FAAE Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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Comité permanent des affaires étrangères et du développement international
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TÉMOIGNAGES
Le mardi 3 février 2015
[Enregistrement électronique]
[Traduction]
Conformément au paragraphe 108(2) du Règlement, nous étudions la réaction du Canada face à la violence, aux persécutions et aux bouleversements perpétrés en Irak, en Syrie et dans la région par l'État islamique en Irak et au Levant (EIIL). Commençons.
Je vais vous expliquer l'ordre dans lequel nous allons procéder.
Nous accueillons, ici à Ottawa, Tarek Fatah, fondateur du Muslim Canadian Congress. Je vous souhaite la bienvenue, monsieur. Nous sommes heureux que vous soyez avec nous aujourd'hui.
À ses côtés se trouve Salim Mansur, professeur agrégé au Département des sciences politiques de la University of Western Ontario. Salim, je vous souhaite la bienvenue.
Nous entendrons également par vidéoconférence Sami Aoun, professeur titulaire à l'Université de Sherbrooke.
Monsieur Aoun ne peut être avec nous que pendant la première heure. Nous allons y aller rondement, pour pouvoir entendre un autre témoin, qui se joindra plus tard à nous par vidéoconférence de Virginie.
Nous allons commencer par entendre les trois exposés, après quoi il y aura une période de questions. Comme je l'ai dit, après une heure, nous allons changer de vidéoconférence et poursuivre les questions. Je le mentionne pour que toutes les questions à M. Aoun lui soient posées pendant la première heure.
Monsieur Fatah, nous allons commencer par votre exposé. Nous entendrons ensuite celui de M. Mansur, pour terminer avec celui de M. Aoun.
Je vous souhaite la bienvenue, monsieur. Je vous cède la parole.
Merci beaucoup.
Mesdames et messieurs les membres du comité, je vous remercie de m'avoir invité à vous faire part de mon point de vue sur un sujet que tous les musulmans du Canada ont très à coeur, tous ceux et celles qui sont venus ici pour fuir l'enfer qui se déploie en Irak, en Syrie, au Pakistan, en Somalie, en Afghanistan, en Arabie saoudite, au Nigéria et ailleurs.
Malheureusement, nous les musulmans formons une communauté majoritaire. Certains d'entre nous sont des canaris dans la mine. Nous mettons en garde le monde démocratique, en Inde, en Israël, en Australie ou au Canada, contre les dangers de l'islamo-fascisme, de l'islamisme, de l'Islam radical, de ce culte de la mort, quel que soit le terme utilisé pour le désigner, dont les principales victimes sont, soit dit en passant, d'autres musulmans.
Malheureusement, très peu d'Occidentaux daignent admettre qu'ils ne comprennent pas le danger qui les guette, mais leur excès de confiance est parfois ébranlé par ceux qui souhaitent la fin de la civilisation telle que nous la connaissons. Permettez-moi de reprendre les mots du général en chef de l'Amérique en charge des forces d'opérations spéciales déployées au Moyen-Orient et dont la tâche consiste à combattre l'État islamique autoproclamé que constitue l'armée terroriste de l'EIIL. Le major-général Michael Nagata aurait confessé à deux reprises l'an dernier que l'administration Obama n'avait aucune idée de ce qu'est vraiment l'EIIL. Il aurait affirmé à un groupe d'experts externes, pendant un appel conférence en août dernier: « Nous ne comprenons pas ce mouvement, et tant que nous ne le comprendrons pas, nous ne pourrons pas le combattre. Nous n'avons pas vaincu l'idée. » Puis il a ajouté: « Nous ne comprenons même pas l'idée. »
Les stratèges militaires américains sont perplexes devant la popularité soutenue de l'EIIL en Irak, dans toute la péninsule arabique, ainsi qu'en Asie du Sud et en Afrique centrale. Certains comparent les djihadistes assoiffés de mort de l'EIIL aux activistes pour les droits des animaux ou aux écologistes qui transgressent la loi, alors que beaucoup de défenseurs de l'islamisme essaient de banaliser les dangers auxquels nous sommes confrontés en comparant l'EIIL à Timothy McVeigh, à la secte de Waco, au Texas, ou même au groupe Baader-Meinhof ou aux Brigades rouges italiennes des années 1960.
L'EIIL est en fait un ennemi beaucoup plus meurtrier. C'est pourtant une réalité que le général Nagata, de son point de vue de militaire, déplore ne pas entendre dans le message répété des consultants grassement payés pour assurer la sécurité des présidents et des premiers ministres de beaucoup de pays occidentaux, selon qui l'islam est une religion pacifique et n'a rien à voir avec l'islamisme. Si le général Nagata est stupéfait que l'EIIL arrive à rallier à sa cause les adolescents et les jeunes musulmans et musulmanes dans la vingtaine, il n'est pas le seul, mais je dois dire qu'il est probablement le seul à avoir l'honnêteté de l'admettre.
Je suis ici pour remercier le gouvernement canadien des mesures qu'il prend pour le combattre. Je ne suis pas un conservateur, je n'ai jamais voté pour les conservateurs, mais ma critique vient de la gauche. Bien sûr, nous savons que le Canada est une puissance moyenne et que nous ne pouvons pas à nous seuls prendre la barre du navire pour contrer le djihad, surtout à une période où les États-Unis sont paralysés par l'inaction ou la maladresse de deux présidents de suite, des deux côtés de l'échiquier politique, qui ont tous deux fait preuve d'un asservissement abject à la principale puissance qui a donné naissance au culte de la mort de l'islamo-fascisme. Qu'on parle de Boko Haram, des talibans, d'Al-Qaïda ou de l'EIIL, c'est toujours le même vin halal dans différentes bouteilles, destiné à semer la confusion en Occident.
En surface, ces pays — ou le pays dont je parle — sont nos alliés, mais dans la réalité, c'est tout le contraire. Je pointe du doigt le Royaume d'Arabie saoudite et sa doctrine de base de ce qu'on appelle communément le wahhabisme du XVIIIe siècle, mais qui existait en fait bien des siècles auparavant. Celle-ci se fonde sur une idée très simple, selon laquelle la vie sur terre est un passage fugace et la vraie vie commence en fait après la mort. Les wahhabites affirment qu'on devrait voir le monde comme une salle d'attente d'aéroport, où l'on attend de prendre le vol vers notre destination finale qu'est le paradis — mais seulement après un scénario de fin du monde qui n'arrivera pas avant que le monde entier ne soit dirigé par un califat islamique unique et que même les pierres et les arbres se joignent aux musulmans afin d'éliminer tous les non-musulmans de la terre, particulièrement les juifs.
Certains d'entre vous penseront peut-être que c'est le fruit d'une imagination puérile, mais croyez-moi, mesdames et messieurs, ce n'est pas par manque d'éducation: je n'ai jamais rencontré un djihadiste illettré. Aucun fermier ou ouvrier ne se fait exploser. Ce sont des gens instruits qui dirigent l'EIIL. C'est un étudiant de la prestigieuse London School of Oriental and Asian Studies qui a décapité Daniel Pearl à un moment où la décapitation n'était pas un phénomène aussi commun qu'il ne l'est devenu. Ce sont des doctorants islamistes d'Oxford, de UCLA, de l'Université de Toronto et de McGill qui croient à la vision suprémaciste et raciste du monde. Ce sont les départements d'études islamistes des universités de la Ivy League, où les islamistes les plus radicaux pullulent. Pour eux, la quête ultime de la suprématie islamiste sur terre avant la fin des temps est une question sérieuse de destin et de politique.
Si nous ne confrontons pas ces universitaires et les imams des mosquées du Canada, c'est-à-dire les leaders et les dirigeants des organisations islamistes, afin de débattre vigoureusement et ainsi dénoncer la doctrine du djihad armé et rejeter la shari'a, qui est une loi obsolète et inacceptable pour un État-nation, nous ne pourrons pas réussir, quel que soit le nombre d'hommes et de femmes que nous envoyons à l'étranger combattre l'EIIL. Cela dit, si nous n'envoyons pas de militaires combattre ce démon, nos ennemis auront l'impression que nous capitulons.
Mesdames et messieurs les députés, la guerre contre la malaria ne peut se gagner que si l'on draine les marécages où les moustiques se reproduisent. Il ne sert à rien de tuer un moustique à la fois. Je vais vous recommander cinq mesures à prendre parallèlement à notre effort de guerre au Moyen-Orient.
Un, il faut retirer leur statut d'organisme de bienfaisance aux mosquées où les imams prient chaque semaine, dans toutes les mosquées, pour la victoire des musulmans contre les non-musulmans.
Deux, il faut refuser de délivrer des permis aux mosquées qui prêchent en faveur de l'asservissement des femmes et de la mort pour les homosexuels.
Trois, il faut suspendre l'immigration en provenance de la Somalie, de l'Iran, du Pakistan et de l'Arabie saoudite jusqu'à ce que nous ayons l'assurance que les hommes et les femmes qui viennent ici ne se vouent pas aux Frères musulmans de Shabaab, au Hamas, au Hezbollah et à Jamaat-e-Islami, mais qu'ils sont pour la séparation entre la religion et l'État, l'égalité entre les sexes, la démocratie libérale et j'ose dire, la sociale démocratie ainsi que l'utilisation équitable des ressources du pays pour le développement commun.
Quatre, le Canada doit amorcer avec ses alliés des démarches en vue de l'expulsion de la Turquie de l'OTAN. En ce moment, nos missions les plus secrètes se planifient directement sous les yeux de nos pires ennemis.
Cinq, et surtout, il faut envoyer le message que le Canada ne reviendra pas à l'époque médiévale au bon plaisir d'un groupe qui désire vivre dans des conditions de vie médiévales. Pour cela, je vous recommanderais de suivre l'exemple français et d'interdire la burka en public. Nos troupes ne pourront réussir à combattre l'ennemi que si nous montrons que nous sommes forts et que nous n'avons pas peur des terroristes de l'EIIL ni de l'idéologie des Frères musulmans. Sinon, les efforts de l'Amérique en Irak et en Afghanistan sont voués à l'échec.
Si l'on ne comprend pas l'ennemi, la guerre ne peut que créer des pertes et des dommages dans les rangs de l'ennemi, et renforcer sa légitimité au sein de ses adeptes. En revanche, si la guerre fait partie d'une offensive idéologique qui met en lumière la nature des fascistes et des semeurs de haine, nous allons réussir, comme nous avons réussi à combattre les nazis à l'issue de la Seconde Guerre mondiale et les communistes à l'issue de la guerre froide.
Merci beaucoup.
Monsieur le président et honorables membres du comité, je veux d'abord vous remercier de m'avoir invité à prendre la parole à titre de Canadien qui s'adonne aussi à être musulman.
En ma qualité de chercheur universitaire spécialisé dans les relations internationales et les régions du Moyen-Orient, de l'Asie du Sud et de l'Asie du Sud-Ouest, j'ai eu l'occasion de rédiger des articles et de prononcer des conférences portant sur les enjeux relevés par le regretté professeur Samuel Huntington de Harvard dans son ouvrage prémonitoire Le choc des civilisations. Cet avertissement de Huntington a été lancé au début des années 1990. Plus d'une douzaine d'années se sont écoulées depuis que des terroristes musulmans radicaux ont attaqué New York et Washington le 11 septembre 2001, et les puissances occidentales, y compris le Canada, continuent de nier à des degrés divers la réalité de la guerre que les islamistes ont déclarée au monde occidental et livrent actuellement dans le monde arabo-musulman.
On s'interroge sur le rôle joué par le Canada dans le cadre de la coalition menée par les États-Unis pour affaiblir l'EIIL, ou l'EI, l'organisation terroriste islamiste. Malgré son importance politique et militaire, l'Opération Impact a une ampleur plutôt réduite et une durée limitée. J'appuie cette mission. Je félicite le Parlement de l'avoir autorisée. Étant donné la portée et les modalités de cette mission, nous devons toutefois nous montrer réalistes et prudents. Des préoccupations et des critiques ont été exprimées quant à la façon dont la mission est menée dans un contexte en constante évolution de guerre incessante dans la région, et j'y vois un manque de crédibilité.
Pour être réaliste, il faudrait évaluer de façon plus rigoureuse non seulement la mission en cours, mais aussi la manière dont le Canada a jaugé la nature, la capacité et les objectifs de l'islam radical, l'islam politique ou la menace islamique tant au plan régional que mondial. Le Canada est loin d'être le seul pays à ne pas pouvoir évaluer de façon cohérente la menace que représente l'islamisme ou l'islam politique. L'absence d'une évaluation cohérente de cette menace est flagrante dans la politique étrangère de toutes les grandes puissances occidentales. On se montre réticent, voire craintif, à l'idée de décrire l'ennemi contre lequel les puissances occidentales, y compris le Canada, ont déployé leurs forces militaires.
L'EIIL n'est pas simplement une organisation terroriste qui se livre avec une audace révoltante à d'odieuses atrocités dans cette région que l'on a appelé le Croissant fertile. Ce n'est pas non plus l'incarnation la plus récente de Houlagou Khan, petit-fils de Genghis Khan, le chef mongol dont l'armée a semé la destruction dans cette région et sa capitale, Bagdad, au XIIIe siècle. C'est sans vergogne, arbitrairement et avec ironie que l'EIIL, ou l'EI comme on l'appelle maintenant, se livre à un saccage en détruisant des sites religieux d'un grand intérêt historique et en pillant, violant et assassinant de façon systématique des hommes, des femmes et des enfants dans des communautés très anciennes de chrétiens, de yézidis et de membres des sectes minoritaires de l'islam. Ce n'est pas la première fois que nous sommes témoins d'un génocide dans cette région.
L'EIIL est alimenté par l'idéologie de l'islamisme. L'Occident doit s'assurer de bien comprendre le sens et les objectifs de cette idéologie, comme nous l'avons fait lorsque nous avons été confrontés au communisme soviétique. C'est essentiel si nous voulons mettre de l'avant une stratégie cohérente, plutôt que de simples palliatifs, pour contrer l'expansion de l'EIIL et les idéaux qu'elle représente. L'islamisme est l'idéologie du djihad armé qui fait la guerre en utilisant tous les moyens disponibles pour faire appliquer la charia dans les pays à majorité musulmane et obtenir qu'elle s'applique aux immigrants musulmans dans les démocraties occidentales.
L'EIIL est la plus récente incarnation de l'islamisme, l'idéologie de l'islam politique élaborée par le fondateur égyptien des Frères musulmans, Hasan al-Banna, dans les années 1920 et par le fondateur sud-asiatique de Jamaat-e-Islami, Abul A'la Maududi, dans les années 1940. L'islamisme est le troisième mouvement totalitaire hérité du XXe siècle à s'en prendre au monde moderne fondé sur la liberté et la démocratie.
L'EIIL est né des cendres d'Al-Qaïda en Irak. Ses chefs actuels, y compris Abu Bakr al-Baghdadi, le calife autoproclamé de l'EI, étaient des guerriers d'Al-Qaïda et des acolytes du meurtrier maniaque Abu Musab al-Zarqawi, qui a été pourchassé et tué par les forces américaines en 2006. L'EIIL se distingue d'Al-Qaïda du fait qu'il a réussi à s'assujettir un vaste territoire qui transcende les frontières entre la Syrie et l'Irak en vue d'en faire le noyau d'un futur État islamiste.
Comme je n'ai que peu de temps à ma disposition, j'aimerais attirer votre attention sur les éléments suivants.
Près de 14 ans après le 11 septembre et le début de la guerre au terrorisme lancée par la coalition menée par les Américains en Afghanistan et en Irak, il faut constater que le terrorisme islamiste demeure vigoureux dans la grande région du Moyen-Orient et continue de prendre de l'expansion. Il était irréaliste de la part de l'administration Obama de déclarer à Washington qu'Al-Qaïda avait été détruite à la suite de l'assassinat d'Oussama ben Laden en 2011. Le terroriste islamiste en tant que mouvement planétaire a fait montre d'une grande capacité d'adaptation et de beaucoup de souplesse et d'opportunisme dans le recrutement de jihadistes et l'utilisation des technologies modernes, des armes et des médias pour faire connaître ses activités terroristes et ses objectifs. Les partis et les milices islamistes, au Pakistan, au Nigeria et ailleurs, ont prouvé leur efficacité dans l'infiltration et l'affaiblissement de leurs institutions de gouvernance respectives, et dans l'accomplissement de leur plan pour l'application de la charia.
L'idéologie islamiste de l'EIIL est partagée par un large segment de la population arabe et musulmane, et peut difficilement être différenciée de l'idéologie wahhabite et salafiste de l'élite au pouvoir en Arabie saoudite. La coercition religieuse, le triomphalisme islamique et le non-respect ou le rejet de la Déclaration universelle des droits de l'homme et du Pacte international relatif aux droits civils et politiques sont des valeurs partagées par l'EIIL et la plupart des États arabes, en plus des États non arabes membres de l'Organisation de la coopération islamique, ou OIC.
Enfin, les succès relatifs du mouvement islamiste mondial s'appuyant sur les principes fondamentaux de l'islamisme en tant qu'idéologie, comme le mouvement communiste mondial s'appuyait autrefois sur l'idéologie marxiste-léniniste, a donné naissance dans les pays occidentaux à un terrorisme local chez des immigrants musulmans de deuxième et troisième générations ainsi que chez des non-musulmans convertis à l'islamisme. Ce phénomène du terrorisme islamiste local fait peser depuis le 11 septembre un risque manifeste et bien concret sur la sécurité intérieure des démocraties occidentales, comme nous avons pu le constater récemment au Canada, en Australie et en France. En conséquence, nous devons de toute urgence, au Canada comme dans le reste du monde occidental, reconnaître que nous n'avons pas une compréhension cohérente de l'islamisme et du terrorisme islamiste comme moyen utilisé par des islamistes pour progresser vers l'atteinte de leurs objectifs.
En l'absence d'une telle compréhension de l'islamisme, il n'a pas été possible d'élaborer une politique stratégique cohérente pour l'endiguer et le défaire. Si l'on adoptait éventuellement une politique de la sorte, elle serait semblable à celle mise de l'avant en 1945 par l'Occident, sous la direction des États-Unis, pour limiter l'expansion de l'Union soviétique après la fin de la Seconde Guerre mondiale, et en venir à bout par la suite. Cette stratégie politique d'endiguement a été conçue par George Kennan et adoptée par l'administration Truman. Le Canada était l'un des partenaires importants de l'alliance occidentale menée par les administrations américaines, tant démocrates que républicaines, qui se sont succédé pendant les quelque cinq décennies pendant lesquelles s'est concrétisé cet engagement stratégique à freiner l'expansion de l'ancienne Union soviétique.
Si l'on veut vraiment s'attaquer à la menace que représente l'islamisme au Moyen-Orient et à l'extérieur de cette région et s'engager à fond dans la défense de la liberté et de la démocratie, il faut absolument tirer des leçons de l'histoire et s'employer à endiguer et défaire les forces de ce mouvement totalitaire de notre époque. Si l'Occident, y compris le Canada, n'a pas l'intention d'investir dans une stratégie cohérente pour endiguer et défaire l'islamisme, il faudrait que la population en soit informée.
L'Occident contemporain n'est pas à l'abri de la guerre qui fait rage dans le monde de l'islam. Les islamistes et les défenseurs de l'islamisme sont parmi nous et n'ont pas manqué d'infiltrer les institutions occidentales pour affaiblir et corrompre la démocratie libérale. Ils ont habilement su détourner à leurs propres fins les valeurs démocratiques libérales de l'Occident. Ils ont exploité le multiculturalisme pour faire avancer leurs objectifs d'application de la charia au Canada, en Grande-Bretagne, en France et ailleurs dans le monde occidental.
Il est possible que nous ne souhaitions pas confronter l'islamisme en préférant affirmer que ce ne sont pas nos problèmes. Cependant, l'histoire a clairement démontré que ceux qui se montrent conciliants envers les ennemis de la liberté et de la démocratie dans l'espoir d'éviter un péril imminent — par exemple, le nazisme ou le communisme — doivent plus tard défendre cette liberté et cette démocratie au prix de sacrifices nettement plus coûteux que s'ils avaient pris dès le départ des mesures efficaces.
Je vous remercie.
Merci beaucoup, monsieur Mansur.
Nous allons maintenant entendre le professeur Aoun qui témoigne via vidéoconférence depuis Montréal.
Je vous souhaite la bienvenue et je vous cède la parole.
[Français]
Monsieur le président, honorables députés, mesdames, messieurs, chers collègues qui viennent de témoigner, je vous remercie.
Pour répondre à la question soulevée par le comité, voici l'angle que je vous propose: tâchons de voir pourquoi la réaction canadienne, sur le plan international, a été et est limitée dans ses conséquences et soumise aux contraintes des choix des alliés, surtout de ceux de l'administration Obama. Par contre, la réaction souveraine, ici au Canada, est toujours ouverte et toujours prometteuse. Elle est capable d'agir d'une façon peut-être plus intéressante, avec des crédits et un bilan certainement plus positifs.
Premièrement, en ce qui a trait à la double réaction canadienne, à savoir celle diplomatique et militaire, il y a eu un glissement fâcheux pour la diplomatie canadienne. Au début du printemps arabe, et même du conflit syrien et de l'impasse politique irakienne, on a remarqué que la diplomatie canadienne a cherché beaucoup plus à endiguer ce qu'on appelle l'émergence de l'hyperpuissance iranienne et son expansion en Irak, en Syrie et dans tout le Levant.
Deuxièmement, cela a peut-être provoqué ou aidé la tentative de renversement du régime Assad en Syrie en lui retirant une certaine légitimité, ce qui explique les gestes posés par la diplomatie canadienne de considérer persona non grata les diplomates iraniens et syriens.
Toutefois, depuis l'apparition du groupe État islamique, on voit un changement quand même assez important de l'orientation de la diplomatie canadienne car on cible davantage cette situation barbare. Cela étant dit, il faut comprendre que le groupe État islamique, malgré ses horreurs et sa barbarie, est héritier des frustrations régionales et locales, que ce soit en Syrie ou en Irak. C'est une tentative, malheureusement aveuglée et aveuglante, de réponse à un certain remodelage au sein des frontières de l'Irak et de la Syrie sur des bases et des clivages ethniques et sectaires.
En ce sens, le groupe État islamique, avec ses horreurs, est un produit tardif de l'échec relatif et actuel du printemps arabe comme ambition à la modernité, comme ambition à la démocratie libérale. En effet, en Syrie et en Irak, au lieu de la réforme libérale et démocratique, on s'engouffre dans une guerre sectaire, appelée communément la fitna, entre sunnites et chiites. Par ailleurs, il y a encore quelque chose de plus menaçant et de plus destructeur. En Irak, en Syrie et ailleurs au Moyen-Orient, il y a une guerre de procuration entre les deux grandes puissances de la région, soit l'Arabie saoudite, représentative de pouvoirs arabo-sunnites plutôt intégristes et plutôt antidémocratiques qui ont joué un rôle contre-révolutionnaire lors du printemps arabe, et l'Iran qui appuie et travaille au renforcement des communautés chiites et a l'ambition impériale de dominer cet espace, ce voisinage arabo-musulman.
En ce sens, la diplomatie canadienne est limitée et contrainte à composer avec difficulté face à cette situation puisque le Canada n'est pas un acteur important et imposant au Moyen-Orient.
Un autre point est aussi important. Il est hautement improbable que le Canada puisse avoir une politique au Moyen-Orient, en général et contre le groupe État islamique, qui soit indépendante ou autonome par rapport à la stratégie de l'administration Obama.
En ce sens, l'administration Obama a un choix clair: un changement de stratégie et faire glisser la bataille dans la région de l'Irak et de la Syrie, faire pourrir la situation, provoquer des conflits entre tous ces ennemis, qu'il s'agisse des milices chiites pro-iraniennes, le Hezbollah ou le groupe Asaib Ahl al Haq, qu'il s'agisse d'Al-Nosra, d'Al-Qaïda ou de la dernière version, qui est peut-être la plus barbare, soit le groupe État islamique.
Le Canada est pris dans cette situation. De plus, la diplomatie canadienne est limitée parce que ce qui se fait a plutôt l'apparence d'une guerre intermusulmane, qui est à plusieurs niveaux.
Comme je l'ai dit, le premier niveau met en cause les chiites et les sunnites, l'Iran et l'Arabie saoudite et autres, mais, surtout, les axes des alliés des États-Unis et de l'Occident stratégique. Je nomme par illustration la rivalité qui existe entre la Turquie et l'Égypte. D'un côté, il y a la Turquie et le Qatar qui appuient les Frères musulmans et l'islamisme politique, et de l'autre, il y a l'Arabie saoudite et l'Égypte qui appuient plutôt un autre salafisme politique. On peut qualifier cette guerre de froide ou de chaude, mais elle est intermusulmane, ce qui fait que l'intervention canadienne devient limitée.
Le gouvernement israélien, qui est l'acteur principal dans la région, a lui aussi fait le choix de laisser aller l'autodestruction qui a cours en Syrie pour, peut-être, éviter une menace stratégique que représentait à un certain moment le régime syrien. Maintenant, il préfère jouer selon les normes voulant que le conflit syrien devient autodestructeur et que le groupe État islamique, dans les évaluations stratégiques et militaires israéliennes, n'est pas une menace directe, mais une menace ajournée. Pour le gouvernement israélien, le plus important est que le conflit reste dans son foyer, à savoir en Irak et en Syrie. Il n'a pas vraiment choisi d'adopter une politique de renversement du régime Assad ou d'intervenir directement d'une façon assez manifeste.
Le groupe État islamique et les fondamentalistes en général ont un peu le vent en poupe, de sorte que des millions d'Arabes sont maintenant sous le joug des idéologies intégristes et sectaires du Yémen au Bahreïn, du Liban en Irak et en Syrie, et j'en passe. L'arrivée du groupe État islamique et des idéologies islamistes politiques détruit le lien social et citoyen, ce qui provoque l'effondrement de l'État et des frontières, même artificielles, qui existent entre les pays.
Je me permets de dire ici que, sur le plan interne, le Canada a certainement des obligations majeures relativement à ce phénomène qui a des expansions et des ambitions globales.
Le Canada est pris dans ce qu'on appelle le paradoxe de la tolérance bien connu de Karl Popper. Si l'on fait preuve d'une tolérance absolue même envers les intolérants et qu'on ne défend pas la société tolérante contre les assauts de ces derniers, les tolérants seront anéantis et, avec eux, la tolérance. Cette idée m'aide à souligner les mesures, les constats, les approches ou les recommandations.
En premier lieu, le Canada est dans l'obligation de consolider le pilier du contrat social canadien fondé sur la double autonomie du religieux et du politique, c'est-à-dire la tolérance entre les deux, en consolidant les valeurs citoyennes.
En deuxième lieu, dans un débat public entre les citoyens et les élites canadiennes, il faut entrer dans une critique pour mettre fin à la double instrumentalisation de la politique et de l'islam. C'est un point crucial. Pour cela, il faut encourager le débat entre les élites canadiennes et les autres dans le monde, surtout celles du monde musulman, sur l'importance de la démocratie des valeurs et sur la valeur pacificatrice de la démocratie citoyenne et libérale, au lieu de s'engouffrer dans des guerres de fondamentalisme et d'intégrisme.
Il faut également noter que, dans le débat au Canada, il y a le fait de ne pas dissocier facilement et légèrement le terrorisme, le despotisme et l'autoritarisme. Ces trois composantes peuvent se nourrir les unes des autres, et c'est pourquoi il faut les dissocier.
En ce qui concerne la lecture idéologique, l'interprétation de l'islam salafiste djihadiste est réelle. Elle est menaçante, elle est barbare et elle est inhumaine.
Toutefois, il faut toujours espérer que l'Islam tolère une autre réflexion, qui soit davantage arrimée à la démocratie libérale et à la modernité. Sur le plan juridique, il faut peut-être tenter de colmater les brèches qui existent ici et dont les terroristes prennent avantage en termes de droits de la personne. Il faut appliquer des politiques et, possiblement, créer des observatoires ou des chaires plus articulés sur les questions de radicalisation et de déradicalisation et mettre fin à l'incertitude légale qui pèse sur la culture canadienne en ce qui a trait à la glorification de la violence, l'exclusivisme et la haine.
Le terrorisme que nous observons au sein du groupe État islamique, dont les affres du despotisme sont peut-être considérés par le Canada comme une menace tactique et non existentielle — et on peut argumenter à propos de cette idée — , est une menace stratégique existentielle pour les peuples de l'Irak et du Levant. En ce sens, le Canada ne peut pas rester impassible relativement à la défense des valeurs de la modernité.
[Traduction]
Merci beaucoup, monsieur Aoun.
Je rappelle à mes collègues que le professeur Aoun est des nôtres seulement pour la première heure de notre séance.
Nous allons maintenant débuter le premier tour de questions.
Madame Laverdière, vous avez sept minutes.
[Français]
Merci, monsieur le président.
Je remercie également les témoins qui comparaissent devant nous.
Je vous remercie, professeur Aoun. J'aimerais vous poser deux questions. L'une concerne la situation au Moyen-Orient et l'autre porte davantage sur ce que le Canada peut faire.
En ce qui concerne la situation sur le terrain, au Moyen-Orient, nous sommes évidemment tous préoccupés par le financement qui provient de gouvernements, d'organisations et d'individus et qui alimente le conflit en Syrie et en Irak. J'aimerais que vous nous parliez un peu plus de ce qui se passe du côté du financement et de l'armement du groupe État islamique.
Avez-vous des commentaires à exprimer sur le problème des frontières dans la région? Comme elles sont assez poreuses, il y a du trafic d'armes et de pétrole. J'aimerais connaître votre avis à ce sujet.
Merci, madame Laverdière.
À cet égard, le financement joue certainement un rôle important. Il vient de deux ou trois sources extérieures, de pouvoirs surtout arabo-sunnites. Nous parlons ici plus particulièrement de pays du Golfe, que ce soit l'Arabie saoudite, le Qatar, les Émirats arabes unis ou le Koweït. C'est bien connu. C'est un secret de polichinelle. D'autre part, la Turquie fournit une aide logistique assez importante. Comme vous l'avez bien dit, les frontières sont poreuses.
Cela étant dit, ils ont tout de même quelques ressources, notamment le pétrole ainsi que le produit des taxes, des impôts et des rançons. En ce sens, il y a un certain financement. Cependant, je dois faire une brève remarque à ce sujet. Le groupe État islamique est barbare, soit, mais il faut voir la situation telle que perçue dans la rue et par des pouvoirs arabo-sunnites. Ceux-ci sont déboussolés par la rupture entre la stratégie américaine et ce qui a été le cheval de bataille durant la guerre froide, à savoir l'islamisme politique, surtout combatif et djihadiste.
De plus — c'est un constat et pas nécessairement un jugement de valeur —, sauf erreur, je crois qu'une bonne majorité voit ce conflit comme étant une cause juste. Leurs frères arabo-sunnites sont, selon eux, malmenés par le régime alaouite d'Assad, par son alliance avec l'Iran persano-chiite ainsi que par les alliés de l'Iran chiite qui gouvernent Bagdad et qui ont marginalisé quelques dirigeants et partis sunnites.
Comme je le disais, le groupe État islamique est l'héritier de cette frustration à caractère sectaire ou confessionnel. On pourrait accuser les pays de l'Occident, y compris le Canada, d'appliquer le principe du deux poids, deux mesures. D'un côté, ils déclarent que le groupe État islamique est barbare ou terroriste, mais de l'autre, ils ferment les yeux sur les activités d'autres milices, notamment celle d'Asaib Ahl al Haq. C'est ce qui est vécu de l'intérieur.
En ce qui concerne votre question sur la porosité des frontières, il y a une forte pression sur les frontières liées à la Conférence de San Remo, qui s'est tenue en 1920. On parle plus communément des frontières reliées aux accords de Sykes-Picot, qui datent de 1916.
Pour le groupe État islamique et ses appuis ainsi que pour une mouvance politique très connue et mesurable dans les communautés arabo-sunnites irakiennes et syriennes, il y a de facto un État kurde. Un État alaouite est en train de se former, de même qu'un État chiite. Or ils se demandent où est leur État. En ce sens, le groupe État islamique a fait tomber les frontières bien après que d'autres pays l'ont fait, qu'ils s'agisse des milices du Hezbollah ou d'Asaib Ahl al Haq, ou encore de combattants sunnites venus du Liban, voire de l'Irak ou d'ailleurs.
Sur ce point, les frontières sont effectivement poreuses. Selon les utopies les plus dominantes, à savoir le panarabisme ou le panislamisme, ces frontières sont considérées comme ayant été dessinées par l'Occident. Donc, il n'y a pas un grand malheur que cela tombe. En ce sens, le groupe État islamique a répondu. Il faut voir comment il est formé. Il est d'abord constitué d'anciens officiers de l'armée de Sadam Hussein. Il regroupe également des tribus et des clans de tendance Naqshbandiyya ou mystique ainsi que des héritiers d'Al-Qaïda, comme Abu Musab al-Zarqawi, et de tout ce djihadisme islamique dont la matrice est connue.
Comme vous le savez, dans les résolutions 2170 et 2178 des Nations unies, on nous demande de contrecarrer l'incitation au terrorisme en travaillant notamment avec des institutions culturelles, religieuses ou d'enseignement.
Selon vous, que peut faire le gouvernement du Canada pour appuyer cet effort?
Il pourrait certainement faire de l'initiation à la citoyenneté et à la démocratie. Il y a parfois une plaie ouverte au sein des communautés de la diaspora en général et, surtout, dans le cas qui nous intéresse, dans les communautés musulmanes. Compte tenu de leurs origines ou de leur conception de la politique, elles n'arrivent pas à croire qu'elles ont un statut de citoyens égaux et libres. Sur ce point, il y a toujours une approche qu'on qualifierait en anglais d'apologetic. Ces gens sont toujours sur la défensive et n'acceptent pas facilement l'auto-critique.
Sur ce point, on peut dire que les valeurs canadiennes, celles du libéralisme en général ainsi que celles de la démocratie, en tant que fruit de la modernité, font en sorte que les priorités ne sont pas les mêmes que dans les cultures traditionnelles, surtout celles à dominance religieuse. À ce sujet, j'aimerais soulever les points suivants, qui sont importants. Le primat de la liberté individuelle n'est pas nécessairement acquis. En effet, cela peut être considéré comme une liberté communautaire, mais il peut également s'avérer que, selon la culture politique, la libération soit davantage un primat que la liberté.
Par ailleurs, l'État canadien est à vrai dire areligieux. Même si sa Constitution inclut une citation sur l'existence de la divinité, les autres volets font qu'au Canada, on a le droit de croire ou de ne pas croire, de faire la promotion de sa croyance ou de faire celle de sa non-croyance.
Cela inclut la critique du sacré, des textes et des institutions religieuses. En termes de priorités, il y a une différence importante à l'égard de la critique du sacré. Parfois, on ne sait pas quels aspects du sacré les pratiquants en général et les croyants, surtout les musulmans, considèrent non critiquables et lesquels peuvent selon eux être critiqués ou soumis à un débat.
[Traduction]
Merci, monsieur le président.
Je veux aussi remercier les témoins qui participent à notre réunion d'aujourd'hui.
Compte tenu des récentes actualités et de ce que vous nous avez dit, monsieur Mansur, notre objectif devrait être d'isoler et d'endiguer la menace. Doit-on le faire également ici même au Canada? Nous en avons discuté au sein du comité. À votre avis, y a-t-il des mosquées ou des établissements d'enseignement au Canada qui servent à la radicalisation?
Oui, tout à fait. Partout au Canada, en Amérique du Nord et en Europe, un grand nombre de mosquées servent essentiellement d'incubateurs à l'islam politique. D'une certaine façon, elles appuient les valeurs défendues par l'EIIL.
Certainement.
J'irais même un peu plus loin. Si l'on pense qu'il peut y avoir au Canada un millier de mosquées où les imams prient chaque vendredi pour la défaite des non-musulmans au main des musulmans, pendant que nous, contribuables, finançons ces organisations de bienfaisance, et que des députés n'hésitent pas à accepter les invitations de ces imams, on peut se dire qu'après 14 ans, il serait grand temps qu'on se réveille. C'est ainsi jour après jour.
Le matin du jour où des juifs ont été assassinés à Paris, un imam de Toronto parlait de la suprématie de l'islam sur toutes les autres religions au Canada et affirmait, en anglais, pour que tous le comprennent bien, que c'était pour cette raison que nous, les incroyants, détestions les islamiques.
L'Association musulmane du Canada a récemment été dénoncée dans une série de reportages publiés dans la presse québécoise. Propriétaire de tout un réseau de biens immobiliers, l'association est directement liée à l'idéologie des Frères musulmans de Hassan al-Banna comme on peut le lire sur son site Web. Nous sommes nombreux parmi les musulmans à être stupéfaits de la réaction des autres Canadiens qui continuent simplement à marcher sur ce terrain miné sans savoir ce qui se passe vraiment. Nous sommes tous au courant, même si certains font comme s'ils ne savaient rien. Il n'y a pas un seul musulman qui ne soit pas au fait de ce qui arrive, non seulement dans les mosquées, mais aussi dans tous nos établissements d'enseignement, des écoles secondaires en milieu urbain jusqu'aux universités. Tous les bureaux de la MSA, la Muslim Students Association, sont aussi des bureaux des Frères musulmans au Canada.
Alors, si je vous disais que vous devriez présenter vos excuses pour avoir laissé entendre qu'il y avait de la radicalisation au Canada, que répondriez-vous?
D'accord, merci.
J'aimerais parler brièvement de la notion d'endiguement de la menace à l'échelle internationale. On a utilisé ce matin même des termes comme « expression radicale de l'islam » et « barbare » pour faire référence à l'EIIL mais le professeur nous a aussi indiqué que bien des gens de la région estiment que l'EIIL défend une cause juste. En considérant un sondage mené dans ces pays qui témoignait d'un soutien important pour les principes mis de l'avant par l'EIIL, mais pas nécessairement pour ses actions à proprement parler, en plus de l'appui souvent obtenu des gouvernements, on peut s'interroger sur les solutions qui s'offrent à nous. Vous avez parlé d'isolement et d'endiguement, une stratégie qui n'a été efficace qu'au bout de plusieurs décennies dans l'exemple que vous nous avez donné.
En commençant par M. Mansur, j'aimerais savoir si vous avez des suggestions.
Je suis heureux que vous repreniez l'idée de l'endiguement. Le monde arabo-musulman, avec en son coeur la région où l'EIIL s'active, vit actuellement un profond bouleversement. Il y a tout un enchevêtrement de clivages et d'interrelations qui entrent en jeu. Une guerre sectaire entre les tribus fait rage. Les États sont en déroute. Nous sommes témoins de cette dégradation. Il suffit de consulter l'index des pays défaillants pour constater que les États musulmans de la région s'accaparent essentiellement des 20 premiers rangs.
Qu'est-ce que cela signifie? En l'absence de pouvoir central pour préserver l'intégrité de ces États, c'est l'anarchie qui règne.
L'idéologie de l'EIIL, son message politique, se dissimule derrière des couleurs religieuses ou un discours religieux, ce que les occidentaux arrivent difficilement à comprendre. Il suffit toutefois d'étudier l'islam, son histoire et sa politique, comme nous-mêmes le faisons, pour constater bien clairement que l'idéologie de l'EIIL le ramène au Moyen-Âge et même plus loin encore, jusqu'aux toutes premières générations d'Islamiques, avec les salaf, les ancêtres de l'islam. Ces gens-là s'emploient à ramener le monde à l'époque où ces idées prévalaient. Mais ces idées ne sont pas seulement celles de l'EIIL.
J'aimerais que vous nous parliez tout de suite de vos solutions, car le président va m'enlever la parole d'ici quelques minutes. Désolé de vous interrompre, mais les solutions, à votre point de vue...
Du côté des solutions, la notion d'endiguement part du principe qu'il nous est impossible de changer le cours de cette guerre qu'on se livre au sein du monde arabo-musulman. C'est à eux qu'il revient de tirer ces choses-là au clair. C'est leur problème. Quelle forme prenait l'endiguement en 1947-1948 lors du blocus de Berlin? Nous ne pouvions pas nous rendre en Europe de l'Est pour faire changer les choses, mais nous devions prendre des mesures de confinement pour éviter toute contamination. Il y a toute une série d'actions qui peuvent être entreprises en ce sens et que nous devons envisager. Ce n'est pas en nous ingérant dans le conflit que nous pouvons instaurer la démocratie, la laïcité et le libéralisme. Ce sont les musulmans qui doivent eux-mêmes régler leurs différends.
C'est un problème intergénérationnel. Nous devons regarder la réalité en face et reconnaître que nous ne pouvons rien y faire. Il nous faut considérer les options qui s'offrent à nous, et celle de l'endiguement nous permet de nous mettre à l'abri de cette partie du monde.
Je proposerais des mesures très concrètes. Comme je l'ai indiqué, nous devons interrompre l'immigration en provenance des États défaillants, et je veux dire par là des pays existants comme l'Arabie saoudite, l'Iran, le Pakistan et la Somalie. Nous devons cibler toutes les institutions religieuses dont les adeptes, vêtus de costumes médiévaux, s'attaquent à des non-musulmans sous le couvert de la religion. Nous devons leur enlever leur statut d'organismes de bienfaisance pour qu'ils comprennent bien le message. Nous savons quelles mesures ont été efficaces en France, et lesquelles n'ont pas produit de bons résultats au Royaume-Uni.
Si nous ne suivons pas l'exemple de la France, nous aurons un grave problème sur les bras avec notre élite musulmane soutenant qu'elle est victime de discrimination et blâmant les États-Unis, Israël et les Juifs pour tous ses problèmes.
Merci. C'est tout le temps que vous aviez. Vous pourrez y revenir lors d'un prochain tour.
Monsieur Scarpaleggia, vous avez sept minutes.
Merci, monsieur le président.
Il y a certes amplement matière à réflexion. J'aimerais retourner un peu en arrière. Je m'efforce de bien comprendre tout ce que nos témoins ont à nous dire.
Vous prônez une stratégie fondée sur l'endiguement, plutôt que sur l'intervention. Si on remonte à quelques années en arrière, que pensez-vous de la guerre menée par le président Bush en Irak? Comment cette initiative s'inscrit-elle dans le cadre analytique que vous nous présentez aujourd'hui? Était-ce une bonne chose, une mauvaise chose...?
Si vous parlez des événements de 2003, je dirais que c'était une chose nécessaire. Il fallait absolument se débarrasser de Saddam Hussein et changer le régime, comme c'était le cas aussi en Afghanistan, et on l'a fait en croyant fermement qu'une fois libéré de ce dictateur, de ce tyran, le peuple suffocant de l'Irak allait pouvoir respirer de nouveau et aller de l'avant, avec le soutien des démocraties occidentales.
Dans une certaine mesure, c'est ce qu'ils ont fait, mais ce qu'on n'avait pas prévu, à la différence des expériences précédentes de changement de régime dans le monde, et il y en a un certain nombre... Je viens d'un pays où il y a eu un tel changement. Si le régime n'avait pas changé, le génocide aurait continué. C'était pendant la guerre qui a opposé l'Inde et le Pakistan en 1971. Les forces militaires indiennes ont...
M. Francis Scarpaleggia: C'est bien.
M. Salim Mansur: En fait, on n'avait pas prévu la façon dont le monde arabe allait réagir, pas plus que la réaction du reste de la planète.
Je voulais juste savoir en quoi votre penchant pour la non-ingérence influe sur la manière dont vous pouvez voir la situation.
Sur ce point, je ne suis pas d'accord avec mon collègue. Je pense que l'intervention de 2003 a été une véritable catastrophe. Elle a sapé l'autorité morale de ceux parmi nous qui doivent prendre la parole. C'est une erreur qui nous coûte extrêmement cher.
M. Francis Scarpaleggia. D'accord. Je préfère en rester là à ce sujet...
M. Tarek Fatah: Je voulais simplement que mon désaccord soit bien noté.
... mais je vous remercie pour ce commentaire éclairant.
Je m'intéresse beaucoup au phénomène de la radicalisation au Canada. Nous savons, par exemple, que la GRC travaille auprès des imams. Elle collabore avec les mosquées pour essayer de détecter les individus qui risquent d'emprunter le sentier de la radicalisation. Nous avons vu des imams repousser pour ainsi dire certains individus qui avaient des idées très radicales et qui n'étaient plus nécessairement aptes à réfléchir adéquatement. Croyez-vous que la GRC en fait suffisamment dans le cadre de ces programmes de liaison avec les mosquées?
Je lisais aussi l'autre jour qu'il y a des détenus radicalisés dans les prisons et que l'on devrait peut-être intensifier les efforts déployés pour leur déradicalisation. C'est un élément à considérer. J'aimerais aussi beaucoup savoir comment vous expliquez qu'un jeune n'ayant aucune racine musulmane, aucun antécédent, puisse se convertir en étant contaminé par quelque chose qu'il voit sur Internet. À votre avis, comment cela est-il possible? C'est ce que nous essayons tous de comprendre, car c'est ce qui semble préoccuper les Canadiens à bien des égards.
J'aimerais donc savoir ce que vous pensez tous les deux de ces aspects de la radicalisation et des mesures que pourrait prendre le gouvernement pour contrer ce phénomène au Canada.
Très brièvement, en ce qui concerne la question de la GRC et des services de police de partout au Canada, à mon avis, le programme de sensibilisation du public est très discutable et problématique. Ce programme a tendu la main aux groupes qui transportent justement le virus de l'Islamisme et qui prêchent l'idéologie islamiste. Je parle de la sensibilisation publique auprès des imams des mosquées, des diverses organisations islamistes, des associations étudiantes comme la Muslim Association of Canada, de l'ISNA, etc.
Dans notre pays, les institutions publiques invitent ces gens à nous éduquer, en tant que Canadiens, sur la façon dont nous devrions agir avec les religions minoritaires, avec les différences entre les sexes, etc. Je crois que c'est une leçon à retenir.
Je vous dirais que c'est l'une des erreurs les plus graves commises par l'administration actuelle, car on autorise ce qu'on appelle la « déradicalisation », mais il s'agit plutôt de radicalisation. Il y a eu un incident dans lequel une personne qui travaille très étroitement avec la GRC a décidé de se rendre au Qatar, de rencontrer les dirigeants des talibans et de revenir ensuite au pays pour se prendre en photo en faisant le salut à un doigt, avec entre autres la mère du jihad décédé qui s'était converti à l'Islam et qui est mort en Syrie.
Tant qu'on ne changera pas cette image très raciste et stéréotypée des musulmans, vous ne rencontrerez jamais d'architectes, de comédiens, d'ingénieurs ou même de danseurs musulmans. Vous ne saurez même pas à quoi ressemblent 90 % des musulmans. Les seules personnes avec lesquelles entrent en contact tous les partis politiques sont celles qui « ressemblent » aux musulmans, qui s'habillent d'une certaine façon, qui sont obsédés par la barbe ou par l'obligation de cacher les cheveux, et qui s'habillent comme s'ils vivaient en Arabie saoudite. Des gens comme Salim ou moi-même ne sont tout simplement pas assez laids pour être considérés comme étant des musulmans authentiques. On ne nous approche donc jamais. En 14 ans, la GRC n'a parlé à aucun de nous, même si je suis chroniqueur. Il est écrivain, et je le suis également. Non, les seuls musulmans auxquels s'adressent la GRC et le SCRS sont ceux qui leur mentent effrontément, qui leur parlent des 30 soirs du ramadan et qui se montrent convaincants. On se joue de nous.
Merci beaucoup.
C'est tout le temps que nous avions pour la première série de questions. Nous allons suspendre la séance pendant une ou deux minutes.
Monsieur Aoun, je vous remercie de comparaître aujourd'hui.
Nous allons suspendre la séance afin de préparer la prochaine téléconférence.
J'aimerais souhaiter la bienvenue à Ayad Jamal Aldin, ancien représentant du Parlement iraquien et également universitaire, qui se joint à nous de Falls Church, en Virginie. Nous sommes heureux que vous puissiez comparaître.
Nous allons entendre votre exposé. La réunion est commencée depuis environ une heure et nous allons maintenant entamer la deuxième heure. Nous avons quelques autres invités dans la pièce. Je vais donc vous donner la parole pour que vous puissiez livrer votre exposé, et nous poursuivrons ensuite avec la deuxième série de questions pendant la prochaine heure.
Vous avez la parole, monsieur.
M. Ayad Aldin (Ancien représentant du Parlement iraquien, à titre personnel): (Traduction de l'interprétation)
Bonjour. Je vous remercie de m'avoir invité à comparaître au Parlement canadien. En fait, le monde d'aujourd'hui est très occupé avec la lutte contre le terrorisme, et il est évident que de nombreux pays contribuent à cette lutte, particulièrement en Irak et en Syrie.
Cette lutte se concentre actuellement sur un groupe de terroristes, c'est-à-dire l'EIIL ou ISIS. Il semble que personne ne confronte les autres groupes terroristes en Irak et en Syrie. À mon avis, le problème, c'est que nous menons une guerre contre un groupe armé, mais à moins que nous prenions tous l'initiative de créer une définition du terrorisme — une définition juridique, précise et claire —, ce n'est pas suffisant. Le terrorisme ne se limite pas à ces groupes armés hors la loi; c'est également une idéologie et une doctrine. Il est évident que les États-Unis, ainsi que de nombreux autres pays — environ 60 pays — bombardent l'EIIL, mais des milliers de mosquées et des médias comme la télévision, la radio, les journaux et les sites Web continuent de produire des terroristes. Qu'est-ce qui pourrait pousser une personne — un jeune homme qui vit confortablement aux États-Unis, au Canada, en Europe ou n'importe où ailleurs — à aller se battre en Irak ou en Syrie? Qu'est-ce qui pourrait pousser un jeune homme à mener une opération-suicide en Irak? Qu'est-ce qui pourrait pousser un jeune Français à mener une opération-suicide en Irak ou en Syrie? Les motifs sont religieux, culturels et intellectuels. C'est pour cette raison que j'affirme que la culture terroriste et la jurisprudence et la doctrine du terrorisme sont responsables de la production de terroristes qui se battent ici ou là-bas. Tant que nous ne confronterons pas l'idéologie terroriste, nous ne réussirons pas à arrêter la vague de terrorisme qui s'abat sur notre monde.
Des pays producteurs de pétrole créent également le terrorisme par l'entremise de leurs mosquées, de leurs institutions, de leurs universités et de leurs médias. La culture sociale favorise également le terrorisme dans ces pays. Ces pays producteurs de terrorisme sont protégés par les États-Unis et leurs alliés. Il y a donc quelque chose qui cloche. Pourquoi les États-Unis et leurs alliés attaquent-ils l'EIIL, mais protègent les producteurs de membres de l'EIIL? Pourquoi se concentrent-ils sur l'EIIL, mais délaissent le groupe Jebhat al-Nusra ou le Front el-Nusra, le frère jumeau de l'EIIL? Pourquoi attaquer l'EIIL mais non les talibans en Afghanistan et Boko Haram? Il y a de nombreux noms pour le terrorisme islamique. À moins que nous puissions préciser et définir le terrorisme... L'Islam n'est pas terroriste au complet, mais il y a des souches cancéreuses en Islam qu'il faut cibler afin d'arrêter la production du terrorisme à sa source. Enfin, il ne suffit pas d'attaquer ces terroristes armés. Nous devons également définir le terrorisme, créer une définition juridique, et nous concentrer sur le terrorisme intellectuel, culturel et religieux, afin de le déraciner.
Merci beaucoup.
Nous vous remercions de votre exposé.
Nous allons maintenant passer à la deuxième série de questions. La parole est à M. Hawn, et ensuite à M. Dewar.
Merci beaucoup, monsieur le président.
J'aimerais remercier tous les témoins d'être ici aujourd'hui. Shukran.
Je m'adresserai d'abord à Monsieur Fatah, et ensuite à M. Mansur. Tous les Russes, les Allemands, les Japonais et les Chinois — ou du moins la majorité d'entre eux — sont des gens pacifiques et respectueux de la loi, mais cela n'a pas empêché ces régimes de tuer, collectivement, des centaines de millions de personnes au cours de l'histoire. La grande majorité des musulmans sont des gens pacifiques et respectueux de la loi. Certaines personnes affirment que seulement 10 % d'entre eux constituent la minorité violente. Évidemment, cela représente environ 160 millions de personnes, et c'est donc un nombre assez important.
Récemment, j'ai discuté avec une femme appelée Karima Bennoune. Je ne sais pas si vous la connaissez. Elle est algérienne. Elle a grandi en Algérie. Son père et les membres de sa famille étaient des activistes qui luttaient contre le fondamentalisme. Ils en ont payé le prix. Elle est maintenant professeure de droit à l'Université de Californie. Le point qu'elle faisait valoir — tout comme le point que je fais valoir aux musulmans que je connais —, c'est qu'à moins que la majorité des musulmans pacifiques commencent à s'opposer à la minorité violente, nous sommes tous perdus, y compris eux-mêmes. Elle a écrit un livre intitulé Your Fatwa Does Not Apply Here, et je suis en train de le lire. Il raconte l'histoire d'environ 300 personnes, surtout des femmes, qui sont aux premières lignes dans ces collectivités musulmanes, partout dans cette région du monde, et qui luttent activement contre tout cela.
Que pouvons-nous faire pour encourager ces personnes, et non seulement Karima Bennoune, mais les personnes dont elle parle, à participer à la lutte qui se livre au sein de cette communauté? Car si elles ne le font pas au sein de cette communauté, on n'y arrivera pas.
Permettez-moi de vous donner mes impressions sur la mosaïque musulmane canadienne. Nos meilleures estimations, en ce qui concerne les opinions de chacun, viennent du sondage mené juste après le procès des membres du groupe terroriste baptisé « Les 18 de Toronto », et auquel 12 % des musulmans canadiens ont répondu que l'attaque terroriste planifiée par ce groupe était justifiée.
Au sein de la communauté musulmane, il y a très peu d'universitaires ou d'hommes religieux comme notre merveilleux représentant du gouvernement irakien. C'est un plaisir de l'entendre. J'aimerais qu'il y ait davantage de gens comme lui. Il y a très peu de gens qui luttent pour obtenir la séparation de la religion et de l'État.
Il n'y a pratiquement aucun dirigeant musulman qui peut prendre la parole et affirmer que le djihad armé est catastrophique pour les musulmans — et on ne parle pas des non-musulmans. Notre problème découle de l'incapacité de l'intelligentsia occidentale de nous traiter comme des êtres humains normaux.
Je vais vous donner un exemple. Il y a deux semaines, le New York Times a publié une annonce d'une page complète par 23 musulmans de partout dans le monde, y compris d'anciens députés du Parlement, M. Zuhdi Jasser, un capitaine de corvette à la retraite et Naser Khader, un député danois, qui déclaraient tous que la notion de l'État islamique est redondante et qu'elle représente un défi pour la modernité, et que si nous ne luttons pas contre cela, nous sommes perdus. Aucun média n'a voulu parler à un seul des Américains qui l'ont signée.
Par conséquent, aucun de ces 23 signataires n'a été invité par la Maison-Blanche au sommet de la Maison-Blanche sur l'extrémisme violent qui se déroule le 18 février. Il y a deux raisons. D'abord, l'absence totale, au sein du monde musulman, de musulmans laïques, libéraux et non religieux qui sont partenaires avec des musulmans conservateurs orthodoxes, qui servent de repères moraux plutôt que de force politique. De l'autre côté, ceux qui, selon ce que vous dites, souhaitent appuyer... rejettent complètement tous ceux qui ressemblent à ma fille, journaliste à CBC TV, ou à ma femme ou à mes soeurs, ou à mes huit nièces, car aucune d'entre elles ne ressemble aux musulmans. Si vous ne pouvez pas déterminer cette bifurcation raciste de la communauté musulmane entre les personnes pieuses et les personnes non pieuses, entre les vrais musulmans et ceux qui ressemblent au professeur et à moi-même, ou l'imam de l'Irak, comme les hérétiques... Si vous ne le faites pas, nous serons bientôt victimes d'une catastrophe.
Je vais terminer avec un dernier point. Veuillez ne pas rejeter l'idée que des musulmans éduqués croient que nous vivons une transition, que le monde doit prendre fin avant que la vie puisse commencer. La plupart des gens à qui je parle me rejettent pour cela, mais c'est vrai dans chaque foyer, par l'enfant qui va à la madrasa et à qui on enseigne cela. Vous devrez être du côté de ceux qui demandent la « séparation de la religion et de l'État » et « l'égalité des femmes » et qui affirment que si les femmes sont reléguées à l'arrière, ils n'iront pas dans cette mosquée. Le jour où vous ferez cela, nous gagnerons.
Merci, monsieur le président.
J'aimerais également remercier nos témoins.
J'ai d'abord une question pour notre nouveau témoin, M. Jamal Aldin, ancien représentant du parlement irakien. Avec la montée du Daech, certaines personnes en Irak ont eu des doléances, et même si les gens de Mosul et d'ailleurs n'appuyaient peut-être pas entièrement le Daech, ils sympathisaient certainement. Des personnes pourraient affirmer que c'était le résultat de l'aliénation de certains sunnites et que c'était également attribuable à un problème de gouvernance et d'inclusion. C'est certainement le point de vue de notre gouvernement, et je partage l'avis selon lequel il devrait y avoir une plus grande inclusion.
J'étais en Irak en 2006 et j'ai participé à un forum sur le fédéralisme — il était un peu controversé à l'époque —, et on parlait d'accroître l'inclusion. On parlait entre autres du pluralisme, et je crois qu'on devrait en parler davantage. Comme l'un de nos témoins l'a dit, cela ne peut pas venir de nous, mais cela doit manifestement venir des habitants de ce pays.
De quelles façons le Canada peut-il aider à appuyer la gouvernance et le renforcement de ce qui, à mon avis, est une bonne idée, c'est-à-dire le pluralisme et la représentation équitable? Il me semble qu'en ce moment, le Daech profite de l'aliénation qui se pratique là-bas. Comment le Canada peut-il aider la gouvernance et le renforcement de la capacité en Irak?
M. Ayad Aldin [Traduction de l'interprétation]:
Merci. Pour répondre à vos questions, je dirais d'abord que l'opinion publique, la culture et l'infrastructure juridique du Canada ne sont pas faciles à reproduire en Irak, en Syrie ou dans d'autres endroits, car il existe des différences culturelles que nous devons comprendre et reconnaître. J'étais un défenseur de la démocratie et du libéralisme et de la transition pacifique de l'autorité. Toutefois, l'échec de la démocratie dans nos pays est apparu au fil du temps. Il existe une structure religieuse, culturelle et intellectuelle qui refuse la démocratie, et la montée du terrorisme dans nos régions est attribuable à la faiblesse de l'État central dictateur. Pour être honnête, nous avons peut-être nos différences. Après toutes les expériences que j'ai vues en Irak, en Syrie, en Libye, au Mali, au Nigeria et en Afghanistan, j'ai abandonné ce qu'on appelle la démocratie. La démocratie ne convient pas à ces peuples. Ce qui leur convient, c'est le modèle dictatorial et militaire qui suit les règles dans le style allemand, c'est-à-dire Atatürk. Atatürk est le seul modèle qui a réussi à transformer une société de l'Orient ou du Moyen-Orient, la Turquie, en société presque occidentale. L'expérience du modèle Atatürk, c'est-à-dire une dictature laïque et militaire, est la seule qui a fonctionné.
Si nous tentons de mettre en oeuvre quelque chose comme le système canadien de démocratie et des droits de la personne... Les droits de la personne sont pour ceux qui les respectent. Comment allez-vous offrir la liberté à des gens qui ne respectent pas les droits de la personne, et qui veulent vous tuer? Veuillez m'écouter jusqu'au bout.
Au Moyen-Orient, l'EIIL n'a rien fait qui n'est pas conforme à la jurisprudence islamique. Lorsque les membres de l'EIIL ont tué des gens et vendu leurs femmes, ce n'était pas quelque chose de nouveau. Les jurisprudences sunnite et chiite s'entendent sur le fait que les Yazidis n'ont pas le droit de vivre. Soit ils adhèrent à l'Islam, soit ils meurent. Les jurisprudences sunnite et chiite croient que les athées n'ont pas le droit de vivre. Soit ils adhèrent à l'Islam, soit ils meurent. Dans les jurisprudences sunnite et chiite, un musulman qui quitte l'Islam devrait être tué. Tous les musulmans accueillent un chrétien qui se convertit à l'Islam, mais le contraire mériterait la mort.
Il y a donc une structure culturelle et une structure intellectuelle, et la jurisprudence islamique contient toutes ces structures. Vous n'avez jamais entendu un musulman dire qu'il n'est pas légitime de tuer un Yazidi, et même l'institution islamique al-Azhar ne l'a jamais dit, même s'il s'agit en fait d'une institution modérée, ce que je respecte. Ils disent tous que les Yazidis qui vivent en Irak devraient soit adhérer à l'Islam, soit être tués. Vous savez comment les jurisprudences sunnite ou chiite divisent les êtres humains entre les musulmans, qui ont le droit de vivre, les chrétiens ou les juifs, qui ont le droit de vivre, mais qui seront traités comme des citoyens de deuxième classe, et les autres, qui n'ont pas le droit de vivre. Cela s'applique aux Chinois et aux autres peuples qui sont considérés comme étant athées.
Merci, messieurs, de comparaître devant le comité aujourd'hui.
En ce qui concerne la notion du confinement, tout le monde est manifestement au courant de la situation en Ukraine relativement à la Russie, et tout le monde sait comment les pays européens se sont réunis, et comment les pays de l'Amérique du Nord se sont réunis pour imposer des sanctions. Évidemment, les sanctions ont un effet limité lorsqu'un pays comme la Turquie n'en tient pas compte et approvisionne la Russie. Il n'y a aucun contrôle sur les sanctions si vous vous dissociez de vos partenaires et de vos pays partenaires.
Monsieur Fatah, au cours de votre exposé, vous avez mentionné expressément que la Turquie devrait être expulsée de l'OTAN. Cela a-t-il quelque chose à voir avec la raison pour laquelle la France et d'autres pays européens n'étaient pas favorables à l'idée d'inclure la Turquie dans l'Union européenne? Est-ce lié à cela? Et pourquoi diriez-vous cela au sujet de la Turquie? Avez-vous des détails que nous devrions tous connaître sur la façon dont ce pays appuie les terroristes?
La Turquie est devenue membre de l'OTAN quand l'organisation a eu besoin de troupes pour la Corée. Après la Deuxième Guerre mondiale, son armée était intacte, parce que le pays était resté neutre. On avait besoin de la Turquie comme avant-poste sur le flanc sud de l'Union soviétique.
Aujourd'hui, la Turquie est le principal soutien de l'islamisme: elle le finance, elle lui accorde un refuge et elle traite sur son territoire les combattants blessés de l'EIIS. Elle est de plus le principal appui des Frères musulmans en Égypte et, avec l'Arabie saoudite et le Qatar, elle est le principal adversaire de ce que nous appelons la civilisation occidentale, dans la mesure où, actuellement, elle prétend que Colomb n'a jamais découvert l'Amérique: un Turc l'y a précédé.
Sans tenir compte de cela, la Turquie s'est rendue coupable du génocide des Arméniens. Ses mains sont tachées de leur sang. Elle a massacré des Kurdes avec une désinvolture qui devrait faire honte à l'Occident, qui a fait semblant de ne rien voir. Le Kurdistan a été occupé par la Turquie pendant des décennies. Le seul peuple qui ait combattu l'EIIS, c'est les Kurdes.
La semaine dernière, à une conférence tenue à Londres, la Turquie était présente, tandis que les Kurdes en étaient exclus. Aujourd'hui, le Canada considère même le PKK comme une organisation terroriste. Alors les appuis du terrorisme sont nos alliés, et les combattants contre le terrorisme sont classés, par nos fonctionnaires et bureaucrates, parmi nos ennemis.
L'unique solution consiste à exclure la Turquie du petit cercle fermé de l'OTAN qui est la cible de l'ennemi. Nous ne pouvons pas le faire en imposant des sanctions à la Russie, mais en oubliant l'Arabie saoudite et la Turquie. Vos sanctions doivent frapper d'abord l'Arabie saoudite, puis la Turquie. Ensuite on pourra au moins discuter avec les Russes, plutôt que d'avoir la guerre.
Tant que vous ne tiendrez pas tête à l'Arabie saoudite et à la monstruosité moyenâgeuse des mauvais traitements qu'elle inflige aux femmes, aux homosexuels et aux noirs, une espèce d'apartheid dans lequel les noirs gagnent le dixième du salaire des Américains blancs... Cela n'existe qu'en Arabie saoudite, avec notre complicité.
Ne pensez-vous pas que si vous élaboriez une stratégie pour interdire les groupes terroristes — et supposez que l'OTAN y participait et adoptait cette stratégie pour l'élaborer, parce qu'elle est constituée de pays européens et nord-américains —, ne serait-il pas mieux qu'un pays comme la Turquie y soit représenté? Ce pays n'aurait-il pas la crédibilité voulue pour participer à l'élaboration d'une stratégie? N'y participerait-elle pas?
Je dirais que non.
Je connais la Turquie. J'étudie son histoire et je peux vous dire qu'il existe deux Turquie, mais le professeur Mansur est mieux qualifié que moi pour vous éclairer.
Nous pouvons débattre de cette question sur la Turquie. C'est un pays divisé, et, bien que le régime actuel de M. Erdogan tende dans la direction que M. Fatah a décrite — et je suis d'accord avec lui — je pense que nous ne devrions pas oublier la grande importance numérique des forces kémalistes laïques et qu'il s'y déroule une lutte intestine.
Nous devrions revenir à la question générale, déterminer quels sont les peuples qui partagent nos valeurs et cibler notre appui à ces peuples.
Si, monsieur le président, vous me donniez quelques minutes ou une minute de plus...
Il nous faudra revenir à ce sujet, et peut-être que Mme Brown s'en chargera-t-elle.
Nous entreprenons la troisième série de questions.
Madame Brown, vous avez la parole.
Merci, monsieur le président. Votre chronométrage est rigoureux.
Messieurs Fatah et Mansur, vous avez tous deux parlé de la radicalisation qui a lieu dans les mosquées du pays.
Pouvez-vous m'éclairer un peu? Dans une mosquée locale, je connais une famille qui, pour des raisons financières, n'a jamais pu s'offrir le grand pèlerinage à La Mecque, le hadjdj. Qui financerait le voyage et comment ces gens seraient-ils choisis pour y aller? Il y avait là une famille de huit personnes. Comment seraient-elles choisies?
L'Islam n'exige pas qu'elles fassent ce pèlerinage.
C'est très simple. Si on n'en a pas les moyens, on ne le fait pas.
L'argent vient d'Arabie saoudite. Une partie est destinée aux billets, une autre aux frais d'administration. Les sacs qu'on transporte représentent le règlement de ces frais d'administration et le blanchissage de l'argent qui ont lieu tous les vendredis. Le bilan de l'opération: 67 000 $ chaque fois. C'est le montant d'argent blanchi dans une mosquée.
L'envoi de ces pèlerins vous impressionne. Quelqu'un vous a-t-il dit que l'Islam n'exige pas ce pèlerinage d'une personne qui est endettée d'un seul sou?
Oui.
L'argent des fidèles ou de l'extérieur est acheminé vers diverses activités communautaires qui servent de vitrines aux programmes d'assistance sociale au sens large. Derrière cette activité se cache l'idéologie prêchée du haut du minbar ou imprégnant la personne morale de l'institution, que ce soit la mosquée ou l'école qui lui est affiliée. Voilà l'idéologie dont nous parlons. Ce témoin, ici, est un imam. Il est vêtu en imam, ce qui donne une idée du problème que nous affrontons, c'est-à-dire que notre pays, l'Occident, ne comprend pas la jurisprudence de l'Islam, qu'elle soit chiite ou sunnite. Cette jurisprudence est une création humaine; ce n'est pas le Coran. Le Coran doit être interprété. La jurisprudence de l'Islam nous ramène au XIIe, au XIe ou au Xe siècle. C'était un monde tout à fait différent. Pour comprendre les talibans, l'EIIL ou même les Iraniens, il faut revenir au XIIe ou au XIIIe siècle.
Nous propageons la mentalité du XIIe et du XIIIe siècle ici-même, dans une communauté. Nous sommes une société postmoderne du XXIe siècle. La réalité culturelle dans le monde arabo-musulman est schizophrène.
Pouvez-vous m'accorder une autre minute, monsieur le président?
La question de monsieur... Je dois vous rappeler qu'il y a deux membres à toute équation. Nous sommes obnubilés par l'EIIL, l'Islam, la radicalisation, et ainsi de suite. Nous avons oublié le membre de l'équation qui représente l'Occident. Nous avons perdu la confiance et les valeurs de l'Occident. Quelle est notre valeur? Pour quelle cause avons-nous combattu, pour la défendre? Cet intervenant, ici, a posé la question de l'endiguement et sur ce qui se passe dans le monde musulman. Nous n'y comprenons rien, parce que nous avons oublié notre propre histoire.
Cette année, nous célébrons le 800e anniversaire de la Grande Charte. Dans deux ans, nous célébrerons un 150e anniversaire, mais ce sera aussi le 500e anniversaire de l'affichage des 95 thèses de Martin Luther sur la porte de l'église de Wittenberg. Notre démocratie, nos valeurs laïques, notre libéralisme n'ont pas évolué du jour au lendemain. Ils découlent d'une longue lutte souvent sanglante, souvent ponctuée de révolutions, de guillotinages et de décapitations. Nous assistons en temps virtuel, en temps réel, au déroulement de notre histoire. C'est là que nous parlons d'endiguement. Nous ne pouvons pas aller au Pakistan ni en Arabie saoudite ni en Iran pour leur dire comment... À eux de le découvrir.
Je suis né en Inde. La partition a été précédée de 200 ans de domination britannique. Mon ami aussi se considère lui-même comme Indien, bien que je sois né en Inde. C'est la démocratie la plus populeuse du monde, l'aboutissement d'un long processus historique. La Grande-Bretagne a appuyé l'Inde pendant 200 ans. Avons-nous le courage d'appuyer les musulmans et musulmanes qui combattent pour des valeurs que nous comprenons?
Très rapidement, enfin, sur les appuis à accorder. Nous devons les cibler. Par exemple, nous distribuons des centaines de millions de dollars à des pays comme le Bangladesh par l'entremise d'Affaires étrangères et Développement international. Pourriez-vous rendre ce don conditionnel? Que pas un seul dollar n'aille à ce pays tant qu'on n'y respectera pas le droit à la liberté d'expression et les droits des femmes?
Une femme, Taslima Nasrin, fuit de pays en pays, traquée sans répit par les islamistes parce qu'elle a écrit un livre. Salman Rushdie a eu la chance de se trouver en Angleterre, d'être protégé. Nous pouvons faire cela, livrer un message. C'est le message historique que nous devons livrer.
Samedi, en regardant les nouvelles, j'ai entendu quelqu'un qui disait que la démocratie et l'islamisme suivaient deux voies parallèles qui ne se croiseront jamais. Je suppose qu'on voulait dire que les deux sont presque en opposition.
En fait, je dois vous interrompre tous les deux.
Nous essayerons d'y revenir à la faveur de prochaines interventions.
Monsieur Dewar, vous avez la parole pour cinq minutes.
Merci, monsieur le président.
On lance au hasard beaucoup d'affirmations absolues. Je tiens simplement à rappeler au comité que nous essayons de formuler pour le gouvernement des recommandations sur une ligne de conduite. Revenons à une question d'un collègue à un témoin précédent sur nos obligations découlant des résolutions 2170 et 2178 du Conseil de sécurité des Nations Unies, dont on ne parle pas souvent. C'est essentiellement sur le financement et sur notre rôle contre la radicalisation.
Des témoins nous conseillent de nous informer sur la provenance de l'argent qui arrive au Canada et sur sa destination à l'étranger et de nous assurer de bien faire notre travail. Parfait. Je suis moi-même un peu confus, cependant, parce que je comprends, monsieur Fatah, ce que vous dites sur la sélection que nous devons faire.
Simplement pour le compte rendu, vous le savez probablement, mais des membres de notre caucus sont musulmanes, et j'ai oublié comment vous l'avez dit, peu importe, elles ressemblent à vos filles et ainsi de suite. Évitons les stéréotypes outranciers, parce des gens sont... Nous vivons dans un milieu diversifié. Je comprends vos inquiétudes sur nos fréquentations, mais je tiens aussi à souligner que parmi nos députés il y a des médecins, des avocats, etc. et des musulmans. Moi-même, il se trouve que je suis catholique.
Ce ne devrait pas être le critère ultime, mais un élément dont nous devrions tenir compte pour nous aider à comprendre comment agir avec les membres de diverses communautés. C'est pourquoi je ne suis pas certain... Je désapprouve vos idées sur l'immigration et je n'en tiendrai pas compte. Les ventes d'armes de l'Arabie saoudite m'inquiètent, et ce n'est pas la première fois que je le dis.
Mais quand il s'agit de prendre concrètement ses responsabilités, ne croyez-vous pas qu'il faut parler aux communautés religieuses et aux mosquées, pour nouer des liens avec les groupes mêmes dont nous craignons la radicalisation? La GRC a dressé une liste. Nous le savons. Nous voulons aussi nous assurer qu'il n'y s'ajoutera pas de nouveaux noms. En fait, nous voulons plutôt la réduire à zéro. Mais, en fin de compte, comment nouer des rapports avec les gens dont nous craignons la radicalisation si, en fait, nous ne parlons pas aux dirigeants religieux?
Tout d'abord, les députés néo-démocrates musulmans partagent les mêmes opinions que moi. Ils sont députés d'abord, musulmans ensuite.
Nous avons seulement abouti ici. Je ne suis pas venu au Canada pour être musulman. J'ai quitté l'Arabie saoudite pour fuir les atrocités qui s'y commettaient. J'éprouve donc un profond respect pour non seulement la députée mais aussi le député, mon homonyme, de votre caucus, qui est aussi... Ils ont des antécédents français et nord-africains. Ils le savent mais ils ne sont pas désireux de nouer des liens avec nous, ou peut-être que votre caucus ne les y autorise pas. Les seules fréquentations des néo-démocrates sont — vous le savez et je le sais — les Maher Arar et les Monia Mazigh. J'ose dire que, pendant toute cette guerre, ils ont caché leur opinion sur les diverses organisations terroristes qui sévissent en Syrie.
Mais pour répondre à votre question, sur la façon d'établir des rapports avec communautés, je n'ai pas à me lier avec des nazis pour combattre Hitler. Je les combats et je les défais. Toute cette croyance en l'absence de vérité, ce credo postmoderniste selon lequel les points de vue de chacun se valent, ils ne seraient valides que si nos immigrants avouaient leurs serments et n'envoyaient pas les femmes à l'arrière des autobus ou ne décréteraient pas la mort des homosexuels.
Je peux vous assurer, et les membres de votre caucus peuvent le confirmer, que pas plus de 10 % des musulmans canadiens sont affiliés à une mosquée. Toronto, où vivent un demi-million de musulmans, compte 50 mosquées. Le Vendredi saint, le seul jour où rien n'empêche de les fréquenter, ils sont 450 000 à rester à la maison.
À la GRC...
Je comprends, mais il est faux qu'on ait donné à des membres de notre caucus des consignes. Ils sont libres de parler à qui ils veulent.
Eh bien, cela fait partie des libertés individuelles, mon ami.
M. Tarek Fatah: Je comprends.
M. Paul Dewar: Nous avons tous le droit de parler et de nous taire.
J'essaie que vous me disiez enfin comment établir des liens avec les membres d'une communauté. Vous semblez dire qu'il ne faut parler à personne...
M. Tarek Fatah: Non. Ce n'est pas ce que j'ai dit.
M. Paul Dewar:... et de se débarrasser, d'une façon ou d'une autre, des brebis galeuses. J'ignore ce que vous... Avez-vous une baguette magique?
M. Tarek Fatah: Je suis désolé. Ce n'est pas ce que j'ai dit.
Effectivement, je préconise de ne pas fréquenter les gens qui veulent ramener le Canada au XIIe siècle. Je vous conseille de...
Les gens que vous qualifiez tous les jours d'islamophobes, les musulmans, comme lui et moi, que vous insultez en les qualifiant de cinglés de droite, d'islamophobes, de néo-conservateurs,...
Vous m'avez posé une question qui cherchait à me provoquer. Je dois y répondre.
M. Paul Dewar: Je vous ai posé une question très directe.
M. Tarek Fatah: Faux!
M. Paul Dewar: Voyons ce que dit le compte rendu.
M. Tarek Fatah: Oubliez cela. Vous nous avez accusés... les néo-démocrates accusent tous ceux qui sont contre les imams, les mollahs et les islamistes, en les qualifiant d'islamophobes néo-conservateurs de droite. Il y a une raison pour laquelle vous embaucheriez des islamistes dans votre bureau, pour laquelle les membres de votre bureau...
Je dois vous interrompre. Nous sommes en retard. On pourra y revenir à la faveur d'une autre question.
La parole est à M. Hawn.
Ma question s'adresse à M. Mansur. Ce sera une question à plusieurs volets, parce que j'ai l'impression que je n'aurai droit qu'à un seul essai.
Nous avons parlé de diversité, effectivement, et de sa complexité. Mais est-ce que cela se résume vraiment à la différence ou à une collision entre l'humanité et la barbarie?
Je vais mentionner quelques situations plus précises. Nous avons parlé des mosquées et ainsi de suite. Là où cela a lieu, comment faire pour les exclure, leur faire perdre leur statut d'oeuvres caritatives, sans provoquer les hurlements inévitables selon lesquels ce serait du racisme?
Enfin, les talibans afghans vous diraient que nous possédons peut-être la technologie, mais qu'eux ont le temps de leur côté. L'islamisme radical parviendra-t-il à tuer la démocratie par la démocratie?
Se serviront-ils de ce qu'ils peuvent faire impunément dans notre régime démocratique? S'en serviront-ils pour un jour affaiblir la démocratie au Canada?
Vous revenez justement de ce côté-ci de l'équation. C'est ce qui nous inquiète, et c'est ce qui se passe en Europe. Les chiffres ne cessent d'augmenter. Ces gens imposent leur idéologie. Nous avons nous-mêmes du mal à déterminer qui nous sommes et ce que nous représentons. Nous permettons à ce peuple de nous bousculer, et nous nous approchons du seuil. C'est exactement ce que je crains, et peut-être mes confrères aussi. Ce peuple peut donc effectivement nuire à la démocratie.
Je serai franc, monsieur. L'accommodement qui est proposé est unilatéral et pourrait entraîner un retour du balancier. Les premiers qui seront touchés sont les musulmans mêmes qui ont exercé des pressions. C'est la réalité historique du siècle dernier. Puisque la situation nous inquiète, nous devons y mettre un terme dès maintenant. Nous devons désormais affirmer nos valeurs et dire à ces gens que ça suffit. Ils ont un choix à faire. Soit ils commencent à assimiler la culture dans laquelle ils ont choisi de s'installer, soit ils retournent à la culture qui leur tient à coeur.
Je suis tout à fait d'accord.
Nous avons parlé d'évolution des sociétés, d'humanité, et ainsi de suite. À vrai dire, des gens ont fait beaucoup de mal au nom du christianisme il y a des siècles — comme les croisades et le reste. Or, le christianisme a appris et a évolué. Ma question vous semblera peut-être radicale, mais le temps est-il venu pour l'islam de mûrir et de gagner en humanité?
Voici ce que je dis à mes étudiants. L'histoire du christianisme remonte à plus de 2 000 ans, puisque nous sommes au 21e siècle. Celle des juifs remonte à 5 000 ans. Or, les musulmans n'ont que 1 400 ans d'histoire. Par conséquent, les chrétiens sont maintenant des adultes. Les juifs ont dépassé l'âge mûr, ils sont sobres, et ils ont tout connu, des empires aux défaites. Les musulmans, quant à eux, entrent dans une adolescence qui carbure à la testostérone. Voilà donc ce que nous devons comprendre sur le plan des civilisations.
Il est vrai que les musulmans vont devoir évoluer. Nous devons déterminer qui appuyer. Sans entrer dans les détails, les difficultés qu'éprouve le monde arabe et musulman sont semblables à celles qu'ont subies les chrétiens en évoluant.
Merci.
Pour revenir à ce que j'ai dit à propos des mosquées et des imams, je comprends ce qui a été dit. Sans vouloir tomber dans la généralisation, en cas d'activités répréhensibles dans les mosquées ou de la part d'imams en particulier, comment pouvons-nous...? Je suis tout à fait d'accord avec le fait de retirer le statut d'organisme de bienfaisance, l'aide, et ainsi de suite. Mais comme je l'ai dit, comment faire sans attirer les inévitables cris d'indignation au racisme? Comment y arriver?
Tout d'abord, nous y parviendrons en arrêtant de remettre des médailles du jubilé à ces imams.
Je viens de London, une ville qui compte deux mosquées et qui est devenue tristement célèbre en raison de son ratio de population. Nous avons des jeunes qui sont allés jusqu'en Algérie. Vous connaissez l'histoire. Nous avons des imams qui jouent un double jeu. Ils font leur sermon à la chaire... et j'en suis témoin.
Depuis le 11 septembre, les imams ne peuvent plus passer par les États-Unis parce que leur nom est inacceptable. Or, nos dirigeants politiques se tiennent avec ces imams et leur remettent des jubilés de diamant. Dans ce cas, vers qui pensez-vous que les simples musulmans se tourneront-ils? Ce n'est pas qu'une question de médaille; nos forces policières invitent même les imams à porter l'uniforme. À qui nos jeunes et nos citoyens iront-ils parler s'ils constatent les difficultés?
Merci beaucoup. Le temps est écoulé.
Nous allons commencer notre quatrième et dernier tour par M. Scarpaleggia, après quoi nous finirons par M. Anderson.
Merci.
Vous savez, il a été question de jurisprudences contradictoires fondées sur des valeurs et des visions divergentes du monde. Il a été question de relativisme dans le monde post-moderne. Mais lorsque je regarde le Canada, je constate que la Charte canadienne des droits et libertés, une de nos vérités fondamentales fondées sur des valeurs libérales, comme vous l'avez dit monsieur Mansur, a été acquise après des siècles de violence, par exemple.
Je me demande simplement quelle est selon vous l'incidence de la Charte, à savoir si elle nous protège, j'imagine, contre toute idéologie allant carrément ou profondément à l'encontre de la pensée libérale. Par exemple, vous sembliez laisser entendre que des islamistes se trouvent dans les hautes sphères du milieu universitaire, entre autres. Or, les facultés de droit forment des avocats qui étudient très fort la jurisprudence canadienne, la Charte des droits et libertés et les valeurs qui y sont incluses. N'y a-t-il pas lieu d'être optimistes puisque, si la Charte est bien honorée dans notre système d'éducation, elle inculquera une nouvelle façon de penser? Les gens ne restent pas inchangés au fil des générations, et même d'une vie.
Je me demande si vous croyez que la Charte et notre système juridique, à tous les égards, peuvent nous protéger contre les valeurs qui sont préjudiciables au libéralisme.
Vous avez raison, et c'est le dilemme auquel nous sommes confrontés. Aucun penseur politique, quel qu'il soit, ne dirait qu'une constitution sert aussi à se suicider, au sens que notre valeur libérale de tolérance irait jusqu'à donner aux personnes intolérantes le pouvoir de détruire notre société. Voilà le dilemme des sociétés libérales devant lequel nous sommes placés.
Au fond, vous dites que nous ne devrions pas appliquer la Charte, ou que les gens à la Cour suprême qui le font aujourd'hui manquent en quelque sorte de rigueur.
Eh bien, la Cour suprême devra déterminer si ceux qui réclament l'application, le respect et l'acceptation de la charia au Canada vont à l'encontre des valeurs mêmes de la Charte, et si nous acceptons cette situation. Il incombe à la Cour suprême de trancher. En tant que citoyens...
Oui, il est à espérer qu'elle prendra la bonne décision. Nous avons bien failli nous faire imposer la charia en Ontario. Je fais confiance à la culture démocratique libérale, et nous avons renversé la vapeur et repoussé la loi. Mais seuls la Cour suprême et le Cabinet du premier ministre peuvent le faire, jusqu'aux députés et aux sénateurs, de même qu'à notre société civile, pour autant que nous nous serrions les coudes.
Notre démocratie ne repose pas sur une approche autoritaire. Ce n'est pas le Cabinet qui nous dit...
Mais tout part de la base. C'est ainsi, mais c'est régi par la Charte des droits...
M. Salim Mansur: Bien sûr, mais...
M. Francis Scarpaleggia: ... qui inculque des valeurs aux jeunes qui étudient pour devenir avocats. La Charte est empreinte des valeurs démocratiques libérales pour lesquelles nous nous sommes tant battus. Je pense — et c'est mon souhait — que la Charte constitue une sorte de protection contre l'intolérance.
Qu'en pensez-vous, monsieur Fatah?
Pourquoi quiconque refuserait-il d'appliquer la loi à des organismes de bienfaisance qui n'ont pas le droit de former des partis politiques?
Ce que vous dites, c'est en fait que le gouvernement n'adopte pas des lois pour nous protéger contre la radicalisation. Ce que vous avez dit...
M. Tarek Fatah: Oui, je vais simplement...
M. Francis Scarpaleggia: Ce n'est même pas encore devant les tribunaux.
Non, non. Je ne parle que d'activités criminelles et de violation à la loi sur les organismes de bienfaisance. La lâcheté lamentable des députés en milieux urbains qui cherchent à gagner des votes est telle qu'ils regarderont de l'autre côté simplement pour se faire réélire. Dans un but purement électoraliste, ils n'oseraient même pas affirmer devant le caucus qu'un organisme de bienfaisance donné diffuse des propos haineux, enregistrement vidéo ou audio à l'appui.
Je défie tout député en milieu urbain contrarié par notre position d'appliquer la loi actuelle. En fait, la seule chose qui leur importe, comme c'est le cas de pratiquement tous les politiciens occidentaux d'aujourd'hui, c'est de se faire réélire. Nous n'avons plus de JFK, de Tommy Douglas ou de Diefenbaker. Nous n'avons que des gens qui se font dicter quoi dire pour ne pas perdre de votes. Voilà pourquoi les autres gagnent et que nous nous inquiétons du ralentissement du football et des Super Bowls. Alors que des milliers de personnes se meurent, le pays regarde un sport que sa population ne pratique même pas.
Messieurs, vous ne mâchez vraiment pas vos mots.
Il y a d'autres personnes, comme Ayaan Hirsi Ali, qui a écrit un livre et a été ciblée pour cette raison. Vous sentez-vous le moindrement menacé au pays? Recevez-vous des menaces?
La police de Toronto et la police provinciale de l'Ontario sont actuellement en train de faire enquête sur une menace de mort dont j'ai été la cible...
J'aimerais terminer en vous demandant votre avis sur une chose. Généralement, les croyants suivent des écritures saintes qui ont un certain pouvoir à leurs yeux. J'ai discuté avec des enseignants et des imams qui m'assurent être modérés et détester l'extrémisme ou quoi que ce soit d'autre. Mais après la conversation, ils disent que trois ou quatre éléments sont essentiels pour l'islam: le djihad, soit personnel ou social, la charia, dans le cadre des écritures saintes, et l'impôt des dhimmi, qui entre souvent en ligne de compte. Ils affirment au fond que s'ils respectent les écritures, ce sont là certains des éléments qui ne sont pas négociables.
D'après mon interprétation, il semble y avoir une théologie islamique dont les écritures sont imprégnées d'un système judiciaire et d'une structure politique. Quelqu'un a parlé aujourd'hui de « réalité culturelle schizophrène », mais je me demande comment on peut expliquer cela. Suis-je dans l'erreur? Aussi, comment peut-on concilier des écritures de 1 200 ans qui semblent intégrer certaines de ces structures avec le monde moderne?
Tout d'abord, le djihad n'a rien à voir avec l'islam. C'est une loi postérieure à Mahomet. En fait, j'irais jusqu'à dire que ce sont les ennemis du prophète Mahomet, qui formaient la dynastie Omayyades, qui en sont les principaux responsables. Les gens mêmes qui ont massacré la famille du prophète sont les principaux auteurs de la charia, que les imams canadiens considèrent aujourd'hui comme une loi sacro-sainte. C'est un mensonge, et ils le savent, tout comme nous. Mais les non-musulmans sont déroutés sur la question.
L'islam est une reformulation fort simple du monothéisme, de l'héritage judaïque, et n'est probablement rien de plus qu'un impôt annuel sur la fortune, des prières à réciter, sans même préciser le nombre de répétitions, et un jeûne annuel visant à comprendre les pauvres. Mis à part cela, monsieur, rien ne justifie un rejet, et c'est ce que les gens font.
Puis-je demander au représentant du Parlement qui s'est joint à nous aujourd'hui de répondre à la question aussi? Je pense que M. Mansur souhaite également intervenir.
M. Ayad Aldin (Traduction de l'interprétation):
Quelle est la question, exactement? Veuillez la répéter, s'il vous plaît.
La question était assez longue.
Lorsque je discute avec des gens au Canada qui disent être modérés, ils insistent pour dire que certains fondements de l'islam reposent sur des concepts comme le djihad, l'application de la charia et les taxes aux dhimmis. Ils affirment que pour être fidèles à leurs écritures saintes, ils doivent les considérer comment étant non négociables. M. Fatah vient de dire qu'il n'est pas du tout de cet avis puisque le djihad ne fait pas partie du code original de Mahomet. Je devrais peut-être laisser M. Fatah conclure.
Je me demandais simplement ce que vous en pensez.
M. Ayad Aldin (Traduction de l'interprétation):
Il existe plus d'une interprétation de l'islam; la religion se prête à une multitude d'interprétations. D'après ma compréhension en tant que spécialiste de la charia, peu importe qu'on parle des sunnites ou des chiites, tout le monde sait qu'il existe une contradiction entre la loi islamique et l'État moderne — je parle de l'État islamique décrit par les spécialistes de la jurisprudence, et non pas par le Coran, car il y a une différence entre ce qu'on y retrouve et la jurisprudence qui a été rédigée il y a des centaines d'années et qui s'applique encore aujourd'hui. Ce qu'on retrouve dans la charia et la jurisprudence auxquelles les sunnites et les chiites prêtent foi va totalement à l'encontre de l'État. L'État est un concept juridique moderne que des juristes français ont forgé avant ou après la Révolution française. De son côté, la loi islamique ne reconnaît aucune entité juridique du nom d'État. Quiconque veut appliquer la charia devrait s'opposer à tous les États et pays du monde. Je vais donner un exemple simple. Les gens qui recueillent les dons dans les mosquées au Canada et ailleurs ne considèrent pas qu'il s'agit d'une activité sociale, mais respectent plutôt une fatwa, qui est un avis juridique islamique.
En tant que député au Parlement du Canada, vous êtes responsable d'appliquer les lois, mais certains parlements... Dans l'islam, seul le mufti peut émettre les fatwas islamiques, ou verdicts, qui ont plus de pouvoir que tout parlement. La personne qui recueille les fonds et les dons à Toronto reçoit donc le feu vert de Qom, de Riyad ou de Doha.
Le temps est écoulé. Merci beaucoup.
Je remercie infiniment les témoins qui étaient avec nous aujourd'hui. Je sais que nous pourrions continuer, mais notre temps est limité.
Je tiens à remercier chaleureusement Ayad Jamal Aldin de s'être joint à nous.
Et je remercie infiniment MM. Fatah et Mansur, qui sont sur place.
Cela étant dit, la séance est levée.
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