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Mesdames et messieurs les membres du comité, la séance de l'après-midi est ouverte.
Conformément au paragraphe 108(2) du Règlement, notre sous-comité poursuit son étude sur le prix du pétrole, du gaz et des autres produits énergétiques. La séance du matin a été très intéressante. Celle de cet après-midi devrait l'être également.
Deux de nos témoins comparaissent en personne, et nous entendrons un témoin par vidéoconférence et un autre par téléconférence.
Nous accueillons tout d'abord Ellen Russell, professeure à l'École d'administration et de politique publique de l'Université Carleton, qui comparaît en personne. Nous recevons aussi M. Eric Sprott, premier dirigeant et gestionnaire de portefeuille de Sprott Asset Management. Soyez les bienvenus.
Troisièmement, nous accueillons M. Roger Diwan, partenaire et analyste financier de PFC Energy, qui comparaît par vidéoconférence.
Monsieur Diwan, m'entendez-vous?
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Merci beaucoup. Je suis ravie de vous voir tous.
Je vais me pencher sur la question de savoir si le prix du pétrole est justifié par les facteurs économiques fondamentaux sous-jacents. Les facteurs de base que sont la demande et l'offre expliquent-ils le prix élevé du pétrole, ou est-ce qu'une autre chose vient fausser ces facteurs? Des pressions de nature spéculative viennent-elles contrecarrer les effets des facteurs fondamentaux sur le prix du pétrole?
On peut aborder cette question sous plusieurs angles. Je ne peux pas le faire, puisque mon expertise ne s'étend pas à tous les domaines. Je vais me pencher sur la façon dont la déréglementation financière favorise la spéculation.
On a vu récemment qu'il y avait beaucoup de fonds, ainsi que des sommes d'argent qui ont créé d'autres problèmes sur les marchés financiers après la débâcle des prêts hypothécaires à risque. L'argent vient des investisseurs institutionnels, des fonds souverains, des caisses de retraite et des fonds indiciels. Je crois que Michael Masters pourra certainement en parler. J'aborderai cet aspect en posant la question suivante: si cet argent pénètre les marchés de marchandises, en partie grâce aux changements de réglementation, les investisseurs institutionnels qui pénètrent ces marchés exacerbent-ils les pressions de nature spéculative?
Depuis toujours, la spéculation sur les marchés de marchandises a été source de préoccupations pour ceux qui réglementent ces marchés. Aux États-Unis, par exemple, dans le sillage de la Crise de 1929, on soupçonnait que la manipulation des prix sur les marchés des marchandises avait fait grimper les prix, puis contribué à leur stagnation et à leur chute désastreuse. Pour éviter que ce type d'abus ne se reproduise, des lois ont été adoptées en 1936, puis on a tenté, par des règlements, d'empêcher ou du moins de décourager la spéculation sur les marchés de marchandises.
De façon générale, cette réglementation visait à créer des obstacles pour limiter les effets de la spéculation. On a instauré, par exemple, des limites de position — limitation du nombre de titres détenus par un investisseur sur une marchandise donnée, et limites de position pour ceux qui se trouvaient sur le marché à des fins non commerciales, les entités qui n'achetaient ni ne vendaient de produits à des fins économiques sous-jacentes. Ce type de réglementation n'élimine pas la spéculation. En fait, personne ne croit qu'il soit vraiment possible d'éliminer complètement la spéculation, ou que ce soit même souhaitable. Toutefois, des obstacles de cette nature font en sorte qu'il soit plus difficile pour les spéculateurs de submerger les marchés de marchandises.
Faisons un bond jusqu'aux années 90. À mesure que la déréglementation financière gagnait du terrain, bon nombre de ces obstacles ont été relâchés. L'un des instruments de la déréglementation a été la Commodity Futures Modernization Act of 2000 aux États-Unis. Par cette loi, le pétrole a été exclu du régime de réglementation normalement imposé par la Commodity Futures Trading Commission, l'organisme mis sur pied pour mettre ces obstacles en place. Grâce à cette déréglementation, deux types de marchés dérivés de l'énergie ont donc été exclus: les transactions entre deux parties conclues à l'extérieur d'un centre d'échange, et les échanges faits par voie électronique.
L'idée d'établir un centre d'échange électronique qui pourrait fonctionner sans ces obstacles est devenu ce qu'on a appelé « l'échappatoire Enron », puisqu'il semblerait qu'Enron aurait exercé des pressions pour qu'il soit mis sur pied afin de faciliter son marché électronique de l'énergie. L'échappatoire Enron a fait en sorte que les limites de position d'un spéculateur ne s'appliquaient plus, si bien qu'on pouvait contourner les obstacles réglementaires qui devaient décourager la spéculation. À mon avis, l'échappatoire Enron et d'autres manoeuvres semblables visant à contourner les obstacles réglementaires ont eu un impact sur les marchés pétroliers. Il est difficile de quantifier cet impact. Je peux seulement m'en remettre pour l'instant aux perspectives économiques régionales du FMI de mai 2008, dans lesquelles on dit qu'il est difficile d'expliquer les prix actuels du pétrole en tenant compte uniquement des facteurs économiques fondamentaux; voici ce qu'on trouve en substance dans le rapport:
Les producteurs et bon nombre d'analystes affirment que c'est la spéculation qui fait grimper les prix du pétrole. Les producteurs en particulier soutiennent que les facteurs fondamentaux établiraient le prix du pétrole à environ 80 $ le baril, tandis que le reste serait le résultat d'une activité spéculative.
Alors pourquoi s'en faire si l'activité spéculative est responsable, du moins en partie, de la hausse du prix du pétrole? Il y a un certain nombre de raisons, et je suis certaine que vous en avez examiné un bon nombre, mais retenons celle-ci. Lorsque le prix du pétrole augmente, l'investissement dans les secteurs liés au pétrole est stimulé. Des projets d'investissements qui ne seraient pas rentables si le pétrole se vendait 80 $ le baril deviennent rentables lorsque le baril de pétrole se vend 100 $ ou plus.
Si le prix du pétrole est déterminé par des facteurs économiques fondamentaux sous-jacents, alors n'importe quel économiste dira qu'un investissement supplémentaire dans le pétrole est justifié. Toutefois, si, sous l'effet des pressions spéculatives, le prix du pétrole grimpe au-delà de ce que dicteraient les facteurs fondamentaux, alors l'investissement au Canada dans le secteur pétrolier peut être faussé par la spéculation dans ce secteur.
C'est là un des grands problèmes que comportent les bulles spéculatives. Dans la bulle point-com, par exemple, bien des investissements ont été faits dans les projets liés à Internet, et lorsque la bulle a éclaté, on s'est rendu compte que les investissements étaient mal dirigés. Ce fut la même chose pour la bulle des hypothèques à risque.
Si la spéculation joue un rôle aussi important dans le prix du pétrole que l'indique le rapport du FMI que je viens de citer, il est possible qu'il y ait une très mauvaise affectation de l'investissement au Canada. Il est possible que nous investissions trop dans le pétrole et pas assez dans les autres secteurs. Si nous connaissons ce type de distorsion injustifiée de l'investissement, parce que le prix du pétrole n'est pas un signal de prix fiable, des conséquences négatives pourraient se faire sentir pendant longtemps. Ce serait tragique, en effet, de laisser notre secteur manufacturier et d'autres s'effondrer et voir le secteur pétrolier se gonfler, pour réaliser ensuite que nous avons été guidés par des signaux de prix qui étaient faussés.
Je vous remercie.
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Merci beaucoup. Je suis ravi de pouvoir faire connaître nos opinions au comité. Je crois que vous avez tous reçu une copie de notre exposé, que je vais présenter brièvement.
Nous avons deux opinions sur ce sujet. Premièrement, nous croyons que la hausse du prix du pétrole s'explique essentiellement par la thèse de Hubbert sur le sommet de la production, dont je vais parler. Deuxièmement, nous avons une opinion sur ceux qui interviennent sur les marchés de marchandises, puisque mon boulot consiste à étudier ces marchés. Nous sommes actifs dans une certaine mesure sur quelques-uns de ces marchés, et j'aimerais en parler.
J'aimerais parler de la théorie de Hubbert et ce, pour une raison. En 1956, M. King Hubbert avait prédit que la production de pétrole allait atteindre un sommet en 1970 dans les 48 États situés au sud de notre frontière. En 1970, la production a plafonné aux États-Unis et elle a régressé depuis ce temps. Les mêmes théoriciens que je suis—je ne suis pas géologue ni chimiste et je ne connais pas très bien le secteur pétrolier et gazier, mis à part le fait d'y faire des investissements—ont prédit que le plafond serait atteint au cours de cette décennie. En fait, selon les données que nous avons ici, si vous regardez la troisième page, vous pouvez voir que la production de pétrole brut classique—je ne parle pas des sables bitumineux, du méthanol et des biocarburants—a atteint un sommet en 2005.
La page 4 montre la quantité de pétrole découverte par décennie. On peut voir très facilement que les découvertes sont rares aujourd'hui. En fait, je crois qu'il est généralement reconnu que sur six barils que nous consommons, un seul vient d'une source nouvellement découverte. Alors quiconque peut faire de simples calculs sait que nous allons être à court. Cela ne fait aucun doute.
À la page 5, nous avons mis un autre tableau qui montre essentiellement que si vous prenez les réserves connues de pétrole dans le sol et leurs catégories, la plupart sont des catégories plus lourdes maintenant. Nous avons produit des catégories légères, qui donnent davantage de carburants de transport. Nous avons maintenant en réserve une catégorie plus lourde. Pour produire les mêmes carburants que nous avons aujourd'hui, la production doit passer de 85 millions de barils à 100,5 millions de barils par jour pour obtenir les mêmes carburants légers.
Le message que j'essaie de transmettre ici est le suivant: la production mondiale de pétrole classique est en déclin. Pour dire vrai, je ne suis aucunement surpris que le prix du pétrole augmente constamment. Je vais parler également des spéculateurs sur le marché.
Nous avons donné quelques exemples. On trouve à la page 6 l'exemple du pétrole classique au Canada. La plupart des gens seraient surpris de constater que cette production a diminué depuis 1971. Nous parlons ici de la production de pétrole brut classique. Nous avons connu une légère hausse récemment, sans doute avec l'entrée en scène de Terre-Neuve.
Les diapositives suivantes montrent la production de pétrole dans la mer du Nord, celle en Norvège et celle du champ pétrolier de Cantarell au Mexique, qui est un exemple bien connu. En 2004, ce champ a produit 2,4 millions de barils. Au mois de juillet, sa production était de 971 000 barils. Il a perdu 1 million et demi de barils en quatre ans. Vous aurez peut-être une idée de la difficulté de produire 1,4 million de barils si je vous dis que pour produire 100 000 barils à partir des sables bitumineux, il faut 10 ans et 10 milliards de dollars. Ce champ a perdu 1,4 million de barils en quatre ans. Nous montrons aussi d'autres champs et nous indiquons que 60 des 98 pays producteurs du monde ont atteint leur sommet.
Je crois donc que nous allons connaître une pénurie de pétrole. Cette pénurie entraîne une hausse de tous les produits du secteur énergétique: l'uranium est parti en flèche, le charbon a récemment pris son envolée et le gaz naturel a atteint les 15 p. 100.
Y a-t-il de la spéculation sur les marchés de l'énergie? Absolument. Le Canada a ses propres exemples. Amaranth a perdu une énorme somme d'argent dans des contrats de gaz à long terme et a dû essentiellement liquider le fonds. Aussi, une importante banque canadienne a annoncé avoir perdu 680 millions de dollars dans des dérivés de gaz naturel. Si vous perdez 680 millions de dollars, combien avez-vous donc investi? Vous êtes une banque à charte. Faites-vous de la spéculation, ou bien est-ce là une chose logique?
J'étudie le marché de l'or. Je vois des grandes banques intervenir constamment sur les marchés de l'or, ce qui a un impact négatif ou positif sur le prix. Je crois que les spéculateurs sont très présents sur les marchés des marchandises. Nous parlons à la blague du New York Comedy Market. C'est parfois ridicule de voir la volatilité des cours sur ces marchés.
Je termine ici ma déclaration préliminaire. Je vous remercie.
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Bonjour. Je vous remercie de me donner l'occasion d'être ici.
J'aimerais vous parler de la formation des prix sur le marché pétrolier et de la façon dont nous sommes passés de 20 à 140 $ pour reculer à 120 $.
Ce qu'il faut savoir, c'est que le marché pétrolier, entre 1985 et 2003, avait une très grande capacité de réserve, une capacité non utilisée. Nous avons fait des investissements excessifs dans les années 70 lorsque les cours du pétrole ont grimpé et la demande a chuté soudainement. Au cours de ces 20 années, l'OPEP a dû mettre fin à une importante partie de la production. Cette capacité de réserve, entre 1985 et 2003, s'est rétrécie un peu chaque année, mais a permis de garder les prix du pétrole à un niveau très bas, entre 18 et 20 $. À ces prix, nous avons sous-investi dans le secteur pendant une vingtaine d'années.
Pensez-y. Cela signifie que pour chaque nouveau baril demandé, nous n'avions pas besoin de trouver du pétrole ou d'en produire. Il suffisait que quelques producteurs ouvrent le robinet. Au cours de cette vingtaine d'années, nous avons répondu à 60 p. 100 de la demande croissante en ouvrant le robinet. Cette opération n'a pas coûté très cher.
En 2003, 2004 et 2005, il y a eu deux perturbations, l'une touchant l'offre et l'autre touchant la demande, qui ont essentiellement rasé la capacité de réserve. La perturbation de l'offre s'est produite en 2003 avec la grève au Venezuela, la situation au Nigeria, puis la guerre en Irak. Nous avons retiré beaucoup de barils du marché au moment où le monde commençait à connaître une perturbation sur le plan de la demande, non seulement en provenance de la Chine, mais aussi de certains endroits du Moyen-Orient et aux États-Unis. En 2004, la demande a été incroyable aux États-Unis. Ces deux perturbations qui se sont produites simultanément ont éliminé toute la capacité de réserve et, sans cette capacité, les marchés pétroliers fonctionnent de manière bien différente.
Pensez-y. Avant cette période, les investisseurs et les spéculateurs n'étaient pas vraiment disposés à jouer sur ce marché, parce que toute décision prise par l'OPEP pouvait faire augmenter ou diminuer considérablement la production et changer complètement la structure de prix. Il y avait donc un risque politique, créé par l'OPEP, qui était inadmissible pour bon nombre d'acteurs financiers.
À mesure que la capacité de réserve s'effritait est apparue la thèse de l'offre. Selon cette thèse, nous n'avons pas assez de pétrole, la production est à son sommet et la demande augmente.
J'ai une opinion un peu différente, mais cette thèse est très présente chez les acteurs financiers, beaucoup moins chez les acteurs de l'industrie. Les compagnies pétrolières ne s'affolent pas autant de ce plafonnement, mais la thèse est importante parce qu'elle nous dit que nous entrons dans une ère de rareté, si bien que le moment est venu d'investir dans le pétrole. Ce mouvement et cette thèse de l'offre ont, d'une certaine façon, créé un autre phénomène, qu'il faut absolument saisir pour comprendre les prix du pétrole. C'est ce que j'appelle la financialisation des marchés pétroliers.
Avant 2003 ou 2004, les marchés pétroliers étaient de petits marchés de marchandises où l'on trouvait peu d'acteurs, certains étant très imposants, qui pouvaient transiger beaucoup de barils en arbitrage. En 2003, une cinquantaine d'institutions financières étaient inscrites au NYMEX, alors qu'on en compte plus de 400 aujourd'hui. Alors, avec l'élimination de la capacité de réserve et l'apparition de la thèse de l'offre, qui met en lumière la rareté, le marché s'est retrouvé avec un grand nombre d'acteurs. Beaucoup d'entre eux ne connaissaient pas grand-chose du produit, mais ont vu là une trajectoire de prix qui leur a paru être une bonne façon de faire de l'argent et de miser.
La financialisation du marché pétrolier est importante puisque, entre 2005 et 2008, les principaux indicateurs de prix du pétrole étaient différents de l'offre et de la demande. Je suis un fondamentaliste. Je fais ce métier depuis 15 ans. Je sais comment examiner l'offre et la demande et prévoir les prix du pétrole. Tout fonctionnait très bien jusqu'en 2002. Or, entre 2003 et 2005, l'indicateur principal qui sert à prévoir la fluctuation des prix pétroliers est devenu la somme d'argent injectée. C'était purement cette somme d'argent et par la suite, entre 2006 et 2007, c'était en grande partie la position des acteurs non commerciaux, la portée de leurs actions. Ces spéculateurs bien précis — je n'aime pas beaucoup cette expression, et je parlerais davantage d'investisseurs — dictaient l'ampleur, la forme et la trajectoire des prix du pétrole.
C'est très important. Tout à coup, ce n'est plus les acteurs physiques, mais les acteurs financiers qui, simplement de par leur poids et leur taille, donnent la direction que prennent les prix du pétrole.
À mesure que ce marché a gagné en maturité, d'une certaine façon, et que ces acteurs sont devenus plus futés, un autre phénomène est apparu, et ce qui s'est produit au cours des 12 derniers mois est en fait très intrigant. Comme tous ces acteurs financiers pénètrent le marché, ils font soudainement de l'arbitrage: non seulement ils investissent de l'argent dans le pétrole, mais ils décident, s'ils investissent dans le pétrole, de prendre l'argent d'ailleurs. Ils font de l'arbitrage de portefeuille dans toutes les classes d'actif. Voilà comment je vois la chose. Le pétrole devient une classe d'actif en soi. Ils décident un jour d'investir dans le dollar; le jour suivant le dollar fléchit, alors ils investissent dans le pétrole, ou ils investissent dans le dollar canadien, peu importe. Ils font cet arbitrage parmi les actifs au portefeuille. Cette activité a évidemment amené plus d'argent, parce que de nouveaux acteurs sont arrivés, principalement des fonds de dotation universitaires et des caisses de retraite — ce qu'on appelle des placements plus passifs, en général.
Cet arbitrage a en quelque sorte lié les prix du pétrole à d'autres facteurs fondamentaux, que j'appelle les « macro-macro-variables ». Tout à coup les prix du pétrole au cours des 12 derniers mois... Si vous voulez vraiment comprendre ce qui s'est produit, vous devez faire un lien entre les prix du pétrole et le dollar américain et les taux d'intérêt aux États-Unis. La crise des prêts hypothécaires aux États-Unis, qui a eu un effet sur la détente des taux d'intérêt et l'affaiblissement du dollar, a eu un impact important sur les prix du pétrole. Vous avez une très bonne corrélation ici.
En fait, nous observons le phénomène inverse maintenant. Le dollar prend des forces, et le pétrole faiblit. Dans ce sens, le pétrole est devenu un actif financier, là où les facteurs fondamentaux ont de l'importance. Après tout, nous avons sous-investi pendant longtemps. Jusqu'à aujourd'hui, l'équilibre entre l'offre et la demande physiques a été passablement serré. Je crois que ce sera probablement l'inverse au cours de la prochaine année et demie, parce que les prix du pétrole ont commencé à supprimer la demande, mais ce que vous aviez d'une certaine façon, ce sont des macro-variables et les facteurs fondamentaux du pétrole qui, ensemble, sont devenus le principal élément moteur des prix du pétrole.
Je vais m'arrêter ici. Je répondrai à vos questions tout à l'heure.
Je suis ravi d'avoir l'occasion de m'entretenir avec vous aujourd'hui au sujet d'un phénomène récent et sans précédent qui touche les marchés à terme de marchandises. Depuis toujours, on trouve deux types de participants sur ces marchés: les opérateurs en couverture, qui sont les producteurs et les consommateurs de marchandises tangibles et réelles, et les spéculateurs qui échangent des contrats à terme sur marchandises pour faire un profit.
Les marchés à terme de marchandises ont été mis sur pied par les opérateurs réels en couverture et ils existent afin de servir ces derniers. On autorise les spéculateurs traditionnels à y participer puisqu'ils fournissent des liquidités en procédant activement à des achats et à des ventes. Toutefois, au cours des cinq dernières années, les grands investisseurs institutionnels se sont mis à croire, à tort, que les contrats à terme de marchandises sont une classe d'actif dans laquelle ils peuvent faire un investissement passif, généralement diversifié et à long terme sous la forme d'indices de marchandises. J'ai donné à cette nouvelle espèce de spéculateur, plus nocive, le nom de « spéculateurs d'indices ». Wall Street les a encouragés à considérer une affectation au S&P Goldman Sachs Commodity Index ou au Dow Jones-AIG Commodity Index, les deux principaux indices des contrats à terme de marchandises, comme s'il s'agissait de l'indice boursier S&P 500. Le problème, c'est que les marchés à terme de marchandises ne sont pas des marchés financiers, et lorsque de riches investisseurs font des investissements passifs, à long terme dans les indices de marchandises, ils causent beaucoup de tort aux marchés à terme de marchandises et à l'ensemble de l'économie.
Les investisseurs institutionnels ont injecté des centaines de milliards de dollars dans les marchés à terme de marchandises et les actifs liés aux investissements dans les indices de marchandises sont passés de 13 milliards de dollars en 2003 à environ 317 milliards de dollars au 1er juillet 2008.
Comme le montre le premier graphique de mon mémoire, ce phénomène a fait grimper les prix des produits énergiques et alimentaires essentiels de plus de 200 %, en moyenne, depuis cinq ans et demi. En fait, les positions ouvertes des 25 plus importantes marchandises sur lesquelles les indices sont basés totalisaient 183 milliards de dollars en 2004. Du début de 2004 à aujourd'hui, les spéculateurs d'indices ont injecté 173 milliards de dollars dans ces 25 marchandises. C'est une énorme arrivée d'argent dans ce qui constitue un très petit marché.
Le deuxième graphique de mon mémoire montre que cette situation a fait augmenter considérablement les prix des contrats à terme puisque les marchés à terme de marchandises ont été forcés de prendre de l'expansion pour absorber cette arrivée massive de nouveaux capitaux. Les spéculateurs d'indices ont acheté plus de contrats à terme de marchandises au cours des cinq dernières années que les opérateurs en couverture et les spéculateurs traditionnels réunis. Ils dominent aujourd'hui les marchés à terme de marchandises.
En 1998, les opérateurs en couverture avaient, en moyenne, dépassé le nombre de spéculateurs dans une proportion de plus de trois pour un, selon la CFTC. Aujourd'hui, les spéculateurs en général sont plus nombreux que les opérateurs en couverture dans une proportion de plus de deux pour un. Il s'agit d'un virage monumental dans la balance du pouvoir. Les positions des opérateurs en couverture ont augmenté de plus de 90 % au cours des dix dernières années, tandis que celles des spéculateurs ont grimpé de plus de 1 300 % durant la même période.
Ce qu'on déplore le plus au sujet des achats faits par les spéculateurs d'indices, c'est que cela n'a vraiment rien à voir avec les facteurs fondamentaux de l'offre et de la demande. Par exemple, lorsqu'un comité d'investissement d'une caisse de retraite de 10 milliards de dollars décide de placer 500 millions de dollars, ou 5 % du portefeuille, dans l'indice S&P GSCI, les 200 millions de dollars qui sont par conséquent injectés dans les contrats à terme du pétrole brut WTI n'ont absolument rien à voir avec l'offre et la demande du brut sur le marché. Chose encore plus dommageable, puisque les spéculateurs d'indices s'introduisent sur les marchés à terme de marchandises avec un montant fixe de dollars à investir, ils se soucient peu du prix du baril qu'ils payent pourvu qu'ils puissent faire fructifier leur argent. Ils achètent autant de barils qu'ils le peuvent, peu importe le prix à payer, jusqu'à ce que tout leur argent soit investi.
Par conséquent, les prix des marchandises sont gonflés et amplifiés beaucoup plus que ce que dicte le jeu de l'offre et de la demande. Cela signifie que la fonction de détermination des prix des marchés à terme de marchandises est grandement affaiblie. En fait, puisque les prix des contrats à terme constituent la référence qui sert à établir les prix des marchandises dans le monde réel, cette situation fait augmenter les prix des aliments et de l'énergie dans le monde réel. Par conséquent, non seulement les actions peu judicieuses des spéculateurs d'indices faussent les marchés à terme de marchandises, mais elles nuisent aussi à l'économie mondiale puisque chaque participant du marché au comptant est contraint de payer davantage les produits alimentaires et énergétiques.
Le gouvernement américain doit prendre des mesures pour rétablir des limites raisonnables et rigides sur la spéculation et pour empêcher la pratique nuisible de la spéculation d'indices. Les économies mondiales ne peuvent être tenues en otage par les caprices des investisseurs de Wall Street.
Voilà qui met fin à mon témoignage.
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Merci beaucoup, monsieur Masters. Nous apprécions vos commentaires.
Nous allons maintenant passer aux questions des membres du comité.
Monsieur Masters, il y a 12 membres du comité, alors nous allons demander à chacun de s'identifier à mesure qu'il posera des questions, spécialement pour vous et pour M. Diwan, qui comparaît par vidéoconférence.
Pour le premier tour, chaque membre dispose de six minutes; pour les deuxième et troisième tours, cinq minutes sont accordées à chacun. C'est peu de temps pour les échanges, alors nous vous demandons d'être aussi brefs que possible dans vos réponses. Si une question est posée à un témoin et qu'un autre aimerait y répondre, je vous prie de me l'indiquer.
Nous allons commencer les interventions de six minutes avec M. Dan McTeague, vice-président du comité.
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Merci, monsieur le président.
Monsieur Diwan, monsieur Masters, madame Russell et monsieur Sprott, merci d'être ici aujourd'hui.
J'aimerais dire simplement que vos témoignages sont très importants. Il y a plusieurs mois, lorsque nous avons cherché à comprendre pourquoi les prix augmentaient instantanément sans qu'on ait d'explication, certainement pas de la part de l'industrie, c'était rafraîchissant d'entendre les commentaires que vous avez faits devant le sous-comité américain. C'est dommage que nous n'ayons pas pu tenir cette réunion plus tôt, mais notre comité travaille par consensus. Je suis heureux que l'amendement que j'ai proposé pour que cela soit dans le compte-rendu porte fruit aujourd'hui.
Nous venons d'entendre des représentants du secteur aval de l'industrie pétrolière qui ont dit, en fait, que les prix sont établis en fonction du jeu de l'offre et la demande. Évidemment, je ne le crois pas, et les commentaires que vous venez de faire sont rafraîchissants.
Je me demande si M. Diwan, M. Masters ou Mme Russell peut nous expliquer dans quelle mesure les caisses de retraite du Canada, les fonds souverains, les investisseurs d'indices et les investisseurs institutionnels, comme vous les appelez, pourraient profiter des échappatoires créés par la commission américaine du commerce à terme des marchandises.
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Je crois qu'à l'heure actuelle, la demande équivaut certainement à celle de la Chine, selon les données que nous avons vues.
L'autre chose que j'aimerais préciser rapidement, si on revient à ce que M. Sprott a dit, à savoir qu'il y a un acheteur pour chaque vendeur, c'est exact, il y a effectivement un acheteur et un vendeur. Or, ce qu'il importe de retenir — et c'est là comment les marchés se répartissent dans le monde —, c'est à quel prix. Il y a toujours eu un acheteur ou un vendeur dans chaque transaction effectuée depuis le début de l'histoire, alors ce n'est certainement pas la seule question qui se pose au sujet de la fluctuation des prix. Il faut savoir quelle est la demande à un certain prix.
Pour ma part, je crois qu'il y a des facteurs fondamentaux très positifs de l'offre et de la demande qui ont contribué quelque peu à la hausse du prix du brut et d'autres marchandises. Mais, chose tout aussi importante, ce qui est moins connu, c'est l'amplification, comme M. Diwan l'a dit, ou la financialisation des produits de base qui s'est produite. Je crois que cela a eu un effet très important sur le prix — de même que les facteurs fondamentaux habituels de l'offre et de la demande que les gens invoquent.
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Merci, monsieur le président.
Merci à vous de venir témoigner cet après-midi.
Je suis député du comté de Chicoutimi—Le Fjord dans la région du Saguenay—Lac-Saint-Jean, qui bénéficie d'un rabais de taxe. Le gouvernement du Québec impose à l'ensemble du Québec une taxe d'environ 15 ¢. Dans ma région, cette taxe est réduite à 10 ¢ le litre. Jusqu'en 2003, nous n'avons jamais pu bénéficier de cette réduction parce que les fluctuations du prix du pétrole faisaient en sorte que ce dernier était à peu près le même au Saguenay—Lac-Saint-Jean qu'ailleurs. Cependant, un mouvement s'est instauré dans notre région, qu'on appelait la coalition sur le prix du pétrole. On a boycotté les compagnies à tour de rôle, de sorte qu'on retrouve maintenant cette réduction de 5 ¢. Autrement dit, il y a 5 ¢ d'écart entre le prix du litre de pétrole au Saguenay—Lac-Saint-Jean et le prix du litre de pétrole à Montréal ou à Québec.
Voici comment nous expliquons cet écart. Lorsque la population exerce des pressions sur une compagnie, ça peut faire bouger les choses. Ces pressions ont permis à notre région de gagner le rabais de 5 ¢ accordé en raison des frais de transport dans une région éloignée. Lorsque le consommateur exerce des pressions sur une compagnie et qu'il dénonce une augmentation de prix, cela porte fruit.
Est-ce ainsi que vous le voyez également?
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Merci, monsieur le président.
Bienvenue à nos témoins d'aujourd'hui. Il s'agit d'un sujet très important, qui préoccupe bien des gens dans nos circonscriptions et partout au pays.
Madame Russell, je suis ravi de vous revoir. J'aimerais vous poser ma première question.
En vue de la réunion d'aujourd'hui, nous avons lu pratiquement de long en large le rapport du groupe de travail interagence, une organisation basée aux États-Unis qui, si je comprends bien, s'est penchée sur la question de la spéculation au cours des cinq dernières années pour voir dans quelle mesure elle entraîne une hausse des prix du pétrole et quelles sont les relations de cause à effet.
Dans le rapport provisoire, publié à la fin de juillet, les auteurs précisent qu'ils ne sont pas en mesure de trouver aucune preuve; lorsqu'ils appliquent ce qu'on appelle le test de causalité à la Granger à cette transaction, il s'avère que le prix du pétrole est établi après coup, et non l'inverse. Autrement dit, les positions prises par les soi-disant spéculateurs ou investisseurs le sont après les changements de prix. On pourrait en conclure que le prix change en fonction du jeu de l'offre et de la demande et que les positions d'investissement sont prises par la suite.
C'est ce qui ressort de l'ensemble de leurs conclusions — et je ferai remarquer qu'il s'agit d'un rapport provisoire.
Avez-vous des commentaires à ce sujet? C'est un tableau bien différent de celui que vous avez brossé tout à l'heure.
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Oui, rien de plus simple.
On peut dire que le monde est divisé en deux. Il y a les pays membres de l'OPEP et ceux qui n'en font pas partie. C'est parmi ces derniers que la production n'a pas vraiment augmenté au cours des cinq dernières années — on a constaté une augmentation en Russie et une diminution pas mal partout ailleurs. Les pays non membres de l'OPEP, ceux qui ne font pas partie du cartel, représentent un peu moins de 15 p. 100 des réserves mondiales — et cela inclut la Russie. Le reste des réserves se trouve dans des régions où les sociétés pétrolières internationales ne peuvent investir ou faire de la prospection.
Ainsi, 77 p. 100 des réserves mondiales sont exploitées par des pays ou des entreprises qui en interdisent l'accès aux tiers. On trouve certaines exceptions à la règle, comme les États-Unis, le Canada, l'Australie et la Grande-Bretagne. Mais en règle générale, les pays comme l'Arabie saoudite, l'Iran, l'Irak et le Mexique, ne sont pas ouverts et les investisseurs n'y ont pas accès.
Dans les régions du monde ouvertes au commerce — et il n'y a que 6 p. 100 des réserves mondiales de pétrole qui sont accessibles, soit celles des États-Unis, du Canada, de l'Australie et de la Grande-Bretagne — on atteint des niveaux où l'on produit énormément, et il est très difficile de refaire ces réserves et de poursuivre la production à ces niveaux. Dans le reste du monde, où nous n'avons pas accès, le problème ne semble pas venir du pétrole souterrain ou des réserves de molécules, mais de l'accès et de la capacité de production.
De ces pays, lesquels produisent quotidiennement environ 35 à 40 millions de barils, un seul investit réellement, et c'est l'Arabie saoudite. Les autres n'investissent pas.
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Je vous remercie d'avoir posé la question.
Comme je l'ai indiqué, je considère qu'il existe un marché « papier » et un marché réel, et que ce dernier est plus authentique.
C'est intéressant. Je crois que quelqu'un a dit que le prix du pétrole avait augmenté de 2 $ aujourd'hui sans qu'on sache pourquoi. C'est parce que nous en sommes à un point où l'équilibre entre l'offre et la demande est précaire. Par exemple, lorsque je pense au pétrole, je m'inquiète de la diminution de l'offre. Et je n'ai pas encore parlé de la hausse de la demande. Nous savons que cette dernière augmente. Je vous dit que l'offre diminue et que je prévois que cette tendance se maintiendra dans l'avenir.
Très franchement, je ne me soucie guère des bourses des marchandises. Certains font des profits en spéculant sur ces marchés, et ils ne devraient pas, car ce sont les consommateurs qui en font les frais. Lorsque les investissements à court terme sont gagnants, ce sont les sociétés qui paient, alors que ce sont les consommateurs qui subissent les conséquences lorsque c'est le long terme qui est avantagé. On pousse les grandes institutions à investir dans ces marchés, et j'aimerais que cela ne se produise pas. Toutefois, je crois qu'à long terme, le vrai gros problème viendra de l'offre et de la demande en pétrole, et nous n'avons que des difficultés devant nous à cet égard.
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Eh bien, nous sommes impuissants.Nous ne pouvons rien faire au sujet du prix du pétrole dans le monde. Nous ne sommes qu'une infime partie de ce marché. C'est impossible, ce n'est pas au Canada que nous réglerons le problème.
Je trouve extrêmement ironique que nous soyons le pays du monde qui profite le plus par habitant du prix élevé du pétrole. Le Canada ne compte que 35 millions d'habitants, alors que nous produirons 3,5 millions de barils de pétrole. C'est une corne d'abondance pour notre pays, et tout le monde en profite, que ce soit les gouvernements provinciaux et fédéral, par l'entremise des taxes, ou les entreprises qui découvrent le pétrole et planifient l'exploitation des sables bitumineux. C'est une chance incroyable pour notre pays, et non un problème.
Je comprends que ce soit difficile pour le consommateur en raison de la hausse du prix de l'essence, mais ce prix augmenterait de toute façon. Si le gouvernement souhaite subventionner ce prix, à l'instar de nombreux autres pays, il est libre de le faire, mais il créera des inefficacités énormes sur le plan de la consommation.
Nous sommes confrontés à un problème international. Oui, l'une des solutions consiste à nous tourner vers l'énergie durable. Cependant, le problème n'est pas national, mais bien mondial.
Quelle journée absolument fascinante! On a appris quantité de choses et défini des concepts grâce à des invités qui se sont comportés ce matin et cet après-midi en excellents professeurs et en « coaches » remarquables.
Ce qu'on vient d'entendre au sujet des spéculateurs pourrait être très efficace. Il y a quelque chose de moralement répugnant à l'idée que des spéculateurs puissent fixer le prix des denrées essentielles. On n'accepterait pas que des spéculateurs contrôlent ou influencent le prix des vaccins ou des antibiotiques. Ce sont des choses qui nous répugnent.
Par contre, M. Sprott nous a jeté un concept au visage il y a quelques instants, quand il nous a dit que le Canada était plus riche grâce au prix du pétrole actuel, qui est soutenu par une certaine spéculation des marchés internationaux. Cela me fait réaliser qu'il y a deux bouts à la lorgnette. On peut regarder le problème du bout du consommateur, qui dit que les choses sont toujours trop chères, ou de celui du producteur, qui dit que les choses ne sont jamais assez chères.
Si on croit que le Canada peut devenir un géant de l'énergie, il faut inclure le pétrole, mais également l'électricité. Au Québec, selon une mentalité qui est ancrée profondément, l'électricité doit coûter le moins cher possible afin que les citoyens en profitent au maximum. Le résultat est qu'il y en a de moins en moins à exporter parce qu'on en gaspille de plus en plus.
Si on se dit que le pétrole est toujours trop cher pour nous, cela veut aussi dire que les provinces canadiennes qui ont du pétrole auront toujours de moins en moins de revenus parce qu'on empêchera le prix de monter et, fatalement, la richesse collective va en être affectée.
[Traduction]
Madame Russell, vous nous avez dit que cette réglementation contre les petits spéculateurs avait été assouplie. Pourriez-vous nous préciser quel serait maintenant le prix du pétrole si la réglementation n'avait pas été modifiée?
Je vous remercie, monsieur McTeague.
En tant que président, c'est moi qui vais conclure.
Nous avons commencé par le prix de l'essence, mais le déterminant premier du prix de l'essence, c'est le cours du brut. C'est intéressant. L'an dernier, on se concentrait exclusivement sur les marges de gros, mais celles-ci ont diminué sensiblement au cours de la dernière année; maintenant, on semble s'intéresser beaucoup plus aux cours du brut.
Monsieur Sprott, vous avez décrit de manière fort éloquente la diminution de la production conventionnelle de pétrole brut dans le monde. Vous avez également expliqué combien il est difficile d'accéder aux réserves de pétrole que nous avons maintenant, comme les sables bitumineux. Il y a une baisse de l'offre conventionnelle, et l'exploitation des sables bitumineux et d'autres réserves représente tout un défi. Même les gisements que nous découvrons au Venezuela sont aussi difficiles à exploiter que les sables bitumineux, puisqu'il faut les séparer d'autres ressources naturelles puis procéder au raffinage. Les coûts de raffinage sont nettement plus élevés.
Il y a aussi un accroissement de la demande. Nous avons des chiffres, pour des pays comme la Chine, qui remontent jusqu'aux années 80. À cette époque, les Chinois consommaient environ deux millions de barils quotidiennement, et maintenant ils dépassent les sept millions de barils par jour. Il y a donc clairement un problème d'offre et de demande. La question est de savoir, en tant que législateurs, comment faire la différence entre ce qui est dû à un croisement naturel de l'offre et de la demande et ce qui est attribuable à la spéculation.
C'est un drôle de mot, pas vrai? M. Diwan dit que nous ne devrions pas utiliser le terme « spéculateurs », mais plutôt parler « d'investisseurs ».
Mais dans quelles proportions les fluctuations de l'offre et de la demande sont-elles dues à des croisements naturels, et dans quelle mesure ces fluctuations sont-elles attribuables à l'arrivée de ce que nous devrions appeler « les nouveaux investisseurs », disons depuis l'an 2000? Est-ce que quelqu'un peut le dire avec certitude? Le prix est monté jusqu'à 137 $ puis est redescendu autour de 117 $. Faudrait-il qu'il soit de 100 $, de 98 ou de 70 $?
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J'aimerais bien pouvoir vous répondre là-dessus.
Selon la thèse du pic pétrolier, qui n'est pas la mienne, mais celle défendue par les pétrophysiciens qui étudient ces choses, dans 20 ans, nous devrions produire 65 millions de barils dans le monde, pas 85 millions de barils.
Eh bien, que croyez-vous que sera le prix? Ce ne sera pas 120 $ le baril. Ce que je veux dire, c'est que c'est une question très importante à laquelle il faut réfléchir. Si vous croyez dans la thèse du pic pétrolier, vous n'avez encore rien vu des problèmes qui se profilent. Et cela ne touchera pas uniquement les prix du pétrole, mais bouleversera notre mode de vie. Si vous n'avez pas de carburant, maintenant, comment irez-vous travailler?
J'invite les gens à se pencher sur la question. Nous avons cette possibilité. Croyez-vous à cette théorie ou pas? Si oui, attendez-vous à faire face à un gros problème. Moi, j'y crois depuis plusieurs années, et chaque fois que le prix du pétrole monte, je suis la dernière personne au monde à s'en étonner.
Le baril était à 140 $, et la demande aux États-Unis avait baissé de 800 000 barils par jour pour les six premiers mois de l'année. Les gens réagissent. Évidemment, c'est douloureux, mais d'un autre côté, on devient plus efficace.
L'idée selon laquelle nous consommons 85 millions de barils par jour dans le monde de manière efficace est une blague. Je vis aux États-Unis. Je ne suis pas Américain, mais je vois comment les gens fonctionnent, et le gaspillage est incroyable. Pourquoi a-t-on besoin d'un véhicule de 12 places, pesant cinq tonnes, quand on est seul à le prendre pour se rendre au travail? Il est possible d'être plus efficace. Ce n'est pas la créativité qui manque. La hausse des prix aura une incidence négative sur les cours du pétrole. C'est ce que nous entrevoyons. Il est évident que nous pouvons être plus efficaces. Après tout, lorsque vous allumez votre voiture, seulement 15 p. 100 de l'essence sert à faire fonctionner le moteur, le reste est utilisé pour le chauffage, la climatisation, le lecteur de CD ou de DVD et tous les autres gadgets que vous avez dans l'automobile. On peut donc beaucoup améliorer la technologie, mais il faut des signaux de prix. La hausse extrême des prix a déclenché des signaux et incite les gens à développer de nouvelles technologies, ce qui est une bonne chose.
Quant à votre question de savoir quel devrait être le prix réel, je vous répondrais que si j'en avais la moindre idée, je serais un homme riche aujourd'hui. Je conseillerais tous mes clients et ils gagneraient beaucoup d'argent. C'est un puzzle d'un million de pièces. On ne peut pas enlever une pièce et se demander ce qui s'est passé. Tout bouge; nous sommes en présence d'un marché très dynamique.