu'avec la société civile. Je crois que ce ne sont pas des choix à faire. Il faut examiner l'ensemble de la situation et ce qui est le plus porteur. La communauté des donateurs se concerte pour voir où est notre valeur ajoutée. Le développement local était donc nécessaire.
Je crois que madame la professeure qui m'a précédée a fait état de l'importance du développement rural. Nous ne voulons pas concentrer tous nos efforts sur Port-au-Prince. Il faut tenir compte des régions.
Y a-t-il des garanties? Les garanties sont ce qu'elles sont. Nous prenons des mesures et des dispositions pour assurer une saine gestion des fonds. Nous faisons des évaluations en cours de route pour redresser la situation lorsque des difficultés se présentent. Quant à des garanties absolues, il serait présomptueux de ma part d'en donner. Cela fait partie du dialogue politique et des mesures administratives en place.