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FAAE Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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CANADA

Comité permanent des affaires étrangères et du développement international


NUMÉRO 006 
l
1re SESSION 
l
39e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le mercredi 31 mai 2006

[Enregistrement électronique]

(1535)

[Traduction]

    La séance est ouverte. Il s'agit de la séance numéro 6 du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international. Conformément au paragraphe 108(2) du Règlement, nous étudions le rôle du Canada lors d'interventions internationales complexes, en mettant l'accent sur les efforts du Canada en Haïti.
    Nous avons le plaisir aujourd'hui d'accueillir deux invités. La première est Mme Yasmine Shamsie, professeure adjointe au Département de sciences politiques de l'Université Wilfrid Laurier.
    Bienvenue.
    Nous accueillons aussi M. Andrew Thompson, attaché de recherche au Centre for International Governance Innovation.
    Je précise qu'en plus de leurs activités à l'université et au Centre for International Governance Innovation, ils ont écrit ensemble un ouvrage intitulé Haïti: Hope for a Fragile State, que nous sommes impatients de lire.
    Bienvenue à Ottawa en cette chaude journée. Comme d'habitude, nous vous donnons la parole pour faire une déclaration initiale.
    Chers collègues, j'aimerais avoir votre attention. Je souhaite respecter assez rigoureusement le temps de parole en le limitant à cinq minutes pour que tout le monde puisse poser des questions à nos invités.
    Allez-y.
    Merci, monsieur le président et mesdames et messieurs les députés.
    Je vous remercie de m'avoir invitée et j'ai hâte de répondre à vos questions.

[Français]

    S'il y a des questions en français, j'y répondrai également.

[Traduction]

    Mon exposé d'aujourd'hui sera axé sur la stratégie de développement économique que le Canada et d'autres pays donateurs suivent en Haïti. Je vais vous donner un aperçu de notre démarche et vous présenter quelques suggestions personnelles d'amélioration.
    Pour éviter dès le début toute ambiguïté, je vous précise que j'évalue notre approche en Haïti à l'aune de la réduction de la pauvreté. En d'autres termes, je cherche à déterminer si notre approche au développement économique va aider les couches les plus pauvres de la population de ce pays. L'importance accordée à la réduction de la pauvreté s'explique en partie par sa nature normative et par l'importance que les spécialistes de la consolidation de la paix et du développement ont accordé à cet objectif.
    C'est ainsi que l' International Crisis Group relève que la violence qui touche Haïti s'explique dans une large mesure par l'incapacité chronique à s'attaquer à la pauvreté, à la privation sociale et à l'exclusion qui menace la majorité de la population. En résumé, les donateurs ont reconnu que la pauvreté et les inégalités comptent parmi les éléments qui mènent à la violence, à l'insécurité et à l'instabilité politique en Haïti. Dans un document récent de stratégies sur Haïti, l'ACDI prétend que la principale difficulté à laquelle est confronté le Canada est de trouver et de mettre en oeuvre des stratégies qui contribueront à réduire la pauvreté.
    Plus de la moitié des Haïtiens, environ 56 p. 100, vivent avec moins d'un dollar US par jour, ce qui en fait le pays de l'Amérique latine dans lequel la pauvreté est la plus enracinée et la plus répandue. Les paysans haïtiens sont le segment le plus défavorisé de la population avec 75 p. 100 des pauvres du pays résidant dans de régions rurales. Haïti présente également la scission la plus marquée entre les riches et les pauvres de tous les pays des Caraïbes.
    Le Canada et la collectivité internationale ont adopté une stratégie à trois volets pour relancer l'économie d'Haïti. Le premier objectif est d'instaurer des liens plus solides avec les membres de la diaspora haïtienne. Le second est de renforcer le secteur privé comme moteur principal de la croissance économique. Le troisième consiste à doter de nouveau Haïti d'un secteur de l'assemblage et de la fabrication en mesure d'exporter.
    La thèse que je vais vous présenter aujourd'hui est que si ces objectifs peuvent contribuer à dynamiser à nouveau l'économie, il est peu probable qu'ils améliorent sensiblement la situation des pauvres d'Haïti. Une telle stratégie comporte en effet peu d'éléments destinés à améliorer la situation de la majorité de la population vivant dans les régions rurales. Mais je reviendrai plus en détail sur ce point un peu plus tard. Comme nous ne disposons que de peu de temps, je ne dirai que quelques mots sur deux stratégies mises de l'avant par les donateurs: le renforcement du secteur privé et les efforts pour dynamiser à nouveau le secteur de l'assemblage destiné à l'exportation.
    Pour ce qui est de la première stratégie, bien que le secteur privé du pays soit fragile et faible, c'est un objectif important de développement du gouvernement canadien. C'est ainsi qu'Ottawa appuie l'initiative de formation des leaders haïtiens du monde des affaires en Haïti. Le Canada a également accueilli récemment la première réunion jamais organisée entre le président de la Banque interaméricaine de développement, M. Enrique Iglesias et des membres du secteur privé haïtien pour discuter du rôle de cette banque dans la reconstruction d'Haïti.
    Bien que le secteur privé puisse contribuer à la relance économique, cette entreprise n'est pas sans difficulté. C'est ainsi que les organismes de développement international ont tendance à percevoir le secteur privé haïtien avec méfiance. L'élite haïtienne du milieu des affaires est depuis longtemps soupçonnée d'être plus intéressée à des profits rapides qu'au développement économique à long terme. En outre, les anciens liens entre les intervenants du secteur privé, les dictateurs haïtiens, les militaires et les groupes paramilitaires continuent à préoccuper les organismes de développement, à juste titre.
    Des évolutions favorables font que cette perception commence à se modifier, mais c'est là un processus très lent. Le fait qu'une réunion entre la BID et le secteur privé haïtien se soit tenue à Ottawa contribuera sans doute à créer des liens précieux entre les deux partenaires éventuels, mais encore une fois l'image de ce secteur en matière de démocratie et de développement demeure mitigée.
    Toutefois, pour revenir à l'objectif de réduction de la pauvreté, il est important de signaler que peu de données portent à croire que les Haïtiens les plus pauvres, dont la plupart gagnent leur vie dans les régions rurales et dans le secteur non structuré, profiteront automatiquement d'un secteur privé plus solide.
(1540)
    Même la Banque mondiale, un fervent partisan du développement du secteur privé, note que les effets observés des petites et moyennes entreprises sur la croissance et le niveau de pauvreté ne permettent apparemment pas de prétendre que les PME sont des créateurs d'emplois particulièrement efficaces. L'analyse de la banque relève aussi qu'il n'y a pas de relations importantes entre la taille du secteur des PME et les revenus du quintil le plus pauvre de la société, le pourcentage de la population vivant sous le seuil de pauvreté, ou sur l'écart de pauvreté.
    Ainsi, alors que les économies prospères ont en général des secteurs de PME dynamiques, les comparaisons entre pays ne montrent pas que les PME exercent des effets particulièrement bénéfiques sur les revenus des pauvres.
    En ce qui concerne les activités d'assemblage pour l'exportation, ce volet du plan de développement économique s'inscrit très bien dans le prolongement de la pensée économique traditionnelle. Haïti a l'avantage d'avoir une main-d'oeuvre à bon marché et d'être situé tout près de la côte américaine. Par conséquent, il semble raisonnable d'encourager les entreprises d'assemblage tournées vers l'exportation. Il est intéressant de constater que c'est une stratégie qui a été effectivement essayée en Haïti durant les années 1970 et 1980. Je me contente aujourd'hui de souligner que ces efforts intérieurs pour encourager des entreprises d'assemblage tournées vers l'exportation n'ont pas permis de provoquer un développement économique. Au contraire, ils ont eu pour effet d'accroître les inégalités et les niveaux de pauvreté.
    Jean-Claude Duvalier s'est fait le défenseur du développement des activités de fabrication destinées à l'exportation entre 1971 et 1986, en offrant plusieurs mesures incitatives comme une exonération d'impôt de dix ans, le rapatriement complet des profits et une main-d'oeuvre qui n'avait pas le droit de se syndiquer. Cela a conduit à une forte augmentation des activités d'assemblage. Les exportations de l'industrie légère ont augmenté à un taux annuel moyen de 40 p. 100 pendant les années 70.
    Au début des années 1980, Haïti n'était dépassé, dans les territoires de l'hémisphère occidental sous-traitant des activités pour les États-Unis, que par le Mexique alors que 240 sociétés multinationales employaient entre 40 000 et 60 000 travailleurs, selon les sources d'information choisies.
    En 1985, un an avant que Duvalier ne soit contraint à l'exil, Haïti se classait à la neuvième place dans le monde pour l'assemblage des produits destinés à la consommation américaine. On dit en fait qu'à l'époque la totalité des balles de baseball des États-Unis étaient fabriquées en Haïti. Le secteur générait plus de la moitié des exportations industrielles du pays et était le pourvoyeur d'un quart de ses devises étrangères.
    Malgré cette expansion énorme, les effets sur l'ensemble de l'économie haïtienne ont été décevants, en particulier en ce qui concerne le nombre de Haïtiens vivant au niveau du seuil de la pauvreté ou en dessous. La dette du pays a augmenté, les réserves en devises étrangères étaient épuisées en 1981. Les responsables de la Banque mondiale, en analysant la balance des paiements d'Haïti, ont concédé que l'industrie de l'assemblage n'avait, à long terme pratiquement pas contribué financièrement à l'économie. Les répercussions sur les citoyens les plus pauvres d'Haïti ont aussi été importantes.
    Tout d'abord, confronté au manque de revenus générés par les importations, parce que les produits de luxe entrent maintenant au pays en franchise sous prétexte que les entreprises d'assemblage en ont absolument besoin, le gouvernement haïtien a mis en place des taxes à la consommation qui ont eu, comme des études l'ont révélé, des effets néfastes sur les paysans et les membres des classes les plus pauvres des régions urbaines en particulier.
    En second lieu, les coûts des aliments ont augmenté de façon marquée alors que la production diminuait, en raison de l'exode massif des régions rurales vers Port-au-Prince, où se retrouve l'essentiel du secteur de la fabrication. Entre 1975 et 1985, le prix moyen des produits alimentaires a plus que doublé, et ce sont encore une fois les ménages les plus pauvres qui ont été les plus gravement touchés.
    Si le modèle appliqué a assuré une certaine croissance économique, il a également eu pour effet d'accroître la pauvreté et la concentration des revenus en favorisant le développement économique de Port-au-Prince, le secteur urbain, par rapport au reste du pays, le secteur rural. En résumé, si la pauvreté n'a pas été réduite, c'est essentiellement parce que la stratégie laissait clairement de côté le secteur rural, même si le niveau endémique de corruption de l'ère Duvalier a aussi joué un rôle, je dois le reconnaître.
    Les donateurs ont également ignoré depuis longtemps les besoins du secteur agraire haïtien. Les plans de développement économique des années 1990 ne réservaient que 7 p. 100 de l'aide à l'agriculture, source de revenu de 80 p. 100 de tous les Haïtiens vivant sous le seuil de la pauvreté. Les donateurs actuels prétendent que l'agriculture haïtienne n'est ni durable, ni respectueuse de l'environnement. Le développement rural constitue donc un défi énorme.
    En Haïti, les parcelles de terre sont petites, se trouvent essentiellement sur de fortes pentes, ce qui rend la mécanisation virtuellement impossible, et près d'un tiers de toutes les parcelles se trouvent dans les régions ne présentant qu'un intérêt marginal en agriculture. Les spécialistes d'Haïti prétendent cependant que ce sont là les conditions atroces qui rendent le développement rural essentiel, au moins pour empêcher la situation des pauvres des régions rurales de se dégrader encore davantage. La relance de la production agricole et l'amélioration de la sécurité alimentaire des ménages des régions rurales doivent se voir conférer le statut de priorité stratégique par les donateurs internationaux qui ont pour objectif principal de réduire la pauvreté.
(1545)
    Le Canada a fait preuve d'un leadership réel quand il a publié, en 2003, un document de politique intitulé L'agriculture au service du développement durable, surtout qu'à l'époque les organismes bilatéraux et multilatéraux venaient, pendant les années 1990, de réduire de façon importante l'aide à l'agriculture et au développement rural. Malheureusement, Ottawa a décidé en 2005 de ne plus accorder la priorité à l'agriculture dans ses programmes d'aide étrangère. Cela a eu d'énormes répercussions sur des pays comme Haïti dans lesquels la promotion d'un développement rural durable grâce à l'agriculture est essentielle pour venir à bout de la pauvreté. En venant en aide aux paysans, les petits producteurs seraient incités à rester sur leur terre et à améliorer leurs moyens de subsistance en produisant des aliments destinés à la consommation et à la vente sur les marchés locaux.
    Il est manifeste que les nouvelles priorités du Canada dans le domaine de la santé, de l'éducation, de la bonne gouvernance, de l'environnement et du secteur privé sont importantes. Il est par contre difficile d'imaginer que l'on viendra à bout de la pauvreté extrême en Haïti sans un plan énergique et durable ciblant le monde rural.
    En conclusion, pour ce qui concerne le développement économique, c'est-à-dire la réduction de la pauvreté et des inégalités et l'instauration d'une économie viable, le Canada a décidé de suivre la voie adoptée par les autres grands donateurs en appliquant des stratégies de développement qui reposent essentiellement sur les régions urbaines. Cette approche a été un échec dans les années 1970 et 1980, alors que le gouvernement haïtien privilégiait les zones de transformation destinées à l'exportation au détriment de son secteur rural, et elle a aussi été un échec tout récemment au milieu des années 1990, lorsque les donateurs ont aussi négligé ce secteur.
    Je ne prétends pas ici que le Canada ou les donateurs étrangers devraient consacrer l'essentiel de leur aide et de leurs prêts au secteur agricole. Étant donné le niveau de dégradation de l'environnement en Haïti, la surpopulation, et la fragmentation accrue des parcelles de terre, l'agriculture ne deviendra jamais le principal moteur de la croissance économique d'Haïti. Toutefois, si la réduction de la pauvreté est bien un objectif important pour le Canada, la relance de la production agricole et l'amélioration de la sécurité alimentaire pour les ménages des régions rurales doivent se voir accorder une priorité stratégique.
    Merci, madame Shamsie.
    Monsieur Thompson.
    Merci, monsieur le président et honorables membres du comité.
    Depuis que j'ai oeuvré bénévolement dans un hôpital sans but lucratif à Limbe, dans le nord d'Haïti, durant l'été 1998, j'écris sur les droits de la personne et je travaille à la Section canadienne et au Secrétariat international d'Amnistie internationale sur le dossier d'Haïti.
    J'aimerais profiter de cette occasion pour résumer brièvement l'état actuel des droits de la personne en Haïti, avant de conclure sur la nécessité d'inscrire les droits de la personne au coeur de toute démarche canadienne en Haïti.
    Depuis le soulèvement du 5 février 2004, l'état des droits de la personne est critique en Haïti. Malgré la présence des forces de la Mission des Nations Unies pour la stabilisation en Haïti, les droits de la personne y demeurent menacés, et doivent être renforcés. Malgré la réussite des élections de février dernier, le pays est divisé politiquement et, partout l'anarchie et la violence règnent. Une culture d'impunité profondément enracinée, un abus de pouvoir généralisé des policiers (arrestations arbitraires, torture, mauvais traitements et exécutions sommaires), un appareil judiciaire manquant d'indépendance, des activités criminelle foisonnantes, des assassinats intentionnels et arbitraires de civils, des viols, des menaces de mort, de l'intimidation et un sentiment général d'insécurité ne sont qu'une partie des défis à relever en Haïti dans un avenir plus ou moins rapproché.
    Ces exactions sont commises notamment par des gens armés, dont certains entretiennent des liens politiques avec l'ancien président Jean-Bertrand Aristide, par des agents de police corrompus, d'anciens rebelles, des membres démobilisés de l'ancienne force armée haïtienne et des gens faisant partie de gangs criminels organisées.
    Haïti est une petite nation insulaire qui a instamment besoin d'une force policière capable de maintenir l'ordre de façon juste et équitable, dans le respect des normes internationales. Le problème ne date malheureusement pas d'hier. L'histoire d'Haïti est ponctuée de cas de corruption et d'abus de pouvoir de la part de policiers, malgré l'ampleur de l'aide internationale dans ce domaine. Les tentatives de la communauté internationale pour réformer la police, dans les années 1990, n'ont guère donné de résultats. À la fin de la décennie, un peu moins d'un policier sur cinq avait été démis de ses fonctions à la suite de condamnations pour corruption, crimes liés aux stupéfiants et violation des droits de la personne. De plus, la force est elle-même très politisée et certains de ses membres se sont eux-mêmes rendus coupables d'odieuses violations, qui ont souvent causé la mort. Les arrestations arbitraires sont monnaie courante et les fréquentes exécutions sommaires font rarement l'objet d'enquêtes.
    Le problème s'explique en partie par le manque d'effectifs. Les milliers d'agents mandatés pour surveiller une population d'environ huit millions d'habitants sont confrontés à la violence politique et à des gangs de criminels lourdement armées.
    L'appareil judiciaire d'Haïti, que plusieurs jugent extrêmement dysfonctionnel, a également besoin d'être réformé. La culture de l'impunité règne dans le pays. De plus, l'indépendance de l'appareil judiciaire laisse beaucoup à désirer. Les conditions de détention sont déplorables, les prisons étant surpeuplées et incroyablement insalubres. Encore aujourd'hui, la liberté d'expression est constamment menacée. Dans ce contexte, la primauté du droit n'a plus cours dans la plupart des régions du pays. Les femmes et les enfants de la rue sont particulièrement vulnérables: les premières sont souvent la cible de campagnes de terreur et de viols, tandis que les enfants subissent les attaques de la police.
    La présence de la MINUSTAH en Haïti, depuis juin 2004, est un sujet de controverse. Ceci était particulièrement vrai pendant que le gouvernement provisoire était au pouvoir, en partie à cause de la faiblesse relative du mandat de la MINUSTAH. En vertu de la résolution 1542 du Conseil de sécurité, la MINUSTAH doit travailler de concert avec la Police nationale d'Haïti sur toutes les questions concernant le maintien de l'ordre. Ainsi, la MINUSTAH ne dispose ni de l'autorité ni des ressources pour mener des activités indépendantes de maintien de l'ordre; elle détient cependant le pouvoir de soumettre à des contrôles de sécurité et d'agréer les membres actuels de la Police nationale d'Haïti.
    Selon certains, cette connivence apparente avec la Police nationale d'Haïti remet en question la neutralité de la MINUSTAH. Les forces onusiennes ont d'autant plus de mal à se légitimiser qu'elles ne parviennent pas à protéger tous les secteurs de la société, bien que le contingent ait récemment été augmenté, passant à huit mille soldats.
(1550)
    Les violations ont été exacerbées par la présence et l'accessibilité de milliers d'armes légères. En effet, selon certains organismes non gouvernementaux, la prolifération d'environ 170 000 armes légères (une estimation prudente), constitue le problème le plus pressant en Haïti. Ces armes contribuent à attiser la violence entre les insurgés, les gangs de criminels et les partisans d'Aristide.
     Malgré les tentatives de démobilisation d'anciens militaires dans le cadre de la Commission nationale haïtienne de désarmement mise en place en février 2005, les premiers résultats ne sont pas très encourageants : à ce jour, peu d'armes ont été recueillies. Il reste encore beaucoup à faire.
    Pour conclure, voici cinq recommandations pour que le gouvernement du Canada améliore l'état des droits de la personne en Haïti.
    La première recommandation est de promouvoir les normes internationales en matière de droits de la personne en Haïti. J'ai pris connaissance, il y a deux semaines, de l'engagement canadien de $48 millions pour la promotion de la bonne gouvernance et de la démocratie en Haïti. Sans connaître les détails de ce programme, je félicite le gouvernement d'avoir pris cet engagement en faveur des droits de la personne et de la paix. J'exhorte le gouvernement à en faire sa priorité et à condamner publiquement les violations perpétrées.
    La deuxième recommandation est de continuer à investir dans la réforme policière, judiciaire et pénale. Pour que la police haïtienne devienne une institution fonctionnelle et apolitique, tous ses membres doivent être formés selon les normes internationales. Les critères pour mesurer le succès de cette entreprise doivent se fonder sur les principaux documents internationaux en matière de droits de la personne. Il en va de même pour les systèmes judiciaire et pénal, qui doivent respecter les normes internationales et assurer une procédure équitable.
    La troisième recommandation est de contribuer au désarmement, à la démobilisation et au programme de réinsertion à l'échelle nationale. Il faut s'employer à désarmer les intervenants non étatiques, tout en insistant pour que la Police nationale d'Haïti utilise ses armes de façon mesurée et légale.
    La quatrième recommandation est de contribuer à empêcher Haïti de se retirer du programme international.
    L'incertitude permanente et les ressources de plus en plus limitées nuisent aux nombreuses missions internationales et remettent en question la mise en oeuvre d'une réelle réforme. Le mandat actuel de la MINUSTAH prendra fin le 15 août 2006. Le Canada peut oeuvrer auprès des Nations Unies afin de veiller à ce que son mandat soit renouvelé en avril prochain et d'insister pour que les mécanismes de la MINUSTAH en matière de droits de la personne disposent de moyens suffisants pour remplir leurs fonctions.
    C'est dire que la mission devra aussi faire appliquer en priorité les dispositions prévues dans la Déclaration des Nations Unies sur l'élimination de la violence contre les femmes ainsi que dans la résolution 1325 du Conseil de sécurité, qui précise à la communauté internationale la démarche à suivre pour protéger les femmes et les enfants aux prises avec des conflits ou dans un état précaire et périclitant.
    La cinquième recommandation est de faire preuve de patience. Il n'existe pas de solution miracle pour Haïti. Les personnes chargées de venir en aide à Haïti doivent s'attendre à subir des reculs. Il est vrai que l'absence de résultats à court terme risque de remettre en question la viabilité d'un engagement à long terme. Mais ce serait, à mon sens, une optique bornée.
    Je n'avance rien de nouveau dans mes recommandations, reprises sous une forme ou une autre dans plusieurs résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unies. Les solutions existent. Il s'agit maintenant de les appliquer afin qu'un jour Haïti puisse devenir une société viable.
    Merci beaucoup.
(1555)
    Merci à nos témoins et notamment à M. Thompson qui vient de nous présenter ses commentaires et ses recommandations.
    Nous allons commencer les questions et, au premier tour, j'essaierai de limiter chacun à cinq minutes.
    Monsieur Patry.

[Français]

    Merci beaucoup, monsieur le président.
    Merci, madame Shamsie et monsieur Thompson.
    Ma question s'adresse à Mme Shamsie. Comme je ne dispose que de cinq minutes, rien ne me sert de poser trop de questions, car je n'obtiendrai pas de réponses à la fin.
    Docteur Shamsie, vous faites une évaluation concernant l'approche canadienne en Haïti en relation avec la réduction de la pauvreté, sachant très bien que même si la pauvreté est très importante dans les secteurs urbains, dont Port-au-Prince, elle semble sans espoir dans les régions rurales. Vous notez avec raison que dans le passé, sous le régime dictatorial de Jean-Claude Duvalier, les activités d'assemblage et les exportations ont créé des emplois dans les villes, mais non pas dans les régions rurales. Vous semblez favoriser une approche agricole inexistante actuellement et délaissée par le Canada.
    Ma question est double. Premièrement, comment fait-on pour favoriser cette approche agricole, sachant très bien, entre autres, que dans les régions rurales d'Haïti, les parcelles de terrain sont très petites et qu'il est difficile de les agrandir?
    Deuxièmement, ne croyez-vous pas que ce que vous décrivez comme un échec en tant que générateur de revenus substantiels pour diminuer la pauvreté en Haïti, soit les usines d'assemblage qui ont existé il y a environ 15 à 20 ans, était plutôt une conséquence du régime dictatorial, auquel étaient probablement assujetties ces 240 sociétés dont vous parlez?
    Merci.
(1600)

[Traduction]

    Merci, monsieur Patry.
    C'est à nos témoins de décider. Mme Shamsie? ou M. Thompson?
    Abordons-nous une question à la fois?
    Oui.
    Bien.
    La première a trait, d'une certaine manière, à la façon dont nous envisageons une politique de développement axée sur les régions rurales en Haïti, pour ce qui est de la taille des parcelles de terre, etc.
    Puisque je dispose de quelques minutes, je commencerais par dire que le Canada, la BDI et d'autres donateurs ciblent le secteur rural de façon à améliorer l'infrastructure en s'occupant, par exemple, de la dégradation de l'environnement et de la promotion de cultures d'exportation et de l'aquaculture. Ce sont là tous des objectifs très valables.
    Ce que j'essaie de préconiser, c'est davantage un cheminement de développement paysan qui accorderait la priorité à la sécurité alimentaire. Certaines politiques semblables viseraient à réduire l'écart, par exemple, entre les exploitations capitalistes et les exploitations paysannes; à adapter les technologies modernes existantes aux besoins des paysans étant donné les conditions qui existent là-bas; à créer des technologies plus adaptées aux paysans, plus durables; et également à promouvoir des réformes socio-politiques permettant de rendre les exploitations rurales paysannes durables et productives.
    Ce que je veux dire, par là, c'est qu'il était évident pour les donateurs dans les années 70, 80 et 90 que la libéralisation des marchés haïtiens et l'abaissement de tarifs protecteurs sur le riz, par exemple, qui est l' aliment de base du pays -- sera absolument catastrophique pour les producteurs de riz haïtiens. C'était bien connu et cela figurait même dans un rapport de l'USAID en 1987 et dans un autre en 1995 qui nous apprenaient que si l'on abaissait les tarifs, cela représenterait essentiellement une perte de quelque $15 millions par an pour les paysans riziculteurs et réduirait ainsi d'autant leur niveau de vie déjà très bas. C'est ce que disait un rapport de l'USAID. Autrement dit, nous préconisons des politiques macroéconomiques sachant très bien qu'elles vont appauvrir ces secteurs. Peut-être ainsi serait-il bon de commencer par adopter une politique qui ne porterait pas préjudice aux paysans, qui ne décimerait pas ce secteur, ne pousserait pas la population rurale à aller se réfugier dans les taudis de Port-au-Prince où elle ne trouverait évidemment pas d'emploi.
    Parlons maintenant du régime Duvalier. Rappelons qu'il s'agissait d'une dictature. C'est pourquoi j'ai parlé de corruption. C'était en partie un problème de corruption. Il ne fait aucun doute que les Duvalier étaient experts en la matière. Ils ont réussi à faire sortir des quantités incroyables d'argent du pays en recourant à la stratégie de promotion des exportations.
    L'autre chose à ne pas oublier est que les spécialistes en sciences sociales qui se sont penchés sur le secteur de la fabrication destinée à l'exportation disent que, au maximum de sa capacité, il employait seulement 60 000 personnes, ce qui représente environ 4 à 5 p. 100 de la population. Des experts en sciences politiques et des gens qui connaissent bien Haïti ont dit qu'il n'y avait aucun espoir qu'il puisse générer des emplois comme on a voulu le laisser entendre.
    Il y a donc des problèmes dans la stratégie elle-même, indépendamment de la structure politique, qu'il s'agisse de la dictature Duvalier ou d'autre chose.
    Bien, merci.
    Je rappellerai simplement au comité que les cinq minutes incluent les questions et les réponses. Essayons donc d'être concis pour que l'on puisse poser autant de questions que possible.
    Madame Lalonde.
    Ça s'applique à tout le monde.
    Oui.

[Français]

    Merci.
    Bonjour. Ma collègue vous adressera ses questions, monsieur Thompson, ne vous inquiétez pas.
    Madame Shamsie, j'ai trouvé votre texte très intéressant. Il y avait dans ce texte beaucoup de similitudes, d'une part, avec l'étude effectuée par l'ACDI en 2003, qui est une étude intéressante où on reconnaît avoir fait des erreurs, et, d'autre part, avec la dernière étude de la Cour internationale de justice, la CIJ, sur les 100 jours du gouvernement Préval.
    J'aimerais savoir ce que vous pensez de la cohésion politique dont parle la CIJ. Elle propose entre autres d'utiliser le Document stratégique pour la réduction de la pauvreté parrainé par la Banque mondiale pour poser les fondations d'un dialogue national, jamais matérialisé sous le gouvernement transitoire, qui favoriserait une participation active de la part des populations démunies, des groupes communautaires, des femmes, des agriculteurs, etc.
    Il y a trop d'attentes. Je comprends ce qu'on veut faire. Il faut aussi chercher à faire en sorte de leur donner des moyens d'être patients. Il faut que les donateurs soient patients, mais il faut aussi que la population sente que les choses bougent et qu'elle est écoutée.
    Que pensez-vous de cet élément, compte tenu du travail que vous avez effectué?
(1605)
    Je suis tout à fait d'accord.

[Traduction]

    Les plans précédents concernant le développement économique en Haïti n'ont pas en fait obtenu l'appui de la population. Les divers secteurs de la société n'avaient pas été consultés, qu'il s'agisse de groupes féminins, de groupes agricoles, ou d'autres. C'est la raison pour laquelle, alors que Haïti prépare son plan stratégique de réduction de la pauvreté, ce qui devra être fait dans les prochains mois, on propose de tenir ces sortes de réunions.
    Il me semble toutefois également important en fait de réconciliation politique de réunir ces différents secteurs -- secteur privé, collectivités paysannes, groupes de femmes. Les Haïtiens ont vécu des événements politiques très décisifs et il leur faut la possibilité non seulement de participer au programme de développement qui doit être entrepris mais également de faire la paix entre les différents groupes. C'est absolument essentiel et les donateurs doivent se montrer patients et permettre cette réconciliation nécessaire qui nécessitera des consultations sur les décisions prises.

[Français]

    Merci beaucoup.
    Par ailleurs, vous parlez de l'agriculture, et avec raison. Dans le fond, pour un grand nombre de pays sous-développés, on ne met pas suffisamment l'accent sur l'agriculture, qui peut donner du travail et l'indépendance alimentaire aux gens.
    Je n'ai pas vu que vous parliez du problème de l'absence de couvert forestier. Il n'y a que 1 p. 100 de couvert forestier. Ne pourrait-on pas avoir des programmes de reboisement où les infrastructures sont complètement absentes, détruites? Bien sûr, il faut de l'argent, mais peut-on susciter un développement s'il n'y a pas de routes, d'électricité, etc.?
    Vous avez raison. Les bailleurs de fonds sont d'accord là-dessus. Le Canada et les grandes banques multilatérales sont aussi en train de travailler à des projets environnementaux, au reboisement, etc.

[Traduction]

    C'est une eje, comme on dit en espagnol, un axe principal de développement, et je pense que tous les partenaires au développement, notamment le Canada, sont impliqués.
    Je n'en ai pas parlé, tout ce que j'ai dit, c'est que le secteur rural a tendance à être ciblé par ce biais. Autrement dit, le Canada dira, nous travaillons à l'agriculture et au secteur rural: nous aidons à planter des arbres. Même si c'est essentiel, je crois qu'il faut aussi travailler avec les petits producteurs pour les alimenter en semences et autres produits nécessaires..

[Français]

    Excellent. Me reste-t-il du temps? Non.

[Traduction]

    Il vous reste 10 secondes.

[Français]

    Merci. Je n'obtiendrai pas de réponse en si peu de temps.

[Traduction]

    Nous passons à M. Gorlring.
    Merci, madame Shamsie et monsieur Thompson de vos témoignages.
    Je voudrais tout d'abord faire une remarque à propos de ce que vous avez dit, monsieur Thompson , parce que ces deux questions sont certainement liées. Vous avez parlé de la nécessité de réformer le système judiciaire et la police; autrement dit, de ramener la sécurité dans ce pays alors que nous avons dans Cité Soleil le symbole parfait de l'agitation civile en Haïti où le gouvernement n'a absolument aucun contrôle. Quand on ajoute cela à toutes les autres complexités, il est certain que le problème de la sécurité et des droits civils est énorme. D'autres régimes auraient en fait pris de l'argent au secteur manufacturier sans investir quoi que ce soit dans la bonne gouvernance ni la société en général. Il y a eu une interaction tout à fait nuisible même à l'avenir du secteur manufacturier.
    Nous parlons ici du secteur agricole. Je conviens avec Mme Lalonde qu'une considération importante est l'aspect environnemental. Il est très difficile de commencer à faire quelque chose pour l'agriculture sans se pencher sur les graves problèmes d'érosion.
    C'est ce dont j'aimerais que nous discutions. Je reconnais évidemment qu'il nous faut accroître la production d'aliments pour toute la société.
    Dans le secteur manufacturier, vous avez parlé de 60 000 employés qui produisent en fait 2 $ à 4 $ par jour en dollars d'aujourd'hui. Vous avez dit que le seuil de la pauvreté s'établissait à moins de 1 $ par jour. Je suppose que l'on pourrait sérieusement augmenter ce niveau si l'on essayait de développer le secteur manufacturier au lieu de l'abandonner. Avez-vous l'impression qu'il faut vraiment abandonner ce type de production économique? Cela pourrait ramener 25 p. 100 de l'économie du pays. Pourquoi ne pas vouloir s'efforcer de ramener cette production et de la renouveler -- de réformer le système judiciaire et les autres éléments de la société qui ont évidemment profité davantage de cela que les citoyens du pays?
(1610)
    Tout d'abord, quand on dit 60 000, c'est très généreux; c'est de 40 000 à 60 000. Sur 8,5 millions d'habitants, ça ne représente pas grand-chose.
    Utilisez un multiple de 10.
    Votre question suppose que cet argent va produire des retombées. Autrement dit, le fait que cette personne gagne maintenant la somme fantastique de 2 $ par jour aura des retombées au niveau communautaire et pourrait favoriser le développement et accroître le niveau de vie de la population.
    Des retombées.
    Nous n'avons pas constaté de retombées positives. Autrement dit, en raison de cette stratégie préjudiciable et du fait que le prix des denrées alimentaires a plus que doublé, cela a fait du tort à un plus grand nombre de personnes que le petit nombre de gens qui gagnent ce salaire. La stratégie mise en oeuvre dans les années 1970 et 1980 a donc eu de nombreux effets nocifs. Nous n'avons pas vu de preuve...
    Le coût du logement a également beaucoup augmenté. Comme davantage de personnes venaient s'installer à Port-au-Prince pour trouver un emploi, le prix du logement au subitement augmenté.
    N'est-ce pas une progression normale pour une société?
    Prenons l'exemple de la Chine. J'ai lu dernièrement dans une revue que le salaire moyen d'un travailleur d'usine est 120 $ par mois. De façon générale, les gens n'ont pas faim en Chine et ils parviennent à se loger et à acheter ce dont ils ont besoin avec 120 $ par mois. Je crois qu'il s'agit donc d'un objectif valable.
    La somme de 2 $ par jour peut nous sembler absurde, mais il se peut que les travailleurs spécialisés, eux, gagnent 4 $ par jour. Je crois que ce devrait être un objectif immédiat. Vous parliez déjà d'un salaire moyen de moins de 1 $ par jour.
    Un salaire de 4 $ par jour représenterait une augmentation de 400 p. 100 dans un secteur qui semble en expansion. Gildan a ouvert deux nouvelles usines dans ce pays qui emploient jusqu'à 5 000 personnes. Je pense qu'il serait bon d'encourager ce secteur de l'économie.
    Votre temps est presqu'écoulé. Je veux être juste envers tous les membres du comité. J'accorde donc maintenant la parole à Mme McDonough.
    Vous pourriez peut-être essayer d'inclure cette réponse à la réponse à une autre question. Allez-y, madame McDonough.
    En fait, j'aimerais poursuivre plus ou moins dans la même veine. Je vois un lien direct entre les sujets que vous avez tous deux abordés.
    J'aimerais poser deux questions bien précises. Je viens de revenir d'Haïti avec un groupe de parlementaires. On nous a rappelé à plusieurs reprises que l'une des raisons qui explique que la corruption soit très répandue parmi les membres des forces policières, c'est que, abstraction faite des événements récents, il est assez fréquent que les policiers ne sont pas payés pendant des mois. Pour pouvoir nourrir leur famille, ces policiers n'ont souvent d'autre choix que d'accepter des pots-de-vin. je crois que ce problème est lié à celui du développement économique.
    Voici le deuxième point que j'aimerais aborder. Bien que la plupart d'entre nous convenons que la société civile a un rôle très important à jouer dans le développement économique et dans le respect des droits de la personne, j'ai trouvé assez inquiétant la stratégie qui semble être mise en oeuvre de façon délibérée, à savoir de créer des organismes de la société civile qui défendent à la fois des intérêts commerciaux et des intérêts américains. On semble vouloir créer un mouvement étranger qui parlerait au nom des Haïtiens.
    J'ai demandé s'il existait un mouvement syndical qui souvent joue un rôle important puisqu'il se fait souvent le champion des droits de la personne. Il n'y en a pas. J'ai aussi demandé s'il existait un regroupement de producteurs primaires ou de paysans? Il n'y en a pas.
    J'aimerais savoir ce que vous pensez de l'absence de ces forces qui, à mon sens, ont un rôle très important à jouer dans les deux domaines dont nous venons de parler.
(1615)
    Je crois que vous avez raison à plusieurs égards.
    Pour que Haïti cesse d'être considéré comme un état fragile, les institutions étatiques doivent être renforcées. Ces institutions comprennent les forces policières et, à cet égard, il faut s'assurer que l'État ait les fonds nécessaires pour leur verser leurs salaires en temps opportun.
    L'existence d'une société civile dynamique revêt aussi beaucoup d'importance. Plusieurs ONG et groupes de la société civile oeuvrent actuellement en Haïti. Bon nombre de ces groupes sont des groupes religieux qui y font de l'excellent travail. Il faudra encourager ces groupes à poursuivre leur travail, et leurs efforts doivent être appuyés. Ils doivent certainement participer à la recherche de solutions.
    Vous soulevez un point intéressant, à savoir celui de l'édification de la société civile, un sujet qui me préoccupe beaucoup. Lorsqu'on participe à l'édification de la société civile, ce que l'on fait, c'est d'appuyer certaines forces sociales dans divers pays, ce qui a à son tour une incidence sur l'équilibre politique. Le choix des groupes que nous appuyons a des conséquences politiques. Il faut s'en souvenir.
    Lorsque le Canada appuie des groupes de la société civile, il doit se demander qui ils représentent et s'ils jouissent d'un soutien populaire. Il faut faire les recherches voulues pour le savoir. Je crois que les ONG qui travaillent en Haïti, lesquelles viennent surtout du Québec comme Inter-Pares, Développement et paix, Oxfam-Québec, connaissent bien Haïti depuis longtemps. Je leur fais confiance.
    Le problème, c'est que les ONG sont devenues une industrie. Appartenir à une ONG, c'est la façon pour certains de gagner leur vie. Nous devons absolument savoir quels sont les groupes que financent les ONG. Nous savons qu'en appuyant certains groupes, nous modifions l'équilibre des forces sociales sur le terrain. Nous devons avoir une influence positive et appuyer les groupes qui défendent les droits de la personne, les droits des femmes et les droits des travailleurs.
    J'ai constaté que les groupes de droite recevaient beaucoup de fonds mais que ce ne semblait pas être le cas des groupes de gauche, ou des groupes progressistes.
    Oui...
    Vous deviez le préciser, madame McDonough.
    Bob Maguire du Collège Trinité a fait une étude en 1991 qui montre que les donateurs internationaux dont le Canada, la BDC et les grands donateurs choisissent surtout des ONG dirigées par l'élite par opposition aux ONG jouissant d'un soutien populaire. C'est la stratégie qu'Aristide a mis en oeuvre après avoir été élu. Nous devons donc savoir qui nous finançons.
    Je vous remercie beaucoup.
    Monsieur Van Loan, vous avez cinq minutes.
    L'objet de notre étude est d'examiner les interventions du Canada en Haïti, lesquelles ont été nombreuses et variées au cours des ans, pour établir ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas.
    Voici la question que j'aimerais vous poser à tous les deux. Pourriez-vous nous indiquer quelles sont les interventions actuelles ou passées du Canada qui n'ont pas donné de bons résultats? Certaines de nos interventions ont sans doute dû être inefficaces puisque la situation ne s'est pas améliorée.
(1620)
    Mon observation ne vise pas seulement le Canada, mais plutôt toute la communauté internationale.
    L'un des problèmes qui s'est posé dans les années 1990 à l'égard des interventions qui ont eu lieu en Haïti — et le secrétaire général Kofi Annan l'a fait observer à plusieurs reprises, — c'est que les réformes de tout genre et notamment les réformes visant les forces policières, les tribunaux et les prisons, n'ont jamais pu être mises en vigueur parce que la communauté internationale a réduit sa présence dans les pays du milieu à la fin des années 1990. J'ai dit dans mon exposé que les demi-mesures ne suffiraient pas en Haïti. Nous avons donc peut-être mis fin prématurément à nos interventions dans le passé. C'est ce que le secrétaire général Kofi Annan a déclaré aux généraux.
    Je suis d'accord avec ce point de vue. J'aimerais réitérer ce que Francine Lalonde a dit. Nous n'avons pas obtenu de bons résultats en Haïti par le passé. Dans les études datant de 2004, l'ACDI a constaté que l'imposition de la conditionnalité stricte, c'est-à-dire le retrait de l'aide à ce pays pour l'amener à modifier son comportement avait en fait contribué à créer le climat d'instabilité politique que nous avons connu en 2004. Comme Andrew l'a fait observer, cette stratégie n'a pas donné lieu aux réformes que nous souhaitions dans le domaine policier ou dans le domaine judiciaire. L'argent a tari. Je ne pense pas que le fait de retirer notre aide et d'imposer cette conditionnalité aient été efficace.
    Je crois que l'ACDI a tiré des leçons de cette expérience. Dans son dernier énoncé stratégique, l'agence explique qu'elle fera preuve de beaucoup plus de patience à l'égard d'Haïti et que ses attentes seront moins élevées.
    J'aimerais répliquer à ce que M. Goldring a dit. Nous ne consacrons pas assez d'argent à aider le secteur rural. Je ne propose pas que nous abandonnions les zones franches industrielles, mais je crois que nous nous tromperions en considérant ce secteur comme le moteur du développement en Haïti. Les donateurs ont complètement abandonné le secteur agricole. Nous espérions que ce secteur de l'exportation réussirait à subvenir aux besoins des autres huit millions d'habitants et que tous participeraient à ce plan.
    Je ne propose pas que nous abandonnions ce secteur. Je crois qu'il ne peut cependant pas être considéré comme un moteur de développement dans une île où l'agriculture constitue encore le secteur dominant et où l'approvisionnement en nourriture pose des difficultés.
    J'allais dire que je pose continuellement les mêmes questions. Si vous dites tous les deux que nous devons poursuivre nos initiatives pendant plus longtemps et que cette observation ne s'adresse pas simplement au Canada, comment allons-nous amener d'autres pays à nous emboîter le pas? Le Canada est déjà l'un des principaux intervenants sur le terrain. Comme j'ai dit hier, le gouvernement espagnol a déjà mis fin à sa présence militaire en Haïti. Comment amener d'autres pays à faire leur part?
    J'aimerais revenir sur un point de la dernière question. Dans les années 1990, nous n'avons pas cherché en mettre en oeuvre un programme de désarmement soutenu. Nous pourrions le faire. C'est aux efforts diplomatiques qu'il faut s'en remettre pour que la communauté internationale continue de s'intéresser au sort d'Haïti et pour que d'autres pays participent aux efforts en vue de favoriser son développement.
    Monsieur Wilfert.
    Merci, monsieur le président.
    Madame Shamsie, vous avez dit qu'il ne sera pas possible de mettre fin à la pauvreté sans un plan solide et durable à l'intention des régions rurales. Il y a une chose dont nous semblons ne pas avoir parlé aujourd'hui, et c'est la question de la culture politique, de la culture du développement en Haïti, et évidemment aussi celle d'un partenaire fiable. Il faut que ce soit le gouvernement. Il est impossible d'imposer une solution non haïtienne en Haïti. Pour commencer, pensez-vous à un partenaire en Haïti? Voyez-vous l'amorce d'un plan quelconque qui pourrait être réalisé en coordination avec des États donateurs, comme le Canada?
    Un thème dont j'aime beaucoup parler est celui du renforcement des moyens d'action au niveau des villages. Il est clair qu'en Haïti, même s'il y a des élections nationales, comme on a pu le voir en Afghanistan et ailleurs, il faut également penser aux élections communales et à la nécessité qu'elles se passent bien au niveau local, comme nous avons pu le voir au Cambodge.
    Dans cette optique qui est la mienne, j'aimerais savoir comment vous envisagez ce genre d'engagement qui commencerait à la base et qui conduirait ensuite, du moins c'est ce que je pense, à certains des autres secteurs dont vous avez parlé en mentionnant la bonne gouvernance, l'environnement, l'éducation, etc.
    Merci, monsieur le président.
(1625)
    Merci, monsieur Wilfert.
    Monsieur Thompson, madame Shamsie.
    Je suis en parfait accord avec la notion de l'action ascendante, et je pense qu'il est intéressant de constater — vous êtes peut-être au courant — qu'en Haïti, il y a des élections locales aux CASEC et même si le Canada encourage la démocratie et si nous dépensons là-bas 30 millions de dollars pour les élections fédérales, nous ne sommes pas véritablement présents pour les élections locales. Les élections locales donnent un taux de participation d'environ 10 p. 100 en Haïti.
    Je suis d'accord avec vous, cela est absolument indispensable, notamment pour le développement communautaire. Il faudrait également que nous offrions notre concours à ces autres processus électoraux, que nous aidions les Haïtiens à les faire décoller également, ce que nous n'avons pas fait jusqu'à présent, du moins depuis la nouvelle constitution de 1987.
    Monsieur Thompson.
    Monsieur Wilfert.
    Dans la même veine, j'imagine qu'il faudrait se demander pourquoi nous ne le faisons pas. La réalité est qu'il sera impossible de donner des moyens d'action aux gens si on ne leur a pas au préalable donné des potentialités économiques. Pour l'instant, quels seraient selon vous les meilleurs moyens de le faire? Nous connaissons bien l'état de l'agriculture. Nous savons que les gens ont afflué vers les villes où ils n'ont pas trouvé de travail, de sorte qu'ils se sont rabattus sur d'autres activités, criminelles notamment. Il est évident qu'il n'y a pas de solutions.
    M. Thompson nous a expliqué en quoi nous devrions être présents pour le long terme et pourquoi la patience est une vertu, mais la questions qui demeure est que bien souvent, dans les pays donateurs, les gens n'ont guère de patience. Comment donc mesurer cela pour pouvoir mettre au moins quelques balises sur la table de manière à pouvoir continuer à dire qu'il y a eu ici et là quelques petites réussites à partir desquelles nous pouvons continuer à travailler, et donc poursuivre le mouvement et peut-être aussi faire en sorte que des pays comme l'Espagne refassent partie de l'équation?
    Je pense qu'il y a eu en Haïti certaines réussites mais qui sont restées sans lendemain faute d'appui, par exemple ce qu'a fait le CECI au Québec. Il a fait de l'excellent travail dans le secteur agricole. D'ailleurs, le CECI a même reçu, au milieu des années 1990, un prix d'excellence du Programme alimentaire mondial pour ce qu'il avait fait pour assurer la sécurité alimentaire et ainsi de suite. Or, un peu plus tard, l'ACDI a abandonné le projet. Il y a donc eu des réussites, il nous suffit simplement de les exploiter et d'encourager davantage ce genre de choses. Voilà un élément.
    Je voudrais aussi très rapidement dire un mot au sujet de la diplomatie et de la façon de faire en sorte que les autres demeurent engagés sur le terrain. Le Canada n'a pas la voix la plus forte sur la scène internationale, mais en Haïti, notre voix est bien là. Les gens écoutent ce que nous disons parce que nous sommes présents depuis longtemps dans ce pays, en raison aussi du caractère francophone du Canada et du fait que nous avons là-bas joint le geste à la parole. Je pense que nous pourrions exploiter ce genre de coalition pour que les autres protagonistes restent eux aussi sur le terrain, mais je pense également qu'il faudrait que le Canada accorde une plus grande priorité à Haïti.
    Nous avons donné 2 milliards de dollars à l'Afghanistan. Je pourrais vous donner cinq raisons qui militent pour que nous restions en Haïti, mais je ne pourrais pas vous en citer autant à l'appui de notre présence en Afghanistan. Je ne veux pas dire pour autant qu'il faille quitter ce pays, ce que je veux dire c'est qu'il est logique pour nous d'être en Haïti. Nous avons là-bas une voix qui est entendue, les gens nous écoutent, et nous pouvons être un chef de file du développement dans ce pays, et c'est normal que nous soyons là.
    Je vous remercie.
    Une toute petite question pour M. Van Loan, après quoi nous reviendrons à Mme Bourgeois.
    Madame Chamsie, je voudrais revenir sur ce que vous avez dit en réponse à M. Wilfert au sujet des élections locales. On s'entend généralement pour dire, dans les pays donateurs, et cela vaut également pour ceux qui se sont occupé des élections, comme nous l'avons entendu hier, qu'il est particulièrement important que les élections municipales puissent avoir lieu dans les meilleurs délais.
    La question des élections locales est fort préoccupante pour d'autres raisons aussi. Ces élections produiraient 9 000 fonctionnaires de plus qui émargeraient au budget de l'État, il faudrait tenir des élections en plus grand nombre encore, l'argument étant en l'occurence que les ressources ne sont tout simplement suffisantes. Haïti n'a pas les moyens de tenir autant d'élections. Il faudrait redécouper les circonscriptions, et en tout état de cause, Haïti ne définit pas clairement, dans sa constitution, ce qui pourrait advenir d'une telle structure.
    Votre opinion contraste donc vivement avec ce que ces autres parties intéressées nous ont dit. Que pensez-vous du fait qu'il faudrait utiliser les ressources à cette fin?
(1630)
    Vous voulez dire que les ressources sont limitées et que les donateurs n'ont pas le sentiment que ces ressources devraient servir par exemple à des élections municipales?
    Des élections municipales, si, mais des élections locales, pas encore. Haïti n'est pas encore prêt à redécouper ses circonscriptions et à avoir une définition claire de ce qu'il faudra faire. Cela reviendrait à créer 9  000 postes de fonctionnaires de plus, ce qu'Haïti n'a guère les moyens de faire pour le moment, et on préférerait voir ces réserves utilisées ailleurs au fur et à mesure des besoins.
    Est-ce la position du gouvernement haïtien?
    Je n'ai pas entendu cela du gouvernement haïtien, mais il y a des gens que nous avons entendu, des gens qui représentent les instances étrangères qui tiennent les élections, et il y a d'autres groupes donateurs qui l'ont dit aussi, et ce sont des gens qui travaillent sur le terrain. Mais vous avez un avis très différent de celui-là.
    En effet. Mon opinion à moi est que les donateurs ont des fonds limités à consacrer à cela et qu'ils ont tendance à privilégier les élections nationales, ces grosses machines qui retiennent beaucoup l'attention. Je le concède — les élections nationales sont essentielles — mais si nous voulons vraiment favoriser le genre de participation qui s'impose et bâtir de bas en haut, il faut du temps, il faut de l'argent, il faut des ressources et ainsi de suite.
    C'est toujours une question de choix, mais si vous posez la question aux Haïtiens et au gouvernement d'Haïti, au moment opportun, une fois que tout cela sera en place — je n'étais pas au courant de la question de la redistribution des circonscriptions, je n'ai rien lu à ce sujet — je pense que le gouvernement haïtien aimerait beaucoup pouvoir tenir ce genre d'élections s'il obtenait le concours financier nécessaire.
    C'est également une question d'opportunité. Pour moi, c'est un peu la troisième chance de le faire pour Haïti. La première chance était au moment où Aristide avait été élu en 1991. La deuxième, lorsqu'il a été ramené au pouvoir et que les militaires se sont faits éjecter en 1994. Cette opportunité-ci est la troisième, et je crains aussi, la dernière des chances de le faire. J'ai sincèrement le sentiment qu'il faut donner à Haïti toutes les chances possibles, et les élections locales sont très importantes au moins si nous voulons faire du développement de façon ascendante, de bas en haut.

[Français]

    Madame Bourgeois, vous disposez de cinq minutes.
    Merci, monsieur le président.
    Mesdames et messieurs, merci d'être ici. Je trouve votre présence extrêmement intéressante et importante.
    Je m'adresse à M. Thompson. Dans votre document, vous parlez de culture d'impunité, d'abus de pouvoir généralisé de la part des policiers. Ce n'est pas étonnant, on en a entendu parlé. Par contre, l'aide canadienne en Haïti, l'aide de l'ACDI, a fait que la Gendarmerie royale du Canada a pu participer ou coordonner la participation de plusieurs agents de police canadiens aux missions successives en Haïti. Depuis 1994, la GRC est en Haïti. D'ailleurs, le 22 février 2005, M. Zaccardelli prononçait un discours et vantait les services de la Gendarmerie royale du Canada en Haïti.
    Cela me surprend énormément qu'il y ait tant d'abus de pouvoir généralisé et tant d'impunité. Depuis le temps que le Canada est là, comment se fait-il que l'on n'ait pas été capable de mettre un terme à cela? Des cours ont même été donnés à des Haïtiens venus au Canada pour pouvoir retourner dans leur pays avec au moins un minimum de moyens pour être capables d'assurer la sécurité convenablement.
    Comment se fait-il que nous, Canadiens, n'avons pas été capables d'enlever cette culture d'impunité, après tous les efforts que nous avons faits? Que faudrait-il, de la part du Canada, pour sauvegarder cet élément?

[Traduction]

    Il y a deux éléments ici. Le premier est qu'il y a des factions de la police nationale haïtienne qui prend son travail très à coeur, et des factions de cette police qui fait le maximum possible, étant donné les circonstances. Il y a par contre aussi, dans la police nationale, une faction à contrôler dont les membres ont utilisé leurs pouvoirs pour s'enrichir, qui ont violé les droits humains, et qui le font d'ailleurs toujours. Ce qu'il faut ici, c'est leur remettre la bride, et les résolutions du Conseil de sécurité donnent aux casques bleus le pouvoir de les réfréner. Il s'agit simplement d'avoir assez de ressources et assez de volonté politique pour le faire.
    Par conséquent, donner suite aux résolutions du conseil de sécurité de l'ONU est une chose. Mais il y a cette culture de l'impunité qui existe de longue date en Haïti, et qu'on retrouve ailleurs que dans la police. Il faudrait en fait traduire en justice quiconque viole ou a violé les droits de la personne et de faire en sorte que le pouvoir judiciaire puisse juger ces gens dans l'équité et la justice.
    Mais ce ne sont pas des choses faciles à faire, et il faudra du temps. Par contre, ce sont des priorités qui ont été énoncées par les Nations Unies. La réponse ne vous semblera peut-être pas très satisfaisante, mais il s'agit ici de voir un peu plus loin que les médias et de ne pas se contenter de poser des emplâtres de fortune parce que c'est plus facile.
(1635)
    Me permettriez-vous d'ajouter un mot?
    Même si le Canada a été très généreux dans ce domaine, nous n'avons pas vraiment envoyé beaucoup de policiers en Haïti, à preuve le fait que l'effectif actuel de la police civile onusienne n'est que de 1 500 personnes. Pour l'heure, nous avons 100 policiers sur place et nous en avons envoyé 25 de plus pour les élections, le chef de la police civile onusienne est canadien, mais il y a en tout 1 300 ou 1 400 autres policiers originaires de différents pays, et qui ont obtenu des niveaux de réussite fort variés.
    Lorsque j'étais là-bas en 1998 et en 1999, c'étaient les pays d'Afrique occidentale qui réussissaient le mieux avec les Haïtiens sur le terrain. Je ne pense pas que nous puissions dire que le Canada a envoyé plus de la moitié de l'effectif de la police civile de l'ONU pour former des policiers locaux. Par rapport à l'effectif total de 1 500 policiers, notre contingent était tout petit. Nous avons donc fait quelque chose de très bien, mais pour ce qui est de la formation des policiers haïtiens, nous n'avons pas fait beaucoup vu le nombre total, étant donné qu'il fallait former 8 000 policiers.
    Une intervention très rapide, madame Lalonde.

[Français]

    J'aimerais souligner aussi que dans la reconnaissance de ses erreurs, c'est en matière de sécurité que l'ACDI a dit qu'il y avait eu le plus de problèmes. Par contre, l'entraînement des nouveaux policiers a été très bien, mais ils n'étaient pas suffisamment nombreux. Toutefois, quand Aristide est revenu, il a politisé la police. Lorsqu'on agit ainsi, on enlève la raison d'être d'une police qu'on veut bien former, c'est-à-dire faire respecter la loi et les droits de tous.

[Traduction]

    Très bien, avez-vous terminé? Parfait.
    En résumé, vous avez parlé d'une chose. Hier, nous avons entendu des représentants d'Élections Canada ainsi que les directeurs des élections en Haïti. Lorsque nous avons parlé des élections présidentielles, on a dit je crois que le taux de participation avait été de 63 p. 100 pour les élections nationales, mais nos témoins ont également parlé d'un taux de 30 p. 100 pour les élections locales, c'est-à-dire une augmentation par rapport au 15 p. 100 précédent. Est-ce bien cela?
    Il s'agissait des élections législatives.
    En effet. Lorsque vous parlez d'un taux de participation de 10 p. 100 aux élections, est-ce que...
    [Note de la rédaction: inaudible]
    Très bien.
    Vous avez également signalé que l'ACDI a posé des conditions rigoureuses. Notre mandat était-il trop vaste? Pensez-vous que nous voulions aller trop loin? Ou encore, sommes-nous devenus plus restreints dans notre intervention?
    Nous avons beau parlé de conditions, mais il n'empêche que les États qui envoient de l'argent sont en droit de s'attendre à des comptes. Un nouveau gouvernement, et tous les gouvernements d'ailleurs, s'attendent à ce qu'on rende compte d'une certaine façon de l'argent qu'ils envoient. Vous pourriez peut-être nous donner une meilleure idée de la façon dont vous définiriez le caractère trop rigoureux, selon vous, des conditions imposées par l'ACDI en ce qui concerne la façon dont notre argent doit être dépensé.
    Je dirais que les conditions qui ont été appliquées en 2000 étaient dues au fait qu'il y avait des élections sénatoriales. En effet, comme il y a eu des irrégularités pendant ces élections-là, et qu'il s'agissait en quelque sorte de pousser Aristide soit à organiser de nouvelles élections pour doter ces sept sièges au Sénat, en encore de concéder ces sièges ou que sais-je. Il s'agissait donc de lui forcer la main. C'est de cela qu'il parlait en invoquant la gouvernance.
    Bien sûr, Aristide a résisté, et il n'y a pas que le Canada qui ait interrompu son aide. Le FMI, la Banque mondiale, l'USAID et la plupart des pays de l'OCDE ont également interrompu leur aide pendant cette période. La situation n'arrêtait pas de s'aggraver.
    Je conçois donc fort bien qu'on veuille pousser un gouvernement à faire son devoir lorsqu'il y a corruption par exemple, mais à mon avis cela n'avait pas fonctionné. Lorsque cela a fini par avoir un résultat et lorsqu'Aristide était prêt à capituler, l'opposition politique en Haïti réclamait en fait sa démission. En d'autres termes, l'opposition n'était pas prête à accepter autre chose que sa démission.
    À ce moment-là, la communauté internationale aurait dû dire: « Écoutez, il a promis de recommencer les élections, et pour nous cela suffit. Nous allons donc rouvrir les robinets de l'aide. » Mais au lieu de cela, nous nous sommes rangés aux côtés de l'opposition politique et nous avons continué à attendre. Nous attendions que l'opposition haïtienne dise: « Très bien, ce sont des conditions que nous pouvons accepter » alors même qu'elle n'était pas prête à accepter quelques conditions que ce soient.
    Je dirais donc que nous avons nous aussi un jugement à porter lorsque nous constatons que la situation économique en arrive à un état de crise, vu qu'Haïti dépend à ce point de l'aide étrangère. Nous aussi, nous devons former un jugement et dire: « Écoutez les gars, il va falloir que vous trouviez une solution, mais à notre avis cette solution, soit de nouvelles élections pour doter ces sept sièges au Sénat, est suffisante, et nous allons donc rouvrir les robinets de l 'aide. » Et je dois vous dire que ce sont les États-Unis qui ont insisté dans ce sens. J'ignore quelle était la position du Canada à ce moment-là, mais je pense qu'il s'est rallié aux autres donateurs multilatéraux et à l'USAID.
(1640)
    Je vous remercie.
    Nous vous sommes assurément reconnaissants d'être venu témoigner aujourd'hui devant le comité. Je pense que cette séance a été excellente. Nous avons tous appris quelque chose et nous sommes impatients de lire votre livre. Merci encore pour votre présence.
    Nous allons suspendre brièvement la séance pour permettre aux autres témoins de prendre place.

(1645)
    Une nouvelle fois, bonjour.
    Nous poursuivons donc notre étude au sujet d'Haïti et des multiples instruments de politique étrangère associées à l'intervention du Canada en Haïti.
    Nous sommes heureux de recevoir cet après-midi le surintendant principal David Beer, qui est le directeur général de la Police internationale à la La Gendarmerie royale du Canada, de même que, pour la Direction générale des Amériques de notre Agence canadienne de développement international, Suzanne Laporte, la vice-présidente de la direction et M. Yves Pétillon, le directeur de programme pour Haïti, Cuba et la République dominicaine.
    Bienvenue donc au Comité permanent des affaires étrangères et du développement international.
    Nous avons l'habitude d'offrir aux témoins la possibilité de commencer par une déclaration — je sais que certains d'entre vous en ont une — après quoi nous passons aux questions des membres du comité.
    Bienvenue encore une fois, vous avez la parole et le temps qu'il faut.
    Vous reconnaîtrez facilement le monsieur, qui est assis à mes côtés, et qui m'a gentiment offert de prendre la parole en premier lieu.
    Je vous remercie beaucoup.

[Français]

    Monsieur le président, vous avez le texte dans les deux langues, alors je vais m'adresser au comité dans les deux langues. J'aimerais d'abord et avant tout vous remercier de nous avoir donné l'occasion de comparaître devant votre comité sur un sujet qui nous tient tellement à coeur.
    Le moment ne saurait être plus opportun, car Haïti est aujourd'hui à la croisée des chemins. Je crois que ce sont les mêmes mots qu'a utilisés hier le ministre MacKay à cet effet. Ni les dirigeants haïtiens ni la communauté internationale ne peuvent ni ne doivent décevoir une fois de plus une population si démunie et pourtant si avide de sortir du cercle vicieux de la pauvreté.
    Tant la participation massive de la population au processus électoral que le discours de réconciliation national du président Préval ouvrent la voie pour un développement durable. Mais en même temps, l'histoire nous rappelle qu'il n'y a pas de développement sans sécurité et qu'il n'y a pas de sécurité sans développement. C'est pour cette raison que l'ACDI s'y investit avec autant de détermination.

[Traduction]

    Quantités de définitions existent sur ce qu'on entend par sécurité. J'aimerais d'entrée de jeu clarifier que, pour l'ACDI et la communauté internationale en général, le secteur sécurité repose sur trois piliers, c'est-à-dire la police, la justice et l'administration pénitentiaire. Il faut s'attaquer aux trois piliers à la fois pour avoir des résultats durables puisqu'ils sont des vases communicants. C'est dans ce cadre que l'ACDI intervient en Haïti.
    Les défis à relever dans le secteur sécurité en Haïti sont considérables. Une police nationale dont le nombre de policiers est insuffisant, mal équipée et peu professionnelle, un système de justice défaillant et des prisons inadéquates, regorgeant de détenus coupables ou pas. Imaginez un système de sécurité qui repose sur un corps policier de un pour 2 000 habitants alors qu'au Canada la proportion est de un pour 500, en Europe elle est de un pour 450 et ailleurs en Amérique latine elle est de un pour 600.
    L'engagement du Canada dans le secteur de la sécurité en Haïti repose sur une approche pangouvernementale et s'appuie sur l'expertise des ministères de la Défense et des Affaires étrangères, de la Gendarmerie royale du Canada et de l'ACDI.
(1650)

[Français]

    Aujourd'hui, mes interventions vont porter essentiellement sur trois grands points: les enjeux, les actions que nous avons menées et nos réalisations, et les pistes d'intervention futures.
    D'emblée, il y a cinq grands enjeux dans le secteur de sécurité en Haïti.
    Le premier enjeu est la durée. Les leçons du passé nous ont appris que dans un État fragile tel que ce pays, la présence des forces externes est importante. Elle a un effet stabilisateur mais limité. Cet effet est temporaire et n'a pas d'impact durable s'il s'agit d'interventions de substitution. Il faut donc que cette présence soit accompagnée d'initiatives de renforcement institutionnel, de professionnalisation à long terme et sans discontinuité. Il faut s'inscrire dans la durée; on peut penser à un minimum de 10 à 20 ans.
    Le deuxième enjeu majeur est la volonté politique. La volonté politique des autorités haïtiennes est indispensable pour mener à bien une réforme du secteur. Il est impossible de dépolitiser le secteur de la sécurité, de professionnaliser le corps policier et de lutter contre la corruption sans cette volonté politique. Elle a été faible de 1996 à 2004, d'où la suspension des programmes de l'ACDI dans ce secteur et un ajustement par l'intermédiaire d'une nouvelle approche que je vous décrirai plus loin.
    Troisièmement, il nous faut une vision commune du processus de réforme. Il est essentiel que l'ensemble des acteurs impliqués dans le secteur accepte de travailler à partir de plans communs de réforme de la police et de la justice, et que ceux-ci soient d'abord et avant tout pilotés par les autorités haïtiennes. L'élaboration de ces plans doit se faire également en consultation avec la société civile et il doit y avoir un mécanisme de coordination entre tous les intervenants. Une seule vision mobilisatrice des actions de tous les intervenants est critique pour assurer la synergie.
    Les actions parallèles constituent le quatrième enjeu. La sécurité ne peut d'abord être exclusivement considérée comme une question de contrôle ou une question de répression. C'est d'abord et avant tout une question de développement socio-économique, d'où la nécessité de s'attaquer également à la pauvreté.
    Finalement, il ne faut pas sous-estimer l'importance du contexte socioculturel dans lequel nous oeuvrons. Les leçons du passé nous ont clairement démontré que cette compréhension peut faire la différence entre le succès ou l'échec.

[Traduction]

    J'aimerais maintenant parler des actions financées par l'ACDI au fil des ans et de ses réalisations en matière de réforme du secteur sécurité.
    De 1994 à 2002, l'ACDI a soutenu plusieurs initiatives bilatérales auprès des institutions haïtiennes dont elle a dû se retirer progressivement, et ce à cause de l'absence de volonté politique des autorités haïtiennes à s'attaquer au problème de la réforme du secteur sécurité. La politisation et l'accentualisation de la corruption ont fait en sorte que l'ACDI a mis fin à sa programmation bilatérale dans le domaine de la justice en 1999 et de la police en 2001.
    Nous avons néanmoins continué à dispenser une certaine aide en justice, droits de la personne et prison par le biais des Nations Unies. Des efforts soutenus ont été déployés pour renforcer la société civile haïtienne. L'ensemble de ces actions a résulté, entre autres, à la mise en réseau du parquet et du tribunal, la formation de greffiers et du personnel carcéral, à la création d'une banque de données sur les détenus car nul ne connaissait l'état réel des effectifs et à la connaissance accrue des citoyens et des citoyennes de leurs droits et devoirs. Et nous travaillons par le biais des normes internationales des droits de la personne.
    L'avènement d'un gouvernement de transition en mars 2004 s'est traduit par une nouvelle volonté politique, timide mais suffisante, pour continuer notre engagement multilatéral et reprendre notre programmation bilatérale dans le secteur sécurité. Comme je l'ai mentionné plus tôt, nous sommes conscients qu'il ne peut y avoir de développement sans sécurité et que celle-ci relève d'abord et avant tout de l'État et de ses citoyens.
    Que faisons-nous depuis l'arrivée du gouvernement provisoire en 2004?
(1655)

[Français]

    Dans le domaine de la justice, nous travaillons avec les Nations Unies, l'Organisation internationale de la Francophonie et l'Organisation des États américains, l'OEA, ainsi qu'avec des ONG canadiennes et haïtiennes, pour renforcer le ministère de la Justice, améliorer l'administration pénitentiaire au moyen de la formation des agents correctionnels, de telle sorte à instaurer une justice pénale plus équitable, accessible et rendue dans des délais raisonnables. Nous facilitons une justice de proximité. Enfin, nous tentons d'améliorer les conditions de détention et le respect des droits des détenus.
    Au chapitre du renforcement de la police, l'ACDI a financé pendant deux ans le déploiement de 100 policiers canadiens sous le leadership de la MINUSTAH et géré par le ministère des Affaires étrangères ainsi que la GRC. Nous avons également envoyé 25 policiers additionnels pour la période des élections afin de renforcer la sécurité. Mon collègue David Beer vous apportera davantage de précisions sur UNPOL.
    Toujours au sujet de la police, je considère que c'est peut-être une des réalisations les plus importantes des deux dernières années. Nous avons répondu à la requête du ministre de la Justice, duquel relève la police, pour élaborer un seul plan stratégique commun. Ce plan de réforme a effectivement été adopté par le Conseil supérieur de la police nationale qui, jusqu'à maintenant, guide les actions de l'ensemble de la communauté. Ceci a également résulté dans la création d'une nouvelle unité au sein de la police de développement stratégique qui bénéficie donc de l'appui technique d'experts canadiens et de la MINUSTAH.
    De plus, pour démontrer de manière tangible et visible à la population des progrès dans le secteur, l'ACDI a financé un état des lieux et l'élaboration de cahiers techniques pour la réhabilitation de 20 commissariats et de 14 tribunaux de première instance qui avaient été saccagés pendant les émeutes. Quatre des commissariats sont en cours de réhabilitation grâce aux fonds de l'ACDI, tandis que la formation dans les 16 autres commissariats a été partagée avec les bailleurs de fonds et la MINUSTAH, afin qu'ils prennent la relève. Du côté des tribunaux, l'ACDI a financé la réhabilitation de quatre tribunaux, et l'État haïtien a procédé à la réhabilitation de huit autres. Nous sommes donc en train de remettre l'infrastructure judiciaire en place.
    Enfin, nous finançons des projets d'apaisement social dans les quartiers chauds de Port-au-Prince. J'ai entendu évoquer tout à l'heure à plusieurs reprises Cité Soleil. Nous y sommes présents. Ces projets ont pour objectif d'appuyer les efforts de stabilisation sur le plan de la sécurité par la création d'emplois et l'amélioration générale des conditions de vie.

[Traduction]

    Permettez-moi de souligner que toutes ces activités répondent aux priorités énoncées dans le cadre de la coopération intérimaire, adoptées par la communauté internationale et le gouvernement haïtien et qui guident tous nos engagements depuis 2004.
    Pour ce qui est de l'avenir, nous sommes à la croisée des chemins. Un nouveau gouvernement élu est maintenant en place à Haïti. Les signaux jusqu'ici sont positifs quant à la volonté politique d'entreprendre une véritable réforme. Les prochaines semaines seront déterminantes dans la définition des rôles et des responsabilités de tous les acteurs internationaux. Cela soulignera que le Canada n'agit pas seul.
    Le mandat actuel de la MINUSTAH se termine le 15 août 2006 et il doit être renégocié. L'Organisation des États américains, est en train de redéfinir le mandat de sa mission spéciale en Haïti et nous saurons qu'il y aura une conférence des donateurs le 25 juillet, sans doute à Haïti, pour le prolongement du cadre de coopération. Tous ces événements guideront nos actions futures.
    Monsieur le président, avant de terminer, j'aimerais vous donner un aperçu de ce que nous pourrions faire dans le secteur sécurité à l'avenir.
(1700)

[Français]

    Du côté canadien, les ministères et les agences concernés sont actuellement en train de se concerter pour articuler une nouvelle stratégie d'intervention qui soit commune dans le secteur de la sécurité. Cette stratégie devra tenir compte des priorités que va énoncer le gouvernement sous peu et devra s'inscrire dans le renouvellement du mandat de la MINUSTAH.
    Déjà, certaines pistes se dessinent. En ce qui concerne l'ACDI plus précisément, un consensus se dégage avec les autorités haïtiennes et les membres de la MINUSTAH quant à son rôle à long terme. Nous pensons à nous concentrer sur la création d'une académie de police pour la formation des cadres, ce qui aura un impact majeur sur la professionnalisation de la police.

[Traduction]

    Nous allons également poursuivre nos interventions en matière d'appui aux ONG qui oeuvrent dans le domaine des droits de la personne.
    Enfin, nous travaillons en coordination avec la GRC, qui assure le déploiement de policiers canadiens -- mon collègue David Beer vous donnera des précisions -- et nous travaillons en étroite collaboration avec les Affaires étrangères.

[Français]

    En conclusion, j'aimerais rappeler que l'ACDI reste pleinement engagée dans le secteur de la sécurité, car les enjeux sont critiques pour le développement, le redémarrage de l'économie d'Haïti et la stabilité, non seulement de ce pays, mais également dans la sous-région.

[Traduction]

    Merci. J'attends avec plaisir vos questions et vos observations.
    Merci, madame Laporte.
    Surintendant principal Beer.
    Merci, monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du comité...
    Nous essayons de nous limiter à une dizaine de minutes. Est-ce que ce sera possible?
    Tout à fait.
    Merci.
    Tout d'abord, au nom du Commissaire de la Gendarmerie royale du Canada, j'aimerais remercier le comité de me donner la possibilité de me comparaître ici aujourd'hui.
    La GRC est fière de sa longue tradition d'aide au développement international de la police et de son partenariat très fructueux avec les ministères de la Sécurité publique, des Affaires étrangères et du Commerce international et l'Agence canadienne de développement international en ce qui concerne le déploiement de la police à des missions internationales de maintien de la paix et en sa qualité de partenaire de l'arrangement sur la police civile au Canada. Cette tradition et ce partenariat ont été freinés de bien des façons par des missions menées en Haïti.
    L'actuelle mission des Nations Unies en Haïti est la septième à être menée depuis 1993. La GRC et ses partenaires policiers canadiens ont participé à chacune de ces missions, et ont facilité le développement bilatéral pendant des années, avec le soutien financier de l'ACDI.
    Bien qu'on ait obtenu quelques réussites, le contexte de notre réunion d'aujourd'hui a trait à l'incapacité de faire durer ces réussites et à en tirer profit. Même si je n'ai pas préparé beaucoup de documentation sur nos actions actuelles, j'ai remis au comité une annexe à mon allocution qui donne d'abord un aperçu des activités actuelles puis une chronologie des déploiements de police en Haïti depuis 1994.
    Le comité a sans doute entendu parler de la situation de crise qui règne en Haïti à de nombreux égards. Pensons notamment aux violations des droits de la personne, à la violence, à la pauvreté inégalée dans cet hémisphère, à la dégradation environnementale, à l'inefficacité du gouvernement et de ses institutions, à la lutte des classes, au racisme et à la nécessité de protéger les femmes et les enfants, entre autres. Bien que je sois ici aujourd'hui principalement pour parler des services de police, nous n'allons pas perdre de vue le fait que peut-être aucune facette de la société haïtienne n'est épargnée par la crise. Haïti constitue peut-être l'exemple par excellence de ce qu'on appelle un « État fragile ».
    Au milieu et à la fin des années 90, l'environnement de sécurité était presque idéal pour un développement dirigé. Il n'y avait pas de violence ouverte entre les intérêts opposés, et la criminalité organisée telle que nous la connaissons aujourd'hui, n'était pas encore solidement implantée. Le gouvernement portait son attention sur le développement des services de police, et non sur des opérations policières. Plus de 5 000 agents de police ont été désignés, formés et déployés. Des programmes supérieurs étaient en cours d'élaboration. On notait une continuité dans le leadership. On établissait les normes de rendement et la discipline interne. Il y avait beaucoup de travail à faire et l'on progressait.
     Aujourd'hui, la situation a changé. Le crime organisé -- la drogue, les armes, les enlèvements et la contrebande -- s'est enraciné et semble se tramer au tissu politique de ce pays. La corruption dans la police et à tous les échelons de la bureaucratie est démoralisante. Il est compliqué d'accorder une attention suffisante aux opérations lorsque les actes de violence sont commis par des bandes de criminels et d'insurgés -- qui agissent parfois pour des motifs politiques -- à l'aide de tactiques et d'armes et par un engagement qui constitue une guérilla de faible intensité. En l'absence d'un système juridique fonctionnel, le problème peut être énorme.
    En outre, plus de 50 p. 100 des ressources policières des Nations Unies au sol, soit 1 800 agents de police, sont affectés aux opérations de sécurité. Quant aux agents disponibles pour accomplir les tâches du développement, ils sont nombreux à n'avoir aucune connaissance linguistique du créole ou du français.
    L'engagement financier et matériel pris dans les années 90 par la communauté internationale envers le développement de la police était énorme, mais pas très bien coordonné. Les partenariats étaient souvent gênés par les intérêts personnels de l'État, on notait l'absence de mécanismes de durabilité et la responsabilisation était insuffisante.
    En 2000, des pays donateurs fatigués passaient à d'autres priorités au moment critique du changement de gouvernement en Haïti. De retour en Haïti en 2004, encore une fois pour s'occuper de la sécurité et du développement de la police, il était évident que presque rien -- équipement, matériel, infrastructure et formation -- n'avait survécu au vol, au pillage, à la destruction gratuite ou, dans le cas de la formation, au simple abandon des principes et des procédures.
    Aujourd'hui, la liste des partenaires engagés est plus courte. Bien que de nombreux pays se disent « amis d'Haïti », les États-Unis et le Canada continuent de représenter les principaux donateurs engagés au développement de la police. Pourtant, la dépendance d'Haïti envers les donateurs bilatéraux est évidente, et les donateurs échaudés ont besoin que règnent la responsabilisation et la transparence s'ils veulent contribuer aux millions de dollars encore nécessaires.
    Si l'on combine ces éléments, soit des donateurs bilatéraux circonspects et une organisation policière novice minée par la corruption et un environnement de sécurité incertain, on ne peut que constater l'ampleur des défis.
(1705)
    Nous devons nous engager à améliorer le secteur de la justice en faisant un système intégré. Les systèmes judiciaires et correctionnels dysfonctionnels doivent être traités dans la même foulée que les services de police. Sans développement parallèle, les services de police ne feront aucun progrès durable. Abordés sérieusement et de toute urgence, l'examen détaillé de la corruption et la politisation des fonctionnaires démontrera la volonté du gouvernement de faire des changements.
    Prédire l'avenir des services de police en Haïti n'est pas une mince tâche. Ce qui est positif, c'est que les donateurs principaux semblent s'entendre sur le plan des défis et des stratégies, et ils semblent déterminés à rester dans la course à long terme. Mais nous savons qu'il n'y aura aucune solution magique ni miracle. Les nouveaux plans n'auront pas l'air tellement différents de ceux qui ont été présentés par le passé.
    La variable incertaine qui reste dans la formule, c'est la volonté politique du nouveau gouvernement d'Haïti, une volonté qui serait transparente et qui se caractériserait par l'engagement envers la réforme fondamentale de la justice, l'établissement de la primauté du droit, le règlement des questions de droits de la personne et la lutte contre la corruption systémique. Sans cette volonté, les ressources, la formation, le temps ou les efforts ne suffiront pas à la tâche.
    Un gouvernement qui s'engage à changer encouragera les donateurs, jettera les fondements de la confiance du public et établira des normes de comportement à l'échelle du secteur public et il n'y aura pas de changement durable dans les services de police ni dans aucun secteur sans une volonté politique de le produire. C'est la clé dans la serrure. On a vu qu'un gouvernement dirigé par M. Préval a fait des progrès par le passé. Il faut rapidement continuer ces progrès et en tirer profit. Si le développement de la justice pose vraiment le fondement du développement durable dans tous les secteurs, alors l'avenir des Haïtiens qui ont véritablement besoin de notre aide en dépend.
    Merci, monsieur le président.
    Merci, monsieur Beer.
    Monsieur Pétillon, avez-vous un texte?
    Très bien, nous allons entamer la première série de questions.
    Monsieur Patry, cinq minutes.

[Français]

    Merci beaucoup, monsieur le président.
    Je voudrais d'abord féliciter les représentants de l'ACDI et du ministère des Affaires étrangères et du Développement social pour leur implication soutenue en Haïti, de même que pour le professionnalisme des agents de la GRC ainsi que des policiers qui provenaient de partout au Canada. J'ai pu constater sur place l'aspect très positif de leur implication. Je souhaite vous le dire officiellement.
    Ma première question s'adresse à Mme Laporte ou à M. Pétillon. Je reviendrai plus tard à M. Beer.

[Traduction]

    J'ai d'autres questions après.

[Français]

    Monsieur Préval vient d'être élu. Il vient de nommer Jacques Edouard Alexis au poste de premier ministre, et ce dernier aura la lourde tâche de former un nouveau gouvernement et présenter sa vision de l'avenir du pays aux deux Chambres.
    Sachant très bien que le parti politique de M. Préval est minoritaire dans les deux Chambres et qu'aucun parti politique n'a de majorité dans les deux Chambres, pensez-vous que la classe politique qui vient d'être élue a la maturité nécessaire pour mettre de côté les différends politiques et aider vraiment le développement d'Haïti?
    On a beau élaborer toutes sortes de stratégies, que ce soit pour diminuer la pauvreté, relancer l'économie, renforcer la sécurité ou pour tout ce que vous voulez, sans l'acceptation de la classe politique qui vient d'être élue, on ira pas nulle part.
    Quelle est votre opinion à ce sujet ?
(1710)
    Je vous remercie de votre question. Je crois que cela nous amène au coeur du sujet concernant la transformation de ce pays. Vous avez raison, monsieur Patry, de demander comment se comportera la classe politique.
    J'ai accompagné la Gouverneure générale lors de l’investiture du président Préval. Pendant les quatre jours où nous avons eu l'occasion de le rencontrer à plusieurs reprises, ainsi que d'autres députés, il est clair qu'on a beaucoup entendu cette volonté, ce désir d'entamer un processus de réconciliation nationale, de dialogue, non seulement entre la classe politique, mais également avec la société civile. Ce même message, notre Gouverneure générale l'a également livré, et elle a encouragé les Haïtiens à faire cette réconciliation.
    Je crois comprendre que c'est la volonté du gouvernement Préval d'entamer un processus d'États généraux dans les mois qui viennent, afin de consolider une vision commune autour d'un grand projet de développement étalé sur 25 ans.
    Par ailleurs, afin d'aider à cette maturation, comme vous l'appelez, de la classe politique, l'ACDI est déjà engagée avec le Centre parlementaire ici pour aider à la formation des nouveaux élus. Plusieurs d'entre eux n'ont jamais été députés, ils n'ont jamais été élus et ils doivent comprendre un peu ce qu'est le fonctionnement du processus démocratique et connaître leur rôle. Il faudra les équiper pour qu'ils aient la capacité de faire des analyses et des recherches afin de faire des interventions qui ne soient pas uniquement anecdotiques, mais qui soient basées effectivement sur un travail de rigueur.
    Donc, il y a la volonté politique, il y a un processus qui sera mis en place avec des États généraux, et, troisièmement, il y a l'aide que l'ACDI apportera à ces nouveaux élus.
     Madame Laporte, vous avez parlé du Cadre de coopération intérimaire de 2004-2006 qui vient d'être prolongé jusqu'à la fin de décembre 2007. C'est vraiment une excellente décision.
    Quelle évaluation feriez-vous des trois dernières années de ce cadre de coopération? Pensez-vous qu'on appuie des mesures très positives et que cela profite vraiment à Haïti?
    Ça fait environ deux ans que ce cadre a été mis en oeuvre. Les bailleurs de fonds, si je ne m'abuse, s'étaient engagés à fournir un peu plus d'un million de dollars US. En fait, la communauté des donateurs s'est engagée encore davantage. Tout récemment, je suis allée à Brasilia avec M. Van Loan pour assister à la conférence des donateurs. On a pu confirmer que plus de 764 millions de dollars avaient déjà été décaissés.
     Bien sûr, au quotidien, les résultats ne sont pas évidents. La population ne peut les voir, de façon immédiate, à la taille de son porte-monnaie. Il reste que ce cadre aura permis de jeter d'importantes bases, entre autres sur le plan de la réforme institutionnelle. On a en outre commencé des travaux d'infrastructure. Quoi qu'il en soit, on ne peut pas s'attendre à bâtir un pays en deux ans.
    L'essentiel était, à mon avis, qu'il y ait une vision commune et un engagement. Des objectifs importants ont en effet été appuyés. La communauté internationale et la MINUSTAH ont fait preuve de beaucoup d'acharnement en vue de s'assurer qu'il y ait bel et bien des élections et que celles-ci soient transparentes. Elles ont été reportées plus de quatre fois. Déjà, en soi, cette importante étape est encourageante pour l'avenir.

[Traduction]

    Merci, madame Laporte.
    Madame Lalonde.

[Français]

    Bonjour, madame Laporte. Je vais conserver votre discours dans un endroit sûr, surtout le début. De cette façon, on s'en souviendra.
    Je tiens compte du rapport d'évaluation de l'Agence canadienne de développement international publié en 2003, étant donné que vous parlez beaucoup des initiatives antérieures. Ce rapport établit que nous n'avons pas atteint les objectifs recherchés, à cause du climat politique prévalant en Haïti, du manque de volonté du gouvernement Aristide et d'une trop grande dispersion des programmes canadiens dans ce pays.
    À mon avis, les fonds annoncés, même en tenant compte de l'ensemble de la contribution de la communauté internationale, sont insuffisants. On dit également dans le rapport que la contribution canadienne peut être qualifiée de marginale, compte tenu de l'ampleur et de la profondeur des problèmes. Je crois que cela s'applique également à l'ensemble de la contribution.
    Il ne s'agit pas de fournir inconsidérément des sommes d'argent sur lesquelles nous n'aurions aucun contrôle. Toutefois, ne pensez-vous pas que maintenant, alors qu'il y a non pas un gouvernement de transition mais un vrai gouvernement, toute la communauté internationale engagée — et elle devrait en outre s'élargir — devrait investir davantage? On ne peut se permettre de voir Haïti échouer. À partir de maintenant, il faut lui donner du temps et des moyens.
     Monsieur Beer, vous parlez de sécurité, mais comment envisagez-vous le désarmement? Êtes-vous d'accord sur le programme du GCI?
(1715)
    Madame Lalonde, je voudrais remercier mon équipe qui a bien travaillé pour préparer cette présentation. Je crois que vous avez soulevé un point fondamental en parlant de la volonté politique, des leçons apprises et du moment opportun. Aristide a beaucoup déçu. À mon avis, lorsqu'il est arrivé au pouvoir, toute la communauté s'est ralliée derrière lui. Nous avions en effet émis un jugement positif à l'égard de ce nouveau leader. Or, il nous a déçu complètement.
     Le nouveau président élu, M. Préval, a déjà été en fonction et n'a pas quitté le pays. C'est le seul à avoir été réélu.
    C'est donc positif.
    C'est le seul à avoir terminé son mandat, à être resté au pays, à être retourné dans sa communauté et à avoir fait du développement. Déjà, cela nous donne une idée de sa volonté et de l'amour qu'il porte à Haïti. Nous ne connaissons pas encore tous ses ministres, mais quoi qu'il en soit, il est en train de s'entourer d'une équipe technique compétente.
    Donc, vous pouvez les...
    Il est en train d'aller chercher des gens compétents dans la diaspora haïtienne pour rebâtir ce pays. Je vois cela comme des signes positifs d'une volonté très forte.
    Il est évident maintenant qu'il a aussi une vision à très long terme. Je trouve qu'il fait preuve d'une grande maturité lorsqu'il dit qu'il sera présent à cette conférence des donateurs et qu'il présentera son programme d'apaisement social. Il sait que la sécurité est importante et qu'il répondra aux besoins de l'ensemble des Haïtiens, pas uniquement ceux qui sont dans les villes — vous avez eu ce débat plus tôt —, mais également dans l'ensemble du territoire, des collectivités.
    La Banque mondiale ainsi que la communauté des donateurs travaillent présentement avec lui et son gouvernement pour élaborer une stratégie de réduction de la pauvreté à long terme. Donc, il est évident qu'en juillet, on aura déjà une occasion de renflouer le cadre de coopération intérimaire, permettant ainsi un délai suffisant d'environ 18 mois pour développer une stratégie à long terme. Ce ne sera pas la stratégie des donateurs, mais bien celle du gouvernement haïtien, en consultation avec la population.
    Est-ce que vous êtes prêts à investir plus d'argent?
    Ce sera à notre gouvernement de décider.
    Mais vous le recommandez.

[Traduction]

    Merci, madame Laporte.
    Monsieur Beer, oui.
    La question a été posée il y a quelques minutes et je ne sais pas si je l'ai bien notée.

[Français]

    Elle portait sur le désarmement.

[Traduction]

    J'essaie de trouver une façon polie de répondre à la question. J'ai été commissaire de police à Haïti l'an dernier et, honnêtement, le gouvernement intérimaire de l'époque avait d'autres priorités. Le programme de désarmement de l'ONU ne l'intéressait pas et, de plus, l'ONU n'avait pas suffisamment de ressources sur place pour exercer les pressions nécessaires.
    Il est vite devenu évident qu'on ne réalisait aucun progrès à ce chapitre, le centre d'intérêt, du point de vue des opérations et de l'administration et en fait de préparation s'est porté sur les élections, et toute la notion de désarmement, d'immobilisation et de réintégration des ressources militaires avait été oubliée. En gros, c'est ce qui s'est passé.
    À long terme, le désarmement sera extrêmement difficile à Haïti, tout simplement parce qu'il y a tant de factions et de groupes distincts qui possèdent des armes légales et illégales. Les entreprises privées de sécurité ont comblé le vide laissé par l'absence de forces de sécurité légitimes. Par conséquent, à long terme, le désarmement sera très difficile et, pour être honnête avec vous, je ne crois pas que cela constitue l'une des principales priorités du gouvernement haïtien.
(1720)
    Merci, monsieur Beer.
    Monsieur Van Loan, vous avez la parole.
    Je pose toujours la question suivante et je vous invite à y répondre, si vous le souhaitez. Où le Canada a-t-il échoué dans ses nombreuses interventions? Il est évident qu'il n'a pas encore obtenu de résultats positifs, et nous, nous tentons de déterminer si, jusqu'à présent, ces interventions ont eu une utilité.
    Je crois que vous venez d'en toucher quelques mots, surintendant Beer.
    Dans votre mémoire, madame Laporte vous dites: « De 1994 à 2002, l'ACDI a soutenu plusieurs initiatives bilatérales auprès des institutions haïtiennes desquelles elle a dû se retirer progressivement, et ce, à cause de l'absence de volonté politique des autorités haïtiennes à s'attaquer à la problématique de la réforme du secteur sécurité. La politisation et l'accentuation de la corruption ont fait en sorte que l'ACDI a mis fin à sa programmation bilatérale dans le domaine de la justice en 1999 et de la police en 2001. »
    Bien des gens affirment que nous avons eu tort de nous retirer de ces diverses initiatives dans le passé, que nous aurions dû poursuivre notre engagement à long terme. En est-ce un exemple? Est-ce que ça a été une erreur que de se retirer de ces initiatives en l'absence de volonté politique en 1999 et en 2001? A-t-on eu tort d'agir ainsi? Si non, que pouvons-nous faire devant le même genre de problèmes de politisation, d'ingérence et d'absence de volonté politique pour réaliser des réformes à l'avenir? Comment devrions-nous réagir?
    Nous commencerons par Mme Laporte, ou M. Beer? L'un ou l'autre.
    Je vais commencer.
    Ce sont des jugements et des choix qui sont très difficiles à faire. Il faut trouver le juste équilibre entre la continuité, nous assurer que nos efforts ne sont pas intermittents, la responsabilité et la probité dans la gestion des ressources accordées à un gouvernement.
    Quand l'ACDI s'est retirée de ces initiatives en 2001, quatre facteurs ont mené à cette décision. Premièrement, l'absence de volonté politique de la part du président de l'époque était assez évidente. Ainsi, il a nommé son chauffeur à la tête du service de police. Le chef de la sécurité au palais est maintenant en prison aux États-Unis.
    Deuxièmement, on n'avait prévu aucun budget pour la police. Comment allait-elle se financer? Il y avait aussi des exemples manifestes de corruption. Pouvions-nous continuer à verser à ce gouvernement l'argent des contribuables canadiens dans de telles conditions? Je crois que la décision que nous avons prise à l'époque était la bonne.
    Il faut donc que certaines conditions de base soient remplies. Actuellement, le gouvernement haïtien remplit certaines conditions. Nous espérons qu'il poursuivra sur cette voie, et nous suivons la situation de près.
    Le directeur général actuel de la police est très professionnel. Le commissaire Muir, qui a remplacé de commissaire Beer, l'a lui-même indiqué. Le directeur général de la police est constamment entouré de gardes du corps, sa vie étant menacée par suite des mesures qu'il a prises pour réduire la corruption et parce qu'il a fait mettre en prison des hauts fonctionnaires de la police. Nous croyons donc qu'Haïti est sur la bonne voie.
    Et à l'avenir?
    À l'avenir?
    Si vous constatez qu'il y a de nouveau... Disons une certaine régression...
    Nous suivons de très près les progrès et les agissements de la police. Avec le renouvellement du mandat de la MINUSTAH, nous allons collaborer avec nos partenaires et échanger des informations pour nous assurer que la probité et les conditions de succès sont en place avant que nous ne nous engagions dans de nouveaux programmes.
(1725)
    Monsieur Beer, vous avez la parole.
    Les enjeux actuels rendent la création d'une force policière encore plus difficile que la première fois — bien qu'Haïti n'ait jamais eu de police civile auparavant. Actuellement, nous devons essentiellement nettoyer la plaie pour qu'elle puisse guérir. Nous sommes donc en plein processus d'approbation. Certains hauts fonctionnaires de l'organisation doivent obtenir notre approbation.
    Il faut donc consolider le bureau d'un inspecteur général, une mesure prévue au plan en cours. L'approbation de ces hauts fonctionnaires nous prouvera si le gouvernement veut apporter de véritables changements. J'abonde dans le même sens que Mme Laporte au sujet du directeur général de la police, M. Mario Andresol. Il est diplômé du programme pour les cadres moyens et supérieurs conçu et dirigé par l'ACDI dans les années 90. C'est d'ailleurs un des programmes que la police nationale d'Haïti nous a demandé de réinstaurer.
    Le défi était donc d'épurer l'organisation avant de la remettre sur pied, et pour faire en sorte que, du point de vue financier, le gouvernement soit prêt à soutenir ce que nous pourrons mettre en place — je crois qu'un témoin précédent a parlé d'une police qui pourrait compter à l'avenir 8 000 agents. Cela ne comprend pas les douanes et les agents des services frontaliers, qui feront partie de la police fédérale et qui s'ajouteront aux ressources du bureau de l'inspecteur général, qui comprendra en outre les services de sécurité personnelle des fonctionnaires. Il nous faudra peut-être donc de 10 à 12 000 personnes pour remplir toutes les fonctions liées à la sécurité, et Haïti espère les regrouper toutes au sein de la même organisation.
    Cela prendra beaucoup de temps et d'argent. Il nous faut des donateurs qui soient prêts à s'engager à long terme et à collaborer avec les autres, car aucun donateur — certainement pas le Canada ni les États-Unis, malgré leurs coffres bien garnis — n'est prêt à assumer l'entière responsabilité de ce projet. Il faudra compter sur la collaboration de plusieurs donateurs.
    Nos interventions doivent être bien coordonnées et bien échelonnées dans le temps. Nous devons mettre en place des mécanismes de reddition de comptes et, en toute franchise, surveiller sans relâche le gouvernement haïtien. Le gouvernement haïtien est celui qui dirige, nous sommes ses partenaires, mais comme dans tout partenariat, chaque partenaire a des obligations à assumer et nous devons veiller à ce que cela se fasse.
    Merci, surintendant.
    Je cède la parole à Mme  McDonough.
    Merci beaucoup, monsieur le président.
    Je suis heureuse d'avoir pu entendre vos témoignages. J'aurais beaucoup de questions à vous poser. Je vais commencer par m'adresser au surintendant Beer.
    On a parfois l'impression que la MINUSTAH et CivPol sont à Haïti depuis déjà un bon moment mais que cela n'a rien changé à la terrible corruption qui existe au sein de la police nationale d'Haïti, dont on a des preuves et que tous reconnaissent. On a beaucoup critiqué la MINUSTAH et CivPol pour leur apparente complicité -- je le dis entre parenthèses -- pour avoir toléré ou refusé de voir des actes et des omissions inacceptables de la part de la police nationale haïtienne.
    Quelle relation structurelle y a-t-il entre la MINUSTAH, CivPol et la police nationale haïtienne? On a fait des allégations graves d'usage de force abusive et d'assassinats d'adversaires politiques. Y a-t-il une structure de responsabilité? Est-on en mesure d'agir quand de telles choses se produisent? Si le mandat ou la capacité de surveillance de la police nationale haïtienne a des lacunes, comment pouvons-nous être certains d'assumer nos responsabilités conformément à nos objectifs et à la règle de droit? Voilà ma première question.
    Voici ma deuxième: En ce qui concerne le désarmement, il est inquiétant d'imaginer 170 000 armes de poing aux mains de n'importe qui, et encore plus d'apprendre que, pour le gouvernement provisoire, le désarmement n'est pas une priorité. Quelle indication avez-vous à ce sujet et que faut-il faire pour inciter le gouvernement à s'engager de façon sérieuse et réelle dans le désarmement? Manifestement, si rien n'est fait à ce chapitre, on ne respectera jamais les lois.
(1730)
    Monsieur Beer, vous avez la parole.
    Ce sont deux questions très pertinentes. Peut-être pourrais-je commencer par répondre à la deuxième.
    J'ai passé plus de trois ans à Haïti et pendant ce temps -- sans vouloir minimiser ce qui semble être un problème -- j'avais des doutes sur les quantités d'armes dans ce pays. Dans les années 90, quand une importante force multinationale était présente, ainsi qu'en 2004, pendant tout le temps où j'ai été à Haïti, il n'y a pas eu une seule saisie importante d'armes. Dans toutes les enquêtes ou interventions militaires ou policières, on n'a jamais saisi plus d'une douzaine d'armes. Je ne suis donc pas certain qu'il y ait tant d'armes qu'on le dise à Haïti. Mais je ne dis qu'entre parenthèses.
    Deuxièmement, je ne veux pas minimiser l'importance du désarmement, mais je suis convaincu que le gouvernement haïtien en fera fi dans une certaine mesure. Il donnera le change, comme nous, mais je ne suis pas certain que cela devrait être la priorité absolue. Bon nombre de ces armes sont aux mains d'entreprises de sécurité qui, du jour au lendemain, pourraient devenir illégales ou membres de gangs qui, du jour au lendemain, se mettent à travailler pour une société privée de sécurité.
    Le désarmement me semble donc un peu utopique. Cela m'amène à répondre à votre première question.
    Les problèmes de sécurité, aussi graves étaient-ils la dernière année que j'ai passé à Haïti et l'an dernier, ont toujours été concentrés dans une région d'environ six kilomètres carrés au centre-ville de Port-au-Prince. Cette zone comprend les routes qui relient le centre-ville à l'aéroport, au port et à l'océan, une route d'environ deux kilomètres. C'est le principal couloir économique du pays. C'est aussi là que se produisent la plupart des actes de brigands et des enlèvements. C'est la zone qui entoure Cité Soleil et les zones telles que Fort National adjacentes aux bidonvilles qui sont depuis longtemps contrôlés par les gangs.
    En général, il n'y a pas de problème de sécurité ailleurs au pays, mais parce que cette région est le moteur économique du pays, tout ce qui s'y passe est scruté à la loupe et prend des proportions indues. Cela peut paraître étonnant, mais l'enlèvement d'une seule personne importante provoquait l'arrêt de toute l'activité au sein de la ville. Il y avait des grèves générales. Les médias ont profité pour critiquer la MINUSTAH et déploré l'inefficacité du gouvernement provisoire.
    Je ne veux pas minimiser la gravité des problèmes de sécurité, car Dieu sait que ceux qui travaillaient pour moi au centre-ville de Port-au-Prince étaient sur la ligne de feu 365 jours par année. Chaque soir, j'allais au lit en me demandant si j'allais perdre un de mes hommes. C'était très difficile.
    Dans une situation et un milieu où, tout d'abord, il n'y a pas de système de justice et où la mission de la police était ce que j'appellerais une mission hybride -- nous n'avions pas de pouvoir exécutif, nous n'avions pas compétence en matière de police et n'étions pas encadrés par le système de justice -- on ne peut faire autrement que de respecter le plus possible ce que les militaires appellent les règles d'engagement, ce qui va tout à fait à l'encontre de la façon dont travaille la police dans la société civile.
(1735)
    Nous étions aux prises avec un mandat double du chapitre 6, presque du chapitre 7 de la Charte des Nations Unies. D'un côté, nous avions des responsabilités de développement: nous devions faire du mentorat, conseiller et former la police nationale haïtienne pour lui montrer comment fonctionner au sein d'un système de justice, dans une division de justice. Il fallait lui montrer comment faire partie de ce système et rendre compte au système. D'un autre côté, plus de 50 p. 100 des personnes qui travaillaient sous ma responsabilité à titre d'unité policière étrangère étaient exposées au tir et se livraient à des batailles quotidiennes dans un environnement fort densément peuplé. L'on s'attendait à ce qu'ils travaillent conformément aux règles d'engagement par rapport à la primauté du droit, et qu'ils aient recours à la politique de la force, qui est une pratique courante au sein de la police civile. C'était une situation extrêmement difficile pour les personnes sur le terrain, en ce qui concerne la gestion du MINUSTAH.
    Nous devions également faire face à la corruption au sein de la police nationale haïtienne. Nous pourrions vous parler de ce sujet toute la journée: il s'agissait de la plus grande bande organisée du pays, qui était responsable de la majorité des enlèvements.
    Pour être bien honnête, en ce qui concerne la majorité des engagements avec les bandes, avec l'élément criminel des bandes, il y avait des abus des droits de la personne qui auraient été scrutés à la loupe par des organisations de droits humains, et ce, à juste titre, mais nous ne pouvions pas les enquêter. Sinon, nous nous serions exposés au tir. Nous ne pouvions pas simplement aller cogner aux portes pour faire des déclarations comme on le ferait au Canada, suite à un événement majeur ou à une enquête criminelle importante. Lorsque nous entrions dans les bidonvilles ou dans les quartiers où il y avait un engagement, nous nous retrouvions de nouveau à être exposés au tir, dans un milieu de guérilla. Nous ne pouvions pas mener d'enquête.
    Par ailleurs, il y a eu des occasions où nous avons pu aller de l'avant avec diligence et entamer des enquêtes, telles que la plus grande évasion de prison qui a eu lieu au printemps dernier. Nous croyons fortement qu'il y avait des éléments orchestrés au sein des trafiquants de cocaïne qui ont travaillé de concert avec la complicité des agents correctionnels et des policiers. Nous avons mené une enquête, mais, étant donné que ce n'était pas de notre compétence, nous avons fait des enquêtes mais nous avons amené la police avec nous dans des situations où la police elle-même était considérée responsable ou encore accusée d'abus des droits de la personne.
    En résumé, nous pouvions amener nos enquêtes jusqu'à un certain point, mais ensuite, nous ne pouvions pas les faire approuver par le ministre de la Justice. Nous ne pouvions recevoir aucune aide additionnelle de la part du bureau de l'inspecteur général. Tout cela revenait à la notion de dissimuler la situation et de l'oublier.
    Le ministre de la Justice avec lequel nous avons travaillé -- celui avec lequel j'ai travaillé lorsque j'étais à Haïti -- n'a rien fait. Il n'était pas aveugle au fait, mais il faisait de l'obstruction en pratiquant de l'immobilisme.
(1740)
    J'aimerais poser quelques...
    Non, nous ne pouvons plus accepter de questions. Nous allons rapidement céder la parole à M. Patry. Nous sommes en train d'aborder de nouveaux sujets aujourd'hui, et je ne voudrais pas interrompre M. Patry dans son discours.
    Monsieur Patry, une question rapide.
    Je suis désolé, j'ai utilisé les 12 minutes de temps de parole.
    La question suit l'ordre d'idée de celle de Mme McDonough.
    Nous savons que le MINUSTAH existe en Haïti depuis juin 2004. Sa présence a parfois posé problème et créé des divisions. À mon avis, une partie du problème est reliée à la faiblesse du mandat. La résolution 1542 du conseil de sécurité exige désormais que le MINUSTAH travaille avec la police nationale haïtienne pour toutes questions se rapportant au maintien de l'ordre c'est un véritable problème. En effet, plusieurs personnes ont soulevé la question de la neutralité du MINUSTAH, qui est perçu comme un allié de la police nationale haïtienne.
    Le mandat du ministère sera examiné en août. Si la GRC et le ministère des Affaires étrangères — je ne sais quel ministère en fait — fait exercer des pressions d'un autre bailleur de fonds — je ne sais quel représentant des Nations Unies — pour que l'on modifie le mandat du MINUSTAH, afin que l'on le sépare des forces policières haïtiennes, puisque le problème semble être un problème de corruption... Qu'en pensez-vous? Comment croyez-vous que l'on puisse améliorer le mandat du MINUSTAH?
    Il y a eu des discussions au printemps de 2005, lorsque le mandat du ministère a été renouvelé. Dans les coulisses, l'on songeait, en quelque sorte, à donner un pouvoir exécutif au ministère. À l'époque, j'ai indiqué — je dirais la même la chose aujourd'hui — qu'un pouvoir exécutif doit provenir du secteur de la justice. Ainsi, on ne peut pas tout simplement avoir un pouvoir exécutif sans qu'un système juridique soit mis sur pied et fonctionnel. Maintenant, qu'il s'agisse d'un système haïtien ou international, la police ne peut pas agir et arrêter quelqu'un, l'emprisonner tout en sachant que cette personne risque de ne jamais avoir d'avis juridique, qui pourrait ne jamais voir de juge ou devoir répondre de ses actes si un tel pouvoir exécutif existe, alors, vous commettez un viol des droits de la personne simplement en faisant votre travail.
    Je dirais que la même chose s'applique aujourd'hui. Il faudrait qu'il y a ait 5 000, 7 000 ou 8 000 policiers de Nations Unies si nous voulons avoir un pouvoir exécutif en Haïti. Il faut également qu'un système judiciaire soit mis sur pied, qu'il s'agisse d'un système haïtien ou international.
    Merci.
    Monsieur Goldring, suivi de Mme Bourgeois.
    Merci de votre exposé, c'était très enrichissant.
    Monsieur Beer, j'aimerais revenir à la question de corruption. Lors de nos discussions, quelqu'un a mentionné que, à Haïti, les raisons pour lesquelles les forces policières étaient corrompues étaient parce qu'elles n'étaient pas payées, que leur salaire était inexistant ou sporadique. Bien sûr, la première fois qu'on enfreint une règle, c'est toujours la fois la plus difficile. Par la suite, c'est toujours de plus en plus facile de contourner une loi. Êtes-vous d'accord avec cette affirmation?
    Maintenant, parlons des ressources. Vous avez indiqué qu'il y a 65 policiers canadiens en Haïti, par rapport à l'engagement de 100 agents. Lorsque nous étions à Haïti, il y en avait environ 70 ou 75. Quelqu'un a observé que les forces policières ne sont pas suffisantes en Haïti et que l'engagement n'est pas complet. Qu'en est-il des autres partenaires qui travaillent sur ce dossier? Est-ce qu'à eux aussi il manque un tiers des ressources?
    Tel que vous le mentionnez, je trouve également qu'il serait tout simplement déplorable de ne pas pouvoir remplir nos obligations de maintien de l'ordre en raison de l'absence d'un mandat détaillé et clair. Il semble absolument essentiel d'avoir déjà établi, même dans le secteur judiciaire, une coopération internationale qui puisse palier à ces problèmes. N'est-ce pas en fait cela le problème continu à Haïti? En d'autres termes, n'est-ce pas la toile de fond qui expliquerait pourquoi la région de Cité Soleil ne peut être contrôlée par les forces des Nations Unies? Et lorsque vous parlez de ressources, si vous aviez suffisamment de personnel dans les forces policières et judiciaires, croyez-vous que Cité Soleil existerait?
    Je serais ravi d'entendre vos réponses.
(1745)
    Nous n'avons pas parlé de la taille des forces armées. Nous pouvons en parler, mais j'aimerais mieux me concentrer sur les ressources policières. Nous avons ajouté près de 2 000 policiers formés au cours de la période électorale.
    Plus de 50 p. 100 des ressources policières des Nations Unies sur le terrain sont des unités policières formées. Il s'agit d'unités de maintien de l'ordre, et c'est seulement des agents policiers paramilitaires, qui se trouvent à Haïti pour une raison opérationnelle, soit celle de procurer une sécurité. Ils ne sont pas là pour aider au développement. Il n'y en a qu'une poignée qui parlent français parmi les mille agents. Ils viennent de la Jordanie, du Pakistan, de la Chine ou du Népal. Il s'agit d'unités policières formées, de groupes paramilitaires qui travaillent dans les rues et dans les régions urbaines pour fournir de la sécurité. En ce qui concerne les Nations Unies, ces forces n'offrent aucune capacité de développement.
    Parmi ces 900 ou 1 000 agents, presque aucun ne parle le français. En fait probablement environ 60 p. 100 des 900 parlent un peu le français, du moins c'est ce que j'ai conclu lorsque je me trouvais à Haïti. Et je sais que la situation ne s'est pas améliorée. Une bonne partie des agents viennent de pays qui les ont fort généreusement envoyés à la mission des Nations Unies. Pour être honnête, la plupart d'entre eux n'ont pas beaucoup plus d'expérience, de formation ou de connaissances que les Haïtiens qu'ils sont censés aider.
    Voilà la réalité de la mission policière des Nations Unies en Haïti. Pour être franc, cette réalité se retrouve dans plusieurs missions des Nations Unies.
    Soyez succinct, monsieur Goldring.
    Croyez-vous que notre lacune d'un tiers du personnel aura une influence dramatique sur l'opération? Croyez-vous que cela aiderait beaucoup d'avoir un engagement complet de la part du Canada, en raison du nombre de Canadiens qui parlent français, voire créole?
    Nous sommes en fait une des seules factions bilingues. Alors nous pouvons parler avec les gens qui ne sont ni anglophones ni francophones.
    C'est quelque chose d'important. Nous travaillons fort au sein de la GRC pour augmenter cet engagement. Nous nous trouvons aux prises avec une période de transition. Dans le passé, nous avons déployé nos forces dans des missions de maintien de la paix, sur une base ponctuelle, et cela présentait une véritable contrainte pour nos ressources nationales. Nous avons travaillé avec le gouvernement au cours de la dernière année pour trouver un financement permanent aux opérations de maintien de la paix. Ce processus va de l'avant assez rapidement. Mais nous nous trouvons tous aux prises avec cette période de transition. Nous allons devoir nous prendre en main et nous engager à ce qu'il y ait du personnel sur le terrain au cours de la période de transition.
(1750)
    Merci, monsieur Beer.
    Madame Bourgeois, vous pouvez poser la dernière question.

[Français]

    Merci, monsieur le président.
    Madame et messieurs, merci d'être là. Votre présentation est très intéressante.
    Monsieur Beer, je voudrais d'abord vous féliciter pour la franchise avec laquelle vous nous avez expliqué les problèmes vécus par les policiers ou la Gendarmerie royale du Canada là-bas. J'avais d'ailleurs posé une question à M. Thompson, qui vous précédait, pour savoir pourquoi on n'avait pas de résultats probants. Je vous trouve peu positif, je vais donc m'adresser à Mme Laporte.
    Madame Laporte, je connais le travail que font les représentants de l'ACDI sur le terrain, puisque j'étais porte-parole de l'ACDI pour le Bloc québécois, et je ne voudrais pas que vous preniez mes questions comme un désaveu de l'ACDI. Je veux seulement comprendre ce qui s'est passé.
    En Haïti, l'impunité et la corruption existent depuis longtemps. J'ai un ami qui y est allé en 2000 pour y faire une thèse de doctorat et qui est revenu en disant que le système y est pourri et l'impunité, omniprésente. À l'endroit où il se trouvait, il y avait environ 5 000 policiers pour 8 millions d'habitants. Les gens qualifiaient cette situation d'épouvantable.
    Comme ce n'est pas d'hier que l'ACDI est présente en Haïti et que je connais suffisamment ses représentants pour savoir qu'ils sont habituellement très au fait de ce qui se passe sur le terrain, comment se fait-il qu'elle ait quand même continué à investir en Haïti? Elle s'est désengagée graduellement et s'est de moins en moins investie financièrement, mais elle y a quand même investi. N'avions-nous pas une obligation de résultats?
    Dans une récente annonce faite le 1er mai 2006, la ministre a dit que l'ACDI investira 48 millions de dollars en Haïti. Vingt millions de dollars seront alloués au programme de développement local en vue d'aider les collectivités à prendre en charge le développement socio-économique, et 5 millions de dollars seront consacrés à l'appui à la démocratie.
    Il existe deux grands problèmes en Haïti. Les gens doivent trouver le moyen de se nourrir. Donc, le premier problème est celui de l'agriculture. Le deuxième problème est celui de la sécurité.
    N'est-il pas bizarre de consacrer 20 millions de dollars au développement socio-économique afin de promouvoir la petite entreprise et seulement 5 millions de dollars à la démocratie, quand on sait que celle-ci représente un gros problème? Vous disiez d'ailleurs plus tôt qu'il n'y avait pas de développement sans sécurité, ni sécurité sans développement.
    Quelles garanties officielles avons-nous que cette fois-ci, cela fonctionnera? Vous avez donné tout à l'heure des garanties, mais y en a-t-il d'autres? Avons-nous des garanties de la Banque mondiale, du Fonds monétaire international, de l'ONU, ou si on se dit que Préval va poser tel et tel geste?
    J'ai constaté qu'il s'agissait d'une déclaration conjointe faite par l'ACDI et la GRC. Peut-on exercer des pressions pour que cela marche?

[Traduction]

    Merci, madame Bourgeois, de cet excellent discours.

[Français]

    J'avais quatre questions. Il fallait les mettre ensemble.

[Traduction]

    Madame Laporte et monsieur Beer, monsieur le surintendant.

[Français]

    En ce qui concerne la question de la corruption, certes, nous sommes constamment au courant de ces situations, de la culture d'impunité qui existe. Cette culture est en train de changer très doucement. Je pense que pour l'instant, c'est une approche à petits pas. J'ai fait allusion au fait que le directeur général de la police nationale a traité quelques cas difficiles. Nous pensons que d'autres se présenteront. Vous comprendrez que pour des raisons de succès des opérations, nous ne les annonçons pas à l'avance. Il doit utiliser quelques cas modèles à très haut niveau pour envoyer des signaux forts au reste de la population que cette culture d'impunité est en train de changer et de disparaître. Je crois qu'il s'agit là de gestes porteurs pour le futur.
    Il est évident que l'agence, dans la gestion de l'ensemble de ses projets et de sa programmation, dispose pour chaque projet de mesures de réduction des risques. Nous avons des agents de suivi de projets et des mécanismes de contrôle sur le financement pour s'assurer que l'argent soit consacré aux fins prévues et ne finisse pas dans les poches de personnes qui ne devraient pas avoir ces ressources. Nous avons donc des mécanismes de gestion financière très efficaces sur le terrain, assortis d'agents de suivi et de contrôle financiers.
    Nous avons une obligation de résultats pour l'ensemble de nos projets. Lorsqu'on considère l'agrégat du pays, il existe plusieurs facteurs sur lesquels nous n'avons pas un contrôle immédiat et direct. Cela doit se faire par le moyen d'un dialogue politique avec les autres membres de la communauté. Je suis heureuse que vous ayez relevé, entre autres, la Banque mondiale et le Fonds monétaire international.
    Pour donner un appui budgétaire au gouvernement sur un élément de son budget, il faut disposer de mécanismes démontrant que cet argent est destiné aux salaires des policiers, pour prendre cet exemple. La même situation prévaut dans le cas des salaires des enseignants qui ne sont pas payés pendant plusieurs mois. Avant de considérer si nous allons financer ou non un programme, des mesures de contrôle doivent être mises en place.
    En ce qui concerne le développement local, la somme de 48 millions de dollars ne reflète pas le portrait global de l'ensemble de notre coopération. Je pense que vous aurez l'occasion d'entendre Mme Verner, notre ministre, qui comparaîtra la semaine prochaine. Elle va vous parler de l'ensemble de la coopération.
    L'ACDI est essentiellement orientée vers quatre grands secteurs: la gouvernance, la démocratie et les besoins essentiels en santé et en éducation. Nous travaillons également beaucoup, dans le secteur de la relance économique, avec les caisses de crédit pour l'accès au crédit, pour relancer l'économie, ainsi que dans les infrastructures en électricité. Nous travaillons autant avec l'État qu'avec la société civile. Je crois que ce ne sont pas des choix à faire. Il faut examiner l'ensemble de la situation et ce qui est le plus porteur. La communauté des donateurs se concerte pour voir où est notre valeur ajoutée. Le développement local était donc nécessaire.
    Je crois que madame la professeure qui m'a précédée a fait état de l'importance du développement rural. Nous ne voulons pas concentrer tous nos efforts sur Port-au-Prince. Il faut tenir compte des régions.
    Y a-t-il des garanties? Les garanties sont ce qu'elles sont. Nous prenons des mesures et des dispositions pour assurer une saine gestion des fonds. Nous faisons des évaluations en cours de route pour redresser la situation lorsque des difficultés se présentent. Quant à des garanties absolues, il serait présomptueux de ma part d'en donner. Cela fait partie du dialogue politique et des mesures administratives en place.
(1755)

[Traduction]

    Merci, madame Laporte.
    Cela conclut notre séance.
    J'aimerais poser une brève question à M. Beer. Corrigez-moi si je me trompe, mais avons-nous perdu un agent de la GRC en Haïti il y a environ un an?
    M. Bourque travaillait à contrat. Il faisait partie d'un groupe de 25 qui étaient venus à Haïti pour veiller à la sécurité des élections.
    Était-ce un agent de la GRC à la retraite?
    Oui, c'était un agent à la retraite de la GRC. Il a accepté un contrat auprès de l'ACDI et des Affaires étrangères par le biais de CANADEM.
    Vous avez raison, il a été tué en Haïti.
    S'agit-il de la seule perte que nous ayons subie directement en raison de notre participation à Haïti?
    Il s'agit de la seule perte que le Canada ait subie au cours d'une mission de maintien de la paix dans le monde.
    Très bien.
    Merci beaucoup de votre présence. Merci d'être restés un peu plus longtemps. Je remercie le comité.
    La séance est levée.