:
Premièrement, j'aimerais remercier le comité de m'avoir invité à témoigner et de me donner la chance de vous aider dans son travail.
J'ai distribué un résumé d'une page de mes propos. Si jamais mes remarques introductives devaient être écourtées à cause d'un manque de temps, vous aurez au moins là l'essence des différents points que j'aimerais faire valoir. Évidemment, j'ai soumis ce document dans les deux langues officielles.
[Traduction]
Je suis avocat associé au cabinet Ogilvy Renault. Je fais du travail de lutte contre la contrefaçon depuis dix ans. Je coordonne la lutte contre la contrefaçon au Canada et à l'étranger pour le fournisseur vestimentaire Parasuco. Je fais également de même au Canada pour plusieurs marques connues comme Chanel et Lacoste. C'est mon travail quotidien, quand je plaide au tribunal, j'effectue des saisies, je rédige des actes judiciaires ou je négocie avec des adversaires, des auteurs de contrefaçon.
Je suis aussi l'auteur de plusieurs ouvrages, mais les ordonnances de type Anton Piller constituent plus précisément mon principal domaine d'intérêt. Il s'agit d'ordonnances de saisie rendues par les tribunaux canadiens, en particulier par la Cour fédérale du Canada, largement employées dans la lutte contre la contrefaçon.
J'ai un article en anglais et un autre en français, dont j'ai donné des copies à M. Latimer, au cas où les membres du comité voudraient les consulter.
[Français]
En terminant, je suis également le président du Comité anti-contrefaçon de l'Institut de la propriété intellectuelle du Canada. Cela ne surprendra donc sans doute personne de voir de quel côté je me situe sur cette question.
[Traduction]
Je suis ici à titre de praticien juridique du secteur privé. Vous entendrez plus tard l'Institut de la propriété intellectuelle du Canada. Vous entendrez aussi, à une autre occasion, le Canadian Anti-Counterfeiting Network. Même si j'appartiens à ces organisations, ce que je peux vous présenter, c'est le point de vue d'un praticien, un coordonnateur des efforts d'anticontrefaçon, et d'un observateur des décisions rendues dans le domaine par la Cour fédérale depuis 25 ans.
Quand j'ai préparé mon témoignage il y a deux semaines, le principal propos que je voulais faire devant vous était de vous montrer les lacunes du droit canadien en matière de lutte contre la contrefaçon. J'étais peut-être en avance sur mon temps parce que quand j'ai lu le compte rendu des réunions du Comité sur la sécurité, je me suis rendu compte qu'avant de poursuivre sur le sujet, qui est résumé dans le document écrit que j'ai remis, il fallait sans doute que j'aborde d'autres questions plus fondamentales.
D'aucuns vous diront peut-être que la contrefaçon, ce n'est pas une grosse affaire — que la contrefaçon ne touche pas les entreprises canadiennes ou ne touche pas sérieusement les entreprises canadiennes. J'ai aussi lu dans certains comptes rendus que personne n'est dupe, parce que les contrefaçons sont vendues à un prix si bas que l'acheteur sait qu'il achète un faux. Il faut que j'aborde ces points avant de pouvoir vous dire en quoi nos lois sont déficientes.
Le pays a adopté des lois pour protéger la propriété intellectuelle, dont les bases sont le respect de la propriété et l'encouragement à innover. La contrefaçon est un type particulier d'infractions que les lois actuelles ne sont pas bien équipées pour combattre. La contrefaçon devrait-elle être considérée comme moins importante que d'autres types d'infractions à la propriété intellectuelle? Sachant que la contrefaçon cherche à reproduire exactement ce qui est protégé — c'est donc dire qu'il ne s'agit pas d'une infraction par inadvertance, parce que vous avez quelqu'un qui prend une marque et la reproduit à l'identique sur un produit qui n'a pas été fabriqué par le propriétaire de la marque — j'avancerais l'idée que la contrefaçon devrait se voir accorder un degré d'importance encore plus grand par le législateur.
En ce qui concerne la contrefaçon visant les entreprises canadiennes, un des clients de notre cabinet est Parasuco, une compagnie qui dessine, fabrique et vend des vêtements de pointe au Canada depuis 1975. Salvatore Parasuco compte 250 employés répartis d'un bout à l'autre du Canada, mais surtout en Ontario, au Québec et en Colombie-Britannique. Il est le premier créateur canadien à avoir été mis en vedette à la semaine de la mode de Milan, en Italie, et je crois qu'il est une véritable source de fierté nationale.
Parasuco est victime de la contrefaçon. La marque est un succès; de plus en plus de gens se l'arrachent et nous avons observé des cas de contrefaçon sur le marché canadien. Je ne vous mentionnerai même pas les cas de gens dans d'autres pays qui essaient d'enregistrer la marque Parasuco; le comité n'a évidemment aucune compétence en la matière.
Le tort subi ici par Parasuco se décline en ventes perdues, mais ce n'est pas tout; il y a aussi la défection des clients, c'est-à-dire lorsque celui qui achète l'article authentique cesse de le faire parce que la marque a perdu de son cachet ou de son attrait à cause de sa distribution massive. Pour l'État, évidemment, il y a perte de recettes fiscales.
Je voudrais vous signaler un autre préjudice venant de quelqu'un qui travaille dans le domaine des marques de commerce chaque jour, en tant que praticien. Quand un article contrefait est vendu, la marque Parasuco perd son caractère distinctif.
Voici ce qui se passe. Notre Loi sur les marques de commerce prévoit que la marque de commerce a pour fonction d'identifier l'origine d'une produit. D'une certaine façon, il s'agissait sans doute de la première loi de protection du consommateur. La marque a pour but d'indiquer au consommateur qu'il peut se fier à la marque et qu'elle indique bien que le produit provient d'une source donnée. Eh bien, si une foule de gens se mettent à se servir de la même marque de commerce, elle ne remplit plus sa fonction distinctive. Elle n'établit pas que le produit provient d'une source donnée.
[Français]
Je peux vous donner un exemple. Pour les Montréalais ou pour les gens dans la salle qui connaissent Montréal, il y a là-bas un concessionnaire automobile qui s'appelle Decarie Motors. Or, la marque Decarie Motors a été radiée du registre des marques de commerce en 2000 en vertu d'une ordonnance de la Cour d'appel fédérale, justement parce que trop de gens se servaient de la marque Decarie. La marque avait donc perdu sa capacité de distinguer la source. Donc, en matière de contrefaçon, le fait que quelqu'un reproduise la marque de commerce de quelqu'un d'autre nuit aux droits mêmes du titulaire de la marque de commerce.
[Traduction]
Je parle du tort causé à un fabricant canadien. Des gens diront que nombre de ces marques de commerce célèbres sont également détenues par des étrangers, alors pourquoi est-ce si important et pourquoi devrions-nous être préoccupés? Eh bien, les détenteurs étrangers des droits embauchent souvent des Canadiens, à titre de distributeurs indépendants ou d'employés; ainsi la contrefaçon a également des répercussions à cet égard.
J'aimerais soulever un dernier point avant de parler des changements de fond à apporter. Lorsque j'entends des gens dire que personne n'est dupe parce que les contrefaçons sont vendues à des prix tellement bas que l'acheteur doit savoir qu'il achète un faux, je réponds que quiconque travaille dans le domaine vous dira que le nombre d'articles contrefaits sur le marché augmente considérablement tout juste avant Noël. Pourquoi? Parce que les gens sont trop occupés à acheter des cadeaux de Noël pour leurs proches.
Je propose que si l'acheteur n'est pas dupe — et j'en profite pour vous dire que je ne souscris pas à cette position; je crois que certaines personnes sont véritablement dupes. Mais supposons, aux fins de l'argument, que l'acheteur n'est pas dupe. Je peux vous assurer que lorsque l'acheteur offre ces faux en cadeau le matin de Noël, il ne dit pas : « Chérie, n'aimes-tu pas le faux maillot Lacoste que je t'ai acheté? » Je tiens à ajouter qu'en décembre dernier, j'ai dirigé à Montréal une saisie 10 jours avant Noël de plus de 700 articles de vêtements Lacoste contrefaits.
Pour ce qui est d'être dupe, ce n'est pas seulement la personne qui reçoit le produit qui est dupe, mais bien le public dans l'ensemble. Quiconque voit des vêtements de qualité inférieure portant une marque de commerce croira que cette marque de commerce n'est plus synonyme de qualité. Au bout du compte, ce phénomène mène à la dépréciation du marché.
Comme le temps qui m'est accordé est limité, mes propositions de réforme législative sont énoncées dans mon mémoire. En voici tout de même les points saillants.
Pour ce qui est des poursuites au criminel, la GRC et les procureurs de la Couronne prennent des mesures seulement conformément à la Loi sur le droit d'auteur, et non conformément à la Loi sur les marques de commerce, parce qu'il n'y a pas de dispositions criminelles dans la Loi sur les marques de commerce. Il faut apporter des changements. La contrefaçon doit être criminalisée. Pourquoi? Parce que les contrefacteurs ne sont pas régulièrement parties à des litiges. Leurs opérations sont secrètes, et ils font disparaître les biens et les preuves. Ils ne sont pas des récidivistes dans le processus judiciaire, ce qui est un indicateur de bonne foi.
Du point de vue de la collaboration, la GRC et les douanes doivent échanger davantage d'information. Nous avons besoin de mesures plus sévères à la frontière. Dans le cadre du système actuel, il faut cibler une cargaison et obtenir une ordonnance d'un tribunal pour pouvoir bloquer l'entrée des marchandises, ce qui ne fonctionne pas.
Finalement, pour ce qui est de la dissuasion, nous avons besoin de peines plus sévères. Si j'ai du temps plus tard, je pourrai parler des dommages et intérêts accordés par la Cour fédérale, lesquels sont très limités.
Je vous remercie.
:
Merci, monsieur le président.
Bonjour. Je m'appelle Michael Geist et je suis professeur de droit à la faculté de droit de l'Université d'Ottawa, où je suis titulaire de la Chaire de recherche du Canada en droit d'Internet et du commerce électronique. Je suis également chroniqueur hebdomadaire affilié sur les questions de droit et de technologie pour le Toronto Star et le Ottawa Citizen.
Comme je l'ai déclaré dans mon introduction lors de ma dernière comparution devant vous, dans le cadre de votre examen sur la réforme des télécommunications, je me présente devant le comité aujourd'hui à titre personnel afin d'exprimer mes propres opinions seulement.
J'ai comparu la semaine dernière devant le Comité permanent de la protection civile et de la sécurité nationale au sujet de la contrefaçon. Plutôt que de simplement répéter les propos que j'ai tenus alors, j'ai fourni à votre comité une copie des commentaires que j'avais préparés, et la transcription complète de mon témoignage sera, je crois, bientôt disponible.
J'aimerais toutefois réitérer brièvement quatre points dont j'ai parlé la semaine dernière, puis j'aborderai deux autres thèmes.
Premièrement — et je reconnais qu'il s'agit d'une évidence —, la contrefaçon est une pratique que toute personne un tant soit peu crédible ne saurait appuyer. Alors que M. Drapeau évoque la possibilité d'être d'un côté ou de l'autre de la clôture, les gens sont, sur cette question, tous du même côté. Il n'y a pas un bon et un mauvais aspect de la contrefaçon; tout le monde reconnaît, à mon avis, qu'elle est inacceptable. Au pire, la contrefaçon peut poser un danger à la sécurité publique. Même présentée sous le jour le plus avantageux possible — lorsqu'elle peut sembler relativement inoffensive —, la contrefaçon est une pratique qu'on ne peut pas tolérer.
Toutefois, il ne s'agit pas de déterminer si la contrefaçon est bonne ou mauvaise, mais si elle mérite une réponse législative forte. Pour moi, cela dépend de deux choses : premièrement, la situation de la contrefaçon au Canada; deuxièmement, I'état du droit canadien en matière de lutte à la contrefaçon. Sur ces deux points, j'allègue que la situation est loin d'être aussi évidente. En effet, une fois que I' on a mis de côté les accessoires accrocheurs pour plonger dans les détails, il devient évident, selon moi, qu'il y a beaucoup de choses que nous ignorons.
Deuxièmement, j'estime que dans le dossier de la contrefaçon, c'est à la sécurité publique et à la question de la sécurité en général qu'il faudrait accorder la priorité. En tant que père de trois jeunes enfants, moi aussi je trouve très inquiétantes les histoires de batteries qui explosent et de médicaments contrefaits. Cela dit, je souligne que, selon la GRC, il est extrêmement rare que des produits de contrefaçon causent des dommages physiques importants. En fait, le cas soulevé récemment en Colombie-Britannique qui mettrait en cause de faux produits pharmaceutiques ayant supposément provoqué le décès d'une femme est la première affaire de cette nature jamais signalée au Canada.
Troisièmement, même si je reconnais que l'on s'impatiente devant ce qu'on perçoit comme de l'inaction, je tiens à réitérer que le droit canadien ne laisse pas les services de police impuissants. Le Canada respecte les obligations internationales en matière de droits d'auteur. De plus, les affirmations selon lesquelles la police ne fait rien nuisent grandement au travail des agents chargés de l'application de la loi qui combattent activement le crime contre la propriété intellectuelle (PI) sur l'ensemble du territoire canadien.
En effet, la GRC fait remarquer que, entre 2001 et 2004, elle a effectué plus de 1 800 enquêtes et porté des accusations contre 2 200 particuliers et plus de 100 entreprises. Selon une mise à jour obtenue la semaine dernière pour le comité, la GRC a porté en 2005 plus de 700 accusations. Avec, grosso modo, deux accusations par jour, le Canada a certainement des lois pour lutter contre la contrefaçon et des services de police déterminés à les appliquer.
Quatrièmement, les partisans d'une réforme soutiennent qu'il est nécessaire de s'attaquer au problème de la contrefaçon au Canada, mais nous savons qu'il n'existe pas de remède universel. En fait, l'expérience de l'étranger montre que la plupart des mesures de lutte contre les contrefaçons sont remarquablement inefficaces. La preuve se trouve dans les données — la contrefaçon est largement perçue comme un phénomène international en pleine croissance, même dans les pays qui ont pris des mesures plus sévères aux frontières ou qui imposent des sanctions pénales. Il est vrai que malgré les mesures américaines, il est plus facile de se procurer des produits de contrefaçon à Manhattan qu'à Markham, où se trouve le fameux centre commercial Pacific Mall.
Ce que nous savons, du moins, c'est que de nombreuses réformes législatives ne feront rien de plus que de donner l'illusion que l'on s'attaque au problème de la contrefaçon.
Après cette mise en contexte, j'aimerais maintenant consacrer le reste de mon témoignage à deux autres points.
Parlons tout d'abord des données incohérentes. À mon avis, le comité pourrait faire sérieusement progresser la lutte à la contrefaçon en préconisant la collecte de données plus exactes et indépendantes. Comme vous le savez sans doute, la GRC reconnaît qu'il n'existe aucune étude exhaustive et indépendante sur la contrefaçon.
Même si nous savons que seule une infime partie des produits contrefaits sont fabriqués au Canada, que le crime organisé est impliqué dans certaines activités de contrefaçon — mais certainement pas toutes — et que les produits de contrefaçon ne sont pas des substituts parfaits aux originaux, mon opinion diffère de celle des autres membres du groupe. Je pense qu'il est assez évident qu'une personne qui achète une fausse montre Rolex à dix dollars sait bien qu'il ne s'agit pas de la Rolex authentique qui coûte 5 000 $ et ne s'attend pas à ce que les deux s'équivalent.
Prenons, par exemple, la question des enregistrements vidéo dans les salles de cinéma canadiennes et les allégations selon lesquelles le Canada serait un chef de file mondial en matière de DVD piratés. Un peu plus tôt cette année, on a affirmé que le Canada était responsable de la moitié des films enregistrés dans les salles de cinéma qui étaient ensuite vendus dans le monde entier sous forme de DVD piratés. Dans les semaines qui ont suivi, des sources industrielles ont commencé à modifier cette proportion en disant qu'en fait, il s'agissait de 20 p. 100, ensuite de 23 p. 100, puis de 30 p. 100 ou 40 p. 100. Ce matin même, un rapport publié à New York indiquait que cette ville était à l'origine de 40 p. 100 de l'ensemble des films piratés vendus dans le monde entier.
La réalité, à mon avis, c'est qu'on n'en sait rien. En fait, des données de l'industrie que j'ai consultées établiraient la proportion des contrefaçons à 3 p. 100 de l'ensemble des films vendus, et non pas à 50 p. 100 comme on l'a dit.
En outre, les films canadiens ne seraient guère touchés et le droit canadien en matière de droits d'auteur s'attaque déjà à la question. En effet, l'enregistrement par caméscope de films présentés dans les salles de cinéma constitue une infraction, tandis que l'enregistrement à des fins de distribution peut mener à de lourdes amendes ainsi qu'à des peines d'emprisonnement. Cela montre bien l'importance d'éviter d'adopter des lois par réflexe et de se concentrer plutôt sur la collecte de données indépendantes et fiables.
Deuxièmement, j'aimerais parler un instant de l'absence de liens entre les traités Internet de l'OMPI et la contrefaçon. Je dois dire qu'on a établi un lien que je trouve plutôt surprenant entre la contrefaçon et le fait que le Canada n'a pas encore ratifié les traités Internet de l'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI). Pourtant, il n'y a aucun lien entre les deux. Au contraire, le fait d'avoir inclus les traités Internet de l'OMPI dans le débat nuit à la lutte à la contrefaçon. Je dis cela pour deux raisons.
Premièrement, les traités Internet de l'OMPI sont principalement fondés sur des dispositions anti-contournement visant à protéger juridiquement les mesures de protection technologiques. De telles dispositions ne contribuent en rien à mettre un terme à la contrefaçon de produits pharmaceutiques, de vêtements, de sacs à main, de montres et des dizaines d'autres produits ciblés. Elles ne contribuent en rien à enrayer le piratage de DVD et de CD, puisque la contrefaçon commerciale n'est nullement abordée dans les traités.
Ensuite, les traités Internet de l'OMPI sont extrêmement controversés. Ces derniers mois, les entreprises canadiennes de sécurité ont exprimé publiquement leur opposition; quatre commissaires canadiens à la protection de la vie privée ont exprimé leurs réserves; des consommateurs ont fait connaître leur profonde inquiétude quant aux conséquences potentielles de ces traités et, enfin, de nombreux groupes d'artistes se sont eux-mêmes inscrits en faux contre leur ratification. Même l'auteur américain des traités a admis qu'ils avaient échoué.
En incluant les traités dans le débat sur la contrefaçon, on provoque une controverse inutile. Le comité aurait avantage à s'éloigner de cette voie en affirmant clairement que le problème de la contrefaçon doit être abordé de façon indépendante des traités Internet de l'OMPI et des questions générales de réforme du droit d'auteur.
En conclusion, je dirais encore une fois que personne n'approuve la contrefaçon, mais j'estime qu'il faudrait favoriser une approche raisonnée et efficace fondée sur des données solides et des objectifs réalistes. Je crains qu'une partie des réformes envisageables au Canada ne fassent guère progresser la lutte contre les véritables problèmes posés par la contrefaçon dans notre pays.
Merci.
:
Merci beaucoup, mesdames et messieurs.
Je m'appelle Michael Erdle et je suis l'associé directeur du cabinet d'avocats Deeth Williams Wall, à Toronto. Je suis également président de l'Institut canadien de la propriété intellectuelle.
[Français]
Je suis très heureux d'avoir l'occasion d'être ici, devant le comité, aujourd'hui. J'aurais préféré m'adresser au comité en anglais et en français, mais mes filles, qui sont à l'aise en français, m'ont entendu parler en français et m'ont conseillé de faire ma présentation en anglais. Je suis certain que vous serez tous d'accord.
[Traduction]
Je suis venu témoigner devant vous aujourd'hui pour vous expliquer les raisons pour lesquelles notre institut estime que la contrefaçon et le piratage de la propriété intellectuelle constituent un problème très grave. Nous croyons que le gouvernement du Canada devrait prendre des mesures pour corriger ce problème, dans l'intérêt de tous les Canadiens.
Je suis accompagné aujourd'hui de Michel Gérin, qui est directeur exécutif de l'institut.
J'ai trois arguments principaux à vous présenter aujourd'hui.
Tout d'abord, il existe une différence fondamentale entre la violation de la propriété intellectuelle et la contrefaçon. Comme l'a dit M. Geist, nous sommes tous du même avis en ce qui concerne la contrefaçon, mais permettez-moi de vous l'expliquer un peu davantage.
Deuxièmement, nous croyons que les lois du Canada sont généralement suffisantes pour les cas d'infractions ordinaires, mais pas pour les cas de contrefaçon.
Troisièmement, il faut renforcer les contrôles à la frontière, infliger des peines criminelles efficaces et prévoir des recours juridiques plus efficaces pour lutter contre la contrefaçon et le piratage.
Mais avant d'aller plus loin, permettez-moi de vous donner un bref aperçu de l'Institut de la propriété intellectuelle du Canada. Cet institut, également connu sous l'acronyme IPIC, est l'association nationale des professionnels de la propriété intellectuelle. L'IPIC compte environ 1 700 membres. M. Drapeau et M. Geist sont tous les deux membres de l'institut. Nous représentons la vaste majorité des agents de brevets, des agents de marques de commerce et des avocats du domaine de la propriété intellectuelle. Nos membres travaillent dans le secteur privé, au sein de cabinets d'avocats ou d'agences de toutes tailles. Ils travaillent également pour des entreprises, pour le gouvernement, pour des universités, pour des hôpitaux et pour une vaste gamme d'organisations. Pour ma part, j'ai exercé pendant presque 20 ans le droit, mais exclusivement dans le domaine de la technologie et de la propriété intellectuelle.
Nos membres aident les titulaires de droits de propriété intellectuelle à obtenir des brevets et des marques de commerce, ainsi que d'autres droits en matière de propriété intellectuelle. Nous représentons les demandeurs devant les tribunaux — il s'agit généralement des titulaires de droits de propriété intellectuelle — de même que les accusés, contre qui des allégations d'infractions ont été faites. Nos membres se trouvent des deux côtés d'à peu près tous les dossiers de propriété intellectuelle au Canada. Je ne suis donc pas venu défendre les intérêts d'un groupe particulier de titulaires de droits de propriété intellectuelle. Je suis ici pour préconiser un cadre solide en matière de propriété intellectuelle, pour l'ensemble du Canada.
Je vais maintenant aller à l'essentiel de mon propos, et j'aimerais pour commencer expliquer la différence entre la violation et la contrefaçon. Cette différence semble parfois se perdre dans le débat qui entoure le piratage et la contrefaçon.
Dans une certaine mesure, la violation de la propriété intellectuelle est un élément relativement normal de la concurrence entre les entreprises. Les inventeurs demandent des brevets pour leurs inventions, et si le produit est une réussite, d'autres essaieront de l'imiter. Ils essaieront aussi d'améliorer le produit. S'ils peuvent y arriver sans violer le brevet, ils le feront. Mais il arrive parfois que certains concurrents vont trop loin, et ils sont alors poursuivis pour violation du brevet. Ce processus pourrait être long et onéreux, mais d'une façon générale, le système donne de bons résultats lorsque les protagonistes sont des concurrents légitimes.
De même, en ce qui concerne les marques de commerce, une entreprise enregistre sa marque pour indiquer la source de ses produits ou de ses services, comme M. Drapeau l'a expliqué. Si ces produits ou ces services sont populaires sur le marché, d'autres essaieront de les imiter. Le titulaire de la marque de commerce peut poursuivre ses concurrents s'il estime que leurs imitations créent de la confusion sur le marché. C'est une sorte de jeu constant qui fait partie d'une concurrence normale.
Dans le cas du droit d'auteur, les titulaires des droits et les utilisateurs essaient constamment de voir jusqu'où ils peuvent aller. Les règles qui régissent le droit d'auteur visent à trouver un juste milieu entre les droits des propriétaires et les droits des utilisateurs, c'est-à-dire les droits de la population, et les nouvelles technologies, les nouvelles utilisations des oeuvres, soulèvent toujours des questions. Ces questions peuvent être résolues par les voies judiciaires habituelles.
Mais dans le cas de la contrefaçon et du piratage, il en va tout autrement. Ce sont tout simplement des formes de vol. Dans bien des cas, le crime organisé y est mêlé; à tout le moins, les criminels sont très organisés dans la façon dont ils effectuent la contrefaçon et le piratage.
Malgré ce que vous avez pu entendre, ce n'est pas un problème qui touche uniquement les articles de luxe. Il ne s'agit pas de fausses montres et de faux sacs à main. Nos membres ont pris part à toutes sortes d'affaires au sujet de biens contrefaits. Vous avez déjà entendu parler du cas des médicaments — M. Geist a mentionné un dossier de ce genre en Colombie-Britannique — qui contiennent un ingrédient nuisible ou qui n'ont tout simplement aucun ingrédient actif. La contrefaçon touche également les pièces d'automobile, les pièces d'aéronef, d'autres produits industriels et des produits électriques. À peu près tous les produits peuvent être contrefaits si quelqu'un estime pouvoir réaliser ainsi un bénéfice, et ces bénéfices sont parfois énormes.
Il ne s'agit pas ici de ce qu'on appelle les produits du marché gris, qui sont des produits légitimes achetés à l'étranger et revendus au Canada. Ce dont nous parlons, ce sont de véritables contrefaçons.
Les importations parallèles sont une autre histoire. Les grossistes et les détaillants qui vendent ces produits peuvent être persuadés de vendre des articles véritables — bien qu'ils devraient avoir des doutes, si ces produits se vendent pour une fraction du prix habituel, mais il est certain que les consommateurs sont trompés. Les consommateurs sont constamment trompés par ces produits.
Dans certains cas, cela pose des problèmes de santé et de sécurité. Personne ne sait vraiment ce que contiennent ces produits. Mais dans tous les cas, il s'agit d'un problème de protection des consommateurs. C'est un problème qui nuit directement à l'innovation au Canada.
Comme votre comité l'a lui-même fait remarquer dans son récent rapport sur le secteur manufacturier, un système solide de propriété intellectuelle est essentiel à notre économie. La contrefaçon et le piratage nuisent aux entreprises canadiennes. Elles font perdre des emplois au Canada — dans le secteur manufacturier, dans la recherche et le développement, et même dans le secteur de la vente au détail. La contrefaçon est un problème grave qui fait du tort au Canada.
Mon deuxième argument, c'est que les recours privés d'exécution des droits de la propriété intellectuelle ne permettent pas de lutter contre la contrefaçon.
Les propriétaires de la propriété intellectuelle ont quatre grands problèmes en matière d'exécution privée de leurs droits. Pour commencer, ils doivent trouver les contrefacteurs. Deuxièmement, ils doivent obtenir des injonctions pour que ces derniers mettent fin à leurs activités. Troisièmement, ils doivent saisir les produits contrefaits et les retirer du marché. Quatrièmement, ils doivent faire appliquer une ordonnance judiciaire et recouvrer les dommages et intérêts qui leur sont accordés.
Les produits contrefaits ne portent pas le nom et l'adresse des contrefacteurs. Ceux-ci peuvent se trouver n'importe où. Les produits traversent la frontière par pleins conteneurs. Ils sont vendus très rapidement. Les logiciels, les films, les CD de musique et autres choses de ce genre peuvent être piratés et produits en grande quantité au moyen d'appareils que n'importe qui peut se procurer dans n'importe quel magasin d'appareils électroniques.
Lorsqu'un propriétaire de propriété intellectuelle découvre les contrefaçons, il doit d'abord s'adresser au tribunal pour obtenir une injonction visant à mettre fin à l'activité de contrefaçon avant d'entamer un procès. Mais cela est très difficile. Le tribunal peut décider que le versement de dommages et intérêts pécuniaires suffit. Il faut ensuite entamer un procès. Le propriétaire de la propriété intellectuelle ne recouvre jamais tous les frais qu'il a dû payer, non plus que les dommages et intérêts.
Les propriétaires doivent aussi obtenir des ordonnances judiciaires pour saisir les biens contrefaits. Pour cela, ils doivent savoir où ces biens se trouvent, mais ils ne peuvent obtenir d'ordonnance du tribunal tant qu'ils ne savent pas où les biens se trouvent et qu'ils ne peuvent prouver qu'il s'agit de contrefaçons. Et ils ne peuvent prouver que ces biens sont contrefaits sans obtenir d'abord une ordonnance judiciaire. C'est un cercle vicieux.
Enfin, si le tribunal fait droit à la demande du propriétaire de la propriété intellectuelle et que celui-ci obtient des dommages et intérêts, parfois après des mois ou des années d'efforts, il lui est à peu près impossible de recouvrer ses dommages et intérêts. Dans la plupart des cas, le défendeur est une société fictive qui n'a aucun actif. Le contrefacteur peut créer une autre entreprise fictive et reprendre ses activités en moins de 24 heures.
Permettez-moi de vous donner un exemple typique, à partir de ma propre expérience. Mon cabinet représente un grand fabricant canadien d'automobiles. L'année dernière, ce fabricant a découvert que quelqu'un vendait sur Internet des pièces de rechange contrefaites. Il a fallu plus de six mois pour retracer le contrefacteur. Son adresse Web et les documents d'enregistrement de l'entreprise en Ontario étaient faux. Il a fallu ensuite signifier une déclaration. Enfin, nous avons dû retenir les services d'un détective privé pour découvrir où habitait le propriétaire de l'entreprise. Nous avons dû nous contenter d'un jugement par défaut, puisque l'accusé n'a jamais déposé de défense.
En fin de compte, nous avons réussi à faire fermer le site Web. Mais il n'y a eu aucune indemnisation financière au titre des biens qui avaient été vendus, à peine deux ou trois mille dollars en frais juridiques, ce qui n'a pas réussi à payer ces frais. Le coupable dit maintenant que son entreprise n'a aucun actif et qu'il est dans l'impossibilité de payer.
Demander à des entreprises privées de faire tout cela par elles-mêmes, c'est un peu comme demander au propriétaire d'une maison de poursuivre en justice un voleur pour récupérer les bijoux ou le stéréo qu'il lui a volés, ou de demander au propriétaire d'une voiture de retrouver la voiture volée et d'obtenir une ordonnance judiciaire pour la récupérer. Nous acceptons tous dans une certaine mesure notre responsabilité personnelle de protéger notre propriété. Nous achetons des verrous pour éviter le vol et nous nous procurons des assurances pour remplacer les articles volés. Par contre, nous nous attendons à ce qu'il y ait des lois contre le vol et à ce que les policiers appliquent ces lois, surtout lorsque le crime organisé est en cause.
Que nous faudrait-il? Eh bien, il nous faut trois choses. Il faut resserrer les contrôles aux frontières. Il faut que les peines infligées en droit pénal soient rigoureuses. Et il nous faut des recours civils plus efficaces.
Je me ferai un plaisir de vous expliquer tout cela plus en détail. Je crois que mon temps est écoulé, mais je répondrai avec plaisir à toutes vos questions.
Merci.
:
Merci, monsieur le président.
J'ai été agréablement surpris — agréable est un grand mot, mais surpris, oui — par ce que nous a dit M. Geist un peu plus tôt, c'est-à-dire qu'il n'y a pas de remède international concernant la propriété intellectuelle.
On a tout un problème. Je ne sais pas de quelle façon nous pourrons le régler. Je vous ai écouté parler tous les trois. On a peut-être des cadres législatifs, des mesures d'urgence, des mesures plus musclées aux douanes, des brevets, etc.
Vous parlez aussi d'un « Seuil minimum obligatoire avec discrétion judiciaire pour augmenter Ie montant des dommages pré-établis ».
Que peut-on faire vraiment pour aider ces gens? Selon vous, les copies de propriété intellectuelle engendrent combien de pertes financières au Canada chaque année? Combien d'argent les entreprises perdent-elles au pays?
Ensuite, quelle est la meilleure chose que l'on pourrait faire pour protéger ces industries? Faut-il aller à la source? Doit-on s'adresser aux entreprises ou aux magasins qui vendent ces produits? Où peut-on trouver une solution?
J'ai compris, d'après vos propos, qu'il n'y a pas de façon probante d'agir, mais où peut-on débuter pour donner un coup de barre. On ne va peut-être pas enrayer le problème, car j'ai pu comprendre qu'il est assez irritant, en ce sens qu'on ne peut pas trouver un coupable. Je me demande où on pourrait commencer pour aider ces entreprises à garder leur propriété intellectuelle.
J'aimerais vous entendre tous les trois à ce sujet. Quelle est la meilleure piste? Quelle est la meilleure direction à suivre pour arrêter ce phénomène ou, à tout le moins, pour le modérer?
Je ne vais pas répondre à la partie de votre question portant sur l'ampleur du problème. Le fait est que j'ai un problème que je dois régler. À lui seul, le problème de la contrefaçon m'occupe pratiquement à plein temps. Si j'en juge simplement par le temps que je dois y consacrer, je pense que ça donne une indication de la gravité du problème. Cependant, je ne peux pas vous en dire davantage, ni vous citer de chiffres.
Cependant, en ce qui concerne
[Français]
ce qu'il faut faire pour ouvrir le bal afin d'enrayer ce problème ou, à tout le moins, pour le contrôler, je vais vous faire quelques suggestions.
La première concerne les mesures aux douanes. Ces produits, en règle générale, ne sont pas fabriqués au Canada, mais à l'extérieur du pays. Les douanes jouent donc un rôle crucial. Dans ce contexte, comme je l'ai déjà dit, il faut une plus grande communication entre les titulaires de droits et les douanes.
Deuxièmement, en ce qui a trait au cadre législatif,
[Traduction]
au Canada, nous avons un système très bizarre. Nous avons, d'une part, les marques de commerce et, d'autre part, le droit d'auteur. Lorsqu'on les considère séparément, on peut comprendre pourquoi les deux systèmes ne sont pas identiques. Mais lorsqu'on est en présence de contrefaçons, les deux devraient s'appliquer également.
Voici certaines des différences entre la marque de commerce et le droit d'auteur. Afin que chacun sache de quoi je parle, une marque de commerce c'est, par exemple, Lacoste, Chanel. Ce sont des marques de commerce. Un droit d'auteur s'applique à une oeuvre d'art, à une oeuvre de création qui est protégée par le droit d'auteur. Par exemple, l'alligator que l'on voit sur les polos Lacoste est protégé par le droit d'auteur. Il se trouve également que c'est une marque de commerce.
Idéalement, bien sûr, les deux protections devraient s'appliquer en même temps. Toutefois, s'il n'y a qu'une protection qui s'applique, la Loi sur le droit d'auteur admet que l'accusé plaide la bonne foi, il peut donc dire qu'il n'avait aucun moyen de savoir qu'il s'agissait d'une contrefaçon et se tirer d'affaire. En vertu de la Loi sur les marques de commerce, il n'y a pas de dommages préétablis. Lorsqu'une personne est reconnue coupable d'une infraction à la Loi sur le droit d'auteur, le tribunal peut accorder des dommages-intérêts sans qu'il soit nécessaire de prouver que le propriétaire légitime a véritablement subi des dommages. C'est le concept des dommages préétablis. Cela n'existe pas dans la Loi sur les marques de commerce. C'est une restriction très importante.
En outre, comme je l'ai déjà mentionné, la GRC et la Couronne n'intenteront pas de poursuites dans des affaires de marques de commerce, mais le feront pour des affaires touchant le droit d'auteur. Je pense que cette différence entre les deux lois constitue un grave problème.
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Vous avez soulevé un certain nombre de points.
J'ignore où se trouvent tous les articles contrefaits. Je peux vous dire qu'il y en a pas mal dans mon bureau; ils sont vendus sur le marché.
Pourquoi devrions-nous avoir une protection plus solide? Parlons des autres pays. Pour ceux d'entre vous qui ont été à l'aéroport Charles De Gaulle à Paris, il y a effectivement des panneaux à l'aéroport Charles De Gaulle qui indiquent que si vous arrivez au pays avec un sac à main contrefait — non seulement à des fins d'importation ou de revente, mais à des fins d'utilisation personnelle, les douaniers sont autorisés à le confisquer.
Je ne considère pas que le problème soit tout aussi grave dans d'autres pays. Tout d'abord, il faut examiner la situation de chaque pays. Il y a des pays qui comptent des populations plus importantes. Il y a des pays qui font l'objet d'une demande plus importante. Je pense qu'il est très difficile de comparer la situation d'un pays à l'autre. Ce que je sais, c'est qu'au Canada, nous avons un problème en ce qui concerne la contrefaçon.
Vous m'avez demandé pourquoi devrions-nous agir pour régler ce problème? Est-ce uniquement pour qu'on nous retire de la liste des États-Unis? Et pour ceux qui ne sont pas au courant de la situation, les États-Unis ont dressé une liste des pays qu'ils considèrent insuffisamment proactifs en matière de propriété intellectuelle. Nous figurons sur la liste en question.
Je n'ai pas abordé cet aspect dans mon témoignage pour une raison précise: nous considérons que nous devons prendre des mesures fermes de lutte contre la contrefaçon pas parce qu'un autre pays nous dit de le faire; nous devons le faire en fonction de nos propres valeurs. Nous ne voulons pas vivre dans une société qui accepte la tricherie, qui accepte le mensonge, qui accepte que l'on vende des produits contrefaits. Ce n'est pas la façon dont j'ai été élevé, et je suis sûr que ce n'est pas la façon dont la grande majorité des personnes ici présentes ont été élevées.
Il vous incombe, en tant que législateurs, de vous assurer de préserver l'intégrité de cette culture. J'ignore comment se développe une culture dans un pays, mais cela en représente probablement un aspect.
Je tiens à poser des questions à M. Geist. Dans le domaine des valeurs — et je comprends sans peine que la santé et la sécurité soient prioritaires —, je me demande si mon raisonnement se tient. J'achète souvent à mon fils des pyjamas de Spider Man, mais ce n'est pas parce qu'il adore Spider Man. En fait, il est un peu plus difficile de le coucher maintenant qu'il porte des pyjamas Spider Man car il est un peu plus actif quand il les porte. Si j'achète des pyjamas Spider Man, c'est parce que je pense que pour obtenir de Walt Disney ou d'une autre entreprise l'autorisation d'apposer le logo Spider Man sur ces produits, le fabricant de pyjamas doit respecter certaines normes, par exemple, utiliser des tissus ignifuges. Autrement dit, le fait que le fabricant doive respecter les droits de propriété intellectuelle du titulaire de la licence, du droit d'auteur ou de la marque de commerce a pour effet de rehausser à mes yeux la qualité du produit que j'achète. En achetant une copie frauduleuse, dont le fabricant viole le droit d'auteur ou la marque de commerce, j'aurais l'impression de compromettre la santé et la sécurité de mon fils parce que je n'aurais plus l'impression que le tissu utilisé est ignifuge.
Les décisions que je prends en tant que consommateur n'ont rien à voir avec les pilules ou l'équipement d'hôpital éventuellement défectueux, sur le fait que des biens de consommation médiocres et laids ne m'inspirent pas confiance, car je tiens à avoir l'assurance que les entreprises dont j'achète les produits n'exploitent pas des enfants. Toute violation des droits d'auteur ou d'une marque de commerce me porte à me méfier en tant que consommateur parce que je ne sais comment ces produits sont fabriqués.
Enfin, vous dites que 90 p. 100 des produits contrefaits que l'on trouve au Canada viennent d'autres pays. L'industrie canadienne est réglementée à outrance. Les entreprises canadiennes se conforment volontairement à différentes normes de certification. Comment pourrais-je être en mesure de juger de ce qui devrait être prioritaire, même dans le cas des produits de consommation les plus médiocres?
J'ai donné trois exemples où des questions de santé et de sécurité pourraient se poser, ce qui va à l'encontre de mon échelle de valeur sociale. De plus, en achetant un produit contrefait, je mine les efforts des entreprises de mon propre pays pour établir des normes plus rigoureuses et je me trouve à contribuer dans les faits à l'érosion de ces normes.
Monsieur Geist, que répondez-vous aux observations que je viens de faire?
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Vous avez soulevé beaucoup d'aspects dans cette question.
En ce qui concerne votre question relative au rapport spécial 301, je trouve que vous avez raison. Le fait est que les États-Unis ne respectent pas intégralement eux-mêmes leurs obligations internationales en matière de droit d'auteur; ainsi, si on dressait la liste des contrevenants, les États-Unis pourraient très bien y figurer. Cela dit, l'exercice aurait la même crédibilité que le fait pour les États-Unis de déclarer, après avoir étudié nos lois sur les armes à feu, que ces lois sont trop sévères et que nous devrions faciliter l'accès aux armes à feu. Ou le fait que les États-Unis trouvent nos lois sur la protection de l'environnement trop laxistes. Ce n'est rien de plus que l'opinion d'un pays sur un ensemble de lois car nous nous y conformons vraiment à l'échelle internationale.
Quant aux questions précises que vous avez signalées, nous devrions être prudents et éviter d'associer le fait qu'un produit porte un logo au respect des normes de qualité ou d'une marque de commerce. En effet, dans certains cas l'entreprise qui autorise l'utilisation de son logo tiendra à s'assurer que le produit en question est d'une certaine qualité, mais ce n'est pas vrai dans tous les cas. Cette question n'a vraiment rien à voir avec la qualité.
Il y a problème lorsque quelqu'un ne respecte pas, par exemple, les normes fondamentales de sécurité du Canada. À mon avis, cela devrait être considéré comme de la fraude, si ce n'est pas déjà le cas, et en pareil cas, les corps policiers devraient indéniablement intervenir pour faire cesser de telles pratiques. À mon avis, on aurait tort de penser que l'inscription d'une marque de commerce ou la cession d'un droit d'auteur est une garantie de qualité, car n'importe qui peut revendiquer des droits d'auteur pour tout ce qu'il écrit.
En fait, quand un produit porte le logo de l'Association canadienne de normalisation, c'est un indice de qualité. Il est incontestable par ailleurs que lorsque ce logo est contrefait, il faut prendre des mesures pour corriger le problème.