NDDN Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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CANADA
Comité permanent de la défense nationale
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TÉMOIGNAGES
Le mardi 2 juin 2009
[Enregistrement électronique]
[Français]
Bonjour à tous.
[Traduction]
Je vous souhaite la bienvenue à notre 23e séance. Conformément au paragraphe 108(2) du Règlement et à la motion adoptée par le comité le lundi 23 février 2009, nous poursuivons notre étude sur la souveraineté dans l'Arctique.
J'ai le plaisir d'accueillir, par vidéoconférence, M. Michael Byers, professeur et titulaire d'une chaire de recherche du Canada à l'Université de la Colombie-Britannique. Nous accueillons également par vidéoconférence M. Greg Poelzer, professeur à l'Université de Saskatoon. Je vous remercie d'être avec nous.
Nous allons commencer par M. Byers.
Je vous remercie beaucoup, monsieur Bernier, de m'avoir invité.
Comme vous le savez sans doute, je dirige deux projets ArcticNet sur la souveraineté dans l'Arctique. ArcticNet est un consortium formé de plus de 100 scientifiques de 27 universités canadiennes et de cinq ministères fédéraux. J'ai aussi beaucoup voyagé dans l'Arctique. J'ai navigué sur le passage du Nord-Ouest. L'été dernier, j'ai agi à titre de conseiller pour le Comité sénatorial des pêches et des océans durant la préparation de son rapport sur la navigation dans l'Arctique.
L'Arctique circumpolaire est un lieu où les distances se mesurent en milliers de kilomètres. Pour vous donner une idée de ce que cela représente, sachez qu'il y a à peu près la même distance entre Ottawa et Oxford, en Angleterre, qu'entre Ottawa et le pôle Nord. D'ailleurs, Oxford se trouve beaucoup plus au nord qu'Ottawa. Je suis donc plus près du pôle Nord que les membres du comité à Ottawa. À cause de cela, il existe d'importantes menaces à la sécurité le long des frontières méridionales de l'Arctique, notamment dans la baie de Baffin, la mer de Beaufort et le passage du Nord-Ouest. Ces menaces viennent d'acteurs non étatiques comme les trafiquants de drogues, les immigrants clandestins et peut-être même les terroristes.
Paul Cellucci, ancien ambassadeur des États-Unis, dit craindre que des États voyous et des groupes terroristes utilisent le passage du Nord-Ouest pour faire entrer au pays des armes de destruction massive. Et il a raison, car aussi improbables que peuvent sembler ces risques de prime abord, il est difficile d'imaginer qu'un capitaine à la barre d'un tel navire choisisse d'emprunter le canal de Panama, qui est étroitement surveillé, plutôt que le passage du Nord-Ouest, libre de glace et insuffisamment contrôlé. Ces menaces ont mené à la création par les États-Unis, avec la collaboration du Canada, de l'initiative de sécurité contre la prolifération en 2003.
Le passage du Nord-Ouest libre de glace pourrait aussi servir de point d'entrée en Amérique du Nord pour les drogues, les armes, les immigrants clandestins et peut-être même les terroristes. Il y a des dizaines de pistes d'atterrissage de gravier le long de la voie de navigation, héritage oublié de la guerre froide et des innombrables expéditions de recherche et de prospection. Il serait relativement facile de transférer des passagers ou des marchandises d'un navire océanique à un Twin Otter et de les transporter par avion jusqu'à une autre petite piste plus au sud.
Chaque été, des bateaux de croisière déposent à terre des centaines de ressortissants étrangers sans papiers dans des villages comme Pond Inlet et Resolute Bay dotés de services aériens réguliers, mais dépourvus de contrôles d'immigration.
Nous savons déjà que des tentatives d'immigration illégale ont lieu dans le Nord. En septembre 2006, un Roumain a navigué du Groenland au fjord Grise, avec l'intention de retourner à Toronto après avoir été expulsé. Il a été appréhendé par la GRC.
Le mois suivant, deux marins turcs ont déserté leur navire à Churchill, au Manitoba, et ont acheté des billets de train à destination de Winnipeg. Eux aussi ont été appréhendés par la GRC.
En août 2007, cinq aventuriers norvégiens coiffés de casques de Vikings à cornes, qui voulaient contester la revendication du Canada sur le passage du Nord-Ouest, sont arrivés à Cambridge Bay. La GRC et la Garde côtière canadienne ont mené une opération d'interdiction maritime, et ils ont été rapidement expulsés.
Selon moi, ces incidents sont en fait assez rassurants. Ils prouvent que la GRC et la Garde côtière, si elles disposent de l'équipement et du soutien nécessaires, sont capables de faire face aux menaces non étatiques.
Quant aux Forces canadiennes, leur rôle le plus important dans l'Arctique consiste à effectuer des opérations de recherche et sauvetage. Toutefois, pour des raisons indépendantes de leur volonté, elles ne peuvent actuellement s'acquitter de cette tâche. La flotte aérienne des Forces canadiennes dans l'Arctique est constituée en tout de quatre vieux avions Twin Otter peu rapides stationnés à Yellowknife. Les avions Hercules stationnés à Trenton, en Ontario, sont utilisés pour la plupart des opérations importantes de recherche et de sauvetage, mais il leur faut six heures pour atteindre le passage du Nord-Ouest et, une fois là, ils peuvent déposer des techniciens de recherche et sauvetage, mais ne peuvent pas accueillir quiconque à bord.
Aucun des hélicoptères de recherche et de sauvetage Cormorant des Forces canadiennes n'est stationné dans l'Arctique, pas même en été. D'après ce que je comprends, on juge inefficace de placer des ressources de recherche et de sauvetage dans une région où la faible densité démographique crée un risque statistiquement peu élevé. Toutefois, l'Arctique est un milieu vaste et inhospitalier, et lorsqu'il s'y produit des accidents, ils sont souvent très graves.
Les bateaux de croisière présentent un risque particulier, étant donné le grand nombre de passagers souvent âgés à bord. En novembre 2007, un navire canadien, le MVExplorer, a coulé durant un voyage dans l'Antarctique. Heureusement, la mer était calme, deux autres bateaux de croisière se trouvaient à proximité et tous les membres d'équipage et les passagers ont été sauvés. Le MVExplorer aurait très bien pu sombrer dans l'Arctique canadien, dans une mer agitée et sans secours à proximité.
Des opérations de recherche et de sauvetage sont également nécessaires lors d'accidents d'avion. Plus de 90 000 vols commerciaux empruntent des routes transpolaires, soit à des latitudes élevées, au-dessus du territoire canadien chaque année. Le colonel à la retraite Pierre Leblanc m'a dit que la possibilité d'un accident d'avion commercial l'a beaucoup inquiété durant les nombreuses années où il était commandant des Forces canadiennes dans la région du Nord.
Pour le moment, les hélicoptères Cormorant, comme les avions Hercules, sont déployés pour des missions précises à partir de bases situées au sud; cela entraîne des retards et fait grimper les coûts. Permettez-moi de vous donner un exemple extrême. En juin 2006, les Forces canadiennes ont déployé un avion Hercules à partir de Trenton, deux Hercules à partir de Winnipeg, un avion Aurora à partir de Greenwood, en Nouvelle-Écosse, et un hélicoptère Cormorant à partir de Gander, à Terre-Neuve, pour secourir trois chasseurs inuits dont le bateau était tombé en panne sèche près de Hall Beach, au Nunavut.
Il y a une solution simple à court terme à cette situation: stationner des Cormorant dans l'Arctique durant l'été. Je recommande qu'il y en ait un à Iqaluit et un autre à Inuvik, dans les Territoires du Nord-Ouest. Puisque ces deux emplacements servent déjà de zones de rassemblement pour les équipes CFA, la présence des Cormorant devrait y être facile à gérer. Ils ont une portée qui dépasse 1 000 kilomètres et pourraient facilement couvrir les deux secteurs où l'activité maritime est la plus intense dans l'Arctique, soit la baie de Baffin et la mer de Beaufort, tout en couvrant également les parties Est et Ouest du passage du Nord-Ouest. À la fin de l'été, ils pourraient être renvoyés sur les côtes est et ouest, avant le début des tempêtes hivernales qui créent le plus de besoins en matière de recherche et de sauvetage là-bas.
L'amélioration de notre capacité de recherche et de sauvetage dans le passage du Nord-Ouest faciliterait également l'application des lois canadiennes et donnerait plus de crédibilité à notre revendication de souveraineté. Un hélicoptère de recherche et de sauvetage à long rayon d'action est l'appareil idéal pour aborder les navires océaniques.
La construction de navires expressément pour l'Arctique ne sert à rien. En effet, je dirais qu'on le fait seulement parce que la Garde côtière n'est pas une division des Forces canadiennes. Si la Garde côtière faisait partie des Forces canadiennes, nous reconstituerions la flotte de brise-glace, ajouterions des mitrailleuses légères sur le pont avant de chaque navire et placerions à bord des hélicoptères maritimes à long rayon d'action. La Garde côtière pourrait alors effectuer des opérations de recherche et de sauvetage, aider à lutter contre la menace des acteurs non étatiques et continuer à fournir l'ensemble des autres services essentiels, comme les services de brise-glace pour les navires commerciaux, l'entretien des appareils de navigation et le soutien aux recherches dans l'Arctique. Je crois que votre comité devrait se pencher sur la manière dont la Garde côtière et les Forces canadiennes pourraient collaborer dans l'Arctique. L'un des points de départ évidents serait que certains employés de la Garde côtière soient formés par les Forces canadiennes aux techniques d'interdiction forcée, qu'ils soient équipés à cette fin et intégrés à la réserve navale.
Qu'en est-il des patrouilleurs océaniques extracôtiers de l'Arctique que les Forces canadiennes devront acquérir à compter de 2015? La première chose à noter, c'est qu'il ne s'agira pas de vrais navires arctiques. Je préfère les considérer comme des bateaux de remplacement pour les navires de défense côtière maritime de la classe Kingston. Ils seront renforcés pour la navigation dans les glaces, ce qui leur permettra de patrouiller le golfe du St-Laurent en hiver et des endroits comme la baie de Baffin en été.
Soit dit en passant, c'est dans la baie de Baffin que les frégates à coque renforcée de la marine danoise sont conçues pour être utilisées dans des conditions très différentes de celles du détroit de McClure et du détroit du Vicomte de Melville. Les navires de patrouille extracôtiers de l'Arctique ne seront pas conçus pour briser la glace et pour cette raison, ils ne seront pas envoyés dans le passage du Nord-Ouest, du moins jusqu'à ce que le changement climatique entraîne la disparition complète de la glace pluriannuelle.
Cela m'amène à parler du Diefenbaker, le brise-glace polaire de 720 millions de dollars dont on a annoncé la construction l'an dernier. Contrairement aux navires de patrouille extracôtiers de l'Arctique, ce brise-glace est destiné à la Garde côtière, mais il est aussi beaucoup plus gros et plus puissant que ne le justifient les prévisions au sujet des glaces de mer et par conséquent, il est excessivement coûteux. Compte tenu du changement climatique, on pourrait dépenser le même montant et acquérir deux ou trois brise-glaces de taille moyenne semblables au Terry Fox, ce qui nous permettrait de couvrir une zone beaucoup plus grande dans le Nord que ne le ferait un seul navire.
Je crois que le processus d'acquisition du Diefenbaker a été suspendu l'automne dernier, et je n'en suis pas surpris. Pour utiliser une métaphore d'actualité, le gouvernement a décidé de construire une Cadillac plutôt que trois Smart. Il est temps de réévaluer ce plan et de réinvestir dans la flotte de la Garde côtière de façon moins grandiose mais plus utile, avec la participation et le plein appui des Forces canadiennes.
Je vous remercie beaucoup de votre attention.
Je tiens à remercier les membres du comité de m'avoir aimablement invité à venir parler de la souveraineté dans l'Arctique, une question manifestement très importante pour le Canada. Je dirais que contrairement à ce qui s'est produit dans les décennies précédentes, cette question a peu de chances de disparaître des programmes politiques internationaux et nationaux.
M. Byers a soulevé bien des points qui concernent des éléments précis de la défense, alors je ne vais pas les aborder. Je pense qu'il nous les a très bien expliqués.
J'aimerais cependant établir quelques comparaisons. Au cours des 20 dernières années, j'ai travaillé principalement à la recherche sur le développement nordique en Russie. Je me suis rendu là-bas environ 24 fois au cours des 19 dernières années, à titre de doyen des études de premier cycle pour l'Université de l'Arctique, ce qui m'a sans doute donné une perspective comparative des huit États arctiques sur la question de la souveraineté dans l'Arctique.
Si j'avais à formuler des recommandations au gouvernement canadien en ce qui concerne la souveraineté dans l'Arctique et la stratégie entourant le renforcement de la souveraineté dans l'Arctique, je mettrais l'accent sur trois points précis. Le premier est la défense; le deuxième, l'édification des régions et le dernier, l'édification du pays.
Sur le plan de la défense, il y a des experts qui en savent davantage que moi sur les moyens techniques nécessaires pour renforcer notre capacité de défense, mais j'estime que nous ne possédons pas une solide capacité de défense toute l'année dans notre propre région arctique. Cela contraste fortement avec les autres pays, comme les États-Unis, en Alaska, ainsi que les pays nordiques et, bien entendu, la Russie. Sur ce plan, nous sommes très différents des autres pays circumpolaires.
La menace vient-elle essentiellement des États? Je dirais que dans un avenir rapproché, c'est très improbable. Cependant, M. Byers vient tout juste de nous expliquer les raisons très importantes pour lesquelles un renforcement de notre capacité de défense est essentiel. L'une porte sur nos capacités de recherche et de sauvetage, bien sûr: il faut que nous soyons prêts et efficaces. Il y a aussi la sécurité humaine et environnementale. La question n'est pas de savoir s'il y aura davantage de tourisme et de navigation dans nos eaux arctiques; c'est déjà le cas, en particulier pour le tourisme. Il va probablement augmenter, et non diminuer, au cours des prochaines décennies.
Mais il y a une autre dimension qui est souvent négligée. Il s'agit de l'impact des investissements dans la défense sur les recherches socioéconomiques et l'éducation. On peut constater, par exemple, qu'une grande partie des recherches de calibre mondial effectuées à l'Université de l'Alaska à Fairbanks en géomatique et géophysique, entre autres, sont possibles grâce à l'investissement de l'armée américaine dans la région arctique. C'est la même chose dans les pays nordiques, ainsi qu'en Russie.
L'autre grand avantage d'augmenter les investissements en défense, évidemment, c'est la mise en place d'infrastructures de transport et de communication et leur renforcement, qui contribue à améliorer la recherche et le développement économique. Les investissements effectués en défense au Canada pour renforcer notre souveraineté ne se résument pas seulement aux frontières et à la surveillance. Il y a énormément de retombées sur le plan éducatif et socioéconomique.
Avant de conclure, j'aimerais aussi parler du programme des Rangers canadiens. Il n'est pas seulement établi dans le Nord territorial, mais aussi dans les provinces et dans les zones côtières. Au nord du 60e parallèle, comme vous le savez sûrement, on est très fier de ce programme, et nous devons l'appuyer et l'améliorer.
En plus d'améliorer sa défense, le Canada doit aussi en faire beaucoup plus que par le passé sur le plan de l'édification des régions. Dans ce domaine, bien franchement, les premiers chefs de file ont été les organisations autochtones, surtout l'ancien Conseil circumpolaire inuit. Mentionnons en particulier l'Arctic Athabaskan Council et le Gwich'in Council International, qui sont des pionniers de la coopération circumpolaire.
Si nous tirons des leçons de ce que les autres pays ont fait, dans la région de Barents en particulier, nous remarquons que les pays nordiques ont pour la plupart choisi d'inclure la Russie. Il n'y a pas que le Canada. Je sais qu'on parle beaucoup dans les médias de la menace que posent les États-Unis pour la souveraineté du Canada, mais dans les faits, il y a beaucoup de coopération entre les États-Unis et le Canada dans l'Arctique. Nous ne sommes pas le seul pays qui doit composer avec un grand voisin. Pensons à la Norvège, voisine la Russie, qui doit composer avec l'ours russe.
La stratégie là-bas, surtout depuis l'ère Gorbatchev, est d'intégrer économiquement les organisations autochtones dans le domaine de l'éducation, ainsi que les gouvernements sous-nationaux des comtés, des provinces et des municipalités. Regardons un peu ce qui se passe dans la région de Barents: elle connaît une transformation et une coopération extraordinaires dans les sphères de l'économie, de la culture et de l'éducation.
On assiste aussi à l'avènement d'un nouveau leadership en Russie, particulièrement dans le Nord-Ouest, où les gens ont un respect et une sensibilité particulière pour les valeurs que nous qualifions fièrement de valeurs démocratiques occidentales. Mais il y a aussi de plus en plus de respect et de compréhension à l'égard des valeurs et des intérêts russes dans le Nord. Cela contribue à atténuer des problèmes qui pourraient prendre une ampleur déplorable pour ce qui est des pêches, de l'exploitation des ressources pétrolières et de tout le reste dans la région de Barents.
Mon troisième et dernier point, c'est l'édification d'un pays.
Nous devrions être très fiers du Canada. Dans le monde, nous sommes un superbe exemple du fédéralisme. Tout ne se fait pas sans heurt, mais nous avons réussi à bâtir un pays d'un océan à l'autre à bien des égards. Pensons à John A. MacDonald et aux investissements massifs que son gouvernement a faits pour construire un réseau de transport d'un océan à l'autre et unifier le pays. Il l'a fait autant pour protéger la souveraineté canadienne devant notre voisin du Sud que par intérêt économique, mais nous ne faisons pas de même dans le Nord: nous n'avons pas encore édifié un Canada d'un océan à l'autre.
Si l'on s'arrête un peu aux investissements dans l'infrastructure sociale, économique et dans l'éducation qui accompagnent l'édification d'un pays, le Canada a du retard par rapport à d'autres pays. Je vais vous donner un exemple. Comme tous les membres du comité le savent sans doute, nous sommes le seul État des huit États de l'Arctique qui n'a pas d'université dans sa région arctique. Nous nous targuons d'être l'État gentil par excellence sur le continent nord-américain, et c'est vrai à bien des égards, mais c'est fondamentalement faux à d'autres. Regardez le programme de l'Université de l'Alaska: entre 1997 et 2004, cette université a produit 10 000 diplômés. Pensez un peu aux possibilités que cela crée pour la gestion de l'environnement, l'établissement d'entreprises privées prospères et la participation à la gouvernance, c'est énorme. Nous ne sommes pas dans le coup. Même au Groenland, il y a une université. Dans le Nord de la Norvège, il y a au moins cinq ou six institutions postsecondaires dont on peut obtenir un diplôme. Le Canada doit s'engager profondément à poursuivre l'édification de son pays. La Norvège s'est dotée d'une politique de péréquation très efficace pour inciter les professionnels à s'établir dans le Nord de la Norvège, où il y a des établissements de santé de calibre international, sans parler du reste. Nous n'avons encore rien établi de tel dans notre pays.
Pour cela, il faudrait notamment reconnaître que la dynamique évolue au Canada. Je pense que si nous érigions un Canada très fort, un Nord très fort, où nous déléguerions des pouvoirs importants aux gouvernements territoriaux, si nous envoyions du personnel là où la vaste majorité... Prenons l'exemple du Nunavut. Si nous accomplissions les objectifs d'un gouvernement inuit gouverné par les Inuits — et nous n'en sommes pas encore là —, je pense que le Canada en tirerait une présence et une activité beaucoup plus puissantes. En édifiant notre pays, nous allons renforcer notre souveraineté dans l'Arctique.
Je crois toutefois qu'il reste deux grands défis au Canada depuis une vingtaine d'années dont beaucoup de Canadiens et de décideurs ne semblent pas prendre la pleine mesure. D'abord, nous sommes déconnectés. Nous ne tarissons pas de bonnes paroles au Canada sur le véritable Nord fort et libre, mais le Canada rural, le Canada autochtone — celui des premières nations, des Métis et des Inuits — et le Canada du Nord sont de plus en plus déconnectés. Je dirais que c'est attribuable à diverses raisons, dont la réalité intergénérationnelle des Canadiens des villes. Il y a vingt ans, beaucoup de Canadiens, même s'ils vivaient dans des villes, venaient d'une région rurale ou avaient toujours de la famille qui travaillait à la ferme ou dans des villages ruraux du Nord. C'est de moins en moins le cas. C'est une réalité, une réalité dont les décideurs devront prendre conscience pour établir le lien avec notre nord, qui n'est simplement pas si loin et si différent.
L'autre raison, c'est l'arrivée de nouveaux Canadiens, qui ont profondément enrichi le Canada. Nous devons favoriser davantage l'immigration au Canada de partout dans le monde. C'est d'une importance cruciale pour l'avenir du Canada dans son ensemble, particulièrement dans l'économie mondiale. Malheureusement, pour les nouveaux Canadiens, il n'y a pas de lien naturel qui s'établit avec le Canada rural ou le Nord — et je mentionne que la moitié des habitants de Toronto, par exemple, ne sont pas nés au Canada. Je pense que le Canada doit s'efforcer d'établir un lien entre les nouveaux Canadiens ainsi que les citoyens des diverses générations qui habitent les villes (dont la vaste majorité se trouve au sud du 49e parallèle) et notre nord. C'est essentiel pour les investissements dont nous aurons besoin pour édifier un Canada fort, des régions fortes, et pour défendre et assurer la souveraineté canadienne dans l'Arctique.
Merci.
C'est un grand plaisir de vous recevoir tous les deux.
Si je vous comprends bien, monsieur Poelzer, vous dites en gros que pour protéger notre souveraineté, nous devons être présents dans le Nord — et je ne parle pas nécessairement de défense. Nous avons besoin de mesures de défense pour gagner le respect, si l'on peut dire, mais pour commencer, il faut surtout être au courant s'il se passe quelque chose dans le Nord. Vous avez aussi beaucoup suscité mon intérêt avec vos propos sur l'édification des régions et du pays. Je vous prierais de m'en parler encore un peu.
Ensuite, monsieur Byers, mettons un peu de côté l'acquisition du matériel de défense — et je suis d'accord avec vous à ce propos — et parlons un peu de structure. Comme vous, je pense que la Garde côtière devrait relever du ministère de la Défense. Elle devrait bien sûr conserver son autonomie, mais pour des raisons évidentes, elle aurait davantage de ressources si elle faisait partie du ministère de la Défense, donc j'aimerais que vous nous en parliez.
Enfin, parlons un peu de surveillance, parce que selon la Garde côtière, il viendra un temps pas très loin où il faudra accroître notre surveillance pour prévenir l'immigration illégale, la contrebande de drogue et le terrorisme. Cette question s'adresse à vous deux. Comment évaluez-vous ce que nous faisons à l'heure actuelle? Vous aviez des anecdotes à nous raconter, monsieur Byers, pour illustrer l'excellent travail de la GRC — et je l'en félicite —, mais dans l'ensemble, comment évalueriez-vous nos activités de surveillance?
À qui le dites-vous! Je vais vous parler de l'édification des régions. Je reprends l'exemple de la région de Barents, où il y a énormément d'activité depuis 10 ou 20 ans, surtout de la part des pays nordiques et de la Russie. C'est un grand succès.
Regardons un peu ce qui s'est passé au Canada dans la même période. Au Conseil de l'Arctique, par exemple, parmi les pays circumpolaires, nous avons la réputation d'être excellents pour trouver de bonnes idées, mais très mauvais pour les mettre en application. Il y a beaucoup de projets pour lesquels nous ne sommes simplement pas dans le coup dans la coopération circumpolaire.
Dans l'aide aux participants autochtones, par exemple, par le Conseil de l'Arctique — que je cite encore —, nous devons investir dans la coopération en matière d'éducation. Il y l'Université de l'Arctique, par exemple, que nous n'appuyons pas particulièrement.
Je souligne une comparaison intéressante: à l'époque de l'ancien gouvernement, le financement pour l'Université de l'Arctique avançait au rythme d'environ 25 ¢ par résident du Nord. Sous le régime du gouvernement actuel, on parle de 50 ¢, soit du double, et les promoteurs de l'Université de l'Arctique l'apprécient, bien sûr. Mais regardons un peu ce que fait un pays comme la Norvège, où il y a déjà des institutions d'éducation postsecondaires qui collaborent avec la Russie et d'autres pays. La Norvège dépense entre 1,60 $ et 1,70 $ par résident du Nord même s'il y a déjà au moins cinq ou six établissements postsecondaires d'établis. À cet égard, le Canada traîne loin derrière.
Pour ce qui est des gouvernements sous-nationaux, je répète que les petits gouvernements n'ont pas les ressources financières nécessaires pour prendre part à la coopération circumpolaire. Pourtant, d'autres pays du Nord et même la fédération russe soutiennent leurs gouvernements sous-nationaux pour qu'ils puissent faire leur part.
Nous avons donc du rattrapage à faire pour accroître notre coopération avec l'Alaska, bien sûr, et la Russie. Les Russes sont particulièrement importants parce qu'ils suivent de près ce qui se fait au Canada pour édifier leurs régions. Notre géographie est très semblable à la leur.
Je vais être très bref, monsieur Coderre.
Pour commencer, vous avez absolument raison, je pense que la Garde côtière est une grande orpheline pour ce qui est de la bureaucratie fédérale à Ottawa et qu'il serait très judicieux de la placer sous l'égide du ministère de la Défense nationale, dans la mesure où ce ministère comprend que la Garde côtière doit conserver ses fonctions civiles essentielles. C'est l'équilibre à viser. Cela dit, il est vrai que nous devrions nous fier aux experts de la navigation dans l'Arctique pour assurer la protection de notre souveraineté et le maintien de l'ordre dans le Nord. La Garde côtière le fait très bien.
Pour ce qui est de la surveillance, il y a des agents de la GRC dans tous les villages nordiques. Il y a des Rangers canadiens dans tous les villages du Nord. RADARSAT-2, notre satellite radar à synthèse d'ouverture, est en orbite et nous permet d'assurer une surveillance exceptionnelle de l'Arctique. C'est évidemment l'objectif dans lequel il a été conçu. Les Forces canadiennes sont en train de bâtir deux stations au sol pour analyser les données de RADARSAT-2. C'est une excellente initiative.
Il y a aussi des appareils d'écoute sous-marine dans l'Arctique canadien. C'est le secret le mieux gardé d'Ottawa. Le ministère de la Défense nationale est en train de développer de nouvelles technologies. Tout cela découle de notre coopération dans le contexte du NORAD. Il y a trois ans, le gouvernement canadien et celui des États-Unis ont étendu la portée du NORAD pour y inclure la surveillance maritime, y compris dans le passage du Nord-Ouest, donc nous assurons la surveillance avec nos partenaires américains.
Enfin, il y a de la surveillance aérienne. Les Forces canadiennes utilisent de temps en temps un aéronef Aurora de surveillance à longue portée. Je crois qu'elles sont également en train de mettre au point des drones multi-missions, un type d'aéronef, pour confirmer visuellement l'information recueillie par les appareils terrestres ou satellites.
Pour terminer, j'ai remarqué que sur la scène politique, le premier ministre et le ministre de la Défense se sont exprimés haut et fort, c'est le moins qu'on puisse dire, sur l'exercice russe. Tout dépend du point de vue. Quel est le vôtre?
Je dirais simplement que le général américain quatre étoiles en charge du NORAD a été très prompt à corriger le ministre de la Défense canadien en précisant que les avions russes étaient restés bien loin de l'espace aérien canadien et que les Russes avaient « agi professionnellement ».
Il est assez ironique qu'au moment même où les aéronefs russes causaient cette controverse à Ottawa, l'avocat en chef du ministère des Affaires étrangères était en train de négocier avec son homologue russe au sujet de la possibilité que la Russie et le Canada présentent un mémoire conjoint à la Commission des Nations Unies sur les limites du plateau continental au sujet de la souveraineté sur les fonds océaniques arctiques. Il y a beaucoup de coopération en coulisses, mais la souveraineté dans l'Arctique est évidemment une question politique nationale autant qu'une question politique internationale.
Je vais m'exprimer en français, donc je vous conseille de mettre vos écouteurs si vous voulez me comprendre.
[Français]
J'aimerais d'abord vous remercier tous les deux de votre présentation que j'ai trouvé fort intéressante, bien qu'elle ait porté surtout sur l'aspect militaire et le policing, comme on le dit en anglais.
J'arrive de Norvège, d'une réunion de l'Association parlementaire canadienne de l'OTAN. Il y a quelques années, je parlais de l'impact sur l'OTAN, l'Europe et l'Amérique de l'ouverture du passage du Nord-Ouest. Dans les délibérations de l'OTAN, c'est comme si j'avais parlé chinois. On ne savait pas du tout de quoi je parlais. Depuis environ un an, c'est devenu un sujet très chaud à l'OTAN, assez pour qu'elle entame certaines discussions et études, qui se poursuivront à l'automne.
Les revendications concernant l'Arctique mettent en cause cinq pays, dont quatre sont membres de l'OTAN. J'aime bien que l'OTAN tienne ces discussions, mais je ne suis pas certain qu'elle ait vraiment un rôle à jouer pour ce qui est d'assurer la sécurité et une présence militaire. Or, des gens à l'OTAN semblent vouloir lui faire jouer un rôle pour des raisons données. On n'a pas à remettre notre avenir entre les mains de l'OTAN. J'aimerais avoir votre opinion là-dessus.
Il est sûr que la Russie est souvent accusée. Hier, à l'ambassade de la Finlande, on me confirmait que l'espace aérien de leur pays était souvent violé. Plusieurs personnes sont un peu prises au dépourvu face à la Russie. On veut coopérer avec ce pays, mais beaucoup de gens, surtout des pays scandinaves, nous disent qu'ils ont un peu de difficulté à lui tenir tête.
Que pensez-vous d'un rôle éventuel de l'OTAN dans l'Arctique? Est-ce envisageable, ou les susceptibilités nationalistes de chacun de ces pays vont-elles empêcher une intervention de l'OTAN dans le Grand Nord?
[Traduction]
Je tenterai de répondre brièvement à la question avant de céder la parole à Greg.
Tout d'abord, pour ce qui est du passage du Nord-Ouest, il est important de se rappeler que les États-Unis sont les premiers à s'opposer à la position juridique du Canada, et nos deux pays sont membres de l'OTAN. J'ai l'impression que beaucoup des pays européens membres de l'OTAN estiment que les deux membres nord-américains doivent régler le différend entre eux avant que les Européens n'interviennent. De toute évidence, les États-Unis ont plus d'influence que le Canada à l'OTAN, mais je crois qu'il s'agit essentiellement d'une question bilatérale qui pourrait se régler par des négociations bilatérales.
Il y a environ un an, j'ai travaillé en collaboration avec Paul Cellucci, l'ancien ambassadeur des États-Unis au Canada, pour mener un modèle de négociation mettant à contribution des experts de renom, sept Américains et sept Canadiens. Nous avons passé deux jours à discuter afin de déterminer comment les deux pays pourraient coopérer et établir un climat de confiance en ce qui a trait au passage du Nord-Ouest. Nous avons tenté de convaincre les États-Unis de reconnaître la position juridique du Canada. Nous avons fait d'énormes progrès en ce sens.
Je demanderais à votre comité de presser le gouvernement canadien et nos diplomates à s'engager proactivement auprès de nos alliés américains. Les menaces à la sécurité se multiplient à mesure que fondent les glaces et qu'augmente le niveau d'activité dans le Nord, tant pour les États-Unis que le Canada. L'application d'un régime juridique national, de lois nationales sur l'immigration et de lois criminelles est de loin la meilleure façon de gérer ces menaces. Il est assez évident que le régime juridique d'un seul pays pourrait s'appliquer au passage du Nord-Ouest, c'est-à-dire l'État côtier que longent les 3 000 kilomètres de ce cours d'eau.
Il a finalement été question des pays nordiques et des rapports entretenus avec la Russie. Même s'il existe certaines tensions et que l'on rencontre des problèmes à l'occasion, qui surviennent surtout du côté de la Russie, les Norvégiens ont pu réaliser d'importants progrès. Ils ont en effet réussi à négocier une frontière maritime au sud de la mer de Barents avec la Russie. Ils entretiennent aussi des liens complexes mais continus avec l'archipel du Svalbard, notamment avec l'île Spitsbergen. Les Norvégiens ont appris comment travailler avec les Russes. Bien que je désapprouve souvent les gestes posés par le gouvernement russe, je suis heureux de voir qu'il adhère au droit international de la mer et qu'il se montre ouvert à la coopération internationale dans ce secteur.
Je dirais par ailleurs que le Canada devrait approuver la participation de l'OTAN dans la résolution des enjeux relatifs à la souveraineté dans l'Arctique. Mais nous devons faire preuve de prudence. La question du passage du Nord-Ouest est essentiellement un enjeu bilatéral même si elle a d'autres implications. Elle a certes des répercussions à l'échelle internationale, mais la meilleure façon de gérer la situation est de manière bilatérale en collaboration avec les États-Unis. Il est toutefois important pour le Canada d'avoir un engagement multilatéral avec l'OTAN. Nous ne voulons pas être confinés à une position bilatérale, et nous ne voulons certainement pas agir de façon unilatérale. J'estime qu'il est important de solidifier sa position par la coopération et par l'entremise d'institutions comme l'OTAN.
Pourquoi faut-il être prudent? Pourquoi ne prenons-nous pas exemple sur la Norvège? La situation du Danemark est quelque peu différente. Bien sûr, il y a la question du Groenland, mais le Danemark est fondamentalement un pays continental, tandis que la Norvège peut davantage être considérée comme un pays arctique. Le Groenland n'est pas dans la même situation. Je recommande de faire preuve de prudence, parce que l'OTAN ne comporte pas seulement des alliés du nord; l'organisation couvre la totalité de l'Europe continentale. Les ressources de l'Arctique, comme les pêches, sont convoitées. Je crois qu'il faut faire attention parce que les intérêts de l'Europe dans l'Arctique ne seront pas toujours sans conséquences pour les intérêts canadiens ou norvégiens. C'est pourquoi je considère que nous devrions approuver la participation de l'OTAN, sans pour autant laisser tomber totalement nos gardes.
Merci, monsieur le président.
Merci à vous deux pour vos présentations.
Je m'intéresse aux propos que vous avez tenus, monsieur Byers, concernant le rapport entre le rôle de la Marine, ou des Forces canadiennes, et celui de la Garde côtière. Quand il est question du niveau d'activité dans le Nord et des mesures que nous devons prendre ici (d'abord assurer une présence, puis être en mesure de mettre en application certains règlements, qu'il s'agisse des lois environnementales ou des principes en matière d'immigration dont vous nous avez parlé), la Garde côtière est en fait investie des pouvoirs nécessaires. Elle dispose en effet d'une capacité d'arraisonnement sur la côte Est et la côte Ouest, par exemple, dans le cadre de l'application des règlements sur les pêches.
J'aimerais qu'on parle des coûts. Les Forces canadiennes ont des programmes d'investissement très ambitieux pour les prochaines années. Les contribuables finiront peut-être par s'insurger contre certains de ces coûts. Combien en coûterait-il pour faire appel à la Garde côtière plutôt qu'à la Marine afin d'assurer les services nécessaires pour garantir une présence, surveiller les activités et mettre à exécution les règlements canadiens?
Je crois que nous pourrions en fait économiser de l'argent en faisant appel à la Garde côtière, ou en lui donnant les moyens de travailler en partenariat avec les Forces canadiennes. Il faut songer à ce dont nous avons besoin pour assurer une présence, mais aussi pour intercepter les navires, parce que dans le passage du Nord-Ouest, c'est la capacité de stopper les navires qui sera déterminante pour la souveraineté du Canada.
Pour y arriver, il faut avoir des hélicoptères. Il faut pouvoir amener quelques marins armés à bord des navires cargos qui s'aventurent dans le passage. Il n'est pas important de savoir à quel ministère appartiennent les hélicoptères, tant que les marins peuvent monter à bord des navires interceptés.
Le problème, c'est qu'on ponctionne les ressources de la Garde côtière depuis des décennies. Les hélicoptères qui se trouvent sur les brise-glaces sont de vieux appareils Messerschmitt, que Karlheinz Schreiber nous a aidés à acheter. Ils ont un rayon d'action d'à peine 350 kilomètres et ne peuvent accueillir que quatre passagers. Un hélicoptère Cormorant a quant à lui une autonomie de 1 000 kilomètres et peut accueillir jusqu'à 30 passagers. Ce sont des hélicoptères maritimes à long rayon d'action. La Garde côtière a besoin de nouveaux hélicoptères et aura aussi besoin avant longtemps de nouveaux brise-glaces pour remplacer sa flotte vieillissante. Le Louis S. St-Laurent date bien d'une quarantaine d'années, mais nous n'avons pas besoin de cette Cadillac de plus de 700 millions de dollars qu'est le Diefenbaker.
Il faut aussi savoir que les employés de la Garde côtière et des Forces canadiennes peuvent occuper un double emploi. Par exemple, un capitaine de la Garde côtière pourrait agir comme officier de réserve de la Marine, de la même façon qu'un agent de la Garde côtière cumule aussi les fonctions d'agent des pêches. Il n'est pas nécessairement obligatoire de confier ces fonctions à du personnel strictement militaire. Il faut surtout miser sur le partenariat et les gains en efficience, penser davantage à établir des plateformes multifonctionnelles dans l'Arctique, et se concentrer sur ce qui compte vraiment pour la souveraineté dans le passage du Nord-Ouest, c'est-à-dire être en mesure de faire monter quatre ou cinq marins à bord des cargos fautifs. Il n'a jamais été question d'intercepter un destroyer russe. On parle d'un pétrolier à coque simple sur lequel flotte un drapeau libérien et dont le capitaine refuse de se conformer aux règlements du Canada en matière d'environnement. C'est véritablement le genre de défi auquel nous faisons face.
Merci.
Ma deuxième question porte aussi sur les coûts.
Il est très important d'avoir une flotte de brise-glaces. M. Pharand, professeur émérite de droit à l'Université d'Ottawa, est venu témoigner devant nous. Il a récemment rédigé un essai dans lequel il maintient qu'il est nécessaire d'avoir des brise-glaces de la catégorie du Terry Fox. Il souligne que les Russes ont actuellement 12 brise-glaces en circulation, alors que nous n'en avons que deux, et qu'ils comptent en acquérir d'autres. Votre idée d'un trois pour un est très attrayante. Pensez-vous qu'il serait possible de se procurer trois brise-glaces de la catégorie du Terry Fox au coût d'un Diefenbaker. Est-ce une solution que d'autres ont proposée? À votre connaissance, a-t-on déterminé quels en seraient les coûts?
Je ne sais pas si les coûts exacts ont été établis, mais j'ai certainement posé la question à plusieurs personnes, y compris aux représentants de la Garde côtière, à savoir ce qu'il faudrait pour acquérir ce genre de navires.
Il s'agit aussi de déterminer — et en tant que natif des provinces de l'Atlantique, vous serez sans doute interpellé par cette question — si nous devrions construire ces navires au Canada ou les acheter clés en main à l'étranger. Il serait plus coûteux et plus long de les construire au Canada que de les acheter de la Finlande ou de la Corée du Sud. Il faut alors tenir compte des échéanciers et des priorités, et décider s'il y a urgence ou non. Avant de prendre une décision, il faut penser que la construction de navires pourrait s'inscrire à merveille dans un plan de relance économique.
Ce sont des questions auxquelles vous et vos collègues aurez à réfléchir sérieusement. Mais nous n'avons pas besoin de construire immédiatement un brise-glace de luxe comme le Diefenbaker, même si je me dis aujourd'hui qu'il aurait été commode de construire le Polar 8 dans les années 1980. Ce navire pourrait aujourd'hui être utilisé à son plein potentiel, ayant la capacité de naviguer 12 mois par année dans l'ensemble de l'archipel de l'Arctique. Cela aurait été une affirmation claire du sérieux de notre démarche concernant la souveraineté dans l'Arctique.
Si le temps me le permet, j'ai une dernière question à vous poser. Je m'adresse à nos deux témoins. Quelle serait selon vous la plus grande menace pour la souveraineté canadienne dans l'Arctique? Est-il question d'acteurs étatiques ou d'acteurs non étatiques?
Je vous dirais très brièvement, avant que n'intervienne Greg, qu'il est absolument question d'acteurs non étatiques. Ce qui serait plus susceptible de menacer la souveraineté canadienne, ce serait qu'un navire commercial privé décide de traverser le passage du Nord-Ouest sans permission, refusant de se conformer aux lois environnementales canadiennes. Nous pourrions alors décider d'intercepter le navire fautif, au risque de susciter une controverse internationale et peut-être de nombreuses protestations diplomatiques, ou encore de le laisser passer.
C'est une situation qui pourrait se produire dès cet été.
Merci beaucoup, monsieur le président.
Merci à nos deux témoins d'avoir accepté notre invitation. J'ai quelques commentaires à formuler brièvement avant de poser mes questions.
Monsieur Byers, comme vous le savez, les opérations de recherche et sauvetage au Canada, y compris dans le Nord, sont menées en fonction de l'évaluation des risques et des coûts. Si nous disposions d'une quantité illimitée de ressources financières et humaines, nous pourrions assurément garantir une présence dans bien des endroits où nous brillons par notre absence à l'heure actuelle.
L'autre facteur à prendre en compte est le temps de réaction. Combien de temps faudrait-il attendre avant d'intervenir si des Bears russes s'approchaient à 41 milles d'Inuvik, une distance encore acceptable, compte tenu qu'il faut parcourir plus de 1 000 milles à partir de Cold Lake pour intercepter les intrus? Aussi, le général Renuart appuie fermement ce genre d'opérations et croit qu'elles ont leur raison d'être. Les forces américaines effectuent d'ailleurs régulièrement ce genre de missions.
J'ai quelques questions à poser à chacun de vous, en commençant par M. Byers.
Nous avons parlé notamment de la menace des acteurs étatiques et non étatiques. Que pensez-vous de l'annonce faite par le gouvernement russe récemment à l'effet qu'il prévoyait déployer une force militaire spéciale dans l'Arctique?
Je suis très heureux que vous me posiez cette question.
Vous avez raison de parler de l'évaluation des risques, mais je tiens à faire valoir que les risques augmentent sans cesse dans l'Arctique, d'où le besoin accru d'opérations de recherche et sauvetage. Dites-moi, de quoi aurait l'air le Canada à votre avis si un Airbus 340 ou un Boeing 777 s'écrasait sur l'île d'Ellesmere et qu'il nous fallait deux ou trois jours pour nous rendre sur les lieux? Cela viendrait sérieusement entacher notre réputation et miner notre position de pays arctique souverain.
Je pense que c'est une bonne idée d'essayer d'intercepter les bombardiers russes à l'aide des CF-18. Cela permet à tout le moins à nos pilotes de s'entraîner. C'est une chose qui se produit régulièrement, comme ce fut le cas pendant des décennies à l'époque de la guerre froide. J'ai cru comprendre que vous en avez été vous-même témoin.
Pour ce qui est des plans du gouvernement russe de déployer une force militaire dans l'Arctique, encore là, je me dois de faire preuve de prudence. Je crois que le gouvernement de la Russie est loin d'être démocratique et que nous devons être vigilants. Il faut toutefois éviter d'aggraver la menace. Certains journalistes se plaisent à rapporter la possibilité d'un conflit, en omettant de parler des réels efforts de coopération qui sont déployés.
D'une certaine façon, les Russes font ce que tous les autres pays arctiques font: ils accroissent leur présence dans le Nord, afin de gérer, notamment, les menaces d'acteurs non étatiques, comme les groupes terroristes et les contrebandiers. Il faut prendre ces reportages avec un grain de sel et, dans toute la mesure du possible, aborder le gouvernement russe de façon diplomatique, travailler avec lui, et établir un climat de confiance à l'égard d'enjeux comme celui de la coopération dans le cadre des missions de recherche et sauvetage. Il faut ainsi éviter de se lancer dans une course aux armements, ce qui pourrait très bien arriver si la situation se dégradait et que nous sortions des limites du raisonnable. Une telle issue pourrait avoir des conséquences bien plus graves.
C'est évidemment une question de bon sens. Comme disait Reagan, il faut faire confiance, mais vérifier.
Le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien est actuellement responsable des questions relatives à la souveraineté dans l'Arctique pour le gouvernement du Canada. Messieurs Byers et Poelzer, croyez-vous qu'il s'agisse de l'organisme approprié pour assumer ce rôle, ou devrait-on plutôt confier ce mandat à la Défense nationale?
Monsieur Poelzer, voulez-vous tenter une réponse?
Si je ne m'abuse, ces responsabilités sont partagées au sein du gouvernement canadien. Je crois que le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien est tout à fait apte à assurer la direction de ces questions. Le ministère possède une vaste expérience en la matière, notamment grâce à la Direction de la liaison circumpolaire et à d'autres divisions d'AINC. Le ministère se montre à la hauteur et est d'une aide précieuse au ministère des Affaires étrangères et du Commerce international lorsque ce dernier prend part au Conseil de l'Arctique et à d'autres forums.
Je considère qu'il faut canaliser les efforts nationaux déployés à l'égard des enjeux relatifs à la coopération circumpolaire et à la souveraineté de l'Arctique, alors je crois que cette façon de faire est tout à fait appropriée. J'en reviens à mes commentaires sur l'édification d'un pays; j'estime en effet que c'est approprié.
Si vous me permettez d'intervenir rapidement, je vous dirais que la direction est bien sûr assurée par le MAINC, mais si je ne me trompe pas, le Cabinet du premier ministre s'intéresse aussi de près au dossier, ce qui est d'ailleurs souhaitable. Je crois que la meilleure façon d'administrer la politique canadienne en ce qui a trait à l'Arctique, c'est justement en comptant sur le leadership du plus haut niveau, en joignant les connaissances de différents ministères, en tâchant de trouver des moyens pour gagner en efficience et en s'assurant d'être parés à toute éventualité.
Monsieur Byers, vous avez beaucoup travaillé sur les interactions entre la politique et le droit, et vous avez façonné des arguments juridiques en faveur de la souveraineté canadienne dans le Nord. Savez-vous s'il existe des précédents? Est-ce que des pays ont déjà refusé de respecter les décisions juridiques rendues et les droits légaux depuis la réforme, ou l'expansion, de la Convention sur le droit de la mer? Comment pensez-vous que nous pouvons exercer notre souveraineté lorsqu'on se fait carrément répondre de nous mêler de nos affaires par quelqu'un qui a décidé de faire à sa guise?
Prenons le scénario que j'ai décrit brièvement, celui d'un navire arborant un drapeau de complaisance croisant dans le passage du Nord-Ouest cet été. Cette situation nous laissera environ trois ou quatre jours pour prendre une décision avant qu'il ne sorte du passage, dans la mesure où il n'y a pas de glaces, comme cela a été le cas ces deux derniers étés. Quatre jours, ce n'est pas long pour prendre une décision importante exigeant énormément de diplomatie internationale.
Il serait donc temps d'entamer des discussions avec d'autres pays pour voir comment nous aimerions collaborer avec eux en pareille situation. Par exemple, nous devrions examiner avec les États-Unis comment ils pourraient nous aider à exercer discrètement des pressions sur les États qui laissent les navires utiliser leur drapeau afin d'exiger l'inscription de ces bâtiments dans notre registre d'immatriculation des navires du Nord. Ils devraient demander la permission du Canada et, en un certain sens, satisfaire aux exigences minimales en matière de surveillance et de maintien de l'ordre dans l'Arctique, afin d'éviter le risque d'établir un précédent fâcheux et dangereux. Il faudrait user de diplomatie proactive auprès des États-Unis, car, comme l'a clairement indiqué Paul Cellucci il y a quelques années, ce pays commence à réaliser qu'il n'est pas dans son intérêt ni dans celui du Canada que le passage du Nord-Ouest se transforme en Far West. Nous sommes partenaires pour assurer la défense de l'Amérique du Nord, ce qui devrait les encourager à examiner comment ils pourraient résoudre ce genre de situation en restant tournés vers l'avenir.
L'autre question sur laquelle il faut se pencher, c'est que nous mettons actuellement en oeuvre une activité juridique et scientifique très complexe, qui consiste à cartographier les fonds marins de l'océan Arctique. Il est absolument impératif que les scientifiques canadiens bénéficient du soutien nécessaire pour terminer cet exercice d'ici 2013, le délai que nous avons pour présenter notre mémoire aux Nations Unies.
Avant de commencer, je dois dire que je ne suis pas d'accord avec les observations de M. Hawn. Je crois, bien sûr, que n'importe quelle analyse prouverait le besoin criant des opérations de recherche et de sauvetage dans l'Arctique. Vos propos m'ont donc enchanté, monsieur Byers. Comme vous le savez probablement, je parle en faveur de ces opérations au nord du 60e parallèle depuis des années dans les médias et au Parlement. Si le commandant s'inquiétait au sujet d'un Airbus 330, qu'en serait-il d'un navire de croisière avec 3 000 personnes à son bord? La tâche serait encore plus colossale.
Je crois que votre argument au sujet du risque est excellent. Si une piscine est surveillée par un sauveteur et l'autre ne l'est pas, quand on demande combien de fois le public s'est adressé au sauveteur dans la piscine non surveillée, la réponse serait évidemment « aucune ». En l'absence de service, il n'y a pas de demande. Par contre, si le service était offert, on enregistrerait davantage de demandes. En outre, dans le Sud, il y a davantage de services civils qui peuvent intervenir. Et comme vous l'avez fait remarquer, il y fait beaucoup plus chaud; on n'y meurt donc pas en une heure ou deux, comme cela risque d'arriver dans le Nord. Tous ces facteurs devraient s'ajouter aux arguments que vous avez présentés concernant les avions à voilure fixe et les hélicoptères pour les opérations de recherche et de sauvetage dans le Nord.
Monsieur Byers.
Je vous remercie. Je suis heureux que vous soyez d'accord avec moi. Je tiens à ce qu'il soit absolument clair que l'on peut faire bien des choses pour faciliter les opérations de recherche et de sauvetage à moindre coût.
On remet aux chasseurs inuits des collectivités du Nord des émetteurs satellites d'urgence qu'ils activent s'ils se trouvent en difficulté. Ces dispositifs permettent aux équipes de recherche et de sauvetage de les trouver rapidement. C'est une solution économique que l'on devrait soutenir et offrir à une bien plus grande échelle. On n'en a pas moins besoin d'un hélicoptère, mais nous pouvons certainement relever ces défis si nous admettons qu'il peut se produire des accidents, qui peuvent être extrêmement graves.
Si nous sommes un pays arctique sérieux, qui use de toute cette diplomatie et en fait un aspect important de sa politique étrangère, et qu'un accident se produit au cours duquel quelques centaines de touristes allemands âgés meurent dans le passage du Nord-Ouest parce que nous ne pouvons intervenir à temps, toute notre politique étrangère concernant l'Arctique s'en ressentira. Nous devons trouver un juste équilibre entre le risque qui se présente au chapitre non seulement de la vie, mais de toute la dimension de la politique arctique du Canada, et la perception du sérieux dont nous faisons preuve en tant que pays arctique.
Nous avons absolument besoin de l'avion à voilure fixe de recherche et de sauvetage dont vous avez parlé. Au XXIe siècle, il ne suffit pas d'avoir quatre Twin Otters positionnés à Yellowknife. Il faut disposer d'appareils qui peuvent se déplacer rapidement et parachuter des techniciens de recherche et de sauvetage. Ils doivent se trouver dans l'Arctique pour pouvoir intervenir rapidement et que l'on ait pas à attendre l'arrivée d'appareils imposants et chers qui viennent d'aussi loin que Comox, Trenton ou Greenwood.
Je suis ravi que vous ayez mentionné la mer de Beaufort dans votre allocution. Nous oublions souvent qu'elle a probablement l'effet économique le plus immédiat sur le Canada, et la plupart des gens n'en parlent pas lorsqu'il est question de la souveraineté dans l'Arctique.
Pourriez-vous nous en dire plus sur ce que nous devrions faire pour résoudre ce différend?
Un différend frontalier nous oppose aux États-Unis dans la mer de Beaufort, car nous interprétons différemment un traité conclu en 1825 entre la Russie et la Grande-Bretagne. Le litige porte sur un secteur d'un peu plus de 6 000 miles carrés de fonds marins qui est probablement très riche en hydrocarbures.
Il existe quelques solutions faciles, et nous devrions vraiment résoudre ce différend. L'une consiste à tracer une ligne au milieu de la zone litigieuse pour la diviser en deux, ce qui réglerait la question. Si l'on fait preuve de plus d'imagination, on pourrait faire de la région une zone déclarée d'exploration conjointe des hydrocarbures. D'autres pays l'ont déjà fait ailleurs. Cette solution apporte la certitude dont les sociétés pétrolières ont besoin sur le plan juridique, et dans le contexte d'un marché nord-américain de l'énergie régi par le chapitre 6 de l'ALENA, les répercussions économiques sont minimes. En fait, elle pourrait donner lieu à une véritable coopération bilatérale dans cet important domaine.
Nous devons toutefois régler la question, d'autant plus que nous cartographions actuellement le plateau continental au-delà de 200 miles nautiques. Le tracé de la ligne au-delà de cette limite dépend en grande partie de l'endroit où il passe à l'intérieur de la zone. Il faut donc résoudre ce différend d'ici 2013.
Je vous remercie, monsieur le président.
Je souhaite la bienvenue aux deux témoins qui comparaissent aujourd'hui.
Monsieur Byers, vous avez parlé assez longuement des aéronefs et des navires dont on a, selon vous, besoin dans le Nord. Combien en faudrait-il pour faire le travail et où devraient-ils être postés? Où serait leur port d'attache?
Je vous remercie.
Sachez d'abord qu'au cours des dernières années, j'ai changé d'avis concernant les navires de patrouille extracôtiers. Je crois maintenant qu'ils peuvent remplacer les patrouilleurs côtiers de la Marine et entrevoit un rôle pour eux sur la côte Ouest, la côté Est et dans le Nord, comme la baie de Baffin. Le renforcement de la glace ne les rendra que plus utiles. Je crois que les Forces canadiennes devraient acquérir ces navires, mais nous devrions cesser de les appeler navires arctiques et comprendre que nous avons besoin de capacités supplémentaires dans le Haut-Arctique, capacités que la Garde côtière devrait assurer.
Dans ce contexte, nous devons parler du rajeunissement de la flotte de brise-glace de la Garde côtière, pas avec d'énormes brise-glace polaires comme ceux des Russes, mais avec des navires comme le Terry Fox et d'autres vaisseaux de taille moyenne, qui peuvent aller partout où nous devons les envoyer lorsqu'un autre navire se trouve dans les eaux arctiques du Canada.
Pour ce qui est de leur port d'attache, le premier ministre a annoncé, il y a quelques années, la réfection du vieux quai de Nanisivik, au nord de l'île de Baffin. En un sens, l'utilisation d'un quai préexistant est un choix logique; mais l'endroit n'est pas tellement accessible et ce quai ne peut remplacer l'installation en eau profonde que réclame le gouvernement du Nunavut depuis des années à Iqaluit, au sud de l'île de Baffin.
Le fait est que les navires que nous utiliserons dans l'Arctique auront une portée extrêmement grande et iront fort probablement dans le Sud à l'occasion, comme à St. John ou à Halifax, et c'est bien ainsi. Ce qu'il faut au cours des mois d'été, pendant la période d'activité, c'est pouvoir intervenir rapidement dans l'Arctique avec des navires qui peuvent accomplir un large éventail de fonctions, des navires qui peuvent atteindre le coeur de l'archipel et y assurer notre souveraineté.
Quel genre d'aéronefs envisagez-vous? Je sais que vous avez parlé de certains des appareils déjà dans le Nord et y avez fait référence. Quels aéronefs devrait-on acquérir et ou devrait-on les poster?
Je crois qu'il est essentiel d'avoir des hélicoptères, notamment. J'aimerais, du moins à court terme, que l'on déploie un ou deux hélicoptères Cormorant dans l'Arctique vers la fin de l'été, au moment où l'on en a besoin, ainsi que des hélicoptères plus lourds et à portée plus longue sur les brise-glace de la Garde côtière. Ce n'est pas avec un brise-glace croisant au coeur de l'archipel avec un hélicoptère d'une portée d'à peine 150 kilomètres que l'on fera valoir nos capacités dans l'Arctique. Nous avons besoin de meilleurs oiseaux sur nos navires.
Pour ce qui est des avions à voilure fixe, j'aimerais qu'on en déploie de nouveaux dans des endroits comme Whitehorse, Yellowknife et peut-être Iqaluit, avec des techniciens de recherche et de sauvetage que l'on peut parachuter en situation d'urgence. Je crois comprendre que c'est ce qui est prévu dans le plan à long terme, qui comprend par exemple l'achat d'un aéronef Spartan; mais si l'on poste de tels appareils dans le Nord, assurons-nous d'avoir sur place du personnel qui peut rapidement intervenir au sol en parachute.
Monsieur Poelzer, vous avez parlé d'une université. Où devrait-elle être située et quel genre d'établissement entrevoyez-vous? Y dispenserait-on un enseignement semblable aux programmes collégiaux de deux ans offerts dans le domaine des métiers? Pouvez-vous nous donner votre avis sur ces deux questions?
Les trois collèges situés dans l'Arctique — le Collège du Yukon, le Collège Aurora et le Collège de l'Arctique du Nunavut — ont accompli un travail remarquable avec des ressources restreintes, sur les plans tant des métiers que des études postsecondaires.
La construction d'une université dans l'Arctique prendra cinq à dix ans, soyons réalistes. Il faudra travailler en partenariat avec les autres établissements postsecondaires du Canada. L'enseignement ne sera pas offert à un seul endroit en raison de la grande différence qui existe entre les trois territoires. Le Yukon, le Nunavut et les Territoires du Nord-Ouest sont en effet extrêmement différents l'un de l'autre. Il faudra établir plusieurs campus, bien franchement, même si...
[Français]
Je vous remercie de votre présence.
Vous avez d'abord parlé de la difficulté pour le Canada d'intervenir s'il y avait un accident dans l'Arctique. Êtes-vous en mesure de nous dire quel pays du Nord est le plus avancé, quel pays aurait déjà, en quelque sorte, les équipements et les ressources nécessaires pour intervenir en cas d'accident dans l'Arctique?
[Traduction]
Je dirais très brièvement que les autres pays arctiques sont beaucoup mieux préparés que le Canada pour assurer des opérations de recherche et de sauvetage sur leur propre territoire et, dans une certaine mesure, sur celui du Canada. Le Canada et les États-Unis planifient actuellement en vue de mener des opérations conjointes de recherche et sauvetage dans l'Ouest de l'Arctique. Nous planifions également avec le Danemark pour tenir des opérations de recherche et de sauvetage avec le Groenland. Mais il faut faire davantage.
Le fait est que s'il se produit un important écrasement d'avion dans l'Arctique, nous ferons appel à nos partenaires de l'OTAN pour nous aider. Pour les passagers qui sont cloués au sol, il importe peu que le premier hélicoptère qui arrive soit américain, canadien ou danois. On planifie donc de collaborer dans ce domaine.
Nous devrions également parler avec les Russes à ce sujet. Il n'y a pas beaucoup d'activités dans le milieu de l'océan Arctique actuellement, même s'il se trouve, bien sûr, des touristes et des aventuriers pour explorer cette vaste contrée inhospitalière. Et nous devons effectivement penser à l'avenir et voir comment nous réagirions si une crise survenait dans cette région.
Mais les opérations de recherche et de sauvetage sont une affaire de coopération et non de compétition.
Je suis d'accord.
Si l'on examine le Nord de la Norvège ou même la Russie, qui ne se trouve évidemment pas dans la même situation économique que le Canada — dont le taux de richesse par habitant est évidemment bien plus élevé —, on constate que leurs capacités de recherche et de sauvetage dans les régions très éloignées de l'Arctique russe, y compris le Haut-Arctique, sont de loin supérieures à celles du Canada.
[Français]
Nous convenons tous qu'il est important que le Canada puisse agir éventuellement. Un peu plus tôt, vous avez parlé des Forces canadiennes et de renforcement des régions.
On est conscient que l'idéal serait que cela se fasse le plus rapidement possible. Selon vous, quel serait le point critique si le Canada n'agissait pas, ou qu'il lui était presque impossible de rattraper les autres pays, ou qu'il était dans une position très désavantageuse par rapport aux autres?
Comme vous le savez, il y a une foule de dédales administratifs. Il est parfois très complexe de créer ou de mettre en place un nouveau programme ou un nouveau système.
Y a-t-il un point de non retour, à court terme, qui serait une date limite ou un moment critique que le Canada ne devrait pas dépasser?
[Traduction]
Si j'avais eu à déterminer une date butoir, j'aurais choisi 1990 environ, mais il est trop tard pour se rattraper. Même si nous accusons du retard, il est temps pour nous d'entrer en jeu.
Ce n'est pas comme si nous partions de zéro. Les entreprises canadiennes et russes coopèrent déjà, en bonne partie dans le Nord afin d'y améliorer les choses. Il y a également le forum nordique, constitué d'associations de municipalités, ainsi que des organisations autochtones et des institutions comme l'Université de l'Arctique et le Conseil de l'Arctique. Nous disposons donc d'une bonne base de départ et ne partirions pas de zéro.
Ce qu'il faut faire, bien franchement, c'est prendre le Canada au sérieux. En tant que Canadiens, que société, que gouvernement — la situation est générale —, nous ne prenons le Canada au sérieux que d'un océan à l'autre, en oubliant le Nord. Bref, nous parlons beaucoup, mais n'agissons pas. C'est le genre d'action — le déploiement dont Michael Byers a parlé au sujet des capacités — qui va nous coûter cher, c'est certain. Mais le fait d'être un pays exige des investissements, des investissements que d'autres pays ont effectués.
Et il faut évidemment mieux intervenir rapidement que de tarder à agir. Je voudrais faire remarquer que le genre d'investissements que nous devons réaliser auront des retombées économiques favorables, qu'il s'agisse des brise-glace, des avions à voilure fixe, des hélicoptères ou d'autres appareils. Nous bénéficierons également d'un déploiement plus important dans l'Arctique et de l'instauration de sites multiples et permanents. Combien nous coûte le taux élevé de chômage dans les communautés autochtones? Cette situation aussi coûte cher au Canada.
Ces investissements militaires, qui ont une importance capitale pour l'édification de la région et du pays, auront des avantages pour le Canada. C'est l'inaction qui nous coûte cher. L'action, quant à elle, réduira les coûts à long terme.
Je vous remercie, monsieur le président.
J'aimerais vous souhaiter la bienvenue, comme l'ont fait précédemment mes collègues. Il est très important que nous connaissions votre avis sur ce qui se passe actuellement dans le Nord, car je crois qu'il s'agit d'une région stratégique d'une importance capitale pour notre pays et notre gouvernement.
J'aimerais m'adresser à M. Byers en premier. Je voulais vérifier une remarque que vous avez faite. Je crois vous avoir entendu dire que 90 000 vols commerciaux traversaient la région du pôle Nord, mais je ne suis pas certain que ce soit exact.
Vous avez bien entendu. Le nombre de vols qui passent au-dessus de la région est stupéfiant. Simplement pour illustrer mon propos, il y a plus de gens qui survolent l'Arctique canadien tous les jours qu'il n'y en a qui vivent au sol. On dénombre 104 000 personnes qui vivent au nord du 60e, alors que les long-courriers commerciaux qui survolent la région transportent un nombre plus élevé de passagers. Ces aéronefs sont effectivement exceptionnellement sécuritaires, mais comme l'a démontré la perte du Air France hier, les accidents arrivent.
Dans ce contexte, j'aurais un autre point à faire valoir en ce qui concerne la recherche et le sauvetage. Notre couverture radar de l'Arctique canadien est moins que parfaite. Donc, si vous êtes à bord d'un vol transpolaire, vous sortez de la zone de couverture radar canadienne bien plus au sud que la limite de couverture des radars russes. Les Russes ont des réseaux civils de radars et de communications nettement meilleurs que ce que nous avons dans l'Arctique et, si nous tenons vraiment à affirmer notre souveraineté dans cette région et à offrir des services de recherche et de sauvetage, il faudrait avoir une couverture radar adéquate.
Je vous remercie.
Monsieur Byers, je souhaitais vous demander également ceci. Je crois savoir que vous êtes en train d'étudier les répercussions de la Convention sur le droit de la mer des Nations Unies et les mécanismes visant à faire reconnaître la souveraineté au-delà de la limite territoriale de 200 miles. Pourriez-vous nous décrire le processus prévu lorsque des pays ont peut-être des divergences de vues ou des compétences conflictuelles, ou de ce dont l'ONU tient compte à l'examen des revendications?
J'en reviens à mon tout premier point, soit que l'Arctique est une étendue immense. La plus grande partie de cette région relèvera indiscutablement de la souveraineté de l'un ou de l'autre pays. La Russie aura droit à une immense part du fond océanique, près de son littoral; le Canada lui aura le sien, le long de ses côtes. Les possibilités réelles de chevauchement ne visent que 5 à 10 p. 100 environ de toute la superficie. Ce n'est donc pas toute la région de l'Arctique qui pourrait faire l'objet d'un litige, mais bien certaines parties où il y aurait des chevauchements.
Toutes ces questions seront tranchées par la Commission des limites du plateau continental des Nations Unies qui s'appuiera sur les connaissances scientifiques pour déterminer si le fond océanique est le prolongement naturel du plateau continental d'un pays plutôt que de l'autre. Il se peut qu'il subsiste quelques litiges pour lesquels il faudra en fin de compte s'en remettre à la diplomatie. Nous contestons et continuerons de contester la souveraineté du Danemark sur quelques centaines de kilomètres de fond océanique dans la mer de Lincoln. Réglons cela tout de suite de manière à ne pas avoir de problème plus tard. Il en va de même pour la mer de Beaufort pour laquelle nous avons un litige frontalier avec les Américains.
Pour ce qui est de notre litige avec les Russes au sujet d'une région au beau milieu de l'océan Arctique, heureusement, des pourparlers sont en cours. Par exemple, Alan Kessel, avocat en chef du ministère des Affaires étrangères, a discuté avec les Russes la possibilité de déposer conjointement une série de revendications, de manière à ce que nous puissions désenchevêtrer tout cela entre nous, partager ce qui reste et régler le problème par les voies diplomatiques plutôt que de s'en remettre à une tierce partie comme la Commission des Nations Unies.
En fait, il n'y aura pas de prospection gazière et pétrolière en plein coeur de l'océan Arctique avant un siècle, en raison de son emplacement si éloigné dans le Nord et de son inhospilatité. Il y fait nuit pendant plusieurs mois, chaque année, et le pôle Nord lui-même se trouve sous 4 000 mètres d'eau. Le pôle a une certaine valeur symbolique, mais en termes concrets, il serait très sage de régler la question avec les Russes tout de suite.
Monsieur Poelzer, je crois savoir que vous avez eu l'occasion d'observer des manoeuvres récentes des Forces canadiennes près d'Iqaluit. Pourriez-vous nous parler de cette expérience et nous faire part de toute recommandation qui aurait pu s'en dégager?
Je vous remercie beaucoup d'avoir posé la question.
Effectivement, l'opération Nanook s'est déroulée là-bas l'an dernier. Il s'agissait d'exercices de protection de la souveraineté dans l'Arctique engageant quelques [Note de la rédaction: difficultés techniques] approche. De nombreux ministères fédéraux y participaient, avec l'aide du gouvernement du Nunavut et de [Note de la rédaction: Difficultés techniques] locales...
Les manoeuvres auxquelles nous avons pris part incluaient tant la Garde côtière — donc, la branche civile — que les forces armées à la fois aériennes et navales... Pour tout dire, j'ai été fort impressionné. En tant que Canadien, on ne peut qu'être épaté par le niveau de professionnalisme et l'hospitalité du personnel des Forces canadiennes et de la Garde côtière. Les Canadiens peuvent en être très fiers, à bon droit.
Ce que nous avons observé de l'approche du gouvernement actuel est tout à fait adéquat en termes de relations interministérielles ou intergouvernementales pour traiter à la fois de questions de sécurité humaine et de sécurité environnementale.
J'ai trois questions. Je vais commencer par les poser, après quoi vous pourrez y répondre rapidement.
Greg — si votre réponse n'est pas trop longue —, vous avez parlé de l'université. Au Canada, les universités sont habituellement financées par les provinces. En fait, j'ai rencontré à Prince George les responsables de l'Université du Nord de la Colombie-Britannique et leur ai demandé si le gouvernement fédéral y investissait des fonds, ce à quoi ils ont répondu par la négative.
J'ai aussi deux petites questions qui s'adressent à M. Byers. L'une concerne les conséquences pour nous de perdre notre bataille juridique en vue de faire reconnaître notre souveraineté sur le passage du Nord-Ouest et qu'il devienne un détroit international. Pouvez-vous nous décrire brièvement les conséquences de survols qui seraient alors autorisés au-dessus du centre de l'Arctique canadien? De plus, Justin aimerait savoir, au sujet du même passage du Nord-Ouest, en supposant qu'il nous appartient, ce qu'il faudrait faire pour bien y asseoir notre souveraineté.
Merci d'avoir mentionné l'université, Larry. Vous avez été l'un des plus fervents partisans de l'Université de l'Arctique. Nous ne serions pas ici aujourd'hui sans votre appui et votre leadership. Je tiens à le souligner.
Quant à l'appui de la province et l'appui territorial équivalent, il est vrai qu'une bonne partie des budgets de base des universités vient effectivement de la province. Manifestement, il faudrait que le gouvernement territorial offre un soutien égal, mais les activités de l'université sont lourdement financées par le gouvernement fédéral. J'en veux pour preuve les subventions versées par la FCI ou par les trois conseils pour financer la recherche. Le gouvernement fédéral subventionne aussi un grand nombre d'ouvrages d'infrastructure. J'estime donc que le gouvernement fédéral a un rôle très important à jouer à l'égard d'une université au nord du 60e. Il continue d'avoir une obligation fiduciaire, aux termes de la Constitution, à l'égard du Nord et il en a certainement une à l'égard des peuples autochtones canadiens.
Sur un plan plus concret, les territoires ne sont tout simplement pas capables de le faire seuls. Il va falloir qu'ils agissent en partenariat avec le gouvernement fédéral.
Je vous remercie de ces questions fort intéressantes au sujet du passage du Nord-Ouest.
Si le passage du Nord-Ouest devient un détroit international — c'est-à-dire que les Américains obtiennent gain de cause —, vous aimeriez savoir quelles seront les conséquences en termes de survols, parce que le passage ne sert pas qu'à la navigation, mais également au transport aérien.
Il se trouve que le passage du Nord-Ouest en tant que couloir n'est pas très pratique pour l'aviation civile, et le Canada permet déjà à l'aviation civile d'utiliser notre espace aérien en échange de droits très modestes.
Ironiquement, la seule conséquence que je peux voir, c'est que les bombardiers russes pourraient en fait faire des manoeuvres au-dessus de notre passage du Nord-Ouest si les Américains obtiennent gain de cause. C'est très ironique, parce que la Russie est l'un des pays qui en réalité appuie explicitement la position juridique du Canada, parce qu'elle a elle aussi une voie navigable dans la partie de l'océan Arctique que les Américains soutiennent être un détroit international alors que les Russes estime que ce sont des eaux intérieures.
La meilleure façon d'affirmer la souveraineté dans le passage du Nord-Ouest, à vrai dire, est de fournir de bonnes raisons aux autres pays et aux transporteurs internationaux de reconnaître la compétence du Canada. J'entends par là qu'il faut offrir des services de recherche et de sauvetage et des cartes marines de calibre mondial et d'excellents services de brise-glace aux navires commerciaux. Il faut construire des installations portuaires pour qu'en cas de défectuosité de son équipement, un navire puisse s'y rendre et se mettre à l'abri des tempêtes arctiques. Développons le passage du Nord-Ouest comme si le couloir commercial relevait de la compétence canadienne, tout comme nous avons emménagé la Voie maritime du Saint-Laurent il y a quelques générations en vue de faciliter l'utilisation de la voie navigable relevant de la souveraineté à la fois du Canada et des États-Unis.
Voilà la vraie solution. Assumons notre souveraineté dans l'Arctique en offrant des carottes plutôt que des bâtons. Bien sûr, il faut aussi avoir à sa disposition des bâtons, mais un pareil investissement immédiat dans le passage du Nord-Ouest, un genre de passerelle vers l'Arctique, serait déterminant.
[Français]
Merci beaucoup, monsieur Bernier.
Avant d'interroger nos deux témoins, je voudrais d'abord souligner certaines choses.
Je veux vous dire que grâce à vos travaux, à vos recherches et au rôle que vous jouez, vous contribuez déjà à assurer la souveraineté canadienne dans l'Arctique. Votre travail est extrêmement important, autant pour ce qui est des recherches scientifiques que vous effectuez avec le groupe ArcticNet que des efforts que vous faites pour préconiser l'implantation d'un centre de recherche et d'études dans le Grand Nord. C'est tout à votre honneur. On peut voir, par la qualité de vos réponses et la profondeur de votre réflexion, que votre travail va nous être utile.
Je vais adresser ma première question à M. Poelzer.
Monsieur Poelzer, parmi les trois volets, soit la défense, l'augmentation des capacités régionales et le sentiment d'appartenance et de reconnaissance du Nord comme valeur canadienne, je veux revenir à celui de la défense. J'aimerais vous entendre un peu au sujet des besoins.
Vous avez parlé d'être en mesure de naviguer, d'assurer la souveraineté du Canada dans le Grand Nord sur une base annuelle. Il y a eu des questions un peu plus spécifiques sur le type de brise-glace qu'on possède.
À votre avis, est-il important d'avoir des navires qui nous permettent d'aller dans le Grand Nord sur une base annuelle? Comment envisagez-vous la combinaison des navires et de la protection, de la surveillance aérienne et du sauvetage?
Je reviendrai à M. Byers s'il me reste du temps.
[Traduction]
J'estime que, si nous voulons nous affirmer comme pays qui se respecte, idéalement... Cela ne se fera pas du jour au lendemain, mais je crois qu'il faut assurer une surveillance à longueur d'année sur tout notre territoire, ce qui n'est pas le cas actuellement. Ce ne sera pas demain la veille, mais c'est l'objectif que nous devrions viser.
Nos problèmes sont naturellement très différents de ceux de la Norvège, par exemple. Ainsi, elle a effectivement l'avantage du Gulf Stream, mais ses capacités de surveillance aux fins de défense sont un peu moins formidables. La Russie fait face aux mêmes problèmes que le Canada. Selon moi, nous devrions le faire. Si nous souhaitons vraiment que notre territoire s'étende d'un océan à l'autre, il faut avoir cette capacité à longueur d'année. Ce qu'il faut, c'est une combinaison de capacité et de surveillance sur le plan de la défense ainsi qu'une capacité de recherche et de sauvetage, ce que notre pays est loin d'avoir.
La situation qui prévaut dans le Nord ne serait pas tolérée dans le Sud, qu'il s'agisse du sud de l'Ontario, du sud de la Colombie-Britannique, dans la moitié inférieure de l'Alberta ou d'autres régions du Canada. Ce ne serait pas toléré, point. Il faut effectivement avoir une puissante capacité de recherche et de sauvetage dans le Nord, et nous avons effectivement besoin, selon moi, d'y installer des bases permanentes des Forces canadiennes ouvertes à longueur d'année et disposant de capacités multiples. Ce n'est pas le cas actuellement. Si vous comparez nos capacités avec celles de l'Alaska et de la Russie, voire des autres pays nordiques, ils ont tous ces capacités.
C'est d'une importance cruciale pour la souveraineté du Canada dans l'Arctique, et j'aimerais revenir sur un point au sujet de la Russie. Michael Byers a tout à fait raison. Il faut déployer tous les moyens diplomatiques auprès de la Russie. Il ne faudrait pas pour autant faire les naïfs, non plus — je parle en règle générale, au sujet du comportement de la Russie sur la scène internationale. Elle ne respecte pas toujours les normes internationales. Et c'est là une grande source de préoccupations en Norvège. Selon elle, l'ours russe est en train de sortir de son hibernation, et elle est inquiète.
J'estime donc qu'il faut élargir les ouvertures diplomatiques et les renforcer — c'est d'une importance vitale et la meilleure solution —, mais en prenant garde de toujours prendre appui sur des moyens concrets. Dans le cadre du système international, l'efficacité de nos services de recherche et de sauvetage pour établir notre crédibilité et assurer la surveillance de notre région nordique est d'une importance vitale, tout comme la défense. Il faut assurer une présence aux fins de la défense du territoire de manière à avoir la crédibilité voulue pour affirmer notre souveraineté dans l'Arctique.
Ai-je bien compris que le rôle de recherche et de sauvetage reviendrait à la Défense plutôt qu'à la Garde côtière?
Non. Il faut qu'il relève des deux. Il faut le concours des deux pour réaliser le genre de gains d'efficacité dont il a déjà été question. La Garde côtière fait de l'excellent travail en matière de recherche et de sauvetage et, jusqu'à un certain point, de surveillance civile, mais on aura besoin inévitablement d'un très solide rôle de défense. Les défis logistiques que posent les opérations dans l'Arctique sont si grands qu'il faut pouvoir compter sur de solides options militaires.
Merci, monsieur le président.
J'aimerais revenir au thème de la recherche et du sauvetage. Je conteste l'analogie faite par M. Bagnell avec le sauveteur au bord de la piscine. On ne décide pas de se noyer parce qu'il n'y a pas de sauveteur, tout comme l'aéronef ne s'écrase pas parce qu'il n'y a pas d'opérations de recherche et de sauvetage. J'énonce simplement une évidence.
Je serais ravi de pouvoir affecter des aéronefs à toutes sortes de bases réparties un peu partout dans le Nord. En fait, nous le serions tous. Toutefois, sur un plan statistique, si l'on se fie au passé, ils seraient très sous-utilisés la plupart du temps. La plupart des incidents de recherche et de sauvetage surviennent dans le Sud, non pas dans le Nord.
Le scénario apocalyptique d'un gros avion de ligne n'est pas exclu, mais faut-il placer tous nos pions ou un nombre disproportionné de nos pions en fonction d'un pareil scénario? N'est-il pas préférable d'avoir de bons plans, comme ceux qu'ont dressés les Forces canadiennes dans le cadre de CACTAIR, de concert avec nos alliés, y compris les Russes qui y occupent une grande place?
Les ressources sont limitées. Si nous retirions un Cormorant de la base de Gander, je suis sûr que nous subirions tous les foudres de Jack Harris. Il serait merveilleux d'avoir les moyens de le faire. Si nous avions le soutien financier pour offrir ce genre de défense et si nous avions les ressources humaines voulues, je suis sûr que nous le ferions. Toutefois, je suis contraint de rejeter une telle possibilité étant donné nos ressources très limitées et le manque de données historiques la justifiant.
En termes d'investissement, je ne crois pas que ce soit uniquement une question de recherche et de sauvetage et d'éventuels incidents désastreux. C'est bien d'avoir une pareille capacité et justifiable en soi, mais il faut tenir compte d'autres aspects également qu'offre ce genre de présence, en termes de retombées économiques et de développement du Nord, avec l'appui du développement économique, du développement social, des communications, des télécommunications et de la gestion de l'environnement et des ressources.
Voyez l'activité du Collège militaire royal. Soyons francs: il est l'un des leaders mondiaux en gestion de l'environnement, réhabilitation de site et ainsi de suite. C'est la Défense nationale qui est au premier plan.
Donc, si l'on tient compte de ces retombées et de ce genre d'investissement dans une gamme plus étendue d'activités, il vaut son pesant d'or. Je ne limiterais pas les avantages aux seules opérations de recherche et de sauvetage.
Je suis tout à fait d'accord avec ce que vous venez de dire. Ce que j'en dis, c'est qu'il faut élargir nos horizons.
Puis-je vous interrompre quelques instants?
M. Laurie Hawn: Je vous en prie.
M. Michael Byers: Je conviens que, par le passé, il n'était peut-être pas nécessaire d'y avoir des moyens consacrés aux recherches et aux sauvetages, mais l'Arctique évolue très rapidement. Mon collègue, David Barber, de l'Université du Manitoba, un leader de la recherche sur les glaces de mer au Canada, prédit la disparition totale de toutes les glaces de mer de l'Arctique dès 2013. Déjà, 150 navires de croisière se rendent dans la baie de Baffin chaque été. L'activité qui s'y déroule s'intensifie très rapidement.
David Barber a peut-être tort, et peut-être la glace ne disparaîtra-t-elle pas aussi rapidement, mais les opérations de recherche et de sauvetage, comme tous les enjeux de la Défense nationale, exigent qu'on fasse reposer la planification sur les pires scénarios plutôt que sur les meilleurs. À mon avis, le pire scénario a des conséquences vraiment très graves.
J'en conviens, mais encore faut-il avoir les moyens de le faire. À mesure que l'Arctique changera, effectivement, il faudra nous adapter. Je ne remets pas cela en question.
Monsieur Poelzer, voici la dernière question qui s'adresse à vous. Vous avez déclaré — et je n'en disconviens pas — que dans beaucoup de domaines, nous sommes probablement les moins bien préparés des huit pays circumpolaires. Quelle en est la raison selon vous? Comment en sommes-nous arrivés là?
À nouveau, il ne suffit pas d'avoir de belles paroles. Encore faut-il passer à l'acte. La grande majorité des Canadiens vit dans le Sud. Même si l'on inclut dans la population du Nord la région septentrionale des provinces et des territoires, on n'obtient que 5 p. 100 environ de la population canadienne.
Je maintiens que la situation va s'aggraver si l'on n'accorde pas au Nord la place qui lui revient dans le programme national et le programme d'action politique. La raison de cette absence est double: la concentration de la population dans le Sud du Canada et l'écart générationnel dans les grands centres urbains. Nous sommes de plus en plus coupés des enjeux du Nord, des régions rurales et des peuples autochtones. L'écart se creuse, plutôt que de s'amenuiser. De plus, les néo-Canadiens, essentiels à l'avenir du Canada, ont aussi tendance à s'établir dans les centres urbains du Sud.
Donc, dans divers domaines, il faut que le Sud canadien engage un dialogue très nourri avec le Canada nordique et rural. Si nous ne le faisons pas, il deviendra de plus en plus difficile de faire le genre d'investissement dont vous parlez en recherche et sauvetage et dans l'infrastructure d'éducation.
Je souscris à ce que vous dites.
Seriez-vous d'accord pour dire qu'il s'agit là d'une situation qui se développe depuis très longtemps au Canada? Vous avez mentionné l'année 1990.
Je vous remercie beaucoup.
Je tiens à remercier nos deux témoins d'avoir accepté de nous rencontrer par téléconférence. Je sais qu'il n'est pas toujours facile de procéder ainsi, mais les téléconférences s'avèrent très utiles au comité et vos témoignages lui sont d'une aide précieuse. Nous vous sommes donc très reconnaissants.
M. Greg Poelzer: Merci de nous avoir si gentiment invités.
M. Michael Byers: Je vous remercie également.
Le président: C'est nous qui vous remercions.
[Français]
Cela termine la 23e séance du Comité permanent de la défense nationale. Merci beaucoup et bonne journée.
Bonne journée à vous, en Europe. Au revoir.
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