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Merci infiniment de m'avoir invitée à comparaître devant le comité.
Si je ne m'abuse, vous avez déjà une copie de mon CV. J'attire tout particulièrement votre attention sur le travail que j'accomplis depuis plusieurs années maintenant et qui consiste à former les officiers de l'OTAN, notamment en vue de leur participation au groupe de commandement et d'opérations de soutien de la paix et de stabilisation de la crise, y compris en Afghanistan. En tant que représentante spéciale du Secrétaire général de l'ONU, mon rôle dans le cadre de ces exercices de formation consiste à favoriser l'harmonisation des efforts et une étroite collaboration entre la mission militaire et la mission politique de l'ONU, afin que les opérations militaires viennent soutenir le processus de paix qui est d'une importance primordiale. D'ailleurs, l'OTAN organise ce genre de formation depuis de nombreuses années.
Je précise que les observations que je vais vous faire aujourd'hui s'appuient sur tout ce qui s'est fait jusqu'ici. Je suis membre du Groupe de référence sur l'Afghanistan, même si je me présente devant vous aujourd'hui à titre personnel. J'ai aidé à préparer le document qui était à l'origine des exposés présentés en novembre dernier par Stefan Lehmeier du Groupe de travail sur les opérations de paix du réseau d'ONG Peacebuild, dont je suis la présidente, et par Gerry Ohlsen, du Groupe des 78, dont je suis une ex-présidente. Je désire également m'associer aux témoignages de Graeme MacQueen de l'Université McMaster et, dans le contexte des audiences actuellement en cours, à ceux de Seddiq Weera du ministère de l'Éducation de l'Afghanistan, et précédemment de l'Université McMaster. Bien entendu, ce rapport préliminaire résume bien les témoignages auxquels je fais allusion.
Stefan Lehmeier, Graeme MacQueen, Gerry Ohlsen et Seddiq Weera ont tous comparu devant vous, comme moi, pour affirmer le besoin urgent de réorienter nos activités internationales en Afghanistan : il convient à présent d'abandonner la campagne anti-insurrectionnelle qui a échoué, en faveur d'un processus de paix multidimensionnel et complet qui s'appuie sur les pratiques exemplaires de l'ONU en matière de consolidation de la paix par des moyens diplomatiques. L'idée serait que ce processus soit mené par un envoyé de l'ONU de haut niveau de l'envergure d'un Lakhdar Brahimi — c'est-à-dire, quelqu'un qui serait accepté par toutes les parties au conflit qui aurait à la fois des connaissances et une compréhension profondes de la région et de l'art de la négociation.
Lorsqu'il s'est présenté devant vous, le professeur Graeme MacQueen vous a fait part de certaines idées, qui ont déjà fait leurs preuves sur le terrain en Afghanistan, sur la façon de créer un dialogue avec les responsables locaux comme première étape vers un processus de négociation plus formel. Seddiq Weera vous a raconté ses discussions avec de nombreux combattants, seigneurs de guerre, barons de la drogue et commandants talibans qui sont mécontents à présent, prêts à négocier — pas tous, bien entendu, mais bon nombre d'entre eux — et désireux de réaliser la paix avec honneur. Il a également parlé de l'impossibilité pour le gouvernement de Karzaï — même s'il le souhaite ardemment — de réaliser de véritables progrès en matière de gouvernance tant qu'il devra surtout songer à se protéger, au fur et à mesure que les talibans et d'autres forces armées qui sont leurs alliés semblent réaliser des gains inexorables dans leur lutte armée pour le contrôle de l'Afghanistan. Je m'associe tout à fait à ces observations, qui figurent déjà au compte rendu des premières audiences du comité sur la question.
À l'heure actuelle, il devient encore plus urgent d'agir puisque la situation de sécurité, qui ne cesse de se détériorer depuis la fin 2001, continue à s'aggraver, à un point tel que l'ancien commandant suprême des Forces alliés de l'OTAN, le général James Jones, dans un nouveau rapport préparé pour le Conseil de l'Atlantique, qualifie la situation militaire en Afghanistan d'« impasse stratégique ». D'autres analystes iraient encore plus loin en disant qu'il devient clair que ce sont les insurgés qui gagnent du terrain.
Depuis le dépôt de votre rapport préliminaire, nous avons obtenu le rapport du groupe de travail guidé par Manley. J'attire l'attention du comité sur certaines observations très importantes qu'on trouve dans le rapport Manley, observations qui cadrent tout à fait avec l'analyse effectuée par des membres du GRA, de même que par Seddiq Weera.
À la page 12 du rapport, il est justement question de la détérioration de la situation de sécurité. De plus, on admet à la page 17 que le combat actuel est la suite d'une guerre civile qui dure depuis une trentaine d'années, et à cette même page du rapport, on reconnaît qu'une réconciliation politique s'impose et que le Canada doit déployer des efforts dans ce sens.
À la page 27, il est question du rôle clé des acteurs régionaux et de l'atroce complexité de la situation régionale. Dans mon mémoire, je cite justement un passage du rapport Manley au sujet de la situation régionale mais, pour ne pas perdre du temps, je ne vais pas en discuter maintenant.
À la page 33 du rapport, on incite le Canada à faire pression en faveur d'une stratégie politico-militaire plus exhaustive et un leadership plus cohérent des efforts déployés par la communauté internationale dans cette région.
Ayant conclu que le maintien de cette stratégie se soldera par un échec en Afghanistan, le rapport fait ensuite toute une série de recommandations précises. En plus des recommandations dont on a beaucoup parlé dans les médias — c'est-à-dire plus de soldats de l'OTAN et un plus grand nombre d'hélicoptères de moyen tonnage — le rapport propose une position diplomatique canadienne plus robuste, y compris un intérêt plus marqué pour la dimension régionale, de même que l'appui du Canada pour la nomination dans les plus brefs délais d'un représentant civil de niveau du Secrétaire général de l'ONU.
Mais lorsqu'on examine de plus près le texte des recommandations, on constate qu'il n'est aucunement question de la possibilité que le Canada cherche à gagner l'appui des pays membres de l'OTAN et de la communauté internationale en général à l'égard d'un nouveau cadre politique pour l'Afghanistan dont la clé de voûte serait le rétablissement de la paix par les moyens diplomatiques. Le rôle du nouvel envoyé spécial de l'ONU doit surtout consister à assurer « une plus grande cohérence des efforts civils et militaires », ce qui est certainement un objectif de deuxième plan par rapport à l'élaboration d'une stratégie politique gagnante à laquelle il serait possible de rallier l'ensemble des différents acteurs internationaux qui sont présents en Afghanistan.
S'agissant de la dimension régionale, voilà la recommandation du rapport Manley : « Des démarches énergiques auprès des pays voisins de l'Afghanistan, notamment le Pakistan, afin de réduire les risques rattachés à la stabilité et à la sécurité régionales au lendemain des événements survenus récemment dans ce dernier pays ».
Aucun pays n'aurait pu faire des démarches plus énergiques auprès du Pakistan que les États-Unis, pour ce qui est d'obtenir du Pakistan qu'il jugule les attaques des talibans et des membres d'Al-Qaïda dans les zones près de la frontière. Or cela n'a rien donné. Des exhortations de ce genre, aussi énergiques soient-elles, doivent s'accompagner du soutien de la communauté internationale pour des démarches qui s'attaqueront au problème du profond déficit démocratique qui est à l'origine de l'insécurité dans les zones avoisinant la frontière du Pakistan. Les résultats de récentes élections au Pakistan présentent une nouvelle occasion de lancer cette initiative, étant donné que ceux et celles qui ont gagné ces élections ont affirmé leur désir d'ouvrir un dialogue politique avec les dirigeants locaux insatisfaits de la zone frontalière.
Et, qu'en est-il de l'examen stratégique de la politique en Afghanistan qui se déroule actuellement à l'OTAN, et dont les résultats seront annoncés au sommet de Bucarest en avril? Eh bien, le rapport Manley est muet sur l'éventuelle contribution du Canada à cette démarche, si ce n'est de demander une plus grande cohérence des efforts militaires et civils et d'insister sur l'idée que le gouvernement canadien devrait surtout s'efforcer de faire accepter par l'OTAN que 1 000 soldats de plus soient envoyés en Afghanistan, si cette dernière souhaite que le Canada poursuive ses opérations militaires dans le sud du pays.
Il me semble que le Canada devrait plutôt profiter de son influence au sein de l'OTAN — influence gagnée très durement avec le sang des soldats canadiens, pour essayer d'obtenir l'appui de ses 26 membres — y compris la majorité des principaux pays donateurs qui assurent une présence en Afghanistan, de même que les nations qui y envoient des soldats — pour ce qu'il y a de plus urgent : un nouveau cadre politique général pour la conduite des opérations internationales en Afghanistan, cadre dont la priorité consisterait à créer les conditions d'un processus de paix complet.
À mon sens, cette approche a déjà beaucoup de partisans, notamment parmi les pays membres de l'OTAN qui ne veulent pas que leurs forces armées participent aux opérations militaires anti-insurrectionnelles. D'éminentes personnalités, comme Lakhdar Brahimi, qui lui-même a été le représentant spécial du Secrétaire général en Afghanistan tout au cours du processus de transition défini par l'Accord de Bonn, ont insisté sur la nécessité urgente de rétablir la paix en misant sur les moyens diplomatiques. Ce qui manque, c'est un pays qui accepterait de jouer un rôle de chef de file au sein de l'OTAN pour obtenir l'adhésion des pays membres à cette nouvelle approche.
Même si je n'ai pas abordé, dans mon exposé liminaire, la motion révisée qui est devant le Parlement concernant la prolongation de la mission militaire canadienne en Afghanistan, je suis tout à fait disposée à répondre à vos questions sur ce sujet important. Il s'ensuit de mon exposé liminaire, toutefois, qu'une réorientation de la mission militaire seulement consisterait en réalité à mettre la charrue — c'est-à-dire, les opérations militaires — avant le boeuf— soit une stratégie politique gagnante permettant d'établir une paix durable en Afghanistan.
Merci infiniment.
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Oui, tout à fait. Mes observations vont surtout porter sur la question du développement. Je ne sais pas si je peux vous faire des recommandations aussi énergiques que celles de Peggy, mais je compte néanmoins évoquer un certain nombre d'éléments qui devraient, selon moi, être pris en considération.
L'analyse que je vous présente dans cet exposé s'appuie sur mes expériences en Afghanistan pendant les trois années où j'y ai vécu et travaillé, les visites que j'ai continué à y effectuer, et les conclusions de mes recherches sur les résultats de mesures prises par la communauté internationale dans d'autres pays à la suite d'un conflit.
J'ai l'intention de me concentrer sur sept éléments en particulier: l'opinion du peuple afghan; l'objectif de la mission canadienne en Afghanistan et les stratégies qui vont permettre d'atteindre les objectifs fixés; l'efficacité de l'aide fournie; le lien entre le renforcement des capacités et la reconstruction d'une nation; la dépendance à l'égard de l'aide et l'économie du pavot; le volume d'aide et le nombre de déploiements de civils canadiens; et la mesure dans laquelle on peut gagner la guerre.
Voici l'optique du peuple afghan: les Afghans ne souhaitent aucunement vivre sous un régime taliban. À leur avis, une présence armée est nécessaire pour établir la sécurité au départ, mais ils ne sont pas en faveur de la présence à long terme de soldats étrangers chez eux. Ils préféreraient que leur propre gouvernement ait une visibilité et une présence accrue sur leur territoire.
Ils sont déçus de constater que la situation de sécurité se détériore. Malgré leurs inquiétudes de plus en plus vives en ce qui concerne la sécurité en général, les gens du peuple ont une attitude positive envers le Canada et les Canadiens. Par contre, les Afghans instruits sont en désaccord avec les affirmations des troupes étrangères concernant la mesure dans laquelle ces dernières gagnent du terrain et leur argument selon lequel l'augmentation du nombre d'attentats-suicide indique bien que les talibans perdent du terrain. Les responsables afghans considèrent que l'évocation de cet indicateur démontre leur insensibilité au sort du peuple afghan, étant donné que deux attentats-suicide en deux jours ont récemment causé la mort de 250 civils afghans.
S'agissant de la clarté de l'objectif de la mission canadienne en Afghanistan, il est essentiel que le Canada se fixe un objectif bien clair. En 2001, l'objectif fixé par la communauté internationale consistait à édifier une nouvelle nation afghane en favorisant la reconstruction, la réforme et le développement, de façon à améliorer la stabilité et l'environnement de sécurité et à rehausser la légitimité du gouvernement afghan. Les Afghans rêvaient d'une nation sécuritaire et se sont consacrés corps et âme à l'élection d'un président qui puisse les diriger.
Or leur rêve a été démoli, mais non parce qu'on n'a pas su répondre à leurs besoins matériels. En fait, étant donné que sa capacité était nulle quand le gouvernement afghan de transition a commencé son travail, les progrès réalisés au cours de la période post-taliban dans les secteurs social et économique sont tout à fait louables et dépassent ceux d'autres pays d'Asie du Sud-Est au cours des cinq premières années suivant leur indépendance.
Les Afghans sont conscients de ces succès, mais leur priorité demeure la sécurité humaine. En réalité, les réformes liées à la sécurité — la condition sine qua non pour stabiliser le pays — ont été reléguées au second plan, étant donné qu'il a fallu atteindre rapidement les objectifs politiques du processus établi par l'Accord de Bonn. Les forces de sécurité et l'armée afghane ne sont pas encore suffisamment fortes pour pouvoir résister aux agressions. La force policière n'arrive pas à gagner la confiance de la population. Les réformes qui devaient être instituées au ministre des Affaires intérieures ne se sont pas encore concrétisées, et l'accès à la justice est à peu près inexistant.
La crise de légitimité du gouvernement afghan pourrait être atténuée dans la mesure où les Afghans accepteraient de jouer un rôle de chef de file et où les dirigeants politiques pourraient compter sur l'appui d'une stratégie bien coordonnée de la part des pays donateurs. Or la mainmise de la communauté internationale sur le processus de renforcement des institutions a fait basculer tout le processus de reconstruction du pays dans un déclin auquel l'Afghanistan ne s'échappera peut-être jamais.
La réponse de la communauté internationale en matière de renforcement des institutions manque totalement de coordination. Malgré le discours qui veut que la coordination passe par les repères du Pacte de l'Afghanistan, il est tout à fait évident que la communauté internationale n'a pas de vision commune, sans parler d'une stratégie commune.
Afin de stabiliser et de sécuriser cet état, il convient d'élaborer des stratégies et directives énergiques permettant d'atteindre l'objectif premier de la mission canadienne en Afghanistan grâce à nos instruments de défense, de diplomatie et de développement. Aucun projet, programme, mesure ou dialogue ne devrait être avalisé et mis en oeuvre sans d'abord être analysé en fonction de notre objectif stratégique. Dans quelles mesures les programmes, projets ou politiques envisagés tendraient à renforcer le contrôle du gouvernement afghan et le maintien de ses territoires?
Jusqu'ici, aucune stratégie claire n'a été établie ou communiquée au gouvernement afghan ou au public canadien hormis la fiction voulant que des projets débouchant rapidement sur des retombées positives permettront de gagner la confiance et l'estime des Afghans. Des projets de cet ordre permettent de protéger provisoirement les Forces armées, mais ne rehaussent en rien la légitimité à long terme du gouvernement afghan.
Par contre, le financement de programmes nationaux conçus et exécutés par les ministères afghans jouit justement de l'appui de la population. Nous en avons déjà certaines indications. Contrairement à la recommandation du rapport Manley, le financement de programmes semblables par l'entremise de mécanismes d'aide bilatérale ne correspond pas à une méthode efficace sur le plan de l'administration.
Les programmes nationaux sont conçus comme des programmes de grande envergure impliquant une multiplicité de pays donateurs qui sont financés par les organismes multilatéraux et exécutés en suivant une approche sectorielle. Les mécanismes de responsabilisation et de rapport sont prévus automatiquement. Si le gouvernement estime que ces derniers ne sont pas suffisants, il pourrait éventuellement exiger le respect de conditions plus rigoureuses en matière de responsabilisation, mais ce serait exclusivement de façon à pouvoir suivre l'utilisation des crédits canadiens.
La mise sur pied de projets bilatéraux parallèles aura pour seul résultat de miner l'efficacité des programmes exécutés par le gouvernement. Il faut respecter le principe selon lequel on ne doit jamais faire du tort au pays récipiendaire en évitant d'adopter une approche qui va à l'encontre de l'objectif consistant à rehausser la légitimité du gouvernement afghan.
Le Canada peut au contraire rehausser la valeur de programmes financés par les organismes multilatéraux en apportant sa contribution aux discussions critiques d'ordre stratégique et en influençant l'orientation et la définition de réformes essentielles. Voilà un rôle que le Canada a très bien joué pendant des dizaines d'années en tant que moyenne puissance et qui lui a valu une excellente réputation.
S'agissant de l'efficacité de l'aide au développement, le suivi des dépenses à lui seul n'est pas garant d'efficacité. Ainsi des mécanismes de mesure du rendement sont essentielles. Seuls les résultats observés sur le terrain, pour ce qui est d'atteindre les objectifs stratégiques de la mission canadienne en stabilisant le pays et en légitimisant les pouvoirs du gouvernement afghan, permettront de déterminer l'efficacité de l'aide fournie par le Canada.
En ce qui concerne le lien entre la construction d'une nation et le renforcement des capacités, il faut bien comprendre que la reconstruction du pays passe par le renforcement des capacités. Malgré un investissement de 1,6 milliard de dollars dans le renforcement des capacités, la communauté internationale n'a pas réussi à améliorer de façon soutenue les capacités des institutions et ministères afghans les plus critiques. L'achat et le remplacement des capacités grâce à des solutions de gestion faciles n'ont pas permis de créer des capacités soutenues. Une multiplicité de récents diplômés des pays du Nord, surrémunérés, inexpérimentés et sans formation adéquate se sont servis des crédits versés au titre de l'APD pour renforcer leurs propres capacités au sein de l'industrie de l'assistance en progression constante qui a englouti l'Afghanistan.
S'agissant de sa dépendance à l'égard de l'aide et de l'économie du pavot, il faut déployer des efforts pour libérer l'Afghanistan de cette dépendance du fléau de l'opium. Tout gouvernement doit répondre de ses actes devant la population en premier lieu. Là où un gouvernement a une dépendance excessive et de longue durée à l'égard des sommes versées au titre de l'aide, le devoir de ce dernier d'être responsable devant ses citoyens est transmis aux pays donateurs. Or un tel résultat n'est pas souhaitable. En conséquence, une stratégie de retrait et un plan de viabilité doivent faire partie intégrante de la stratégie canadienne en Afghanistan en ce qui concerne l'aide et le développement.
Pour ce qui est de l'économie du pavot, même la légalisation limitée du pavot serait catastrophique dans un État de non-droit. Comme l'ont déjà affirmé les experts, la seule solution consiste à répondre aux besoins des agriculteurs par le biais de programmes de développement rural intégrés. Il s'agit évidemment d'un projet de longue haleine.
Je voudrais maintenant vous parler brièvement du volume de l'aide et du nombre de déploiements de civils canadiens. Ce sont des questions qu'il convient d'examiner en profondeur longtemps avant l'étape de la mise en oeuvre. De gros volumes d'aide ne serviront à rien s'ils ne s'appuient pas sur de bons programmes qui donneront les résultats escomptés sur le terrain. Le montant des déboursés n'est pas un indicateur de succès.
Même si la décentralisation du pouvoir décisionnel vers le personnel de terrain est une question critique, le déploiement d'un grand nombre de responsables civils n'est pas nécessairement la meilleure solution. C'est la qualité et l'expérience qui comptent, et non le nombre. Vu l'insécurité qui règne en Afghanistan, il devient difficile de recruter des agents de terrain expérimentés. Par contre, envoyer, dans la région la plus complexe du monde, un grand nombre de récents diplômés ne possédant aucune expérience outre-mer, de faible capacité d'analyse et de peu de talent pour le réseautage ne sert pas à grand-chose.
Les conditions de vie et de travail, de même que les avantages et les allocations, se sont beaucoup améliorés par rapport à l'époque où nous avons été déployés pour la première fois. Le gouvernement canadien a essentiellement exploité le premier groupe d'agents envoyés sur le terrain en ne tenant aucun compte de leurs conditions de vie et de travail absolument atroces.
D'ailleurs, les sacrifices du premier ambassadeur, qui était très dévoué, et de son équipe de trois personnes n'ont toujours pas été reconnus. En tant qu'unique représentante de l'ACDI, j'ai travaillé 18 heures par jour au cours de la première année afin d'établir des programmes et de distribuer les 150 millions de dollars dont nous disposions. Le gouvernement doit envisager tous les moyens possibles de répondre aux besoins des générations actuelle et future de civils postés en Afghanistan.
Enfin, est-ce une guerre qu'il est possible de gagner? Voilà la grande question. Je dirais qu'il ne sera pas possible de gagner cette guerre que si les opérations de combat ne s'accompagnent pas d'une stratégie appropriée de reconstruction de la nation et d'initiatives, lancée par le gouvernement afghan, de négociation et de réconciliation avec les différents éléments qui sont recrutés par les talibans. Vous ne réussirez pas à les tuer tous. Une solution politique est donc essentielle. Il faut absolument les ramener dans la structure politique pour assurer la viabilité du pays.
Je vous remercie.
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Aussi mes commentaires porteront-ils sur certains aspects de l'engagement canadien qui, selon moi, doivent être clarifiés, portent à confusion et affaiblissent l'effort du Canada en Afghanistan. Je le ferai en m'attardant entre autres sur certains aspects du rapport Manley, ce que je ferai suivre de quelques constatations et recommandations.
Commençons par le rapport Manley. Il est difficile de critiquer négativement ce rapport ainsi que les conclusions qui y sont présentées. En effet, je crois qu'il contient des éléments qui satisfont, à divers degrés, toutes les parties concernées. Mais malheureusement, il est superficiel sur plusieurs points. Entre autres, il aurait été intéressant de présenter une évaluation plus détaillée des conséquences d'un retrait unilatéral canadien de cette mission, tant du point de vue de notre alliance que de celui de notre engagement envers les Nations Unies et l'Afghanistan.
De plus, les Canadiens doivent être informés de la nature de nos présentes alliances et surtout se rendre compte que ces engagements sont bel et bien conséquents avec nos valeurs. Je ne suis pas sûr que c'est l'opinion qui est actuellement véhiculée ou même partagée par la majorité des Canadiens. Il faut aussi démontrer, entre autres, l'importance humanitaire de soutenir le processus de reconstruction en Afghanistan, et ce, aussi longtemps que les Afghans en auront besoin. Il faut que le Canada établisse des objectifs précis de ce que nous sommes prêts à faire pour le peuple afghan dans le cadre de ce qui va sans doute s'avérer un très long processus pour la communauté internationale. Il faut le faire non pas en des termes de temps, mais bien en termes d'actions à atteindre qui peuvent être mesurées.
Faut-il rappeler que nous en sommes présentement à la cinquième mission des Nations Unies en Haïti et que la situation entre chacune d'elles n'a fait que se détériorer? Nous sommes demeurés 34 ans dans l'île de Chypre, et je crois que la mission de l'ONU est toujours en place. Devrions-nous traiter les Afghans différemment parce que l'environnement est plus dangereux pour nous et pour eux? Le Canada doit apparaître cohérent dans ses engagements.
La première remarque que je me suis faite à la suite de la nomination du groupe d'experts indépendant a été de constater qu'aucun de ses membres n'avait d'antécédents militaires, alors qu'ils avaient pour tâche d'évaluer l'élément militaire de la mission. Selon moi, il aurait été approprié de choisir un militaire à la retraite, peut-être ayant fait partie des forces terrestres, connaissant bien les mécanismes de l'OTAN, et dont la contribution aurait sans doute clarifié les exigences militaires que le rapport nous propose et surtout ajouté de la crédibilité à ce sujet. J'ai cru comprendre, entre autres, que les membres de la commission avaient demandé aux militaires en opération en Afghanistan s'ils avaient des besoins précis, sans pour autant avoir l'expertise de les commenter.
Ce rapport Manley recommande entre autres l'envoi de 1 000 militaires de plus. On emploie le terme « groupement tactique » sans pour autant en définir la composition. Est-ce un groupement tactique composé de fantassins mécanisés, de blindés, d'ingénieurs de campagne, de pièces d'artillerie? Quel doit être le volume d'éléments de soutien, et ce volume doit-il être inclus?
Comme vous le savez, pour soutenir notre groupement tactique, on parle actuellement de plusieurs centaines d'individus qui sont strictement voués à cette tâche. Donc, plus le groupement tactique est mécanisé, lourd, plus le ratio de logisticiens est élevé et plus ses effectifs sont élevés. Pourquoi 1 000? Pourquoi pas 1 500 ou 500?
On a aussi l'impression, en lisant cette partie du rapport, que l'on a ajouté le tout à la suite des récriminations des militaires face au retard, ou aux délais repoussés, dans l'arrivée des hélicoptères tactiques et, de la part des politiciens, face au manque d'engagement de nos alliés à remplir leurs obligations. Cela semble avoir été fait afin de satisfaire tous les Canadiens.
Je continue de croire que cette mention a été ajoutée de façon plutôt expéditive. Je vous donne un exemple bien précis. Le rapport Manley fait état d'une augmentation de 2 500 militaires afghans à Kandahar entre août 2006 et février 2008, et d'une augmentation de 120 militaires canadiens pour éventuellement former des équipes de mentorat. Le même rapport, à la page 16, prévoit que d'ici un an, il y aura 10 000 militaires afghans de plus dont certains viendront gonfler les rangs à Kandahar. Qui s'occupera du mentorat? C'est la même situation en ce qui concerne le mentorat, à une échelle réduite, que l'on offre aux membres du corps policier afghan. Qui fournira ces ressources constituées de personnel militaire des plus qualifiés? Devra-t-on diminuer les effectifs opérationnels? Les effectifs de combat? Qui s'en occupera?
L'autre aspect qui selon moi a été passé sous silence — en reconnaissant que ce n'était probablement pas un aspect précis du mandat du groupe indépendant — touche la capacité réelle des Forces canadiennes à maintenir l'intensité de cet engagement après 2009. L'effectif actuel est 300 militaires plus élevé qu'il ne l'était en février 2006, et l'étape de préparation n'est plus de 6 à 7 mois, mais de plus d'une année. De plus, il n'y a qu'à constater le nombre de miliciens de la présente rotation — on me dit qu'ils sont environ 500, soit environ 20 p. 100 des effectifs — pour savoir pertinemment que ce volume ne pourra pas être soutenu très longtemps.
À ces chiffres, vous ajoutez l'engagement qui fut donné aux militaires qu'ils ne se verront pas obligés de retourner une deuxième fois en Afghanistan. En plus de tout cela, il faut aussi considérer les Olympiques de Vancouver, en 2010, qui vont nécessiter elles aussi un certain apport de militaires. Ces derniers devront aussi se préparer, s'entraîner.
Personnellement, on ne m'a pas encore démontré qu'on a les effectifs requis pour remplir nos obligations, en tenant compte des effectifs présentement déployés. J'ose espérer que je me trompe et que le tout a déjà été pris en considération.
Mardi dernier, je participais, à l'Université Concordia, à un débat sur la mission canadienne. Je dois vous avouer qu'il n'y avait pas beaucoup de représentants du gouvernement pour appuyer la Défense nationale. Comme toujours, c'est le pauvre militaire qui a dû répondre à toutes les questions négatives. Comme à chaque débat auquel j'ai participé sur ce sujet, il y a toujours une forte proportion de participants qui s'oppose à la mission, non pas parce qu'ils sont des pacifistes durs et purs ou antimilitaires, mais simplement parce que cette mission ne leur apparaît pas légitime et qu'elle est perçue comme étant avant tout une occupation de l'Afghanistan afin de promouvoir les intérêts occidentaux et américains dans cette région. Les raisons sont multiples. On confond l'opération Liberté immuable, Enduring Freedom, avec celle de la FIAS, qui en est une, supposément, d'assistance.
À ce sujet, il serait intéressant que le gouvernement confirme et explique ses contributions à cette opération. N'oublions pas que le 18 avril 2007, le caporal-chef Klumpenhouwer, appartenant au commandement des forces spéciales, est décédé quelque part en Afghanistan. Le Canada contribue-t-il toujours à l'opération Enduring Freedom ou nous occupons-nous strictement de l'opération de la FIAS?
Les Nations-Unies, malgré leur présence, ne semblent pas être les grands coordinateurs comme elles le sont dans les autres missions. Les priorités, les efforts de la mission semblent être confus. Tous et chacun ont leurs priorités. On oublie peut-être celles des Afghans. On a finalement l'impression que les Américains, avec l'OTAN, sont ceux qui prennent les décisions et dictent leur stratégie aux Afghans. Les Afghans ne semblent pas occuper le rôle qui devrait être le leur dans l'ensemble du processus. Sont-ils vraiment souverains? Est-ce qu'on est vraiment en Afghanistan parce que les Afghans nous ont demandé d'y être? On interprète mal le rôle de leader que le Canada devrait jouer. Et en fait, est-ce que le Canada joue vraiment un rôle de leader en Afghanistan?
Certes, le rapport Manley présente de bonnes pistes de réflexion, mais je crois que certains éléments ne sont pas pleinement exploités. Entre autres, depuis la soumission du rapport, nous attendons toujours une plus grande transparence. Plus que jamais il est difficile de connaître la situation, de savoir réellement ce qui se passe en Afghanistan. Le tout ne fait que contribuer à alimenter les rumeurs. On devrait, au contraire, stimuler les débats, offrir des conférences régulières d'information sur nos stratégies, sur les changements, tirer profit des divers centres d'expertise qui font régulièrement des études, faire participer ces gens, faire de cette mission l'affaire du Canada et non pas l'affaire d'une petit élite.
La notion selon laquelle c'est une mission sous mandat onusien n'est pas bien exploitée. On semble oublier que l'OTAN doit faire son rapport au secrétaire général quelques fois par année, en ce qui concerne le renouvellement de la mission. Il faut absolument que les Nations Unies jouent le rôle qu'elles doivent jouer. En plus d'avoir un représentant spécial du secrétaire général en vue de réellement coordonner l'ensemble de l'effort militaire, de développement et de l'effort diplomatique de tous les acteurs, afin de garantir le succès à long terme de cette mission, il faut que les Nations Unies puissent aussi tirer profit des mécanismes qui, depuis le milieu des années 2000, sont en marche. Entre autres, en 2005, les Nations Unies ont mis sur pied la Commission de consolidation de la paix, l'organe principal chargé de donner des conseils sur la restructuration. Est-ce qu'on tire profit de cette organisation? Il y a eu énormément d'initiatives depuis le milieu des années 2000, comme je le mentionnais, de façon à permettre à l'ONU d'avoir de meilleurs mécanismes pour coordonner ces missions très complexes.
Il faut de plus rétablir un dialogue avec les partenaires régionaux, comme ce fut le cas alors que l'ancien conseiller spécial du secrétaire général, le diplomate algérien Lakdhar Brahimi, avait établi un groupe de travail avec les six pays frontaliers de l'Afghanistan. L'idée est de chercher à bien intégrer l'Afghanistan dans sa région et de collaborer à bâtir des ponts avec tous ses voisins, de façon à ce que lorsque la mission sera terminée, l'Afghanistan soit en mesure de pouvoir se tenir seul et avec ses voisins. Il faut aussi s'assurer que l'Afghanistan soit présent et ait son mot à dire dans tous ces centres de coordination et de décision. Il faut que le Canada joue le jeu qu'il dit qu'il va jouer. En effet, on parle des 3D sur le terrain d'opération, mais il doit aussi faire sentir sa présence politiquement et pas seulement au sein de l'OTAN.
Le Canada doit être à la table des décideurs et influencer politiquement le processus, plutôt que d'être toujours en mode de réaction. Il doit faire ce qu'il a toujours bien su faire : se joindre à des pays comme lui, assumer le leadership et faire le contrepoids auprès des autres puissances afin de s'assurer que l'on n'oublie pas les véritables raisons de notre présence en Afghanistan.
On doit aussi pouvoir expliquer à la population canadienne que la présence du Canada fait une différence sur le terrain que seul le Canada peut accomplir, que nos normes élevées et notre respect des valeurs humaines ont des effets chez nos alliés. Retirer prématurément le Canada de l'Afghanistan aurait un impact sur ces normes. C'est une chose que j'ai pu remarquer au cours des nombreuses opérations auxquelles j'ai contribué : les Canadiens font les choses différemment. On les fait bien. C'est un avantage que d'avoir le Canada sur le terrain.
Deux autres petites constatations montrent que l'on s'éloigne peut-être du mandat réel du Canada en Afghanistan. Je vous lis un extrait du mandat de 2003 du Conseil de sécurité sur la FIAS, qui a été renouvelé annuellement depuis :
[...] d'aider l'Autorité intérimaire afghane et ses successeurs à maintenir la sécurité dans les régions de l'Afghanistan en dehors de Kaboul et ses environs, de façon que les autorités afghanes ainsi que le personnel des Nations unies et les autres personnels civils et internationaux qui contribuent, en particulier, à l'effort de reconstruction et à l'action humanitaire puissent travailler dans un environnement sûr, et de fournir une assistance dans le domaine de la sécurité pour l'exécution de toutes les autres tâches à l'appui de l'Accord de Bonn; [...]
Le rapport Manley mentionne les éléments suivants :
L'action menée par le Canada se fonde sur des priorités canadiennes claires et répond à un double objectif:
1. fournir la sécurité requise pour permettre au développement de s'engager dans le sud de l'Afghanistan;
2. aider le gouvernement afghan à appliquer les principes de la bonne gouvernance et à bâtir un avenir meilleur pour ses citoyens.
Les objectifs des Nations Unies et de l'OTAN, tels que décrits dans le rapport, s'énoncent comme suit :
— que tous les pays de l'OTAN aident l'Afghanistan dans ses efforts visant à créer des conditions de sécurité nécessaires au développement ainsi qu'à bâtir une vie meilleure pour tous ses citoyens;
— que l'Afghanistan ne serve plus de camp retranché pour le terrorisme international.
Est-ce une façon cachée de dire que nous sommes toujours engagés dans l'opération Liberté immuable ? Je pense que c'est le genre de choses pour lesquelles on doit s'assurer d'être en accord avec le mandat des Nations Unies.
Mon dernier point a trait au manque de clarté de notre rôle et à la difficulté d'établir des priorités claires dans notre effort.
On ne peut pas régler tous les problèmes en même temps, et je crois que c'est une réalité qui, graduellement, devient un empêchement ou, du moins, affaiblit notre effort dans un contexte où les ressources sont grandement limitées.
La priorité devrait être le rétablissement de l'ordre public avec la mise en place de structures institutionnelles pour son soutien. La justice sociale est un facteur primordial dans le devenir d'une société qui a à coeur le bien-être de ses citoyens, mais malheureusement, elle ne peut pas se faire sans ordre, et trop souvent, nous cherchons à établir la justice avant l'ordre. Le tout a pour conséquence d'enlever toute forme de priorité, car selon cette même justice, tout est primordial: liberté de presse, accès aux soins, à l'éducation, système judiciaire équitable, système de détention adéquat, etc.
On semble oublier que dans nos démocraties, notre progrès vers une meilleure justice sociale ne s'est pas fait avant l'établissement de l'ordre.
Merci de votre patience.
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Merci beaucoup, monsieur le président.
Je vais partager le temps qui m'est alloué avec mon collègue M. Chan. Merci, madame Banerjee, madame Mason et monsieur Landry.
[Traduction]
Je vais faire vite, parce que le temps passe.
Madame Mason, je voudrais reprendre certains de vos propos. Vous dites qu'il faut de toute urgence réorienter la mission. Je suis parfaitement d'accord avec vous à ce sujet. Et, s'agissant de l'envoyé spécial du Secrétaire général de l'ONU et de la mesure dans laquelle il est prêt à miser davantage sur la diplomatie, là aussi, je suis d'accord avec vous. Mais vous dites que ce sont les insurgés qui gagnent du terrain à l'heure actuelle. Voilà ce que vous avez dit dans votre exposé. Vous parlez aussi du processus de paix. Et, ma question porte essentiellement sur le processus de paix, puisque nous n'avons pour le moment que l'un des « D » dont on parle — à savoir la défense. Aucun développement ne se fait actuellement dans la région du sud. Il y en a un peu dans certaines régions du nord, où se trouvent les troupes allemandes, mais dans le sud, il n'y a rien du tout. De même, il n'y a aucun développement qui se fait dans la région de Kandahar, pour de nombreuses raisons.
S'agissant de la nature de notre adversaire, il faut se rendre compte que lorsqu'on parle des talibans, on ne parle pas d'un pays; ils ne sont rien du tout, personne et dans un sens, tout le monde. Pour faire une comparaison avec Haïti, il nous a fallu trois ans en Haïti pour combattre une bande de voyous. Il ne s'agissait pas de kamikazes ou de combattants munis de Kalashnikovs, mais malgré tout, il nous a fallu longtemps pour nous en sortir à la Cité Soleil. À mon avis, il est tout à fait impossible de gagner une guerre de ce genre, et il faut donc miser sur la diplomatie et le développement. J'en suis à 100 p. 100 convaincu.
Maintenant, quand vous parlez du Pakistan, nous savons très bien que précédemment, étant donné la présence du Beluchistan au nord — c'est-à-dire sur la frontière du nord — ce n'est pas le Pakistan qui contrôlait les choses. C'est difficile. Tout est tellement difficile dans cette région.
Ma question est donc celle-ci: vous parlez d'un processus de paix, mais avec qui allez-vous parler de paix? Vous dites que les seigneurs de la guerre en ont assez et qu'ils sont prêts à discuter de la situation. Vous parlez aussi des talibans. Mais comment faire enclencher un processus de paix? Je suis d'accord pour dire qu'il faut également faire participer l'Inde, même si elle n'a pas de frontière avec l'Afghanistan, de même que le Pakistan, l'Iraq et même la Russie. Mais comment allez-vous faire pour lancer le processus de paix? Nous n'allons jamais régler les problèmes si l'on ne fait pas intervenir les moyens diplomatiques dans un processus de paix.
Voilà donc ma question.
Premièrement, au début de mon exposé, j'ai fait exprès de faire allusion aux autres témoignages que vous avez reçus, qui sont repris en grande partie dans votre rapport préliminaire, où vous faites toutes sortes de propositions sur la façon de lancer un processus de paix et les travaux préliminaires que cela suppose et dont a parlé Graeme MacQueen, par exemple — c'est-à-dire, le dialogue au niveau local.
Quand je fais allusion à un processus de paix — et d'autres ont utilisé cette même expression avant moi — je veux parler d'un processus complet et multidimensionnel qui rejoint la base, qui rejoint autant de parties prenantes que possible au sein de l'Afghanistan et qui englobe également la dimension régionale. Pour moi, le rapport présente beaucoup de suggestions sur la façon de s'y prendre.
Mais la première leçon à retenir en ce qui concerne ce type de processus de paix, c'est que chacun doit être tout à fait adapté à la situation concernée. Voilà pourquoi il est si important de choisir quelqu'un qui serait jugé acceptable par toutes les parties intéressées, qui a l'envergure nécessaire et l'appui solide de la communauté internationale, et qui serait donc à même d'examiner la situation en profondeur, d'ouvrir un dialogue avec les parties prenantes dans les coulisses et de voir quelle démarche semble la plus appropriée.
Autrement dit, d'une certaine manière, ce n'est pas à nous de décider ici même que telle démarche convient mieux qu'une autre. Il s'agit en fait de… il s'agit surtout d'apporter tout notre soutien, premièrement, à l'idée que cette démarche est essentielle: il faut la défendre vivement, et non se contenter de mesures ponctuelles.
En fait, beaucoup de projets ponctuels sont en cours à l'heure actuelle, dont certains de facture canadienne. Presque tous les pays qui y ont envoyé des soldats poursuivent des discussions au niveau local. Nous avons entendu dire que c'est le cas au Pakistan. Karzaï lui-même essaie d'en faire autant, sauf que les parties prenantes ne lui font pas suffisamment confiance pour qu'il puisse réussir.
Comme il y a toutes ces activités ponctuelles qui se déroulent en même temps, le processus de paix, lui aussi, manque de cohérence. Voilà pourquoi il faut quelqu'un pour diriger l'ensemble des activités — et je pense aussi que cela devrait passer par l'ONU.
Le problème est de savoir comment enclencher le processus, et ce à cause de tout l'historique du conflit et du fait que la mission en Afghanistan a commencé — vous vous souviendrez certainement que c'était à la belle époque de l'approche unilatéraliste de l'administration Bush… Mais cette approche a été plus ou moins abandonnée. Au moment où le gouvernement taliban a été renversé, Lakhdar Brahimi, qui était l'envoyé spécial, a déclaré que le moment était venu de négocier.
Mais, à l'époque, le gouvernement américain ne voulait rien savoir. À son avis, il n'était pas nécessaire de négocier. Il a dit non, c'est eux qui ont gagné et nous allons les appuyer. En fait, les Américains ne voulaient même pas qu'il y ait de mission autorisée par l'ONU — une mission de la FIAS — dans le sud, parce qu'ils voulaient avoir les coudées franches pour mener à bien l'opération « Enduring Freedom » afin de dénicher les agents restants d'Al-Qaïda.
Voilà qui nous ramène au défaut fondamental de notre stratégie, qui est que nous essayons de travailler sur tous ces fronts en même temps. Nous mettons les seigneurs de guerre insatisfaits et les talibans d'Afghanistan dans le même panier que les membres d'Al-Qaïda — vous appelez cela une stratégie? — au lieu d'enclencher un processus de paix qui permettrait de séparer les plus purs parmi les purs et durs de tous les autres.
Je devrais peut-être m'arrêter là.
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Je crois que votre évaluation de la situation n'est pas tout à fait appropriée. J'ai l'impression que progressivement, à très petits pas, l'OTAN marque des points. Présentement, ce qui m'inquiète davantage, c'est le piétinement. Pourquoi, entre autres, les provinces de Helmand et de Kandahar ne sont-elles toujours pas sécurisées? Pourquoi tarde-t-on autant à sécuriser ces provinces ainsi qu'une partie du sud de l'Afghanistan, alors que présentement, l'ordre est déjà rétabli dans les régions d'Herat et de Mazar-e-Charif, où on est en train d'aider vraiment ces gens à construire un monde meilleur?
Ce qui m'inquiète énormément, c'est ce piétinement, cette procrastination et ce manque apparent — je dis bien apparent — de volonté de se joindre aux Canadiens pour sécuriser cet endroit le plus rapidement possible.
Je reviens à ce qu'a dit Mme Mason sur ce que le début des opérations en Bosnie, au début des années 1990, nous a montré. Ces opérations nous ont montré exactement le même problème. Lorsque tout le monde tire la couverture de son côté, avec les meilleures intentions du monde, il y a un manque de cohésion. On a vraiment besoin d'une organisation, d'un secrétariat central qui pourra s'assurer que les plans et les stratégies de l'OTAN seront conformes aux stratégies de développement et de reconstruction à moyen et à long terme et, surtout, qu'il y aura une certaine uniformité.
À mon avis — et cela répond un peu aussi à la question de M. Chan —, il serait intéressant que les pays membres de l'OTAN, comme le Canada, s'engagent auprès de l'OTAN à des objectifs précis. Présentement, il n'y a pas d'objectifs précis. Ces pays sont là pour assurer la sécurité. Par contre, chacun de ces pays pourrait s'engager à atteindre un objectif spécifique au cours des 18 prochains mois, comme sécuriser une demi-province.
Si on ne peut pas sécuriser la province de Kandahar, qu'on s'entende pour en sécuriser une partie. Actuellement, on n'a donc pas d'objectif précis. Plus le temps passe, plus l'intérêt diminue, tout comme l'appui du public à cette mission. Or, il y a une bataille à livrer chez nous, et on ne la livre pas. On ne la livre pas du tout. Les gens pensent que cette mission n'est pas légitime. Les gens pensent qu'on n'est pas là pour les bonnes raisons. C'est pour cela qu'il faudrait redonner une dimension onusienne à cette mission. Dieu sait que les Nations Unies ont fait des progrès depuis le début des années 1990.
Je vous ai parlé de quelques-unes de leurs initiatives qui visent à pouvoir mieux coordonner la complexité des intervenants et surtout à trouver une façon bien précise d'intégrer le processus de développement, de façon à s'assurer que ce qu'on fait du côté militaire ne sera pas à refaire ou ne contribuera pas à ralentir la reconstruction. Je crois que c'est ce qu'on essaie de faire présentement en Haïti.
Dans mes remarques liminaires, j'ai évidemment insisté sur ce à quoi le Canada devrait consacrer ses efforts, à savoir obtenir l'aide d'autres pays membres de l'OTAN. Si nous jouons un rôle de chef de file à ce chapitre, bon nombre de pays membres de l'OTAN, sinon la plupart et probablement aussi les États-Unis, selon le résultat des élections, finiront par se rendre compte de la nécessité de redoubler d'effort pour préparer le terrain à un processus de paix mené par les Afghans eux-mêmes.
Je suis tout à fait d'accord; quand on parle d'un envoyé de l'ONU, on parle d'une tierce partie devant jouer le rôle de facilitateur, un intermédiaire impartial et crédible qui jouit d'une confiance qui peut être totalement absente entre les parties intéressées elles-mêmes. Mais, il faut que les participants eux-mêmes soient les maîtres d'oeuvre dans tout le processus de paix, quel qu'il soit, pour que ce dernier débouche sur des résultats positifs.
Quand à la possibilité que l'ONU fasse partie du problème, je suis d'avis que personne ne réussira à coordonner les efforts que suppose la reconstruction de l'Afghanistan en l'absence d'une vision commune parmi tous les intervenants. Nous sommes tous d'accord pour dire que c'est justement cela qui manque. Il n'y a pas de vision commune. Il y a des opinions très différentes sur ce qui est nécessaire pour faire progresser la situation. À mon avis, l'élaboration d'une vision commune est la clé de voûte d'un processus de paix d'envergure.
S'agissant maintenant du rôle militaire du Canada, ce qui me dérange le plus dans la motion révisée déposée à la Chambre est le fait qu'elle semble tout à fait lacunaire par rapport à l'un des éléments sur lesquels le rapport Manley a le plus insisté, à savoir la nécessité de clarifier la nature de cette mission. La motion révisée parle de formation et d'entraînement. Nous savons du rapport Manley qu'au moins M. Manley estime que cet entraînement doit comprendre un élément d'encadrement pour les opérations de combat. Pour avoir été mêlée à de nombreux programmes d'entraînement à l'OTAN, je sais que ce n'est pas nécessaire. C'est-à-dire qu'on peut toujours l'inclure, mais ce n'est pas obligatoire.
Le paragraphe suivant de la résolution parle de la nécessité « d'assurer la sécurité de la reconstruction et des projets de développement », mais sans jamais expliquer comment nous allons réussir à assurer cette sécurité. À l'heure actuelle, on justifie la mission de contre-insurrection sous prétexte qu'elle permet d'assurer la sécurité. Mais c'est faux. En 2007, au moins autant de civils innocents afghans ont été tués par l'armée afghane et les forces alliés — c'est-à-dire, nous — que par les insurgés, et ce parce qu'il y a eu une forte intensification des bombardements aériens, notamment quand la situation des forces alliés s'est corsée.
Il reste que ceux qui sont favorables à la mission anti-insurrectionnelle prétendent que nous pouvons « assurer la sécurité de la reconstruction et des projets de développement ». Débattre d'une résolution qui prévoit que l'on va « assurer la sécurité », sans que l'on explique exactement comment cela va se faire, revient à déléguer l'entière responsabilité du projet à la mission militaire sur le terrain. Or ce sont des questions politiques de la plus haute importance. Ce ne sont pas des questions purement tactiques.
Je voudrais donc savoir ce que signifie l'expression « assurer la sécurité ». Selon moi, la situation de l'Armée canadienne est impossible. Elle ne peut assurer la sécurité sans mettre fin à la guerre, et elle ne peut mettre fin à la guerre par des moyens militaires. Cela suppose donc une intervention politique. Prétendre que cela n'est pas le cas revient à se cacher derrière les soldats.
Quand je parle d'une réorientation de la mission, je veux dire par là que je voudrais que nous nous efforcions surtout de mettre en branle un véritable processus politique, qui aurait l'appui de tous les pays membres de l'OTAN. Entre-temps, les forces armées qui sont sur le terrain dans le sud adopteraient une position défensive — exclusivement défensive — de façon à empêcher les talibans de gagner du terrain et de prendre le dessus et encore plus qu'ils ne le font actuellement — pendant que les négociations s'organisent.
Ce ne sera pas facile. Il s'agirait en fin de compte d'une nouvelle configuration des forces armées, avec une plus importante composante de soldats dont le teint s'apparente davantage à celui des musulmans, par exemple, et qui seraient peut-être disposés à participer si un véritable processus de paix s'enclenche.
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Merci, monsieur le président.
Vous ne m'accordez jamais sept minutes. La prochaine fois, je vais demander à intervenir lors du premier tour.
Merci beaucoup.
Je voudrais parler brièvement du Pakistan avant de passer à la situation en Afghanistan. Mais, avant de le faire, j'aimerais vous lire les propos d'une députée afghane qui a exhorté le Canada à tenir le cap. Il s'agit d'une députée élue.
Les parlementaires afghanes ont exhorté les Canadiens à ne pas les abandonner, alors qu'à la Chambre des communes mercredi, les députés se disputaient au sujet du moment choisi pour un vote sur l'avenir de la mission dans cette région dévastée par la guerre. Fawzia Koofi, l'une des six députées afghanes qui visitaient le Parlement canadien… a dit ceci:
« Il faut assurer la sécurité de la population et lui garantir l'accès à la justice, et nous ne pouvons pas faire cela seuls, » déclara Koofi… « Il est essentiel de bien communiquer ce message à votre population. »
Pour ce qui est du Pakistan, d'aucuns ont insisté à de multiples reprises sur la nécessité de faire davantage pression sur le Pakistan. Ce dernier n'en ferait pas assez. Mais, quand vous avez déjà déployé plus de 100 000 soldats et vos pertes totales dépassent de très loin l'effectif militaire total de l'OTAN — vous avez 17 millions de Pashtounes de ce côté-là de la frontière — du côté du Pakistan — trois millions de demi du côté afghan, entre quatre et cinq millions de réfugiés s'y sont installés entre 1979 et 1989, et il me semble donc qu'on devrait peut-être parler de… Et les insurgés ont attaqué Rawalpindi, la base militaire et y ont tué des soldats. Ils ont également attaqué Sargodha, c'est-à-dire la base de l'armée de l'air d'où j'ai pris mon avion. Et tout dernièrement, ils ont attaqué l'installation maritime de Lahore, en face du Collège Aitchison. Il est très important de comprendre un pays dont la population est de 160 millions et qui est directement confronté aux talibans et à Al-Qaïda. Il est grand temps qu'on s'en rende compte et qu'on analyse la situation dans l'optique du Pakistan, et non celle de l'Afghanistan.
À l'heure actuelle, nous engageons des milliards de dollars en vue de renforcer les capacités en Afghanistan. Selon moi, nous devrions également envisager de créer des capacités semblables au Pakistan, pour qu'il puisse combattre ces personnes qui déstabilisent l'Afghanistan en continuant de commettre des atrocités contre les femmes, les enfants et l'ensemble du pays. Pour moi, il est temps d'envisager une démarche parallèle.
En ce qui concerne la possibilité de négociation, Washington et Karzaï ont entamé des pourparlers bien avant que nous ne commencions à envisager ces possibilités. Cela a commencé en 2002 et 2003. L'OTAN poursuit toujours ses discussions, et ce depuis 2006. Donc, ces pourparlers sont en cours. Les Britanniques l'ont fait; le Pakistan l'a fait; les Américains le font. Des fois on vous reproche de négocier. On a justement reproché aux Britanniques le résultat des négociations dans la province de Hlemand et d'avoir gâché la mission. Quant au Pakistan, on lui a reproché les négociations au Waziristan.
J'estime qu'il faut donc avoir une idée bien claire de la réalité sur le terrain. Tous les conflits se soldent par des négociations. Mais le moment de négocier est-il venu? À quel moment convient-il d'entamer des négociations? Avez qui devrait-on négocier? Donnez-moi leur adresse, et j'irai négocier moi-même. Je trouve étonnant que tant de personnes répètent qu'il faut négocier. Mais, avec qui au juste? M. Karzaï supplie les partis de négocier. Je suis d'accord pour dire que tous les talibans ne sont pas des terroristes. Il y a des assassins qui font partie d'autres groupes, mais où sont-ils?
Je pense qu'il est temps que nous déclarions, en tant que pays membre de l'OTAN… le Canada en particulier a fait un travail sensationnel. L'ACDI a également fait des choses formidables là-bas. On veut que les citoyens aient accès à la justice. Donc, nous essayons de former des juges, des enseignants, et d'autres encore. Vous voulez qu'il y ait du développement? Eh bien, 19 200 conseils communautaires ont été mis sur pied. Pour ce qui est des écoles et des enseignants… Il est vrai que certaines écoles ont été endommagées à cause de l'action des insurgés. Mais, faut-il mettre fin à toutes ces activités de développement?
Selon moi, monsieur le président, nous ne pourrons dire que nos efforts ont réussi que lorsque les membres de la nouvelle génération — les hommes, les femmes et les enfants — pourront recevoir une éducation, se développer et goûter à la véritable démocratie, comme l'ont fait les femmes qui sont venues nous rendre visite au Canada. C'est tout cela qui va changer.
En même temps, il faut avoir des attentes réalistes. Il faut bien choisir notre moment. On pense qu'il suffira d'agiter la baguette magique pour que tout aille pour le mieux dans le meilleur des mondes. Mais, cela ne va pas se produire.
Il est vrai que ce n'est pas une mission parfaite. Est-ce qu'on fait des efforts à l'heure actuelle? Absolument. A-t-on investi des milliards de dollars? Oui. Est-ce que la qualité de vie des habitants s'améliore? Tout à fait. Il y a six ou sept millions d'enfants qui fréquentent l'école à l'heure actuelle, dont deux millions sont des jeunes filles. Est-ce une preuve de développement? À mon avis, oui.
Le développement économique, l'infrastructure qui sous-tend le développement communautaire, l'Armée nationale afghane — tout cela est louable et peut-être faut-il intensifier nos efforts ou les concentrer davantage dans certains secteurs. Nos équipes provinciales de reconstruction ont emmené les ministres sur le terrain de façon à améliorer et à augmenter l'influence du gouvernement.
Ai-je dépassé mes cinq minutes, monsieur le président?