:
Merci, monsieur le président, mesdames et messieurs membres du comité.
C'est à titre personnel que Geneviève et moi venons rencontrer les membres du comité pour fournir quelques exemples de la situation des droits linguistiques en Alberta au regard du Code criminel.
Je vais commencer par parler d'une citation de 1927 du quotidien Le Droit. Cette citation figure dans les notes qui vous ont été remises. Je pose juste la question aujourd'hui en ce qui a trait à Alberta par rapport à cette citation. Il y a eu tellement d'évolution au pays depuis 1927 qu'il est certain que cette citation ne vaut plus pour la très grande partie du pays, mais je veux juste poser la question suivante. En 2014, est-ce que la langue française est reléguée au rang de langue étrangère ostracisée et prohibée? Si oui, au nom de quoi se commet la persécution? Est-ce vraiment encore au nom de la légalité et du droit du plus fort?
Les notes que nous vous avons remises, qui sont un aperçu d'un mémoire d'une trentaine de pages qui sera remis prochainement aux membres du comité, vont permettre de répondre à cette question.
Nous avons choisi d'utiliser ce que j'ai appris dans mes études classiques, à savoir qu'il est toujours plus facile de corriger une situation avec humour. En latin, on dit castigat ridendo mores, ce qui signifie « il corrige les moeurs en riant ». Nous avons choisi de vous remettre six caricatures utilisées depuis quelques années en Alberta pour décrire la situation. Ces dessins ont été publiés dans des journaux de l'Alberta, notamment Le Franco d'Edmonton, Le Chinook de Calgary et, à l'occasion, dans L'Express de Toronto pour décrire des situations inacceptables, principalement en matière de droit criminel.
Malheureusement, en Alberta, le ministère de la Justice se sert de sa compétence en matière d'administration de la justice pour empêcher ou limiter l'exercice des droits linguistiques, même en matière de droit criminel. Parfois, cela est imposé aux juges, aux justiciables et aux juristes, ce qui incite à abandonner l'exercice des droits linguistiques dans la langue de la minorité. D'autres fois, c'est fait d'une façon subtile. Les instruments et les outils de travail de l'administration de la justice ne sont pas disponibles en français ou en format bilingue.
Notre mémoire va fournir énormément d'exemples qui pourront être utiles dans la rédaction du rapport du comité au Parlement.
Au mois de novembre dernier, le ministre de la Justice a écrit au greffier du comité, en réponse à la lettre du président Mike Wallace. La traduction française de sa lettre montre qu'il a écrit à M. Jean-François Pagé. La version officielle anglaise signée par le ministre, que vous avez reçue, montre qu'il a plutôt écrit à « Jean-Francois Page ». Au ministère de la Justice en Alberta, les outils n'ont pas d'accents. Notre mémoire vous fournit plusieurs exemples de transcriptions de procès en français. Ce sera une surprise pour vous de voir que l'accusé Marc-André Lafleur devient Marc-Andre Lafleur. J'ai obtenu la permission de mes clients de les citer et de fournir tous les textes.
Ça va plus loin que cela. Il arrive que des engagements à signer à la cour soient en français. Le fait que le nom ne porte pas d'accent a une grande conséquence. J'ai déjà eu un client qui s'appelait « Calvé ». Son nom ne portait pas d'accent dans les textes, que ce soit dans l'engagement à comparaître ou dans tout autre document qu'il devait signer lors de sa comparution. Il était écrit « M. Calve ». Cela peut prendre un peu de temps avant de savoir si c'est bien nous qu'on appelle.
Parfois, les tactiques utilisées par le ministère de la Justice sont moins subtiles. Le manuel pour préparer les transcriptions judiciaires en Alberta ne prévoit pas les audiences en français, même pas au niveau criminel.
Dans le texte qu'on va vous remettre, il va s'agir de la « transcription Castonguay », soit la transcription d'un procès au criminel qui a eu lieu à Calgary. Je précise que cela ne s'est pas déroulé au siècle dernier, mais bien il y a deux ans.
Mme Castonguay a été la première surprise. La juge Anne Brown avait donné raison à mon plaidoyer, présenté en français, et rendu une décision orale en français. Comme il n'y avait pas de décision écrite, j'ai demandé d'avoir la transcription. Or la transcription ne contenait ni ce que j'avais plaidé en français ni ce que la juge avait dit en français. Nous avions supposément utilisé une langue étrangère. Encore aujourd'hui, en 2014 en Alberta, c'est la directive pour ceux qui préparent les transcriptions judiciaires.
[Traduction]
Si les délibérations ne se déroulent pas en anglais, on peut indiquer dans la transcription qu'une autre langue a été utilisée, ou bien qu'une langue étrangère a été utilisée.
[Français]
Il y a des transcriptions où, à 15 reprises, il est écrit « autre langue utilisée » ou « langue étrangère utilisée ». La décision du juge est absente. Cela constitue certainement un manque de respect quant à l'indépendance de la magistrature, mais également un déni des droits des citoyens. En effet, la transcription est essentielle quand on veut en appeler d'une décision. Il faut déposer la transcription.
À propos de cette transcription, comme la Couronne n'était pas d'accord sur le fait que j'avais obtenu une décision favorable de Mme la juge Brown, elle a décidé de porter cette décision en appel, en anglais. Toutefois, elle a retiré cet appel dès qu'elle a vu que cela représentait pour moi une excellente occasion de démontrer, devant la Cour supérieure, le déni de justice que constituaient ces transcriptions où les propos d'un justiciable, de son conseiller juridique et même du juge n'étaient pas rapportés dans l'autre langue des tribunaux de l'Alberta.
En 2009-2010, j'ai plaidé quatre jours pour obtenir une clarification relative à la loi albertaine, qui prévoit que chacun peut s'exprimer en français ou en anglais devant les tribunaux. Je n'ai pas à plaider les droits fédéraux. C'est dans la loi albertaine. En Alberta, chacun peut effectivement employer le français ou l'anglais devant les tribunaux des trois divers niveaux. Toutefois, jusqu'en septembre dernier, il n'y avait jamais eu de règlement permettant de mettre en pratique ce droit, de telle sorte que l'administration de la justice, les fonctionnaires et les juristes ne savaient pas comment utiliser le français. Ils faisaient face à énormément d'obstacles, à un point tel que le français était rarement utilisé.
En 2004 et en 2009, j'ai établi une cause pour clarifier ce droit. Cela a pris quatre jours parce que la Couronne plaidait que mes clients et moi avions le droit de nous exprimer en français, mais pas celui d'exiger d'être compris dans cette langue. Cela démontrait que l'Alberta ne reconnaissait pas la jurisprudence de la Cour suprême, qui avait renversé l'ancienne jurisprudence provenant du Nouveau-Brunswick selon laquelle les Acadiens avaient le droit de s'exprimer en français au siècle dernier, mais pas celui d'exiger d'être compris en français.
En droit criminel, plus précisément dans le cadre de l'affaire R. c. Beaulac, la décision a été que, dans tous les cas, que ce soit au civil ou au criminel, les droits linguistiques devaient dorénavant, soit à compter de 1999, être interprétés d'une façon généreuse. Or ce n'est pas le cas en Alberta, qui a conservé l'ancienne jurisprudence. C'est en quelque sorte comme si le ministère de la Justice de l'Alberta estimait pouvoir utiliser la jurisprudence de la Cour suprême qui lui convenait pour certains dossiers et non pour d'autres.
Je vais maintenant céder la parole à Geneviève, qui va vous donner des explications sur l'un des premiers dessins. Je sais qu'elle est pressée parce qu'elle a un cours de droit pénal à 13 heures. Geneviève est étudiante en deuxième année à la Faculté de droit de l'Université d'Ottawa et ne veut certainement pas être en retard, même si elle aurait aujourd'hui une bonne excuse.
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Bonjour. Je m'appelle Geneviève Lévesque et je suis présidente du Regroupement étudiant de common law en français, ou RÉCLEF. Le regroupement vise à promouvoir les intérêts des étudiants en droit et à améliorer les outils de la profession juridique en français.
Dans le cadre de son mandat national, le RÉCLEF a envoyé une lettre à la ministre de la Justice en 2010. En réponse à cette lettre, le RÉCLEF a par la suite reçu une lettre signée par un employé du ministère, au nom de la ministre.
La caricature reproduit telle quelle une partie de cette lettre dans laquelle nous pouvons lire ceci:
[Traduction]
Au Canada, le bilinguisme est un concept fédéral — ce n'est pas une exigence juridique ou constitutionnelle.
[Français]
Cela laisse entendre que l'employé peut avoir dépassé la pensée de la ministre ou, encore, qu'il avait le pouvoir de signer sans consulter la ministre au préalable.
Toutefois, cette hypothèse ne tient pas, puisque quelques jours plus tard, la ministre a envoyé une lettre à l'AJEFA, l'Association des juristes d'expression française de l'Alberta, dans laquelle elle affirmait, et je cite:
[Traduction]
L'Alberta soutient que le bilinguisme au Canada est un concept fédéral — ce n'est pas une exigence constitutionnelle dans les provinces et les territoires.
[Français]
Comment une ministre de la Justice peut-elle prétendre que les provinces et les territoires n'ont pas d'obligations relativement à la dualité linguistique au Canada?
L'Alberta a des lois qui prévoit des obligations juridiques face à la dualité linguistique. Par exemple, la Loi linguistique prévoit l'emploi des deux langues devant les tribunaux albertains. Quant à elle, la Loi sur les jurys prévoit des obligations linguistiques pour ceux qui deviennent membres d'un jury en matière criminelle ou civile. Ainsi, une personne unilingue française ne peut pas être membre du jury lors d'un d'un procès qui se déroule en anglais, et vice-versa.
:
Je veux donner un autre exemple au sujet de la façon dont le ministère interprète maintenant les formulaires du Code criminel. Certains formulaires sont prescrits en français et en anglais, alors que d'autres sont mentionnés, mais ne sont pas disponibles en français.
J'ai demandé au comptoir de la cour la version française du formulaire par lequel le client autorise son avocat à le représenter, mais on m'a répondu que le formulaire n'était pas disponible en français. J'ai alors demandé le formulaire bilingue, mais on m'a également répondu que le formulaire n'existait pas en version bilingue.
J'ai alors dû demander à mon client de renoncer à ses droits et de signer le formulaire unilingue anglais. J'ai également dû signer le même formulaire en ma qualité d'avocat. Par contre, j'ai demandé à mon client de m'autoriser à révéler son identité dans une lettre que je me proposais d'envoyer au ministère afin de faire corriger ce déni de droit.
J'ai reçu une réponse du ministère de la Justice. La sous-ministre responsable des services aux tribunaux m'a écrit pour me dire que, en Alberta, si on veut un formulaire en français, même en vertu du Code criminel, il faut d'abord demander et obtenir l'ordonnance autorisant la tenue du procès en français puis préparer soi-même le formulaire. Ce traitement est inéquitable étant donné que le formulaire en anglais est disponible gratuitement au comptoir pour le justiciable qui veut l'utiliser.
Pire encore, le formulaire en anglais préparé par la province comporte une section réservée aux fonctionnaires pour aider à l'administration de la justice. Alors, lorsqu'on prépare soi-même le formulaire en français, on complique le travail des fonctionnaires.
De plus, on a énormément de difficultés à déposer notre formulaire en français, comme cela m'est arrivé à Fort McMurray et à Calgary. En effet, les fonctionnaires se demandent comment il se fait qu'ils reçoivent une version d'un formulaire qu'ils n'ont jamais vue alors que le formulaire officiel existe en anglais et mettent alors en doute la légalité de notre document. Mon formulaire est refusé au comptoir tant que je n'ai pas montré la lettre d'autorisation du ministère qui m'enjoint de préparer moi-même le formulaire si je veux en utiliser un en français.
Dans notre mémoire, vous trouverez énormément d'exemples de ce genre et d'explications concernant le manque de respect des droits linguistiques en matière criminelle en Alberta.
:
Je vous remercie, monsieur le président. Bonjour messieurs et mesdames, membres du comité.
[Traduction]
En ma qualité de directrice, j'ai le plaisir de vous présenter un aperçu du Programme d'appui aux droits linguistiques (PADL). Je serai suivie de Guylaine Loranger, notre conseillère juridique, qui vous parlera des droits linguistiques constitutionnels et d'accès à la justice.
[Français]
Le mandat du Programme d'appui aux droits linguistiques est de clarifier et de faire avancer les droits linguistiques constitutionnels.
Le PADL est divisé en trois volets. Le premier volet porte sur l'information et la promotion, le deuxième, sur les modes alternatifs de résolution de conflits — en anglais, ADR, alternate dispute resolution — et le troisième volet, sur les recours judiciaire.
Dans le premier volet portant sur l'information et la promotion, nous travaillons à l'échelle nationale. Nous vulgarisons les droits linguistiques constitutionnels par l'entremise de forums et de nombreuses autres façons, afin que les Canadiens et les Canadiennes comprennent leurs droits linguistiques constitutionnels, ce qui est un domaine très complexe.
Le deuxième volet touchant les modes alternatifs de résolution de conflits inclut, par exemple, la médiation et la négociation.
Pour recevoir du financement du Programme d'appui aux droits linguistiques, le demandeur de financement doit répondre à nos critères d'admissibilité. Il doit y avoir un différend comportant un droit linguistique constitutionnel. Ce financement sert, entre autres, à l'accès à la justice. Au lieu d'aller devant les tribunaux, le demandeur de financement et l'autre partie essaient de régler leur différend à l'extérieur des cours de justice. Cela coûte moins cher et prend moins de temps et d'énergie que d'aller devant les tribunaux.
Le volet portant sur recours judiciaire comporte des critères d'admissibilité plus nombreux que ceux établis pour recevoir du financement sous le volet des modes alternatifs de résolution de conflits, ce qu'on appelle les MARC. Par exemple, pour recevoir du financement du volet relatif aux recours judiciaires, le demandeur doit démontrer qu'il s'agit d'une cause type. Alors que pour les MARC, comme la médiation et la négociation, le demandeur n'a pas besoin de cause type.
Peut-être ai-je parlé trop vite. Alors, je vais répéter ce que j'ai dit en anglais.
[Traduction]
Notre aide s'articule autour de trois volets: information et promotion; modes alternatifs de résolution de conflits; et recours judiciaires. Le volet information et promotion vise à faire en sorte que les Canadiens connaissent bien leurs droits linguistiques constitutionnels, alors que la composante des modes alternatifs de résolution de conflits a pour but d'aider les gens à faire respecter leurs droits linguistiques. Nous offrons du financement pour permettre des discussions avec les instances gouvernementales de telle sorte que les parties puissent en arriver à une entente hors cour, ce qui leur donne accès à la justice.
[Français]
Je vais maintenant céder la parole à ma collègue Guylaine Loranger.
Mesdames et messieurs du comité, à titre de conseillère juridique du Programme d'appui aux droits linguistiques, je suis ici pour répondre à la question qui m'a été posée, à savoir quel est le lien entre le Code criminel et le mandat du Programme d'appui aux droits linguistiques.
Le mandat du Programme d'appui aux droits linguistiques vise les droits linguistiques constitutionnels. Le Code criminel n'est pas constitué de droits linguistiques constitutionnels. Alors, que vient-on faire dans cette histoire? La réponse très brève à la question est que le PADL est en périphérie du Code criminel.
Pour ceux dans la salle qui sont juristes, nous savons que les questions constitutionnelles peuvent être soulevées dans différents litiges. Pour ceux qui ne sont pas juristes, comment une personne peut-elle soulever une question constitutionnelle devant un tribunal? Une telle question est parfois théorique ou, du moins, semble l'être à première vue, surtout quand on parle de droit constitutionnel.
J'aimerais vous référer à un cas précis. Nos demandes sont confidentielles, mais certains demandeurs acceptent de rendre publics leurs dossiers. Pour bien comprendre la situation, j'aimerais vous référer à l'affaire Losier, qui est résumée sur le blogue de notre site Internet. L'affaire Losier a été entendue devant la Cour d'appel du Nouveau-Brunswick.
Que se passe-t-il à cet égard? Nous soulevons la prémisse suivante. Étant donné que nous avons un mandat de faire avancer et de clarifier les droits linguistiques constitutionnels et que ces droits sont relativement jeunes dans le droit constitutionnel, beaucoup de questions sont soulevées et peu de réponses sont connues.
Par exemple, qu'est-ce qui constitue une communication et un service en matière criminelle par rapport à un procès? Aussi étonnant que cela puisse paraître, recevoir une contravention ou un mandat de perquisition de la part d'un policier constitue un service et une communication au sens de l'article 20 de la Loi constitutionnelle de 1982. Beaucoup de questions comme celle-ci sont soulevées.
Quelle est la raison pour laquelle je vous réfère à l'affaire Losier? Dans cette affaire, la cause type était de savoir si l'offre active est un principe constitutionnel inclus au paragraphe 22 de la Charte. Cela veut dire que la Cour d'appel du Nouveau-Brunswick a reconnu que l'offre active est un droit constitutionnel implicitement inclus à l'article 22 de la Charte et est implicitement exprimé dans la Loi sur les langues officielles du Nouveau-Brunswick. De plus, une violation de ce droit constitutionnel oblige le juge à rejeter la preuve recueillie en violation du droit constitutionnel. C'est un exemple concret pour vous permettre de bien comprendre notre situation dans le portrait global.
Des demandeurs se présentent chez nous, et ce, parfois en lien avec l'article 20 de la Charte et parfois en lien avec l'article 19 de la Charte. Lorsqu'on parle de délégation de l'administration de la justice, on peut prendre l'exemple de la Loi sur les contraventions pour laquelle le gouvernement fédéral subventionne les provinces afin de l'administrer.
Encore une fois, je vous donne ce cas comme référence, mais cela ne relève pas cette fois-ci de notre juridiction. Des cas semblables, où cela a été financé, se sont produits avant l'existence du Programme d'appui aux droits linguistiques. Encore là, c'est un exemple qui vous montre la situation des droits linguistiques constitutionnels par rapport au Code criminel.
Sur ce, j'aimerais conclure en vous disant ceci. Beaucoup de questions peuvent être soulevées, mais peu de réponses ont été obtenues à ce jour.
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Merci, monsieur le président, et mesdames et messieurs les membres du comité. Pour que les choses soient bien claires, je comparais devant vous ce matin uniquement en ma qualité d'avocat de la défense en matière pénale; je ne représente aucun groupe ni aucune organisation.
J'ai trouvé intéressant d'entendre mes collègues de l'Ouest. Je pensais que les problèmes linguistiques se limitaient au Québec, mais il semble bien que ce ne soit pas le cas.
J'aimerais vous parler de l'article 530 et du paragraphe 530(2) qui définissent essentiellement la façon de procéder. Ce faisant, je vous glisserai un mot de mon expérience d'un procès en anglais au Québec, car les choses sont bien évidemment beaucoup moins compliquées lorsqu'on souhaite un procès en français dans cette province.
L'article 530 prévoit simplement qu'il faut présenter une demande à un certain moment durant le processus. Le moment choisi n'a pas vraiment d'importance, car le juge va donner suite à la requête pour autant qu'elle soit formulée avant le procès — en évitant bien sûr de le faire le matin même, si on veut rester dans les bonnes grâce du magistrat. Il est intéressant de noter que l'article 530 indique simplement que le juge fait droit à la demande. Le juge n'a donc aucun pouvoir discrétionnaire. Il n'y a pas de critère linguistique à remplir. Vous ne risquez pas d'entendre un juge dire: « Prouvez-moi que vous êtes vraiment anglophone. Combien d'années avez-vous étudié en anglais? Je crois que vous mentez. Je pense que vous êtes en fait un francophone qui décide de se cacher, et je refuse donc de vous accorder un procès en anglais. » Je n'ai jamais été témoin d'une situation semblable ni entendu dire que cela ait pu se produire au Québec.
En vertu du paragraphe 530(3), le juge de paix ou le juge de la cour provinciale doit veiller à ce que l'accusé soit avisé de son droit. J'ai vu un tribunal où l'on remettait un formulaire préimprimé à la personne mise en accusation — je devrais dire deux tribunaux en fait. Ces exceptions mises à part, je n'ai jamais entendu un juge dire à une personne comparaissant devant lui, qu'elle soit représentée ou non, qu'elle a droit à un procès en anglais en vertu de l'article 530. Je n'ai jamais rien vu de tel.
Il y a bien sûr des dispositions qui traitent d'un procès pouvant se dérouler en anglais et en français, car on se retrouve de plus en plus souvent dans la situation délicate — et je dirais que c'est pour des considérations financières — d'un procès mettant en cause plus d'un accusé. Plusieurs accusés sont ainsi regroupés. Je participe actuellement à un tel procès pour fraude où il y a 38 coaccusés. Comme vous pouvez vous l'imaginer, ces 38 personnes ne parlent pas toutes la même langue. Il devient cauchemardesque de déterminer dans quelle langue le procès se tiendra, sans parler des accusés parlant une langue étrangère — le pendjabi, le grec, l'italien, etc.
Le code établit donc dans une certaine mesure la façon de procéder en la matière. L'article 530.01 précise la façon dont les choses doivent se passer une fois qu'un juge a accordé la tenue d'un procès en anglais. Il est censé en ressortir que l'accusé a le droit d'obtenir une traduction en anglais de l'information ou de l'acte d'accusation.
En toute franchise, cela ne sert pas à grand-chose, car l'information ou l'acte d'accusation va indiquer seulement qu'à telle date ou aux environs de telle date, Johnny Smith a agressé Peter Harris, par exemple, en précisant où et comment, s'il y a eu des déclarations, des rapports de police, des mandats de perquisition exécutés et ainsi de suite. Nos tribunaux ont déjà décidé que vous n'avez pas le droit d'obtenir les documents communiqués en anglais. On vous remet simplement ce qu'on a en main en vous disant que vous pouvez en faire ce que bon vous semble. Il devient en outre de plus en plus courant, tout au moins au Québec, de fournir à la partie défenderesse d'énormes quantités de documents — 10, 15 ou 20 DVD. Essayez donc de faire traduire 20 DVD. Et, chose fort intéressante, l'alinéa 530.01(1)a) de la version anglaise indique que vous pouvez obtenir que l'on traduise les dénonciations ou les actes d'accusation.
Pourquoi l'alinéa 530.01(1)b) précise-t-il que vous avez le droit d'obtenir une copie des documents traduits? Je me dis que si on fait traduire ces documents... Est-ce que le traducteur va les conserver sur son bureau? Ce n'est pas vraiment logique.
La seule raison à laquelle je peux penser, c'est que, encore une fois, il y a une certaine réticence à traduire, une certaine hésitation à travailler dans l'autre langue.
Quoi qu'il en soit, l'ordonnance est rendue. Qu'est-ce que vous avez le droit de faire? Vous avez droit de parler en anglais. Qu'est-ce que cela veut dire au juste? Vous avez le droit de plaider en anglais, vous avez le droit aux procédures écrites en anglais, votre avocat a le droit de plaider en anglais. Fait assez intéressant, selon le paragraphe 530.1(c), les gens peuvent témoigner dans l'une ou l'autre langue officielle. Voici à quoi ressemble presque toujours un procès en anglais au Québec: il y a un procureur francophone, un juge francophone, un avocat de la défense francophone et un greffier francophone. Il faut artificiellement y injecter de l'anglais. Par conséquent, on se retrouve parfois dans des situations bizarres. On finit par avoir un francophone qui pose une question dans un mauvais anglais, qui est alors traduite en français pour le témoin; celui-ci répond en français, et la réponse est traduite en anglais. Voilà qui met fin à la première question. Le procès peut donc durer longtemps, mais il s'agit de la seule manière de procéder.
Comme je l'ai dit, l'alinéa 530.1c.1) est un peu bizarre parce qu'il autorise le procureur à interroger un témoin dans sa langue. Honnêtement, je ne savais pas que l'alinéa 530.1c.1) existait. Quand je voyais un procureur parler en français à un témoin français, je demandais que le procès soit déclaré nul du fait que je considérais que l'accusé ne subissait pas un procès en anglais puisque le procureur et le témoin parlaient en français.
Jusqu'en 2000, environ, dans les procès anglais au Québec, tous les membres de l'appareil judiciaire travaillaient en français. Ceux-ci disaient ceci: « Madame ou Monsieur l'accusé, nous vous invitons à vous asseoir dans le coin. Un interprète traduira tout pour vous, mais ne faites pas trop de bruit. » C'est ainsi que l'on a procédé pour les décisions qui ont été rendues avant l'affaire Beaulac. Après celle-ci, bien sûr, on n'avait plus le droit de faire cela. C'était complètement absurde.
Même s'il est vrai que l'accusé a droit à un procès en anglais, ce droit — à mon avis du moins — ne pose jamais de problèmes importants dans une grande agglomération urbaine comme Montréal. Je suis convaincu qu'un certain nombre de substitutions de juges ont lieu pour permettre à ceux qui sont plus à l'aise en anglais d'entendre ces affaires. Bien sûr, on ne s'en rend pas compte; cela se passe dans les coulisses, pour ainsi dire.
Dans les régions périphériques, c'est une autre histoire. J'ai vu des audiences sur la libération sous caution être reportées parce que, honnêtement, le juge était incapable de présider en anglais. C'est très grave. On parle d'une personne qui est détenue, et on va se permettre de lui dire ceci: « Vous pouvez rester en prison quelques jours de plus. Nous chargerons un autre juge de l'affaire. » Il va sans dire qu'une situation de ce genre est inacceptable.
Chose intéressante, l'accusé a le droit d'avoir un procureur qui parle l'anglais; or, au Québec, on ne peut obliger un procureur qui parle l'anglais à parler en anglais. Par conséquent, si on a le droit de parler en anglais, mais qu'on ne peut obliger l'autre à parler en anglais, comment fait-on pour que le procès se déroule en anglais? » Souvenez-vous de la crise d'Oka, qui a donné lieu a un certain nombre de procès.
L'une des causes célèbres était l'affaire R. c. Cross. M. Cross voulait subir son procès en anglais. Les procureurs de Saint-Jérôme lui ont dit qu'il avait droit à un procès en anglais, mais qu'ils ne parleraient pas en anglais. Il va sans dire qu'il y a toute la question de la Loi 101 et de l'utilisation obligatoire de la langue, notamment dans les relations employeurs-employés. La Cour d'appel a fini par déclarer que l'accusé avait droit à un procès en anglais, mais qu'on ne pouvait obliger le procureur à parler en anglais. À l'heure actuelle, quand quelqu'un demande d'avoir un procès en anglais, en principe, la demande doit être consignée dans un document, après quoi le système est censé faire en sorte que le procès soit entendu par un juge qui parle bien l'anglais et que le procureur chargé de l'affaire accepte de parler en anglais.
L'article 531 est celui que je trouve probablement le plus problématique — voire inacceptable. L'article 531 est très simple: si on ne peut respecter ma demande de subir un procès en anglais, on peut ordonner que mon procès ait lieu ailleurs.
Cela équivaut à dire que si l'on ne peut respecter mes droits constitutionnels dans l'endroit où je me trouve, on m'enverra ailleurs parce que, là-bas, les gens se conforment davantage à la Charte.
C'est inacceptable dans un pays comme le nôtre, dont le Code criminel parle précisément d'un « procès bilingue ».
Merci.
:
Je remercie les témoins d'être ici parmi nous aujourd'hui afin de nous guider dans nos travaux.
Je veux remettre les choses en contexte. Le Comité permanent de la justice et des droits de la personne a pour tâche de revoir la Partie XVII de la loi et de voir comment sa mise en oeuvre s'est déroulée depuis son entrée en vigueur. Y a-t-il des problèmes? Que pourrait-on faire? Quelles améliorations peut-on recommander?
J'ai bien apprécié ce qu'a dit Me Slimovitch.
[Traduction]
J'ai bien apprécié ce que vous avez dit. Je suis avocate et j'ai travaillé dans cette région-ci, par conséquent, mon expérience a longtemps été différente de la vôtre. Étant tout près d'Ottawa, nous sommes peut-être un peu plus bilingues. Toutefois, j'ai fait affaire à un juge qui a insisté que je plaide et présente mon plaidoyer final en anglais parce que l'accusé était anglophone. Le juge a dit que celui-ci avait le droit — ceci s'est passé avant l'entrée en vigueur de la partie XVII — d'entendre ce que son avocat disait. J'ai essayé de convaincre le juge que je serais brillante en français, mais que je ne ferais peut-être qu'un travail moyen en anglais. Toutefois, le juge a dit que cela lui était égal.
Cela dit, beaucoup des causes dont vous avez parlé remontent à un peu avant l'entrée en vigueur de la partie XVII.
[Français]
Je pense que la loi est claire. Elle stipule qu'une personne a le droit d'avoir un procès dans la langue de son choix. Une question se pose au comité, mais je ne sais pas si quelqu'un peut y répondre. Doit-on étendre la portée de cette partie? Par exemple, lorsque quelqu'un est arrêté et qu'il y a des requêtes pour une remise en liberté, n'est-il pas fondamental pour l'accusé de pouvoir y participer activement dans la langue de son choix?
En ce qui a trait à ce qui existe déjà dans cette partie, avez-vous des recommandations précises à faire en matière, par exemple, d'appui pour les interprètes et les sténographes, pour ce qui est de la preuve remise aux avocats, la traduction et ainsi de suite? Cela m'intéresse particulièrement.
En ce qui a trait au Programme d'appui aux droits linguistiques, je pense que j'ai compris le travail que vous faites. Toutefois, je ne suis pas certaine que cela s'applique réellement, particulièrement à la Partie XVII, à moins que, si j'ai bien compris, il y ait une question constitutionnelle qui s'applique. Dans le quotidien, en matière de procès, vous n'êtes pas impliqués pour rendre certains juges plus bilingues ou pour appuyer le bilinguisme des sténographes, des interprètes et autres.
À moins que vous ne trouviez que cette partie est parfaite, que peut-on faire pratiquement pour y apporter des améliorations?
:
Au siècle dernier, j'ai occupé le poste de président du programme fédéral précédent qui venait en aide aux minorités. Pendant cinq ans, j'ai présidé le Comité des langues officielles. J'ai remplacé M. Goldbloom après sa nomination au poste de commissaire aux langues officielles. Je l'ai remplacé à titre de bénévole. La minorité anglaise du Québec était fortement représentée au comité, alors nous avons été informés de certains des problèmes... Je ne suis pas membre du barreau du Québec, alors je n'en sais rien. J'ai justement revu de vieux amis en novembre dernier, lors de la dernière réunion du nouveau programme. J'ai été ravi de revoir Casper Bloom, qui faisait partie du comité en même temps que moi.
À mon avis, bien des provinces sont encore aux prises avec des problèmes de ce genre. En effet, si le ministère de la Justice d'une province déclare que les membres de l'appareil judiciaire ne sont pas tenus de faire preuve de générosité dans leur interprétation des droits linguistiques, beaucoup d'autres interprétations créeront des problèmes pour l'accusé et son avocat.
Je vous donne un exemple. En 2011, quand j'ai obtenu gain de cause devant la juge Brown après avoir plaidé en faveur d'une interprétation exacte des droits linguistiques aux termes des lois de l'Alberta. La juge a beaucoup ri —,et ce, dans les deux langues — parce que c'est dans les deux langues qu'elle a rendu sa décision sur la manière dont le ministère de la Justice de l'Alberta interprétait les droits linguistiques. Elle a dit que cela équivalait à applaudir d'une seule main, en espérant entendre un son. J'étais certain que les gens du ministère introduiraient un appel, mais, de toute évidence, ceux-ci ne voulaient pas prendre de risques dans le cas d'une décision de ce genre. Ils ont attendu deux ans pour retirer par règlement et sans débat public tout ce qui avait été gagné. Après la période d'appel, j'ai écrit au ministère de la Justice de l'Alberta pour dire que puisqu'ils n'avaient pas interjeté appel de la décision, ils devraient au moins modifier le manuel des transcriptions de manière à considérer les propos tenus en français au cours des audiences. Ils m'ont répondu qu'ils ne croyaient pas que cela soit nécessaire. Ils ont dit que le contraire pourrait bien se produire: une personne pourrait témoigner en anglais dans un procès en français sans que son témoignage figure forcément dans la transcription.
Ils n'ont pas répondu à ma lettre suivante, dans laquelle j'ai fait valoir que, premièrement, cela irait à l'encontre de leur politique établie de mettre entre guillemets tout texte qui n'est pas en anglais. Cela veut donc dire que la transcription doit être en anglais — que ce soit l'interprétation ou la langue de départ. Deuxièmement, en Alberta, je n'ai jamais vu de transcription où le témoignage d'une personne anglophone n'y figurait pas. Si on l'avait fait, il aurait fallu remplacer l'anglais par « propos en langue étrangère ».
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Notre mémoire final contiendra une quinzaine de recommandations. La première suggère de modifier le Code criminel afin qu'il indique les conséquences du non-respect du droit d'un accusé d'être informé de ses droits. Plusieurs choses devront être ajoutées à cet égard.
L'interprétation, du moins en Alberta, c'est que s'il n'est pas précisé exactement ce à quoi vous avez droit, vous n'avez pas accès au reste. La réponse que j'entends le plus souvent de la part des fonctionnaires à la cour et au ministère de la Justice est la suivante:
[Traduction]
« Nous ne sommes pas légalement tenus de vous fournir le formulaire rédigé en français ou bilingue ou peu importe ce que vous demandez. » Ainsi, si cela peut être précis, quelles seront les conséquences si l'accusé n'est pas informé qu'il a droit à ce que son procès se déroule en français?
[Français]
Je vais vous montrer la transcription de la première comparution de Marc-André Lafleur. Il n'avait pas été informé de son droit à un procès en français et il n'y avait aucune preuve que le juge avait vu à ce qu'il le soit. C'est seulement six mois plus tard que M. Lafleur a découvert mon existence et que je pouvais me déplacer pour me rendre à Fort McMurray. Quand j'ai dit à la Couronne que son droit avait été violé, on m'a répondu que mon client n'avait pas subi de préjudice car, grâce à moi, il aura son procès en français.
Il reste qu'il y a eu un préjudice. Durant ces six mois, avant de me rencontrer, M. Lafleur a vu d'autres juristes qui ne connaissaient pas l'existence du droit à avoir un procès en français. Il n'a pas reçu de service à cet égard en temps opportun. La Couronne a fait valoir qu'éventuellement, il aura son procès en français. Donc, il n'y a pas de conséquences.
S'il n'y a pas de conséquences, on encourage ceux qui ne trouvent pas les droits linguistiques importants à ne pas les respecter. De deux choses l'une: soit que la dualité linguistique canadienne est un fondement du pays, on respecte ces droits et on les interprète généreusement comme la Cour suprême le veut, soit que ce n'est pas important qu'il y ait des manquements. Les lacunes qu'on constate dans la correspondance du ministère encouragent les manquements. Le ministère dit qu'il n'a pas besoin de faire ça, alors que c'est très clair. Le Code criminel prévoit que si on utilise le français ou l'anglais, ou l'interprétation dans l'une ou l'autre des deux langues officielles, cela doit faire partie du dossier.
Comment une province qui aspire de plus en plus à exercer un leadership financier, économique et politique à la grandeur du pays peut-elle continuer, en 2014, à avoir des politiques qui nient l'exercice des droits linguistiques? C'est inacceptable.
C'est le gouvernement fédéral qui nomme les juges des tribunaux supérieurs et ce sont ces derniers qui entendent les accusations graves portées en vertu du Code criminel et les appels à cet égard. Une des recommandations que nous allons soumettre à votre attention suggère qu'afin de maintenir la confiance du public dans l'administration de la justice, vous recommandiez au Parlement qu'on évite dorénavant de nommer du jour au lendemain des juges qui, la journée précédente, étaient membres du cabinet de la province ou du fédéral. C'est quelque chose d'assez important. Ce n'est pas juste une question de droits linguistiques, mais de confiance du public dans l'appareil judiciaire.
Il y a longtemps, l'Association du Barreau canadien a demandé que la période de réflexion soit d'au moins deux ans. Entre une période de deux ans, qui est inacceptable pour les gouvernements qui sont au pouvoir depuis des années, et une période de cinq jours, le comité devrait pouvoir trouver un compromis acceptable.
Personnellement, j'ai fait l'expérience de la période de cinq jours. Si, en tant que notaire en Alberta, je présentais un formulaire bilingue ou en français de l'Ontario pour légaliser des documents que je dois envoyer pour des clients en Suisse, en Belgique et en France, la province ne pourrait certifier qu'en anglais que je suis un notaire public en Alberta. Elle reconnaîtrait ma signature et mon sceau et enverrait le document à un pays comme la Suisse, la Belgique et la France où la langue est le français et non l'anglais. On peut donner ce document dans les deux langues, mais la province ne veut le donner qu'en anglais. Or en Belgique, les langues sont le wallon et le flamand. Si on envoie un document en anglais dans ce pays, cela ne sert à rien.
Quand un ministre de la Justice me dit ne pas pouvoir me donner le formulaire que je lui demande en affirmant « We are not legally required » et que, cinq jours plus tard, il est assermenté juge, je me demande si je vais avoir à plaider devant lui et si la reconnaissance des droits linguistiques va être la même.
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Je crois qu'il faut encourager les institutions postsecondaires à former des interprètes compétents pour toutes les régions du pays. Il y a eu en Alberta des situations inacceptables où l'interprétation n'était pas adéquate. Lorsqu'il donne la responsabilité à une personne de faire de l'interprétation à la cour, le ministère de la Justice albertain n'exige pas qu'elle soit membre de l'Association des traducteurs et interprètes de l'Alberta ou de l'autre association qui réunit ces professionnels, ce qui donne des résultats inacceptables.
En Alberta, j'ai vu ce genre de situations se produire à tous les niveaux, aussi bien à la Cour provinciale qu'à la Cour d'appel. Par exemple, un individu qui a besoin de gagner sa vie peut offrir ses services au ministère alors qu'il n'a pas la formation requise ou en a une en interprétation et en traduction, mais pas dans le domaine du droit. Il ne connaît pas la terminologie. Si on nous envoie une personne qui a l'habitude de faire de l'interprétation dans le domaine météorologique, ça donne un autre climat.
Je vous assure que dans certaines situations où l'accusé n'est pas représenté par un avocat, la Couronne elle-même constate ce problème. Le cas de M. Vaillant, à Calgary, en est un exemple. La juge, autrement dit la Couronne, a dit reconnaître que l'interprétation était telle que si l'accusé avait été représenté par un avocat, celui-ci aurait demandé un non-lieu. Elle a par conséquent retiré les accusations. En effet, l'avocate de la Couronne avait déjà corrigé une fois l'interprète. Le juge l'avait également corrigé et, à la fin, même l'accusé s'était mis à le faire. Il a ajouté par la suite qu'à ce compte-là, il devrait offrir ses services en tant qu'interprète, ce qui lui rapporterait autant que son travail de camionneur.
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Le Code criminel prévoit que les provinces peuvent adopter des règles et des règlements pour s'assurer de la mise en oeuvre des droits, que ce soit pour ce qui relève de la Partie XVII ou d'autres parties. On pourrait peut-être préciser qu'en faisant cela, elles doivent s'assurer de discuter avec des représentants de la communauté qui se trouve en situation minoritaire. Normalement, cela devrait aller de soi. D'ailleurs, le Secrétariat des règlements du Conseil exécutif de l’Alberta a comme politique de consulter les gens concernés, que ce soit dans le domaine commercial ou dans n'importe quel autre domaine. Toutefois, ils ne le font pas dans le cas des droits linguistiques, et surtout pas avec la communauté vivant en situation minoritaire.
Nous avons demandé de rencontrer des représentants du ministère de la Justice de l’Alberta pour discuter de problèmes, même en matière criminelle. Depuis quelques années et pour quelques autres années encore, leur position est de ne discuter ni avec les représentants de la communauté francophone en général, ni avec les représentants des juristes d'expression française tant que la Cour suprême n'aura pas décidé si l'Alberta avait l'obligation de ne pas enlever les droits à la justice en français en Alberta. Cela a été fait en 1988.
Toutefois, cela n'a pas de conséquences sur l'utilisation du français ou de l'anglais devant les tribunaux. Ce sont deux parties de la Loi linguistique. On punit la communauté francophone depuis des années. On a cela par écrit. Vous pourrez lire, dans notre mémoire, que des gens — c'est souvent le ministre de la Justice lui-même — écrivent à plusieurs reprises à l'Association canadienne-française de l'Alberta et à l'Association des juristes d'expression française de l'Alberta pour les informer qu'ils ne les rencontreront pas tant que la Cour suprême n'aura pas rendu sa décision sur la cause Caron qui porte sur la justice en français.
Ils ne veulent même pas parler de cela. Ils demandent une rencontre pour discuter d'autres choses comme, par exemple, s'ils auront la transcription de l'audience criminelle en français, car si cela ne se fait pas, un droit constitutionnel à la défense pleine et entière est nié à l'accusé. Non, il n'y a pas de rencontre possible. La dernière lettre que j'ai reçue a été très claire. On m'a renvoyé une lettre postée deux ans auparavant en m'indiquant que j'avais mal compris et que cette situation valait aussi pour le droit criminel. On m'a précisé que quand ce serait le temps, je pourrais écrire au ministre et non pas à The Alberta Crown Prosecution Service.
Il y a un grand contrôle. Vous avez tout un défi, soit celui d'inclure dans le Code criminel un libellé qui va faire en sorte qu'il y aura de la concertation. J'ai été pendant 10 ans directeur général de l'Association des juristes d'expression française de l'Ontario. Je peux vous dire qu'il y avait une très bonne relation avec le Procureur général de l'Ontario et que la concertation était exemplaire. L'Ontario, depuis le temps où j'ai grandi à Ottawa et depuis les huit dernières années...
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Merci beaucoup, monsieur le président.
Je remercie les témoins de leur présence.
Je vais parler d'un aspect un peu différent. Je suis un ancien agent de la GRC et je vais parler du travail des policiers à cet égard. Il me semble que nous mettons toujours la charrue devant les boeufs, car tout ce dont nous avons parlé aujourd'hui concerne le moment où nous nous présentons devant les tribunaux, mais il nous faut tout d'abord nous rendre à cette étape. Nous parlons d'un problème important, les articles 530 et 531, en ce qui concerne les policiers. Dans certaines provinces, comme le Nouveau-Brunswick, il arrive parfois que les agents doivent vérifier devant quelle cour les accusés veulent aller. S'ils font fausse route, nous sommes perdus dès le départ.
Je me demande si vous avez quelque chose à dire à ce sujet, sur ce qui se passe du côté des policiers. C'est que je trouve cela quelque peu frustrant parfois. Toute ma carrière, j'ai servi en Colombie-Britannique. Une seule fois, une personne a invoqué ses droits pour l'autre langue officielle. Cela a été une situation difficile pour moi. C'était dans le Nord de la Colombie-Britannique où il y avait très peu d'agents francophones à l'époque. C'était très différent de la situation actuelle.
J'aimerais savoir comment on peut améliorer plus ou moins les articles 530 et 531 en tenant compte du travail des policiers, qui devient vraiment difficile. J'ai vu des cas où nous avons perdu des procès et le policier avait fait un travail important. Sans y être pour quoi que ce soit, une décision fondée sur un argument concernant la Charte a mené au rejet des accusations.
N'importe qui d'entre vous peut commencer.
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J'aimerais vous référer à une cause de la Cour suprême du Canada. C'est l'arrêt
Société des Acadiens et Acadiennes du Nouveau-Brunswick c. Sa Majesté la Reine, soit une cause de 2008.
Il y a deux aspects au problème que vous soulevez. La GRC est particulière. La Cour suprême a établi que la GRC est une institution fédérale en tout temps. Alors, en tant que membre d'une institution fédérale en tout temps, lorsqu'un agent de la GRC arrête un individu, il doit respecter l'article 20 de la Charte. Cet article prévoit qu'en matière de communications et de services, il doit faire une offre active. Cela relève de la partie 4 de la Loi sur les langues officielles, qui prévoit également que le policier doit faire une offre active. Cela veut dire que l'agent doit s'adresser en français à la personne arrêtée. Il pourrait lui dire:
[Traduction]
Bonjour madame/monsieur. Voulez-vous vous qu'on vous parle en anglais ou en français?
[Français]
Le problème est le suivant. Vous avez la question de la demande importante en vertu de l'article 20 de la Charte. De plus, il y a un règlement sur les langues officielles qui détermine des territoires, des événements et des contextes précis pour offrir le services dans les deux langues. Lors d'un procès, chaque individu a droit à un procès dans sa langue. On ne parle plus de demandes importantes.
On pense au concept qui sous-tend l'article 19 de la Charte. Lorsque la preuve déposée devant le juge l'a été en violation des droits, le juge ne peut pas la considérer. Si le policier n'a pas respecté l'article 20 de la Charte, il y a un problème qui se présente.
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J'ai commencé à poser les questions et je vais aussi terminer.
Pour profiter des minutes dont je dispose, je veux d'abord vous féliciter, Geneviève. Ce que vous faites en tant que jeune étudiante en droit est tout à fait remarquable et extraordinaire. De plus, je suis d'avis que vous étudiez à la meilleure université pour ce qui est du droit.
Cela dit, j'ai bien entendu les problèmes soulevés par mon collègue conservateur M. Wilks, mais selon moi, cela ne cadre pas avec la présente étude sur la partie XVII du Code criminel. Nous en sommes en effet à l'étape qui suit l'arrestation. Quoi qu'il en soit, il y aurait peut-être lieu de se pencher sur ces problèmes de façon plus approfondie. Je peux faire preuve de sympathie à l'égard de ces problèmes, mais la question de fond ici consiste à savoir si les dispositions de cette partie sont suffisantes, comme je l'ai mentionné plus tôt.
Je veux m'assurer de vous avoir bien compris, étant donné que nous allons bientôt entamer la rédaction de notre rapport.
Le Canada est un grand pays qui, au niveau fédéral, est bilingue. Le bilinguisme est probablement beaucoup mieux vécu à Montréal qu'en région, par exemple au Saguenay ou ailleurs au Canada. De grandes villes bilingues comme Montréal ne sont pas légion. Je veux bien remettre cela en perspective. Je suis une Québécoise fière de pouvoir écrire et parler couramment les deux langues. Par contre, cela a nécessité beaucoup d'efforts et de volonté personnelle. Dans certains cas, cela va de pair avec un contexte de vie.
J'ai compris votre message quand vous disiez qu'une certaine volonté était nécessaire. On parle de volonté politique et peut-être faudrait-il rappeler à notre magistrature qu'elle a des obligations en vertu de la partie XVII du Code criminel. Il faut s'assurer que cette question n'est plus laissée aux avocats. Je ne dis pas que c'est mauvais ou que c'est bon, mais je sais comment ça fonctionne en matière de droit criminel. Un matin où il y a trois ou quatre prévenus, que ceux-ci n'ont pas d'avocat et que personne n'a son Cardex d'avocats, on choisit celui qui est présent dans la salle, etc. Autrement dit, dans certains cas, la question de la langue n'est pas la priorité de l'avocat. Par conséquent, il serait peut-être préférable de confier cette question à la personne qui guide le procès, c'est-à-dire au juge.
Pour faire en sorte qu'il y ait cette volonté politique, à savoir cette volonté réelle de tenir un procès dans la langue choisie par l'accusé, il faut s'assurer que les juges informent les gens de ce droit et que ceux-ci peuvent s'en prévaloir de la façon la plus simple possible. Dans certains endroits reculés, plus ruraux ou en région partout au Canada, cela peut être un peu plus difficile, mais la loi prévoit déjà que cela doit être fait et ce qui doit être fait. Je crois que vos témoignages à ce sujet auront tout de même été édifiants.
Si j'ai bien compris, vous considérez que cela devrait aussi s'appliquer à l'étape de la comparution ainsi qu'à celle de la remise en liberté, qui sont extrêmement importantes pour les accusés. Est-ce exact?