:
Monsieur le président, honorables membres du comité, vous avez demandé à entendre des témoins concernant toute entente de transfert à d'autres forces de détenus capturés par les Forces canadiennes sur le théâtre d'opérations. C'est avec plaisir que je réponds à cette demande en me présentant devant vous ici aujourd'hui.
Je brosserai un tableau général de l'approche canadienne concernant la question des détenus en Afghanistan, et j'expliquerai les circonstances qui ont amené le Canada à conclure un arrangement sur le transfert des détenus. Je parlerai aussi du rôle joué par le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) et par la Commission indépendante des droits de l'homme en Afghanistan (CIDHA). Enfin, j'aborderai brièvement les efforts que nous déployons pour renforcer les capacités du système correctionnel en Afghanistan.
[Français]
Mon collègue du ministère de la Défense nationale, M. Vincent Rigby, vous expliquera plus en détail le contexte opérationnel en Afghanistan et la façon dont les Forces canadiennes appliquent cet arrangement sur le transfert des détenus.
Je voudrais aussi vous présenter Mme Sabine Nölke, directrice adjointe de la Section du droit onusien, des droits de la personne et du droit humanitaire au ministère des Affaires étrangères et du Commerce international. Elle vous donnera d'autres informations juridiques au sujet de notre politique en matière de détention.
Comme le montrent les récents travaux du comité, l'engagement du Canada en Afghanistan est un dossier qui intéresse beaucoup les Canadiens et les parlementaires. Dans ce contexte, le transfert des détenus en Afghanistan est une question clé qui retient particulièrement l'attention et qui revêt une importance considérable pour le gouvernement.
Comme l'indiquent ma présence et celle de M. Rigby ici, la politique canadienne à cet égard relève de l'ensemble du gouvernement.
[Traduction]
Je vous dirai tout d'abord que le Canada et ses partenaires internationaux font oeuvre utile en Afghanistan. Il est en effet dans notre intérêt à tous de contribuer à faire de l'Afghanistan un pays stable, sûr, démocratique et autosuffisant. Les événements du 11 septembre 2001 ont démontré que notre sécurité est liée à ce qui se passe ailleurs dans le monde. Il appartient donc à la communauté internationale de veiller à ce que l'Afghanistan ne redevienne plus jamais un asile pour les terroristes et un facteur d'instabilité régionale et internationale. Les Afghans, l'ONU, l'OTAN et nos Alliés se sont impliqués à fond dans cette entreprise essentielle.
Plusieurs résolutions successives du Conseil de sécurité des Nations Unies ont avalisé nos efforts globaux en Afghanistan.
La résolution 1510 de 2003 reconnaît le leadership de la FIAS par l'OTAN et autorise l'élargissement du mandat de la Force internationale d'assistance à la sécurité pour lui permettre, dans la mesure des ressources disponibles, d'aider l'Autorité intérimaire Afghane et ses successeurs à maintenir la sécurité dans les régions de l'Afghanistan en dehors de Kaboul et ses environs.
La plus récente résolution du Conseil de sécurité, la résolution 1707 adoptée le 12 septembre 2006, réaffirme que la communauté internationale est attachée à la souveraineté de l'Afghanistan, et qu'il appartient aux Afghans eux-mêmes d'assurer la sécurité et de maintenir l'ordre dans tout le pays. Or, les efforts déployés par la communauté internationale, y compris ceux du Canada et de ses Alliés de l'OTAN, visent précisément à renforcer cette capacité.
Au moment même où nous défendons notre intérêt collectif et aidons le gouvernement Afghan à répondre aux besoins de la population, ils se trouvent des gens qui cherchent à empêcher la communauté internationale et les Afghans eux-mêmes de rebâtir le pays. L'insurrection, nous l'avons vue, cible les symboles du progrès et de la normalité; elle s'attaque aux écoles et aux civils, même aux travailleurs de l'aide, ainsi qu'aux bureaux gouvernementaux et aux fonctionnaires.
Dans le cadre de leurs opérations courantes, et depuis que le Canada a informé en 2001 le Conseil de sécurité de l'ONU qu'il allait commencer sa mission militaires d'autodéfense individuelle et collective contre al-Qaïda et les talibans en Afghanistan, les Forces canadiennes ont capturé et par la suite transféré des individus soupçonnés d'avoir commis ou de vouloir commettre des actes terroristes contre les forces internationales ou les Afghans eux-mêmes.
J'aimerais maintenant parler de l'arrangement conclu par le Canada après les Accords de Bonn conclus en décembre 2001 et le Pacte pour l'Afghanistan de 2006, en reconnaissant que le gouvernement afghan nouvellement formé est souverain et responsable des personnes à capturer sur son territoire, nous avons conclu un arrangement aux termes duquel les détenus faits par les Forces canadiennes sont transférés aux autorités afghanes.
Je pense que cet arrangement et les modalités de son implication sont la principale raison de notre présence devant vous ici aujourd'hui. Je m'attarderai donc à en faire la genèse dans les grandes lignes, et en expliquer les fondements.
Cet arrangement a été signé le 18 décembre 2005 par le Gen Hillier, au nom du gouvernement du Canada, et par M. Wardak, ministre Afghan de la défense, au nom de la République islamique d'Afghanistan. Pour faciliter la discussion, nous avons fournit au comité une copie de l'arrangement.
Cet arrangement vise surtout à donner aux commandants sur le terrain des indications claires quant aux modalités du transfert des détenus. Il pose deux principes clés.
Le premier reconnaît la nécessité de traiter les détenus avec humanité en toutes circonstances, et dans le respect des normes établies par la Troisième Convention de Genève relativement aux détenus de guerre.
Le deuxième repose sur la conviction que les autorités afghanes, dans l'exercice de la souveraineté sur leur territoire, devrait être, en définitive, responsables des détenus qui y sont transférés et détenus. Cela répond à l'objectif clé du Canada en Afghanistan, c'est-à-dire aider les autorités de ce pays à renforcer les capacités et la bonne gouvernance locales.
Je tiens à préciser que si cet arrangement n'est pas juridiquement contraignant, il n'en incarne pas moins et réaffirme les engagements et obligations juridiques déjà contractées tant par le Canada que par l'Afghanistan aux termes du droit international concernant le traitement des détenus et plus particulièrement ceux qui découlent de la Troisième Convention de Genève. Dans ce contexte, il n'était donc pas nécessaire de conclure à ce sujet un arrangement juridiquement contraignant avec le gouvernement de l'Afghanistan.
J'ajouterai ici que les arrangements analogues conclus entre les autorités afghanes et d'autres membres de l'OTAN, par exemple des Pays-Bas, le Danemark ou encore le Royaume-Uni, ne sont pas non plus de nature juridiquement contraignante.
L'arrangement souscrit par le Canada établit la procédure à suivre advenant le transfert d'un détenu, et renforce l'engagement des deux parties à respecter leurs obligations en droit international. Plus précisément, cet arrangement comporte l'engagement à traiter les détenus avec humanité et en conformité avec les normes établies par la Troisième Convention de Genève relativement aux détenus de guerre (cela donne aux détenus l'assurance d'être traités selon les normes les plus élevées, qu'importe leur statut, et évite également la nécessité de déterminer ce statut); la reconnaissance du droit du Comité international de la Croix-Rouge de visiter les détenus en tout temps pendant leur détention; l'obligation, pour les deux parties, de notifier le CICR du transfert d'un détenu, conformément à leurs obligations en droit international; l'engagement que les détenus transférés aux autorités afghanes par les Forces canadiennes ne seront pas sujet à la peine capitale; la reconnaissance par les deux parties du rôle légitime de la Commission indépendante des droits de l'homme en Afghanistan concernant le traitement des détenus.
Vu le contenu de l'arrangement, il serait utile, je crois, que j'explique brièvement les rôles respectifs du comité international de la Croix-Rouge et de la Commission indépendante des droits de l'homme en Afghanistan, ainsi que la relation du Canada avec ces deux organisations.
Le CICR est un organisme humanitaire international hautement respecté. Il constitue pour nous un partenaire important et estimé, et nous soutenons fermement le rôle qu'il joue dans la promotion et la protection du droit humanitaire international. Dans le cadre de son mandat internationalement reconnu, le CICR visite les détenus et surveille leur situation, pour s'assurer qu'ils sont traités humainement et dans le respect des normes établies par la Convention de Genève.
Le Canada entretient un dialogue ouvert et constructif avec le CICR concernant les détentions en Afghanistan, et cela tant sur le terrain qu'à Ottawa. Le président du CICR, le Dr Jacob Kellenberger, a d'ailleurs effectué à Ottawa plus tôt cet automne une visite au cours de laquelle il a exprimé son appréciation pour notre coopération soutenue dans ce dossier.
Le Canada notifie aussi la Commission indépendante des droits de l'homme en Afghanistan, car il reconnaît le rôle qu'elle joue dans la surveillance des droits de la personne en Afghanistan. La Commission offre aux Afghans un moyen supplémentaire d'obtenir des informations permettant de retrouver un proche qu'ils estiment être détenu par les forces étrangères, y compris canadiennes.
Enfin, je vous signale que le Canada notifie également la FIAS, c'est-à-dire la Force internationale d'assistance à la sécurité, lorsqu'il y a transfert d'un détenu. Les renseignements partagés avec l'OTAN sont les mêmes que ceux fournis au CICR et à la Commission indépendante des droits de l'homme en Afghanistan.
Permettez-moi de dire quelques mots au sujet du renforcement des capacités. S'appuyant sur la prémisse voulant que les autorités afghanes doivent en définitive être responsables des détenus transférés et détenus sur leur territoire, le Canada contribue activement aux efforts visant à renforcer les capacités de l'Afghanistan en ce domaine. Se faisant, il aide le pays à remplir ses obligations concernant le traitement humain et les conditions de détention des détenus. Le Canada détache depuis trois ans un spécialiste des services correctionnels auprès de la Mission d'assistance des Nations Unies en Afghanistan. Cette mesure cadre avec le leadership qu'il exerce en matière de réforme du système de justice et de sécurité dans le sud de l'Afghanistan, et plus particulièrement à Kandahar, et correspond également à son solide attachement aux normes du droit humanitaire international et aux droits de la personne.
Plus récemment, un spécialiste principal du Service correctionnel du Canada a procédé à une évaluation des besoins à Kandahar et présenté des recommandations concernant une éventuelle participation du Canada dans le secteur correctionnel.
Dans le cadre de cette évaluation, il a consulté les représentants du CICR en Afghanistan et d'autres intervenants. Son rapport contient des recommandations concrètes en vue d'activités immédiates et à long terme qui permettraient de renforcer les capacités en ce domaine, y compris dans la province de Kandahar. Nous étudions présentement ces recommandations qui pourraient inclure le déploiement d'agents du SCC au sein de l'Équipe provinciale de reconstruction, dans le but de contribuer aux activités de formation et aux projets de renforcement des capacités dans cette province.
Pour conclure, je dirai que le Canada s'efforce de maintenir un processus ouvert et transparent en ce qui concerne la question des détenus et qu'il soutient sans réserve les efforts visant à renforcer les capacités et la bonne gouvernance en Afghanistan.
Je répondrai maintenant avec plaisir aux questions que le comité pourrait vouloir poser et qui relèvent du ministère des Affaires étrangères.
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Merci, monsieur le président.
Honorables membres du comité, j'aimerais d'abord exprimer mon accord avec les propos de Mme Swords. Je vous remercie de me donner l'occasion de comparaître devant vous aujourd'hui pour parler de l'approche adoptée par le Canada en ce qui concerne la question des détenus en Afghanistan. C'est un grand privilège.
J'aimerais présenter le colonel Bert Herfst, Juge-avocat général adjoint/Opérations, qui sera en mesure de vous donner un aperçu général du point de vue juridique des Forces canadiennes concernant notre politique de détention durant les opérations de déploiement, y compris en Afghanistan.
[Français]
Ma collègue, Mme Swords, a exposé de façon assez détaillée les principes et les dispositions particulières de notre entente avec le gouvernement de l'Afghanistan en ce qui concerne les détenus. Elle a notamment décrit les rôles essentiels que jouent le Comité international de la Croix-Rouge et la Commission indépendante afghane des droits de la personne. Elle a également abordé la question importante liée au soutien apporté aux autorités afghanes pour les aider à renforcer leur système carcéral et correctionnel. Si vous me le permettez, je vais vous expliquer comment les Forces canadiennes mettent en oeuvre cette entente sur le terrain.
[Traduction]
Permettez-moi tout d'abord de vous situer dans le contexte de notre politique de détention en général avant de parler plus particulièrement de la situation en Afghanistan.
Je tiens avant tout à souligner que les Forces canadiennes exécutent toutes leurs opérations internationales conformément aux lois nationales et internationales en vigueur. Leur politique consiste à traiter humainement toutes les personnes détenues selon les normes établies par la Troisième convention de Genève relativement au traitement de prisonniers de guerre.
De plus, nos militaires sont spécialement formés pour appliquer cette politique. Je sais que le comité a visité tout récemment les bases des Forces canadiennes à Petawawa et Edmonton. On vous a sûrement informé durant ces visites du fait que tous les membres Forces canadiennes qui participent à des opérations internationales assistent, avant leur déploiement, à des séances d'information et reçoivent de l'instruction. Ce processus comprend de l'instruction visant à s'assurer que les membres déployés comprennent le statut de prisonnier de guerre et le traitement de ces prisonniers et des détenus.
Le Juge-avocat général adjoint offre aussi un cours intitulé « Le droit des conflits armés ». Ce cours vise à sensibiliser les membres des Forces canadiennes aux lois et traités qu'ils doivent respecter lorsqu'ils prennent part à des opérations militaires internationales, et en particulier au traitement et aux soins adéquats des civils, des détenus et des prisonniers malades ou blessés.
Par ailleurs, le Juge-avocat général a publié un document intitulé Code de conduite du personnel des FC lequel sert à l'instruction élémentaire qui est donné au niveau des unités et qui porte sur le droit des conflits armés, y compris le traitement des détenus.
Si vous me le permettez, monsieur le président, j'aimerais parler de la situation en Afghanistan.
Comme le savent tous présents dans cette pièce, notre mission en Afghanistan est complexe et englobe un large éventail d'opérations militaires, y compris le conflit armé. Or, peu importe les conditions opérationnelles particulières qui peuvent se présenter sur le théâtre, les Forces canadiennes doivent appliquer en tout temps les normes du droit humanitaire international, y compris celles des Conventions de Genève.
Comme l'a déjà expliqué Mme Swords, le Canada a l'intention de remettre les personnes détenues par les Forces canadiennes en Afghanistan aux autorités afghanes, et ce, en vertu de son entente avec le gouvernement afghan. Cette entente concernant les détenus s'applique à tous les membres des Forces canadiennes en Afghanistan, peu importe la structure de commandement de laquelle ils relèvent, à savoir le commandement national, la Force internationale d'assistance à la sécurité (FIAS) de l'OTAN ou l'opération Enduring Freedom sous l'égide des États-Unis.
Les Forces canadiennes exécutent la plupart des opérations conjointement avec les Forces de sécurité nationale afghane. L'approche privilégiée consiste à laisser les autorités afghanes se charger de tous les aspects de la détention — après tout, elles assument la responsabilité première concernant les fonctions liées à l'application de la loi dans leur propre pays. Cependant, si des membres des Forces canadiennes capturent une personne, ils sont autorisés, en vertu des procédures opérationnelles nationales et de celles de la FIAS, à détenir cette personne temporairement avant de la transférer aux autorités afghanes le plus tôt possible.
Dans le camp des Forces canadiennes situé à l'aérodrome de Kandahar se trouve une petite installation de détention pour y détenir temporairement les personnes avant les transférer, bien qu'il convienne de noter que des transferts sont effectués sur le terrain.
[Français]
Selon la doctrine des Forces canadiennes, des militaires canadiens spécialement formés à cet effet pourraient procéder à un interrogatoire initial et à l'examen préliminaire des personnes qui sont sous leur garde en vue d'obtenir des renseignements d'une utilité immédiate sur le plan tactique.
Pour ces interrogatoires, les militaires utilisent des techniques d'interrogation et d'entrevue autorisées et conformes aux lois canadiennes ainsi qu'à toutes les lois et conventions internationales pertinentes, y compris la Troisième Convention de Genève. L'interrogatoire initial est mené également pour déterminer si les personnes capturées doivent être libérées ou détenues, pour obtenir des détails pour nos propres dossiers et pour avertir le CICR, l'OTAN et la Commission indépendante des droits de l'homme en Afghanistan.
[Traduction]
Lorsqu'une personne sous garde canadienne est transférée aux Forces de sécurité nationales afghanes, les renseignements concernant cette personne, par exemple, son nom, âge, sexe et condition physique, sont communiqués par les Forces canadiennes sur le théâtre, par l'entremise du Quartier général de la Défense nationale, à la Mission permanente du Canada à Genève qui, à son tour, informe le Service de protection du Comité international de la Croix-Rouge au moyen d'une note diplomatique.
Des renseignements semblables sont transmis au niveau local à la FIAS et à la Commission indépendante afghane des droits de la personne. La confidentialité des renseignements est assurée.
Les Forces canadiennes peuvent retarder le transfert des personnes aux autorités afghanes locales à l'endroit de la capture s'il y a des raisons de croire que les détenus pourraient être maltraités. Dans de telles circonstances, elles n'effectueraient pas les transferts tant qu'un contact n'aurait pas été établi avec des autorités afghanes en qui nous avons confiance.
Le comité se souvient peut-être d'un incident rendu public au printemps dernier quand des soldats canadiens ont détenu deux insurgés suspects durant une opération de bouclage et de recherche. Les Canadiens avaient des raisons de mettre en doute les intentions des autorités afghanes locales dans ce cas en particulier. Ils ont donc transporté ces personnes à Kandahar et les ont transférées à des interlocuteurs fiables des Forces de sécurité nationales afghanes.
Tout ce dont j'ai parlé jusqu'à présent s'articule autour d'un point commun qui est le suivant : toutes les personnes détenues par les Forces canadiennes en Afghanistan sont traitées humainement conformément aux normes des Conventions de Genève de façon à assurer leur sécurité, leur bien-être et leur santé, ainsi que le respect de leurs coutumes et de leurs croyances religieuses.
Par exemple, si une personne a subi des blessures quand elle a été capturée, elle recevrait des soins médicaux conformes aux normes des Forces canadiennes. Elle ne serait pas transférée tant que les médecins militaires ne seraient pas convaincus que son rétablissement ne serait pas compromis.
Si des membres du personnel des Forces canadiennes détiennent une femme, ce qui n'a pas été le cas jusqu'à maintenant, ils feraient tout pour la traiter conformément aux pratiques religieuses et culturelles en vigueur, dans la mesure où cela est possible sur le plan opérationnel. Plus précisément, les prisonnières seraient gardées à part des prisonniers, on chargerait le personnel féminin des Forces canadiennes d'assurer leur garde et on interdirait au personnel masculin l'accès à la zone de détention des prisonnières, sauf dans le cas où celui-ci serait escorté par une gardienne.
Permettez-moi d'aborder une dernière question qui est souvent soulevée dans le contexte des détenus. Il s'agit des détails relatifs aux cas de chaque détenu. Compte tenu des exigences opérationnelles et conformément à l'article 15.(1) de la Loi sur l'accès à l'information qui porte sur les opérations militaires, les renseignements concernant le nombre des détenus transférés et l'état actuel des prisonniers arrêtés par les Forces canadiennes en Afghanistan, et ainsi que l'identité des autorités auxquelles ces personnes ont été transférées ne peuvent pas être communiqués au public.
Je termine en réitérant certains principes clés qui soutiennent notre politique de détention lors des opérations de déploiement. Mme Swords en a mentionné plusieurs, mais ils méritent d'être répétés.
[Français]
Les Forces canadiennes mènent toutes leurs opérations, y compris en Afghanistan, conformément aux lois internationales et nationales en vigueur.
Les Forces canadiennes traitent humainement toutes les personnes détenues en Afghanistan et autour du monde selon les normes établies par la Troisième Convention de Genève relative au traitement des prisonniers de guerre.
Tous les membres des Forces canadiennes qui participent à des opérations internationales, y compris en Afghanistan, assistent à des séances d'information et reçoivent des instructions avant d'être déployés, pour qu'ils comprennent le statut des prisonniers de guerre et le traitement de ces prisonniers et des détenus.
Le gouvernement du Canada appuie le principe selon lequel les autorités afghanes devraient assumer la responsabilité des détenus capturés sur le territoire souverain du pays.
Le développement et la mise en oeuvre de la politique du Canada concernant la détention en Afghanistan est une responsabilité interministérielle. Des représentants du ministère de la Défense nationale collaborent de près avec leurs homologues du ministère des Affaires étrangères, du Service correctionnel et d'autres ministères et organismes gouvernementaux pour s'assurer que cette politique est appliquée adéquatement et efficacement.
[Traduction]
Je vais terminer là-dessus, monsieur le président. Je serais heureux de répondre aux questions que vous voudrez bien me poser sur le rôle de la Défense nationale dans l'application de sa politique concernant la détention en Afghanistan.
Merci beaucoup.
:
Je trouve important que vous nous disiez de quel type d'individus il s'agit, qu'ils soient insurgés, criminels ou prisonniers, comme c'est écrit dans le document.
On sait que le gouvernement afghan est faible actuellement. J'ai ici une étude de Houchang Hassan-Yari, professeur et directeur du département de science politique et d'économique au Collège militaire royal du canada. Il nous dit que le gouvernement afghan est très faible, que la police, notamment, est frappée par une corruption rampante et que le gouvernement doit trouver une solution au problème de la culture du pavot.
C'est important que vous nous disiez qui vous avez incarcéré. Si le gouvernement est corrompu, s'il est faible et que vous remettez ces insurgés ou ces criminels au gouvernement, quelle assurance avons-nous que ces gens seront toujours détenus et n'iront pas à l'encontre de la population sur le terrain? C'est le premier élément.
Deuxièmement, il y a les seigneurs de la guerre. Toutes les études actuelles nous disent non seulement que les talibans prennent du terrain, mais aussi que les seigneurs de la guerre, que nous avons mis en place, comme Canadiens, vont bien souvent à l'encontre des droits de la personne en Afghanistan et contribuent à propager le problème qui s'y pose.
C'est bien de faire des règlements ou de conclure des ententes, mais je me questionne quant à la sûreté et à la sécurité que vont apporter ces ententes.
Troisièmement, dans l'entente sur le transfert des détenus conclue entre les Forces canadiennes et le ministère de la Défense de la République islamique d'Afghanistan, au point numéro 8, on dit:
La Puissance détentrice sera chargée d'établir le statut juridique du détenu en vertu du droit international.
Cela revient à ce que je disais auparavant. Disons que la personne est détenue pour trafic de pavot dans un gouvernement corrompu. Êtes-vous confiant que cela apportera beaucoup de sécurité? Est-ce que cela va empêcher le gouvernement de la laisser aller? Comment peut-on être assuré qu'un gouvernement aussi faible et aussi corrompu poursuivra vos actions? Je suis certaine qu'elles sont excellentes, mais comment peut-on s'assurer qu'elles seront poursuivies?
:
Monsieur le président, membres du comité, je vous remercie de m'avoir invité à parler avec vous de l'arrangement sur le transfert de détenus conclu entre le Canada et l'Afghanistan. Aujourd'hui je vais vous parler de la façon dont l'arrangement est efficace pour prévenir la torture.
Je travaille sur cette question depuis 1992, lorsque j'ai traité de l'interdiction prévue par la loi d'avoir recours à la torture dans le cadre de ma thèse de doctorat à l'Université Cambridge. En 1998, j'ai fait partie de l'équipe juridique qui représentait Amnistie internationale et d'autres groupes de défense des droits de la personne relativement au cas Pinochet à la Chambre des lords. En janvier 2002, je me suis intéressé de près à la question du transfert des détenus en Afghanistan lorsque j'ai signalé au Globe and Mail les obligations légales du Canada.
Je ne sais pas combien d'entre vous avez rencontré des victimes de torture. Je suis toujours frappé par leur regard vide. C'est comme s'ils avaient perdu leur âme. La torture, soit le fait d'infliger volontairement des douleurs extrêmes, est une pratique ignoble et inhumaine. C'est pourquoi la torture est absolument interdite par toute une gamme de traités. C'est pourquoi tous les pays civilisés se sont engagés à prévenir et à punir la torture. C'est aussi pourquoi, lorsque nous négocions un arrangement de transfert de détenus, nous devons faire tout en notre possible pour prévenir la torture de détenus une fois qu'ils sont transférés.
Malheureusement, l'arrangement conclu entre le Canada et la l'Afghanistan ne prévoit pas de mécanismes de protection évidents et raisonnables. D'abord, et contrairement à ce que M. Dosanjh a dit, il ne donne pas aux autorités canadiennes un droit d'accès à nos détenus transférés.
Comparez cet arrangement au protocole d'entente conclu entre les Pays-Bas et l'Afghanistan. Selon l'ancien ministre de la Défense, Bill Graham, ce protocole aurait servi de modèle dans le cadre de la négociation de notre arrangement avec l'Afghanistan. Dans leur protocole, les Hollandais donnent à leurs autorités le droit d'accès à tous leurs détenus transférés. Le protocole hollandais prévoit aussi un droit d'accès aux institutions onusiennes pertinentes concernant les droits de la personne, une catégorie qui comprend le rapporteur spécial des Nations Unies sur la torture.
L'arrangement canadien ne prévoit pas cela. Il s'en remet plutôt uniquement au Comité international de la Croix-Rouge, un organisme qui n'informe normalement pas les autres pays lorsqu'un pays en particulier viole le droit des détenus.
Le 18 septembre 2006, dans une réponse écrite à une question posée par Dawn Black, député, le ministre des Affaires étrangères, Peter MacKay, reconnaissait ce fait. Il a dit :
Dans toutes ses activités, en particulier dans le cadre des visites aux prisonniers, les relations entre le CICR et ses contacts et les autorités de détention sont fondées sur une politique de discrétion... Il arrive que le CICR rende visite à des détenus que nous avons transférés en Afghanistan; et nous sommes confiants qu'il avertirait les autorités afghanes et les autorités de détention s'il avait des préoccupations concernant un détenu en particulier ou les conditions de détention.
Je vous fais remarquer que M. MacKay a pris soin de ne pas laisser entendre que le CICR informerait les autorités canadiennes puisque, si on se fie à l'expérience, ce ne serait probablement pas le cas. Donc lorsque M. Rigby, qui était ici il y a une heure, laisse entendre qu'aucune information n'avait été reçue du CICR relativement à la violation des droits des détenus transférés du Canada, cela ne voulait pas dire que le CICR n'avait pas constaté de violations. C'est simplement qu'on n'a pas été avertis, conformément à la pratique du CICR. C'est aussi pourquoi, selon moi, il n'y a pas de représentant du CICR qui témoigne ici aujourd'hui. Leur politique de discrétion stricte ne prévoit pas de témoignage à une tierce partie, le gouvernement du Canada en l'occurrence.
Comme Mme Bourgeois l'a dit, l'Afghanistan est un pays pauvre, un pays faible. Sa police militaire et ses institutions juridiques et correctionnelles subissent des transformations en profondeur, lesquelles sont loin d'être terminées. Reconnaître cela n'est nullement une critique du gouvernement de l'Afghanistan. La corruption et les violations des droits de la personne sont communes dans ce pays. Nous l'aidons à améliorer sa situation, mais les améliorations ne sont pas encore suffisantes.
En se fiant au CICR pour surveiller la situation des détenus et pour assurer la liaison uniquement avec les autorités afghanes en cas de violations, le Canada ne se préoccupe pas des détenus qui sont dans une situation où leurs droits sont loin d'être assurés. Le Canada ne se soucie pas non plus de la possibilité que l'Afghanistan transfère certains des détenus vers d'autres pays, y compris des pays qui pratiquent toujours la torture. L'arrangement entre le Canada et l'Afghanistan ne prévoit pas que le Canada soit averti à l'avance de tels transferts. Voilà une autre différence comparativement au protocole hollandais, qui prévoit un droit d'être avisé.
Ces omissions posent problème relativement à l'obligation du Canada, en vertu de l'article 3 de la Convention de Genève de 1949, qui, comme Mme. Swords l'a expliqué, s'applique aux conflits non internationaux comme celui qui se déroule en Afghanistan. L'article 3 protège « les personnes qui ne participent pas directement aux hostilités, y compris les membres de forces armées qui ont déposé les armes »; il s'applique donc à tous les détenus. L'article 3 précise que certains gestes « sont et demeurent prohibés en tout temps et en tout lieu », y compris « les traitements cruels et la torture » et « les atteintes à la dignité des personnes ». Le caractère absolument illimité dans le temps et dans l'espace de l'article 3 fait en sorte que le Canada contreviendrait à ses obligations si un détenu qu'il a transféré était torturé ou subissait de mauvais traitements en Afghanistan ou dans un tiers pays.
L'arrangement canadien ne prévoit pas de protection suffisante contre les violations de la convention de 1984 contre la torture, dont l'article 3 précise que « aucun État partie n'expulsera, ne refoulera, ni n'extradera une personne vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu'elles risquent d'être soumises à la torture. » Le Comité des Nations Unies contre la torture a indiqué que le terme « autre État » à l'article 3 comprend tout autre pays où un prisonnier pourrait ultérieurement être transféré. Pour cette raison, l'obligation du Canada est également de voir à ce que tout détenu soit protégé contre la torture non seulement lorsqu'il est transféré en Afghanistan, mais également s'il est transféré par la suite vers un tiers pays.
Je ne suis pas d'accord avec Mme. Swords en ce qui a trait au Statut de Rome de la Cour pénale internationale. Je crois que l'arrangement canadien ne prévoit pas une protection adéquate contre les violations possibles du Statut de la CPI. L'article 8 de ce statut énonce ce en quoi constituent des crimes de guerre, et on compte parmi eux les violations graves de l'article 3, y compris les traitements cruels et la torture.
L'article 25 du Statut de Rome précise que « une personne est pénalement responsable et peut être punie pour un crime relevant de la compétence de la cour si », notamment, « en vue de faciliter la commission d'un tel crime, elle apporte son aide, son concours ou toute autre forme d'assistance à la commission ou à la tentative de commission de ce crime, y compris en fournissant les moyens de cette commission ». Je dirais que le transfert d'un détenu fournit les moyens de commettre un crime de guerre.
Le Canada a ratifié le Statut de Rome en juillet 2000. Par conséquent, toute torture, traitement cruel ou autre atteinte à la dignité des personnes facilitée par un soldat canadien en Afghanistan relève de la compétence de la CPI. J'ai suffisamment confiance dans le système de justice militaire canadien pour croire que de tels crimes feraient l'objet d'un procès devant une cour martiale canadienne, mais ça n'empêcherait pas la CPI de prendre des mesures, et ce serait dommage, parce que notre pays a lutté vigoureusement à l'échelle internationale pour obtenir la CPI. L'arrangement canadien ne protège pas le Canada contre la possibilité qu'un soldat canadien puisse un jour répondre d'accusations de crime de guerre à La Haye.
Que faire? Voilà la grande question. L'arrangement entre le Canada et l'Afghanistan devrait être renégocié afin qu'on y ajoute tous les mécanismes de protection prévus dans le protocole conclu entre les Pays-Bas et l'Afghanistan.
Comme les Hollandais le démontrent dans le Sud de l'Afghanistan aujourd'hui, ces mécanismes de protection n'ont pas eu de conséquences néfastes sur les opérations. Il n'y a aucune raison de croire que les autorités afghanes s'opposeraient à une renégociation, puisqu'elles ont déjà accepté les modalités du protocole hollandais. Je ne crois pas non plus, comme Mme. Swords l'a laissé entendre, que ces mesures de protection nuiraient au développement d'une capacité gouvernementale afghane de quelque façon que ce soit.
Enfin, il y a une autre mesure de protection. Il s'agit d'une mesure de protection entièrement raisonnable que nous devrions ajouter à l'arrangement renégocié, soit un droit de veto sur tout transfert proposé vers un tiers pays. De toute évidence, sans droit de veto le droit d'être avisé perdrait en bonne partie son effet pratique.
Monsieur le président et membres du comité, l'arrangement actuel conclu entre le Canada et l'Afghanistan a été rédigé à la hâte. Les troupes canadiennes se dirigeaient déjà vers Kandahar. Le ministre de la Défense à l'époque a été distrait par une campagne électorale. Nous pouvons tous comprendre qu'il est facile de commettre des erreurs dans de telles situations.
Je ne cherche pas à blâmer qui que ce soit. Mais aujourd'hui, ayant eu l'occasion d'étudier la situation soigneusement, j'espère que vous allez reconnaître qu'il est temps de renégocier cet arrangement. On peut faire mieux. En fait, on doit faire mieux.
Merci beaucoup de votre attention.
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Merci, monsieur le président.
Bonjour, membres du comité.
Amnistie internationale vous remercie de l'occasion que vous lui donnez aujourd'hui de parler de ses préoccupations et de formuler des recommandations concernant la politique et la pratique du gouvernement canadien en ce qui a trait au traitement des prisonniers en Afghanistan.
J'aimerais d'abord souligner qu'Amnistie internationale soulève ces préoccupations auprès du gouvernement canadien depuis maintenant près de cinq ans. Il ne s'agit pas d'un phénomène récent. Nous avons d'abord soulevé ces questions en janvier 2002 dans une lettre adressée au ministre de la Défense nationale de l'époque, M. Art Eggleton. Nous exhortions alors les Forces canadiennes à ne pas transférer de prisonniers aux Forces américaines -- c'était la question à l'époque -- à moins que les autorités américaines n'acceptent d'appliquer les conventions de Genève et d'établir des tribunaux compétents pour déterminer si les détenus étaient admissibles au statut de prisonnier de guerre.
Sept mois plus tard, le nouveau ministre McCallum a indiqué que le Canada continuerait de transférer des détenus en Afghanistan aux autorités militaires américaines. Les États-Unis avaient dit qu'ils traiteraient les détenus de façon humaine et conformément aux conventions de Genève, sans toutefois reconnaître officiellement l'applicabilité de ces conventions.
Nous avons réécrit au ministre McCallum en octobre 2002. Nous avons répété que nous craignions que les autorités américaines ne respectaient toujours pas les conventions de Genève. Qui plus est, nous craignions également que certains prisonniers soient condamnés à la peine de mort. À cette époque, nous avons proposé pour la première fois que les Forces canadiennes examinent la possibilité d'établir leurs propres installations de détention en Afghanistan.
En février 2005, Amnistie internationale a écrit aux ministres Pettigrew et Graham. Nous avons demandé des précisions relativement à des allégations selon lesquelles certains prisonniers qui avaient été transférés aux États-Unis avaient été ultérieurement envoyés aux installations de détention américaine à Guantanamo Bay. Nous avons demandé quelles mesures le Canada avait prises pour s'assurer que les prisonniers transférés n'y soient pas envoyés. Nous avons également demandé si le Canada avait demandé et reçu l'assurance que les prisonniers transférés ne seraient pas passibles de la peine de mort.
Nous avons encore une fois écrit au ministre Graham en octobre 2005. Nous avons fait remarquer les préoccupations, vastes et bien documentées, concernant les pratiques de détention américaines à la fois en Afghanistan et à Guantanamo Bay. Nous avons indiqué que la volonté des Américains d'agir conformément à leurs obligations légales internationales laissaient de toute évidence à désirer. Nous avons demandé que le Canada mette fin aux transferts de prisonniers, et nous avons encore une fois proposé que les troupes canadiennes examinent la possibilité de se charger de la détention des personnes arrêtées au cours des opérations en Afghanistan.
Nous avons ensuite écrit au ministre Graham en novembre 2005, à la suite d'une réunion avec celui-ci, au cours de laquelle on nous avait informés que le Canada cesserait de transférer des détenus aux Américains. La nouvelle politique prévoirait plutôt le transfert des prisonniers aux autorités afghanes. Nous avons indiqué qu'il y avait de graves préoccupations concernant le traitement des prisonniers dans les centres de détention gérés par les Afghans. Nous avons parlé des problèmes de surveillance, de ressources et de capacité dans les prisons afghanes, de même que de la nécessité d'être assurés de source fiable qu'il n'y aurait plus de transferts de prisonniers aux autorités américaines. Nous avons encore une fois indiqué qu'à moins que les graves lacunes constatées en matière de droits de la personne ne soient corrigées, le Canada devrait être prêt à établir et à gérer ses propres installations de détention en Afghanistan, peut-être de concert avec d'autres nations participant à la FIAS.
L'échange suivant a eu lieu le 3 avril de cette année, avec le gouvernement actuel, et plus précisément avec le ministre O'Connor. Nous avions passé en revue l'arrangement conclu entre le Canada et l'Afghanistan sur les transferts de détenus. Nous craignions qu'elle n'assure pas la protection des droits des prisonniers transférés aux Afghans par les Forces canadiennes. Nous avons encore une fois demandé pourquoi le Canada refusait toujours d'établir ses propres installations de détention.
Nous avons écrit à nouveau au ministre O'Connor le 12 mai, après ce qu'on a qualifié de la plus importante capture d'insurgés Talibans présumés par les soldats canadiens en Afghanistan. Nous avons parlé de l'important travail de réforme du système pénal financé par l'ACDI de même que de la préoccupation que les transferts de détenus aux prisons afghanes, où les conditions s'aggravent rapidement, mèneraient inévitablement à des violations des droits de la personne et ne serviraient qu'à exacerber la détérioration des conditions ignobles dans les prisons.
Nous avons eu une réponse détaillée du ministre O'Connor le 26 juillet. Le ministre a été clair; le Canada a l'intention de continuer de transférer les prisonniers aux autorités afghanes et considèrent que cela va dans le sens de l'objectif visant le renforcement des capacités institutionnelles du gouvernement afghan. Le ministre a indiqué qu'il se fiait à la garantie figurant dans l'arrangement selon laquelle les détenus seront traités de façon humaine et que les allégations de torture ou de mauvais traitement de détenus transférés n'étaient que des scénarios hypothétiques sur lesquels il ne voulait pas spéculer.
Selon lui, le rôle de surveillance du CICR et de la Commission des droits de la personne de l'Afghanistan suffisent pour assurer le traitement humain des détenus. Il a dit qu'il n'avait pas d'objection à ce que les autorités afghanes transfèrent des prisonniers vers un autre État, à condition que les exigences de la loi internationale soient respectées. Enfin, il a indiqué que le Canada n'allait pas établir sa propre capacité de détention en Afghanistan parce que ça nuirait à l'objectif visant à renforcer la capacité institutionnelle du gouvernement afghan.
Nous avons finalement écrit au ministre O'Connor le 14 novembre de cette année. Nous avons indiqué que la principale préoccupation d'Amnistie internationale concernait l'obligation internationale fondamentale exigeant qu'un État ne transfère pas de prisonniers à un autre État s'il y a des motifs raisonnables de croire qu'il y a risque de torture. Nous avons fait état des résultats de nos recherches sur le terrain, lesquelles indiquent que la torture et les mauvais traitements se poursuivent de façon régulière et sont communs dans les prisons afghanes. De plus, les conditions dans les prisons sont toujours abominables. Nous avons en particulier fait valoir -- et c'est quelque chose qui me tient à coeur -- nos préoccupations concernant la torture aux mains de la Direction générale de la sécurité nationale. Nous avons demandé des précisions à savoir si le Canada transférait des prisonniers à la Direction générale de la sécurité nationale. Nous n'avons pas obtenu cette information, et M. Rigby a indiqué encore aujourd'hui qu'on refuse de divulguer cette information. Un fonctionnaire de l'ONU nous a récemment indiqué qu'il semblerait que certains, voire peut-être de nombreux prisonniers aient été transférés à la Direction générale de la sécurité nationale par les Canadiens. Et c'est inquiétant, puisque cette entité fait l'objet des plus sérieuses craintes en matière de torture, de mauvais traitements et de manque de transparence.
Dans notre dernière lettre au ministre O'Connor, nous avons encore une fois soulevé des préoccupations en ce qui a trait aux transferts de détenus à des tierces parties, et nous avons réitéré notre recommandation selon laquelle le Canada devrait travailler avec le gouvernement afghan et ses alliés de l'OTAN pour établir des installations de détention en Afghanistan, installations qui seraient conformes à la norme et à la pratique internationales, et ce, de façon à contribuer au développement de la capacité des autorités afghanes qui travaillent dans les secteurs de la justice et du droit pénal.
Pour terminer, j'aimerais souligner quatre points clés.
D'abord, Amnistie internationale craint que, compte tenu du caractère généralisé et de la gravité de la torture et des mauvais traitements dans le système carcéral afghan, surtout aux mains de la Direction générale de la sécurité nationale, il y ait des motifs raisonnables de croire que, lorsque les Forces canadiennes transfèrent un prisonnier aux autorités afghanes, torture et mauvais traitements s'ensuivent. Ceci étant, le Canada viole ses obligations internationales en matière de droits de la personne.
Deuxièmement, évidemment, nous sommes reconnaissants du rôle de surveillance joué par le Comité international de la Croix-Rouge de même que par la Commission indépendante afghane des droits de la personne. Mais les mauvais traitements se poursuivent malgré la surveillance. Le fait qu'il y ait un mécanisme de surveillance en place ne peut pas justifier ni excuser le transfert de prisonniers à des autorités qui présentent un risque important de torture ou de mauvais traitement. Il est important de souligner comme l'a dit M. Byers, que le CICR ne rend pas publics les détails des préoccupations qu'il pourrait avoir. Ce fait, de même que tout le secret qui entoure les détails concernant le nombre de prisonniers, où ils sont détenus, où ils sont transférés, les motifs de leur détention, etc., nous portent à croire que ce mécanisme de surveillance ne fonctionne pas. Les dispositions de contrôle et de surveillance doivent absolument être renforcées, et au moins être équivalentes aux dispositions contenues dans le protocole hollandais.
Troisièmement, nous appuyons sans réserve l'objectif du Canada qui vise à réformer le système pénal en Afghanistan, y compris les conditions dans les prisons et la gestion des prisons. Amnistie internationale en a fait la demande à de nombreuses reprises ces dernières années. Le transfert des détenus à un système carcéral en ruine et surpeuplé met cet objectif en péril. Nous exhortons toujours le Canada à travailler avec les autorités afghanes et d'autres alliés de l'OTAN pour établir une nouvelle capacité de détention au pays, qui pourrait être gérée de concert avec les autorités afghanes et servir d'institution importante dans le cadre de l'initiative de renforcement des capacités.
Enfin, je veux qu'il soit clair que les préoccupations formulées par Amnistie internationale ne veulent pas dire que nous croyons que les détenus arrêtés par les Forces canadiennes ne devraient pas être emprisonnés. Nous n'avons aucune information sur les allégations précises faites contre ces détenus. De toute évidence, ceux qui auraient commis des crimes ou violé les droits humains internationaux ou les dispositions du droit humanitaire doivent faire face à la justice. Il est toutefois essentiel que justice soit faite conformément aux normes juridiques internationales. Autrement, on fait reculer les réformes durables à long terme qui sont cruellement nécessaires en Afghanistan.
Je vous remercie.