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Monsieur le Président, je suis heureux d'intervenir aujourd'hui dans ce débat sur le projet de loi C-10, un projet de loi du gouvernement qui doit, semble-t-il, accroître la sécurité de la population canadienne en prévoyant des peines minimales obligatoires supplémentaires pour un certain nombre de crimes, surtout ceux qui sont commis à l'aide d'une arme à feu.
Au cours de la dernière campagne électorale, mon parti a précisé très clairement que tous les niveaux de gouvernement devaient prendre des mesures supplémentaires pour bannir l'utilisation illégale d'armes à feu dans nos villes. Mon parti accordera son appui à ce projet de loi à l'étape de la deuxième lecture pour qu'il soit ensuite renvoyé au comité. Je dois préciser très clairement que nous avons de sérieuses réserves quant à la capacité de ce projet de loi à lutter efficacement contre l'utilisation d'armes illégales pour la perpétration de crimes.
Je tiens à remercier le procureur général du Manitoba de nous avoir présenté ce que j'ai considéré comme une analyse très claire de ce qu'exige la lutte contre l'utilisation d'armes pour commettre des crimes. M. Mackintosh nous a présenté l'image d'un tabouret à trois pattes. Je ne crois pas mettre des paroles dans la bouche de M. Mackintosh en disant qu'il nous a parlé de trois grandes composantes à cette lutte contre ce type de criminalité, la principale prévoyant la mise au point de programmes permettant d'empêcher que le crime soit commis.
J'ai pratiqué pendant longtemps le droit, y compris le droit pénal et le droit de la famille. J'ai vu bien des victimes. Je peux honnêtement dire que toutes les victimes que j'ai rencontrées auraient préféré ne pas avoir subi le crime perpétré à leur égard, qui souvent leur a occasionné de graves blessures, plutôt que de faire purger une longue peine d'emprisonnement au contrevenant. Elles auraient opté pour la prévention si elles avaient eu le choix. Les victimes veulent qu'on empêche les crimes de se produire. Quelle que soit la peine infligée à l'auteur du crime, les victimes ne retrouvent pas la santé. Elles ne se remettent pas psychologiquement du traumatisme de la violence.
La priorité absolue des gouvernements provinciaux et fédéral devrait être d'aborder le crime du point de vue de la prévention.
La deuxième patte de notre tabouret à trois pattes, c'est l'application des lois. Les criminologues nous disent qu'une des meilleures façons de prévenir le crime, c'est que les personnes sachent qu'elles se feront prendre. Nous devons donc, dans les régions où le taux de criminalité est élevé, renforcer l'application et faire patrouiller plus d'agents dans la rue. Les policiers ne devraient pas être dans des bureaux ou, dans bien des cas, dans des voitures. On a besoin d'eux dans la rue.
Le gouvernement conservateur de M. Mulroney, le gouvernement libéral de M. Chrétien et du député de LaSalle—Émard et le gouvernement actuel ont considérablement réduit les paiements de transfert versés aux gouvernements provinciaux. Ces derniers tentent toujours de se remettre de ces compressions.
Les provinces ont dû réduire toutes sortes de services et n'ont pu, entre autres, augmenter les services policiers au niveau provincial. Elles ont refilé plusieurs de ces réductions au palier municipal où se fait principalement l'application des lois au pays.
Nous avons besoin de plus de policiers dans la rue. Il est intéressant de voir que, dans le budget présenté au printemps, le gouvernement s'est vanté d'embaucher 1 000 nouveaux agents de la GRC, mais qu'on ne s'attaquera pas au problème du crime de rue avant quelques années au moins. Il nous manque probablement environ 1 500 agents de la GRC à l'heure actuelle. Nous ne pouvons former, éduquer et préparer qu'environ 1 200 officiers de la GRC par année. Il faudra pas mal de temps avant que cette mesure ait un impact.
Pour un véritable impact qui se ferait sentir très rapidement, il faudrait donner des fonds aux provinces, ce que le gouvernement n'a pas fait dans le budget, et leur permettre de dépenser cet argent pour l'application de loi en embauchant plus d'agents de police qui seront dans la rue, principalement là où le taux de criminalité est élevé.
La dernière patte de ce tabouret, je dois dire la moins importante, est la patte législative. C'est le facteur de dissuasion. C'est lorsque la société décide de condamner les infractions graves et de proposer des peines plus sévères pour faire passer le message. Par la suite, nous devons faire bien attention, car pour qu'une telle mesure soit efficace il ne faut y recourir qu'en cas de crise grave et seulement lorsqu'elle est adaptée à cette crise. Au Canada, nous avons eu deux assez bonnes expériences à ce chapitre. La première concernait la conduite avec facultés affaiblies.
Il y a 20 ans, la législature, les tribunaux, la police et la société en général avaient une attitude beaucoup plus permissive à l'égard de la conduite avec facultés affaiblies par la consommation d'alcool ou de drogues. Nous étions même beaucoup moins sensibles aux conséquences.
Cependant, c'est à la même époque que nous avons commencé à changer. Quelles mesures avons-nous prises depuis? Nous avons créé les peines minimales obligatoires pour conduite avec facultés affaiblies, mais, ce qui est plus important encore, des groupes comme MADD, nos corps policiers et un certain nombre d'organismes à but non lucratif ont uni leurs efforts et ont investi les ressources nécessaires pour convaincre la société des conséquences négatives de ce comportement. Leur initiative a eu un impact, tout comme, dans une moindre mesure, les peines supplémentaires imposées.
Nous avons connu une réussite semblable dans le cas de la violence familiale. Sur une période d'une vingtaine d'années, la plupart des provinces ont commencé à inciter leurs procureurs et leurs agents de police à prendre au sérieux la violence familiale, à porter des accusations fermes et à maîtriser la situation. L'effet obtenu est incontestable.
Parallèlement à cette initiative, les tribunaux ont changé d'attitude. Ils ont soudain commencé à imposer des peines plus sévères, même si celles-ci n'étaient pas des peines minimales obligatoires. De front, ces deux campagnes sont parvenues au résultat escompté, soit la réduction du taux de violence familiale. Celle-ci n'a pas totalement été éradiquée, mais ces mesures ont vraiment eu un impact.
Nous pouvons tirer des leçons de ces expériences pour gérer la crise des infractions commises au moyen d'armes à feu. Nous savons que l'usage abusif des armes est un phénomène typique de nos grandes villes. La toute première chose que nous devons faire, c'est en analyser les causes, surtout dans nos grandes villes, car le nombre d'homicides y est de 200 à 400 p. 100 plus élevé que dans les banlieues et les zones rurales du pays.
Le deuxième facteur à considérer est la nature du crime. Au Canada, qu'est-ce qui a changé au cours des cinq à six dernières années? Le nombre d'armes à feu, en particulier les armes de poing, mais aussi les armes à tir rapide, a augmenté. Il s'agit toutes d'armes à feu illégales ou à autorisation restreinte. Elles ne seraient jamais enregistrées comme armes à feu légales. Ces armes à feu sont introduites illégalement au Canada en quantités beaucoup plus grandes. Ces renseignements proviennent des forces de police fédérales et provinciales.
L'accroissement du volume est très important parce que le crime organisé, en particulier les bandes de motards, a la haute main sur ce commerce. On estime que le nombre d'armes à feu qui entrent au Canada illégalement a augmenté de 100 à 1 000 p. 100.
La GRC nous apprend que la prolifération des armes à feu s'explique par le fait que les bandes impliquées dans le crime organisé introduisent illégalement de la drogue, surtout de la marijuana, aux États-Unis à partir du Canada. Ces bandes ont pris une décision d'affaires, si je puis m'exprimer ainsi. Elles ont décidé qu'il était illogique d'envoyer des conteneurs pleins aux États-Unis et de les ramener vides au Canada. Il y a cinq ou six ans, elles ont commencé à remplir ces conteneurs d'armes illégales et à vendre celles-ci dans les rues de nos grandes villes. La contrebande par le crime organisé a eu des effets très graves.
Il faut examiner le projet de loi et se demander s'il répond à la crise actuelle. Se limite-t-il au vrai problème? Sa portée est-elle trop vaste? Repose-t-il, ou ses dispositions reposent-elles, davantage sur des idéologies que sur des faits?
Je vais répondre à ces questions. La portée du projet de loi est trop vaste. On peut penser que le fait d'inclure les crimes pour lesquels le gouvernement impose des peines minimales obligatoires rend le projet de loi mal circonscrit.
Notre programme des dernières élections comprenait une proposition concernant le trafic, l'importation et l'exportation d'armes illégales. À l'heure actuelle, la plupart de ces infractions, voire la totalité d'entre elles, sont passibles d'une peine d'emprisonnement minimale obligatoire d'un an. Dans notre programme électoral, nous avons proposé de porter cette peine à quatre ans. Nous ciblons maintenant directement les gangs de motards et ceux qui font le trafic illégal d'armes dans notre pays.
Le projet de loi n'est pas assez précis. Il est si largement libellé que son facteur dénonciateur est perdu. Il est également limité, non seulement dans cet article, mais dans d'autres où le gouvernement a imposé des peines d'emprisonnement minimales obligatoires ou proposé d'imposer pareilles peines où la mesure n'aura pas le moindre effet.
En tant que parlementaires et législateurs, nous devons faire attention dans notre approche. Nous pouvons avoir une approche idéologique ne tenant pas compte des faits et des preuves. Nous pouvons nous faire croire et faire croire au pays que nous faisons quelque chose d'utile, mais qui ne protège pas la société ou les personnes. Nous devons savoir que ce que nous faisons sera utile, mais le projet de loi ne nous conduit pas dans cette direction.
Le projet de loi comporte des risques réels, dont je parlerai brièvement, à commencer par l'effet des peines minimales obligatoires, notamment celles utilisées dans ce but.
Il faut savoir que le Code criminel prévoit déjà des peines minimales obligatoires pour 60 à 70 infractions. Le projet de loi dont nous sommes saisis en ajouterait de 20 à 30. On aurait donc une centaine d'infractions qui seraient passibles d'une peine minimale obligatoire. Toutes les études que j'ai lues montrent que si nous n'utilisons pas ces peines d'une manière ciblée, leur effet est perdu. Nous sommes très près de ce point; en fait, nous l'avons même franchi.
Ce que le NPD appuierait comme recours très limité aux peines minimales obligatoires est vraiment minime comparativement à ce qui est proposé dans cette mesure.
Parlons donc des problèmes liés aux peines minimales obligatoires. Ces peines modifient le rôle traditionnellement joué par les juges dans la détermination de ce qui convient comme peine en confiant ce rôle au procureur. Celui-ci, en déterminant les accusations qui seront portées et en tentant d'obtenir une condamnation, établira la durée de la peine.
Cependant, en raison du coût, un grand nombre d'avocats de la Couronne se retrouvent coincés. Même lorsqu'ils voudraient obtenir une peine plus sévère, ils savent que les avocats qui défendent l'accusé et l'accusé lui-même chercheront à retarder le processus en demandant un long procès. Or, étant donné que les avocats de la Couronne ne disposent que de ressources limitées, ils ne peuvent se permettre qu'un certain nombre de procès d'une durée de 20 à 60 jours.
Dans notre système, on tient pour acquis que de 90 à 95 p. 100 des accusations au criminel feront l'objet d'un plaidoyer de culpabilité. Si cette proportion diminue, les coûts augmentent considérablement. Les avocats de la Couronne le savent, tout comme les avocats de la défense et les délinquants les plus endurcis. On finit par devoir transiger, ce qui fait que le plaidoyer de culpabilité ne porte pas sur le crime grave commis par le délinquant. La peine imposée est moins sévère que si le système ne prévoyait aucune peine minimale obligatoire. Donc, en recourant abondamment aux peines minimales obligatoires, on obtient un résultat contraire à ce qui est recherché. Les condamnations sont moins nombreuses et les peines, moins sévères.
Nous devons examiner notre façon d'utiliser l'incarcération. Je suis d'avis que, pour réaliser ce genre d'analyse, il faut jeter un coup d'oeil aux sociétés semblables à la nôtre où le taux de criminalité est plus faible. Nous devons nous intéresser à leur approche du droit criminel et à leur taux d'incarcération.
Nous devrions effectuer une analyse fondée sur des preuves et mettre au rancart l'idéologie, la tendance à se faire plaisir en disant: « Oui, je suis là. Je suis un vrai macho. Je vais m'attaquer vigoureusement à la criminalité et envoyer tous ces gens en prison. » C'est ainsi que s'expriment le premier ministre et le ministre de la Justice. Toutefois, s'ils comprenaient vraiment le système, ils cesseraient d'agir en vrais machos et s'intéresseraient plutôt à ce qui donne vraiment de bons résultats.
Nous devrions étudier l'expérience d'autres pays, par exemple, ceux d'Europe de l'Ouest, lesquels, dans l'ensemble, ont des taux de criminalité sensiblement plus bas que ceux observés au Canada, à la fois pour les meurtres et les crimes graves avec violence, et leurs taux d'emprisonnement sont moins élevés aussi. Selon les chiffres les plus récents, qui datent de 2002, le taux d'incarcération au Canada se situait à environ 116 pour 100 000 personnes. En Europe de l'Ouest, en Australie et en Nouvelle-Zélande, l'éventail va d'un bas niveau de quelque 60 à des hauts niveaux fluctuant entre 95 et 100. Tous les pays auxquels nous aimerions nous comparer, et nous le faisons régulièrement relativement à toute une brochette d'autres questions sociales, ont un taux d'incarcération qui est de 20 p. 100 et même, dans certains cas, de 50 p. 100 inférieur au nôtre.
Parmi nos proches alliés, le pays qui fait l'exception est les États-Unis. Son taux d'incarcération est de 702 pour 100 000 personnes, presque sept fois plus élevé que le nôtre, avec un taux de criminalité correspondant qui est quatre fois, six fois et huit fois plus élevé qu'au Canada, contrairement aux chiffres que le parti ministériel avance.
En comité, le NPD proposera des modifications importantes au projet de loi, afin de le rendre conforme aux promesses que nous avons faites pendant la campagne électorale. Nous allons demander du soutien, bien que, en vérité, je n'en attende pas du gouvernement, mais j'en attends des partis d'opposition pour que le projet de loi ait la teneur voulue et, en fait, protège les Canadiens et obtienne des résultats pour eux.
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Monsieur le Président, je partagerai le temps dont je dispose avec le député de Mississauga-Sud.
Il y a environ 40 ans, le Canada s'est donné comme objectif de construire une société juste caractérisée par la vérité, l'équité, l'égalité des chances et une forte cohésion sociale.
En dépit de 40 années de politique sociale essentiellement progressiste au palier fédéral et en dépit d'une diminution générale du taux de criminalité, nous discutons aujourd'hui d'un projet de loi visant à réprimer la criminalité et à imposer des peines plus lourdes aux criminels.
Le gouvernement conservateur ne s'attend pas à ce que son projet de loi dissuade les gens de commettre des crimes. Dans son discours du budget, le ministre des Finances l'a admis en accordant plus d'argent au système correctionnel afin d'accueillir le nombre accru de détenus à prévoir en raison de la mise en oeuvre du programme conservateur sur la loi et l'ordre.
Le projet de loi C-10 ne préviendra pas la criminalité. Il ne dissuadera pas les criminels. Le gouvernement espère retirer quelques criminels des rues et les garder en prison plus longtemps. Il espère qu'en retirant les mauvais éléments, les citoyens se sentiront davantage en sécurité et auront moins peur.
La population en général a tout naturellement peur des crimes de violence, particulièrement lorsque des innocents en sont les victimes, mais cette peur naturelle est exacerbée par la culture de peur dans laquelle nous vivons. À la télévision, la plupart des séries dramatiques tournent autour des crimes violents et, que ce soit Law & Order ou Da Vinci's Inquest, le meurtre est pratiquement toujours au centre de l'intrigue. Même les bulletins de nouvelles sont remplis de crimes, d'actes de terrorisme et de guerre et de morts. Les journalistes et les rédacteurs en chef admettent décider de publier ou non un article en se disant que « s'il y a du sang, ça vend ».
En plus d'éprouver cette peur généralisée, les citoyens sont aussi pris dans un conflit de valeurs puisqu'ils enseignent à leurs enfants à ne pas se disputer ou se battre pour régler les différends tandis que les adultes, eux, règlent les leurs au moyen de bombes et en détruisant des villes entières. Les enseignants nous disent que chaque personne est unique, spéciale et mérite le respect, mais notre chef d'état-major de la défense déclare publiquement que ses soldats sont entraînés pour tuer et pour faire un mauvais sort aux « ordures ». Il est difficile de trouver une manifestation de respect dans une telle déclaration.
Les contradictions abondent entre, d'une part, les valeurs enseignées par les parents, les professeurs et le clergé et, d'autre part, les comportements observés par les adolescents et les jeunes adultes. Faut-il s'étonner qu'ils ne sachent pas distinguer clairement le bien et le mal?
Ils voient beaucoup de gens dont la vie est caractérisée par le vice plutôt que par la vertu, et ils voient ces gens devenir riches et célèbres. Les athlètes professionnels qui font usage de stéroïdes, les artistes qui consomment de la drogue et les dirigeants d'entreprise qui volent de l'argent semblent mener une vie de facilité, de plaisir et de célébrité. Et nos médias semblent glorifier la vie des gens riches et célèbres, peu importe comment ils en sont arrivés là.
Nous célébrons la richesse et nous adoptons des politiques fiscales avantageuses pour les riches. Entre 1986 et 2000, les revenus des Canadiens les plus riches, soit 1 p. 100 de la société, ont fait un bond énorme de 65 p. 100, une augmentation moyenne de 157 000 $ par année. Durant la même période, les assistés sociaux en Alberta ont vu leurs revenus diminuer de 38 p. 100, passant de 14 000 $ par année à la somme honteuse de 8 800 $.
Bien que les jeunes Canadiens ne soient généralement pas au courant de ces statistiques, ils ont des yeux pour voir le nombre sans cesse croissant de sans-abri qui quémandent dans les rues et toutes ces maisons gigantesques à des prix exorbitants qu'on annonce dans les journaux. Ils se posent des questions sur ce qu'ils voient. Ils demandent: est-ce que cela est juste?
La question que je pose est la suivante: le projet de loi C-10 nous aidera-t-il à créer une société plus juste pour tous? Amènera-t-il les Canadiens à unir leurs efforts pour bâtir des collectivités qui appuient leurs membres?Je ne crois pas.
Le projet de loi C-10 est fondé sur une prémisse boiteuse, celle d'une vision du monde axée sur le bien et le mal. Dans ce monde, les gens dont les comportements causent des préjudices incarnent le mal, et le rôle de la justice est de protéger notre bonne société contre le mal que représentent ces gens.
Même dans notre bonne société il y a des méchants qui méritent d'être punis. Cette vision du monde articulée autour du bien et du mal favorise l'application de solutions miracles qui consistent, par exemple, à nous débarrasser des mauvais éléments de manière à assurer notre sécurité. Cela donne à penser que la criminalité n'est le fait que d'une poignée de mauvais éléments et que nous n'avons pas de responsabilité collective à l'égard de ce qui se passe dans les coins cachés de nos collectivités, pas plus que nous n'avons de responsabilité individuelle à cet égard, d'ailleurs. Selon cette logique, on pourrait avoir raison de la criminalité en jetant tous les méchants en prison.
Au cours des 30 dernières années, les taux d'incarcération ont doublé, puis triplé en Amérique du Nord. Pourtant, cela n'a eu aucune incidence sur le taux de criminalité. On dirait que plus on jette de mauvais éléments en prison, plus de bons éléments se mettent à devenir mauvais. Les taux d'incarcération accrus n'ont pas réduit la criminalité, mais ils ont donné lieu à beaucoup de souffrances chez les prisonniers de plus en plus nombreux, dont la plupart sont de jeunes hommes.
De toute évidence, la vision du monde du gouvernement est articulée autour du bien et du mal et de la notion selon laquelle il faut se débarrasser des méchants, même si cette méthode n'a pas donné lieu aux résultats souhaités, à savoir des rues plus sûres et une société plus homogène.
Il y aura donc un plus grand nombre de Canadiens en prison pour des périodes plus longues. L'imposition de peines plus longues donnera lieu à une augmentation du taux de récidive. Plus un contrevenant aura été confronté longtemps à la réalité brutale de la prison, que d'aucuns appellent l'école du crime, plus il lui sera difficile de se conformer aux normes et aux attentes de la société lorsqu'il sera libéré.
Qui seront ces compagnons de cellule? Les Autochtones ne représentent que 3,3 p. 100 de la population canadienne, mais ils représentent 21 p. 100 de la population carcérale dans les prisons provinciales et 18 p. 100 de la population carcérale dans les établissements fédéraux. Je prédis que, avec l'embauche de 1 000 nouveaux agents de la GRC annoncée dans le budget, la surreprésentation des Autochtones en milieu carcéral se maintiendra et même qu'elle augmentera.
Je m'inquiète également des jeunes des minorités visibles dans les villes. Si je le fais, c'est parce que l'on peut prédire le potentiel d'activité criminelle en examinant les facteurs sociaux déterminants du comportement criminel.
Le premier facteur déterminant est la pauvreté familiale. Cette dernière est la cause d'un état de santé plus précaire, d'un optimisme moindre face à la vie, d'une confiance en soi amoindrie et d'une moins bonne capacité d'encaisser les revers. Le deuxième facteur déterminant est l'insuffisance de la participation et de la supervision des parents. Certains parents travaillent de très longues heures pour arriver à joindre les deux bouts et ne sont donc pas disponibles pour les enfants. Personne n'est à la maison au moment des devoirs, etc. Ce qui m'amène au troisième facteur déterminant, l'insuccès scolaire et le peu de participation aux activités artistiques ou sportives parascolaires. Si les enfants ne réussissent pas en classe ou sur le terrain de sport, ils ont peu de chances de se sentir intégrés à la communauté scolaire.
En Ontario, les règlements sévères entourant le comportement à l'école ont aggravé l'exclusion sociale déjà ressentie par des personnes qui s'efforçaient de surnager dans ce milieu comme ils s'efforçaient de le faire dans la vie en général. Une fois renvoyés, ces enfants se sont rendu compte que personne ne les attendait à la maison et qu'on ne leur faisait aucune place à l'école. Toute personne a besoin de se sentir acceptée quelque part et, en Ontario, durant les années du gouvernement Harris, ces jeunes abandonnés ont trouvé dans la rue leur lieu d'appartenance.
Et maintenant le projet de loi C-10 nous est présenté par les mêmes « commanditaires » que ceux qui nous donné les politiques du gouvernement Harris en matière d'éducation. En refusant de financer des mesures de soutien éducatif pour les jeunes en difficulté, ils ont préparé le terrain au désespoir des jeunes que nous connaissons aujourd'hui. Maintenant, les contribuables canadiens doivent payer la note en finançant davantage de places en milieu correctionnel puisque l'on prévoit une augmentation du nombre des détenus. Et combien cela va-t-il coûter? Cela coûtera plus de 80 000 $ par année par détenu dans le système fédéral.
En Australie et dans le Sud des États-Unis, les peines minimales obligatoires ont eu pour effet de surpeupler les prisons de sorte qu'il a fallu en construire de nouvelles. Après un certain nombre d'année d'expérience, les contribuables font des démarches auprès de leurs gouvernements pour que l'on mette fin aux peines minimales obligatoires parce qu'elles se sont avérées trop coûteuses et n'ont pas réduit les taux de criminalité.
Là où d'autres pays ont fait l'essai d'une stratégie en matière de justice et que cette stratégie a été un échec, pourquoi voudrions-nous refaire la même tentative? Pourquoi mettre en oeuvre une stratégie qui permettra plus tard à un plus grand nombre de diplômés de l'école du crime d'être réintégrés dans notre société? N'avons-nous rien appris des études qui montrent que la punition et le châtiment donnent de moins bons résultats et sont plus coûteux que des investissements sociaux consentis en amont?
Le projet de loi C-10 exacerbe le climat de peur. Ses dispositions font en sorte que les Canadiens n'aboutiront jamais à la société juste envisagée par Trudeau. Pour ma part, en tant que Canadienne, je ne cesserai jamais de tenter de bâtir cette société juste et, par conséquent, je voterai contre le projet de loi C-10.
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Monsieur le Président, je suis ravi de participer au débat sur le projet de loi C-10, relatif aux peines minimales obligatoires.
Il n'y a probablement pas un seul député qui serait contre le principe selon lequel la punition doit être proportionnelle à l'infraction commise. Il y a cependant un autre aspect à la question. On peut se demander s'il peut y avoir, dans le cas d'une infraction précise, des circonstances qui peuvent la différencier d'une infraction qui, autrement, serait identique. Les députés doivent être au courant de plusieurs cas où les circonstances seraient aggravantes et d'autres où elles pourraient être atténuantes. C'est pour cette raison que je n'appuierai pas ce projet de loi. Je vais expliquer certaines de mes raisons de façon plus détaillée.
L'ancien ministre de la justice va prendre la parole. Il citera quelques analyses d'études de cas qui ont servi de référence pour justifier le recours plus systématique à ces peines minimales obligatoires. Les députés trouveront très intéressant le fait que ces analyses n'ont pas été interprétées correctement. En fait, elles pourraient même servir d'arguments convaincants contre la mise en oeuvre de peines minimales obligatoires. J'espère que tous seront présents pour entendre l'exposé de l'ancien ministre de la Justice.
On s'est demandé si les magistrats, les procureurs de la Couronne et le système judiciaire dans son ensemble n'ont pas fait tout le travail à notre place. J'espère que ce n'est pas le cas. J'espère également que les députés ne croiront pas un instant qu'il y a lieu d'être inquiets ou que nous avons perdu toute confiance dans le système judiciaire et dans la Cour suprême, qui s'est prononcée sur la plupart de ces questions et notamment sur les peines minimales obligatoires.
S'il y a un chose que je trouve intéressante dans ce débat, c'est qu'on semble croire à tort qu'il n'existe pas de peines minimales obligatoires en vertu du Code criminel actuel et que, d'une certaine façon, le projet de loi C-10 permettra de le doter de peines minimales obligatoires sévères. J'ai entendu un grand nombre d'orateurs qui ont énuméré les 42 peines minimales obligatoires qui sont déjà prévues en vertu du Code criminel.
Je ne peux pas dire avec certitude si les Canadiens comprennent vraiment que ces peines existent déjà. Elles s'appliquent à toute la gamme d'infractions qui les préoccupent le plus, notamment la conduite avec facultés affaiblies et les paris illégaux, mais aussi la haute trahison, les meurtres au premier et au deuxième degrés, et l'usage d'une arme à feu pour perpétrer une infraction criminelle. La liste est longue.
Il y a également dix infractions reliées à l'utilisation d'armes à feu qui entraînent des peines minimales. Les armes à feu sont l'une des questions sur lesquelles ce projet de loi s'attarde, surtout en ce qui concerne leur utilisation par des gangs. Ces infractions comprennent l'utilisation d'une arme à feu pour commettre une infraction causant la mort, l'homicide involontaire coupable, la tentative de meurtre, le fait de causer intentionnellement des lésions corporelles, l'agression sexuelle armée, l'agression sexuelle grave, l'enlèvement, le vol qualifié, l'extorsion et la prise d'otage. Chose certaine, il n'y a aucun débat au sujet de ces crimes graves.
En examinant une partie du compte rendu du débat, j'ai noté que la porte-parole en matière de justice du Parti libéral a écrit un résumé législatif que j'invite tous les députés à étudier attentivement. C'est un projet de loi très difficile à lire. Nous devons mettre les choses en contexte comme la députée l'a fait, ce qui va aider tous les députés à comprendre ce vers quoi nous nous dirigeons peut-être.
Un des éléments clés, c'est que ce projet de loi va créer des peines minimales obligatoires plus lourdes. Il va les accroître, et avec le premier ensemble d'infractions, les crimes graves commis à l'aide d'une arme à feu à autorisation restreinte, une des choses que nous avons apprises, c'est qu'aux termes de ce projet de loi, les armes à feu ne comprendront pas les armes d'épaule. J'ignore pourquoi il en est ainsi.
En 1993, lorsque je suis arrivé dans cette enceinte et l'enregistrement des armes d'épaule est devenu une grande question, les actes criminels commis avec des armes d'épaule étaient presque aussi nombreux que les actes criminels commis avec des armes de poing et les armes à autorisation restreinte qu'on retrouve maintenant. Depuis, le taux des crimes commis avec des armes d'épaule a grandement baissé. Cela devrait être encourageant pour tous les députés en ce qui concerne les progrès qui ont été réalisés pour veiller à ce que les armes à feu soient utilisées par des gens qui ont reçu la formation voulue, qui savent les entreposer et les transporter de la façon voulue et les utiliser de façon responsable.
Je crois également que ce type de sensibilisation qui a cours depuis plus d'une décennie a accru la confiance des gens, car la population en général sait fort bien que la possession d'une arme à feu est une grande responsabilité. Ce projet de loi semble inflexible et je dois reconnaître que je suis d'autant plus déconcerté que la Cour suprême elle-même a donné son avis sur les peines minimales obligatoires et surtout, sur l'augmentation de ces peines.
La Cour suprême a déclaré inconstitutionnelle une peine minimale obligatoire de sept ans pour l'importation de stupéfiants. La Cour suprême a également maintenu la constitutionnalité d'une peine minimale obligatoire de quatre ans pour les cas de négligence criminelle entraînant la mort. C'était dans l'affaire R. c. Morrissey. La Cour suprême a parlé dans sa décision des effets négatifs des peines minimales obligatoires qui rendent le processus de détermination de la peine trop rigide. Ce qui est vraiment en jeu, c'est la proportionnalité des peines. C'est ce dont nous parlons.
Nous ne pouvons pas dire qu'il n'y a pas de peines minimales obligatoires. Je n'ai pas entendu beaucoup de gens parler de l'effet dissuasif, mais j'ignore si cela est totalement pertinent parce qu'il s'agit d'infractions pour lesquelles il existe une approche dissuasive globale et il est certain que les peines envisagées ne seront pas un moyen sur lequel nous pourrons compter entièrement.
Dans le temps qu'il me reste, je voudrais parler d'un autre facteur qui me préoccupe, à savoir le caractère rigide de l'imposition d'un plus grand nombre de peines minimales obligatoires. Il s'agit de la population carcérale au Canada maintenant.
Une étude a été réalisée collectivement par les provinces du Manitoba, de la Saskatchewan et de l'Alberta. Selon cette étude, quelque 50 p. 100 des détenus des prisons provinciales souffrent de malformations congénitales dues à l'alcool. De plus, l'ex-ministre de la Justice du gouvernement précédent a confirmé que, dans les établissements fédéraux du pays, entre 40 à 50 p. 100 des détenus souffraient aussi de ce genre de malformations.
Au début de mon discours, j'ai parlé de la punition proportionnée à la gravité du crime. En tant que principe général, c'est un point de départ, mais y a-t-il des circonstances où des difficultés surgiraient? Prenons le cas de gens souffrant de maladies mentales ou de malformations congénitales dues à l'alcool qui sont jetés en prison, notamment pour de longues peines, quel que soit le crime commis. Ces détenus ne sont pas réadaptables en raison de leur handicap. Les détenus souffrant d'une maladie mentale ne sont pas réadaptables. Ils ne devraient même pas être en prison pour commencer. Ils devraient être traités dans des établissements appropriés qui pourraient les aider, leur famille et eux, à vivre avec leurs problèmes.
Je sais que les tribunaux sont de plus en plus conscients de l'incidence des troubles causés par l'alcoolisation foetale. C'est un problème très grave. Une partie non négligeable de la population souffrent de ces troubles. En fait, nombre de personnes souffrant de ces troubles ont perpétré une infraction pour laquelle le projet de loi dont nous sommes maintenant saisis prévoit des peines minimales obligatoires plus longues. Je ne crois pas que cela convienne. J'estime qu'il y a des circonstances particulières. Je crois en outre que le projet de loi devrait s'appliquer aussi aux armes d'épaule. Je pense que la constitutionnalité de cette mesure sera contestée par la Cour suprême, sinon par le procureur général.
Pour toutes ces raisons, je n'appuierai pas le projet de loi C-10. Je souscris au principe voulant que la punition doit être proportionnée à la gravité du crime, mais il faut aussi tenir compte des circonstances.
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Monsieur le Président, c'est un honneur pour moi d'intervenir, à titre de député de Parry Sound—Muskoka, dans le débat sur le projet de loi C-10 qui a été déposé le 4 mai dernier par mon collègue, le ministre de la Justice.
Comme nous le savons de notre côté de la Chambre, ce projet de loi propose de lutter de façon très concrète contre la violence armée, en s'attaquant tout particulièrement aux gangs et à leurs activités.
Les habitants de la circonscription de Parry Sound—Muskoka, de Parry Sound à Dorset et de Port Loring à Honey Harbour, ont tous entendu parler des histoires de gangs engagés dans des luttes de territoires, lesquelles se manifestent souvent dans des endroits publics où des spectateurs innocents sont victimes de balles perdues.
Les policiers rapportent aussi divers incidents reliés au trafic illégal d'armes à feu dans lesquels, par exemple, des armes de poing sont louées pour une nuit au cours de transactions menées à partir du coffre d'une voiture, ou des armes provenant originalement des États-Unis entrent au Canada en contrebande.
Nous avons récemment découvert, dans une ferme aux environs de London, en Ontario, huit cadavres d'hommes qui auraient été des membres d'une célèbre bande de motards. Cette histoire a remis au premier plan tout le spectre du crime organisé en Ontario. Je suis persuadé toutefois que ce petit coin rural aurait pu se trouver n'importe où au Canada, que ce soit près de Bala dans ma circonscription ou un peu plus loin au sud, dans la circonscription de mon collègue de Simcoe-Nord, quelque part aux environs d'Orillia.
Si ce crime a particulièrement bouleversé tous les Canadiens, les diverses collectivités et provinces du pays doivent malheureusement faire face au crime organisé ainsi qu'à la crainte et à la terreur qu'il suscite depuis un bon moment déjà. Par exemple, la province de Québec a longtemps été aux prises avec des problèmes de violence engendrés par des bandes de motards criminelles, notamment les Outlaws. Les bandes de motards se font la guerre pour s'arroger le contrôle du crime organisé et du commerce illégal de la drogue.
Les crimes liées aux bandes et aux armes à feu ont des répercussions sur le mode de vie canadien, sur le bien-être et la sécurité de nos collectivités et sur les moyens de subsistance de nos entreprises. Ce genre de violence n'a pas sa place dans les cours d'école de nos enfants, dans nos collectivités, dans nos villes et ailleurs dans notre magnifique pays.
Le projet de loi C-10 vise à lutter contre les gangs et les armes à feu. Il vise à faire en sorte que les membres de gangs qui utilisent des armes à feu répondent, une fois pour toutes, de leurs crimes. L'utilisation d'une arme à feu pour commettre un crime dans lequel une organisation criminelle est impliquée entraînerait des peines minimales obligatoires. Je suis en faveur de cela. Les policiers nous indiquent que les armes à feu de prédilection des gangs de rue et des trafiquants de drogues sont les armes de poing ou d'autres armes à feu à autorisation restreinte ou interdites. Ces affirmations sont corroborées par des données de Statistique Canada.
Dans les statistiques sur les homicides en 2003, les chiffres du Centre canadien de la statistique juridique ont mis l'accent sur les caractéristiques des cas d'homicide au Canada, et on a découvert que les homicides liés à des gangs ont augmenté. Certes, cet organisme a expliqué qu'une partie des fortes augmentations est imputable à des modifications des modalités de signalement, mais on a observé un accroissement notable des homicides au cours de la dernière décennie, depuis le début de la collecte de ce type de données.
En 1993, par exemple, on a recensé 13 victimes d'homicides liés à des gangs, 13 de trop. Toutefois, en 2003, ce n'est pas 13 homicides liés à des gangs qu'on a enregistrés, mais bien 84. Les victimes d'homicides liés à des gangs ont représenté environ 15 p. 100 de toutes les victimes d'homicides. Nous savons que les cibles ne sont pas simplement des membres de gangs. Des passants innocents tués lors de crimes commis par des gangs et avec des armes à feu sont des victimes, eux aussi. Comment oublier la fusillade nourrie du lendemain de Noël à Toronto, qui a causé la mort tragique de Jane Creba, âgée de 15 ans?
Nous étions tous en campagne électorale à l'époque, mais je suis persuadé que chaque député ici présent a entendu des gens dans sa circonscription, à la faveur du porte-à-porte, des gens réunis autour d'un café et à toutes les réunions des candidats déplorer cette mort inutile de Jane Creba et exiger que le prochain député élu dans chacune des circonscriptions prenne au sérieux la question de la violence commise avec des armes à feu et liée aux gangs.
J'ai entendu ce message dans toutes les réunions de campagnes auxquelles j'ai participé, que ce soit à Bracebridge, à Huntsville, à Parry Sound ou à Gravenhurst. Je suis convaincu qu'il en a été de même pour tous les députés dans leur circonscription. Cette jeune fille innocente s'est retrouvée, en plein jour, au beau milieu d'une fusillade sur la rue la plus achalandée du Canada, à l'occasion de la journée de magasinage la plus intense de l'année. Le motif le plus couramment invoqué pour les homicides liés aux activités des gangs et aux armes à feu est le règlement de comptes. Les dettes de drogue, les guerres territoriales, la vengeance et les disputes sont d'autres motifs courants.
L'enquête sur les homicides a également révélé que le nombre d'armes de poing utilisées lors des homicides causés par des armes à feu continue d'augmenter et que les types d'armes utilisés ont changé au cours des trois dernières décennies. C'est de cela dont le député parlait plus tôt. Ce sont les statistiques. Avant 1990, les armes utilisées pour commettre un homicide étaient la carabine et le fusil de chasse. Cependant, à partir du début des années 1990, les proportions ont commencé à s'inverser. En 2003, 68 p. 100 des homicides commis à l'aide d'armes à feu étaient commis à l'aide d'armes de poing. De plus, l'enquête révèle que la plupart des armes de poing utilisées pour commettre des homicides n'étaient pas enregistrées. Cela ne devrait surprendre personne.
Ces statistiques ne s'appliquent qu'aux homicides, mais les données sur les crimes au Canada du Centre canadien de la statistique juridique montrent que l'utilisation des armes de poing dans d'autres infractions avec violence suivent la même tendance.
Il est inutile de rappeler à la Chambre que les armes de poing sont des armes à feu à utilisation restreinte. Rares sont les Canadiens qui sont autorisés à posséder des armes de poing et, pourtant, ces armes continuent d'être utilisées plus fréquemment pour commettre des crimes avec violence. Les armes de poing, les armes à feu illégales ou à utilisation restreinte, sont les armes privilégiées par les criminels qui veulent promouvoir les intérêts de leur organisation criminelle.
Bien que les taux généraux de crimes commis avec des armes à feu aient diminué au Canada au cours des trois dernières décennies, cela n'est pas vrai lorsqu'il est question du taux de crimes avec violence commis avec des armes de poing ou d'autres armes à feu à utilisation restreinte ou prohibées.
Les crimes commis par des gangs et les crimes commis avec des armes à feu préoccupent tous les Canadiens. Ces crimes sont trop fréquents. Une vie perdue à cause de la violence d'un gang ou de l'utilisation d'une arme à feu est une vie perdue de trop.
Je me rallie à mes électeurs de Parry Sound—Muskoka pour dire qu'il est temps que la Chambre s'attaque directement à ce problème, et le projet de loi C-10 ferait précisément cela. Le projet de loi englobe les armes à feu utilisées le plus couramment dans les crimes avec violence et par les délinquants associés à des gangs. Le projet de loi vise également d'autres crimes graves liés à des armes à feu qui préoccupent de plus en plus les agents de la paix, comme le vol, le trafic et la contrebande d'armes à feu, la possession illégale d'une arme à feu ou l'interdiction de posséder des armes à feu.
Le projet de loi envoie un message clair à ceux qui utilisent des armes de poing et des armes à feu illégales pour commettre des crimes: leurs actes entraîneront de vraies peines. Ces peines augmenteraient si un récidiviste se servait d'une arme de poing ou d'une arme à feu à utilisation restreinte pour commettre d'autres crimes. Le projet de loi assure également aux Canadiens et à mes électeurs de Parry Sound—Muskoka que le gouvernement est déterminé à accroître la sécurité publique et à créer des collectivités plus fortes.
J'exhorte tous les députés à appuyer le projet de loi.
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Monsieur le Président, j'ai le plaisir de prendre la parole sur le projet de loi C-10.
D'abord, je n'aurais jamais osé me lever en cette Chambre pour exprimer la position de mon parti sans en avoir préalablement discuté avec mes collègues, dont le député de Bas-Richelieu—Nicolet—Bécancour, qui préside au destin de notre caucus et qui est un érudit. Son érudition est à ce point reconnue, qu'il a pris l'importante responsabilité de siéger au Comité mixte permanent de la Bibliothèque du Parlement, qui est une espèce de carrefour à l'intérieur duquel l'information circule en aval et en amont. C'est l'occasion pour moi de le remercier. Mes collègues voudront aussi se joindre à moi.
Allons au fond des choses. J'ai bien sûr consulté mes collègues et j'ai lu la jurisprudence. Je suis même allé chercher de l'information extrinsèque de celle qu'on aurait pu avoir en caucus. Malheureusement, à tous les égards, il faut en arriver à la conclusion que c'est un très mauvais projet de loi.
À mon avis, au regard de la criminalité, il n'y a pas un député en cette Chambre qui ne soit pas préoccupé par la sécurité de nos collectivités. Il n'y a pas un député en cette Chambre qui ne souhaite pas vivre dans des collectivités où les valeurs de sécurité, de paix et de civisme sont présentes.
Il y a des niveaux dans la criminalité. Plus tôt, j'étais malheureux de constater que le ministre de la Santé, lui-même un ex-député de l'Assemblée législative de l'Ontario, confondait certains niveaux. Cela entraîne une certaine confusion que je veux immédiatement démystifier.
En 1995, le Bloc québécois, ce formidable outil, avait à se préoccuper d'un phénomène nouveau, soit la lutte contre le crime organisé à des niveaux supérieurs. Le député de Bas-Richelieu—Nicolet—Bécancour, qui je le rappelle est un érudit, s'en rappellera. À ce moment, il y avait 33 bandes de motards criminels dans les grandes villes du Canada. Un certains nombre d'entre elles étaient à Montréal: les Bandidos, les Rock Machine et les Hells Angels.
Il s'agissait d'un phénomène tout à fait inédit: ces bandes de motards criminels agissaient par un phénomène de délégation. Ce n'était pas le chef de bande, ce n'était pas Maurice « Mom » Boucher qui allait donner des ordres et qui allait poser les gestes pour lesquels on voulait le traduire en justice. En effet, il y avait toute une chaîne de délégation qui faisait qu'on était incapable de démanteler ces bandes criminelles
À l'époque, Michel Bellehumeur, du Bloc québécois, avait travaillé avec moi et d'autres députés de notre caucus. Depuis lors, M. Bellehumeur a été élevé au rang de la magistrature. Il s'agissait d'un débat non partisan, puisque tout le monde vivait cette même inquiétude. À l'époque, le premier projet de loi avait été le projet de loi C-95. On avait créé une nouvelle infraction, qu'on avait ajoutée au Code criminel, soit celle d'appartenir à un gang criminel. Il y avait alors toutes sortes de modalités qu'il est inutile de rappeler. Aujourd'hui, on ne parle pas de cela. Il ne faut pas confondre les niveaux.
En 1995, Allan Rock était ministre de la Justice. Je ne sais pas si je rappelle de bons ou de mauvais souvenirs à mes collègues en cette Chambre.
Une voix: Oh, oh!
M. Réal Ménard: Je pense que mon collègue trouve que c'est un bon souvenir, mais enfin, c'est selon l'appréciation qu'on peut en faire. Allan Rock avait donc déposé un projet de loi, le projet de loi C-68, pour lequel, d'un coup, on avait ajouté des peines minimales pour des infractions commises avec des armes à feu. Je peux donner quelques exemples: homicide involontaire coupable avec usage d'une arme à feu, peine minimale de 4 ans; tentative de meurtre avec usage d'une arme à feu, peine minimale de 4 ans; fait de causer intentionnellement des lésions corporelles avec l'usage d'une arme à feu, peine minimale de 4 ans; agression sexuelle grave avec usage d'une arme à feu, peine minimale de 4 ans.
Actuellement, on retrouve dans le Code criminel une quinzaine d'infractions qui existent déjà depuis une décennie, et au sujet desquelles des peines minimales obligatoires sont déjà prévues.
Nous ne contestons pas le fait que la criminalité qui se commet avec l'usage d'une arme à feu est quelque chose de préoccupant. Nous, du Bloc québécois, ne contestons pas qu'il faut enrayer, éradiquer même, si on me permet le terme, le trafic des armes à feu. Voici ce contre quoi nous en avons.
Lorsque le ministre de la Justice a comparu devant le comité dont je suis membre pour défendre ses crédits provisoires, je lui ai posé très directement une question très simple. Depuis une décennie, on a des peines minimales obligatoires en ce qui a trait au recours à des armes à feu. Je lui ai demandé s'il avait des études empiriques ou scientifiques qui dressaient des éléments de bilan nous permettant de connaître la portée de l'instauration de ces peines minimales obligatoires dans le Code criminel. Peut-on s'imaginer que le ministre, dont je ne remets pas en cause la bonne foi, a été incapable de me citer une seule étude. Ce fut la même histoire quand j'ai rencontré les hauts fonctionnaires, tous plus gentils les uns que les autres. De fait, on n'est pas sur le terrain de la mauvaise foi ni des procès d'intention. Or pourquoi n'ont-ils pas pu me citer d'études? C'est parce que le ministère de la Justice n'en a pas effectué.
Je veux bien que l'on me demande, en tant que législateur, de prendre les moyens réputés les plus efficaces pour m'attaquer à ce phénomène qu'est l'infraction de commettre un certain nombre de délits avec des armes à feu. Cependant, je m'attends à ce que l'on me demande de le faire au nom de cette rigueur établie par des données probantes et concluantes.
Voilà le problème avec ce gouvernement. C'est qu'il est profondément idéologique, mais de façon malsaine. Nous sommes tous animés par des idéologies. Nous avons tous des convictions. Il y a des choses dans la vie publique auxquelles nous tenons plus qu'à d'autres. Il faut cependant démontrer une rationalité qui puisse se racoler à une certaine rationalité scientifique ou, à tout le moins, à une rationalité qui comporte un peu d'éléments scientifiques.
Je ne peux pas donner mon accord à ce qu'on ajoute des peines minimales obligatoires pour le simple principe d'en ajouter. Je veux qu'on comprenne bien ce qu'est le projet de loi C-10. Celui-ci touche les huit infractions du Code criminel que voici: tentative de meurtre, décharger intentionnellement une arme à feu, agression sexuelle, agression sexuelle grave, enlèvement, prise d'otages, vol qualifié et extorsion. On prévoit déjà des peines minimales pour ces infractions, qu'elles soient de trois ans, de cinq ans ou autres. C'est déjà dans le Code criminel. Quiconque lit le Code criminel s'apercevra qu'il existe des peines minimales pour chacune de ces infractions.
Le projet de loi C-10 propose que les peines de trois ans soient augmentées à cinq ans; celles de cinq ans, à sept ans; et celles de sept ans, à dix ans. On alourdit ainsi les peines minimales obligatoires sans aucune autre espèce de rationalité que celle de vouloir être plus sévère à l'endroit des criminels. Or c'est ce qui est malsain. Bien sûr, on souhaite que les gens soient traduits devant les tribunaux et qu'ils n'utilisent pas des armes à feu pour commettre des crimes.
J'ai d'abord trois commentaires. Cette idéologie donne à penser que nous vivons dans une société qui est plus violente. Quand le député de Laurier—Sainte-Marie m'a nommé porte-parole en matière de justice, la première chose que j'ai faite, après l'avoir remercié et lui avoir dit combien j'essaierais d'être à la hauteur de cette tâche importante, a été de consulter les statistiques sur la criminalité. J'entendais le discours des ministres et autres députés du Parti conservateur et j'avais lu d'ailleurs leur plateforme électorale. À écouter les conservateurs, on a l'impression que jamais la société n'a été aussi violente, que jamais la criminalité n'a été aussi répandue, que les taux de criminalité sont à la hausse.
Toutefois, quand on se donne la peine de faire la démarche, on constate que, de façon générale, entre 1991 et 2000, le taux de criminalité a fléchi de 26 p. 100. Et il ne s'agit pas de statistiques colligées par les recherchistes du Bloc, par le Parti québécois ou par des groupes de pression. Il s'agit des statistiques de Statistique Canada ou de Juristat.
Parlons maintenant de la criminalité dite violente. Pour que ce soit bien clair, quand Statistique Canada parle de la criminalité dite violente, elle parle d'homicide, de tentative de meurtre, de voie de fait, d'agression sexuelle, d'enlèvement et de vol qualifié, toutes choses qui sont intrinsèquement préoccupantes. On conviendra que ce n'est pas quelque chose d'anodin. Eh bien, entre 1992 et 2004, le nombre de crimes liés à la criminalité violente a diminué d'année en année. Ce n'est pas compliqué, j'ai fait faire un tableau. Donc, entre 1992 et 2004, les crimes commis avec violence ont diminué. L'année 2003 constitue l'exception, parce qu'à l'échelle nationale canadienne, trois provinces — dont je tairai les noms — ont vu leur taux de criminalité augmenter. Toutefois, entre 1992 et 2004, la criminalité avec violence a diminué.
Quand le ministre a comparu devant le Comité permanent de la justice et des droits de la personne, je lui ai demandé de déposer ses statistiques, en lui disant que nous étions des intellectuels, que nous étions des personnes instruites, des gens ouverts et attachants, et que nous pouvions donc comparer nos statistiques. Je lui ai dit qu'il était possible que je me trompe et que je ne les interprète pas de la bonne manière. Le ministre ne les a pas déposées. Hier j'ai fait un rappel au Règlement pour inviter le ministre à les déposer. Quand il a comparu, il avait ces statistiques en main, séance tenante. Il aurait pu les déposer. Trois semaines après sa comparution, les membres du Comité permanent de la justice et des droits de la personne attendent toujours ces statistiques. Le ministère de la Justice nous a fait dire, par l'intermédiaire de notre greffière, que c'était long, que c'était une opération qui demandait beaucoup de temps. Le ministre les avait pourtant en main.
Je vais employer le conditionnel. Je suis dubitatif et non pas affirmatif. Je soupçonnerais que le ministre ne veuille pas déposer ses statistiques parce qu'elles ne peuvent pas étayer son point de vue qui est purement idéologique. Je peux vous assurer que le Bloc québécois ne laissera pas le ministre de la Justice revêtir les habits et les chaussures de George Bush pour faire plaisir à sa base électorale. Nous allons être un peu plus rigoureux que cela.
Cela étant dit, nous sommes contre le projet de loi C-10. Je rappelle qu'en 1995, nous avons déjà prévu un certain nombre de peines minimales dans le cas d'infractions pour lesquelles le ministre souhaite voir augmenter lesdites peines. Plus fondamentalement, cela nous amène à réfléchir et à établir si oui ou non, dans notre système de justice, le recours à des peines minimales obligatoires est dissuasif. Il faut se demander ce qu'est une peine minimale.
Une peine minimale signifie que lors d'un procès avec jury, on ne laisse rien à la discrétion du juge. En effet, les jurés déclarent s'il y a culpabilité ou non, mais qui décide de la sentence? Ce n'est pas le jury, contrairement au système français, mais le juge du procès. Le juge a entendu et vu la preuve, il a entendu les témoins. Un procès criminel peut durer deux, trois ou quatre semaines. C'est très rigoureux. Les règles de preuve sont extrêmement contraignantes. Ce projet de loi dit au juge du procès que, même s'il est responsable d'administrer la sentence, nous, en tant que législateurs, nous voulons lui lier les mains dans une direction ou dans une autre.
Dans le passé, à de notables exceptions près, nous n'avons pas été favorables aux peines minimales. Mon prédécesseur, le député de Charlesbourg—Haute-Saint-Charles, avait l'amitié de cette Chambre.
Il était notre porte-parole en matière de justice. J'espère un jour l'égaler dans son érudition et son ardeur au travail. Tout le monde aimait le député de Charlesbourg—Haute-Saint-Charles. Il lui est arrivé de suggérer à notre caucus d'instaurer des peines minimales, par exemple pour la pornographie infantile. Cependant, de façon générale, le Bloc québécois n'est pas favorable à l'idée d'instaurer des peines minimales. Nous ne sommes pas convaincus de leur efficacité.
D'ailleurs, au milieu des années 1980, le gouvernement a créé une commission d'enquête, la Commission Archambault, mandatée pour revoir tout le principe de la détermination des peines. Il est tout de même significatif que cette commission n'ait pas recommandé de peines minimales, sauf dans le cas d'un meurtre, où l'on prévoyait un emprisonnement à perpétuité. Outre ce cas, la commission Archambault n'a pas recommandé de peines minimales obligatoires.
Je le répète: c'est un peu pathétique et un peu triste. J'ai des amis du côté du gouvernement. En effet, je ne compte que des amis et aucun ennemi en cette Chambre, et j'en tire une grande fierté. Je dois cependant constater que les conservateurs sont sur la pente dangereuse de l'idéologie. Encore une fois, ce projet de loi est directement issu de cette volonté du gouvernement de faire plaisir à sa base électorale, celle de l'Ouest canadien qui veut se sécuriser avec l'idée que plus les peines seront sévères, plus notre société sera sécuritaire. C'est malheureusement un leurre intellectuel.
Je donne l'exemple des États-Unis. Cette société recourt généreusement à l'incarcération. Au Canada, selon les dernières statistiques que j'ai consultées, on emprisonne 116 personnes par 100 000 habitants. Sait-on quel est le taux d'incarcération aux États-Unis? C'est plus de 700 personnes incarcérées par 100 000 habitants, alors qu'au Canada, c'est 116. Pourtant, quand on regarde le taux d'homicides et d'infractions commises avec violence, force est de constater qu'il y a beaucoup plus d'incarcérations.
J'aimerais que le Conseil des ministres réfléchisse à cela. Je me permets de demander au président du Conseil du Trésor de réfléchir à cette question. Je sais que ce dernier est, à sa façon, un humaniste. C'est un homme conservateur, très conservateur, exagérément conservateur, grossièrement conservateur. Il demeure toutefois mon ami. Je lui demande de réfléchir à cela. Existe-t-il un lien entre l'incarcération et la sécurité à laquelle nos communautés aspirent? Tous les criminologues et les académiciens ont réfléchi à cette question.
D'ailleurs, pas plus tard que la semaine dernière, j'ai eu un premier entretien avec des représentants de l'Association des avocats de la défense. Ce n'est quand même pas un groupe qu'on peut taxer de partisanerie. Ce sont des avocats qui étudient de la façon la plus objective possible la question du droit et de l'administration des peines. Sait-on que l'Association des avocats de la défense s'oppose fermement aux projets de loi C-9 et C-10? Je dois dire que si l'on dressait la liste des gens qui s'opposent à ces projets de loi, on constaterait, tout comme moi, qu'elle est beaucoup plus longue que la liste des gens qui les appuient
Tout le monde en cette Chambre connaît ma nature et ma propension à la collaboration. Toutefois, en comité, je ne pourrai pas travailler à rendre ce projet de loi rapidement. Le Bloc québécois devra faire son travail. Malheureusement, nous demanderons à voyager, à entendre des témoins et à faire un travail d'investigation. Ce n'est pas rien de modifier le Code criminel. Il doit toujours être équilibré. On ne peut pas le prendre à la légère.
On m'a dit que dans les officines gouvernementales, on voulait avoir le projet de loi avant la fête nationale. C'est téméraire, n'est-ce pas? Une difficulté se pose, car je ne crois pas que le comité puisse travailler sous pression, ce qui serait totalement incompatible avec ce minimum de sérieux dont on s'attend des parlementaires.
Le Bloc québécois sera donc dans l'impossibilité de travailler de sorte que le projet de loi soit disponible à l'étape du rapport avant la fête nationale des Québécois. On le sait, cette année, le 24 juin sera à l'image des Québécois. Ce n'est pas seulement l'occasion de tenir un conseil des ministres; mais c'est aussi l'occasion de se rappeler combien le Québec est une nation et combien le Québec sera un jour un pays souverain et combien nous aurons des relations d'égalité avec le Canada anglais. Voilà le sens de notre fête nationale. Et c'est en ce sens que tous les députés du Bloc québécois la vivront les 23 et 24 juin prochains. Nous demeurerons bien sûr très ouverts aux voeux qu'on pourrait nous formuler en pareille matière. Toutefois, ne nous égarons pas du sens du projet de loi. Tenons-nous-en à l'essentiel.
En plus des huit infractions que le gouvernement se propose de créer avec le projet de loi C-10 —, et au sujet desquelles il y a déjà des peines minimales, qu'on veut voir passer de cinq ans lorsqu'elles étaient à trois, de sept ans lorsqu'elles étaient à cinq, et de dix ans lorsqu'elles étaient à sept —, ce gouvernement crée donc deux nouvelles infractions.
Imaginez-vous, monsieur le Président, si ce n'est pas quelque chose...
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Monsieur le Président, je vais partager mon temps de parole avec le député de Brant.
Tous les Canadiens aspirent à des rues et à des communautés sûres et tous les parlementaires et tous les partis partagent cet objectif. Aucun parti politique ne peut prétendre être le seul à pouvoir parler de sécurité au nom des tous Canadiens ou manifester sa sollicitude à l'égard de leurs besoins en cette matière ou prétendre être le seul à pouvoir légiférer à cette fin.
En effet, pour ce qui est de combattre les crimes liés aux armes à feu et aux gangs, le gouvernement libéral a déposé une mesure législative en novembre 2005, soit le projet de loi C-82. Ce projet de loi proposait 12 modifications aux dispositions du Code criminel relatives au contrôle des armes à feu et faisait partie d'une stratégie en cinq points visant à combattre la criminalité liée aux gangs et aux armes à feu. On y envisageait, premièrement, des lois plus dures et des peines en conséquence; deuxièmement, une plus grande efficacité dans l'application des lois; troisièmement, une plus grande reconnaissance des besoins et des préoccupations des victimes; quatrièmement, la prévention du crime grâce à une série de mesures visant à donner de l'espoir et ouvrir des perspectives d'avenir; cinquièmement, l'engagement des citoyens.
La politique de lutte contre la criminalité du gouvernement contient certaines de ces caractéristiques, mais on n'y dit rien au sujet de l'engagement des citoyens et elle est timide pour ce qui est de l'espoir et des perspectives d'avenir et la prévention du crime. J'ai l'intention de faire porter mes commentaires sur la solution législative que propose le gouvernement, le projet de loi C-10, et sur les peines minimales obligatoires exagérées et excessives autour desquelles il s'articule.
Il importe de constater que le Code criminel contient déjà 20 peines minimales obligatoires liées aux armes à feu. Ceux qui soutiennent que les libéraux se sont convertis sur le tard aux peines minimales obligatoires par crainte de perdre les élections ne tiennent pas compte du fait que c'est un gouvernement libéral qui, en 1995, a établi les 20 peines minimales obligatoires liées aux armes à feu dont je vous ai parlé et que, en novembre 2005, au nom du gouvernement et à la suite de recommandations des procureurs généraux des provinces et des territoires—dans une démarche que je qualifierais volontiers d'exercice de fédéralisme d'ouverture—nous avons recommandé de légères augmentations des peines minimales obligatoires pour des questions liées au trafic et à la contrebande d'armes à feu et autres infractions de même nature.
Il faut donc poser la question suivante. Quelle solution législative constitue une approche fondée sur des faits, des principes et un souci d'efficacité en matière de lutte contre les crimes liés aux armes à feu qui permettra que nos rues et nos communautés soient sûres et qui, dans ce contexte, se distingue de ce que l'on pourrait envisager plutôt comme une approche idéologique, politique et, en définitive, inefficace, en matière de contrôle de la criminalité?
Penchons-nous tout d'abord sur les faits et même sur le détail des prétendus faits invoqués par le ministre de la Justice lui-même pour justifier cette mesure législative. Je cite maintenant les commentaires formulés le 7 mai par le ministre de la Justice:
On a constaté une baisse spectaculaire des actes criminels commis au moyen d’une arme à feu dans les juridictions qui ont ciblé de tels crimes en ayant recours aux peines minimales obligatoires. C'est ce qui ressort de l'expérience de plusieurs États. Plusieurs études le prouvent systématiquement, dans les cas de Boston, [du Massachusetts], de la Virginie, de la Floride, de New York et d'autres juridictions.
Examinons maintenant les faits, car ils contiennent des preuves du contraire. Au Massachusetts, dans sa déclaration de 2003 concernant les propositions de réforme des peines, William J. Leahy, avocat en chef du comité des services de défense publique du Massachusetts, a dit que les peines obligatoires minimales « se sont révélées un cauchemar de politique publique : elles sont inefficaces pour assurer la sécurité du public et une source de gaspillage de fonds publics ». Dans un rapport publié en 2004 par la commission du gouverneur sur la réforme des services correctionnels du Commonwealth du Massachusetts, on peut lire ce qui suit dans la section sur les peines obligatoires minimales: « D'après ce que nous savons sur la réduction des risques de récidive, ces peines conduisent à la récidive, non à une réduction efficace des risques. »
En ce qui concerne la Floride, le ministre semble baser sa conclusion sur un communiqué de 2005 du département des services correctionnels de l'État, selon lequel les peines de 10 ans, 20 ans et à perpétuité ont eu des résultats impressionnants. La réalité est cependant tout autre. Une étude de 2005 de l'Université de la Floride attribue toute diminution du crime à la réduction à l'échelle nationale amorcée avant l'entrée en vigueur de la loi. De plus, la réduction de la criminalité avait été plus importante avant que la loi n'entre en vigueur.
La même chose s'applique à la Virginie et à l'État de New York. Le temps ne me permet pas de présenter des citations pertinentes dans ces deux cas, mais le principe reste le même. Il n'existe aucune preuve qui justifie les peines obligatoires minimales excessives et exagérées prévues dans ce projet de loi.
Cela m'amène à examiner la question en m'appuyant sur d'autres approches pour interpréter les éléments d'information dont nous disposons. Non seulement l'information recueillie à certains endroits aux États-Unis démontre exactement le contraire de ce que tente de lui faire dire le ministre de la Justice, mais même les études universitaires qu'il invoque, notamment celle de Thomas Marvelle et de Carlisle Moody, conduisent à des conclusions différentes des siennes.
Dans la vaste majorité des études réalisées, quel que soit l'endroit, on conclut que les peines minimales obligatoires n'ont pas d'effet dissuasif et ne sont pas efficaces. Ce sont notamment les conclusions auxquelles sont arrivées les commissions américaine et canadienne sur la détermination de la peine, les associations du barreau américain et du barreau canadien, la Commission royale d'enquête sur les révisions du code criminel, dont les travaux exhaustifs ont eu lieu en 1952 ainsi que la Commission du droit du Canada, dont les études sont plus récentes. Les travaux permettant de tirer ces conclusions comprennent les études approfondies réalisées par le professeur Julian Roberts, de l'Université Oxford, un expert de renommée internationale, l'étude comparative exhaustive réalisée par le professeur Thomas Gabor, de l'Université d'Ottawa, et Mme Nicole Crutcher, de l'Université Carleton, ainsi que le rapport de recherche remis au solliciteur général du Canada en 1999. Après avoir examiné 50 études portant sur 300 000 délinquants, les auteurs de ce dernier rapport concluaient que de plus longues périodes d'incarcération n'étaient pas associées à une réduction du récidivisme. En fait, c'est le contraire qu'on a pu constater. Les peines plus longues étaient associées à une augmentation de 3 p. 100 du récidivisme.
En plus de faire abstraction de l'information existante, le projet de loi C-10 marginalise l'approche fondée sur des principes qui a force de loi depuis l'entrée en vigueur de l'article 718 du Code criminel, à l'occasion de la réforme la plus importante des dispositions juridiques sur la détermination de la peine ayant eu lieu. Cet article comprend un ensemble d'objectifs à poursuivre dans la détermination de la peine et s'articule autour du principe de la proportionnalité, à savoir que la peine doit être proportionnelle à la gravité de l'infraction et à la responsabilité du délinquant. L'article renvoie en outre au principe de l'individualisation de la peine, qui consiste à tenir compte des circonstances entourant chaque crime et des particularités de chaque criminel. Comme l'a prévu le Parlement, le système judiciaire doit avoir la latitude nécessaire dans l'application de cette approche de la détermination de la peine, qui est juste et qui est fondée sur des principes, y compris par ailleurs le principe de la justice réparatrice, qui s'applique lui aussi.
Cela m'amène à ma troisième considération, à savoir si les peines minimales obligatoires sont réellement efficaces. Ce que nous savons, d'après toutes les études fondées sur des faits, c'est que les peines minimales obligatoires ont aussi une conséquence négative et préjudiciable pour le système de justice pénale. On pourrait appeler cela la loi des conséquences inattendues. Ces peines font augmenter la population carcérale, ce qui engendre des coûts plus élevés pour les contribuables, et des coûts de substitution, puisqu'il y a moins d'argent à consacrer au maintien de l'ordre, aux programmes communautaires et à la prévention de la criminalité. Cela ne nous rapproche pas de notre objectif d'avoir des rues et des villes plus sûres.
Les procureurs peuvent arrêter les procédures ou retirer une poursuite, ou encore négocier une peine plus légère, parce que les peines minimales obligatoires sont trop sévères. Les décisions risquent ainsi de ne plus relever de la magistrature, mais de la poursuite. Cela pourrait finalement entraîner des taux de condamnation moins élevés. Si une accusation assortie d'une peine minimale obligatoire est maintenue, l'accusé est moins enclin à plaider coupable, ce qui peut être la cause de procès plus longs et plus coûteux. Les taux d'arrestation, les accusations, les négociations de plaidoyers et les déclarations de culpabilité ont, en fait, diminué dans le contexte de peines minimales obligatoires, tandis que le coût des procès a augmenté.
Les peines minimales obligatoires ont une conséquence négative pour les accusés de groupes minoritaires, notamment les Autochtones, qui sont déjà surreprésentés dans le système de justice pénale, et particulièrement pour les femmes autochtones, qui sont aussi, de plus en plus, surreprésentées dans le système. Les peines minimales obligatoires deviennent le maximum imposé pour les infractions, plutôt que le minimum, ce qui est exactement le contraire de ce que vise une politique publique sensée.
Comme l'Association du Barreau canadien l'a résumé en 2005, après une étude de l'ensemble des faits:
Les peines minimales obligatoires ne contribuent pas à la réalisation de l’objectif de dissuasion [...] ne visent pas les délinquants les plus notoires, ni les plus dangereux [...] ont des conséquences disproportionnées sur les groupes minoritaires [...] vont à l’encontre d’aspects importants du régime de détermination de la peine [...]
Il n'est pas surprenant que le professeur Anthony Doob ait demandé sur un ton découragé, en 2001: « Pourquoi sommes-nous encore en train de nous demander si le Canada devrait adopter des peines minimales obligatoires? » Il l'a répété récemment. Le professeur Marie-Andrée Bertrand a déclaré, après avoir examiné le projet de loi C-10:
[Français]
C'est une catastrophe. Elle mentionnait, et je cite: « Pas moins de 24 nouveaux crimes seront passibles d'une peine de quatre ans. C'est une catastrophe. »
[Traduction]
En conclusion, cette mesure est inspirée d'une idéologie, elle est motivée par des considérations politiques et elle constitue une méthode inefficace pour lutter contre la criminalité. Ce qu'il faut, c'est une mesure efficace, fondée sur des faits et appuyée sur des principes, qui contribuerait à la réalisation de notre objectif commun, celui d'avoir des rues et des villes sûres.