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SDIR Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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Emblème de la Chambre des communes

Sous-comité des droits internationaux de la personne du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international


NUMÉRO 018 
l
2e SESSION 
l
41e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le jeudi 27 mars 2014

[Enregistrement électronique]

(1310)

[Français]

    Chers collègues, bienvenue au Sous-comité des droits internationaux de la personne du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international.
    En ce 27 mars 2014, nous commençons notre 18eséance. Aujourd'hui, nous allons entendre un témoin de Paris, en France.

[Traduction]

    Chers collègues, c'est un peu inhabituel. Notre témoin, Annick Cojean, journaliste pour Le Monde, témoigne à titre personnel de Paris. Nous tenons une audioconférence, car le temps ne nous permettait pas d'organiser une vidéoconférence.
    Il semble que nous ayons un problème: nos interprètes ne sont pas là. J'ignore ce qui s'est passé. Je vais voir ce qui se passe.

[Français]

    Madame Cojean, nous n'avons pas d'interprètes pour le moment.

[Traduction]

    Je vous comprends. Il m'est peut-être plus difficile de témoigner en anglais, mais je comprends les questions.
    D'accord. Eh bien, chers collègues, je ne peux poursuivre à moins que vous n'y consentiez. Devrions-nous attendre ou aller de l'avant?
    Comme vous voulez.

[Français]

    Je suis député depuis l'an 2000 et c'est la première fois que nous ne pouvons trouver nos interprètes.

[Traduction]

    Il serait évidemment préférable que je puisse témoigner entièrement en anglais, mais j'ai peur de ne pas être aussi précise dans cette langue. Je serais donc plus à l'aise... Si vous ne le trouvez pas, je peux témoigner en anglais, évidemment.

[Français]

    Votre connaissance de l'anglais est très bonne, mais le problème est que le Parlement du Canada a des règles très strictes en ce qui a trait aux langues officielles.
    C'est très bien.
    Les deux interprètes viennent tout juste d'arriver. Je pense que nous pouvons commencer à entendre votre témoignage.
    Madame Cojean, je vous invite à commencer votre témoignage, s'il vous plaît.
    Merci, monsieur le président.
    Je suis allée en Jordanie. Ma décision de me rendre en Jordanie a été influencée par différents témoignages d'activistes et de gens que j'avais connus par l'intermédiaire de la Lybie, un pays sur lequel j'ai d'ailleurs beaucoup travaillé.
    Il se trouve que j'ai écrit un livre sur les viols commis par le dictateur Kadhafi lui-même ainsi que sur les viols commis pendant la révolution. En Lybie, Kadhafi a utilisé le viol comme une arme de pouvoir pendant 42 ans et comme une arme de guerre pendant toute la révolution. C'était un grand secret, mais cela a été prouvé.
     D'ailleurs, un décret passé le mois dernier par le gouvernement lybien reconnaît que des milliers de viols ont été commis dans ce pays et que les femmes violées doivent être considérées comme des victimes de guerre.
    Il s'agit d'un élément extrêmement important puisqu'il s'agit d'un tabou terrible. De plus, les femmes ne peuvent pas s'exprimer. C'est par l'intermédiaire de femmes lybiennes que j'ai pu avoir un accès à des femmes syriennes. Cela a été très compliqué, car on parle ici du viol.
     En Occident, quand on parle d'une notion tabou, cela veut souvent dire qu'il s'agit d'une notion délicate, un sujet dont il est difficile de parler. Dans ces pays arabes, quand on parle d'un tabou, c'est beaucoup plus grave. C'est le sujet le plus difficile et le plus sulfureux qui soit, et c'est souvent même une question de vie ou de mort. Le viol est une notion totalement taboue dans les pays arabes. Il s'agit d'un sujet dont on ne peut quasiment jamais parler, du moins en parler tout fort. Le viol est considéré comme le pire des crimes et le pire des outrages.
    Toutes les femmes qui m'ont parlé, entre autres des médecins, des avocates, des activistes et des psychologues, m'ont toutes dit que le viol est pire que la mort et qu'il est tellement plus simple de mourir.
    Le viol détruit les communautés. Il apporte la honte totale sur la famille et le déshonneur pour la famille et pour la communauté, voire pour toute une tribu. Le viol est donc considéré comme l'offense suprême.
    Or, les femmes lybiennes avec qui je suis restée en contact de même que les avocates et les médecins m'ont dit que le viol, qui est un sujet dont on ne parle pas depuis trois ans, soit depuis que la guerre sévit en Syrie, est une arme utilisé quotidiennement par le régime pour détruire la communauté syrienne, les familles et le tissu social.
    J'ai eu des contacts avec des avocats, des médecins, des psychologues et différentes personnes au Liban, en Turquie, en Égypte. Par Skype, j'ai pu rejoindre des avocates en Syrie. J'ai finalement décidé de me rendre à Amman, en Jordanie, ainsi que dans le plus grand camp de réfugiés, soit celui de Zaatari.
    Pendant quelques jours, j'ai pu y rencontrer une trentaine de personnes, dont plusieurs femmes qui ont été violées. La plupart n'en avait jamais parlé. Une des femmes que j'ai interviewée me racontait le problème des femmes violées quand, tout à coup, elle éclaté en sanglots. Elle m'a dit qu'elle me parlait aussi d'elle, car elle avait été violée. Elle m'a aussi dit qu'elle n'avait pas encore pu le dire à personne, qu'elle ne le dirait à personne d'autre et qu'elle ne l'avait évidemment pas dit à son mari, car c'était la dernière personne qui devrait le savoir.
    L'ensemble de ces témoignages m'a permis d'écrire une longue enquête dans la version papier du quotidien Le Monde et j'ai pu aussi ajouter in extenso sur notre site Internet des témoignages supplémentaires de femmes violées.
(1315)
    Ce sont des documents qui sont très rares. Le viol, qui est un crime suprême, profite du silence; il s'appuie sur le silence. C'est ce que ce crime a de très particulier. De toutes les discussions, il ressort que c'est le crime parfait puisque personne ne peut s'en plaindre. Toute femme qui se plaindrait ou avouerait avoir été violée s'exclurait de la société, de sa famille et de la communauté. Elle risquerait même la mort puisque des centaines de crimes d'honneur sont perpétrés par les membres de la famille des femmes violées.
    Avant de vous donner des détails à ce sujet, je dois vous dire que la première personne à qui j'ai pu parler est M. Burhan Ghalioun, le premier président du Conseil national syrien, que j'ai rencontré à Paris. Il est l'un des leaders les plus importants de l'opposition. Évidemment, il participe aux discussions de Genève. Il rentrait justement de Genève lorsque je l'ai rencontré. Il partait le lendemain pour la Russie afin d'y rencontrer le ministre des Affaires étrangères.
    M. Ghalioun m'a dit qu'il était temps que ce scandale éclate et soit dénoncé publiquement. Selon lui, le viol est une arme qui a fait basculer dans la guerre la révolution de son pays, laquelle était pacifique. Comme je ne comprenais pas bien ce qu'il me disait, il m'a expliqué que la révolution se voulait pacifique, que les premières manifestations étaient totalement pacifiques et que personne n'avait d'armes. Toutefois, petit à petit, au tout début de la révolution, il y a eu des viols dans les quartiers durant les raids. Il y a eu des témoignages de familles dont les femmes avaient été violées en prison. À ce moment-là, les hommes sont devenus fous. M. Ghalioun était encore à Paris et des hommes l'appelaient pour lui dire qu'on violait leurs femmes, qu'ils ne pouvaient pas ne pas réagir, que c'était le crime le plus atroce et qu'ils devaient s'armer. Ils lui ont dit que si des hommes venaient dans leurs familles et y violait leurs femmes, ils prendraient les armes et les tueraient.
    M. Ghalioun m'a alors dit quelque chose solennellement. Cela m'a tellement surprise que je l'ai fait répéter. Il m'a assuré qu'on s'était servi des femmes pour atteindre les pères, les frères et les maris et que c'était ce qui avait fait basculer la révolution dans la guerre. Il m'a dit qu'il ne voulait pas d'une guerre, qu'il savait qu'une révolution armée allait multiplier par 100 le nombre de morts, mais que la pratique du viol en avait décidé autrement. Il m'a dit croire que c'était ce que voulait Bashar al-Assad, que ce dernier savait qu'une fois les révolutionnaires armés, il serait facile de justifier les massacres et de dire qu'il était obligé de défendre les gens contre les terroristes. M. Ghalioun pense que c'était un calcul cynique de Bashar al-Assad.
    Évidemment, je ne peux pas le démontrer, car il est impossible de vérifier cette thèse. Plusieurs raisons ont transformé la révolution en guerre, en révolution armée, mais il reste que c'est un témoignage très important à considérer.
    J'ai aussi parlé au président de la Ligue syrienne des droits de l'homme. Il m'a dit entendre tous les jours des témoignages sur des viols qui surviennent en Égypte. Ces viols ont lieu aux postes de contrôle, lors des raids, dans les quartiers et, bien sûr, dans les centres de détention.
    Il se trouve que j'avais lu plusieurs rapports, dont ceux de la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme et d'Amnistie internationale. Les témoignages sont très rares. Je n'ai pas trouvé ces rapports extrêmement précis. Cependant, avant de repartir j'en ai lu un, soit celui du Réseau euro-méditerranéen des droits de l'Homme. Là, j'ai pu parler par l'entremise de Skype à la principale enquêtrice, Sima Nassar. Elle m'a donné des exemples très concrets et très précis sur les dates et les lieux où s'étaient produits ces viols de femmes, par exemple dans des centres de détention, dans des quartiers et lors de raids à Alep, à Homs et à Daraa.
    Je suis aussi allée à Amman, où j'ai rencontré des gens qui m'ont fait des témoignages précis et absolument ahurissants sur des scènes de torture — le viol étant une torture. D'après ces témoignages, ces viols se produisent presque toujours de la même façon. Il y a des viols dans les maisons et dans les quartiers. Lorsqu'ils ont lieu dans les maisons, ils sont perpétrés devant la famille, le mari et, souvent, devant les enfants. Il y a des scènes terribles où l'on demande aux frères de violer leurs soeurs.
(1320)
    Je connais un exemple très précis. On demande à un premier frère de violer sa soeur. Il refuse, on lui coupe la tête. Le deuxième refuse, on lui coupe la tête. Le troisième accepte, si on peut dire, et alors qu'il est sur la jeune fille, on le tue également. Ensuite, il y a un viol de la jeune fille devant ses parents.
    J'ai entendu plusieurs témoignages précis, très difficilement soutenables, faits par des gens qui ont vu ces choses ou qui les ont vécues. Il y a donc des viols lors des raids dans les maisons. Ce sont toujours des viols collectifs. Plusieurs soldats les commettent en général devant des témoins. On parle aussi de femmes qu'on kidnappe et qu'on viole dans des maisons particulières prévues, semble-t-il, à cette fin. On parle de maisons de quartier qui sont gardées et dans lesquelles des femmes sont violées jour et nuit pendant plusieurs jours.
    Les femmes sont arrêtées également aux postes de contrôle de la circulation. On sait que lorsqu'elles sont arrêtées aux postes de contrôle de la circulation, on leur bande les yeux ou on leur met des cagoules et on les entraîne dans des centres de détention tenus par les services secrets. Plusieurs de ces centres sont célèbres, ils ont des numéros à Damas. Il y a également plusieurs centres des services secrets à Homs et près de Daraa. La plupart des femmes avaient même du mal à situer où elles étaient. J'ai entendu plusieurs témoignages et il semble que c'est pratiquement toujours la même chose. Ces lieux de détention et ces cellules sont dans des sous-sols. En général, on leur fait descendre des escaliers très profonds et plusieurs me racontent les mêmes scènes. C'est terrifiant. Cela me faisait penser à des tableaux du Moyen-Âge qui représentent l'enfer. Il y a un grand couloir où des gens sont attachés. Il y des hommes et des femmes, — en l'occurence c'était des hommes —, mais dans les salles de torture, des femmes sont attachées ou crucifiées. C'était le mot qu'utilisait ma traductrice. Elles avaient donc les bras et les jambes écartés, elles étaient attachées par des cordes et torturées.
    Ce n'est que par la suite que j'ai vu qu'une liste de 31 tortures avaient été répertoriées par Amnistie Internationale. Je n'ai vu cela qu'après et cela correspondait à ce qu'on m'avait raconté. En effet, elles sont flagellées avec des fils de fer. On promène des bâtons électriques sur leur corps et on les introduit dans le vagin, dans l'anus et sur tout le corps. Quelquefois, elles sont suspendues par les bras et quelquefois elles sont suspendues par les pieds, la tête en bas. Régulièrement, on leur fait toucher de l'eau, soit par les pieds ou par les mains quand elles ont la tête en bas, ce qui accentue les chocs électriques.
    Je reviens au viol. Il y a en général une sorte de processus qui est le même. Quand les femmes arrivent, on les met à nu tout de suite. Il faut savoir que ces femmes sont très conservatrices et très religieuses. Ce sont des femmes voilées. Le fait de les mettre à nu quand elles arrivent est absolument atroce. D'ailleurs, la plupart refusent. On commence à se moquer d'elles et on leur demande si elles préfèrent que les gardiens le fassent eux-mêmes. Alors, elles en arrivent à le faire. Petit à petit, on se moque s'elles, on les touche, on palpe leurs seins, etc. On leur fait faire des exercices de gymnastique et, très souvent, ces scènes sont filmées et elles le savent.
    Sima Nassar m'a raconté que lorsqu'une femme est violée sous les caméras de télévision, le film-vidéo va être envoyé à son oncle qui est par exemple, un chef religieux ou un prédicateur très connu. J'ai plusieurs exemples de films-vidéo envoyés par la suite à des familles pour les offenser, inutile de dire pourquoi. Une fois qu'elles sont mises à nu, on les envoie dans des cellules. Quelquefois, c'est dans des cellules minuscules dans lesquelles elles ne peuvent ni se tenir debout, ni s'allonger. Elles sont recroquevillées. Il y a là des scènes terribles parce qu'il y a des rats. Parfois, on leur lance un carton pour attirer les rats. Elles sont dans l'obscurité et elles sentent les rats.
(1325)
    D'autres sont vraiment très nombreuses dans les cellules, qui ne sont évidemment pas conçues pour contenir un si grand nombre de personnes. Elles sont les unes contre les autres, elles se touchent et ne peuvent évidemment pas toutes s'allonger la nuit. C'est à tour de rôle qu'elles peuvent le faire. Là encore, il y a toujours des scènes impliquant des souris et des rats.
     Ensuite, on les viole, quelquefois devant les autres. À d'autres occasions, elles sont entraînées dans une cellule où elles sont violées, toujours par plusieurs personnes. Souvent, me dit-on, ce sont des gens qui sentent l'alcool. Quoi qu'il en soit, c'est toujours sous les yeux d'un chef, qui ordonne ces viols et dit comment procéder. Je ne sais pas si je dois vous décrire les scènes les plus atroces, mais comme vous pouvez l'imaginer, ces femmes sont toutes affolées. Certaines d'entre elles s'évanouissent.
    J'ai rencontré à Amman des médecins psychologues qui m'ont décrit des vagins ravagés, extrêmement abîmés et des corps martyrisés. Ces femmes m'ont aussi montré des cicatrices terribles. On lacère leur corps au moyen de petits couteaux. Il y a toujours des brûlures de cigarette dans le cou, sur les seins et ailleurs. Une des questions essentielles qui se pose consiste évidemment à savoir s'il s'agit d'initiatives barbares, dispersées, imputables à des soudards et à des ivrognes livrés à eux-mêmes, ou s'il s'agit plutôt d'une arme stratégique, élaborée et commandée par une hiérarchie.
    J'ai interrogé à ce sujet des gens responsables comme Abdul-karim Rihawi, le président de la Ligue syrienne des droits de l'Homme, Burhan Ghalioun, l'ancien président du Conseil national syrien, ainsi que des avocates que j'ai rejointes en Syrie. Ces personnes sont absolument convaincues qu'il s'agit d'un ordre absolument massif qui est exécuté dans tous les centres de détention des services secrets. Je précise que cela se produit dans les centres de détention des services secrets et pas forcément dans les prisons officielles. En effet, des avocats peuvent avoir accès à ces dernières, même si c'est difficile. Il y a donc des semblants de procès, des farces, mais il y a tout de même des visites. Dans les prisons officielles, on peut parler aux prisonnières. C'est pourquoi les viols ont lieu dans les centres de détention des services secrets. Tout le monde me dit que c'est effectivement une stratégie. J'ai essayé de voir comment il serait possible d'en faire la preuve. Or c'est extrêmement compliqué.
    Je note c'est que c'est toujours le même processus: les femmes sont mises à nu, filmées et violées devant des témoins. Il s'agit toujours de viols collectifs et les mêmes phrases sont toujours prononcées. Comme me l'ont dit plusieurs femmes— et une activiste qui a fait une autre enquête en Syrie me l'a affirmé également —, on leur dit: « Vous, les rebelles, vous vouliez la liberté, eh bien la voilà ». On leur dit cela en les violant. C'est toujours le même processus.
    De plus, plusieurs femmes m'on dit qu'on leur injectait un produit paralysant pour qu'elles ne remuent pas. On m'a livré un témoignage que je n'ai entendu qu'une seule fois. Je l'ai recueilli presque par hasard, un jour où j'ai revu l'une des jeunes filles qui me racontaient des choses absolument terribles. J'ai publié son témoignage in extenso dans Le Monde. Elle a assisté à des choses horribles que subissent les femmes, mais ça touche aussi les hommes. En effet, sachez qu'on viole les hommes. Aucun ne le dira. Là encore, le secret est obligatoire. Aucun homme ne l'avouera jamais, mais il y a aussi énormément d'hommes qui sont violés. On m'a dit qu'environ 80 % des prisonniers étaient violés et que c'était invérifiable. On m'a dit aussi que les hommes préféreraient mourir plutôt que d'avouer une chose pareille.
     Par contre, lorsqu'ils sortent de prison, les hommes ne risquent rien. En réalité, le fait d'avoir été torturé fait d'eux des héros alors qu'une femme ayant été torturée ou dont on imagine simplement qu'elle a pu être violée est bannie. Sa vie est foutue du fait qu'elle risque d'être exclue de sa famille. J'ai dit ceci à une jeune femme qui avait accepté de me parler et que je revoyais pour la deuxième fois « Vous avez été violée à de nombreuses reprises, presque tous les jours à un moment donné. Est-ce que vous étiez terrifiée à l'idée de tomber enceinte? » Or elle m'a répondu « Eh bien non ».
(1330)
    Elle m'a dit que, dans ce chaos qu'était la prison, dans ces horreurs qu'elle voyait tous les jours, dans cette saleté dans laquelle elles étaient puisqu'il était impossible d'avoir des douches et que certaines n'ont jamais pu se laver pendant plusieurs mois, un médecin passait avec un petit carnet pour demander les jours de leurs règles, puis passait vérifier. Il leur donnait une pilule. Elle ne m'a pas dit le mot, mais il y avait une pilule à prendre tous les jours à une heure fixe. Vraisemblablement, c'était une pilule contraceptive.
     Elle a dit qu'à un moment donné, ses règles étaient en retard de trois jours. Elle m'a dit que le médecin — que les détenues appelaient le docteur Cetamol — lui a donné un cachet quand il a su qu'elle avait ce retard. Ce cachet, ce médicament comme elle le disait, lui a fait mal au ventre toute la nuit. Elle a été très malade. Elle ne dit pas le nom de ce médicament bien sûr, mais je pense qu'on peut conclure que c'était une pilule abortive.
    On m'a dit aussi que des bébés naissent pourtant de ces viols collectifs. Il n'y a pas toujours cette pilule dans ce centre à Damas dont on m'a parlé plusieurs fois. Des bébés naissent et cela provoque des drames en cascade. Dans la ville de Lattaquié, par exemple, une jeune femme s'est suicidée parce qu'elle n'avait pas réussi à avorter. Une autre a été jetée du balcon du premier étage par son père. On a trouvé des nouveau-nés dans les ruelles de la ville de Daraa. C'est tout le désespoir de beaucoup de femmes à qui j'ai parlé. Des activistes ou des avocates me disaient que ce silence dans lequel elles étaient enfermées était terrible, parce qu'elles ne pouvaient même pas les aider.
    Elles ne peuvent pas témoigner et sont enfermées dans leur silence. C'est une prison totale. On sait que le silence est le meilleur allié du bourreau. C'est toute la perversité de cette arme. Les femmes ne peuvent pas dire ce qu'elles ont vécu et puisqu'elles ne peuvent pas le dire, on ne peut pas les aider. On ne peut pas intervenir et dénoncer officiellement ce crime puisque les premières victimes sont enfermées dans ce silence.
     Je pourrais aussi vous dire ce qu'on m'a raconté sur ces femmes. Certaines, après avoir été violées en prison, ne peuvent en parler qu'à leurs codétenues à qui c'est aussi arrivé. La première panique, en dehors des souffrances terribles qu'elles ont, est de dire qu'elles sont foutues. Certaines n'osent même pas retourner dans leur famille lorsqu'elles sont relâchées. Elles n'osent plus faire face à leur père ou à leur mari. D'autres risquent d'être victimes de crimes d'honneur. En effet, le président de la Ligue syrienne des droits de l'Homme m'a dit qu'il y a eu des centaines de crimes d'honneur à Alep, à Homs et dans les principales villes où cela a pu arriver.
    Par ailleurs, certaines vivent des drames dans leur famille sans être tuées. Elles sont bannies et sont complètement rejetées par leur belle-famille. On m'a cité le cas d'une jeune femme qui a vécu quelque chose de terrible. Lorsqu'elle est revenue chez elle, ses bagages et ses valises étaient devant la maison. On lui fait comprendre qu'elle ne pouvait plus revenir. Son mari l'a rejointe finalement et a voulu quand même vivre avec elle. Ils sont allés en Jordanie jusqu'au moment où quelqu'un a dit, officiellement, que cette femme avait été violée. Le mari a été fou de rage et a immédiatement divorcé. La femme a dû rentrer sous l'opprobre et sous la honte totale du reste de sa famille.
     Ce sont des situations très douloureuses. C'est le crime le plus terrible parce qu'il fait exploser les familles. Il détruit le système social et il fait des femmes des doubles victimes ou des coupables d'avoir été victimes. C'est pour cela que ce crime n'est pas comme les autres. Il entraîne le désespoir, y compris celui des activistes et de celles qui voudraient les aider, parce qu'on ne peut pas en parler et qu'on ne sait même pas comment les aider. Au dernier moment, une femme m'a avoué qu'elle n'avait pas dit à son mari qu'elle avait été violée, qu'il lui était arrivé ce truc terrible, qu'elle voulait mourir et qu'elle ne savait plus comment vivre. Cette femme avait déjà deux enfants. Elle a dit que le monde entier se préoccupait des armes chimiques, que l'ONU se préoccupait des armes chimiques, mais que, pour elles, comme Syriennes, le viol était pire que la mort et qu'il avait lieu tous les jours.
(1335)
    Je vous remercie.
    Merci, madame Cojean.
    Six membres du comité aimeraient vous poser quelques questions. Nous allons commencer avec M. David Sweet.

[Traduction]

    Malheureusement, monsieur Sweet, comme le temps nous est compté, je pense que nous devons nous en tenir à des interventions de quatre minutes pour les questions et les réponses. Vous pouvez probablement soulever une question, puis nous permettrons à chacun de faire de même.
    Oui, cela me convient, monsieur le président. Je pense que son témoignage était très solide.
     Madame Cojean, je ne peux même pas imaginer, à entendre votre témoignage, ce que ce doit être d'interroger face à face ces femmes qui ont subi ces incroyables horreurs. Elles se trouvent maintenant dans une situation impossible, à double insu. Elles ont été maltraitées, mais si elles s'expriment pour tenter d'en arriver à une certaine guérison émotionnelle, elles sont de nouveau victimes de mauvais traitement.
    Je n'ai qu'une question. Vous avez fait référence à tous les crimes et aux viols qui sont commis. Il me semble que vous avez dit que ces exactions étaient entièrement le fait du régime Assad. Vous avez mentionné les services secrets, etc. Je me demande si vous avez trouvé des preuves que d'autres éléments font la même chose en Syrie.
(1340)

[Français]

    Je ne suis pas allé moi-même en Syrie. Comme vous le savez, la situation est très complexe. Certaines de mes collègues ont été kidnappées et on n'a pas de nouvelles d'eux depuis neuf mois. C'est pourquoi je n'ai pas pu aller sur place.
    Mes convictions reposent sur les témoins auxquels j'ai pu parler directement. Ces femmes citent d'ailleurs les mêmes centres de services secrets qu'il est maintenant facile d'identifier. D'ailleurs, je l'ai vu dans les documents d'Amnistie internationale ou de la Fédération internationale des ligues des droits de l'Homme. On voit même où se situent les différentes branches des services secrets à Homs, à Deraa et essentiellement à Damas. Certains de ces endroits ont des réputations terribles. Plusieurs femmes m'ont dit avoir été détenues dans ces endroits. En somme, je ne peux pas être plus précise que ça. Les témoignages se recoupent sur des endroits très précis dont on connaît maintenant l'emplacement géographique.
    La plupart du temps, ce sont des branches différentes des services secrets. Il y a également des miliciens qui violent des femmes au cours de raids dans des quartiers ou des villages. Je sais aussi une chose difficile à imaginer. Plusieurs femmes m'ont racontée avoir été arrêtées par des hommes qui ne portaient pas d'uniforme et avoir été transportées dans des voitures banalisées. Ce n'était même pas des voitures officielles ni des voitures de police. C'est donc extrêmement difficile d'être plus précise que je le suis.
    D'autre part, il est assez fascinant de voir que dans la plupart des viols, on bande les yeux des femmes. D'ailleurs, une femme m'a raconté —  elle voulait même me le montrer — que sa fille a pu garder le bandeau qu'on lui mettait systématiquement sur les yeux lorsqu'elle était violée. Ça paraît incroyable!
    Une femme avait aussi gardé un papier sur lequel on mettait son numéro. On lui donnait un numéro et on lui faisait signer quelque chose. Elle était tellement préoccupée de garder un élément de preuve. Ces femmes ont évidemment très peu de preuves matérielles.
    Pour ce qui est des centres des services secrets, on les connaît, semble-t-il, à Amnistie internationale. De plus, d'autres organisations ont réussi à identifier l'endroit, à Damas, où on garde la plupart de ces femmes.

[Traduction]

    Merci.
    Nous accordons la parole à M. Marston.
    Je vous remercie de votre témoignage. J'ai rarement eu vent de traitements aussi sadiques que ceux dont vous nous avez parlé. Au Canada, nous savons que la Syrie est un État qui a servi à faire de la torture par procuration. Deux Canadiens, Maher Arar et Abdullah Almalki, ont été victimes de ces pratiques, mais l'étendue du problème...
    Il me vient quelques questions à l'esprit. Vous avez affirmé que les vidéos étaient envoyées aux familles. A-t-on pu mettre la main sur certaines d'entre elles pour s'en servir comme preuve?

[Français]

    Il s'agit en effet d'une question très importante.
    On me l'a dit et on me disait exactement la même chose en Lybie où j'ai mené ce type d'enquête. C'était extrêmement rageant, comme cela l'a été pour la Cour pénale internationale, qui se préoccupait évidemment des viols, puisqu'elle a ouvert une enquête sur Kadhafi.
    Il semble qu'il reste des vidéos, mais il est extrêmement difficile de les récupérer. Le souci des personnes auxquelles une vidéo a été envoyée était de la détruire le plus vite possible. Cela nous ramène à la perversion de cette arme puisque les gens détruisent immédiatement les vidéos. Ils ont très peur qu'elles tombent dans des mains qui ne sont pas complaisantes ou fraternelles et qu'elles puissent être utilisées contre eux.
(1345)

[Traduction]

    Je pensais plutôt que si quelqu'un était mort, si une des femmes était décédée, on aurait pu se servir des vidéos si on avait pu les récupérer. Ce que je veux dire, c'est que je crois que je vois là des viols approuvés par l'État.
    Selon des témoignages que nous avons recueillis dans le cadre d'une étude que nous avons réalisée, ces viols ont lieu dans un certain nombre de pays. Dans certains cas, ils tiennent pour ainsi dire lieu de récompense pour les troupes. Conviendriez-vous que cela nous donne à penser qu'il s'agit d'un crime tant politique que physique?

[Français]

    C'est difficile.
    Effectivement, le viol a toujours été considéré comme une possibilité pour les soldats de faire ce qu'ils voulaient ou comme une récompense de guerre. C'est la conception très classique.
    Cependant, je crois que la façon dont cela se passe réellement ne peut être considérée comme une récompense pour les soldats qui font ce qu'ils veulent avec les femmes. Lorsqu'ils se moquent d'elles ou lorsqu'ils jouent avec elles, la violence avec laquelle cela se passe, le fait que ce soit toujours collectif et qu'un chef soit toujours présent montre que c'est un autre système.
    Ces femmes m'ont raconté combien elles sont épuisées et sales. Pardonnez-moi de donner ces détails. Elles sont dans des conditions épouvantables. Cela se passe sur le sol de la prison. D'aucune façon, cela peut être considéré comme des soldats qui prennent leur plaisir.
    J'ai oublié de vous dire ce que m'a dit une activiste qui essaie de documenter autant qu'elle le peut ce genre de témoignages, ce qui est évidemment très compliqué. Elle m'a dit qu'elle a des photos de stimulants. On ne m'a pas parlé de Viagra. Cependant, c'était le cas en Lybie, puisqu'on a trouvé des factures de cargaison de Viagra commandé par Kadhafi pour ses soldats. On en trouvait dans les poches des soldats de Kadhafi pendant la révolution.
     On ne m'a pas dit cela pour la Syrie. Toutefois, on m'a parlé de stimulants qu'utilisent des soldats pour pouvoir violer à volonté. Une activiste qui essaie de documenter cela pour prouver la préméditation de ce crime me garantit avoir pris des photos .

[Traduction]

    Merci.
    Nous entendrons maintenant notre troisième intervenant, M. Schellenberger.
    Merci, monsieur le président.
    Je vous remercie beaucoup de comparaître ce matin pour faire ce témoignage très difficile à entendre et à comprendre.
    J'ai déjà demandé en quelques occasions si les actes posés en Syrie sont de nature religieuse? D'après ce que je comprends, et je fais peut-être erreur, si une chrétienne est violée, son père ne la jettera pas nécessairement par le balcon du premier étage. On prendra probablement soin d'elle. Il en va probablement de même pour les juives. L'opprobre ne se manifeste-t-il pas que dans la communauté musulmane? N'est-ce que pour les musulmanes que le viol prend une tournure tragique, parce qu'une fois qu'elles ont été violées, elles ne sont pas autorisées à retourner dans leur famille ou elles sont réprimandées par tous ceux qui sont au courant? Ai-je raison?

[Français]

    Il est vrai qu'il s'agit d'une société musulmane. Il est toutefois difficile de mettre cela complètement sur le compte de la religion. En Afrique, en République démocratique du Congo, l'opprobre est quasiment la même. Je n'ai pas entendu parler de pères qui pouvaient tuer leur fille au Congo parce qu'elle avait été violée, mais la honte est la même. Les maris quittent leur femme si elle a été violée. J'ai moins entendu parler de crimes d'honneur, mais l'opprobre et la honte sont pratiquement universelles. Il est donc difficile de mettre ça totalement sur le compte de la religion. Disons que c'est une culture très patriarcale.
    C'est une bonne question. Je l'ai aussi posée parce que j'étais très horrifiée par ce que j'entendais au sujet des crimes d'honneur. J'ai déjà un peu enquêté aussi sur cette question au Pakistan, qui est aussi une société musulmane. Ce n'est pas normalement inscrit dans la religion et nulle part on ne commande de faire ça. Ces sociétés sont conservatrices et extrêmement traditionnelles. Évidemment, c'est une très mauvaise lecture de la religion. On ne le fait pas au nom d'Allah, ni au nom de Dieu, mais c'est un fait que ça se pratique essentiellement dans les sociétés musulmanes.
    Ceux qui dénoncent ces crimes et qui m'ont aidée à faire cette enquête sont des musulmans éclairés. Ceux qui luttent contre ces crimes sont aussi des musulmans et ils ne les comprennent pas. Quoi qu'il en soit, il est vrai que cela se produit dans des sociétés musulmanes traditionnelles, même si la religion ne l'a jamais exigé.
(1350)

[Traduction]

    Merci.
    Merci, monsieur Schellenberger.
    Madame Bennett.

[Français]

    Je vous remercie.
    Mon collègue Irwin Cotler s'excuse de son absence aujourd'hui et m'a demandé de vous poser les questions suivantes.
    Selon vous, pourquoi n'arrive-t-on pas à prévenir ces viols, à protéger les victimes et à poursuivre en justice les responsables de ces crimes? Quel est le rôle que pourrait jouer la communauté internationale à ce sujet, plus particulièrement le Canada?
    Oh là là! Il est difficile pour moi de dire ce que peut faire la communauté internationale. Je réduis mon rôle à celui de journaliste qui est là pour briser le silence. Le silence est le meilleur allié des bourreaux. Ces pauvres femmes ne peuvent pas dire elles-mêmes ce qu'elles vivent, car elles risqueraient leur vie. Mon rôle est d'alerter la communauté internationale. Je ne peux pas savoir ce qu'elle fait, mais elle doit au moins savoir que de tels crimes existent.
    Je suis très frappée de voir que, bien souvent, lorsqu'on parle des sociétés en guerre, on se contente de témoignages masculins. On nous parle des guerriers et de leurs souffrances, de leurs stratégies, etc. Les hommes représentent 50 % de la population, voire moins. Or, dans les sociétés en guerre ou pendant les révolutions, on oublie l'autre partie. Je suis maintenant très sensible à cet état de choses quand je lis des témoignages dans la presse ou quand je vois des films à la télévision. L'autre jour, il y avait un très beau film sur la Syrie en guerre, mais on n'a pas vu un seul visage de femme pendant une heure. Tout le monde a applaudi ce film en disant que c'était une merveille, mais on n'y voyait pas une seule femme.
    Je voudrais qu'à tout le moins, lorsque les politiciens et la communauté internationale essaient de comprendre ce qui se passe dans des sociétés en guerre, ils se demandent systématiquement ce qu'il en est des femmes. Dans la plupart des pays, ce sont elles, les premières victimes. Je vous ai parlé des viols, mais je pourrais aussi vous dire que, alors qu'elles sont des civils — évidemment, ce ne sont pas elles qui font la guerre —, elles sont visées par des snipers, notamment celles qui sont enceintes. Il y a des témoignages très précis là-dessus.
    Dans les rues d'Alep et de Homs, les snipers essaient de tuer des femmes. J'ai rencontré des femmes qui avaient perdu une jambe. L'une d'elles riait en me disant qu'on lui avait tiré dessus et que, ce jour-là, plusieurs femmes avaient perdu leur jambe gauche. Je me demandais de quoi on me parlait; c'était incroyable. Elle m'a alors expliqué que les snipers faisaient des paris et que, ce jour-là, ils essayaient de tirer sur la jambe gauche des femmes, la jambe près du coeur. Cela n'avait aucun sens, mais ils jouent à de tels jeux afin de viser un maximum de femmes, notamment des femmes enceintes. En effet, plusieurs femmes enceintes étaient systématiquement visées.
    On l'a vu, les femmes servent aussi de boucliers humains. Certaines ont été capturées et on les a forcées à marcher devant les troupes ou à monter dans un tank. Évidemment, le tank n'allait pas être attaqué, mais on mettait les femmes en avant sur le tank. Des femmes sont kidnappées pour obtenir une rançon, ce qui est relativement classique, mais on les kidnappe également parce qu'on sait combien elles sont importantes quand vient le temps d'échanger des prisonniers. Il est mieux d'avoir des femmes à échanger. En effet, les partis composés rebelles ou de l'armée syrienne voudront tellement récupérer les femmes qu'ils auront tendance à échanger disons 10 prisonniers pour une femme. On les kidnappe d'autant plus qu'on connaît leur valeur. Il y a beaucoup d'échanges de prisonnières en ce moment.
    La situation en Syrie est d'une telle complexité que je ne sais pas ce que je pourrais recommander. Je peux dire cependant que, de façon générale, il faudrait qu'en Syrie et dans d'autres pays les femmes soient systématiquement associées au processus de paix. Je connais la situation des femmes syriennes. J'ai parlé à des avocates syriennes. Elles sont très raisonnables et engagées et elles font preuve d'un grand pragmatisme. Elles ne sont pas animées par la haine lorsqu'elles me racontent leur histoire et ce sur quoi elles ont pu enquêter. À la télévision, quand je vois tous ces hommes qui font partie des processus de paix, je me dis que le monde est mal fait. Ce n'est pas normal.
    À la table des négociations ou quand on consulte des spécialistes au sujet d'un pays donné, on devrait systématiquement faire intervenir des femmes. Des femmes avocates et d'autres qui se lancent en politique ou qui sont médecins peuvent témoigner. Il est très important qu'elles soient systématiquement associées à tous les processus de paix.
(1355)
    Les femmes sont les premières victimes dans ce conflit comme dans beaucoup d'autres. Toutefois, en ce qui concerne la situation en Syrie, les femmes sont systématiquement des instruments.
    Merci. Les prochaines questions seront posées par M. Harris.

[Traduction]

    Madame Cojean, j'aimerais commencer par vous remercier de témoigner devant le comité aujourd'hui. J'essaie de trouver un mot approprié pour décrire le travail que vous avez accompli pour découvrir la vérité au sujet de la violence sexuelle, et aucun ne me vient à l'esprit. On pourrait dire que ce que vous avez fait est inspirant.

[Français]

    Merci, monsieur.

[Traduction]

    Certains diraient que c'est de la bravoure pure et simple. Quoi qu'il en soit, je suis certain que nous vous remercions tous du travail que vous avez accompli.
    Je me pose une question. Je présume que les femmes qui sont victimes de viol font partie de ce que vous avez appelé, je crois, le mouvement rebelle ou antigouvernemental. Je suppose que c'est ce que c'est. Comment choisit-on les femmes qui seront enlevées et torturées ainsi? Sont-elles membres de groupes particuliers, comme des activistes, des universitaires, des enseignantes ou des personnes très conservatrices? Est-ce en raison de leurs activités ou de leurs professions qu'on s'en prend à elles?

[Français]

    Pouvez-vous répéter votre question, s'il vous plaît?

[Traduction]

    Je m'interrogeais sur la manière dont on choisit les femmes qui sont enlevées pour être torturées. Est-ce en raison de ce qu'elles font dans leur travail, de qui elles sont ou de leur attitude conservatrice sur le plan de la religion? Font-elles partie de familles où les hommes s'élèvent peut-être contre le gouvernement? S'en prend-on particulièrement à ces groupes?
(1400)

[Français]

    C'est en effet une très bonne question. Il est évident que toutes les femmes que l'on peut identifier comme avocates, universitaires, intellectuelles ou journalistes qui auraient pris des positions contre le régime de Bashar al-Assad sont bien sûr systématiquement les premières visées.
    Ensuite, évidemment, celles dont on soupçonne le mari, le père ou le frère d'être des combattants ou des rebelles sont les plus en danger. Pour atteindre ces pères, ces frères ou ces maris, on prend toujours évidemment les femmes.
    Il se fait des raids dans les maisons. Plusieurs femmes ont raconté un raid dans une maison où, tout à coup, la police arrive et demande où est le frère. Souvent, les femmes sont incapables de le dire et on prend systématiquement la fille et on l'entraîne à l'extérieur. On sait très bien qu'elle va être violée, et ce, simplement pour punir le frère ou pour lui donner envie de se rendre ou de se montrer. C'est souvent arrivé et c'est une sorte de chantage.
    Pour atteindre le père et le frère, on prend toujours la femme ou la fille et elle va payer pour eux. On va la violer pour humilier le père ou le frère afin qu'il ait la responsabilité du crime le plus terrible, soit celui du viol de de sa fille ou de sa soeur. De toutes façons, pour les attaques, vous avez raison, il s'agit d'une façon d'atteindre les rebelles.
    Il y a aussi beaucoup de femmes qui sont prises au hasard. Trois femmes violées que j'ai interviewées ont dit avoir été prises totalement par hasard. Pour l'une, c'était au sortir de l'université. On l'a arrêtée avec une amie. Une autre marchait avec sa fille dans la rue. Je crois que sa fille était étudiante en chimie. On les a arrêtées et on les a prises toutes les deux. On les a déshabillées et on a pris leur téléphone portable. Hélas, sur le téléphone portable de la fille, il y avait la photo de ce qu'ils appellent un martyr. On y voyait un jeune homme rebelle qui a été assassiné et qui était donc considéré comme un martyr. Dans ce cas, on vénère les photos des martyrs. La jeune fille avait sur son téléphone portable la photo de ce martyr avec un verset du Coran qui disait, je crois: « J'espère qu'il va au paradis » ou « Dieu, accepte-le dans ton paradis » ou quelque chose du genre. Donc, ce fut encore pire pour cette jeune fille qu'on avait choisie au hasard. Là encore, sa famille n'était pas spécialement intéressée par la révolution. Elle a été encore plus violemment battue, violée, etc.
    Une autre femme m'a raconté qu'elle était originaire de Deraa. Deraa est la ville dans laquelle il y a eu les toutes premières manifestions. Elle est donc considérée comme une ville d'insurrection. Cette femme avait quitté Deraa depuis longtemps. Elle avait huit enfants et habitait à Damas avec son mari et ses enfants. Du jour au lendemain, ses enfants n'ont plus eu le droit d'aller à l'école. Stupéfaite, elle s'est rendue un matin à l'école. Cette femme n'est jamais elle-même allée à l'école et ne sait ni lire ni écrire. Elle s'est donc rendue à l'école pour demander au nom de quoi les dirigeants privaient ses enfants d'éducation, en expliquant que ses enfants n'avaient rien à voir avec ce qui se passait à Deraa et qu'ils habitaient à Damas. Elle avait à peine fini de parler qu'on a fermé la porte derrière elle et on l'a tabassée. La directrice et d'autres professeurs ont appelé les services secrets qui sont arrivés sans tarder. Ils ont bandé les yeux de cette femme, l'ont kidnappé et l'ont conduite dans un centre des services secrets où elle est restée pendant des semaines. Je pense qu'elle y a été pendant six mois.
     Elle a été violée et a subi toutes les sortes de torture. Plusieurs fois, elle a été transportée dans des prisons et dans d'autres lieux de détention des services secrets. Elle a changé quatre ou cinq fois de lieu de détention. Sa famille n'a absolument pas entendu parler d'elle pendant six mois et elle n'a pas entendu parler de ses enfants. Après, il y a eu un simulacre de procès ridicule, une sorte de farce et on l'a libérée. Cette femme n'avait rien à voir avec la révolution. Elle s'était simplement plainte que ses enfants soient renvoyés de l'école.
(1405)
    On pourrait difficilement affirmer qu'il s'agit systématiquement de membres de familles révolutionnaires. Ce n'est pas forcément le cas. Oui, il s'agit en priorité de membre de familles révolutionnaires, mais pas toujours. On porte vraiment atteinte à toutes les familles. On veut terroriser l'ensemble de la population. En général, ce sont des sunnites qui sont visés. Les bourreaux, qu'ils soient soldats ou miliciens, disent toujours quelque chose au sujet des sunnites. Ils s'adressent beaucoup à eux et disent qu'ils vont les humilier et les écraser. La plupart du temps, les exactions et les supplices sont perpétrés contre les sunnites, qui forment la majorité de la population.

[Traduction]

    Merci.
    Passons maintenant à notre dernier intervenant.

[Français]

    Monsieur Benskin, vous avez la parole.
    Madame Cojean, je vous remercie de votre témoignage. Même si ce sont des faits horribles, il est important que vous nous en fassiez part.

[Traduction]

    Ceux d'entre nous qui étudient l'histoire ou qui s'y intéressent ont vu l'évolution de la guerre. Nous avons vu comment la guerre était presque considérée comme une pratique courtoise, quand deux groupes de personnes se tenaient à quelques pieds l'un de l'autre et faisaient feu, le groupe comptant le plus grand nombre de membres encore debout remportant l'affrontement. Nous avons vu la situation évoluer jusqu'aux premiers bombardements de cibles civiles.
    S'il est une chose que nous pouvons retenir de votre témoignage d'aujourd'hui, c'est que nous devons reconsidérer sérieusement le viol dans un contexte de crise. J'ai été frappé par votre comparaison avec les inquiétudes des Nations Unies et de la communauté internationale au sujet de la guerre chimique pendant que ces exactions se produisent. Je ne pense pas qu'il faille beaucoup d'imagination pour dire qu'il s'agit d'une nouvelle forme de guerre psychologique. C'est quelque chose de planifié et de réfléchi afin de semer la terreur, comme vous l'avez indiqué, pour détruire la trame d'une communauté et d'une société.
    Je pense donc que nous devons délaisser les aspects sociaux de ce crime, la compréhension ou le concept religieux ou social de la question, pour considérer qu'il s'agit de quelque chose qui équivaut à massacrer les gens d'une communauté à coups de machette, mais de façon psychologique. Serait-ce une bonne évaluation de ce que vous avez tenté de nous communiquer?

[Français]

    Oui, tout à fait. Il s'agit d'une façon de terroriser complètement la population, de la faire fuir ou, encore, de la dissuader de s'insurger. Cela marque les familles durablement. Le quotidien Le Monde avait titré son article « Arme de destruction massive ». Toutefois, c'est aussi une arme à déflagration dans le temps puisque les enfants qui ont vu leur mère se faire violer, comme cela a été le cas à plusieurs reprises, ou les frères qui ont vu leur soeur dans ces positions ne seront évidemment plus les mêmes. Ils sont devenus des gens totalement traumatisés. Ce qui est frappant, c'est que les psychologues à qui j'ai parlé m'ont fait part des dégâts, des traumatismes durables et probablement définitifs de la plupart des personnes qu'ils ont pu voir. C'est une toute petite minorité qui a accès aux soins puisque, par exemple, dans le camp de Zaatari en Jordanie, personne n'osera se confier à un médecin ou encore faut-il que le secret soit garanti.
    Je vois ce que cela a pu faire en Libye où les femmes sont aujourd'hui encore prostrées et enfermées dans leur secret. Elles ne peuvent pas s'exprimer ou, encore, leur famille a complètement éclaté. On le voit en RDC, la République démocratique du Congo, où là aussi tout le tissu social a été miné et complètement détruit.
    Donc, vous avez raison. La dimension sociétale est très importante. Les dégâts affecteront peut-être des générations. Encore une fois, il est très difficile d'intervenir puisque les femmes violées ne peuvent pas le dire.
    Je pense maintenant qu'il y a des petites associations, des gens en France et dans d'autres pays, qui ont travaillé un peu sur ces questions à la lumière de ce qui s'est passé en Yougoslavie. Il y a aussi des juristes qui se sont un peu spécialisés et qui ont sans doute acquis une certaine expertise sur la question, mais peu de gens comprennent à quel point cette arme est terrible par le secret qu'elle impose et ce silence qui est tellement pesant.
(1410)
    Merci, monsieur Benskin.
    Je remercie également notre témoin, Mme Cojean.

[Traduction]

    Nous vous sommes très reconnaissants.

[Français]

    Nous apprécions le témoignage que vous nous avez livré aujourd'hui. Merci.
    Merci beaucoup. C'était un honneur de témoigner devant vous aujourd'hui et je considère qu'il est de mon devoir de raconter ce qui se passe. Mon travail consiste à rompre le silence. Je ne dispose pas d'autres moyens que celui de rompre le silence. Je n'ai aucune solution ni même des conseils à offrir, mais au moins je tiens à ce qu'on sache ce qui se passe actuellement en Syrie. J'aimerais que les hommes politiques portent une attention particulière à la situation des femmes et qu'ils exigent toujours d'en savoir plus sur la situation des femmes parce qu'elles ne se mettent jamais en avant, du moins dans ces sociétés. Les femmes de ces sociétés sont enfermées dans leur secret. J'ai toujours le réflexe de m'interroger sur ce qui arrive aux femmes dans ces sociétés en guerre ou en révolution. Plus souvent qu'autrement, leur sort est tragique.
    Enfin, je vous remercie de m'avoir écoutée. C'est un grand honneur pour moi.
    Merci encore une fois.

[Traduction]

    Monsieur le président, j'aimerais présenter la motion sur l'Égypte pour que nous puissions convoquer les témoins.
    En avez-vous discuté avec...
    M. Wayne Marston: Oui.
    Le président: Si vous ne vous êtes pas entendus à ce sujet, nous devrons attendre, si vous n'y voyez pas d'objection.
    La séance est levée.
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