:
Je vous remercie, madame la présidente.
[Traduction]
Je vous remercie beaucoup de me donner l'occasion de discuter avec vous aujourd'hui.
Entre autres, je m'appelle Jane Doe, la femme qui a intenté une poursuite contre le service de police de Toronto. Vous vous souviendrez peut-être qu'en 1998, après une bataille judiciaire de 11 ans, j'ai obtenu gain de cause dans l'affaire qui m'opposait à la police de Toronto pour négligence et discrimination fondée sur le sexe dans le cadre de son enquête sur le viol et l'agression sexuelle que j'ai subis. J'ai fait valoir que même si la police avait des renseignements sur l'identité de l'homme connu comme le violeur qui passait par les balcons, elle a décidé de ne pas avertir les femmes qui habitaient dans mon quartier du danger. Ce faisant, elle a violé mes droits à l'égalité en vertu de l'article 15 de la Charte canadienne.
Je suis également auteure, chercheuse et éducatrice. J'élabore des politiques sur les agressions sexuelles dans un certain nombre de secteurs, dont les services policiers. Je donne beaucoup de conférences au Canada et ailleurs sur un sujet que j'appelle les politiques du viol.
Je n'ai pas besoin de vous rappeler que les politiques, quelles qu'elles soient, ont un caractère complexe et systémique. Lorsqu'il s'agit de l'augmentation du nombre d'agressions sexuelles dans notre pays, de nos systèmes et de nos institutions qui n'arrivent pas à régler ce problème, du taux de condamnation de moins de 1 %, de même que du sexisme ambiant lors d'un procès pour viol, on parle de politiques de nature particulière.
En tant que femme qui a été agressée sexuellement et qui continue d'utiliser l'anonymat relatif de l'interdiction de publication, j'ai pensé que nous pourrions commencer par cet aspect.
À intervalles de quelques années et à l'heure actuelle, les médias et un ou deux politiciens émettent l'avis que les femmes qui sont victimes d'agression sexuelle devraient le signaler à la police en utilisant leur vrai nom. À leur avis, si les femmes ne faisaient que cela et qu'elles nous permettaient de connaître leur nom et de les voir, nous pourrions nous mettre à leur place. Elles pourraient s'exprimer. La situation s'améliorerait en moins de temps qu'il en faut pour le dire.
Bien entendu, ces gens ont raison de dire que les femmes devraient être en mesure de faire ces choses, mais peu importe ce que je dis, ce que des milliers de personnes disent depuis des décennies, les choses ne fonctionnent pas comme cela.
Nous semblons allergiques au fait qu'on utilise le passé sexuel, les antécédents médicaux, familiaux, professionnels et de maladie mentale d'une femme, de même que ses lectures, les émissions qu'elle regarde et ses croyances pour les anéantir dans une cour. C'est pourquoi nous recourons à l'interdiction.
C'est bouleversant que nous n'axions pas nos efforts sur l'élimination de ce traitement plutôt que sur l'abandon de l'interdiction de publication. Ce n'est simplement pas prudent, civilisé ou juste d'identifier une personne comme une victime de viol. L'expression « victime de viol » évoque la passivité féminine et l'impuissance, ou indique que nous avons survécu à une maladie ou à une blessure qui fait de nous des êtres brisés en morceaux, marqués ou déchus.
En 2008, je suis allée dans quatre provinces et je me suis entretenue avec des femmes qui ont été agressées sexuellement. Certaines avaient eu recours à l'interdiction de publication et d'autres non, et je leur ai demandé quelles répercussions leur décision avait eues sur elles. Je vous ai fourni un exemplaire de ma recherche, qui présente en détail l'information que je n'ai pas le temps de vous fournir dans le cadre de mon exposé. J'espère que vous y jetterez un coup d'oeil.
La recherche a clairement montré que le traitement des 42 femmes, qui ont recours ou qui n'ont pas eu recours à l'interdiction, est criminel. Elle montre qu'elles n'auraient pas agi sans y avoir recours ou qu'elles regrettent de ne pas y avoir eu recours. De toute façon, l'interdiction de publication n'est pas vraiment une mesure aussi efficace qu'on le croit. Elle préserve l'anonymat de la personne pour les gens qui ne la connaissent pas. Si elle vit en milieu urbain, dans un petit village ou dans une ville, la mesure n'est pas du tout efficace.
Comme l'indiquent les dispositions, le but de cette mesure est d'encourager les victimes d'agression sexuelle à porter plainte en leur épargnant le traumatisme occasionné par la gêne et l'humiliation qui en résulterait si l'affaire recevait une grande publicité. Le libellé vient confirmer la honte et le déshonneur que nous associons à une femme violée, et la façon dont sa vertu et son corps sont compris comme étant salis.
Les femmes que j'ai interrogées ont dit qu'en cour, on avait utilisé contre elles leur divorce, leurs avortements, leurs grossesses, ainsi que des condamnations au criminel les concernant, les mauvais traitements dont elles ont été victimes dans leur enfance, les autres agressions dont elles ont déjà été victimes ou leurs problèmes de santé mentale.
Une femme m'a raconté qu'on a utilisé son bikini rouge comme élément de preuve contre elle et que l'avocat de l'accusé le brandissait devant le tribunal. Les médias rapportent ce type de geste offensant, et si une femme l'utilise, son vrai nom est dévoilé dans les faits racontés.
Si l'on croit vraiment que les effets prohibitifs de l'interdiction l'emportent sur le petit peu de protection qu'elle procure aux femmes qui ont été agressées sexuellement, que fait-on pour faire en sorte qu'il soit plus facile, sécuritaire et valorisant pour les femmes d'utiliser leur véritable nom devant un tribunal? C'est ce que nous aimerions faire, surtout pour les femmes appartenant à une minorité raciale ou colonisées, qui sont des jeunes ou des travailleuses du sexe, des transgenres, des femmes handicapées, des toxicomanes, des immigrantes, des sans-abri ou des femmes qui étaient la petite amie, la femme ou la partenaire de l'homme qui les a violées.
L'interdiction procure à ces femmes une protection lorsqu'on utilise les éléments que je viens de mentionner contre elles en cour, ce qui se produit tous les jours, lors de n'importe quel procès pour agression sexuelle, dans n'importe quelle ville, à tout moment dans notre pays. Ce à quoi les Canadiennes doivent faire face dans leur foyer, leur réserve, leur milieu de travail, au Parlement, à l'université, chez le médecin, chez le dentiste, dans l'armée et dans le milieu sportif constitue une crise nationale. Nous nous attendons à ce que les femmes qui ont été agressées sexuellement portent plainte et dévoilent leur identité alors que nous savons tous que le système qui leur demande de porter plainte ne travaille pas dans leur intérêt ou ne peut pas le faire.
Nous ne pouvons pas non plus examiner l'interdiction de publication sans tenir compte des pratiques juridiques déshumanisantes que doivent endurer les femmes qui dénoncent le viol qu'elles ont subi. Par exemple, il y a la trousse médico-légale, qui est utilisée dans seulement 10 % des cas, et qui constitue pour les femmes une deuxième agression; le recours à ce qu'on appelle des témoins experts psychiatres payés pour discréditer le témoignage des femmes et libérer les violeurs; et le fait que des juges et des avocats violent la loi lorsqu'ils autorisent le recours à de telles pratiques en premier lieu. De plus, la police avertit les femmes qu'elles doivent contrôler leurs mouvements, surveiller ce que font les hommes étranges autour d'elles et éviter de prendre des raccourcis, d'utiliser le transport public et de se retrouver dans une place de stationnement lorsqu'une agression sexuelle s'est produite dans leur quartier.
Nous devons examiner les mots que nous utilisons lorsque nous parlons de viol, et d'ailleurs, de quoi s'agit-il: d'agression sexuelle ou de viol? En ce qui concerne les dispositions, j'ai fait allusion au problème lié à cela.
Surtout, si nous voulons examiner les choses sérieusement, il est essentiel que nous portions notre attention sur les hommes, les auteurs des crimes, plutôt que sur les femmes. Je ne prône pas l'alourdissement des peines d'emprisonnement. Je ne crois pas que cela fonctionne. Je veux parler de la nécessité de se pencher sur la masculinité et la façon dont nous intégrons les hommes dans la société, nos petits garçons et les jeunes, qui sont nés sans méchanceté ou malveillance, et de se pencher sur la façon dont on élève ces êtres merveilleux et dont on leur apprend que la violence, c'est acceptable. Il nous faut examiner la nécessité de concevoir et de soutenir un programme d'éducation sexuelle qui se fonde sur le consentement et qui porte autant sur les plaisirs qu'apportent les relations sexuelles que sur les responsabilités qu'elles comportent, et cela doit commencer à un très jeune âge. Nous devons comprendre qu'on ne pourra rien accomplir si nous n'intégrons pas les questions de race, de sexualité et de capacité dans nos discussions et nos mesures, et cela vaut pour toute politique que nous examinons.
Rares sont ceux qui nieront les problèmes que j'ai soulevés, la nécessité d'examiner tous les aspects de l'agression sexuelle, mais nous n'agissons pas. Nous ne le faisons pas. Est-ce que c'est parce que le statu quo est avantageux pour notre nation, notre institution ou nous-mêmes en tant que personnes? Tant que nous n'examinerons pas les différents aspects et le caractère systémique de l'agression sexuelle, tant que nous ne dépenserons pas d'argent et que nous ne prendrons pas le temps de le faire, les pansements que nous appliquons sur les plaies sociales continueront de tomber et un plus grand nombre de crimes seront commis.
Je vous assure qu'il y a des spécialistes partout au Canada qui travaillent auprès de femmes qui ont été victimes d'agression sexuelle, qui l'ont vécu ou qui écrivent, font des études et élaborent des politiques sur les agressions sexuelles. Ce sont ces gens que nous devons consulter et écouter si nous devons élaborer une politique sur la violence contre les femmes, en particulier sur les agressions sexuelles.
Ces spécialistes, dont je fais partie, sont légion, et je vous offre mon aide pour que vous puissiez les consulter — en plus des témoins qui sont parmi vous aujourd'hui — et bien structurer vos travaux sur le sujet que vous êtes en train d'étudier.
Merci.
J'espère pouvoir ajouter un point de vue différent de celui de Jane, qui est incontestable.
Je vous remercie beaucoup de me donner l'occasion de comparaître aujourd'hui. J'aimerais vous parler des pratiques exemplaires tirées de notre programme international et de nos expériences en matière de politique. J'espère que ces leçons se traduiront par des mesures concrètes qui aideront à la conception d'une réponse coordonnée à tout acte de violence contre les femmes et les enfants, dont les filles, au Canada.
Je m'appelle Rosemary McCarney. Je suis la présidente et chef de la direction de Plan International Canada. Avec plus de 75 ans d'expérience, nous formons l'un des organismes de développement les plus anciens et les plus importants du Canada et du monde. Nous n'avons aucune affiliation politique ou religieuse. Toute notre démarche se fonde sur les instruments et les documents sur les droits des enfants et la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant et les pratiques qui existent au Canada et à l'étranger.
Les femmes et les hommes, les filles et les garçons, ont les mêmes droits, mais en raison de l'inégalité, les obstacles auxquels ils font face pour y accéder sont différents. Avant le début des audiences du comité, nous avons dit à quel point l'inégalité ne donne rien aux hommes non plus, et nous devons en parler. Toutefois, les difficultés que vivent les femmes et les filles sont uniques, et les filles et les femmes vivent différentes difficultés. On doit porter une attention particulière aux filles, car leur vulnérabilité découle du fait qu'elles sont à la fois jeunes et de sexe féminin, un croisement très dangereux pour toutes les filles.
En tant que membres de l'organisation qui est l'initiatrice de la campagne Parce que je suis une fille, nous saluons votre décision d'effectuer cette étude, mais la campagne en question est une initiative mondiale visant l'égalité des sexes. Elle fait la promotion du pouvoir et des droits des filles, de sorte que les filles puissent se sortir elles-mêmes et sortir leur collectivité de la pauvreté. Au Canada, la campagne a fait naître un mouvement réunissant plus d'un million de Canadiens déterminés à accroître la sécurité et la prospérité dans le monde pour les filles de notre pays et d'ailleurs.
L'accès sécuritaire à une éducation de qualité est un élément central de la campagne. La violence endémique dans les écoles et les universités au Canada et ailleurs dans le monde nuisent à l'atteinte de cet objectif.
J'aimerais tout d'abord attirer votre attention sur l'un de nos rapports intitulé Le droit d'une fille d'apprendre sans peur, que nous avons soumis au comité dans le cadre de son étude. Nous l'avons publié en collaboration avec le Programme des droits de l'homme internationaux de la faculté de droit de l'Université de Toronto — soit l'édition canadienne — pour attirer l'attention des gens sur la violence fondée sur le sexe qui existe dans nos écoles et en périphérie de celles-ci. Le rapport établit un cadre stratégique global fondé sur les pratiques exemplaires utilisées dans le monde pour mettre fin à la violence sexiste à l'échelle régionale et nationale.
Le rapport porte sur le contexte scolaire, mais nous avons appris principalement que pour être efficaces, les mesures de lutte contre la violence faite aux filles doivent être multisectorielles et intégrées. Jane l'a dit également. Les écoles ne constituent qu'un secteur. L'expérience d'autres pays, dont l'Australie et le Royaume-Uni, nous a permis de constater que les initiatives ponctuelles ne règlent pas un enjeu fondamental: le fait que bon nombre de victimes de violence sont issues de groupes marginalisés et vulnérables et qu'elles sont pratiquement invisibles ou choisissent de l'être. Il faut donc établir un plan d'action national intégré et multisectoriel pour que ces jeunes femmes ne soient pas laissées pour compte.
Au Canada, il y a différentes formes de violence: viol, violence physique, violence sexuelle et intimidation. C'est amplifié par l'utilisation des médias sociaux. Nous connaissons les statistiques au pays, mais nous généralisons et nous faisons des approximations parce que nous n'avons pas de données statistiques qui nous permettraient de créer une excellente base empirique. Cependant, à mon avis, nous connaissons les statistiques et nous savons que les problèmes sont très répandus. Ces points ne devraient donc pas être sujets à débat. Je crois que Jane l'a dit également.
Dans le cadre de recherches approfondies et de consultations auprès de spécialistes à travers le monde et de 17 principaux organismes au Canada, nous avons proposé 8 principes fondamentaux qui pourraient, à notre avis, orienter les travaux de votre comité. Ils sont essentiels pour les recommandations, car ils englobent la prévention, l'intervention et les services. Nous demandons un plan d'action global et intégré, des mesures législatives et des règlements efficaces, un processus sécuritaire et efficace de signalement pour les femmes et les filles, l'élaboration de politiques fondées sur des données statistiques, du personnel bien soutenu et formé, l'établissement de partenariats à l'échelle du gouvernement et des groupes locaux, des conseils scolaires, des commissions de police et des agents de police, de même que des refuges et des spécialistes qui sont légion au pays.
Nous sommes vraiment ravis que le Canada s'attaque au problème. Nous savons très bien que depuis 2007, environ 146 millions de dollars ont été investis pour appuyer plus de 720 programmes communautaires au pays. Nous pouvons nous en réjouir, mais en même temps, j'exhorte le comité à prendre du recul par rapport à cette donnée et à se demander si nous avons un bon rendement en retour de notre investissement. S'il est vrai que ces investissements sont d'une importance capitale, ils ne sont pas coordonnés. Il s'agit d'un ensemble hétérogène d'initiatives et de petits projets qui se répandent dans tout le pays sans qu'il y ait de stratégie globale.
J'ai dit aux médias, entre autres, qu'au Canada, le niveau de sécurité des filles ou des femmes et leur accès à des services dépendent de l'endroit où elles vivent. Le lieu de naissance ne devrait pas constituer un facteur lorsqu'il s'agit d'assurer la sécurité et l'accès aux services.
Bien que nous souscrivions à la demande de plan d'action national, nous voulons nous assurer que le plan en question tient compte des besoins et des droits des enfants, en particulier des filles, et de nos obligations envers ces enfants. Dans l'appel en faveur du plan d'action national visant à mettre fin à la violence contre les femmes, nous vous demandons d'envisager d'adhérer à l'ensemble de cette mesure. La violence contre les femmes ne commence pas à l'âge de 18 ans, soit l'âge adulte légal. Elle commence très tôt, au cours des 10 premières années. Les petites filles canadiennes savent très bien ce que signifie subir de la violence fondée sur le sexe, peu importe la forme qu'elle prend.
Le Comité des droits de l'enfant des Nations Unies a recommandé que le Canada « élabore et mette en oeuvre une stratégie nationale de prévention de toutes les formes de violence contre les enfants » et qu'il y alloue des ressources. La Coalition canadienne pour les droits des enfants a réitéré cet appel.
De plus, dans le cadre des négociations en vue du programme pour l'après 2015, les objectifs de développement durable, tous les pays examinent le principe de l'universalité. À notre avis, l'élaboration de politiques étrangères sur les droits des filles et des femmes et les obligations à leur égard ne suffit pas; nous devons également aborder la question à l'intérieur de notre cadre national. C'est pourquoi Plan Canada préconise un processus de consultation très efficace visant à élaborer le plan d'action national pour mettre fin à la violence contre les femmes et les enfants. Il existe des précédents très importants à cet égard.
Selon l'expérience d'autres pays, les causes et les conséquences sont interdépendantes. Au cours de mes conversations avec des députés et d'autres Canadiens, j'ai constaté que souvent, la question de notre régime fédéral est évoquée, que c'est trop difficile, que telle chose relève des provinces et que les municipalités ont la responsabilité législative sur telle autre chose, et que peut faire le gouvernement national?
J'aimerais vous signaler que nous sommes vraiment en retard par rapport à nos collègues du Royaume-Uni et de l'Australie, deux pays qui ont aussi un régime fédéral complexe. Dans le cadre de leur plan d'action national respectif, ils ont défini les responsabilités des divers paliers à différents niveaux de compétence, dont la condition féminine, la justice, la santé et l'éducation. Ils ont établi une stratégie visant à soutenir et à financer les intervenants de première ligne, peu importe où ils sont, les organismes d'application de la loi, les enseignants, les travailleurs de la santé et le secteur bénévole.
D'après leur expérience, il y a un processus que nous pourrions retenir pour l'élaboration de notre plan. Nos collègues du Royaume-Uni et de l'Australie nous ont dit que le processus d'élaboration du plan est aussi important que le contenu du plan. Il faut que la légion de spécialistes, de praticiens de notre pays, soit consultée. Le Royaume-Uni et l'Australie ont montré qu'en fait, le processus de véritables consultations auprès des gouvernements provinciaux et territoriaux, des gouvernements autochtones et des fournisseurs de services de première ligne, est à la base du contenu qui conviendra, mais qu'il s'agit d'une démarche itérative.
Les deux pays ont donc revu leur démarche. Le Royaume-Uni a commencé son processus en 2010, tout comme l'Australie. Toutefois, ils ont fait une révision et une réorganisation et ils continuent de réfléchir aux plans sur 10 et 12 ans. Ils n'arriveront jamais à une solution parfaite. Nous apprenons au fur et à mesure. Toutefois, nous devons commencer et mettre cela par écrit.
Plan International Canada appuie la campagne de Place au débat. Elle est menée par un regroupement de plus de 100 organismes de défense des droits des femmes de partout au pays. L'objectif de la campagne, dont vous entendrez beaucoup parler au cours des semaines et des mois à venir, c'est de favoriser un débat national pour donner aux chefs de partis l'occasion de parler des enjeux qui touchent les femmes, dont la violence.
En terminant, je veux dire que nous sommes un peu en retard, mais nous pouvons le rattraper, ce retard. Nos pairs du Royaume-Uni et de l'Australie ont les mêmes difficultés que nous sur le plan des compétences, mais ils ont déjà élaboré un plan d'action national et un plan de consultations nationales, qu'ils mettent maintenant en oeuvre.
Bien entendu, les attentes sont grandes, concernant le comité, et tous les éléments que Jane et moi avons mentionnés doivent caractériser le plan d'action national — un plan bien financé, bien conçu, intégré, multisectoriel, et la tenue de vastes consultations —, car la violence contre les femmes et les enfants est injustifiable, mais elle est tout à fait évitable.
Je serai ravie de répondre à vos questions.
Merci beaucoup.
:
Madame la présidente, mesdames et messieurs, c'est vraiment un honneur pour moi d'être parmi vous aujourd'hui, surtout en présence des deux autres invitées, deux femmes que je respecte et que j'admire énormément. Elles ont déjà expliqué de façon remarquable quelques-uns des points dont je voulais parler.
Je m'appelle Todd Minerson. Je suis directeur général de la Campagne du ruban blanc. Il s'agit d'un organisme sans but lucratif établi au Canada qui travaille à éradiquer la violence contre les femmes et les filles. Toutefois, notre démarche est unique; elle est axée sur la mobilisation des hommes et des garçons à cet égard.
Je veux parler de quelques aspects liés à la mobilisation des hommes et des garçons pour prévenir la violence. Je veux vraiment me concentrer sur trois aspects.
Je dois vous parler un peu de la Campagne du ruban blanc, car sinon, les membres de mon conseil d'administration vont me tuer. Je vais donc vous parler un peu de ce que nous faisons. Toutefois, je veux vraiment me concentrer sur deux questions essentielles: pourquoi devrions-nous mobiliser les hommes et les garçons et de quelle façon devrions-nous le faire pour prévenir la violence contre les femmes et les filles?
J'aimerais également présenter des recommandations au comité. En cette journée froide à Ottawa, cela m'a fait chaud au coeur d'entendre vos autres invitées parler de l'importance de la participation des hommes et des garçons.
Je vais maintenant vous parler de la Campagne du ruban blanc. Je vous promets d'être bref. Bon nombre d'entre vous savent probablement ce qui est à l'origine de la campagne. C'est le massacre qui a eu lieu le 6 décembre 1989 à l'École Polytechnique de Montréal où 14 femmes ont été assassinées. Après cet événement tragique, un petit groupe d'hommes, dont le regretté Jack Layton, se sont réunis et ont essayé de comprendre les rôles et les responsabilités qu'ont les hommes pour mettre fin à la violence envers les femmes et les filles. Il y a environ 24 ans, ils ont pris un engagement et ont créé un organisme que nous utilisons toujours aujourd'hui. On a promis de ne jamais commettre, approuver ou passer sous silence des actes de violence contre les femmes. Au cours des 24 années qui ont suivi, des choses très intéressantes se sont produites.
Tout d'abord, notre organisme est devenu le seul organisme national qui se penche sur la prévention de la violence contre les femmes et qui est axé sur les hommes et les garçons. Nous collaborons avec des organismes de femmes, des groupes de Premières Nations, d'Inuits et de Métis, des éducateurs, des bâtisseurs communautaires, etc. Ensuite, au cours de cette période, notre organisme est devenu un chef de file mondial à ce sujet. Nous collaborons avec les Nations Unies, des gouvernements d'autres pays, des institutions majeures, des sociétés multinationales et d'autres ONG. Enfin, à partir d'un mouvement populaire, notre organisme est devenu la plus grande initiative d'hommes et de garçons au monde. Nous soutenons maintenant des activités dans plus de 65 pays, où des hommes et des garçons se réunissent autour de cette petite idée canadienne selon laquelle en tant qu'hommes, nous avons un rôle et une responsabilité dans l'élimination de la violence contre les femmes et les filles.
Je vais passer aux questions principales. Pourquoi devrions-nous collaborer avec les hommes et les garçons? Que nous indiquent les faits?
Les événements tragiques et forts médiatisés des derniers mois ont certainement fait en sorte que le rôle des hommes dans la violence contre les femmes prend maintenant une plus grande place dans notre conscience collective. Si je devais jouer à un petit jeu d'association de mots et que je vous mentionnais Ray Rice, Jian Ghomeshi, Bill Cosby, ou des équipes de hockey universitaire ou des facultés de médecine dentaire, vous sauriez tous de quoi je parle. Nul doute que le comité sait que non seulement notre pays, mais aussi tous les autres sont confrontés à un sérieux problème de violence contre les femmes, et que les hommes jouent un rôle prépondérant et troublant à cet égard.
Je veux mentionner les noms d'autres hommes dont vous avez peut-être entendu parler. Je veux commencer par Glen Canning. C'est le père d'une jeune femme, Rehtaeh Parsons. Il défend maintenant sans relâche l'élimination de la violence envers les femmes.
Vous avez peut-être entendu parler de Paul Lacerte. Il s'agit du directeur général de l'Association des centres d'amitié autochtones de la Colombie-Britannique. Avec sa fille, il a lancé la campagne Moose Hide pendant qu'il était à la chasse. La campagne vise à encourager des hommes faisant partie des Premières Nations, des Inuits et des Métis à jouer un rôle pour mettre fin à la violence contre les femmes.
Je veux également vous parler d'un garçon de 13 ans, Max Bryant, que j'ai rencontré aux Nations Unies il y a quelques semaines. Après avoir écouté une entrevue qu'avait accordée Malala Yousafzai, Max a amassé 40 000 $ pour que les filles puissent aller à l'école.
J'ai pu parler à Max. Je lui ai demandé pourquoi il avait fait cela. Il m'a regardé comme si je venais de la planète mars. Il m'a demandé ce que je voulais dire par là. « Pourquoi pas? », m'a-t-il répondu. Il m'a aussi dit que les filles ont le droit d'aller à l'école en toute sécurité comme les garçons. Il était tout à fait naturel pour lui de penser que l'égalité des sexes est la norme.
Ce que je veux dire, c'est que lorsqu'il s'agit des hommes et de la violence contre les femmes, on se concentre habituellement bien davantage sur le problème que sur la solution. Dans la Campagne du ruban blanc, nous voulons résister énergiquement à cela. La plupart des hommes ne commettront jamais d'acte de violence contre des femmes ou des filles, mais un trop grand nombre d'entre eux n'en parlent pas. Nous croyons que tous les hommes, comme le disait Jane, peuvent faire partie de la solution, et nous mobilisons des milliers d'hommes et de garçons au pays à cette fin.
Si nous voulons comprendre pourquoi et comment faire participer les hommes, il nous faut mieux comprendre les causes profondes de la violence envers les femmes. Mes collègues ont déjà donné des explications détaillées à ce sujet. C'est un problème complexe, mais selon notre point de vue, il y a trois causes profondes.
Comme les deux autres témoins l’ont déjà dit, la première cause est le fait qu’il y a bel et bien inégalité entre les sexes. Pensons au spectre des inégalités entre les sexes, qui donnent lieu à des meurtres, à des agressions sexuelles et à de la violence dont trop de femmes d’un bout à l’autre du pays sont les victimes. Plus de 1 400 femmes autochtones ont été tuées ou portées disparues, et trop de femmes sont battues par leur partenaire intime ou leur famille. Aussi, n’oublions pas les nouvelles formes de violence extrêmement troublantes en ligne et sur les réseaux sociaux que subissent plus de femmes que d’hommes.
La deuxième cause fondamentale, comme Jane l’a aussi mentionné, est ces formes néfastes de masculinité. À la naissance, un bébé garçon ne naît pas un être humain violent, mais quelque chose arrive par la suite. Comment se fait-il que certains hommes considèrent qu’il est acceptable d’avoir recours à la violence envers les femmes? Existe-t-il des liens entre la manière dont les garçons sont socialisés à un très jeune âge et poussés à se conformer à la norme impossible que constitue celle d’être un vrai homme, et où la pire chose que l’on puisse faire à un garçon, c’est de lui dire qu’il est une fille ou qu’il est gai ou n’importe quoi qui est moins que d’être un vrai homme? Les phrases « sois un homme », « les garçons seront toujours des garçons », « les garçons ne pleurent pas », « tu lances comme une fille », « cache tes émotions », « bats-toi », « prends tout ce qui te revient », tous ces aspects négatifs de la masculinité ont des répercussions tragiques sur les femmes et les filles, comme Rosemary l’a souligné, et ils causent aussi d’énormes préjudices aux hommes et aux garçons. Ce système de patriarcat est en train de tuer tout le monde.
Enfin, la troisième cause fondamentale, que nous avons fini par bien comprendre dans le travail que nous effectuons auprès des communautés autochtones partout dans le monde, c’est l’histoire de la violence colonialiste et des traumatismes vécus par des communautés entières. Nous savons que, dans beaucoup de ces communautés autochtones, il n’y avait pas de violence fondée sur le sexe avant leur entrée en contact avec les blancs. En tant que non-Autochtone, je dois le reconnaître.
Nous acceptons ces causes fondamentales, mais nous devons aussi accepter le fait que les hommes et les garçons ont aussi un rôle à jouer, non seulement en tant qu’auteurs d’infractions ou qu’éventuels auteurs d’infractions, mais aussi en jouant les myriades d’autres rôles qu’ils peuvent occuper dans la société, comme pères — un des principaux moyens de motiver les hommes à ce sujet —, observateurs, dirigeants spirituels et communautaires, employeurs et chefs d’entreprise, responsables de politiques gouvernementales et institutionnelles et êtres humains.
Nous en sommes venus à appeler ce travail de la prévention primaire. En termes clairs, il consiste à désamorcer la violence avant qu’on n’y ait recours. Pour faire cela, nous devons encourager de façon concrète les hommes à s’exprimer et à dire franchement ce qu’ils penseraient de remettre en question et de changer les normes sociales relatives aux hommes et à la violence, et d’assumer et d’élargir les rôles que nous occupons déjà de manière à éradiquer toutes les formes de violence fondée sur le sexe. Ce qu’il faut retenir, c’est qu’il s’agit d’un complément au travail vital qui doit se poursuivre, qui consiste à soutenir les femmes qui doivent quitter des situations de violence et d’abus, de même qu’à s’attaquer aux conditions qui perpétuent la violence.
À notre avis, il s’agit d’une approche encore inexploitée pour prévenir la violence. Elle pourrait bien changer la donne et, à certains moments, il s’agit d’un travail difficile et frustrant. L’approche peut aussi présenter beaucoup de défis, mais quand nous parlons avec des hommes comme Max Bryant ou les autres dont j’ai parlé plus tôt, cela nous donne beaucoup d’espoir.
J’aimerais brièvement aborder ce que nous avons appris sur le plan des pratiques prometteuses.
Certaines d’entre elles sont directement liées à un de nos projets qui est financé par Condition féminine Canada et que nous appelons notre réseau national d’échange des pratiques. White Ribbon facilite l’établissement de liens entre neuf projets menés dans l’ensemble du pays, qui sont tous financés par Condition féminine et qui mènent des efforts de prévention auprès des hommes et des garçons. Ces partenaires incroyables mettent en oeuvre des programmes novateurs d’un bout à l’autre du pays, de Whitehorse, au Yukon, à Moncton, au Nouveau-Brunswick, en passant par Edmonton, en Alberta, et London, en Ontario.
En novembre, nous publierons un rapport d’impact sur les pratiques prometteuses, qui portera sur les données tirées de l’évaluation de tous ces neuf projets et, à partir de ces données, nous créons présentement une trousse d’outils qui incitera à l’action et qui aidera les collectivités de l’ensemble du pays à faire un travail de ce genre.
La dernière section dont j’aimerais parler est celle où il est question des éléments du travail auprès des hommes et des garçons que nous qualifions de non négociables. Quatre éléments sont absolument essentiels.
Le premier élément consiste à rappeler que ce travail s’inscrit dans une lutte en vue d’une plus grande égalité entre les sexes, que la mobilisation des hommes et des garçons doit être effectuée dans la perspective des droits de la personne et de l’égalité des femmes. Si nous ne visons pas l’égalité entre les sexes, nous nous y prenons mal.
Le deuxième, c’est que le travail doit aussi viser à remettre en question et transformer des idées préconçues concernant les hommes et les femmes, notamment celles qui sont préjudiciables à l’égard de la masculinité et qui causent énormément de tort à beaucoup de personnes.
Le troisième, c’est que le travail doit aussi prendre en considération la pénurie et la rareté des ressources nécessaires pour résoudre les problèmes auxquels les femmes sont confrontées. En tant qu’hommes travaillant au dossier de l’égalité entre les sexes et qu’alliés, nous ne pouvons ni contribuer aux inégalités structurelles liées aux ressources ni au manque de ressources nécessaires pour résoudre les problèmes d’intérêt pour les femmes. Nous devrions envisager de mettre en place un plus grand gâteau plutôt que de couper un autre morceau d’un déjà petit gâteau de ressources disponibles.
Quatrièmement, le travail doit être fondé sur des données probantes.
Il y a beaucoup de défis, et j’aimerais formuler trois recommandations pour aider à les relever.
Je savais que Rosemary serait un des témoins et que la discussion porterait donc sur un plan national et pangouvernemental. Je n’ai donc pas prévu entrer dans beaucoup de détails à ce sujet. Cependant, je dirai que tout plan devrait inclure un volet de prévention primaire auprès des hommes et des garçons qui couvrira un spectre d’engagements et leur cycle de vie. Il faudrait aussi prévoir plus de fonds pour créer des occasions de travailler ensemble, parce que rien ne peut stimuler l’innovation et provoquer des changements plus rapidement que de collaborer et de partager ses pratiques exemplaires.
Pour terminer, j’espère que j’ai présenté des arguments convaincants en faveur du rôle positif que les hommes et les garçons peuvent jouer sur le plan de la prévention de la violence envers les femmes et les filles. Non seulement il s’agit d’une manière efficace d’intervenir, mais il existe aussi une obligation morale de créer un monde plus sûr pour les femmes et les filles. En 2015, nous devrions être indignés par le fait que 51 % de nos filles, de nos soeurs, de nos mères, de nos amies et de nos collègues subiront un acte de violence physique ou sexuelle au cours de leur vie.
Il existe aussi des considérations pratiques dont il faut tenir compte. Selon des recherches effectuées en 2011 par une femme appelée Colleen Varcoe, le coût estimé de la violence envers les femmes s’élèverait à 6,9 milliards de dollars par année. Selon les estimations formulées dans le cadre du projet Shift, mené à l’Université de Calgary, chaque dollar alloué à la prévention pourrait permettre de réduire de 20 $ ce qu’il en coûte en aval pour lutter contre la violence envers les femmes. Soyons clairs: il est possible de prévenir la plupart de ces actes de violence. Pour chaque agresseur, il existe des centaines de Glen Canning, de Paul Lacerte et de Max Bryant. Nous essayons de les mobiliser, et nous pensons que nous pourrions faire mieux.
Merci.
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Merci à tous. J'ai particulièrement apprécié toute l'attention que vous avez accordée aux jeunes garçons. Étant mère de deux fils, je m'inquiète chaque jour que les jeunes puissent grandir en pensant que c'est acceptable.
Depuis 2002, moment où le premier rapport de l'OMS sur la violence est paru, je ne pense pas que nous ayons bien expliqué en quoi consiste la violence. Qu'il s'agisse d'un commentaire en ligne ou d'une remarque désobligeante, je ne pense pas que nous ayons fait du bon travail.
Je pense que la Fédération canadienne pour la santé sexuelle ou bien des gens sont d'avis que nous devons corriger le tir en expliquant ce que sont les relations respectueuses au lieu de proposer une définition vraiment limitée dont nous ne semblons pas capables de nous éloigner, qui consiste à dire qu'on n'est pas violent si on ne frappe pas quelqu'un.
Je me demande si, dans vos démarches pour contrer la violence, vous avez des exemples de la manière dont vous intervenez précocement auprès des petits garçons et des petites filles pour leur expliquer en quoi consistent les relations respectueuses au lieu d'utiliser immédiatement une étiquette que les gens rejetteront.
Je me demande — cela s'adresse à la greffière — si le comité a le plan d'action de l'Australie et du Royaume-Uni, ainsi que l'étude de 2002 et le rapport de 2014 de l'OMS, dans lequel l'organisme a tenté d'évaluer notre degré de réussite, qui ne semble guère impressionnant.
Je pense, Jane, que vous conviendriez que bien avant que les gens n'aboutissent en cours, il faut faire du travail de prévention pour qu'ils comprennent les définitions d'« importun » et de « consentement ».
Pouvez-vous me parler des expériences que vous avez peut-être eues dans le cadre du travail que vous faites afin de mettre l'accent sur les relations respectueuses au lieu de parler seulement de violence?
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Merci, madame la présidente, et merci encore à tous nos témoins de comparaître aujourd'hui. Je pense que j'ai été épatée quand chacun d'entre vous a pris la parole. Nous avons vraiment appris de nouveaux éléments que je considère essentiels.
Ma famille s'est investie dans ce domaine. Ma mère a ouvert un des premiers centres pour femmes battues, et j'ai lancé un centre pour victimes d'agression sexuelle. Nous avons commencé par sortir les femmes de la situation, puis nous avons sorti les femmes et les enfants de la situation, pour ensuite déposer des accusations contre les hommes. Nous avons par la suite entrepris d'éduquer les familles. Il semble maintenant que nous éduquions des communautés. Je constate que nous progressons quelque peu vers nos objectifs, mais je pense que vous nous parlez tous aujourd'hui d'éduquer les communautés. Je retiens très certainement de vos propos que c'est ce que nous devons vraiment faire au lieu de limiter l'intervention aux personnes concernées. Pour rompre le cycle, il faut intervenir dans les écoles et dans le domaine du sport, deux choses très importantes que nous avons, selon moi, apprises aujourd'hui.
Je vous remercie, Jane Doe, de sonner l'alarme en nous indiquant qu'il y a des problèmes de taille auxquels nous devons nous attaquer. J'ai vraiment aimé l'idée de modèles d'identification, particulièrement pour les jeunes garçons. Je me souviens d'un moment avec mon garçon quand il avait environ 11 ans. Il était plutôt turbulent, et en 7e année, il a eu comme professeur un jeune homme vraiment formidable, frais émoulu de l'université, qui était donc dans le vent. Un jour, mon fils est revenu de l'école et m'a dit « Maman, j'ai compris qu'on n'a pas à être méchant pour être dans le vent. »
Je pense que c'est ce que nous apprenons avec les Argonauts de Toronto, les Stampeders de Calgary, les Eskimos d'Edmonton et d'autres équipes. Cela me rappelle le programme Changemakers aux États-Unis et l'initiative Dads United for Parenting. Je pense qu'une bonne partie des efforts tendent dans cette direction.
Todd, je veux que vous traitiez davantage de la question, car je crois que c'est l'élément principal que nous devons retenir dans le cadre de cette étude. Pourriez-vous nous en parler, je vous prie?
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Oui. Le pouvoir des modèles d'identification est vraiment important. Cela s'inscrit en partie dans l'approche fondée sur la force dont j'ai parlé plus tôt, laquelle consiste à modifier les attitudes et les comportements en montrant le bon exemple, et non en condamnant les mauvaises façons de faire. Nous devons évidemment tenir les gens responsables de leurs actes, mais si on veut vraiment changer un comportement, il faut monter aux gens quels seraient les comportements acceptables, notamment en leur présentant des modèles d'identification.
Il faut aussi penser aux messagers qui présenteront ces modèles aux jeunes hommes et aux garçons. Nous réfléchissons beaucoup à la question. Dans certains cas, comme pour la sensibilisation, les célébrités, les athlètes, les musiciens et les joueurs de football font de bons messagers, mais pour ce qui est du comportement quotidien, les gens veulent aussi retrouver leur reflet dans le modèle. C'est à cet égard que des projets comme « Ça commence avec toi. Ça reste avec lui. » sont si importants. Les hommes qui veulent devenir de meilleurs pères et s'impliquer davantage dans la vie de leurs enfants ne veulent pas penser qu'ils doivent être des célébrités ou des grandes vedettes pour y parvenir. Ils veulent voir leurs propres expériences reflétées dans cet effort.
Bien des hommes, quand on pense à la paternité d'aujourd'hui, veulent faire les choses différemment pour leurs enfants, qu'il s'agisse de garçons ou de filles. Nombreux sont ceux qui nous disent qu'ils ne savent pas comment s'y prendre parce que personne ne leur a montré l'exemple. Je ne jette pas le blâme sur leurs pères, car un grand nombre de nos pères appartiennent à une autre génération, y compris le mien, que j'adore. Il a probablement prononcé environ six mots sur le consentement, la santé sexuelle et les relations saines au cours de mes 43 années d'existence, et c'est probablement beaucoup.
Il est essentiel d'avoir ces idées au sujet des modèles d'identification pour changer les comportements, mais ce n'est pas la seule manière. Les autres travaux que l'Organisation mondiale de la santé a réalisés en évaluant des projets avec des hommes et des garçons ont montré que ces démarches ont une efficacité optimale quand on peut travailler en petits groupes, quand les gens peuvent voir les comportements reflétés dans les communautés dont ils font partie, que ce soit une école, une famille ou un groupe confessionnel, et quand ces messages sont renforcés auprès du public. Si on peut s'attaquer au problème sous les trois angles pour que les hommes apprennent en petits groupes et mettent à l'essai le comportement qu'ils voient chez le modèle d'identification, et que les messages soient renforcés publiquement, c'est alors qu'on observe le changement d'attitude et de comportement le plus concluant et le plus durable.
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Oui, je pense qu'il est fondamentalement important que les démarches soient multisectorielles, comme nous l'avons tous souligné. Le système de justice est concerné. Des réformes sont nécessaires. Il faut notamment offrir une meilleure formation dans le système judiciaire. L'aide juridique est une autre facette. Jane en a énuméré un certain nombre. Étant avocate de formation, je peux adopter les deux points de vue à cet égard.
Nous devons intervenir également dans le système de soins de santé pour y assurer l'accès et la compréhension de la santé génésique des jeunes adolescents, laquelle est épouvantable.
Franchement, il y a le secteur de l'éducation dont nous avons parlé et le rôle important que les conseils scolaires jouent en veillant à ce que le programme scolaire ne traite pas seulement des droits, mais aussi des responsabilités. Il faut faire comprendre aux jeunes qu'il importe qu'ils agissent et interviennent plutôt que de fermer les yeux sur la violence et d'en être complices.
Les services de police doivent être offerts de manière à inspirer la confiance et le réconfort pour que les femmes et les jeunes filles se manifestent.
Il faut offrir du financement à ceux qui prodiguent des soins de santé et des services sociaux de première ligne.
C'est un spectre, et il ne fait aucun doute que vous avez un travail herculéen devant vous. C'est une question plurigouvernementale et multisectorielle, et l'intervention doit englober la prévention, la responsabilisation, la prestation de services et la modification du comportement à tous les égards. Il faut agir sur tous les plans.
Si vous voulez aller au fond des choses, nous avons besoin d'aide à quelques points précis. Jane en a mentionné quelques-uns et Todd également. Personne n'a cependant indiqué que nous avons besoin de meilleures données. Il faut pour cela s'appuyer sur une fondation empirique solide pour qu'il n'y ait pas de place à débat. Il faut donc accorder du financement à Statistique Canada pour pouvoir obtenir des données non regroupées, car nous ne disposons pas de bonnes données non regroupées pour faire des choix éclairés au chapitre des investissements et des politiques.
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Rosemary a parlé de créer un contenu opposé, parce que si l'on pense à chaque publicité sexiste, à chaque vidéoclip ou à chaque joueur d'une équipe sportive professionnelle dans le monde, c'est tellement complexe et vaste que c'est pratiquement insurmontable.
À White Ribbon, nous mettons l'accent sur le contenu positif. N'empêche que la solution la plus tangible pour surmonter cette difficulté, c'est probablement d'enseigner aux jeunes à critiquer ce genre de choses.
Lorsque nous travaillons avec ces jeunes hommes et ces garçons, nous exposons certaines de ces idées toxiques de masculinité, par exemple, et nous faisons un exercice avec eux. Nous parlons des mythes entourant la violence sexuelle, ce que nous entendons tout le temps: qu'est-ce qu'elle portait, qu'est-ce qu'elle buvait, pourquoi se trouvait-elle seule à cet endroit, et ainsi de suite. Évidemment, nous examinons un peu ce que cela dit au sujet des femmes et des jeunes filles, ce qui est terrible, mais aussi ce que cela dit au sujet des hommes et des jeunes garçons: que nous sommes à une minijupe près d'être un violeur, ou que nous avons si peu de contrôle que nous sommes à peine capables de ne pas agresser quelqu'un après avoir bu une bière? C'est ce que renforcent ces mythes du point de vue des hommes et des jeunes garçons.
Si vous enseignez aux jeunes garçons à s'ouvrir les yeux sur ce genre de choses, ils en seront ensuite témoins dans différents contextes et ils deviendront les agents de changement dont vous avez besoin pour transformer la société.
C'est extrêmement lourd et frustrant pour une organisation de devoir intervenir chaque fois qu'une pétition est signée à la suite d'une publicité sexiste ou chaque fois qu'un vidéoclip suscite une controverse... Évidemment, on doit se lever et prendre exemple sur ce type d'intervention et de comportement. Toutefois, comment peut-on arriver à changer l'industrie de la musique ou une ligue sportive professionnelle? Comment est-ce possible? Voilà la grande question.