:
Je vous remercie, monsieur le président, vous et les honorables membres du comité.
Bonjour. Good morning.
Je vous remercie de me donner l'occasion de vous faire part de mes observations dans le cadre de l'étude qu'effectue actuellement le Comité permanent de la justice et des droits de la personne de la partie XVII du Code criminel et de la mise en oeuvre des modifications apportées aux articles 530 et 530.1 du Code criminel en 2008.
Le Commissariat aux langues officielles suit avec intérêt l'évolution de ces dispositions depuis 1995.
[Français]
Comme les membres de ce comité le savent, j'ai publié en août 2013 une étude intitulée « L'accès à la justice dans les deux langues officielles: Améliorer la capacité bilingue de la magistrature des cours supérieures ». C'est une étude que j'ai entreprise en collaboration avec la commissaire aux langues officielles du Nouveau-Brunswick et le commissaire aux services en français de l'Ontario. Cette étude nous a permis de constater que le processus de nomination des juges ne permettait pas de garantir la nomination d'un nombre approprié de juges bilingues au sein des cours supérieures et des cours d'appel du pays.
En conséquence, malgré les dispositions du Code criminel consacrant le droit des Canadiens d'être entendus dans la langue de leur choix dans les instances criminelles, ce droit demeure encore précaire.
[Traduction]
Notre conclusion est fondée sur trois constatations clés.
Premièrement, il n'y a pas d'analyse objective des besoins qui concerne les juges bilingues dans les différents districts et régions du pays.
Deuxièmement, il n'y a pas d'approche concertée de la part du ministère fédéral de la Justice, de ses homologues provinciaux et territoriaux et des juges en chef des Cours supérieures afin d'établir un processus de nomination d'un nombre approprié de juges bilingues.
Finalement, l'évaluation des candidats à la magistrature supérieure ne permet pas de vérifier de façon objective les compétences linguistiques des candidats. En effet, les candidats à la magistrature fédérale peuvent déclarer dans leur formulaire de candidature qu'ils sont capables de présider des procès dans les deux langues officielles, mais cette affirmation n'est pas vérifiée de façon objective. Tout au plus, le comité qui analyse les candidatures pourra effectuer certaines consultations auprès des personnes données en référence. Cependant, le candidat ne sera jamais rencontré en entrevue, et encore moins évalué au moyen d'un examen objectif des compétences linguistiques, comme c'est le cas, par exemple, pour les employés de la fonction publique.
Il n'est donc pas surprenant que, comme un certain nombre des répondants interrogés dans le cadre de notre étude, les plaideurs qui parlent la langue officielle de la minorité sont bien souvent obligés d'être entendus dans la langue de la majorité, car dans le cas contraire, ils risquent d'avoir à assumer des coûts et à subir des retards supplémentaires s'ils persistent à exercer leurs droits.
[Français]
À la lumière de ces constats, j'ai formulé plusieurs recommandations visant principalement le ministre de la Justice du Canada. Je recommande notamment au ministre d'établir, de concert avec le procureur général et les juges en chef des cours supérieures de chaque province et territoire, un protocole d'entente visant à adopter une définition commune du niveau de compétence linguistique requis de la part des juges bilingues et à définir le nombre approprié de juges ou de postes désignés bilingues.
Je recommande également la mise sur pied d'un processus visant à évaluer de façon objective les compétences linguistiques de tous les candidats qui ont précisé leur niveau de capacité linguistique dans leur fiche de candidature.
[Traduction]
Le 22 février 2014, l'Association du Barreau canadien a adopté à l'unanimité une résolution appuyant notre étude et exhortant le à mettre en oeuvre nos recommandations. Il est important de préciser que le but de notre étude n'était pas de déterminer s'il existe une pénurie de juges bilingues. L'objectif de l'étude était plutôt d'analyser dans quelle mesure le processus de nomination garantit une capacité bilingue suffisante au sein des cours supérieures du pays.
Je crois cependant que la mise en oeuvre de nos recommandations constitue la meilleure façon de consolider un bassin de juges bilingues dans les cours supérieures du pays. De plus, notre étude touche uniquement les cours supérieures, lesquelles entendent les causes criminelles les plus graves et sont également utilisées dans les procès avec jury. L'étude ne vise pas les cours provinciales.
[Français]
Concernant le nombre de juges bilingues au pays, j'aimerais faire quelques remarques supplémentaires. Lors de leur comparution devant vous, certains témoins ont affirmé qu'il y avait suffisamment de juges bilingues dans les cours du pays. Je ne peux pas parler du nombre de juges bilingues au sein des cours provinciales, mais pour ce qui est des juges des cours supérieures, il est actuellement impossible de déterminer si le nombre de juges bilingues dans les cours supérieures est suffisant, et ce, pour deux raisons principales.
Tout d'abord, pour affirmer qu'il y a suffisamment de juges bilingues, il faut s'être assuré que le nombre de juges bilingues permet de répondre aux besoins des membres des communautés de langue minoritaire en matière d'accès à la justice dans les deux langues officielles. Or, comme je l'ai mentionné plus tôt, aucune analyse objective de ces besoins n'est effectuée à aucun moment du processus de nomination des juges des cours supérieures. Le du Canada consulte des juges en chef avant de procéder à la nomination d'un juge dans les cours supérieures et les besoins en matière de juges bilingues peuvent parfois être discutés dans le cadre de ces consultations.
Comme le processus de consultations est entièrement informel, on ne sait pas sur quoi se basent les juges en chef lorsqu'ils communiquent leurs besoins en matière de juges bilingues. On peut faire l'hypothèse, cependant, que les juges en chef se basent en partie sur la demande de procès dans la langue officielle de la minorité qui a eu lieu au cours des années précédentes. Or, comme le révèlent plusieurs témoignages de notre étude, ce nombre est forcément inférieur aux besoins réels, car les justiciables rencontrent plusieurs obstacles lorsqu'ils exercent leurs droits linguistiques devant les tribunaux.
Mentionnons, entre autres, les délais et les coûts additionnels souvent occasionnés par la demande de procès dans la langue de la minorité ainsi que le manque de connaissances des droits linguistiques de la part des justiciables et de plusieurs intervenants du système judiciaire. Ces obstacles font en sorte que les Canadiens procèdent souvent dans la langue de la majorité malgré leur droit à utiliser la langue de la minorité.
[Traduction]
Nommer des juges bilingues en fonction uniquement de la demande contribue à cette situation et crée un cercle vicieux qui nuit à la préservation et au développement des communautés de langues officielles. C'est la raison pour laquelle je recommande qu'il soit procédé à une évaluation objective des besoins sur le plan de l'accès à la justice dans les deux langues officielles qui tienne compte de l'opinion des associations de juristes de common law francophones et des milieux juridiques de langue minoritaire.
Deuxièmement, pour pouvoir affirmer qu'il existe suffisamment de juges bilingues, il faut être certain que les compétences linguistiques des candidats à la magistrature des cours supérieures sont évaluées de façon objective. Ce n'est pas le cas à l'heure actuelle. Comme je le disais plus tôt, les candidats à la magistrature ne subissent aucun examen ou entrevue concernant leur capacité linguistique. Il est donc impossible de savoir quels sont les juges qui possèdent un niveau de bilinguisme suffisant. En fait, il n'existe pas de définition ni de critères objectifs permettant de déterminer ce qu'est un juge bilingue.
Pour tous ces motifs, mes homologues et moi-même avons pressé le de faire preuve de célérité et d'esprit de collaboration dans la mise en oeuvre de ces recommandations. Les conséquences de l'inaction sont bien réelles pour les citoyens aux prises avec l'appareil judiciaire et qui n'ont pas de garantie de pouvoir être entendus dans la langue officielle de leur choix. La pleine mise en oeuvre de ces recommandations est cruciale afin d'assurer le respect des droits garantis à la partie XVII du Code criminel.
[Français]
J'espère que mes commentaires seront utiles pour la poursuite de votre étude.
Monsieur le président, membres distingués du comité, je vous remercie de votre attention.
:
Cela m'amène à ma question suivante.
J'ai fait toute ma carrière dans l'Ouest du Canada et nous n'avons pas très souvent été en contact avec la langue officielle qu'est le français. Personne ne la parle, d'accord? Mais cela arrive parfois, et ce sont ces rares cas qui soulèvent des problèmes, parce que, comme je l'ai mentionné dans le témoignage précédent, le problème vient du fait que nous recevons la carte 10a) et 10b) pour la Charte et qu'elle est rédigée dans les deux langues officielles.
Il ne m'est arrivé qu'une seule fois d'avoir un problème grave après avoir stoppé un véhicule. On ne peut pas à ce moment-là demander de l'aide. Vous êtes là, vous leur donnez la carte et leur dites de la lire. Vous devez donc ensuite tenir pour acquis qu'il — dans ce cas-là c'était un homme — l'a comprise. Il a reconnu que oui, il avait reçu la carte. Je dirais que cela ne serait peut-être pas suffisant pour convaincre un tribunal.
Je crois que cela m'amène à ma deuxième question qui porte sur les langues officielles dans un contexte plus large. Je comprends la situation du Nouveau-Brunswick, mais cela devrait-il s'appliquer à toutes les étapes du processus judiciaire, depuis le moment de l'arrestation, en passant par la communication de la preuve et jusqu'aux enquêtes sur cautionnement? Cela pose un problème important lorsqu'il faudrait alors modifier l'ensemble du système judiciaire.
:
Ma question est complexe, mais j'aimerais quand même que vous y répondiez rapidement.
Dans la rédaction de notre rapport, j'essaie toujours d'être très pratique. Les principes sont extrêmement importants, mais il faut être logique et pratique et se demander combien de temps tout cela prendra.
Si le comité arrivait à la conclusion de recommander au Parlement de revoir la partie XVII afin d'en élargir la portée, cela aurait certainement des répercussions sur les ressources. Il faudrait qu'il y ait des acteurs judiciaires parlant la langue de l'accusé, que ce soit des juges, des interprètes, des transcripteurs, des jurys, etc.
Certaines choses peuvent se faire plus rapidement que d'autres. Vous travaillez dans le domaine des langues officielles et vous savez que dans bien des cas, les choses avancent à la vitesse d'une tortue. Dans ce contexte, quel serait selon vous un échéancier raisonnable?
À la suite de l'exercice qu'on aura effectué, il se dégagera peut-être une impression de dialogue de sourds. Je suis convaincue qu'on arrivera tous à la même conclusion, mais certains ministres provinciaux de la Justice semblent dire qu'il n'y a pas de problème. Or les avocats sur le terrain ne tiennent pas nécessairement le même discours. Même si chacun regarde cette question avec sa propre lorgnette, il faut s'assurer que tous les acteurs y participent, car ce n'est pas quelque chose que le gouvernement fédéral peut faire seul.
Quel échéancier raisonnable pourrait-on recommander pour mettre tout cela en place?