Passer au contenu

SDIR Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

Pour faire une recherche avancée, utilisez l’outil Rechercher dans les publications.

Si vous avez des questions ou commentaires concernant l'accessibilité à cette publication, veuillez communiquer avec nous à accessible@parl.gc.ca.

Publication du jour précédent Publication du jour prochain
Passer à la navigation dans le document Passer au contenu du document






Emblème de la Chambre des communes

Sous-comité des droits internationaux de la personne du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international


NUMÉRO 077 
l
1re SESSION 
l
41e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le mardi 23 avril 2013

[Enregistrement électronique]

(1315)

[Traduction]

    Chers collègues, nous reprenons nos travaux et cette partie de la séance est publique.
    Karen Spring est ici pour nous aider dans notre étude de la situation des droits de la personne au Honduras. Mme Spring est coordonnatrice pour l’Amérique centrale à l’organisme Rights Action.
    Madame Spring, je vous invite à commencer votre témoignage et je vous remercie de votre patience.
    Monsieur le président, merci beaucoup de m’avoir invitée à témoigner devant vous aujourd’hui.
    Comme cela a été mentionné, je m’appelle Karen Spring et j’ai vécu et travaillé au Honduras pendant trois ans au sein de l’organisation non gouvernementale appelée Rights Action, qui est basée aux États-Unis et au Canada.
    Je retourne au Honduras en mai pour poursuivre mon travail et effectuer mes recherches dans le cadre de mon mémoire de maîtrise en santé publique.
    Comme de nombreux témoins qui ont comparu devant vous vous l’ont mentionné, la situation des droits de la personne au Honduras s’est considérablement détériorée depuis le coup d'État du 28 juin 2009. Le Honduras est qualifié de capitale mondiale des assassinats parce que c’est le pays qui compte le taux d’homicides le plus élevé, à 91 par 100 000 habitants.
    À bien des égards, le coup d’État n’a pas étonné les gens qui travaillent depuis longtemps dans le domaine des droits de la personne et les gens qui ont participé à la Commission parallèle de la vérité, dont vous avez entendu parler, et qui a été instituée par le gouvernement du président Lobo. Les 60 premières pages du rapport de la commission donnent un aperçu du rôle que les forces militaires et étatiques ont joué historiquement au Honduras ainsi que de leurs liens avec les intérêts économiques et politiques d’une dizaine de familles qui dominent l’environnement politique et économique du Honduras depuis de nombreuses décennies.
    À toutes les époques de l’histoire du Honduras, toute tentative de contester ces intérêts a été historiquement réprimée par les forces militaires et étatiques. Je simplifie à outrance, mais par manque de temps, je m’en tiendrai à cela.
     Depuis le coup d’État de juin 2009, il y a eu une augmentation considérable de l’opposition aux intérêts de l’élite économique et politique du Honduras. Cette opposition s’est regroupée sous la bannière du Front national de résistance populaire, ce qui est le nom du mouvement social qui s’est constitué après le coup d'État de 2009. L’opposition présente un candidat à la présidence au sein du parti politique LIBRE, c’est-à-dire le Parti Liberté et Refondation.
    Le Front national de résistance populaire est un vaste groupe réunissant différents secteurs de la société hondurienne qui ont traditionnellement été exclus des processus politiques et économiques au Honduras. Il s’est beaucoup fait entendre et il s’oppose directement aux mesures que le régime qui a pris le pouvoir depuis le coup d’État a mises de l’avant au congrès national. Parmi les lois et les nombreuses politiques auxquelles le Front s’oppose, celles qu’il convient de mentionner dans notre contexte sont la loi sur l’exploitation minière, qui a récemment été adoptée, et la loi sur les travailleurs temporaires, qui a actuellement beaucoup d’importance dans les usines de vêtements et de textiles. Je mentionne ces deux lois parce qu’elles ont une incidence très directe sur les intérêts canadiens au Honduras.
     Depuis le coup d’État, l’un des principaux organismes de défense des droits de la personne, le COFADEH — dont le nom signifie « comité des parents des personnes détenues et disparues au Honduras » —, a reçu de nombreuses plaintes officielles et de nombreux témoignages concernant des violations des droits de la personne. Le COFADEH est un organisme qui joue un rôle très important depuis le coup d’État, car depuis, il s’est produit une dégradation complète et une perte de confiance dans les rapports de la société hondurienne avec de nombreuses institutions de l’État, notamment l’appareil judiciaire, la police et l’armée. Cette méfiance est l’une des raisons pour lesquelles de nombreux groupes de défense des droits de la personne ont longtemps refusé de reconnaître le gouvernement actuellement au pouvoir et de participer à la Commission de la vérité et de la réconciliation qui a été créée après le coup d'État
    Cet organisme, le COFADEH, a documenté plus de 206 assassinats politiques de membres du Front national de résistance populaire, ou du mouvement social qui est apparu après le coup d’État, durant les trois dernières années. Ces 206 assassinats ne comprennent pas les 96 paysans de la vallée d’Aguán, dans la région nord du Honduras, qui ont aussi été assassinés au cours des trois dernières années en raison d’un important conflit sur les droits fonciers opposant trois riches propriétaires et des milliers de familles de paysans.
    Le COFADEH attribue certains de ces 206 assassinats à la réapparition des escadrons de la mort, c’est-à-dire des groupes d’individus souvent masqués ou lourdement armés qui ont des liens et se coordonnent avec les forces de sécurité de l’État et qui commettent des actes très ciblés de meurtre, de torture et d’enlèvement.
(1320)
    Le COFADEH a observé des similitudes entre ces escadrons de la mort qui sévissent actuellement au Honduras et ceux des années 1980. Il a constaté que bon nombre des individus qui font actuellement partie des institutions militaires, policières et étatiques sont ceux-là mêmes qui faisaient partie des forces militaires et étatiques durant les années 1980.
    Le directeur actuel des forces policières nationales en est un exemple. Il s’appelle Juan Carlos Bonilla. Il est chef de la police nationale. L’ancien chef des affaires internes de la police nationale, quelqu’un qui a travaillé au sein des structures de la police hondurienne, a officiellement et publiquement accusé le directeur de la police nationale d’avoir participé à des escadrons de la mort contre des jeunes et des prétendus membres de gangs au début des années 2000. Ce n’est là qu’un exemple des nombreuses personnes qui étaient associées auparavant et qui continuent d’être associées aux forces militaires et policières au Honduras.
    Dans ce contexte, il y a un degré considérable d’insécurité, de peur et de violence, ce dont le comité a déjà beaucoup entendu parler. Les violations des droits de la personne se poursuivent sans cesse depuis le coup d’État. C’est dans ce contexte que le Canada envisage d’avoir une présence dans le pays — en fait, le Canada est déjà présent là-bas — et de signer un accord de libre-échange avec le pays.
    Cela me préoccupe particulièrement à cause des violations des droits de la personne qui sont commises par les forces de sécurité, comme je l’ai mentionné. Le Canada finance activement les forces policières et de sécurité au Honduras. Par exemple, suivant la dernière version que j’ai vue de la loi hondurienne sur l’exploitation minière, les sociétés minières canadiennes en activité au Honduras sont tenues de payer 2 p. 100 de la valeur de leurs exportations à la police sous le régime d’une taxe sur la sécurité qui a été créée depuis le coup d’État.
    On trouve un autre exemple de la façon dont nous finançons la police et ses violations continues des droits de la personne dans ce qu’a affirmé le vice-président principal des affaires corporatives de la société Gildan au comité la semaine dernière, c’est-à-dire que Gildan même verse de l’argent aux forces policières dans les collectivités où elle mène ses activités.
    À présent que j’ai donné un aperçu du contexte, je vais me concentrer davantage sur les recherches que je fais au Honduras à titre d’étudiante des cycles supérieurs.
    J’effectue des recherches sur la santé au travail dans les ateliers de misère ou les usines de textiles, et je travaille plus précisément auprès des femmes qui sont employées dans ces usines. Je travaille aux côtés d’un groupe de défense des droits des femmes qui est établi à Choloma, une ville dans laquelle Gildan, qui est une société canadienne, compte quelques-unes de ses usines.
    Le groupe de défense des droits avec lequel je travaille a documenté la grave situation professionnelle et les horribles conditions de travail de ces femmes. La situation la plus préoccupante que j’ai observée dans mon propre travail concerne le mode d’organisation des quarts dans ces usines. Dans les usines de Gildan, par exemple, les quarts de travail des femmes sont de quatre jours consécutifs, suivis de quatre jours de congé. Pendant les journées de travail, elles sont tenues de travailler onze heures et demie par jour.
    Le vice-président des affaires corporatives de Gildan a mentionné dans son témoignage que sa compagnie verse aux ouvrières un taux supérieur au salaire minimum. Je crois qu’il importe de noter qu’il est possible pour des travailleuses des ateliers de misère au Honduras de toucher un salaire supérieur au salaire minimum, mais les travailleuses ne sont pas payées à l’heure. Leur salaire est établi en fonction d’un contingent de production qu’elles doivent respecter. Ces contingents de production sont déjà très élevés et sont, en fait, très difficiles à atteindre. Si des femmes sont incapables d’atteindre leur contingent, elles doivent retourner au travail après leurs quatre jours et, en réalité, faire des heures supplémentaires pour lesquelles elles ne sont pas payées. Même si elles atteignent leur contingent de production dans les ateliers de misère, le maximum qu’elles peuvent gagner est de 90 $ par semaine. Donc, ce n’est pas un salaire minimum dans le sens où les ouvrières seraient payées à l’heure, c’est qu’elles doivent respecter des contingents de production extrêmement élevés.
    Un autre élément que le vice-président des affaires corporatives de Gildan a mentionné dans son témoignage est que sa compagnie fournit des travailleurs ou professionnels de la santé dans ses usines, et c’est effectivement le cas. Il y a des médecins dans les usines; toutefois, d’après mes propres travaux et une série de problèmes liés aux droits de la personne qui ont été signalés à ce groupe s’occupant des femmes, les ouvrières se méfient souvent de ces médecins et professionnels de la santé et elles n’ont pas vraiment l’impression qu’ils leur donnent de bons conseils.
    Je dis cela parce qu’il y a de nombreuses plaintes liées à des troubles de santé. Plus précisément, il y a beaucoup de cas signalés de troubles musculosquelettiques, qui sont en fait des inflammations ou des douleurs dans les poignets, les épaules, les bras et le dos. De tels troubles ont été liés aux conditions de travail dans ces usines.
(1325)
    Lorsque les ouvrières se plaignent de ces ennuis de santé aux médecins des usines, les médecins leur fournissent souvent des médicaments. À l’Institut national de la sécurité sociale, qui administre le système national de pensions et d’assurance sociale au Honduras, les médecins ont diagnostiqué les femmes qui se sont plaintes de ces ennuis comme souffrant d’invalidité permanente par suite de troubles musculosquelettiques causés par leurs conditions de travail.
    Les plaintes que cet organisme des droits de la personne a reçues concernant les conditions de travail dans les usines ont été transmises au gouvernement du Honduras et à la compagnie. L’organisme s’est plaint auprès de Gildan et d’autres compagnies qui imposent également des conditions de travail très difficiles dans leurs usines. Il s’est plaint au ministère du Travail et de la Sécurité sociale. Il s’est plaint à la Fair Labor Association. Il s’est également plaint à la Commission interaméricaine des droits de l’homme. L’État hondurien n’a pas donné suite aux plaintes et il n’y a eu aucune enquête sur ces ennuis de santé ou les conditions de travail dans les usines.
    Le Honduras dispose des structures institutionnelles qui permettent aux citoyens de faire des dénonciations ou des plaintes officielles concernant des violations des droits de la personne, mais il y a dans une large mesure une culture d’impunité et il n’y a, à vrai dire, pas de primauté du droit qui fasse en sorte qu’une médiation soit assurée concernant ces problèmes. L’absence de primauté du droit au Honduras a, dans les faits, donné naissance aux escadrons de la mort et aux violations massives des droits de la personne. Même lorsque des gens portent plainte relativement à des violations des droits de la personne, il n’y a aucune enquête ni aucun suivi d’ordre judiciaire.
    C’est dans ce contexte que le Canada envisage de conclure un accord de libre-échange et d’accroître ses investissements au Honduras, tout en contribuant à financer des forces policières dont la corruption a été documentée, et en contribuant aux violations des droits de la personne. Les investissements canadiens contribueront également aux mauvaises conditions de travail et aux maladies professionnelles dans les usines. Dans ce contexte, le Canada envisage d’accroître ses investissements et il contribuera à des violations additionnelles des droits de la personne.
(1330)
    Est-ce la fin de votre exposé? Merci.
    Avant de passer aux questions des membres du comité, il y a deux choses au sujet desquelles j’aimerais moi-même avoir des précisions.
    À propos de la loi sur les forces policières qui exige que 2 p. 100 des recettes d’exploitation minière soient versés à la police, vous ne pouvez sans doute pas le faire maintenant, mais pourriez-vous porter à l’attention de nos analystes et, donc, du reste du comité les détails concernant cette loi, afin que nous puissions la trouver et l’examiner? Ce serait très utile, car cela nous permettrait de mieux comprendre la situation. Nous communiquerons avec vous pour effectuer ce suivi. Voilà pour la première chose.
    Deuxièmement, vous avez parlé de quelques familles puissantes de propriétaires fonciers. Je crois que vous avez dit que des milliers de paysans étaient en conflit avec ces familles. Je me demande s’il existe une carte agraire du Honduras rural. Je crois comprendre qu’il y a quelques grandes familles qui possèdent la majorité des terres. Nous parlons toujours de cela, dans le contexte du Honduras et d’autres pays, sans avoir de carte concrète à consulter. Savez-vous s’il existe une telle carte?
    Vous parlez d’une carte géographique du Honduras?
    Oui, indiquant qui possède quelles terres.
    Je crois que la question de savoir qui possède quelles terres est ce qui engendre les conflits sur les droits fonciers, et ce régime agraire est donc contesté par les collectivités et coopératives de campesinos ou de paysans qui existaient dans les années 1990. Les paysans disent que trois grands propriétaires fonciers se sont emparés illégalement de leurs terres. Dans cette région, qui se trouve sur la côte septentrionale du Honduras, chaque mouvement de paysans a des revendications agraires différentes, ce qui accroît la complexité de la situation dans la mesure où il n’y a pas de revendication unique. Il y a de nombreuses revendications différentes et de nombreuses circonstances différentes qui ont donné naissance au conflit sur les droits fonciers et, en gros, le régime de propriété foncière est contesté.
    Il existe des cartes géographiques, mais j’ai passé beaucoup de temps dans cette région et il est très complexe et très difficile de dresser clairement la carte de toutes les différentes propriétés.
    D’accord, cela répond à la question de savoir pourquoi nous ne voyons jamais de cartes de ce genre. Elles sont difficiles à établir.
    Très bien, passons maintenant aux questions des membres du comité.
    Nous allons commencer par M. Sweet et, si vous le voulez bien, j’aimerais limiter chaque série de questions et réponses à cinq minutes.
    Je vais tenter de me limiter à cela, monsieur le président.
    Merci beaucoup, madame Spring, d’être venue témoigner devant nous.
    La semaine dernière, ma collègue, Mme Grewal, a posé la question suivante à M. Iliopoulos:
Bien que le Honduras respecte officiellement les normes de l’Organisation internationale du travail, dans de nombreux pays il y a de graves problèmes de conformité et de mise en oeuvre. Dans quelle mesure est-ce que les normes du travail respectent les normes de l’OIT, chez Gildan et dans d’autres usines du pays?
    M. Iliopoulos a répondu ainsi:
Nous avons un code de déontologie très strict basé sur les principes de l’OIT. Nous sommes certifiés par la Fair Labor Association, qui est une ONG stricte qui certifie les programmes de conformité sociale et qui est basée à Washington, D.C. Nous menons des vérifications régulières, y compris des vérifications internes, externes et de tierces parties indépendantes, de nos programmes de conformité sociale chaque année dans chacune de nos usines. Comme je l’ai dit, c’est quelque chose qui est fait par nous, par des tierces parties, des clients… Les associations locales... exigent que l’industrie de l’habillement dans ce pays respecte des normes plus élevées...
Et ainsi de suite.
    Nous dites-vous, dans votre témoignage, que M. Iliopoulos a induit le comité en erreur lorsqu’il a fait ces affirmations au sujet de sa compagnie?
    Eh bien, je crois que, si vous examinez le code du travail hondurien, vous constaterez qu’il établit que les quarts de travail normaux que les ouvriers sont tenus d’effectuer correspondent à un maximum de huit heures par jour, du lundi au vendredi, et que les ouvriers sont autorisés à travailler quatre heures le samedi. Et s’ils travaillent le dimanche, la compagnie est censée leur payer des heures supplémentaires. Donc, les quarts de quatre jours de travail et quatre jours de congé dont j’ai parlé constituent en fait des infractions au code du travail hondurien. Ils violent également les principes de l’Organisation internationale du travail, quoique je connaisse moins bien ces principes.
    Pour moi, cela revient à la question de la capacité des institutions honduriennes à assurer une médiation concernant ces problèmes, à déterminer qu’il s’agit de violations du code du travail hondurien, puis à agir pour faire modifier les comportements des compagnies qui commettent ces violations, si Gildan est l’une de ces compagnies.
    D’importantes préoccupations ont été soulevées quant au fait que ces plaintes officielles ne sont pas reçues et que, lorsqu’elles le sont, il n’y a pas de suivi et il n’y a pas de primauté du droit assurant que les compagnies respecteront le code du travail.
(1335)
    Le même jour que M. Iliopoulos, nous avons entendu un témoin pourvu d’un c.v. exceptionnel, M. Adam Blackwell, qui est à présent au service de l’OEA. Nous avons interrogé les deux témoins sur l’accord de libre-échange. M. Iliopoulos, bien sûr, travaillant chez Gildan, aurait sans nul doute un intérêt commercial à cet égard, mais M. Blackwell m’a répondu ceci:
Comme j’ai contribué à la négociation d’accords de libre-échange, j’allais dire qu’il ne s’agit pas seulement de commerce. Ces accords comportent beaucoup de volets qui peuvent contribuer à établir la primauté du droit et des règles du jeu équitables, y compris des normes communes, comme celles de l’APIE, des accords sur la protection des investissements étrangers...
Et ainsi de suite.
    L’accord de libre-échange vous pose des problèmes. Pourquoi en est-il ainsi, alors qu’Adam Blackwell serait en faveur de cet accord, car cela accroîtrait en fait la sécurité?
    Je ne suis pas sûre que cela accroîtrait nécessairement la sécurité. Je crois que ce qui se passe, c’est que depuis le coup d’État, le nombre d’homicides a grimpé en flèche. Donc, je ne suis pas sûre de bien comprendre pourquoi des entreprises canadiennes voudraient se trouver dans un tel environnement, dans la capitale mondiale des assassinats, pour faire des affaires.
    Je ne crois pas que la conclusion d’un accord de libre-échange avec un pays dans lequel les violations des droits sont aussi graves et fréquentes soit la solution pour remédier à la situation des droits de la personne. Je crois qu’il faut qu’un moyen quelconque d’assurer une médiation concernant ces problèmes soit en place avant la signature de tout accord de libre-échange avec le Honduras, de sorte qu’il y ait une interaction avec la société hondurienne, et ce n’est pas du tout ce qui se passe présentement. Quand des violations sont commises et des citoyens honduriens s’adressent aux institutions de l’État pour se plaindre du fait que leurs droits sont violés, que leurs quarts de travail enfreignent le code du travail hondurien, il n’y a aucun processus garantissant un suivi. Pour que le Canada signe un accord de libre-échange avec le Honduras — je crois que, si nous nous soucions des droits de la personne, nous devons veiller à ce qu’il y ait une forme quelconque de primauté du droit, ou contribuer à l’intervention d’un organe international pouvant assurer une médiation concernant ces conflits et remédier à l’absence de primauté du droit au Honduras, avant de signer un tel accord et de promouvoir nos intérêts économiques dans ce pays.
    Je crois que c’est exactement pour cette raison que l’Organisation des États américains intervient.
    Je suis curieux. Quand vous avez commencé votre réponse, vous avez dit que Gildan était présent là-bas, ainsi que d’autres compagnies canadiennes. Cela nous semblait être une très bonne nouvelle — le fait que ces entreprises fournissent 20 000 emplois à des gens qui, dans une économie comme celle du Honduras, n’auraient pas un aussi grand accès à des emplois. Mais à présent, vous dites que les entreprises canadiennes ne devraient pas du tout se trouver là-bas.
    Eh bien, d’après le groupe de femmes avec lequel je travaille, les ouvrières disent qu’elles veulent des emplois, mais elles demandent d’avoir des emplois dans la dignité. C’est, en gros, ce qu’elles répondent. Elles demandent des emplois dans lesquels elles auront la possibilité de porter officiellement plainte relativement aux problèmes qu’elles éprouvent et dans lesquels ces plaintes seront reçues et des correctifs seront apportés. Rien de ce genre ne se produit, parce qu’il n’y a pas de primauté du droit au Honduras.
    Ces femmes veulent des emplois, mais elles veulent des emplois dans lesquels des solutions quelconques seront apportées pour remédier à leurs problèmes, à leurs ennuis de santé et aux mauvaises conditions de travail.
    Quand vous dites qu’il y a des plaintes, se plaignent-elles aux organisations syndicales ou au gouvernement?
    Excusez-moi. Vous avez dépassé le temps alloué, monsieur Sweet.
    Désolé.
    Monsieur Marston, s’il vous plaît.
    J’aimerais souhaiter la bienvenue à notre invitée d’aujourd’hui. Nous lui savons gré de sa présence.
    Vous avez raison et M. Sweet a raison. Dans le témoignage de Gildan qu’il a cité tantôt, par exemple, la Fair Labor Association — qui évalue censément cette société de façon si favorable — est essentiellement un regroupement d’entreprises aux vues similaires, un peu comme l’OIT, l’Organisation internationale du travail, mais cela revient presque à introduire le loup dans la bergerie, ce qui est très préoccupant.
    Du point de vue philosophique, et nous abordons ici la question de l’accord de libre-échange et de l’OEA, M. Blackwell a mentionné que, s’il y avait un accord de libre-échange, ce serait avantageux pour les citoyens du pays.
    L’un des problèmes qui nous ont été posés à nous, membres de l’opposition officielle, par les accords de libre-échange que le gouvernement actuel a signés jusqu’à présent, c’est que les considérations liées aux droits de la personne et aux droits des travailleurs ne sont pas incluses dans les accords mêmes. Elles sont visées par des accords parallèles qui n’ont pas force obligatoire. Il n’y a pas d’obligation de rendre compte. Si nous voulons intervenir dans le domaine du commerce selon un mode législatif, nous devons incorporer des normes exécutoires en matière de droits de la personne pour nous assurer… Je vais vous donner un exemple. Vous êtes peut-être déjà au courant de cela.
    Le Mexique possède certaines des meilleures lois environnementales du monde, sauf qu’il ne les applique pas. La situation dans le pays qui nous occupe ici est que toute personne qui défie le gouvernement d’une façon quelconque met clairement sa vie en danger. Vous l’avez dit vous-même: le Honduras est la capitale mondiale des assassinats. J’aimerais que vous nous donniez un peu plus de précisions, mais plus particulièrement en ce qui concerne Gildan et la façon dont la situation des entreprises canadiennes est perçue là-bas.
    Dans certaines régions du monde, on pose des questions aux sociétés canadiennes d’extraction minière parce qu’elles collaborent avec les escadrons de la mort ou les paramilitaires et qu’elles embauchent dans certains cas des paramilitaires pour assurer leur sécurité. Je vous saurais gré de commenter cet aspect des relations des compagnies canadiennes.
(1340)
    L’une des choses que le gouvernement de Porfirio Lobo a faites depuis le coup d’État est qu’à cause de la crise économique qui a ensuite frappé le Honduras, et à cause de la situation économique mondiale, il a accru la présence des forces de sécurité dans les rues du Honduras. Il a donné à l’armée des pouvoirs policiers dans les rues et les policiers sont donc maintenant accompagnés par des militaires dans les patrouilles. Cela ne s’est pas traduit du tout par une hausse du niveau de sécurité pour le Honduras ou les Honduriens, car le taux d’assassinats continue de grimper.
    Si le gouvernement a accru la présence militaire et policière dans les rues, sa principale idée est de promouvoir les investissements étrangers, d’attirer des investissements étrangers au Honduras afin de remédier à la situation économique. Mais avec le taux d’assassinats qui monte en flèche et avec la présence policière et militaire accrue dans les rues, cela ne se traduit pas par la création d’un meilleur environnement pour les Honduriens.
    Lorsque les compagnies étrangères s’implantent — j’ai travaillé intensivement dans des régions où il y a eu des sociétés d’extraction minière et des collectivités touchées par l’exploitation minière, dans les collectivités de la vallée d’Aguán qui luttent pour leurs terres, ainsi qu’avec les ouvrières des ateliers de misère, et ces entreprises donnent lieu à beaucoup de plaintes. Dans cet environnement où il y a tant d’insécurité et de violence, les travailleurs se méfient complètement de toutes les institutions qui sont censées les protéger, et il n’y a nulle part où ils peuvent aller pour se plaindre des problèmes qu’ils éprouvent.
    Ce que je veux faire valoir, c’est qu’il ne peut pas y avoir davantage d’investissements tant qu’il n’y aura pas un système judiciaire qui fonctionne et tant qu’il n’y aura pas de primauté du droit.
    Je suis d’accord. J’aimerais, pour le compte rendu, mentionner quelques-uns des membres du conseil d’administration de la Fair Labor Association: Russell Brands, Fruit of the Loom, New Balance Athletic Shoe Inc., Hanesbrands Inc., le Groupe Adidas. Nous allons remettre une copie de la liste complète des membres du conseil d’administration au greffier afin que les membres du comité puissent la consulter. Comme je le disais plus tôt, ce sont des entreprises aux vues similaires, en ce sens qu’elles oeuvrent dans les secteurs des textiles et de la chaussure, qu’elles sont implantées dans le monde entier et qu’elles ont éprouvé d’importants problèmes.
    Puisque nous sommes un comité du Parlement du Canada, que considérez-vous comme étant le rôle le plus important que le comité puisse jouer en ce qui concerne les relations du Canada avec le Honduras?
    Avant de répondre à cette question, il y a quelque chose que j’ai oublié de dire au sujet de la Fair Labor Association. Les femmes qui travaillent dans les usines de Gildan ou qui ont déposé des plaintes officielles concernant les conditions de travail se sont plaintes auprès de la Fair Labor Association. En réponse à ces plaintes, la Fair Labor Association a effectué une analyse du programme que Greg Chamandy, de Gildan, a mis en place pour résoudre les questions liées aux conditions de travail, mais elle n’a établi aucun contact avec les ouvrières. Les ouvrières n’ont pris aucune part à cette évaluation. Donc, en février de cette année, l’organisme des droits de la personne qui représente les ouvrières s’est officiellement plaint de la façon dont la Fair Labor Association avait effectué son évaluation et de ses résultats concernant les conditions dans les usines.
    Pour revenir à votre question, les élections honduriennes approchent; elles auront lieu en novembre. Je crois que la situation se dégradera considérablement d’ici là, à cause de la polarisation de la société hondurienne et de l’important mouvement social qui propose un candidat à la présidence.
    Ce que le Canada doit faire, c’est de cesser complètement de financer la police et les forces de l’État. En ce moment même, des entreprises canadiennes financent activement la police. M. Blackwell a mentionné les entreprises en question et presque tous les témoins qui ont comparu devant le comité ont affirmé que la police et l’armée commettent beaucoup de violations des droits de la personne. C’est la raison même pour laquelle on procède là-bas à une réforme de la sécurité. Le Canada doit absolument cesser de financer une institution d’État qui commet de telles violations.
    Une autre chose que le Canada devrait préconiser, à mon avis, au Honduras, est une quelconque forme d’organe international indépendant qui pourrait assurer une médiation à l’égard de ces problèmes et faire progresser les enquêtes sur certains des principaux cas liés aux droits de la personne. La Commission de la vérité a affirmé qu’il devrait y avoir une présence du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme. En réponse à cette affirmation de la Commission de la vérité, un représentant du Haut-Commissariat a été dépêché, mais il s’agit seulement d’un représentant, et non pas d’un bureau. Son mandat est très limité et il y a bien des choses qu’il ne peut pas faire.
    Je proposerais que le Canada préconise la mise en place de quelque chose d’analogue à ce qu’il y a au Guatemala, c’est-à-dire la CICIG: la Commission internationale contre l’impunité au Guatemala. C’est un procureur spécial, un organe international qui a le pouvoir d’enquêter sur des crimes. Cette commission a eu beaucoup de succès au Guatemala. Le processus n’est pas parfait, mais c’est une façon de surveiller ce qui se passe dans le cadre des enquêtes et au sein de l’appareil judiciaire.
(1345)
    Je vais devoir être un peu plus strict quant au respect des limites de temps. Ce sont les réponses qui ont fini par être longues, mais…
    Je comprends et je vous remercie.
    Il n’y a pas de quoi. C’était involontaire dans les deux cas.
    Madame Grewal, la parole est à vous.
    Merci, monsieur le président, et merci, madame Spring, pour le temps que vous nous consacrez et pour votre exposé.
    Selon un article publié dans le New York Times la semaine dernière, le congrès hondurien a suspendu le procureur général et son adjoint et les a remplacés par un comité temporaire de surveillance. La commission, composée de trois personnes, disposera de près de 60 jours pour analyser pourquoi le bureau du procureur a été dans l’impossibilité de résoudre un si grand nombre d’affaires criminelles là-bas. Elle établira un plan visant à améliorer la fiabilité de l’institution.
    Que pensez-vous de ce fait nouveau? Est-ce que cela peut faire naître l’espoir d’une amélioration du système judiciaire du pays?
    J’ai beaucoup de choses à dire au sujet de la réforme de la police qui est en cours au Honduras. Je vous remercie d’avoir mentionné que le procureur général du Honduras a été suspendu pour une période de 60 jours, à ce que je comprends.
    Je crois que la façon dont la réforme actuelle de la police est mise en oeuvre pose beaucoup de problèmes importants. Je ne vois pas très bien comment on peut réformer la police alors qu’il n’y a eu absolument aucune justice au chapitre de ce qui s’est passé après le coup d'État. Les gens qui ont participé au coup d'État sont ceux qui siègent au congrès et qui prennent les décisions sur la manière dont la réforme de la police sera effectuée.
    Je ne vois pas très bien comment il peut y avoir un processus de réforme de la police alors que le directeur de la police nationale a lui-même été accusé de participer aux escadrons de la mort; je ne suis donc pas très optimiste au sujet de l’avènement d’un changement appréciable. Je crois que cela pourrait entraîner la destitution de quelques policiers des échelons inférieurs qui ont commis des violations des droits de la personne, mais je crois que cela ne s’attaque aucunement aux racines du problème, que cela ne règle pas la question des auteurs intellectuels ni du nettoyage systématique des forces policières qui doit se produire — et pas seulement des forces policières, mais aussi des gens qui prennent les décisions sur les responsables de la mise en oeuvre de ces réformes.
    Je ne suis pas optimiste du tout quant à la possibilité que cela produise de bons résultats sous l’angle de la diminution des niveaux de violence et d’insécurité au Honduras. Je crois qu’il faut qu’un organe international indépendant intervienne et que les décisions ne soient pas laissées entre les mains des personnes mêmes qui ont été responsables du coup d’État et d’un grand nombre des problèmes actuels au Honduras.
(1350)
    On a maintenant l’impression générale que le Honduras est un pays en plein effondrement, où les assassinats montent en flèche et où les trafiquants de drogue pullulent dans les villes et sur les côtes. Le plus haut tribunal du pays s’enlise dans une lutte constitutionnelle avec le congrès. Les rues sont criblées de nids-de-poule, les villes ne remplacent pas les couvercles de trou d’homme volés et les soldats ne touchent pas leur solde. Le ministre de l’Éducation dit que 96 p. 100 des écoles ferment plusieurs jours par semaine ou par mois parce que les enseignants sont constamment en grève.
    Vous avez vécu au Honduras de 2008 à 2011. D’après votre propre expérience, que pourriez-vous nous dire de plus au sujet de ce pays?
    J’ai vécu au Honduras à partir de 2009, environ un mois après le coup d’État militaire, jusqu’en 2011. J’y suis retournée souvent depuis. Je suis bien au courant de ce qui se passe en ce qui concerne la grève des enseignants et certains de ces problèmes. J’ai remarqué, pendant le temps que j’ai passé là-bas, le niveau croissant d’insécurité dans le pays.
    Une source d’optimisme pour moi relativement à ce pays et un élément auquel, si le Canada se soucie vraiment des droits de la personne au Honduras, nous devons accorder un solide appui, c’est le mouvement social qui réclame un changement, une transformation du pays. En fait, l’une des raisons fondamentales du coup d’État était la volonté de réformer la constitution, afin que les gens aient davantage leur mot à dire sur les décisions politiques et économiques concernant le pays. Cela ne s’est pas produit et les gens qui siègent au congrès et ceux qui ont organisé le coup d’État ne veulent pas du tout que cela se produise.
    Pour moi, les sources d’optimisme, ce sont le mouvement social, les groupes de défense des droits de la personne et les groupes de la base qui font pression pour la réforme de la constitution. Ce sont là, d’après moi, des causes d’optimisme.
    Le mouvement social a des chances notables de faire bonne figure aux prochaines élections, mais avec la détérioration de la situation des droits de la personne et le niveau élevé de peur et insécurité dans le pays, on ne sait pas très bien ce qui va se produire. Je suis optimiste quant au fait que ce mouvement jouit d’un vaste appui populaire.
    Monsieur le président, me reste-t-il encore du temps?
    Malheureusement, non; nous sommes déjà à 5 minutes et 36 secondes.
    Merci.
    Merci, madame Grewal.
    Monsieur Scarpaleggia.
    Je serai très bref, car je dois me rendre incessamment à la Chambre. Je n’ai que deux questions. Ai-je entendu dire que l’accord de libre-échange comporte des accords parallèles? Y a-t-il des accords parallèles? Je suis un nouveau venu au comité.
    Je suis désolée, je n’en suis pas sûre. Je ne crois pas que l’accord de libre-échange avec le Honduras ait été publié, ou il n’a pas été diffusé publiquement, et je ne peux donc pas répondre à cette question.
    Ce sont les 19 autres qui en ont.
    Pardon?
    Ce sont les autres accords avec les autres pays qui…
    Bien; donc, il n’y a pas d’accord parallèle.
    Pas encore. Il n’y a pas encore d’accord.
    Le gouvernement du Canada travaille-t-il à la conclusion d’un accord?
    Je ne fais que diriger les travaux du comité. Je ne réponds pas aux questions.
    Ai-je compris qu’il y avait des négociations? La question du libre-échange a été abordée.
    D’après ce que je comprends, il n’y a pas eu de discussions au sujet… Depuis le coup d’État, le fait que le Canada ait si peu parlé des violations des droits de la personne a été très décevant. Le Canada a fait très peu de déclarations concernant les droits de la personne. Je n’ai pas du tout accès au processus de négociation, mais d’après le très peu de mentions des droits de la personne en général, je ne crois pas qu’il soit question des considérations liées aux droits de la personne dans l’accord de libre-échange. Je ne sais pas si…
(1355)
    Nous avons un rapport [Note de la rédaction: inaudible]… monsieur le président.
    Je ne réponds pas aux questions, mais nos analystes le font et notre analyste m’a transmis certains renseignements.
    Merci, Erin.
    Elle m’a signalé que le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international avait publié un communiqué de presse dont voici un extrait:
Le 12 août 2011, le premier ministre Stephen Harper a annoncé la conclusion des négociations en vue de l’accord de libre-échange entre le Canada et le Honduras... L’accord de libre-échange entre le Canada et le Honduras, ainsi que des accords parallèles relatifs à la coopération dans le domaine du travail et de l’environnement…
    Je crois que ce sont les accords parallèles auxquels vous faisiez référence.
… une fois qu’ils auront fait l’objet d’un examen juridique, seront officiellement signés...
    Ce que j’allais dire, monsieur le président, c’est que ce document n’a pas été diffusé publiquement.
    L’accord.
    Oui. L’annonce en a été faite.
    Cela éclaircit les choses, merci. Nous ignorons s’il y a des accords parallèles à cet accord.
    Il y en avait.
    Il y en avait. Vous avez raison. Mes excuses. C’est très intéressant.
    Je me demande une chose à propos des travaux que vous effectuez. Faites-vous des recherches en vue d’un mémoire?
    Mes activités précédentes au Honduras consistaient à travailler avec des organismes des droits de la personne dans l’ensemble du pays, dans les mouvements sociaux populaires, mais à présent, je retourne là-bas en mai et je vais y passer le reste de l’année à effectuer mes recherches pour mon mémoire.
    Merci beaucoup.
    Diriez-vous qu’il y a une oligarchie au Honduras, un nombre très restreint de familles qui possèdent une vaste proportion des terres? Est-ce bien la situation, y a-t-il un nombre très limité de familles? Comme c’est un petit pays, je suppose qu’il s’agirait d’un petit nombre de familles.
    Je vais simplifier à outrance, mais si j’avais à vous citer un chiffre approximatif, je dirais qu’il y a une dizaine de familles qui possèdent probablement environ 90 p. 100 de la richesse du pays, et que ces familles sont fortement représentées au congrès, dans l’appareil juridique et dans toutes les sphères de la société hondurienne. Je crois que c’est pourquoi beaucoup de groupes de défense des droits de la personne avec lesquels j’ai travaillé réclament des changements à la constitution. Ils veulent avoir davantage leur mot à dire dans les décisions politiques et économiques.
    Vous dites que la répartition des terres est contestée. Comment cela se passe-t-il: est-ce devant les tribunaux? L’appareil judiciaire n’est pas vraiment structuré pour traiter de questions de ce genre.
    Il y a des tribunaux et des institutions, mais ils ne sont pas réceptifs face à des gens qui dénoncent ces violations. Dans le cas de la vallée hondurienne d’Aguán, des milliers de familles de paysans contestent la propriété de terres par trois hommes riches. L’un d’entre eux est probablement l’un des hommes les plus riches du Honduras.
    Ces paysans le font-ils par l’intermédiaire d’une institution ou s’agit-il seulement de protestations?
    Non, ils le font en occupant les terres. Il y a des avocats qui ont porté des affaires devant les tribunaux. Il y a un avocat qui a été assassiné en septembre dernier. Il s’appelait Antonio Trejo. Il représentait le mouvement des paysans. Il est parvenu à faire progresser les affaires au sein des tribunaux honduriens et c’est pour cela qu’il a été assassiné.
    Merci beaucoup. Je dois me rendre à la Chambre.
    Merci, monsieur Scarpaleggia. Vous êtes le seul de nos intervenants qui a respecté sa limite de temps et je vous en remercie.
    Pardon?
    Vous avez respecté votre limite de temps et je disais simplement que je vous en sais gré.
    Je vous en prie.
    Monsieur Schellenberger.
    Je vous remercie, madame Spring, de votre présence aujourd’hui.
    Nous savons tous que la primauté du droit, ou plutôt son absence, semble ajouter à la pauvreté. Vous dites que nous ne devrions pas soutenir la police, qui est quelque peu corrompue. Laissez-vous entendre qu’il pourrait y avoir un soulèvement avant les élections de novembre?
    Qu’est-ce que vous entendez par « soulèvement »?
    Je veux dire ceci: ces gens dont vous parlez, qui sont mécontents du gouvernement et qui estiment que la police est corrompue, vont-ils se soumettre au processus électoral démocratique ou tenteront-ils de faire autre chose auparavant?
    Je crois que les gens qui ont été exclus du processus se sont levés et ont beaucoup protesté publiquement depuis le coup d’État. Immédiatement après le coup d’État, les gens de ce groupe, c’est-à-dire un nombre considérable d’habitants du Honduras, sont descendus dans la rue et ont protesté pendant plus de 150 jours. Donc, en un sens, ils protestent déjà beaucoup.
    Pour ce qui est des élections, le mouvement social possède un parti politique qui a présenté un candidat et qui a des chances notables de gagner. Ma préoccupation, en ma qualité de travailleuse des droits de la personne, est que je ne vois pas très bien comment des élections démocratiques peuvent avoir lieu alors que le niveau d’insécurité est si élevé et qu'il y ait autant d’assassinats politiques très ciblés. Je ne dis pas que je ne crois pas que la police ne puisse jamais représenter une solution au problème. Je crois que la police est très corrompue actuellement au Honduras. Les citoyens, les travailleurs des droits de la personne ou des représentants de l’État hondurien affirment que la police est très corrompue et complètement infiltrée par le crime organisé. Il ne pourra vraiment pas y avoir de sécurité tant que la police sera dans un tel état.
    J’ai de l’espoir à propos des élections, mais je dirais que les élections sont déjà affectées par le niveau élevé d’insécurité au Honduras.
(1400)
    Vous avez parlé des conditions de travail dans certaines de ces usines. Quel est le taux de chômage au Honduras?
    Je n’en suis pas sûre.
    Est-il très élevé?
    Je suppose qu’il est très élevé, oui.
    Serait-il de l’ordre de 40 p. 100?
    Je ne suis pas entièrement sûre des données, mais il s’agit d’une proportion considérable.
    D'accord.
    Ainsi, les emplois qui sont offerts là-bas seraient-ils considérés comme de bons emplois pour ces gens, si l’on oublie le fait que cela nécessiterait peut-être quelques heures de travail supplémentaires?
    Bien sûr, je crois que tous les humains ont besoin d’exercer un emploi; ils ont besoin d’un revenu pour nourrir leur famille. Je crois que le problème qui surgit, c’est celui des mauvaises conditions de travail et c’est le fait que ces gens sacrifient leur vie et leur santé pour parvenir à joindre les deux bouts. Je ne crois pas que cela aide un pays appauvri à se développer économiquement. Je crois que nous pouvons faire mieux que cela. Je pense que l’emploi est une bonne chose, tout comme le développement économique. Je crois qu’il faut qu’il y ait des conditions de travail adéquates et un certain respect pour les droits de la personne, ce qui n’est pas le cas actuellement, à mon avis.
    Je sais que nous avons également ici, au Canada, des lois du travail qui régissent le nombre d’heures de travail et les choses de ce genre. Mes employés étaient mon meilleur atout dans l’entreprise que j’ai dirigée pendant 40 ans et que mon père avait dirigée auparavant pendant quelques années.
    Nous étions dans le secteur de la décoration. J’ai eu beaucoup d’employés au fil des ans. Certains ont travaillé 25 ans pour notre compagnie. J’autorisais mes employés à prendre des congés sans solde pour aller chez le médecin, le dentiste, assister à des funérailles, et ainsi de suite. Par ailleurs, je payais pour le travail supplémentaire seulement si je pouvais facturer les frais de travail supplémentaire à mes clients. Pour accomplir une tâche, il fallait parfois que nous travaillions 50 ou 60 heures, peut-être, au cours d’une semaine. J’affichais le nombre d’heures travaillées en sus de 40 heures et si, la semaine suivante, quelqu’un travaillait seulement 38 heures, il touchait son salaire en totalité.
    Je ne respectais pas nécessairement les règles à la lettre, moi non plus, mais je procurais des emplois à des gens. Mes employés aimaient travailler pour moi et, n’oubliez pas, ils représentaient un gros atout pour moi. Ces entreprises ne pourraient pas fonctionner sans employés. Que pensez-vous de moi, en tant qu’employeur qui faisait faire des heures supplémentaires à ses employés sans leur verser un montant additionnel?
    Si l’on parle des emplois et des conditions de travail au Canada, d’après moi, il y a une grande différence dans la façon dont les plaintes des employés sont traitées. Je crois que c’est fondamentalement l’enjeu le plus important pour moi: si des problèmes surgissent à propos des conditions de travail, il y a au Canada un système judiciaire qui fonctionne et qui peut assurer une médiation en cas de conflit entre un employeur et un employé.
    Ce que je veux surtout faire valoir, c’est qu’il doit y avoir un système judiciaire et des institutions d’État qui fonctionnent pour recevoir les plaintes éventuelles si les employés n’aiment pas le fait qu’ils doivent travailler des heures supplémentaires. Je crois que, sans de telles institutions fonctionnelles, il n’est même pas possible de commencer à faire des comparaisons avec le Canada, en un sens. Je crois que c’est ce à quoi cela se ramène, pour moi: l’incapacité des institutions d’État à surveiller la situation des droits de la personne et à faire un suivi des problèmes liés aux droits de la personne.
(1405)
    Encore une fois, nous avons laissé cette série de questions se poursuivre un peu plus longtemps que prévu.
    Chers collègues, je vais considérer que l’heure nous permet tout juste d’accorder à M. Jacob cinq minutes pour ses questions et les réponses de Mme Spring.

[Français]

    Merci, monsieur le président.
    Je remercie notre témoin d'être parmi nous.
    Je constate que vous avez travaillé dans la vallée de Bajo Aguán. Human Rights Watch rapporte que plus de 80 personnes ont été tuées à la suite d'actes de violence au cours des trois dernières années. Parmi les victimes figure l'avocat Antonio Trejo-Cabrera, dont vous avez parlé plus tôt.
    Seriez-vous en mesure de fournir au sous-comité des détails sur la nature des problèmes liés aux droits fonciers dans cette région du Honduras?

[Traduction]

    M. Trejo, qui a été tué en septembre 2012, travaillait pour un mouvement de paysans appelé le MARCA. J’ai rendu visite au MARCA dans ses plantations il y a à peine un mois, alors que j’étais au Honduras. M. Trejo a été le premier avocat à mener avec succès une poursuite judiciaire contre les trois grands propriétaires riches de la vallée d’Aguán et il a perdu la vie à cause de cela, mais il a remporté la cause pour le mouvement des paysans.
    Aucune enquête n’a été menée à la suite de son décès et les membres de sa famille ont réclamé justice haut et fort. Son frère vient tout juste d’être assassiné en février dernier. Une enquête a été ouverte à la suite du décès de son frère, mais d’après ce que j’ai entendu des organismes des droits de la personne et du mouvement des paysans, il s’agit d’une enquête lourdement manipulée, qui n’est nullement équitable.
    Antonio Trejo, l’avocat, a aussi joué un rôle de premier plan dans la contestation d’autres lois importantes qui ont aussi des incidences sur les intérêts canadiens. Il a réclamé une injonction contre la loi sur les villes modèles à l’élaboration de laquelle des Canadiens ont participé et sur laquelle j’espère que le comité se penchera plus tard. Le mouvement qu’il représentait est maintenant privé de représentation juridique. Il a perdu son avocat qui était très bien documenté et qui connaissait très bien la situation. Les paysans, dans les faits, ne font maintenant qu’attendre d’être expulsés encore une fois. Ils sont dans la même situation qu’auparavant. Même si le tribunal a tranché en leur faveur, rien n’a changé.

[Français]

    Merci.
    Donc, il n'y a pas eu d'enquête indépendante, impartiale et efficace sur le récent assassinat d'Antonio Trejo-Cabrera, avocat défendant les droits des groupes de paysans dans les conflits territoriaux.
    Est-ce la même chose dans le cas du meurtre de Manuel Díaz-Mazariegos, procureur public du Choluteca s'occupant des dossiers relatifs aux droits de la personne?

[Traduction]

    Je ne connais pas très bien ce cas, car je n’ai pas travaillé dans cette région aussi intensivement que je l’ai fait dans la vallée d’Aguán. Je ne sais pas avec certitude si des enquêtes ont été ouvertes ou non, mais à nouveau, je vous dirais que je doute qu’une enquête soit menée à cause du manque de capacités d’enquête et de l’absence de primauté du droit.

[Français]

    J'ai une dernière question.
    Rights Action a critiqué la création des villes à charte au Honduras, selon le concept mis au point par le professeur Paul Romer. J'aimerais que vous nous expliquiez en quoi cela consiste et quelles répercussions la création des villes à charte au Honduras a sur la population au chapitre des droits de la personne.

[Traduction]

    Le projet de villes à charte est quelque chose que le gouvernement actuel a approuvé. Essentiellement, on veut créer des pays à l’intérieur du territoire hondurien. Il y a trois endroits différents au Honduras qui ont été désignés comme des lieux possibles pour des villes modèles ou villes à charte.
    En fait, dans toutes les zones où les villes modèles sont proposées, il y a d’importants conflits liés aux droits fonciers qui durent depuis des décennies. La zone la plus importante se trouve dans la vallée d’Aguán. C’est une zone qui a été désignée comme lieu potentiel pour une ville modèle. C’est aussi la zone où il y a eu un énorme investissement canadien dans le tourisme — ou plutôt plusieurs investissements canadiens dans le tourisme.
    Initialement, les villes modèles ont été déclarées inconstitutionnelles par la Cour suprême. Puis, à la fin de décembre l’an dernier et en janvier de cette année, les juges qui avaient rendu cette décision d’inconstitutionnalité ont été démis de leurs fonctions et la loi a été adoptée de nouveau.
    Les villes modèles ont donné lieu à des protestations considérables, encore une fois parce que les collectivités dans lesquelles ces villes à charte seront établies sont exclues de toute forme de dialogue.
    Pour ce qui est de la transparence, de la reddition de comptes dans le cadre du projet, le principal artisan, celui-là même qui avait proposé le projet, l’économiste américain Paul Romer, s’est retiré du processus depuis, en se plaignant qu’il n’y avait pas de reddition de comptes ou de transparence dans le mode de fonctionnement que le gouvernement hondurien avait adopté.
    Cela a soulevé une controverse considérable au Honduras, mais la loi a été adoptée de nouveau. Au cours des mois à venir, il se pourrait que des choses se passent dans le dossier des villes à charte.
(1410)

[Français]

    Merci beaucoup.
     Merci, monsieur le président.
    Merci, monsieur Jacob.

[Traduction]

    Merci à tous, madame et messieurs les membres du comité, de m’avoir permis de traiter l’horaire avec souplesse afin que notre témoin puisse finir son témoignage et répondre à toutes les questions.
    Madame Spring, merci tout d’abord d’avoir accepté de bonne grâce les contraintes d’horaire que nous vous avons imposées unilatéralement et, ensuite, merci pour votre témoignage circonstancié.
    Si vous le voulez bien, il serait très utile pour nous que vous puissiez faire le suivi sur la question dont nous avons discuté plus tôt et nous transmettre les renseignements additionnels demandés. Cela nous permettra d’avoir une information plus complète pour la suite de nos audiences.
    Merci beaucoup.
    Merci.
    Chers collègues, la séance est levée.
Explorateur de la publication
Explorateur de la publication
ParlVU