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Monsieur le Président, j'en arrivais aux points saillants de mon exposé et je suis heureux que vous soyez de retour pour écouter le reste de mon intervention.
Je parlais du contexte dans lequel la mesure législative sur les délinquants dangereux a été élaborée, soit la situation créée par la décision rendue dans l'affaire Johnson, suite à laquelle, dans bien des cas, la Couronne ne présentait plus de demandes de déclaration de délinquant dangereux, à cause des difficultés posées par la décision de la Cour suprême du Canada. J'aimerais mentionner brièvement les changements renfermés dans le projet de loi.
Premièrement, nous nous sommes attaqués à ce que nous croyons être des problèmes d'uniformité entre les diverses administrations au pays. D'une façon plus précise, nous ne pensons pas que, dans les diverses régions du Canada, la Couronne demande qu'un délinquant soit déclaré dangereux chaque fois qu'il serait approprié de faire une telle demande. En conséquence, le projet de loi exige que les procureurs de la Couronne doivent préciser au tribunal s'ils ont l'intention ou non, dans certaines situations, de faire une demande afin qu'un délinquant soit déclaré dangereux. Cette obligation est énoncée dans le nouvel article 752.01.
Cette décision est prise en fonction de la liste des infractions désignées à l'article 752, qui a été modifié. Je signale que cette liste inclut toutes les infractions de la liste des infractions primaires, ainsi que toutes les autres infractions graves, commises avec violence contre une personne, qui sont mentionnées dans le Code criminel.
En vertu du nouvel article 752.01, lorsqu’une personne est condamnée pour une infraction qui correspond à la définition de sévices graves à la personne qui figure à l’article 752 du Code criminel, le procureur de la Couronne doit voir si le délinquant a déjà fait l’objet de deux condamnations antérieures pour une infraction violente ou sexuelle désignée pour laquelle il a été condamné à au moins deux ans de prison.
Grâce à cette disposition, la Couronne examinera de façon plus systématique s’il y a lieu de demander que le délinquant soit déclaré dangereux. Cela ne vise aucunement à imposer une sentence au tribunal ou au délinquant, mais c’est néanmoins important pour favoriser une plus grande diligence lors de la condamnation des délinquants violents et sexuels récidivistes.
Le prochain amendement qui est proposé a largement retenu l’attention et c’est la disposition dite d’inversion du fardeau de la preuve. Il ne faut pas oublier que l’audition du délinquant dangereux a lieu après sa condamnation. Il ne s’agit pas d’un innocent. Il s’agit d’un criminel qui a été reconnu coupable et qui a été condamné pour une infraction très grave.
Dans certains contextes, il y a une peine d’emprisonnement automatique. Par exemple, dans le cas de certaines infractions commises avec des armes à feu ou de meurtre, ces peines sont automatiques. Il n'y a pas d'audition, mais seulement l'imposition automatique au moins de la peine minimum prévue.
Dans ce cas particulier, le délinquant sera présumé innocent jusqu’à ce que le juge de première instance le déclare coupable. Ensuite, la Couronne décidera de demander ou non qu’il soit déclaré délinquant dangereux. Après l’affaire Johnson, nous croyons que, dans bien des cas, les contrevenants qui risquent vraiment de commettre d’autres crimes sexuels violents échappent à la désignation de délinquant dangereux. Cet amendement vise à remédier à cette situation.
À l’heure actuelle, le procureur de la Couronne doit faire une demande au tribunal avant que l’audition d’un délinquant dangereux ne puisse avoir lieu et le tribunal ordonnera la tenue de l’audition si le délinquant en question a été déjà condamné pour sévices graves à la personne, c’est-à-dire une des infractions graves définies à l’article 752, et s’il est probable qu’il sera considéré comme un délinquant dangereux. Nous ne changeons pas ce processus. C’est toujours la Couronne qui décide s’il y a lieu de demander que le délinquant soit déclaré dangereux.
Le procureur général de la province doit toujours donner son consentement par écrit avant que la demande ne puisse franchir l’étape suivante. Le juge doit toujours ordonner une évaluation psychiatrique avant que l’audition ne puisse avoir lieu. Le processus actuellement en vigueur continue de s’appliquer dans toutes les situations où le poursuivant estime qu’il y a lieu de demander que le délinquant soit déclaré dangereux.
Lorsque l’audition a lieu, la nouvelle disposition qui inverse le fardeau de la preuve ne s’appliquera que si les conditions suivantes sont remplies: premièrement, la Couronne doit convaincre le tribunal qu’il y a eu deux condamnations antérieures pour des infractions primaires inscrites dans une nouvelle liste de 12 infractions sexuelles ou violentes graves, à l’article 752; deuxièmement, pour chacune de ces condamnations antérieures, la sentence doit avoir été au moins de deux ans de prison et, troisièmement, le tribunal doit être convaincu que la nouvelle infraction dont le délinquant a été reconnu coupable est également une des infractions désignées, et enfin, le tribunal doit être convaincu que cette infraction mérite au moins une peine de deux ans d’emprisonnement.
Si toutes ces conditions sont réunies, on peut alors présumer que la poursuite a démontré au tribunal que le délinquant est un délinquant dangereux aux termes du paragraphe 753(1). Le délinquant a alors la possibilité de réfuter cette présomption selon la prépondérance des probabilités.
Je souligne que beaucoup de gens ont émis l'opinion que cette disposition était contraire à la Charte des droits. Je dois dire que ces gens n'ont pas pleinement pris en compte les répercussions de cette dispositions et également de la modification contenue dans le paragraphe 753(1.2) proposé.
Tout d'abord, je dois insister sur le fait que la liste des infractions pour lesquelles le fardeau de la preuve est inversé, soit les infractions primaires, est très brève et a été soigneusement établie. Je le répète, douze infractions sont visées et chacune d'entre elles est passible d'une peine maximale d'au moins 10 ans d'emprisonnement. Ce sont toutes des infractions très graves.
Dans notre analyse, nous avons déterminé que toutes ces infractions entrent dans la catégorie des infractions de prédicat ou mènent à la désignation de délinquant dangereux. Parmi les 380 délinquants actuellement désignés dangereux, par exemple, environ 80 p. 100 ont été reconnus coupables d'une infraction de prédicat sur les sept infractions sexuelles de la liste primaire. Dans les autres cas, la grande majorité des délinquants ont été reconnus coupables de l'une ou l'autre des cinq autres infractions de la liste primaire. La liste a été expressément composée pour traduire cet état de fait.
Nous avons établi la liste pour nous assurer que la véritable nature de chaque infraction correspondait aux critères de base de sévices graves à la personne. Nous avons exclu les infractions comme l'homicide involontaire coupable et la conduite avec facultés affaiblies causant la mort, qui sont des infractions graves, mais qui, par leur nature même, n'impliquent pas l'intention de causer un préjudice grave. De plus, j'insiste sur le fait que, pour que le fardeau de la preuve soit inversé, chacune des condamnations antérieures doit avoir été assortie d'une peine d'au moins deux ans, ce qui indique bien que l'infraction était grave. Qui plus est, le juge doit également être convaincu que l'infraction commise mériterait une sentence d'au moins deux ans d'emprisonnement.
Nous croyons que, si toutes ces conditions sont réunies, il est raisonnable de présumer que le délinquant correspond à la définition d'un délinquant dangereux. Il existe un lien clair et rationnel entre les critères déclenchant la désignation et la constatation que l'individu est un délinquant dangereux. Cela justifie la présomption contenue dans le projet de loi. Sur la base de cette analyse, je suis fermement convaincu que les dispositions proposées résisteraient à une contestation de leur constitutionalité.
Encore une fois, je signale que le délinquant peut réfuter l'inversion de la charge de la preuve. Je fais remarquer que, dans les actions en justice concernant les délinquants dangereux, l'accusé a toujours accès à l'aide juridique s'il n'a pas les moyens de se payer un avocat, et cela inclut l'accès à des psychiatres indépendants. Si un tel spécialiste est incapable d'établir des preuves qui permettent de réfuter la présomption, c'est clair qu'il faut considérer que le délinquant correspond tout à fait à la définition du délinquant dangereux.
Je fais remarquer que cela ne met pas un terme à la protection constitutionnelle, qui fait partie intégrante de la proposition. J'insiste sur le fait que, dans tous les cas, même si le délinquant ne parvient pas à démontrer au tribunal qu'il n'est pas un délinquant dangereux, le tribunal peut toujours, à sa discrétion, refuser la peine d'emprisonnement pour une période indéterminée en tant que délinquant dangereux.
Le projet de loi confirme le pouvoir discrétionnaire du tribunal de refuser la désignation de délinquant dangereux. Nous voulons que ce soit bien clair que, conformément au principe établi dans la décision Johnson, le juge ne peut imposer une peine pour une période indéterminée que s'il est convaincu qu'aucune peine plus légère ne pourrait protéger adéquatement la population.
Nous reconnaissons que les tribunaux doivent conserver le pouvoir de rendre une décision à leur discrétion dans les affaires de cet ordre. Cela est tout à fait conforme au principe établi par la Cour suprême du Canada dans les affaires Johnson et Lyons.
Comme la liste des infractions primaires est très limitée et compte tenu du respect du principe du pouvoir judiciaire discrétionnaire, qui est maintenant codifié, et j'insiste là-dessus, de manière que le juge peut imposer une peine proportionnelle au crime, je peux dire aujourd'hui à la Chambre avec beaucoup d'assurance que je crois que cette mesure législative résistera à une contestation constitutionnelle. Le pouvoir discrétionnaire du tribunal demeure intact. Ce pouvoir est prévu et est maintenant inscrit dans la loi.
En terminant, je rappelle à la Chambre la longue liste d'innocents qui ont été victimes d'individus reconnus coupables de nombreux crimes avec violence, notamment Christopher Stephenson, Jonathan Wamback et Frank Groves, pour n'en nommer que quelques-uns. Ces noms devraient nous hanter tant que notre nation n'aura pas eu le courage d'adopter des lois plus sévères contre les criminels dangereux. Combien d'autres enfants sommes-nous prêts à sacrifier? Combien d'autres victimes? Quand nous joindrons-nous à la majorité des Canadiens qui disent qu'assez, c'est assez?
Nous avons un choix très simple à faire: ou bien nous nous tournons les pouces tandis que ces prédateurs font de nouvelles victimes, ou bien nous faisons passer le message que les Canadiens en ont assez.
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Monsieur le Président, je prends la parole aujourd'hui au sujet du projet de loi , présenté récemment par le gouvernement conservateur. Nous allons maintenant en débattre et je souhaite situer dans leur contexte les dispositions législatives qui existent actuellement dans le Code criminel.
Aux termes des dispositions du Code criminel du Canada concernant les délinquants dangereux et les délinquants à contrôler, la Couronne peut présenter une demande lorsque le délinquant est condamné pour une infraction constituant des sévices graves à la personne. Cette infraction est définie au paragraphe 752 b) comme étant une agression sexuelle visée aux articles 271, 272 ou 273 ou comme correspondant aux critères du paragraphe 752 a) à savoir la constatation que l'infraction est liée à l'emploi, ou une tentative d'emploi, de la violence contre une autre personne et qu'elle est punissable d'un emprisonnement d'au moins 10 ans. Toute demande de la poursuite aux termes de la partie XXIV doit être approuvée directement par écrit par le procureur général de la province. À l'heure actuelle, la désignation de délinquant dangereux entraîne automatiquement une période d'incarcération indéterminée sans possibilité de demande de libération conditionnelle avant sept ans.
En 1987, dans l'affaire R. c. Lyons, on a déterminé que l'imposition d'une peine de détention pour une période indéterminée, comme l'autorise cette partie, ne va pas à l'encontre des articles 7, 9 et 12 de la Charte canadienne des droits et libertés. Selon l'article 7: « Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en conformité avec les principes de justice fondamentale. » Selon l'article 9: « Chacun a droit à la protection contre la détention ou l'emprisonnement arbitraires. » Selon l'article 12: « Chacun a droit à la protection contre tous traitements ou peines cruels et inusités. »
À l'heure actuelle, avant que l'accusé ne puisse être reconnu délinquant dangereux, on doit établir à la satisfaction du tribunal que l'infraction dont l'accusé a été reconnu coupable ne constitue pas un cas isolé, mais fait partie d'un comportement type où participent la violence, une conduite brutale ou agressive ou l'incapacité de contrôler les impulsions sexuelles. De plus, il doit être établi que le comportement type risque de se reproduire. Même après cela, le tribunal peut encore, à sa discrétion, refuser de désigner le délinquant comme étant dangereux ou refuser de lui imposer une peine d'une durée indéterminée. Ainsi, sur le plan juridique, la loi actuelle s'appuie sur les plus hauts critères de rationalité et de proportionnalité.
Autrement dit, la disposition concernant les délinquants dangereux qui est en vigueur au Canada à l'heure actuelle et qui a permis de faire incarcérer 360 délinquants comme délinquants dangereux est conforme à la Charte et elle donne de bons résultats.
Comme élément contextuel additionnel, rappelons que le gouvernement libéral précédent a créé en 1997 la désignation de délinquant à contrôler, qui ciblait les délinquants sexuels et les délinquants violents pour tenir compte du fait que bon nombre de délinquants sexuels et de délinquants violents nécessitent une attention particulière même s'ils ne cadrent pas avec la définition de délinquant dangereux. Le changement était nécessaire, puisqu'il y a au Canada, depuis juin 2005, 300 délinquants de la catégorie des délinquants à contrôler.
La désignation de délinquant à contrôler vise les individus reconnus coupables de sévices graves à la personne qui, selon les éléments de preuve, sont susceptibles de récidiver mais qui peuvent être gérés par une peine régulière, suivie d’une période donnée de surveillance fédérale dans la collectivité aux termes d'une ordonnance de surveillance pendant une période maximale de 10 ans suivant leur mise en liberté. Une fois mis en liberté, les contrevenants sont assujettis aux conditions de surveillance imposées par la Commission nationale des libérations conditionnelles. Il peut s'agit d'ordonnances interdisant d'aller à tout endroit où se trouvent des groupes d'enfants, d'une surveillance 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, de la nécessité de se rapporter à la police ou à tout autre organisme, et de conditions qui limitent la liberté, comme demeurer dans des maisons de transition du gouvernement fédéral. Le non-respect de toute condition d'une ordonnance de surveillance de longue durée constitue en soi un acte criminel pouvant entraîner une peine d'emprisonnement de 10 ans.
Des cas ont fait jurisprudence tant en ce qui concerne la désignation de délinquant dangereux que celle de délinquant à contrôler. En septembre 2003, la Cour suprême du Canada a déclaré que le juge devait envisager pleinement la possibilité de contrôler un délinquant en le désignant délinquant à contrôler avant de pouvoir le désigner délinquant dangereux. Cela faisait partie de l'arrêt R. c. Johnson. Si le tribunal a des raisons de croire que le risque que le délinquant pose au grand public peut être limité s'il est désigné délinquant à contrôler, il faut alors imposer cette peine moindre, même si le délinquant satisfait à tous les critères de la désignation de délinquant dangereux.
Actuellement, la procédure et les critères qui servent à déterminer si un individu est un délinquant dangereux se trouvent aux articles 753, 754 et 757 du Code criminel du Canada. La procédure à suivre pour déterminer qu'un individu est un délinquant à contrôler et les conséquences qui s'ensuivent se trouvent aux articles 753.1 à 753.4 et à l'article 757. Les droits d'appel sont prévus à l'article 759 du Code criminel du Canada.
Le Parti libéral appuie fermement tous les efforts légitimes qui sont déployés afin de protéger les Canadiens et de punir les délinquants qui représentent un danger pour les collectivités du Canada. Toutefois, il faut veiller à ce que les changements que nous décidons d'apporter au système actuel ne mettent pas ce dernier en péril. Les changements doivent être constitutionnels et il ne faut pas qu'ils puissent être invalidés à la suite d'une contestation fondée sur la Constitution, car cela pourrait compromettre des protections qui sont déjà garanties au Canada.
Nous croyons aussi qu'il est important de codifier l'arrêt Johnson de la Cour suprême du Canada. Les changements doivent faire en sorte que les délinquants devant être désignés comme dangereux ou à contrôler n'échappent pas au système judiciaire, mais ils ne doivent en aucun cas violer les droits de justice fondamentale qui sont garantis à tous les Canadiens. Si le gouvernement conservateur minoritaire ne voit pas à cela, il faudra en conclure, fort regrettablement, qu'il tient davantage à marteler ses idées sur la loi et l'ordre qu'à gouverner de façon responsable pour tous les Canadiens. Les victimes seront mécontentes de découvrir qu'il ne s'agit pas d'une loi solide, mais plutôt d'une loi boiteuse.
Même si cela fait peu de temps que le projet de loi a été déposé, des membres chevronnés de la profession juridique ont déjà exprimé de graves inquiétudes en ce qui a trait à la constitutionnalité de certaines des modifications proposées dans le projet de loi . Leurs inquiétudes ne concernent pas seulement les dispositions qui prévoient le renversement du fardeau de la preuve sur l'accusé et les audiences de certains délinquants dangereux. Les fonctionnaires du ministère de la Justice ont déjà confirmé publiquement et en privé qu'ils s'attendent à ce que la nouvelle loi soit contestée.
La Cour suprême du Canada a confirmé la validité des articles du Code criminel qui portent sur les délinquants dangereux. Elle a aussi clarifié le recours aux dispositions sur les délinquants à contrôler dans la jurisprudence. Que se passera-t-il lorsque des dispositions inconstitutionnelles seront greffées aux articles existants? Cela mettra-t-il tout le système en péril? Serait-il possible de garantir, même pour le , ce que ferait la cour? Nous savons qu'il y aura toujours des avis juridiques divergents, mais ce qui importe avant tout, c'est que nous ne perdions pas la capacité de désigner des délinquants comme dangereux, car cela compromettrait la sûreté des Canadiens au lieu de la renforcer. Le gouvernement espère peut-être que la cour invaliderait les dispositions inconstitutionnelles de la loi, mais personne ne peut garantir la réaction d'un tribunal.
C'est pourquoi, dans le passé, les gouvernements menaient normalement de vastes consultations avant de présenter ce genre de projet de loi. Il ne faudrait entreprendre aucune modification d'une partie aussi importante et aussi nécessaire du Code criminel sans mener des études empiriques fondées sur des preuves et sans tenir de vastes consultations, pour s'assurer d'élaborer le meilleur le projet de loi possible avant de le présenter au Parlement. Des représentants du ministère de la Justice m'ont confirmé que cela n'a pas été fait dans le cas qui nous occupe.
Sous l'ancien gouvernement libéral, je crois que des discussions étaient en cours au sujet de la décision Johnson et des éclaircissements qui s'imposaient à cet égard, ainsi que de la question des engagements de ne pas troubler l'ordre public. Il y a des moyens d'apporter un certain nombre de réformes aux dispositions concernant les délinquants dangereux et les engagements de ne pas troubler la paix, en vue d'accroître la protection de tous les Canadiens contre les délinquants violents ou à risque élevé. Toute modification proposée devrait tenir compte, au préalable, des conséquences qu'elle risquerait d'avoir, surtout en situation de gouvernement minoritaire. Ces modifications auraient dû être abordées sérieusement et sans parti pris. Le risque que le projet de loi ait des conséquences négatives indésirables est grand et il n'y a pas que la question de son inconstitutionalité.
En raison, en partie, de l'éventail plus vaste des délinquants désignés, ce projet de loi risque d'avoir de multiples conséquences, depuis les moyens d'inculpation aux modes de poursuite en passant par la stratégie de la défense. Des avocats de la défense et des poursuivants m'ont prévenue que le projet de loi entraînera probablement des procès plus coûteux, des négociations de plaidoyer moins fréquents et un engorgement encore plus grave des rôles d'audience. C'est sans compter que les victimes devront revivre une nouvelle fois leur douloureuse expérience pendant le procès.
Nous devrions également nous méfier de l'effet Askov, en ce sens que nous risquons de perdre des poursuites en raison d'une attente excessive pour passer en jugement. Ces attentes ne sont pas attribuables qu'au nombre de nouvelles auditions de délinquants dangereux et de délinquants à contrôler. C'est que, chaque fois qu'on recourt à un nombre artificiel, par exemple, trois, il a un effet sur les première, deuxième et troisième accusations. Quels sont les coûts et les effets éventuels du projet de loi? Ont-ils été bien évalués lors de son élaboration précipitée? Le projet de loi aggravera les fardeaux financiers et les lenteurs de l'appareil judiciaire au Canada. Les coûts de ces modifications seront refilés aux provinces qui sont chargées des tribunaux au Canada.
La désignation de délinquant dangereux est l'une des peines les plus sévères, la plus sévère de toutes selon certains, car elle entraîne une période d'incarcération de durée indéfinie. Par conséquent, dans notre système de justice pénale, l'audition d'un délinquant dangereux est l'une des procédures les plus complexes et laborieuses au plan juridique, car elle implique des témoignages complexes, non seulement de psychiatres, mais aussi d'autres spécialistes.
Le processus est menacé si les délinquants dangereux ne bénéficient pas de l'aide d'un avocat pendant la procédure. Une nombre important d'accusés dans les affaires criminelles comptent sur les programmes d'aide juridique pour leur défense. Des accusés dans cette situation, sans représentation, ne permettraient pas de réaliser des économies. Au contraire, ils coûteraient plus cher et risqueraient de contester ultérieurement leur désignation.
Je soulève cet aspect, car l'aide juridique est un domaine auquel le gouvernement n'accorde qu'une attention insuffisante. Certaines provinces, y compris la mienne, éprouvent actuellement de sérieux problèmes à ce chapitre. Le gouvernement conservateur minoritaire utilise toujours la même tactique. En effet, il fait passer le message à la population avant de présenter un projet de loi. Sans fournir les détails pertinents de ses mesures législatives, le gouvernement insiste pour en informer le public, même si son message comporte des erreurs.
Dans le cas actuel, le gouvernement voulait faire passer le message d'une loi à l'américaine, du genre « trois prises et vous êtes retiré ». Il voulait que la population croie que cette mesure législative renforcerait la capacité de régler les cas difficiles. Le a même évoqué une affaire qui est actuellement devant les tribunaux dans le cadre de sa conférence de presse et de sa séance de photo. Même si le projet de loi n'était pas encore déposé à cette époque, il y avait une foule de gens prêts à appuyer l'annonce qui venait d'être faite sans rien connaître des détails du projet de loi .
Quelles difficultés pose le projet de loi? Un grand nombre de Canadiens ont commencé à se prononcer là-dessus. Je vais partager avec la Chambre certaines des réserves que m'ont exprimées d'autres personnes qui s'y connaissent mieux que moi dans le domaine du droit pénal et constitutionnel.
La nouvelle version de l'article 752.01 qui est proposée dans le projet de loi est ainsi libellée: « Dans le cas où le poursuivant est d’avis que... ». Essentiellement, l'article 752.01 exigerait des procureurs qu'ils avisent le tribunal, dans les meilleurs délais possibles suivant la déclaration de culpabilité, s'ils comptent demander une désignation de délinquant dangereux.
Tout d'abord, les paragraphes 752.1(1) et 752.1(2) actuels traitent déjà du moment de la présentation des demandes. Ainsi, le nouvel article n'est pas nécessaire pour garantir qu'on avise les tribunaux. De par son libellé, ce nouvel article est le plus inhabituel et, fort probablement, le plus inexécutable qui soit. Comment, en droit, peut-on appliquer ce genre de disposition de préavis sans connaître l'opinion d'un procureur? Y aura-t-il des audiences au cours desquelles le procureur donnerait son opinion? Je ne crois pas.
S'agit-il d'une tentative maladroite du gouvernement fédéral pour amener les procureurs provinciaux à agir suivant les dispositions relatives aux délinquants dangereux et pour accroître le nombre de demandes? Si c'est le cas, la longue liste d'infractions désignées que contient le projet de loi énumère principalement des infractions faisant l'objet de poursuites au niveau provincial et non fédéral.
Le essaie-t-il réellement de donner des directives stratégiques aux procureurs provinciaux quant au moment de présenter une demande de déclaration de délinquant dangereux? Je le répète, l'administration de la justice est de compétence provinciale. Si telle est l'intention du gouvernement, cette mesure risque d'être ultra vires ou d'outrepasser la compétence du gouvernement fédéral, surtout si le but est d'imposer des obligations légales aux procureurs provinciaux, en particulier en ce qui concerne le pouvoir discrétionnaire de poursuivre. On peut aussi se demander ce qui arriverait aux procureurs qui n'avisent pas le tribunal dans les meilleurs délais.
Ainsi, rien que dans cet article nous voyons déjà surgir des problèmes, non seulement de compétence, mais aussi d'application, c'est-à-dire que son non-respect n'entraîne aucune conséquence.
Je vais maintenant aborder le nouveau paragraphe 753(1.1) et l'inversion du fardeau de la preuve dont il est question. Certains observateurs estiment que la protection relative à la présomption d'innocence visée à l'alinéa 11d) de la Charte ne s'appliquerait qu'aux personnes inculpées jusqu'à ce qu'elles soient déclarées coupables. Or, cela pourrait sans doute s'appliquer au processus de détermination de la peine.
Toutefois, les principes de justice fondamentale mentionnés à l'article 7 de la Charte placent vraisemblablement le fardeau de la preuve sur le procureur, même lors de la détermination de la peine, ce qui inclut les audiences sur les peines applicables aux délinquants dangereux.
En droit pénal, la norme de preuve est « hors de tout doute raisonnable ». Dans le paragraphe 753(1.1) proposé, la norme est abaissée à la « prépondérance des probabilités » et parallèlement — et j'insiste sur cette simultanéité -- le même paragraphe inverse le fardeau de la preuve. Dans les faits, c'est dire que les audiences sont fondées sur la crainte d'infractions futures possibles et non pas sur l'infraction qui a amené l'individu devant le tribunal. C'est un élément qu'il est important de bien comprendre.
Essentiellement, ce que l'on change ici, c'est que l'on présume que le risque posé par un délinquant qui en est à sa troisième infraction, si elle se retrouve dans la liste contenue dans la loi, en fait un délinquant dangereux. En d'autres mots, on pourrait demander si ce délinquant pose le risque qui répond aux critères contenus dans les dispositions permettant de désigner un individu comme étant un délinquant dangereux. Dans les deux cas, les critères sont différents.
En soi, il y aurait là une violation de la Charte, mais il faut se demander si la limitation imposée à la présomption d'innocence est justifiée aux termes de l'article 1 de la Charte. Peut-on démontrer qu'il est justifié de limiter ou de compromettre la présomption d'innocence pendant l'audience visant à faire déclarer un individu délinquant dangereux? En termes constitutionnels, comment justifie-t-on qu'il est nécessaire d'inverser ainsi le fardeau de la preuve?
Les fonctionnaires de la Justice n'ont pas pu répondre à cette question lorsque je la leur ai posée. Pourquoi perturber inutilement le processus? De toute évidence, il y a eu un choix de la part du maître politique. La disposition exige que les tribunaux tiennent pour acquis qu'un individu sera dangereux dans le futur, même dans les cas où ce danger n'est pas prouvé, où il ne peut pas être prouvé ou, comme un spécialiste me l'a déclaré, où il n'existe même pas.
Le paragraphe 753(1.1) fait peser le fardeau de la preuve sur l'individu qui se retrouve devant le tribunal. Cet individu doit prouver qu'il ne constitue pas le genre de menace que les dispositions sur les délinquants dangereux visent à éliminer. Selon l'article 1 de la Charte, il doit exister un besoin pressant et important pour qu'une disposition législative annule un droit prévu dans la Charte. Est-ce que le besoin politique d'être vu comme un gouvernement qui agit entre dans cette catégorie?
Comme il a été mentionné dans un éditorial du Globe and Mail, la plupart des délinquants dont il a été question dans les journaux récemment et qui pourraient inquiéter la population n'auraient pas été touchés par le nouvel article parce que leurs condamnations antérieures relevaient des instances non pas fédérales, mais provinciales, et étaient de moins de deux ans. Par conséquent, la disposition ne répond pas à un besoin juridique pressant et important, mais vise à donner l'impression que le gouvernement agit, même s'il ne règle pas les problèmes.
Que se passe-t-il si, en examinant cet article, le tribunal estime que l’inversion de la charge de la preuve ne permet pas de supposer que si le délinquant reste en liberté il ne risquera pas de causer une mort ou des sévices, de rester indifférent aux conséquences raisonnablement prévisibles de ses actes, ou de manifester une brutalité incorrigible? C’est là que le gouvernement aurait pu faciliter les choses pour la Couronne en allégeant le fardeau de la preuve.
Le gouvernement a plutôt choisi d’imposer le fardeau de la preuve à ceux qui font l’objet de trois condamnations. Cela veut dire qu’un juge sera forcé de considérer que l’accusé représente la menace associée à un délinquant dangereux même s’il a des doutes à cet égard et même s’il pense que le délinquant ne pose pas de danger. Ce n’est pas du tout la même chose que d’alléger simplement le fardeau de la preuve qui revient à la Couronne.
J’en ai parlé à un ministre de la Justice d’une province qui pense que le principe des trois condamnations n’ajoute rien au projet de loi. En vertu de l’alinéa 754(1)a), le procureur général de la province doit toujours donner son consentement à chaque demande présentée pour faire déclarer un délinquant dangereux et rien, dans ce projet de loi, n’élimine cette exigence du Code criminel.
Tel que le projet de loi est libellé, on peut se demander s’il ne pose pas certains problèmes constitutionnels. Il y a de nombreux aspects constitutionnels du projet de loi qui pourraient soulever des questions de la part des experts. L’un d’eux, le professeur David Paciocco, m’a fait part de son analyse du projet de loi. J’ai essayé de traduire en partie son analyse et celle d'autres spécialistes dans le peu de temps dont je dispose. Je ne peux pas rendre justice à tous les arguments qui ont été avancés.
Je dois toutefois parler de la nécessité d’insérer ou de codifier le jugement rendu dans l’affaire Johnson. Le nouveau paragraphe 753(1.2) se trouve à l’article 3 du projet , à côté de la mention infra marginale « limite ». Malgré l’ajout de la disposition inversant le fardeau de la preuve dont nous venons de parler, nous avons maintenant un article qui semble ne pas tenir compte de cette disposition ni de la présomption de dangerosité que le nouveau paragraphe 753(1.1) introduit dans le projet de loi étant donné que le tribunal peut, s’il le désire, infliger une peine d’une durée déterminée ou d’une durée indéterminée, ou déclarer que le délinquant est un délinquant à contrôler.
Autrement dit, c’est laissé à la discrétion du tribunal. Je n’ai pas le temps de citer cette disposition et je vais donc laisser les députés la lire, mais il y est dit: « Malgré le paragraphe (1) ». C’est là que le principe de détermination de la peine le moins restrictif -- j’ai seulement un ou deux paragraphes de plus -- du Code criminel qui se trouve à l’article 718, clarifié dans le jugement Johnson, entre en jeu.
Pourquoi inverser la charge de la preuve? C’est trompeur. Dans le premier paragraphe, le se concentre non pas sur la loi, mais sur le message selon lequel les criminels seront sévèrement punis et il a inclus dans le deuxième paragraphe le jugement rendu par le tribunal et la loi existante. Le fardeau de la preuve manque dans ce paragraphe. C’est inhabituel. Quel est le but visé?
Quelqu’un savait ce qu’il fallait faire et on a voulu faire croire que tout cela était logique, mais ce n’est que de la poudre aux yeux...
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Monsieur le Président, j'ai le plaisir d'intervenir au sujet d'un projet de loi visant à donner un sens et une orientation différents de ceux que l'on connaît, à propos de la question des délinquants dangereux.
Avant de présenter l'essentiel des arguments et de la position du Bloc au sujet des délinquants dangereux, je voudrais d'abord dire à quel point le Bloc prend au sérieux la question de la sécurité dans les collectivités.
Aucun membre de ce Parlement ne voudrait vivre dans des collectivités au sein desquelles la sécurité des gens est menacée. Que ce soit au Québec ou dans n'importe quelle autre province, personne ne voudrait que les personnes âgées, que les chefs de familles monoparentales, que les enfants, que les travailleurs ou que nos parents puissent être en danger lorsqu'ils se livrent à des activités routinières dans la communauté.
Je dois avouer que je suis un peu fatigué d'entendre le discours démagogique, simpliste des conservateurs. Ce discours donne à penser que les gens qui n'endossent pas leur position sont sans scrupule, laxistes et ne sont pas préoccupés par la sécurité des gens. J'espère que ce discours prendra fin. Le sujet est trop sérieux pour pouvoir se livrer à de telles simplicités.
Le Bloc québécois n'est pas favorable au projet de loi tel que libellé. Cela veut-il dire que le Bloc québécois ne croit pas que le Code criminel doive comprendre des dispositions concernant les délinquants dangereux et les personnes à contrôler? Bien sûr que non.
Le Bloc comprend tout à fait qu'il y a des personnes qui ont commis des actes criminels ou qui en commettront, et qui, malheureusement, ne se contrôlent pas, ne contrôlent pas leurs pulsions et ont une personnalité telle qu'ils représentent un risque de récidive extrêmement élevé. Cela est-il génétique ou acquis? Est-ce une question d'environnement ou d'encadrement? Est-ce une question de valeurs? Est-ce une question de famille? Je ne le sais pas. En revanche, je sais que c'est la responsabilité des parlementaires de protéger les gens contre ce type de comportement et contre ce type de personnalité.
Le discours du gouvernement est particulier, puisqu'il semble prétendre que ces dispositions n'ont pas été utilisées, qu'elles n'existent pas et que les procureurs de la Couronne hésitent à les utiliser.
J'aurais aimé que le se lève en cette Chambre pour nous dire que son gouvernement déposait le projet de loi sur les délinquants dangereux parce que les procureurs et le système de justice — dans son administration —, ne les utilisent pas.
Dès lors, nous nous serions demandé quelle procédure doit être entreprise pour s'assurer que, dans les cas où il est nécessaire d'établir qu'une personne représente un risque, elle doit être déterminée comme délinquant dangereux — avec tout ce que cela implique. Un délinquant dangereux est susceptible d'être emprisonné pour une période de temps indéterminée.
En vertu des articles 752 et 753 du Code criminel, certaines personnes ont été considérées comme des délinquants dangereux. On n'a pas besoin du projet de loi actuel du ministre; les cours de justice et les procureurs ont fait leur travail. En ce moment, des gens sont considérés comme des délinquants dangereux. Dans certains cas, des gens sont emprisonnés depuis 20 ans.
Ce qui est dangereux, dans ce projet de loi et dans l'approche du , c'est cette espèce de vision voulant qu'on procède par automatisme.
Si une personne commet, à trois reprises, des actes qui figurent dans la liste des infractions primaires, le fardeau de la preuve sera automatiquement inversé, et cette personne devra prouver ne pas être un délinquant dangereux. Malheureusement, en droit criminel, cela ne peut pas fonctionner ainsi.
Peut-être faut-il se plaindre; peut-être ne devrait-il pas y avoir de Charte; peut-être ne devrait-il pas y avoir de procès; peut-être ne devrait-il pas y avoir de cours de justice; peut-être devrait-on envoyer tous les gens en prison une fois qu'ils ont commis une infraction grave contre les individus.
On peut être partisan de ce système de justice, mais qu'on ait donc le courage de le dire clairement. Encore une fois, la ligne de démarcation ne se situe pas entre ceux qui s'intéressent à la sécurité des victimes et des collectivités et ceux qui ne s'y intéressent pas. À la limite, je dirais que ce n'est même pas la question du renversement du fardeau de la preuve. Le renversement du fardeau de la preuve est un cran et une balise importante dans le système de justice. C'est un principe important, comme l'est la présomption d'innocence. Les tribunaux ont donné des indications sur ce qu'était la présomption d'innocence, mais ce n'est pas une vérité de l'Évangile. On peut être d'accord avec le fait que, dans certaines circonstances, il faille renverser le fardeau de la preuve.
Mon ancien collègue député de Charlesbourg—Haute-Saint-Charles, un homme ayant eu la considération de tous les partis de cette Chambre, a déjà déposé un projet de loi concernant les biens acquis par infraction. On pensait particulièrement au gangstérisme. En 1997, j'étais en cette Chambre quand on a ajouté les articles 465, 466 et 467 au Code criminel pour créer l'infraction de gangstérisme. Il fallait créer du droit nouveau. Les Hells Angels, les Rock Machine et les Bandidos représentaient un danger réel pour la collectivité parce qu'ils se livraient à des guerres ouvertes dans les communautés pour le contrôle du marché de la drogue. Ils avaient un évident mépris pour les gens des communautés.
Je me rappelle même avoir eu des conversations avec de hauts fonctionnaires du ministère de la Justice qui disaient vouloir démanteler le crime organisé avec les dispositions concernant le complot. Au Bloc québécois, nous étions convaincus qu'il fallait créer du droit nouveau et qu'il fallait une nouvelle infraction. Quand mon ancien collègue député de Charlesbourg—Haute-Saint-Charles a déposé ce projet de loi, nous étions bien convaincus qu'il était impératif de le faire.
La différence avec les délinquants dangereux, c'est que des dispositions existent déjà et la Couronne peut s'en prévaloir. Il y a effectivement des balises: le rapport d'un psychiatre est nécessaire. Dans le cas du Québec, par exemple, il y a des arrangements avec l'Institut Philippe-Pinel, qui évalue le profil du délinquant. Pourquoi faudrait-il spécifier « après trois fois »? Ce n'est pas une question de nombre ni de quantité. Si une personne présente un tel profil, qu'après sa première infraction on pense qu'elle ne se contrôlera pas, qu'elle présente un risque de récidive et qu'elle est un danger pour la sécurité, rien n'interdit de recourir aux articles 751, 752 et 753. L'article est très clair, à ce point clair qu'il a été utilisé à plus de 300 reprises par les cours de justice.
Bien sûr, nous vivons une réalité exceptionnelle. Quand une personne se présente au dépanneur et commet un vol, c'est triste. Cela mérite une sanction. C'est quelque chose de répréhensible et il faut faire intervenir le système de justice. Personne ne dit le contraire. Néanmoins, cela n'en fait pas un délinquant dangereux qui passera 20 ans en prison, sans être admissible à une libération conditionnelle et qui sera emprisonné pour une période indéterminée. Ce qui est décevant dans l'approche du gouvernement, c'est cette absence de nuances et cette incapacité de faire la part des choses.
J'écoutais tout à l'heure le secrétaire parlementaire du président du Conseil du Trésor, dont on dit qu'il est le plus jeune député de la Chambre. Le secrétaire parlementaire s'est levé à deux reprises en cette Chambre pour dire au député d'opposition qu'il n'était pas responsable. D'ou vient notre irresponsabilité? Elle vient du fait qu'en comité, tous partis d'opposition confondus, nous avons voté pour amender le projet de loi . Le député d'opposition a alors dit que nous voulions permettre aux voleurs de purger leur peine dans leur communauté.
C'est un peu jeune pour être démagogue et pour avoir une analyse, qui est d'abord extrêmement simpliste.
La réalité est la suivante: en 1996, nous avons fait un ajout au Code criminel, à la suite de recommandations à peu près unanimes des ministres de la Justice. J'étais en cette Chambre à l'époque, et nous nous rendions compte que les prisons étaient peuplées, mais que le tiers des incarcérations avait trait à des amendes impayées. Les gens avaient été emprisonnés à défaut de payer une amende.
Bien sûr, on comprend qu'on n'encourage pas les gens à ne pas payer leur amende, mais cela devait-il donner lieu à l'incarcération? Lorsque le projet de loi a été adopté, le Canada était le troisième pays au monde qui emprisonnait le plus. Seuls la Russie et les États-Unis emprisonnaient alors plus que le Canada.
Je rappelle que le ministre a été incapable de montrer une seule étude scientifique qui prouve qu'un lien existe entre la dureté des peines et le taux de récidive. On sait bien que ce n'est pas parce que les peines sont les plus sévères, ni parce qu'on emprisonne le plus, qu'on vivra dans des communautés plus sécurisantes.
Bien sûr, il arrive que l'emprisonnement soit inévitable. Sauf que si la logique du ministre était vraie, les États-Unis mériteraient certainement qu'on s'attarde à leur réalité: ils emprisonnent sept fois plus que le Canada. Pourtant, le taux d'homicides est quatre fois moindre au Canada — et je me limite à un type d'infraction. Dans une société où on emprisonne le plus, on s'attendrait à ce qu'il y ait le moins de crimes et de récidives. Pourtant ce n'est pas le cas.
Se pourrait-il que ce ne soit pas le cas parce que ce n'est pas tant la dureté des peines que la crainte réelle d'un individu face à la perspective de se retrouver derrière les barreaux qui sera véritablement dissuasive, qui empêchera un individu de commettre un crime?
Nous convenons donc de la nécessité d'inclure dans le Code criminel des dispositions qui concernent les criminels dangereux. Nous nous accordons sur la responsabilité, qui revient au procureur de la Couronne, sur la foi d'un rapport de psychiatre ou de psychologue. Quand une expertise démontre qu'une personne présente, après une première infraction, une telle menace pour la sécurité, nous soutenons que les dispositions du Code criminel relatives aux articles 751, 752 et 753 doivent trouver une application. Nous ne disons pas qu'il faut attendre deux à cinq infractions, mais nous ne pouvons pas approuver l'idée qu'on nous présente une liste de 22 infractions, bien que nous convenions qu'elles soient sérieuses. Les infractions primaires qui sont proposées sont, entre autres: contacts sexuels, incitation à des contacts sexuels, exploitation, inceste, tentative de meurtre, agression sexuelle, tentative de viol et attentat à la pudeur. Nous y reconnaissons de sérieux éléments, mais nous ne pouvons pas favoriser un fonctionnement par automatisme du système judiciaire.
Il s'agit de la grande différence entre le Bloc québécois et les conservateurs. Nous, du Bloc, sommes préoccupés par la sécurité de nos concitoyens. C'est le Bloc qui, le premier, a mené la bataille pour obtenir une véritable loi antigang. C'est lui qui a permis le renversement du fardeau de la preuve dans le cas des biens acquis par infraction, au moyen d'un projet de loi qui a été adopté à l'unanimité.
Nous donnons notre aval à un emprisonnement nécessaire, car cela arrive. Parfois la prison peut présenter un caractère dissuasif, mais le premier principe de l'administration de la justice est le caractère individualisé de la peine. Je le répète encore: c'est une grande différence entre le Bloc québécois et le Parti conservateur. Chaque situation mérite d'être appréciée selon les faits qui ont mené à la perpétration, selon le crime qui a été commis et selon le profil du délinquant.
Cela ne peut jamais être un automatisme, parce que lorsque nous sommes sur le terrain de l'automatisme, nous ne sommes pas sur le terrain de l'appréciation des faits. C'est cela la justice. Qui voudrait vivre dans une société où on procède par automatisme?
Malheureusement, le gouvernement conservateur fait fausse route. Il a fait fausse route sur la question de l'emprisonnement avec sursis. Depuis tantôt, le et le parlent de l'emprisonnement avec sursis. En effet, et je le répète, le Bloc québécois est bien sûr d'accord que le droit de l'individu à purger sa peine dans la collectivité n'est pas un droit constitutionnel. Il s'agit d'un privilège. Cependant, la Cour suprême a également dit dans l'arrêt Proulx que cela demeurait une sanction. La peine avec sursis est un cas d'emprisonnement. Bien sûr que nous sommes d'accord que tous les types d'infractions ne représentent pas le même coefficient de gravité.
Le jeune de 18 ans qui fait trois graffitis sur un mur commet un méfait public. C'est répréhensible, c'est triste et c'est inacceptable. Toutefois, dans la liste que le ministre nous proposait, ce jeune, qui a fait trois graffitis qui peuvent totaliser plus de 5 000 $ en termes de dommages, n'aurait pas été admissible à l'emprisonnement avec sursis. Nous pensons qu'il s'agit de cas où ce n'est peut-être pas indiqué que par automatisme, la personne ne soit pas emprisonnée avec sursis.
La personne qui s'est livré à des attentats à la pudeur, à des viols, la personne qui a commis des sévices contre la personne, particulièrement dans des cas d'infractions à caractère sexuel, bien sûr que nous pouvons comprendre que, parce que nous voulons dénoncer ces gestes, parce qu'il y a un message à envoyer concernant ce type d'infractions, que c'est peut-être moins indiqué que ces personnes purgent leur peine dans la collectivité.
N'oublions pas que l'emprisonnement avec sursis représente 5 p. 100 des types de condamnation et de peines, mais le ministre a été incapable de faire cette nuance.
Je termine en disant que le Bloc québécois croit que les délinquants dangereux doivent faire l'objet d'un traitement particulier, que les délinquants dangereux ne doivent pas être remis en liberté s'ils représentent une menace pour la collectivité. Cependant, nous n'acceptons pas la logique des automatismes, la logique qui fait que nous ne sommes pas capables d'apprécier une situation selon le profil du délinquant, ses antécédents, les circonstances qui ont mené à la perpétration du crime.
En effet, c'est le prix à payer pour vivre dans une société où le symbole de la justice est une balance entre des droits, mais également une balance entre des obligations. Oui, les procureurs de la Couronne doivent évaluer la situation. Oui, un juge doit évaluer la situation. Oui, il y a des libertés constitutionnelles qui doivent être protégées. Oui, il y a des situations où il faut recourir à l'emprisonnement et à la coercition.
Or, le danger, ce sont les automatismes. À chaque fois que le gouvernement conservateur voudra proposer des solutions simplistes à des problèmes complexes, nous ne pourrons pas accepter cela. Toutefois, nous ne serons jamais complaisants. Jamais nous ne défendrons les criminels inconditionnellement. Nous allons être capables de dire qu'il y a des situations où les gens doivent se retrouver en prison, ne sont pas réhabilitables et méritent d'avoir un emprisonnement ferme de 20 ans ou de 25 ans. Nous sommes capables de faire la part des choses. Or, encore une fois, nous n'acceptons pas cette logique d'automatisme et nous n'acceptons pas le mépris de ce gouvernement face au travail de la magistrature.
Lorsque nous regardons la façon dont les cours de justice ont interprété la question de l'emprisonnement avec sursis, lorsque nous regardons la façon dont on a utilisé les dispositions pour les délinquants dangereux, nous n'avons pas raison de ne pas avoir confiance dans le système de justice. Est-ce que cela veut dire qu'il n'y a pas des juges qui se sont égarés? Oui, c'est en effet possible.
Il s'agit là de la tactique des conservateurs.
Sur 257 000 causes où il y a eu des condamnations en 2003, 13 000 ont donné lieu à des emprisonnements avec sursis. Le ministre s'est présenté au Comité permanent de la justice en donnant cinq exemples de cas où, a priori, sans avoir étudié le dossier avec plus d'analyse, il aurait peut-être été moins indiqué de recourir à l'emprisonnement avec sursis. Est-ce que cela veut dire que cela déconsidère l'administration de la justice? Est-ce que cela veut dire qu'il faut réfléchir selon le mode des automatismes? Bien sûr que non.
C'est la raison pour laquelle nous sommes tellement craintifs vis-à-vis de ce gouvernement quand il est question de justice. C'est sans compter le chantage auquel il se livre. Nous avons commencé la session au mois de septembre. Demains, nous serons au mois de novembre. Le Comité permanent de la justice a adopté deux projets de loi, a étudié les crédits budgétaires et commence l'étude d'un troisième projet de loi. Donc, les députés ont eu une charge de travail tout à fait respectable. Cependant, il est évident que quand on étudie les projets de loi, il faut entendre les témoins. Il faut toujours bien que notre travail de contrôle parlementaire, notre travail de parlementaires, qui consiste à regarder les conséquences d'un projet de loi, soit fait avec le maximum de sérieux.
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Monsieur le Président, je suis ravie de prendre la parole au nom du caucus néo-démocrate fédéral à l'étape de la deuxième lecture du projet de loi .
D'abord, je salue le très compétent porte-parole du NPD en matière de justice, le député de , qui a donné au caucus néo-démocrate des conseils et des renseignements précieux et qui a dirigé le débat que notre caucus a tenu sur ce projet de loi et sur près d'une douzaine d'autres dont le gouvernement conservateur a saisi le Comité de la justice. Le député de a su se mériter le respect de tous les partis à la Chambre par sa façon d'aborder ces questions avec discernement et sagesse. Les propos que je tiens aujourd'hui puisent dans cette sagesse.
Nous sommes arrivés à un point tournant du débat. Trois partis sont intervenus avant nous. Il est évident pour tous ceux qui ont suivi le débat, et si ce n'était pas évident pour le gouvernement auparavant, ce l'est assurément maintenant, que le projet de loi perd du terrain. Trois partis s'y opposent à l'étape de la deuxième lecture qui, comme nous le savons, est l'étape du débat sur le principe. On dirait bien que le projet de loi ne sera pas renvoyé à un comité. La situation est grave.
Je n'ai pas pu m'empêcher de sourire en écoutant des députés ministériels débiter leur rhétorique politique sur ce projet de loi et sur plusieurs autres. Le mantra du gouvernement, c'est que les députés qui n'appuient pas les projets de loi tels que le projet de loi sont tolérants à l'égard de la criminalité, qu'ils font des cadeaux aux criminels, qu'ils ne se soucient ni du public ni des victimes, en fait qu'ils sont insensibles à tout. Le gouvernement nous a rebattu les oreilles avec de pareils discours. Je ne serais pas étonnée d'apprendre que les députés ministériels répètent ce mantra dans leurs rêves la nuit.
Un député a dit que nous devrions regarder la réalité en face. Soit, faisons-le. Trois partis de l'opposition réfutent ce projet de loi parce qu'il comporte une foule de lacunes. Ces partis ont invoqué des raisons philosophiques et intellectuelles, mais aussi des motifs juridiques et pratiques pour montrer que le projet de loi ne règle rien du tout. Il est nécessaire de le dire.
Le a accusé l'opposition de faire traîner les projets de loi sur la criminalité. À ce propos, le projet de loi , la mesure sur l'âge du consentement, a été présenté en juin, mais le gouvernement n'en a pas saisi la Chambre avant hier. C'est la même chose pour ce projet de loi, car c'est la première fois que nous avons l'occasion d'en débattre.
Mettons donc de côté tout discours partisan et concentrons-nous sur les mérites de ce projet de loi, sur la question de savoir si c'est un projet de loi sensé et utile. C'est d'ailleurs ce que nous sommes censés faire à la Chambre. Nous sommes ici pour représenter nos électeurs, pour promouvoir de saines politiques d'intérêt public, pour défendre l'intérêt public et déterminer si les projets de loi présentés par le gouvernement sont bons. Nous examinons les projets de loi et décidons s'il convient de les appuyer. C'est ce dont nous débattons aujourd'hui, ce n'est pas du tout un débat sur nos convictions politiques.
En ce qui concerne le projet de loi , je le répète, les députés néo-démocrates s'y opposent. Je constate que, dans l'information présentée par le cabinet du ministre de la Justice, on nous dit que cette mesure aidera les procureurs de la Couronne à obtenir des désignations de délinquant dangereux. On nous dit aussi qu'une des pierres angulaires de la réforme proposée dans ce projet de loi est l'obligation faite à un délinquant trouvé coupable d'une troisième infraction sexuelle ou violente de prouver qu'il n'est pas un délinquant dangereux. C'est ce qu'on appelle l'inversion du fardeau de la preuve. C'est certainement une des principales raisons pour lesquelles le NPD et d'autres partis dont nous avons entendu des porte-parole aujourd'hui s'opposent au projet de loi. Pourquoi?
Je voudrais citer un excellent article de Paula Simons qui a été publié dans l'Edmonton Journal au mois d'octobre, ainsi que dans le Leader-Post de Regina, notamment. Dans cet article, l'auteur écrit:
C'est une règle de droit aussi vieille que la Grande Charte, un fil doré qui sert de trame à presque 800 ans de tradition juridique britannique. Cette règle figure maintenant à l'article 11 de la Charte canadienne des droits et libertés, qui garantit à tout inculpé le droit d'être présumé innocent jusqu'à preuve du contraire.
Je vais commencer par ce premier argument fondamental parce qu'il sous-tend nos inquiétudes à propos de ce projet de loi, qui contient une disposition inversant le fardeau de la preuve. L'État sera dispensé de sa responsabilité de prouver qu'une personne est un délinquant dangereux. C'est le délinquant qui devra prouver qu'il n'est pas dangereux.
Je souligne que, malgré la tradition plusieurs fois centenaire qu'on nous propose d'éliminer, il y a tout de même eu, dans le passé, des articles du Code criminel qui inversaient le fardeau de la preuve. Ces articles ont existé jusqu'à l'adoption de la Charte, mais depuis 1982 ils ont été soit invalidés par les tribunaux, soit volontairement retirés lors des examens et des modifications successifs du Code criminel.
Il nous faut vraiment comprendre que notre système judiciaire comporte une longue tradition selon laquelle une personne est présumée innocente jusqu'à preuve du contraire. Chaque cas doit être examiné individuellement. Il n'y a pas de règle absolue dans le système permettant de trancher de façon catégorique par un oui ou par un non. Chaque infraction est unique. Chaque victime est unique. Notre système judiciaire prévoit fondamentalement que, dans le cadre de l'application de la loi, les jugements doivent être rendus selon les particularités de chaque cas.
Le projet de loi entraînerait un bouleversement de cette tradition démocratique et juste qui est très importante dans notre système judiciaire. Cette raison justifie à elle seule notre opposition au projet de loi.
Dans notre système judiciaire actuel, 85 p. 100 des délinquants dangereux sont en détention. On ne les laisse pas sortir. La peine imposée à un délinquant dangereux est plus longue qu'une peine d'emprisonnement à perpétuité.
Je suis d'avis, tout comme notre porte-parole en matière de justice, le député de , que des améliorations doivent être apportées aux dispositions et au système actuels, mais les dispositions de base qui sont en vigueur donnent de bons résultats. Selon nous, l'élimination complète de ces dispositions et l'inversion du fardeau de la preuve sont des mesures qui, premièrement, vont être contestées en vertu de la Charte et invalidées, et qui, deuxièmement, n'amélioreront pas nécessairement la sécurité des Canadiens. Ce point a été mentionné tout au long du débat aujourd'hui.
Le deuxième problème que je peux voir c'est que le projet de loi outrepasse une limite en permettant au fédéral de s'immiscer dans un champ de compétence provincial et de dire aux procureurs, qui relèvent des provinces en ce qui a trait à l'application de la loi, ce qu'ils devraient faire. Cette situation est très problématique et la mesure législative risque fort d'être contestée et invalidée.
On se demande pourquoi le gouvernement présente un projet de loi dont deux dispositions fondamentales sont très contestables sur le plan juridique. Comme nous l'avons entendu aujourd'hui, un grand nombre de spécialistes sont d'avis que ces dispositions ne tiendraient pas la route.
Il va de soi que les Canadiens se préoccupent beaucoup de la criminalité, de la sécurité, et qu'ils ne veulent pas que les personnes dangereuses se promènent dans les rues. Ce sont là des préoccupations tout à fait légitimes. Les députés néo-démocrates veulent s'assurer que l'on ait le meilleur système de justice pénale possible, soit un système en vertu duquel, lorsqu'une infraction grave a été commise, le contrevenant est jugé et se voit imposer une peine appropriée.
Nous trouvons étonnant qu'aux termes du projet de loi, il faudrait attendre que quelqu'un ait été reconnu coupable une deuxième et une troisième fois avant que ce genre de disposition s'applique. La chose la plus efficace, la plus intelligente et la plus pratique à faire serait de veiller à ce que le système fonctionne le plus tôt possible, de manière à intervenir plus tôt en donnant les ressources nécessaires aux procureurs de la Couronne pour qu'ils puissent obtenir les condamnations qu'ils recherchent quand ils disposent d'informations et de preuves suffisantes.
Aujourd'hui, si un procureur estime être en possession d'informations qui lui donnent à penser qu'une personne devrait être traduite en justice en tant que délinquant dangereux, il peut le faire, mais cela prend du temps et de l'argent. Il faut beaucoup de ressources pour mener une enquête à bien. La réalité est qu'il arrive aux procureurs de ne pas donner suite à de telles suspicions parce que le système est déjà surchargé et qu'ils ont déjà plus de cas qu'ils ne peuvent en gérer.
Ce que j'essaie de dire, c'est que si nous voulons vraiment enfermer les délinquants dangereux et veiller à la sécurité du public et de nos collectivités, nous devrions nous assurer que le système permette aux procureurs de faire leur travail efficacement.
Au lieu d'attendre qu'une personne soit condamnée une deuxième et une troisième fois pour renverser le fardeau de la preuve et l'obliger à prouver qu'il n'est pas un délinquant dangereux et qu'il ne présente pas de risque pour la société, pourquoi ne pas donner aux procureurs les outils et les ressources dont ils ont besoin pour faire leur travail afin d'éviter d'en arriver là? Nous estimons que ce serait beaucoup mieux, que ce serait une meilleure approche.
Quel message ce projet de loi envoie-t-il au public? Nous avons entendu le gouvernement nous faire de beaux discours comme quoi il s'agirait de punir plus sévèrement les criminels, mais ce qu'on nous dit vraiment, c'est qu'il n'y a pas de mal à attendre la deuxième ou troisième fois. Voulons-nous réellement donner cette troisième occasion aux délinquants?
À notre avis, il est préférable que le système offre les ressources et les outils nécessaires à son bon fonctionnement et que les procureurs soient en mesure de traiter ces cas; lorsqu'ils constatent que des délinquants devraient être déclarés dangereux, ils doivent être en mesure d'agir en conséquence. C'est très important.
Il y a un quatrième point que je veux soulever. Si nous abordons sérieusement ce projet de loi et le traitement des délinquants dangereux, nous devrions nous pencher sur les façons d'améliorer le système. Par exemple, nous pourrions apporter des modifications au fardeau de la preuve qui incombe aux procureurs. À l'heure actuelle, s'ils veulent prouver qu'un délinquant est dangereux, ils doivent faire comparaître trois psychologues. Nous devrions peut-être nous pencher là-dessus. Nous devrions peut-être dire qu'il suffit au procureur de faire comparaître deux psychologues pour produire les renseignements pertinents.
Nous pourrions changer plusieurs choses dans le système pour donner aux procureurs de meilleurs outils pour faire leur travail, mais le gouvernement néglige cette solution. Il préfère son approche indûment rigoureuse qui témoigne d'un manque de confiance absolue en qui que ce soit dans le système de justice et dans les juristes qui seront chargés de faire respecter la loi.
En fait, j'ai entendu le député du Bloc dire que c'est pour cela que le gouvernement fait peur à son parti. C'est un commentaire très intéressant qui, à mon avis, reflète l'opinion du public selon laquelle le gouvernement présente une foule de projets de loi pour lutter contre la criminalité sans avoir vraiment bien réfléchi à la question.
Les partis d'opposition collaborent très étroitement au Comité de la justice et essaient de convaincre le gouvernement que certains de ces projets de loi comportent de graves lacunes. Pourtant, le gouvernement ne semble pas disposé à s'engager dans ce débat. Par conséquent, on est forcé de conclure que c'est une question de tactique politique. Le gouvernement recourt à la politique de la peur. Il tire avantage du fait que les gens ont peur de la criminalité et qu'ils souhaitent vivre en sécurité, mais il ne se penche jamais vraiment sur la question.
Les Canadiens craignent entre autres que le système judiciaire du Canada ne se rapproche constamment de celui des États-Unis qui ont mis en oeuvre des lois calquées sur le principe du retrait après trois prises. Les données révèlent que cette approche ne fonctionne pas. Encore une fois, ce très bon article paru dans le Edmonton Journal cite un rapport que le Justice Policy Institute, de Washington, D.C., a publié en 2004. Ce rapport fait état de certaines statistiques du FBI sur le crime, qui révèlent que, entre 1993 et 2002, le taux de crimes violents et d'homicides a baissé plus rapidement dans les États qui n'appliquent pas la loi des trois délits. C'est fort intéressant et nous devrions nous fier aux preuves très concrètes provenant des États-Unis.
Les députés conservateurs soutiendront qu'il ne s'agit pas exactement de la même loi, mais je réponds qu'elle repose sur le même genre de principes et qu'elle nous rapproche de plus en plus du système judiciaire américain. Nous avons déjà entendu le mantra américain sur la ligne dure contre le crime.
Dans le rapport, on compare également la Californie à l'État de New York. La Californie possède la loi la plus stricte de retrait après trois prises. Elle impose l'emprisonnement à perpétuité même si la troisième infraction n'est que le vol d'un morceau de pizza. L'État de New York ne possède pas ce genre de loi, mais son index global de criminalité a diminué de moitié entre 1993 et 2002 alors que celui de la Californie n'a baissé que de 39 p. 100.
En Californie, en dépit d'une diminution du taux de criminalité entre 1994 et 2004, au cours de ces dix années d'application de la politique du retrait après trois prises, la population carcérale de l'État a augmenté de près de 23 p. 100. Selon l'étude du Justice Policy Institute, la construction d'établissements carcéraux supplémentaires pour loger les détenus et la dotation en personnel de ces prisons coûte à l'État 8 milliards de dollars américains de plus sur dix ans.
Je soulève ces éléments d'information, car ils sont très pertinents dans le cadre du débat en cours, non seulement en ce qui concerne le projet de loi à l'étude, mais aussi pour ce qui est de tous les projets de loi dont la Chambre est saisie. Comme l'a signalé un bloquiste, voilà pourquoi le gouvernement nous fait si peur. Le gouvernement amorce des changements radicaux. Il semble déterminer à apporter ces changements coûte que coûte, qu'importe s'ils ont fait leur preuve ou non. Cela doit nous préoccuper au plus haut point.
Je rejette d'emblée les arguments qui feront valoir que le NPD fait preuve de laxisme en matière de criminalité. Rien n'est plus faux. Nous voulons nous montrer intelligents dans nos interventions en ce qui concerne le crime et la justice dans notre pays. Nous voulons faire en sorte que de bonnes politiques publiques soient développées. Nous voulons nous assurer de ne pas adopter des lois qui ne fonctionnent pas, qui peuvent causer des problèmes incroyables dans le système judiciaire et qui mineront les principes fondamentaux établis sur des centaines d'années.
Le gouvernement doit écouter. Le gouvernement est minoritaire. La majorité des députés disent, d'une seule voix, que ce n'est pas un bon projet de loi et qu'il ne sera pas adopté. Par conséquent, les députés qui forment le gouvernement peuvent bien pousser les hauts cris. Ils peuvent bien déclarer que personne de notre côté ne se préoccupe de la criminalité, ce qui est absolument ridicule, ou ils peuvent se retrousser les manches et s'engager dans un vrai débat sur les changements devant être apportés au système judiciaire. J'en ai mentionné quelques-uns aujourd'hui; les autres partis aussi.
Les conservateurs ont le choix. S'ils veulent vraiment accorder la priorité à l'intérêt public et à la protection des Canadiens, ils peuvent examiner des changements qui fonctionneront dans notre système judiciaire. C'est à eux de choisir. Je ne sais pas ce qu'ils choisiront, mais ils devraient prendre note du fait que trois partis sont contre le projet de loi.