SDIR Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
Pour faire une recherche avancée, utilisez l’outil Rechercher dans les publications.
Si vous avez des questions ou commentaires concernant l'accessibilité à cette publication, veuillez communiquer avec nous à accessible@parl.gc.ca.
Sous-comité des droits internationaux de la personne du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international
|
l |
|
l |
|
TÉMOIGNAGES
Le mardi 9 juin 2015
[Enregistrement électronique]
[Français]
Bienvenue à la 76e réunion du Sous-comité des droits internationaux de la personne du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international. Nous sommes aujourd'hui le 9 juin 2015 et la séance est télévisée.
[Traduction]
Nous recevons aujourd'hui, au sujet de la situation des droits de la personne en Corée du Nord, l'honorable Michael Kirby, qui a, entre autres accomplissements, siégé pendant 13 ans à la High Court d'Australie, l'équivalent de notre Cour suprême. En février 2014, chers collègues, M. Kirby et d'autres commissaires ont publié le rapport de la Commission d'enquête sur les droits de l'homme en République démocratique de Corée, un rapport pour le moins accablant, selon moi, qui a peut-être changé la nature du débat international sur les droits de la personne en Corée du Nord.
Monsieur Kirby, je vous invite à nous présenter votre exposé. Une fois que vous aurez terminé, nous évaluerons le temps qu'il nous reste et nous le diviserons en six parts égales pour que chacun des six députés participants puisse vous poser des questions.
Cela dit, je vous invite à prononcer votre allocution. Merci.
Merci infiniment, monsieur le président. J'ai beaucoup de respect pour le Parlement du Canada. C'est un grand privilège pour un Australien et un ancien juge d'Australie de comparaître ici, à la Chambre du peuple, en présence de députés élus. C'est un privilège dont jouit le Canada, comme l'Australie, et c'est une merveilleuse tradition historique, dont le peuple de la Corée du Nord n'a pas la chance de bénéficier, malheureusement.
La commission d'enquête des Nations unies a été créée en mars 2013 pour étudier les violations des droits de la personne en Corée du Nord, dont la communauté internationale commençait un peu à entendre parler.
Je dois dire pour commencer, à l'égard de l'avis de convocation, que je serais certainement fier d'être Michael J.L. Kirby, un très honorable Canadien et ancien sénateur, dont les initiales de seconds prénoms diffèrent de la mienne. Mon initiale de second prénom est D pour Donald, mon père. Je crois que par respect pour mon père, je me dois de mentionner la différence.
J'aimerais également souligner la présence ici, aujourd'hui, de l'honorable Hugh Segal, ancien sénateur du Canada. Nous avons travaillé ensemble au sein du Groupe des personnalités éminentes sur l'avenir du Commonwealth des Nations. Je suis très heureux de le voir ici. Il a été malade, mais il a réussi à remonter la pente et il semble en forme. Il continuera de rendre l'énorme service qu'il a rendu jusqu'ici au Canada, au Commonwealth des Nations et au monde.
Pour ce qui est du rapport de la commission d'enquête, nous avions un mandat très vaste. Il comprenait 10 éléments, dont la privation de nourriture dont la population a souffert pendant la grande famine des années 1990, la dénigration des femmes, l'interdiction de se déplacer dans le pays, le contrôle de l'information, l'absence de liberté de presse et les camps de détention où sont détenues les personnes considérées comme les ennemis du régime ainsi que leurs familles. Tous ces sujets nous ont été confiés, avec une obligation de rapport au bout de sept mois.
Nous avons déposé notre rapport au bout de sept mois. Nous l'avons publié à temps, dans le respect du budget et à l'unanimité. Nous avons abordé notre rapport sous un angle différent. Nous avons adopté la méthode anglo-canadienne et australienne des audiences publiques. Ce n'est pas la façon de faire habituelle des Nations unies dans ses enquêtes, mais nous estimions que la transparence était la meilleure façon de recueillir la preuve et de la présenter au monde.
Nous savions depuis le début que nous ne réussirions pas à entrer en Corée du Nord. La Corée du Nord protège ses secrets en évitant toute participation extérieure. Par conséquent, nous avons rendu nos audiences publiques et avons invité les témoins à venir comparaître devant nous. Il y a 28 000 réfugiés nord-coréens qui vivent en Corée du Sud, si bien que nous n'avons eu aucun mal à recueillir des témoignages en audiences publiques dans le cadre de notre enquête à Séoul, à Tokyo, à Londres, à Washington et à Bangkok. En bout de ligne, nous avons dû interrompre les témoignages pour pouvoir présenter notre rapport à temps.
Nous avons constaté beaucoup de graves violations des droits de la personne, dont beaucoup s'élèvent au rang de crimes contre l'humanité. Les crimes contre l'humanité sont des crimes internationaux extrêmement graves. Si le pays lui-même ne fait rien pour réagir à ces crimes, il est du devoir de la communauté internationale d'intervenir pour protéger la population des crimes contre l'humanité.
Je mentionne en passant que nous nous sommes demandés si nous étions devant un cas de génocide. Nous n'avons finalement pas conclu au génocide, une question qui méritera de faire l'objet d'une enquête plus approfondie, parce que la convention de 1948 sur le génocide définit ce dernier comme la destruction d'une population, en tout ou en partie, au motif de sa race, de sa nationalité, de son ethnicité ou de sa religion.
En Corée du Nord, la destruction du peuple se fonde sur les croyances et la soi-disant allégeance politique des personnes. Nous n'avons donc pas osé conclure au génocide, mais nous avons conclu à la perpétration de crimes contre l'humanité et nous avons réclamé l'intervention de la communauté internationale dans l'exercice de sa RdP, soit sa responsabilité de protéger le peuple de la Corée du Nord des crimes perpétrés contre lui.
Aux fins de la préparation de notre rapport, les Nations unies ont fait tout ce qu'il était raisonnablement possible de faire. J'exprime ma reconnaissance au secrétariat qui a travaillé pour nous et aux délégués des missions canadiennes à l'étranger. Je pense en particulier à l'ambassadeur Golberg, ambassadeur du Canada à Genève, qui a été extrêmement utile dans l'organisation de nos séances avec des membres de délégations latino-américaines.
Ces démarches nous ont permis de recueillir, à toutes les étapes de l'étude du rapport, des votes extrêmement forts au sein des comités et organes de l'ONU. Au Conseil des droits de l'homme, nous avons recueilli l'appui de 30 membres du conseil sur 45, et seulement six membres ont voté contre: la Chine, la Fédération de Russie, le Venezuela, Cuba, le Pakistan et le Vietnam. Tous les autres membres influents ont voté pour, donc 30, et quelques pays se sont abstenus.
Notre rapport a ensuite été soumis à l'Assemblée générale des Nations Unies, où ce profil de votes s'est répété. Au final, nous avons obtenu l'appui de 116 pays pour que notre rapport passe à l'étape suivante; 20 pays ont voté contre et 55 se sont abstenus. C'est un vote extrêmement fort à l'Assemblée générale.
Ensuite, de façon très exceptionnelle et inhabituelle, l'Assemblée générale a adopté la résolution destinée à renvoyer le rapport au Conseil de sécurité. Il est très rare que le Conseil de sécurité soit saisi de questions liées aux droits de la personne, mais nous avons réussi à convaincre l'Assemblée générale et le Conseil des droits de l'homme qu'il s'agissait d'un cas où la paix et la sécurité étaient intimement liées aux droits de la personne. Quand un pays violent inflige des sévices terribles à sa population, il en résulte une situation instable pour la paix et la sécurité.
Ce rapport a été envoyé au Conseil de sécurité et à l'initiative de la France, des États-Unis d'Amérique et de l'Australie, qui était alors un membre non permanent du conseil, le Conseil de sécurité a fini par voter par 11 voix contre 2 en faveur de l'inscription de notre rapport et de la situation des droits de la personne en Corée du Nord au programme du Conseil de sécurité. Les deux pays ayant voté contre soit la Chine et la Fédération de Russie; deux autres pays, le Tchad et le Nigeria, se sont abstenus.
Ces votes de la Chine et de la Fédération de Russie ne constituent pas un veto parce qu'il y a une disposition de la Charte des Nations Unies qui a été reproduite du Pacte de la Société des Nations, chose intéressante, selon laquelle pour les votes de procédure, seule la majorité aux deux tiers est requise et aucun veto ne s'applique.
C'est donc là où en est notre rapport pour l'instant. Il a franchi les étapes de la procédure des Nations unies jusqu'au plus haut niveau, et de façon exceptionnelle, il sera soumis au Conseil de sécurité au moment où les pays du Conseil de sécurité décideront de l'étudier.
J'espère que le Canada, par sa représentation à New York, fera tout le nécessaire pour faire avancer le processus d'ici l'anniversaire de 12 mois du rapport, c'est-à-dire le 22 décembre 2015, pour que le Conseil de sécurité se saisisse de la question, qui figure déjà à son programme.
Il convient de dire, je crois, que le grand défi de la communauté internationale consiste à déterminer que faire maintenant. Comment faire cheminer ce dossier, compte tenu de l'énorme expression d'inquiétude de pays qui ne sont pas souvent au diapason, surtout en matière de droits de la personne, au sein de l'appareil des Nations unies?
La commission d'enquête a recommandé que le Conseil de sécurité renvoie l'affaire de la Corée du Nord à la Cour pénale internationale. Selon le Traité de Rome, qui porte création de la Cour pénale internationale, seuls les pays membres du traité de Rome sont soumis à sa juridiction. Mais encore là, il y a une exception, c'est-à-dire quand le Conseil de sécurité renvoie une question à la Cour pénale internationale. La décision qui en découlerait ne serait donc pas une décision procédurale, mais une décision de fond, mais elle devrait du coup passer par les baguettes du veto des cinq membres permanents. C'est la situation dans laquelle nous nous trouvons.
Je pense qu'il serait probablement extrêmement pertinent que les membres du comité me questionnent sur les problèmes, les difficultés, les défis et les frustrations que nous avons rencontrés en cours de route. Je crois que le travail de la commission d'enquête a forcé la Corée du Nord, dans une certaine mesure, à faire une introspection qu'elle n'avait jamais faite auparavant.
Il y a des choses très inhabituelles qui se passent en Corée du Nord et dans sa réaction aux pressions de la communauté internationale. Ce n'est pas une mauvaise chose que la Corée du Nord ait commencé à participer à l'Examen périodique universel, mais le rapporteur spécial ne pourra pas pour autant entrer en Corée du Nord, et le pays n'est toujours pas pleinement intégré à l'appareil de surveillance des droits de la personne des Nations unies.
Mais la commission d'enquête a au moins réussi à s'assurer d'une réponse des Nations unies, et je dois en féliciter les Nations unies. C'est l'une des fois où, probablement en partie grâce à la procédure différente que nous avons adoptée (une procédure beaucoup plus commune au Canada qu'ailleurs), nous avons fait de la situation en Corée du Nord un enjeu international, et c'est une bonne chose. J'espère que cela se traduira par des mesures concrètes, ultimement au renvoi de la question de la Corée du Nord à la Cour pénale internationale.
Les Nations unies parlent souvent de responsabilisation à l'égard des crimes contre l'humanité. Maintenant, nous savons. Nous avons l'information. Nous avons beaucoup de preuves. Tout est en ligne. Le monde entier y a accès. La question qui se pose maintenant, c'est ce que le monde va en faire. Je trouve très encourageant et rassurant que le Parlement du Canada, dont les membres ont été élus par la population du Canada, s'inquiète suffisamment du sort de la Corée du Nord pour m'avoir invité aujourd'hui à venir vous parler du travail de la commission d'enquête sur la Corée du Nord.
J'ajouterai une dernière observation. Je n'ai plus de mandat au sein des Nations unies. La commission d'enquête des Nations unies a terminé son rapport à temps et l'a soumis au Conseil des droits de l'homme en mars 2014. La suite du mandat incombe désormais à M. Darusman, qui a siégé à la commission d'enquête et qui conserve ses obligations de rapporteur spécial, et c'est avec son accord que je suis ici aujourd'hui pour vous expliquer les démarches entreprises par la commission d'enquête.
Tant que je serai en vie, je continuerai de parler au nom du peuple de la Corée du Nord, qui souffre énormément et qui mérite l'attention de tous les amoureux de la liberté dans le monde, y compris au Canada.
Merci beaucoup de cette présentation.
Compte tenu du temps qu'il nous reste, je crois que nous pouvons aisément accorder six minutes à chaque groupe pour les questions et réponses.
Allons-nous commencer par vous cette fois-ci, monsieur Sweet?
J'aimerais soulever une question de procédure, monsieur le président, avant d'utiliser mon temps de parole. Il y a deux choses, en fait. D'abord, je crois qu'il serait sage de votre part de rappeler au public général notre politique sur la photographie pendant nos séances, si vous êtes d'accord. De même, je demanderais le consentement de mes collègues pour que M. Devolin puisse utiliser le temps imparti à M. Hillyer.
Je suppose que c'était un « oui », donc monsieur Devolin, vous serez le troisième intervenant du côté du gouvernement. Je sais que vous faites partie du gouvernement, mais c'est l'ordre des interventions, vous parlerez juste après M. Cotler.
Comme M. Sweet l'a souligné, je mentionne aux gens du public présents dans la salle qu'il y a une politique interdisant de prendre des photographies pendant les séances de comité.
Très bien. Monsieur Sweet, s'il vous plaît.
Merci beaucoup, monsieur le président, et merci beaucoup, monsieur Kirby, de votre témoignage, mais surtout, merci infiniment de votre sacrifice personnel et de tout ce que vous avez investi dans la cause des droits de la personne en Corée du Nord. Nous vous sommes très reconnaissants de votre travail étoffé.
J'aimerais vous poser une question, particulièrement à la lumière de ce que vous avez dit en conclusion sur votre dévouement à la cause des droits de la personne en Corée du Nord, sur la nouvelle ouverture que semblait manifester la Corée du Nord vers la moitié de l'année 2014. Bien sûr, vous avez mentionné qu'il y a eu une décision qui pourrait mener au renvoi de vos conclusions à la Cour pénale internationale. La Corée du Nord a réagi très brusquement à cette éventualité et a commencé à se fermer. Je vais commencer par ces deux questions et vous laisser y répondre.
Premièrement, y a-t-il de nouveaux signes d'ouverture, surtout depuis que le pays sait que la question est en suspens au Conseil de sécurité?
Deuxièmement, il y a quelques mois, la Chine a tendu la main à la Corée du Nord afin de la convaincre de corriger certains de ses comportements sur la scène internationale. A-t-elle eu le moindre effet pour la convaincre de changer ses comportements à l'égard des droits de la personne?
Je vous remercie de cette question.
Les espoirs étaient grands à l'arrivée du nouveau chef suprême, Kim Jong-un, pour que la position de la Corée du Nord s'améliore. C'était un jeune homme. Il avait reçu une éducation en Europe. On disait de lui qu'il s'intéressait à la technologie numérique et aux célébrités modernes. Cependant, le fait est que très peu après son arrivée a suivi l'exécution violente de son oncle par alliance, Jang Song-thaek. Du coup, beaucoup d'espoirs se sont envolés.
Toutes les tactiques déployées par la Corée du Nord pour que ces questions ne soient pas soumises au Conseil de sécurité ont mobilisé une grande partie de ses efforts diplomatiques en 2014 et en 2015. À la fin de 2014, quand le Conseil de sécurité a finalement été saisi de l'affaire, tout a changé très vite. Je doute qu'on puisse dire que tout changement observé depuis nous donne espoir. Je ne vois dans l'évolution de la situation aucun signe que la soi-disant offensive de charme de la Corée du Nord, dont la production d'un rapport à l'eau de rose et la participation du pays à l'Examen périodique universel, témoigne vraiment d'un profond changement de coeur. Je pense que ce n'étaient que de vaines tentatives d'éviter que la question ne soit renvoyée au Conseil de sécurité, compte tenu du risque que les agissements de la Corée du Nord et de son chef suprême soient soumis à l'examen de la Cour pénale internationale.
Je ne peux donc pas dire qu'il y a des signes d'amélioration. Au contraire, les choses restent essentiellement au même point qu'avant cette offensive de charme.
Pour ce qui est de la Chine, il n'est pas possible de savoir avec certitude quel genre de relations la Chine entretient avec la Corée du Nord. On peut déduire certaines choses du fait que le président de la Chine ait invité le président de la République de Corée, soit de la Corée du Sud, avant que le président de la Corée du Nord ne reçoive une quelconque invitation, et que le chef suprême du Parti de la fraternité de la Corée du Nord n'a encore jamais été invité à se rendre en Chine. Cela semble être un fait important, une omission importante. L'oncle, Jang Song-thaek, était un politicien qu'on croyait favorable à ce qu'on pourrait appeler le processus d'engagement de la Chine, au progrès économique et à une nouvelle ouverture à l'égard des pays occidentaux, mais son exécution meurtrière et toute la violence qui l'a entourée semblent indiquer que ce n'est pas la voie privilégiée par le régime au pouvoir en Corée du Nord.
Donc pour répondre à votre question, je ne vois pas beaucoup de progrès, et la situation de la Chine reste assez énigmatique. Il ne semble pas y avoir d'amélioration dans l'expression par la Chine d'une forte incitation à ce que la Corée du Nord entretienne des relations avec les autres pays de la région et du monde, non seulement sur la question des droits de la personne, mais également sur la question nucléaire, dont tout le monde doit s'inquiéter.
Notre Semaine sur la responsabilisation de l'Iran nous montre bien que ces deux enjeux sont interreliés, une chose que la Corée du Nord partage avec l'Iran.
Enfin, nous avons entendu des témoignages de personnes qui ont fui la Corée du Nord. Elles ont peur ne serait-ce que d'admettre d'où elles viennent, elles ont peur pour leur famille et le reste, elles ont peur qu'il y ait des agents de la Corée du Nord en Corée du Sud qui rapportent ces renseignements à la Corée du Nord. Elles ont peur non seulement de se faire capturer, mais également qu'on fasse du mal à leur famille.
J'aimerais savoir si vous avez recueilli des preuves que la Corée du Nord exporte la terreur, faute de meilleur mot, et qu'elle a des agents ailleurs qu'en Corée du Sud, dans d'autres pays, qui traquent les personnes ayant fui la Corée du Nord.
On a recensé des incidents violents de source nord-coréenne en Corée du Sud, mais ce n'est pas la source du problème. La source du problème, c'est que si une famille peut être liée à des personnes favorables à la République de Corée, ce n'est vraiment pas une bonne nouvelle pour la famille restée en Corée du Nord. Il ne faut pas oublier que la frontière est une limite totalement artificielle tracée arbitrairement le long du parallèle dans la péninsule coréenne et que beaucoup de familles ont été séparées et que leurs membres n'arrivent pas à communiquer les uns avec les autres.
Nous avons reçu pour instruction des Nations unies de nous assurer d'abord de ne causer aucun tort. Nous avons donc interrogé environ 300 témoins avant de devoir en réduire le nombre. Nous avons conclu que sur les 300, environ 80 pouvaient être interrogés publiquement de façon sécuritaire. Même les personnes qui souhaitaient être interrogées publiquement n'ont pas toutes pu l'être, parce que nous voulions protéger leur famille. Quoi qu'il en soit, certaines personnes avaient déjà montré ouvertement leur participation au mouvement de protection des droits de la personne, et nous avons jugé que certaines personnes n'avaient pas de famille exposée au risque de représailles dans le Nord. C'est la précaution que nous avons prise. Nous avons été très stricts, c'était notre mandat. C'était de toute façon ce qu'il fallait faire pour accueillir les personnes qui se présentaient à nous.
Mais nous n'avons eu aucune difficulté à trouver des témoins. Il est très important de dire que nous n'avons eu aucune difficulté à recueillir des témoignages. Vous avez peut-être vu dans les médias qu'il y a un témoin, M. Shin Dong-hyuk, qui s'est rétracté sur une partie de son témoignage. La Corée du Nord en a fait grand cas. Pour avoir été juge pendant 34 ans, je peux vous dire qu'il arrive que des personnes exagèrent la situation et leur témoignage. Le fait est qu'une grande partie du témoignage de M. Shin est corroborée par d'autres témoins. Il faut soustraire à notre raisonnement la partie de son témoignage sur sa fuite d'un camp en particulier, le Camp 14, qui est un camp de haute sécurité. Mais même à cela, il y a tellement de preuves écrasantes et acceptables qui nous viennent des autres témoins, et il reste beaucoup d'éléments crédibles et acceptables dans le témoignage de M. Shin lui-même, qui ajoutent au portrait général de l'oppression, de l'hostilité et de la cruauté du régime totalitaire établi depuis 70 ans en Corée du Nord.
Merci, monsieur le président, et bienvenue à vous, monsieur Kirby. Je suis très heureux que vous soyez des nôtres aujourd'hui.
Voilà maintenant 10 ans que je suis membre de ce comité, et je peux vous dire que nous avons discuté à maintes reprises de la situation en Corée du Nord. Comme je vous le disais tout à l'heure, j'ai eu la chance de visiter la zone démilitarisée. Il était renversant de constater à quel point les militaires de Corée du Nord étaient faibles et sous-alimentés. Quand on sait que ce sont eux que l'on nourrit d'abord, on peut comprendre à quel point la situation des civils peut être catastrophique
Je ne sais plus trop si c'était des témoins qui comparaissaient devant notre comité, mais j'ai parlé à des gens qui s'attendent à un effondrement du régime d'ici les cinq prochaines années. Il y aurait des conflits internes et différents problèmes que l'on ne perçoit pas toujours très clairement de l'extérieur. J'aimerais d'abord savoir ce que vous pensez de cette éventualité.
Vous avez aussi parlé de l'arrivée au pouvoir de Kim Jong-un. On le voyait presque comme un play-boy, comme quelqu'un de très superficiel.
Pensez-vous que c'est vraiment lui qui dirige le pays? J'ai certes des doutes à cet égard.
Pour ce qui est de l'effondrement du régime ou d'un changement de régime, il ne faut pas perdre de vue que nous étions des représentants des Nations unies. La Corée du Nord est un pays membre des Nations unies. Elle a signé la Charte des Nations Unies qui comporte des engagements fermes en faveur de la paix et de la sécurité, de l'équité économique et des droits universels de la personne. La Corée du Nord a également signé un grand nombre de traités des Nations unies portant sur les droits de la personne.
Nous n'avions pas pour mandat de faire valoir qu'un changement de régime était un prérequis incontournable, et nous ne l'avons pas fait. Nous avons simplement souligné qu'aucun pays n'est obligé d'être membre des Nations unies, mais qu'une fois qu'un État décide d'en faire partie, il est assujetti aux obligations prévues dans la Charte ainsi que dans la Déclaration universelle des droits de l'homme et dans les traités qu'il signera en matière de droits de la personne. Nous avons donc fait bien attention de ne jamais laisser entendre qu'un changement de régime s'imposait, car nous aurions ainsi manqué de respect envers un pays membre des Nations unies.
Quant à savoir ce que l'avenir nous réserve, il y a des bibliothèques pleines d'ouvrages qui ont déjà été écrits à ce sujet qui suscite un grand intérêt. Toutefois, nos recommandations visent à faire en sorte que la Corée du Nord opère elle-même les changements nécessaires en adhérant aux principes établis dans les instruments internationaux. Si la Corée du Nord ne procède pas à un tel changement, on devra appliquer le principe de la responsabilité de protéger qui a été adopté par tous les chefs d'État présents à l'Assemblée générale des Nations Unies en 2005. Suivant ce principe, les autres pays membres des Nations unies doivent prendre la relève lorsqu'un État manque à ses obligations, et faire le nécessaire pour s'assurer que les crimes graves soient punis et que l'on respecte dorénavant les droits de la personne.
On peut noter de minces améliorations. À titre d'exemple, la Corée du Nord a signé, mais pas encore mis en oeuvre, la Convention relative aux droits des personnes handicapées. Auparavant, on pouvait se promener dans les rues de Pyongyang sans voir une seule personne handicapée. C'était la ville parfaite, la cité modèle. Il y a maintenant des personnes qui circulent en fauteuil roulant à Pyongyang. Il y a donc des changements mineurs, notamment dans le contexte de l'examen périodique universel. Si l'engagement en ce sens est maintenu, ce sera une amélioration.
Lorsque nous lui avons parlé à Genève, l'ambassadeur russe nous a dit qu'il fallait reconnaître les mérites qui étaient dus. C'est ce que nous faisons toujours lorsque nous pouvons constater des améliorations. Je dois toutefois avouer que les progrès étaient minimes. Ce n'est qu'en de très rares occasions que nous avons pu sincèrement affirmer que la situation des droits de la personne s'était améliorée en Corée du Nord. Pour les 10 aspects visés par notre mandat, notre rapport est une triste litanie de graves violations des droits de la personne qui constituent dans certains cas des crimes contre l'humanité exigeant l'intervention de la communauté internationale.
J'ai eu l'occasion de rencontrer des personnes qui se sont échappées et qui avaient des choses vraiment horribles à raconter. J'ai été stupéfait d'entendre au début de votre allocution qu'un certain nombre de pays ont rejeté d'emblée votre rapport lorsque vous l'avez présenté.
Pouvez-vous nous en dire plus long à ce sujet? Est-ce parce que l'on mettait en doute les témoignages entendus? Croyait-on que votre rapport comportait des lacunes ou que la méthodologie était déficiente? A-t-on fourni quelque justification que ce soit?
La plupart des pays qui ont rejeté le rapport de la commission d'enquête au Conseil des droits de l'homme, à l'Assemblée générale et même au Conseil de sécurité n'avaient rien à redire de son contenu. Ils s'objectaient plutôt, d'après ce qu'ils nous ont indiqué, au concept des enquêtes qui ciblent un seul pays. Ils ont dit que c'est ce qu'on reprochait à l'ancienne Commission des droits de l'homme, et qu'avec la création du Conseil des droits de l'homme et du processus d'examen périodique universel, les efforts internationaux en faveur des droits de la personne devaient dorénavant renoncer à blâmer ou à accuser qui que ce soit, mais plutôt miser sur la critique mutuelle et un engagement de tous. C'est un point de vue qui a notamment été exprimé par des pays comme Cuba, la Fédération russe et la Chine.
Cependant, à partir du moment où un rapport commandé par le Conseil des droits de l'homme des Nations Unies est produit de façon honnête, intègre et transparente et qu'il se retrouve devant vous, il faut faire montre d'un formalisme particulièrement rigide pour affirmer que vous n'avez rien à faire de son contenu, que vous vous opposez simplement aux mandats qui visent un pays en particulier et que vous n'allez donc même pas l'ouvrir.
Ce n'est certes pas la façon dont le système des Nations unies devrait fonctionner, et les votes fortement majoritaires enregistrés au Conseil des droits de l'homme, au troisième comité de l'Assemblée générale, à la plénière de l'Assemblée générale et, maintenant, au Conseil de sécurité au sujet d'une motion de procédure, montrent bien, selon moi, que les gens en ont vraiment marre du non-engagement de la Corée du Nord, de son refus de coopérer, de son opération de charme dans l'espoir d'éviter un renvoi au Conseil de sécurité, et de son retour presque total au non-engagement depuis que le Conseil de sécurité a décidé de se saisir de la question.
Nous en sommes donc rendus à cette étape, et il faut vraiment se demander dans quelle mesure le dossier pourra aller de l'avant au Conseil de sécurité, compte tenu de la position adoptée par la Chine et la Fédération russe, deux des cinq membres permanents.
Parmi les mesures recommandées par la commission d'enquête, il faut noter l'établissement d'un bureau local à Séoul. Nous souhaitions ainsi que l'on puisse poursuivre le travail entrepris par la commission d'enquête en recueillant les témoignages et les déclarations de gens qui ont été victimes de crimes graves contre l'humanité de telle sorte qu'il soit possible au moment opportun, que ce soit devant la Cour pénale internationale ou un autre tribunal, de soumettre ces témoignages à une instance indépendante afin que les coupables aient à répondre de leurs actes en application des normes des Nations unies. De cette manière, on serait prêt à passer directement à l'action.
Il y aurait certaines indications à l'effet que les officiers nazis, entre autres, auraient modéré leurs ardeurs à la fin de la Seconde Guerre mondiale, de crainte d'être jugés pour leurs actes une fois le conflit terminé. Nous espérons donc que l'inscription de ce dossier à l'ordre du jour du Conseil de sécurité et les décisions prises par les différents organes des Nations unies vont inciter les responsables nord-coréens tenus de prévenir les crimes contre l'humanité et d'assurer l'application de la justice à cet égard à tenir compte de la possibilité qu'ils auront peut-être un jour eux-mêmes des comptes à rendre.
C'est d'ailleurs pour cette raison que j'ai écrit à Kim Jong-un, au nom de la commission d'enquête, et que nous lui avons fait parvenir une ébauche de notre rapport. Nous lui avons demandé ses commentaires en lui soulignant qu'en droit international, ceux qui sont responsables de crimes semblables ou qui n'ont pas pu les empêcher même s'ils avaient le pouvoir de le faire, ne manqueront pas d'avoir à répondre de leurs actes.
On m'a indiqué à l'époque que les Nations unies n'avaient jamais procédé de cette manière auparavant, mais cela ne m'a pas dissuadé, pas plus que la commission d'enquête d'ailleurs, d'aller de l'avant, car nous estimions normal d'informer ceux à qui nous communiquions des éléments de preuve pouvant être utilisés contre eux, qu'il est possible qu'ils soient un jour tenus responsables de leur inaction, du fait qu'ils n'ont pas pris les mesures qu'ils étaient autorisés à prendre.
C'est justement la perspective d'une telle éventualité qui motivait en partie les efforts de la commission d'enquête.
Merci.
Comme les deux premiers tours ont été plus longs que prévu, je vais devoir réduire à cinq minutes le temps à la disposition de chacun. Il ne s'agit aucunement d'une critique. Je veux simplement que nous respections l'horaire.
Madame Bateman.
Merci beaucoup, monsieur le président.
Merci beaucoup, monsieur Michael D. Kirby. Votre père serait très fier de vous.
Certainement.
Merci pour le travail que vous accomplissez.
Vers la fin de vos observations, vous avez parlé des mesures à prendre et du renvoi du dossier de la Corée du Nord à la Cour pénale internationale. Quel serait d'après vous le meilleur résultat que l'on puisse obtenir auprès de cette instance?
Pour que la Corée du Nord ait vraiment à répondre de ses actes, il faudrait que son dossier soit renvoyé par le Conseil de sécurité des Nations Unies, en application exceptionnelle des pouvoirs que lui confère le Statut de Rome, qui est à l'origine de la Cour pénale internationale, à un procureur de cette cour.
La commission d'enquête n'était ni procureur, ni tribunal, ni juge. Nous ne faisions qu'enquêter sur les faits. Nous avons fait certaines constatations en ayant des motifs raisonnables de croire à la véracité des témoignages entendus sur des questions particulières dont un procureur pourrait être saisi.
Il reviendrait ensuite à ce procureur de déterminer s'il convient de soumettre le dossier à un tribunal, et il se trouve que la Cour pénale internationale est, parmi les tribunaux indépendants déjà existants, celui qui est le plus facilement accessible à moindre coût. De l'avis de la commission d'enquête, c'était la façon la plus rapide et la plus efficace de faire progresser les choses, et c'est la raison pour laquelle nous avons formulé cette recommandation.
Mais comme la Corée du Nord n'est pas partie au Statut de Rome, il faut une décision exceptionnelle du Conseil de sécurité pour que son dossier soit renvoyé à un procureur de la Cour pénale internationale. C'est arrivé à deux reprises dans le passé, une fois avec le Darfour, puis dans le cas de Kadhafi et de la Libye. Nous savons bien sûr que le colonel Kadhafi a été plus tard tué lors d'opérations militaires, mais le Conseil de sécurité avait tout de même, pendant cette période de grandes turbulences, convenu de saisir la Cour pénale internationale du dossier de la Libye, grâce à l'assentiment ou à l'abstention des cinq membres permanents.
Ce sont donc les deux précédents où les cinq membres permanents n'ont pas fait obstacle au renvoi d'un dossier à la Cour pénale internationale. C'est aussi l'issue que j'espère dans le cas de la Corée du Nord. Il ne faut pas être trop pessimiste quant aux décisions du Conseil de sécurité. Certains disent qu'il est absolument impossible que la Chine et la Fédération russe donnent leur aval, mais je vous rappelle que, dans le cas de l'avion MH17 qui a été abattu, on était très rapproché des préoccupations et des intérêts géopolitiques de la Fédération russe.
La proximité peut avoir des effets insoupçonnés. Lorsque des gens se retrouvant dans la même pièce partagent les grandes responsabilités du Conseil de sécurité, il n'est pas rare que les considérations géopolitiques l'emportent sur les droits de la personne, mais il arrive qu'en présence d'un problème planétaire — comme l'a établi sans l'ombre d'un doute le rapport d'une commission d'enquête — on en arrive à une solution en optant dans certaines circonstances pour un renvoi à la Cour pénale internationale. C'est déjà arrivé à deux reprises, et j'espère encore que l'on fera de même dans le cas de la Corée du Nord.
Je vous dirais très brièvement que j'ai été très réconfortée de vous entendre répondre à mon collègue, M. Marston, que, même si M. Shin s'était rétracté, il y avait suffisamment d'autres témoignages qui avaient corroboré ses dires. Est-ce que la crédibilité globale de la commission a été affectée de quelque manière que ce soit?
Pas du tout. En fait, nous avons fait les déclarations nécessaires pour éviter toute répercussion.
Comme c'est souvent le cas, les médias nord-américains ont fait de M. Shin un genre de symbole, une célébrité en quelque sorte. C'est chose courante dans certaines parties du globe, mais du point de vue de la commission d'enquête, M. Shin était un témoin comme un autre.
La Corée du Nord a sans cesse rejeté les allégations quant à l'existence de camps de détention, mais nous avions des preuves objectives sous forme d'images satellites. Certaines de ces images provenaient de satellites de la défense, mais la plupart ont été obtenues simplement au moyen de Google Earth. Il nous suffisait de saisir dans Google les coordonnées des emplacements où devaient se trouver les camps de détention pour retracer avec grande précision les installations et tous les autres éléments décrits par les témoins.
Il existe donc des preuves objectives de l'existence des camps de détention. Suivant certaines indications, des gens auraient été déplacés, et il est également possible que certains camps aient été fermés, mais nous avons des doutes à ce sujet. La commission d'enquête ne savait pas trop si l'on avait décidé de réduire la taille des camps de détention ou s'il s'agissait plutôt d'une simple redistribution des détenus entre les camps déjà existants.
Il ne fait toutefois aucun doute qu'il existe bel et bien des camps de détention à l'extérieur du système de justice en place en Corée du Nord, que de très nombreux citoyens et leurs familles y sont détenus en raison de leurs convictions politiques, et qu'ils sont nombreux à y mourir de faim dans des conditions d'une barbarie inouïe.
J'aimerais d'abord et avant tout, monsieur le juge Kirby, vous féliciter non seulement pour votre témoignage d'aujourd'hui et votre rapport détaillé, mais aussi pour votre engagement de toute une vie en faveur des droits de la personne et de la primauté du droit.
En conclusion au rapport final de votre commission, qui documente toute la gamme des crimes contre l'humanité qui ont été commis, vous indiquez que la gravité, l'ampleur et la nature de ces violations témoignent d'un pays sans aucun équivalent dans le monde actuel.
Comme vous l'avez précisé très clairement, c'est une situation qui justifie l'application de la responsabilité de protéger, un principe adopté depuis 10 ans. Dans ce contexte, il convient de se demander quels moyens devrait privilégier la communauté internationale pour concrétiser cette responsabilité dans le cas de la Corée du Nord.
Il va de soi qu'un renvoi par le Conseil de sécurité des Nations Unies à la Cour pénale internationale serait la meilleure solution, et il est toujours possible que cela se fasse, mais on se rappelle trop bien que la Chine et la Russie n'ont pas manqué d'exercer leur droit de veto pour nous empêcher d'appliquer le principe de la responsabilité de protéger dans le cas de la Syrie.
Je me demande donc ce que peut faire la communauté internationale pour persuader la Chine et la Russie ou, en cas d'échec à ce niveau, prendre les initiatives qui s'imposent. Et je m'interroge plus particulièrement sur le rôle que peuvent jouer les parlementaires canadiens pour faire avancer ce dossier.
D'abord et avant tout, monsieur Cotler, je tiens à vous rendre hommage. Nous avons pu nous rencontrer à plusieurs reprises dans nos vies antérieures respectives, alors que vous étiez professeur et moi juge. Je suis donc honoré de pouvoir vous répondre.
Je crois que ma réponse sera identique à celle que j'ai donnée à l'Assemblée générale lorsqu'on m'a posé une question très semblable: que pouvons-nous faire? J'ai répondu à l'époque qu'il fallait profiter de chaque occasion où l'on croisait des représentants de la Corée du Nord pour leur rappeler que la situation n'était pas acceptable. J'ai ajouté qu'il fallait faire la même chose si l'on tombait sur des représentants de la Chine et de la Fédération russe.
Après tout, ne célébrerons-nous pas ce mois-ci et le mois prochain les énormes sacrifices consentis par l'Armée rouge et la population russe pour mettre fin à la Seconde Guerre mondiale au cours de laquelle ce pays était un proche allié du Canada, de l'Australie, du Royaume-Uni et des autres membres permanents? Ils ont tout intérêt à travailler en faveur de la paix et de la stabilité.
Il n'y aura toutefois ni paix ni stabilité possible dans la péninsule coréenne tant et aussi longtemps que l'on n'y respectera pas les droits fondamentaux de la personne. Je pense que c'est une chose que nous devons leur faire comprendre.
D'ici là, nous devons poursuivre nos efforts. Le mois prochain, un bureau local sera établi pour continuer à recueillir des témoignages. Pour le suivi du rapport de la commission d'enquête, il faut surtout craindre que d'autres préoccupations internationales plus pressantes fassent sombrer le dossier dans l'oubli.
C'est la raison pour laquelle je suis si reconnaissant à ce comité du Parlement canadien de montrer aujourd'hui que ce dossier est encore à l'ordre du jour et que la situation ne s'est toujours pas améliorée. J'ose espérer que votre comité pourra poursuivre ses activités et continuer à rappeler aux gens le travail et le rapport de la commission d'enquête, sans renoncer toutefois à la contribution que pourrait apporter le Conseil de sécurité s'il choisissait d'intervenir.
Il faut que la Russie et la Chine en viennent à reconnaître, sans égard à leurs préoccupations géopolitiques, que le non-respect des droits de la personne est fondamentalement problématique dans un pays qui compte la cinquième plus importante armée permanente au monde, avec une population de 24 millions d'habitants, et qui disposerait de 15 à 20 ogives nucléaires et de vecteurs de missiles de plus en plus perfectionnés, sans compter ses expériences en technologie sous-marine qui pourraient lui permettre d'étendre la portée de l'arsenal nucléaire à sa disposition.
La paix et la sécurité sont très sérieusement en péril, et la situation des pays qui ne respectent pas ainsi les droits fondamentaux de leurs citoyens est toujours très instable. Il y a donc tout lieu de s'inquiéter pour les Canadiens comme pour les gens du reste de la planète, d'autant plus que la vie des habitants de la péninsule coréenne est en jeu. Les risques de complications et de bavures sont très élevés, et nous ne pouvons pas simplement nous croiser les bras en soutenant que ce dossier est trop complexe. Il faut que toute la grande famille humaine mette en commun ses capacités pour trouver une solution à ce problème.
Malheureusement, nous avons dépassé le temps imparti et nous devons passer au prochain intervenant.
Monsieur Devolin.
Monsieur Kirby, je vous remercie de votre présence.
En tant que personne qui s'intéresse depuis longtemps à la Corée du Nord et à ces questions, j'ai suivi avec grand intérêt, de loin, la situation au cours des travaux de votre commission. Je crois que ce que bon nombre d'entre nous ont trouvé le plus intéressant, c'est que la plupart de vos constatations étaient déjà connues; très peu de nouveaux renseignements en sont ressortis. Or, je crois que c'est un exemple qui montre qu'un processus officiel, établi sous l'égide d'un organisme comme les Nations unies, et la collecte de renseignements et une bonne présentation de ceux-ci peuvent changer le discours. Le processus que vos collègues et vous avez suivi dans le cadre de la commission a fait avancer les choses et a en fait porté le débat à un autre niveau. Je vous remercie, vos collègues et vous, à cet égard.
À propos de la violation des droits de la personne en Corée du Nord, bien entendu, il y a les gens qui se trouvent toujours en Corée du Nord. Il y a ensuite les Nord-Coréens qui fuient le pays par voie de terre pour aller en Chine, où ils sont toujours menacés, car comme nous le savons tous, s'ils sont appréhendés par les autorités chinoises, ils seront rapatriés de force dans leur pays. Il semble que la Chine choisit de ne pas prendre au sérieux ses propres obligations de ne pas rapatrier de force les gens qui ont des raisons d'avoir peur pour leur sécurité si on les renvoie dans leur pays. Il y a le chemin de fer clandestin par lequel certains d'entre eux passent; cela peut leur prendre plusieurs années avant de traverser la Chine. La Thaïlande est habituellement la destination de choix. Certains se réinstallent en Corée du Nord ou ailleurs.
Je veux toutefois parler un peu de la Chine plutôt que de la Corée du Nord. Je me demande si la communauté internationale est en mesure d'exercer des pressions morales sur la RPDC pour l'obliger à suivre certaines normes internationales ou la persuader de le faire. La Chine crée un problème, mais je pense qu'il serait davantage possible pour la communauté internationale de persuader la Chine en quelque sorte de ne pas rapatrier de force les Nord-Coréens qui ont fui leur pays. La Chine ne veut peut-être pas que ces gens restent sur son territoire, mais je me suis souvent demandé si la communauté internationale pourrait se rassembler et essentiellement faire une offre à la Chine en ce sens que si elle appréhende des Nord-Coréens, qu'elle nous le signale pour que nous les aidions à s'installer ailleurs; à partir de ce moment-là, nous nous occuperions d'eux.
J'aimerais savoir ce que vous en pensez. Y aurait-il une façon d'entreprendre une démarche auprès de la Chine — non pas par la confrontation directe — pour essayer de créer une situation où la vie des Nord-Coréens qui ont réussi à passer la première étape, c'est-à-dire à se rendre en Chine, mais qui n'ont pas réussi à la traverser, pourrait être améliorée et où il serait davantage possible pour eux d'aller dans un endroit sûr?
C'est vrai que ces derniers temps, il est plus difficile de fuir le pays. Les gens fuyaient habituellement en hiver en traversant les rivières gelées dans le nord de la péninsule coréenne.
L'une des tâches que Kim Jong-un s'est vu confier par son père lorsqu'il était encore vivant, c'était de se rendre à la zone frontalière. On dit qu'il a été scandalisé par la porosité de la frontière, qui permettait à tant de gens de fuir la Corée du Nord. Par conséquent, la RPDC et la Chine ont construit des barrières qui font en sorte qu’il est beaucoup plus difficile pour les gens de fuir le pays de cette manière.
Cependant, s'ils réussissent à franchir la frontière, comme un flot continu, ils doivent alors souvent trouver refuge auprès d'organisations confessionnelles de la Corée du Sud qui peuvent alors les aider à fuir, ce qui ressemble à la façon dont on a conduit les soldats canadiens et britanniques, par exemple, en France, jusqu’aux Pyrénées et à la liberté.
S’ils vont en Thaïlande, c’est un pays raisonnablement sûr qui ne les renverra pas en Corée du Nord. Le Laos, par contre, a renvoyé en Corée du Nord par avion des jeunes qui avaient réussi à s’enfuir, ce qui contrevient au droit international des réfugiés.
Je vous remercie de penser autrement. Je crois que c’est exactement ce que nous devrions tous faire, car si l’on ne s'arrête qu'au P5, au veto, et aux mesures du Conseil de sécurité, on risque de se faire du tort à soi-même et ne pas faire grand-chose d’utile pour les Coréens.
L’un des points qu’on m’a signalés ces derniers jours, c’est que des pays comme l’Australie, le Canada et les États-Unis pourraient faire de bonnes choses pour les gens qui ont vécu cette dure épreuve qu'est celle de fuir leur pays et qui, pour une raison quelconque, ne peuvent pas demander l’asile. Il y a des gens dans cette situation, et je pense qu’on peut dire sans se tromper que les données indiquent que le Canada — qui est reconnu pour accueillir et protéger des réfugiés —, les États-Unis et l’Australie aussi dans une certaine mesure n’ont pas fait preuve d’une grande générosité dans leur accueil de réfugiés nord-coréens. Je crois que les États-Unis n’en ont accueilli que 130 environ — un très petit nombre.
Bien entendu, il est possible pour eux d'obtenir la citoyenneté en Corée du Sud. Si un individu s’y rend, il a le droit de devenir un citoyen. Pour différentes raisons, certaines personnes ne veulent ou ne peuvent pas s’y rendre et cherchent refuge ailleurs.
C’est un aspect dont le comité pourrait vouloir tenir compte, dans le sens de ce que vous proposez. Je crois que c’est une bonne idée. Nous devrions être animés par le respect pour les gens.
J’arrive de Salzbourg, où nous avons tenu un séminaire mondial. Au cours du séminaire, une participante a présenté exceptionnellement des photos qu’elle a prises lorsqu’elle était en Corée du Nord. Il y avait quelques photos de Pyongyang, qui nous montraient une ville étonnamment moderne, mais des rues désertes. Toutefois, sur d’autres photos, on voyait de jeunes enfants nord-coréens vêtus de ce qui semblait être des coupe-vents et des vêtements bon marché, mais chauds, faits en Chine pour les protéger de l’hiver coréen rigoureux. En les regardant et en regardant les écoliers sur les photos nous fixer, en tant qu’Occidental qui voit ces victimes, on réalise qu’on ne peut pas détester les Nord-Coréens. Il est certainement impossible de détester les enfants et les adolescents nord-coréens. Ils sont eux-mêmes les victimes de graves torts.
Il est important que nous n'oubliions jamais les gens qui défendent les enjeux géopolitiques et les droits de la personne, aux Nations unies et même ici dans ce Parlement. Les Coréens ignorent que nous nous sommes réunis aujourd'hui pour parler d'eux. Or, c'est un signe du monde dans lequel nous vivons, en ce sens que notre amour des gens d'un pays lointain, ayant des armes terribles à sa disposition, qui demeurent des êtres humains, fait en sorte que les Nations unies, le monde, le Canada, l'Australie et d'autres pays font ce qu'ils peuvent pour atténuer la souffrance comme ils le méritent — ce à quoi ils auraient le droit de s'attendre s'ils le savaient.
Merci.
Avant que je cède la parole au dernier membre du comité qui vous posera des questions, je veux préciser quelque chose, et cela découle de mes discussions avec M. Devolin. Je crois comprendre qu'un problème unique se pose pour les gens qui quittent la Corée du Nord. En principe, ils peuvent se rendre en Corée du Sud, mais concrètement, la Corée du Sud est peut-être une destination qu'ils souhaitent éviter pour protéger les membres de leurs familles et pour leur propre sécurité. Êtes-vous en mesure de donner votre point de vue là-dessus?
Je ne peux d'aucune façon parler irrespectueusement de la République de Corée, ou de la Corée du Sud. Ce pays a accueilli de 27 000 à 28 000 réfugiés. Il leur a donné un passeport. La constitution de la République de Corée leur confère le droit à la citoyenneté, car ce pays soutient qu'il est le gouvernement légitime de la péninsule coréenne.
Cependant, il est vrai qu'une proportion — je ne crois pas que ce soit une grande proportion — se sent coupée de certaines sphères de la vie en Corée du Sud. Normalement, les citoyens nord-coréens sont nettement plus petits que leurs concitoyens sud-coréens. Par conséquent, ils ont tendance à se détacher et à passer par le processus de vérification, et il n'est pas facile de se trouver un emploi et de bénéficier de possibilités en Corée du Sud. Certains souhaitent et pourraient contribuer de façon utile dans des pays comme le Canada, l'Australie, les États-Unis, mais nous en accueillons très peu parce que nous disons qu'ils peuvent aller en Corée du Sud. Ce qui ne doit pas se produire, c'est un renvoi de gens en Corée du Nord, car même s'ils quittent la Corée du Nord en tant que migrants économiques à la recherche d'une vie meilleure, si on les renvoie en Corée du Nord, ils seront punis très sévèrement, voire exécutés, paraît-il. Par conséquent, c'est très grave si on les y renvoie et cela ne devrait pas arriver.
Merci, monsieur le président.
Je vous remercie, monsieur Kirby, de votre présence.
Je ne sais pas si vous avez beaucoup d'informations sur la situation en Corée du Nord, sur ce qui se passe à l'intérieur du pays. Je crois que la répression comporte toujours un aspect économique. Par exemple, en ce qui a trait à l'Holocauste, ce n'est pas compliqué: toute l'économie allemande était intégrée à l'activité des camps de concentration. De plus, le meurtre massif de millions de juifs d'Europe constituait une source de revenus et finançait leur propre répression.
Selon ce que j'ai entendu, en Corée du Nord, il se crée une classe privilégiée de Nord-Coréens qui travaillent dans les usines situées à la frontière et souvent dirigées par de grandes compagnies internationales. Les gens qui y travaillent acquièrent un niveau de vie absolument impressionnant comparativement à celui des Nord-Coréens ordinaires qui crèvent de faim. La source de l'effondrement de ce régime est probablement la création d'une classe privilégiée de Nord-Coréens qui exploitent leurs semblables. De plus, la source de financement vient en grande partie des usines dirigées par des entreprises sud-coréennes ou chinoises.
Qu'avez-vous à dire à ce sujet?
[Traduction]
C'est vrai que souvent, l'économie de la Corée du Nord est stimulée, dans une certaine mesure, par des régions frontalières, surtout à la frontière qui sépare le pays de la Chine, ce qui permet la réalisation de projets conjoints. Dans la revue The Economist de la semaine dernière, on révélait que l'économie de la Corée du Nord a connu une croissance de 7 % l'an dernier. Que ce soit vrai ou non, elle a progressé. Toutefois, votre question vise à savoir si tous les gens de la Corée du Nord en profitent.
Le régime nord-coréen comprend ce qu'on appelle un système de caste, qui divise la population en trois groupes. En fait, il compte 55 sous-catégories, mais il y a essentiellement trois catégories: la classe solide, soit les amis du régime; la classe hésitante; et la classe hostile. C'est le type de mots d'un régime communiste. La plupart des gens ne font pas partie des amis du régime. La plupart des amis du régime vivent à Pyongyang.
Il est dans l'intérêt de tous les gens de la Corée du Nord que l'économie progresse. L'amélioration de la situation économique a des répercussions sur tout le monde.
L'une des personnes les plus intéressantes que j'ai rencontrées la semaine dernière à Séoul, c'est un jeune homme qui, à l'extérieur de la Corée du Nord et de la Corée, a lancé une entreprise par laquelle il échange avec une partie des gens qui fuit le pays. Il a dit que lorsqu'ils sentent l'odeur du capitalisme, ils ont plein d'énergie, d'ambition et ils souhaitent faire aussi bien que leurs cousins du sud.
La Corée du Sud réussit extrêmement bien sur le plan économique. Si les Nord-Coréens peuvent avoir la même attitude et le même succès, leur situation économique s'améliorera. Or, il sera très difficile de réaliser cela partout.
[Français]
Une question m'est venue pendant que vous formuliez votre commentaire.
Si on constate qu'il y a effectivement des sources d'approvisionnement en capitaux pour le régime, ne faudrait-il pas prendre des mesures, par exemple quand on signe des ententes avec des pays, pour s'assurer que le Canada ne fait pas affaire avec des entreprises qui ont recours à l'esclavage, d'une façon ou d'une autre?
Ne devrait-on pas émettre des sanctions contre les compagnies ou les pays qui profitent d'une main-d'oeuvre qui travaille dans des conditions d'esclavage? Est-ce que cela ne pourrait pas être une réponse?
[Traduction]
Cela m'amènerait à parler de questions pour lesquelles je ne suis pas spécialiste, mais je crois que c'est une question légitime. C'est quelque peu comparable à la question du trafic et des gens qui profitent de la situation de personnes qui ont fui le pays. C'est également semblable au nombre important et croissant de travailleurs nord-coréens qui vont dans des pays limitrophes pour travailler — et parfois dans des pays lointains, comme les pays du Golfe, pour un travail en particulier — et qui n'obtiennent qu'une partie de l'argent versé au gouvernement nord-coréen pour le travail qu'ils effectuent.
Je crois qu'il faudrait en arriver à un équilibre: il y a d'une part, le bien-fondé de promouvoir l'amélioration de la situation économique en Corée du Nord, et d'autre part, l'utilisation abusive de ces zones d'activités conjointes. Il faudrait beaucoup réfléchir avant de commencer à prendre des sanctions contre le développement économique.
Dans l'ensemble, le développement économique, comme nous l'avons constaté dans d'autres pays, comme le Cambodge, est souvent un élément essentiel pour améliorer la vie des gens ordinaires. Dans la mesure où nous pouvons le faire, nous pouvons faire en sorte que les gens ne meurent pas de faim.
N'oubliez jamais que dans les années 1990, sur une population de 24 millions d'habitants, selon nos estimations, un million de Nord-Coréens sont mort de faim. Parallèlement, la Corée du Nord dépensait des ressources considérables — dont la population affamée aurait pu profiter — pour des armes nucléaires, une énorme armée et des vecteurs de missiles.
Il s'agit d'essayer de les intéresser à l'économie plutôt qu'aux armes. C'est l'intégration des droits de la personne et aussi de la paix et de la sécurité.
[Français]
Merci, monsieur Morin.
[Traduction]
Monsieur Kirby, je vous remercie beaucoup d'avoir pris le temps de venir comparaître devant notre comité. Votre témoignage a été très instructif, en fait, et nous vous en sommes reconnaissants.
Merci beaucoup, monsieur le président.
Encore une fois, je veux rendre hommage au Parlement et aux Canadiens pour le soutien du Canada aux travaux de la commission d'enquête.
Explorateur de la publication
Explorateur de la publication