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Merci beaucoup, monsieur le président. Je vous remercie de l'occasion que vous me donnez.
J'aimerais expliquer pourquoi je suis ici et pourquoi j'ai décidé de prendre la parole. Il est très important pour les gens de ma circonscription que je parle de cette question. C'est une préoccupation pour beaucoup de mes électeurs. Bien des gens n'entrent pas dans les paramètres normaux dont nous parlons souvent, concernant l'économie au Canada. Nous faisons souvent les choses pour les 40 % supérieurs, la classe moyenne, les 60 % supérieurs. Malheureusement, il y a bien d'autres gens que cela dans ce pays.
Je vois le revenu annuel garanti comme étant très important. Nous faisons de petits programmes tout le temps. C'est un petit programme par ci, un petit programme par là. Nous avons la sécurité de la vieillesse. Nous avons le revenu garanti pour les aînés, et nous avons la nouvelle prestation fiscale canadienne pour enfants, qui est une sorte de revenu garanti pour les enfants et les familles, mais bien d'autres personnes sont oubliées, et ce, par inadvertance, ce que je trouve vraiment honteux.
C'est honteux parce que des gens de ma circonscription viennent me voir. Ils sont handicapés, ou incapables d'obtenir le même niveau de capital social, mais ils méritent aussi une bonne qualité de vie. Je ne dis pas qu'ils méritent des comptoirs en granit. Je ne dis pas qu'ils méritent des toilettes avec des garnitures dorées ou autres choses de ce genre. Ce que je dis, c'est qu'ils méritent une dignité humaine de base.
Nous parlons souvent de politiques fiscales et de la façon de nous y prendre. J'ai un peu parlé, la dernière fois, de l'impôt sur le revenu négatif et des façons dont nous pouvons imposer les gens au Canada. Le débat sur le revenu de base dure depuis au moins 1754, avec le Second Discours de Jean-Jacques Rousseau, qui parlait de pauvreté. Il est connu pour avoir affirmé: « Le premier qui, ayant enclos un terrain, s'avisa de dire “ Ceci est à moi ”, et trouva des gens assez simples pour le croire, fut le vrai fondateur de la société civile. Que de crimes, de guerres, de meurtres, que de misères et d'horreurs n'eût point épargnés au genre humain celui qui, arrachant les pieux ou comblant le fossé, eût crié à ses semblables: “ Gardez-vous d'écouter cet imposteur; vous êtes perdus, si vous oubliez que les fruits sont à tous, et que la terre n'est à personne! ” » C'est ce qu'a dit Jean-Jacques Rousseau.
Vous me demanderez peut-être ce que la terre vient faire dans cela. Eh bien, parfois, il s'agit de la distribution équitable de la richesse dans notre société ainsi que des personnes qui possèdent cette richesse.
En 1848, un autre homme, un autre économiste, Joseph Charlier, a présenté ce qu'on estime être — du moins dans la littérature — le premier cas de revenu inconditionnel financé principalement au moyen des impôts fonciers. Charlier a continué de préconiser cela sur les 50 années qui ont suivi.
Le deuxième théoricien était François Huet. En 1853, il a offert la justification soutenue d'une dotation en capital inconditionnelle et uniforme versée à tous les jeunes adultes et financée au moyen de la taxation de l'héritage et des dons. Il a réitéré cet engagement dans tous ses écrits ultérieurs.
Ce n'est pas un sujet qu'une poignée de personnes seulement a abordé. Même en 1795, un acteur important de la Révolution américaine, Thomas Paine, préconisait le versement d'un dividende à chaque citoyen américain en guise d'indemnisation pour la perte de son héritage naturel causée par la mise en place du régime de propriété foncière. Cela se trouve dans son livre intitulé Agrarian Justice.
L'empereur français Napoléon Bonaparte a soulevé les mêmes questions, affirmant que « L'homme en naissant porte en lui des droits sur la portion des fruits de la terre nécessaires à son existence. » Cela vient d'Herold, en 1955.
En 1962, l'économiste Milton Friedman préconisait un revenu minimal garanti — le principe de l'impôt sur le revenu négatif.
En 1963, Robert Theobald a publié l'ouvrage Free Men and Free Markets, dans lequel il prône un revenu minimal garanti. C'est en fait à l'origine de l'expression moderne que nous utilisons aujourd'hui.
En 1966, selon la stratégie Cloward-Piven, il fallait surcharger le système d'aide sociale américain pour entraîner son effondrement dans l'espoir qu'il serait remplacé par un revenu annuel garanti, ce qui mettrait fin à la pauvreté.
L'une de mes citations favorites remonte à 1967, quand Martin Luther King Jr a écrit: « Je suis maintenant convaincu que la meilleure approche demeure la plus simple — la solution à la pauvreté est son abolition directe grâce à une mesure dont on discute abondamment à l'heure actuelle: le revenu garanti. »
Et on continue. Nous pouvons trouver de nombreux autres exemples d'économistes qui parlent de ce phénomène. Dans l'ouvrage An Autobiographical Dialogue paru en 1994, le libéral classique Friedrich Hayek dit avoir toujours soutenu être en faveur d'un revenu minimal pour chaque habitant au pays.
C'est incroyable, même dans le cas de certains ministres des Financces de l'hémisphère occidental et de pays du Commonwealth. En 1984, le travailliste néo-zélandais Roger Douglas, ministre des Finances, a fait l'annonce d'un programme de revenu familial minimal garanti qui allait de pair avec la mise en place d'un nouveau taux d'imposition unique. Malheureusement, les deux mesures ont été abandonnées par David Lange, le premier ministre de l'époque, qui a démis Douglas de ses fonctions. Pourtant, la question revient encore. Je suis ravi qu'en 1968 aussi, James Tobin, Paul Samuelson, John Kenneth Galbraith et quelque 1 200 autres économistes aient signé un document pour demander au Congrès des États-Unis de mettre en place un système de revenu garanti et de suppléments du revenu cette année-là.
Bien des gens demandent souvent ce que signifient de telles mesures. Pourquoi donner quelque chose à quelqu'un qui ne le mérite pas? Ces mesures portent de nombreux noms. Même l'Alaska a une forme de revenu garanti, soit le fonds permanent de l'Alaska, qui verse 25 % des ressources naturelles de l'État à tous les citoyens. Ce genre de mesure porte bien d'autres noms: le revenu de base garanti, le partage de la richesse, le revenu de base, le revenu garanti, le crédit social — c'est ce que nous avions auparavant en Alberta; je me souviens d'un gouvernement du Parti Crédit Social —, la garantie d'un revenu de base, le revenu minimum garanti, le dividende social, les avantages pour les citoyens, le minimum de revenu garanti, le revenu collectif, les avantages pour les citoyens, la garantie de revenu, le salaire social, le revenu citoyen, le revenu minimum garanti, le bonus de l'État, le revenu minimal, le dividende territorial, le salaire citoyen, Mincome, qui est un programme que nous avions au Canada, le revenu de base inconditionnel, le pain quotidien, du pain et des roses — de vieilles chansons de solidarité étaient chantées dans les années 1930 et demandaient à l'État de donner un pain quotidien et des roses aux citoyens —, l'allocation minimum nationale, l'allocation universelle, la subvention démographique, le dégrèvement fiscal national, le revenu de base universel, les dividendes pour tous, l'impôt négatif sur le revenu, le régime universel, le revenu annuel garanti, le crédit d’impôt remboursable, la subvention universelle, le revenu adéquat garanti, le partage du loyer, le crédit d'impôt universel. Voilà quelques-uns des noms employés pour décrire les mêmes philosophies qui se retrouvent dans bon nombre de publications économiques.
Ces mesures ne sont peut-être pas importantes pour tout le monde, mais elles le sont pour bien des gens. L'État finit par dépenser beaucoup d'argent, et il est fort important qu'il le fasse judicieusement. De nombreux petits programmes sont offerts au pays, et il y a bien des petits problèmes. Nous investissons quelque peu pour régler un problème donné, puis nous investissons ailleurs en raison d'un problème semblable relatif à la pauvreté. Pourtant, on ne semble jamais s'attaquer au problème de la pauvreté dans son ensemble, et de nombreuses conditions sont posées.
Les travaux sur le revenu garanti de Martin Luther King font partie de mes préférés. J'ai pensé vous lire un passage tiré d'un de ses livres. Je ne veux pas faire perdre le temps du Comité, mais je pense qu'il est important de consigner l'information au compte-rendu et d'en informer la population canadienne. Martin Luther King est un de mes personnages préférés et un des grands héros de ma vie, aux côtés de Nelson Mandela, sexagénaire que j'ai eu la chance de rencontrer en 1994 lorsqu'il a été élu pour la première fois à la suite d'élections libres et justes en Afrique du Sud. Martin Luther King, avec la vérité à laquelle il adhérait, et qui a vu la terre promise à partir du sommet de la montagne, est un des personnages que chérissent bien des gens au pays, je crois. Sa vérité s'applique tant à la situation des États-Unis qu'à celle du Canada. Voici ses mots:
Il n'y a qu'une proposition générale que j'aimerais examiner ici, étant donné qu'elle porte sur l'éradication de la pauvreté au sein de cette nation et qu'elle mène logiquement à ma discussion finale sur la pauvreté à l'échelle internationale.
Pour ce qui est du traitement de la pauvreté à l'échelle nationale, un fait ressort: il y a deux fois plus de pauvres de race blanche que de race noire aux États-Unis. Je ne vais donc pas m'étendre sur la pauvreté qui découle de la discrimination raciale, et je parlerai plutôt de celle qui afflige tant les Blancs que les Noirs.
J'aimerais commenter ce passage.
Lorsque j'ai décidé de me présenter aux élections municipales de Winnipeg en 2014, bien des gens m'ont dit que j'allais seulement m'occuper des intérêts des Autochtones puisque j'étais le candidat autochtone. J'ai dit à la population que ce n'était pas mon seul objectif, et que j'étais là pour m'occuper des intérêts de tous les habitants de Winnipeg. Ce sont les mêmes idéaux que je présente à la Chambre et à votre Comité. La pauvreté touche tout le monde de la même façon au pays, qu'il s'agisse d'un Autochtone, d'un nouvel arrivant ou d'une personne non autochtone, comme j'aime appeler ceux qui ne sont pas d'origine autochtone.
Je vais poursuivre la citation:
Jusqu'à récemment, nous partions de la prémisse selon laquelle la pauvreté est attribuable à bien des maux: le manque d'éducation qui limite les possibilités d'emploi; des logements de très piètre qualité qui restreignent la vie familiale et limitent l'esprit d'initiative; et des relations familiales fragiles qui entravent le développement personnel. Suivant la logique de cette approche, il faut s'attaquer à chacune de ces causes une à une. C'est ce qui explique la création d'un programme de logement qui vise à transformer les conditions de vie, l'amélioration des établissements d'enseignement dans le but de fournir des outils aux élèves pour qu'ils aient de meilleures possibilités d'emploi, et des consultations familiales afin de favoriser les dispositions personnelles. Ensemble, ces mesures devaient éliminer les causes de la pauvreté.
Même si aucun de ces recours n'est malsain en soi, ils présentent tous un grave inconvénient. Les programmes n'ont jamais été coordonnés ou mis en place parallèlement. Les mesures liées au logement ont fluctué suivant les caprices des entités législatives. Elles ont été fragmentées et insignifiantes. Les réformes en matière d'éducation ont été encore plus anémiques et se sont embourbées dans l'inertie bureaucratique et les décisions dominées par l'économie. Les mesures de soutien aux familles ont stagné négligemment, puis soudain, des études précipitées et superficielles ont démontré qu'il s'agit de l'enjeu fondamental. En aucun temps un programme complet, coordonné et tout à fait adapté n'a été créé. Par conséquent, les réformes fragmentées et irrégulières n'ont pas pu répondre aux besoins fondamentaux des pauvres.
En plus de manquer de coordination et de profondeur, les programmes d'autrefois ont tous une lacune commune: ils sont indirects. Chacun cherche à lutter contre la pauvreté en réglant d'abord un autre problème.
Voici encore les propres mots de Martin Luther King:
Je suis désormais convaincu que la méthode la plus simple sera la plus efficace. Pour éradiquer la pauvreté, il faut l'éliminer directement au moyen d'une mesure dont on discute beaucoup, à savoir le revenu garanti.
Plus tôt au cours du siècle, cette proposition aurait été ridiculisée et dénoncée étant donné qu'elle pouvait porter atteinte à l'esprit d'initiative et à la responsabilité. À l'époque, on mesurait les capacités et les talents d'une personne selon sa situation économique. Suivant le raisonnement simpliste de l'époque, l'absence de biens indiquait un manque de compétences et de fibre morale.
Notre compréhension de la motivation humaine et du fonctionnement aveugle de notre régime économique a beaucoup progressé. Nous réalisons maintenant que le bouleversement du fonctionnement du marché au sein de notre économie et la discrimination orientent les gens vers l'oisiveté, de sorte qu'ils sont constamment ou fréquemment frappés par le chômage contre leur volonté.
C'est incroyable. C'était en 1968, et King parle des mêmes enjeux qui touchent les mêmes personnes nombreuses, qu'il s'agisse de jeunes ou de gens ayant perdu leur emploi en raison de la nouvelle économie. Une économie nouvelle fait son arrivée, avec les voitures et les camions sans conducteurs. L'automatisation de nombreux emplois pour lesquels un exercice de réflexion poussée est nécessaire touchera un grand nombre de personnes dans notre société, même les avocats. Le recours à l'intelligence artificielle fera en sorte que bien des gens au pays se retrouveront sans emploi.
Dans le passage suivant qui remonte à 1968, King parle du même phénomène exactement:
De nos jours, les pauvres sont moins souvent exclus de notre conscience parce qu'ils seraient considérés comme inférieurs et incompétents. Aussi, nous ignorons que la pauvreté ne peut pas être éradiquée par le développement et l'expansion de l'économie, peu importe à quel point c'est dynamique.
Nous pouvons parler de croissance, mais malheureusement, la pauvreté semble toujours être présente:
Nous en sommes arrivés au point où nous devons faire en sorte que celui qui ne produit pas devienne un consommateur, sans quoi nous allons nous noyer dans une mer de produits de consommation. Nous avons si vigoureusement maîtrisé la production que nous devons maintenant porter attention à la distribution. Même si le pouvoir d'achat a augmenté, celui-ci accuse un retard par rapport aux hausses de production. Ceux dont les revenus sont les plus bas, à savoir les pauvres de race blanche et noire, les personnes âgées et les malades chroniques, ne sont généralement pas organisés, de sorte qu'ils peuvent difficilement faire croître leur revenu suffisamment. Soit leur situation stagne, soit ils s'appauvrissent encore plus par rapport au reste de la société.
Le problème laisse entendre que nous devons nous attarder à deux choses. Nous devons soit maintenir le plein emploi, soit créer des sources de revenus. Les gens doivent devenir des consommateurs d'une façon ou d'une autre. Une fois que c'est fait, nous devons veiller à ne pas gaspiller le potentiel de la personne. De nouvelles formes de travail qui favorisent le bien collectif devront être mises au point pour ceux qui n'ont pas accès aux emplois traditionnels.
En 1879, Henry George avait anticipé l'état des choses lorsqu'il a écrit, dans Progrès et pauvreté...
Monsieur le président, j'ai décidé d'apporter un exemplaire du livre, qui est un de mes ouvrages préférés sur l'économie se trouvant dans ma bibliothèque. Il m'a été offert par l'honorable Sid Green, un excellent ancien ministre des Finances de la province du Manitoba. Merci beaucoup, monsieur.
Dans le livre, l'auteur parle souvent des nombreux enjeux de l'époque — le texte a été publié dans les années 1850 —, et c'est une lecture absolument formidable. Si vous avez du temps, j'encourage les auditeurs, s'il y en a, et la twittosphère à prendre le temps de lire cet ouvrage merveilleux. Il est un peu long, mais les vérités qu'il contient sont tout à fait fantastiques.
Voici ce que l'auteur dit dans le livre:
Le fait est que le travail qui améliore la condition de l'humanité, qui étend ses connaissances, augmente sa puissance, enrichit la littérature et élève la pensée, n'est pas fait pour assurer la vie matérielle. Ce travail n'est pas le travail d'esclaves conduits à leur tâche par le fouet du maître ou par les besoins animaux. C'est le travail d'hommes qui l'accomplissent pour lui-même, et non parce qu'ils gagneront de quoi manger, boire, porter, dépenser davantage. Dans un état de société où le besoin serait aboli, la somme du travail de ce genre serait considérablement augmentée.
Revenons à Martin Luther King:
Nous risquons fort de constater que les problèmes de logement et d'éducation, plutôt que d'entraîner l'éradication de la pauvreté, seront eux-mêmes influencés si on met fin à la pauvreté d'abord. Les pauvres, qui seront désormais des acheteurs, ne ménageront aucun effort pour éviter la détérioration du logement.
Pourquoi verser de l'argent à des personnes ou mettre en place des sociétés ou des groupes qui s'occuperont des logements sociaux lorsqu'on peut donner aux gens les ressources nécessaires pour décider eux-mêmes ce qu'ils veulent faire de cet argent? Je pense qu'il s'agit essentiellement de la nature humaine; il faut permettre aux gens de faire leurs propres choix.
Voici une autre citation de Martin Luther King:
Les Noirs, qui sont doublement désavantagés, ont une meilleure incidence sur la discrimination lorsqu'ils ont une arme de plus pour mener leur combat, à savoir l'argent.
Je viens de sortir d'une réunion avec la ministre de l'Emploi, du Développement de la main-d'oeuvre et du Travail, . Nous croyons que le taux de chômage oscille entre 80 et 90 % dans certaines réserves, et nous nous demandons quoi faire pour stimuler cette économie. Nous ignorons comment procéder. La question n'a rien de simple. Nous essayons de régler le problème depuis des dizaines d'années, mais pour une raison qui m'échappe, nous n'y arrivons pas.
En plus de ces avantages, une série de changements psychologiques positifs découleront inévitablement de telles mesures.
Une voix: J'invoque le Règlement.
En plus de ces avantages, une série de changements psychologiques positifs découleront inévitablement de la sécurité économique à grande échelle. Les individus gagneront en dignité lorsque les décisions sur leur propre vie leur incomberont, qu'ils auront l'assurance d'un revenu stable et sûr, et qu'ils auront les moyens d'améliorer leur situation. Les conflits interpersonnels entre mari, femme et enfant s'atténueront lorsque la valeur humaine ne sera plus injustement calculée en terme d'argent.
Deux conditions sont indispensables pour que le revenu garanti demeure une mesure constamment évolutive. Tout d'abord, il doit être établi en fonction du revenu médian de la société, et non pas en fonction des revenus les moins élevés. Garantir un revenu au bas de l'échelle ne ferait que perpétuer les normes de l'aide sociale et coincer la personne dans des conditions de pauvreté au sein de la société. En deuxième lieu, le revenu garanti doit être dynamique et augmenter automatiquement au fur et à mesure de la croissance du revenu collectif total. Si le revenu stagnait dans un contexte de croissance, les bénéficiaires subiraient une baisse de revenu relative. Si la révision périodique permet de constater une hausse du revenu national global, le revenu garanti devra être ajusté à la hausse d'un pourcentage équivalent. Sans ces balises, une régression insidieuse s'ensuivrait et annulerait les gains réalisés sur les plans de la sécurité et de la stabilité.
Cette proposition n'est pas un programme de défense des droits civils dans le sens actuel de l'expression. Elle serait bénéfique pour tous les pauvres, y compris les deux tiers d'entre eux qui sont blancs. J'espère que les Noirs et les Blancs uniront leurs efforts pour réaliser ce changement, étant donné que leur force combinée sera nécessaire pour surmonter l'opposition farouche à laquelle on peut réalistement s'attendre.
Je le répète: « l'opposition farouche à laquelle on peut réalistement s'attendre. »
L'adaptation de la nation à un nouveau raisonnement sera plus facile si nous prenons conscience que deux groupes au sein de notre société bénéficient déjà d'un revenu garanti depuis près de quarante ans. En effet, le fait que ces deux groupes s'avèrent être les plus riches et les plus pauvres reflète nos valeurs sociales confuses. Les gens bien nantis qui possèdent des valeurs mobilières ont toujours profité d'un revenu assuré; à l'opposé, ceux qui bénéficient d’une exonération se font garantir un revenu, bien que minuscule, sous la forme de prestations d'aide sociale.
John Kenneth Galbraith a estimé qu'il faudrait 20 milliards de dollars par année pour mettre en place un revenu garanti, ce qu'il décrit comme étant à peine plus que ce que nous allons dépenser au cours de l'exercice suivant pour recouvrer la liberté démocratique et religieuse, selon la définition de spécialistes du Vietnam.
Ce chiffre date évidemment de 1968:
La tendance contemporaine de notre société consiste à fonder la distribution sur la rareté, alors que ce n'est plus justifié, et à condenser notre abondance dans les bouches déjà suralimentées des classes moyenne et supérieure, jusqu'à ce qu'ils suffoquent dans la surabondance. Si la démocratie consiste à avoir un vaste champ sémantique, il faut s'attaquer à cette injustice. Non seulement c'est une obligation morale, mais en plus, c'est la chose judicieuse à faire. Nous gaspillons et avilissons la vie humaine en nous accrochant à un raisonnement archaïque.
La malédiction de la pauvreté n'est aucunement justifiée à notre époque. Sur le plan social, c'est aussi cruel et aveugle que l'était la pratique du cannibalisme à l'aube de la civilisation, alors que les humains se mangeaient entre eux parce qu'ils n'avaient pas encore appris à s'alimenter à partir de la terre ou à consommer l'abondante faune qui les entourait. Le temps est venu de nous civiliser en éradiquant totalement, directement et immédiatement la pauvreté.
Martin Luther King a présenté de nombreuses vérités dans son livre. Celles qui m'interpellent vraiment, et dont j’ai déjà parlé à Winnipeg et à plus grande échelle aussi, font réaliser à quel point nous gaspillons le potentiel humain dans bon nombre de nos sociétés, et à quel point certains groupes de notre société ne semblent pas bénéficier des mêmes avantages.
King a aussi mentionné la présence de deux groupes de notre société qui profitent d'une forme de revenu garanti: ceux qui se trouvent parmi les 20 % qui sont les mieux nantis, et ceux qui sont parmi les 20 % dont les revenus sont les plus bas. Les mieux nantis vivent du revenu de leurs loyers et n’ont pas à se soucier des besoins et des manques de la vie. Ils peuvent simplement suivre leur voie et accumuler encore plus de richesses. C'est ce que nous avons constaté. Je vais en parler davantage dans un instant, mais le phénomène continue de se produire même dans notre pays, que nous considérons pourtant comme étant fondamentalement égalitaire.
Notre Comité a accueilli Evelyn Forget, une économiste de l’Université du Manitoba qui nous a parlé du revenu annuel garanti. Elle a écrit sur le sujet à plusieurs occasions dans des revues spécialisées évaluées par des pairs. Elle n'est pas venue s'adresser au Comité au nom d'un groupe professionnel qui aurait des objectifs politiques, mais elle a des données claires et concises qui peuvent démontrer, sans l'ombre d'un doute, l'incidence qu'aura dans la vie des gens une mesure semblable de garantie de revenu minimum annuel ou de revenu de base.
Par exemple, dans un article publié en décembre 2013 dans Preventative Medicine, elle décrit son étude visant à déterminer si les données administratives sur l’assurance maladie universelle peuvent apporter un nouvel éclairage sur un essai passé. Elle cherchait plus précisément à savoir si une expérience de revenu annuel garanti réalisée dans les années 1970 dans le but d'observer l'incidence sur le marché du travail avait baissé le taux d’hospitalisation.
L’étude de Mme Forget examinait à nouveau le site à saturation d’une expérience du nom de Mincome sur le revenu annuel garanti menée entre 1974 et 1979 à Dauphin, au Manitoba. Mme Forget a utilisé les données administratives sur la santé générées par le régime général d'assurance maladie du gouvernement pour identifier les sujets. Il s'agissait d’environ 12 500 résidents de Dauphin et de la municipalité rurale. Elle a employé un score de propension correspondant afin de sélectionner trois sujets de référence pour chaque participant à partir de la base de données, qui étaient jumelés selon l'emplacement géographique, l'âge, le sexe, la taille de la famille et le type de famille. Les mesures de résultats étaient les sorties de l'hôpital et les consultations médicales. Il a été démontré que les congés d'hôpitaux ont diminué de 8,5 % chez les sujets de référence au cours de la durée de l'expérience. Le déclin était surtout attribuable aux codes relatifs aux accidents, aux blessures et à la santé mentale.
Mme Forget est parvenue à la conclusion que même si le programme Mincome a été conçu pour mesurer l’incidence du revenu annuel garanti sur le nombre d’heures travaillées, il est encore possible d'examiner de nouveau les anciennes expériences à la lumière de nouvelles données pour déterminer les effets sur la santé d'interventions auprès de la population qui étaient conçues à d’autres fins. Elle a d'ailleurs constaté que le taux d’hospitalisation a baissé considérablement après l’introduction du revenu garanti.
L’Ontario envisage actuellement la mise en place d'un revenu annuel garanti. La province le fait par elle-même. Il existe partout au pays de nombreux programmes différents offerts par le gouvernement fédéral et par les provinces. Ces programmes sociaux sont censés relever des provinces, mais il arrive souvent que le gouvernement fédéral y joue un rôle. Je pense qu’il faut une certaine coordination entre les deux instances et entre les deux pouvoirs exécutifs pour s'attaquer au coeur du problème, et pour que ces programmes soient réalisés le mieux possible.
Evelyn Forget ne s’est pas arrêtée là. Elle publie des articles sur le sujet depuis fort longtemps. Dans un article publié en septembre 2011 dans Analyse de politiques, une autre revue évaluée par des pairs, elle a documenté le contexte historique du Mincome, une expérience canadienne en matière de revenu garanti réalisée de 1974 à 1979. Elle a recueilli d'autres données administratives sur la santé, puis a constaté une baisse de 8,5 % du taux d’hospitalisation des participants.
Les résultats montrent aussi que, pendant l’expérience, les visites des participants chez le médecin ont diminué, en particulier pour des questions de santé mentale, et que plus d’adolescents ont poursuivi leurs études jusqu'en 12e année. Les gens ont continué leur éducation. Par ailleurs, les résultats n’indiquent aucune hausse du taux de natalité, même si certains pourraient croire que les participants auraient eu plus d’enfants pour augmenter leurs revenus. Les chercheurs n'ont constaté aucune augmentation du taux d'éclatement des familles. Ils ont vu des améliorations en matière d’issues de la grossesse. Ils en ont conclu qu’un revenu annuel garanti même modeste — et je dis bien modeste — peut améliorer la santé d’une population, entraînant ainsi des économies importantes pour le système de santé. Ce n’est pas rien.
À vrai dire, ce n’est pas le seul rapport sur la question. Si vous effectuez une recherche à partir de 1987 dans la Bibliothèque du Parlement, vous trouverez une bibliographie de 30 pages regroupant un grand nombre de lectures triées sur le volet du Manitoba et de l’Ontario qui se penchent précisément sur ces questions. Les gens écrivent sur le sujet depuis fort longtemps. Malheureusement, malgré ces nombreuses contributions d’universitaires, notre Parlement ne compose pas très bien avec ce milieu. Les universitaires qui pourraient nous présenter des renseignements intéressants ne sont souvent pas ceux que nous invitons à témoigner devant les Comités, même si cela arrive parfois. Les rapports ou les études des universitaires ne se retrouvent pas toujours dans les rapports parlementaires.
J’ai parlé tout à l'heure de la richesse et de l'égalité des revenus au pays. Je tiens à souligner qu'entre 1999 et 2012, la valeur nette des Canadiens qui font partie des 20 % inférieurs a diminué de 6 milliards de dollars, alors qu'ils étaient déjà perdants de 4 milliards de dollars en 1999. En 2012, le déficit s'élevait donc à 10 milliards de dollars.
La perte de 6 milliards de dollars est éclipsée par la hausse de la richesse des 20 % mieux nantis, dont la valeur nette a augmenté de 2,9 billions de dollars. Ces chiffres sont ceux du Canada seulement. Les pauvres qui appartiennent à la tranche inférieure de 20 % ont perdu 6 milliards de dollars, tandis que les autres en ont gagné 2,9 billions. Le gain moyen de la tranche supérieure de 20 % était 483 fois plus important que la perte des pauvres.
Nous pensons souvent que tout le monde se trouve dans une meilleure posture, mais c’est juste parce que les mieux nantis tirent encore plus vers l'avant. Les Canadiens pauvres s’appauvrissent et s'endettent davantage.
J'aurais aimé vous présenter les graphiques et quelques-uns des chiffres que j’ai ici, dans ce petit document. On y voit que le cinquième quintile a profité d'une augmentation de 2,9 billions de dollars, le quatrième quintile, de 949 milliards, le troisième quintile, de 383 milliards, le deuxième quintile, de 78 milliards, et le quintile inférieur, de près de 6,7 milliards de dollars. Je vous parle de l'évolution de la richesse au Canada entre 1999 et 2012. Je pense que cela illustre ce qui se passe dans notre société. Les riches s'enrichissent, et les pauvres... Eh bien, nous avons souvent entendu ce cliché.
On m'a dit maintes fois qu'une mesure semblable pourrait éventuellement entraîner des économies. Par exemple, le gouvernement n’aurait plus besoin de réaliser des projets d'habitation pour la population. Si on donne un revenu annuel garanti aux gens, ils pourront prendre leurs propres décisions. Ils pourront choisir la meilleure façon de dépenser l'argent pour eux-mêmes. Ils pourront faire l'acquisition du logement qui convient le mieux à leur famille et à eux.
Prenons l'exemple des étudiants. Pensons à un étudiant qui vient de terminer ses études ou qui s’apprête à entrer à l’université, et qui constate à quel point la scolarité coûte cher. Au lieu de contracter un prêt d'étude ou de recevoir un prêt étudiant du gouvernement, l’étudiant obtiendrait un revenu annuel garanti qu'il pourrait placer dans son programme. Le gouvernement fédéral dépense des milliards de dollars pour ce genre de mesure.
Des groupes d’étudiants universitaires sont venus à mon bureau sur la Colline du Parlement, depuis le peu de temps que j’y suis, et affirment que nous devons offrir la gratuité universitaire. Les groupes autochtones sont venus nous dire qu'il s'agit d'un droit issu d'un traité. Faisons en sorte qu'il s'agisse d'un droit fondamental. Offrons un revenu annuel garanti à la population, après quoi les gens prendront leurs propres décisions.
Des économies importantes pourraient en résulter, mais ce n’est pas tout. Il faut parfois raconter une histoire personnelle.
Lors de l’élection fédérale de 2015, j’ai eu l’occasion de faire du porte-à-porte. J’ai invité mon ami Malcolm Bird, qui est un de mes confrères et professeur à l’Université de Winnipeg. Il m'a donc accompagné un soir pour faire un peu de porte-à-porte.
La plupart des secteurs de ma circonscription ne sont ni riches ni bien nantis. Il s'agit d'un quartier d'ouvriers à faible revenu composé de gens bien et travaillants. Ces gens travaillent dur. Après quelques heures, Malcolm est venu me trouver. Il était allé dans une direction, et moi, dans l'autre. L’équipe avait elle aussi pris d’autres chemins. Nous nous étions déployé dans le quartier. Ainsi, il est venu me trouver et m'a dit: « Robert, je veux que vous veniez rencontrer cette dame. Elle est une personne âgée incroyable. Vous devez venir écouter son histoire. » J'y suis allé. Incroyablement, cette dame était à Dauphin lors de l’expérience Mincome.
Elle n’habitait pas dans une grande maison. C’était une demeure modeste. Elle m’a parlé de sa vie à Dauphin. Elle était mère de trois jeunes enfants, et le comportement de son mari frisait la violence. Elle n’avait aucune éducation. Elle n’avait pas d'options, et le système économique dans lequel elle se trouvait l'a obligée à faire un choix. Elle a donc dû choisir une vie dont elle ne voulait pas, étant donné qu’elle ne bénéficiait pas de la même stabilité économique que les gens qui font partie des 20 ou 40 % mieux nantis au pays.
C'est alors que le programme Mincome a vu le jour sous la direction de Pierre Trudeau et d'Ed Schreyer, qui était premier ministre du Manitoba à l'époque. Les décideurs lui ont versé un revenu. Par conséquent, au lieu d'éprouver des difficultés et de rester dans une relation dont elle ne voulait pas, elle a décidé de quitter son mari, d'aller à l’école et de prendre ses enfants avec elle. Elle a décidé de mettre fin à une relation qui n’était pas dans son intérêt, puis de recommencer à zéro.
Pendant cette courte période, elle a poursuivi ses études; elle a obtenu son baccalauréat, ce qui lui a permis d'obtenir un emploi mieux rémunéré, un emploi qui lui donnait la capacité de subvenir aux besoins de sa famille. Son baccalauréat lui donnait les moyens de se construire une vie. Elle n'était pas talonnée par un fonctionnaire lui disant d'aller travailler chez McDonald's, de se chercher un emploi, de faire ceci ou cela.
On lui a donné l'occasion de décider de ce qu'elle voulait faire et de ce qui était dans son intérêt supérieur et celui de sa famille. Elle a conclu que cette occasion, c'était de faire des études, et elle l'a saisie. Elle a pris conscience qu'elle avait peut-être fait des erreurs et qu'elle aurait dû faire des études plus tôt, mais souvent, notre système n'offre pas beaucoup de répit à ceux qui tentent de se rattraper plus tard dans la vie. Parfois, lorsqu'on ne fait pas ses études tandis qu'on est jeune, cela ne pardonne pas, notamment en raison du manque de services de garde d'enfants sur les campus universitaires et, souvent, du manque de logements et des coûts très élevés.
Nous avons parlé de sa vie, brièvement. Je ne peux m'empêcher de penser à mon collègue qui est assis ici à mes côtés, M. Raj Grewal. J'ai lu l'histoire de sa vie; sa famille est partie du Punjab pour s'établir au Canada, où elle a connu beaucoup de succès grâce à un travail acharné. Aujourd'hui, Raj est avocat et il siège au Parlement. Il devrait être très fier. Je suis fier de l'avoir comme collègue. Je suis certain que ses parents sont très fiers.
Je suppose que Raj avait aussi autre chose: un capital social. Je ne parlerai pas à sa place. Ses parents avaient probablement — je n'en suis pas certain — de bonnes valeurs de base qui l'ont poussé à se dépasser, à connaître du succès, parfois même bien malgré lui, probablement. C'est ce que font souvent les bons parents.
Cette femme a saisi l'occasion que représentait le revenu garanti pour bâtir un capital social pour ses enfants, qui ont décidé de faire des études. Elle avait trois fils. Deux de ses fils ont une maîtrise; l'un d'eux travaille pour Manitoba Hydro et l'autre, pour la Ville de Winnipeg. Le troisième a sa propre entreprise. Ils ont chacun une famille aimante et ils s'en tirent tous très bien. C'est un exemple de réussite du revenu garanti.
Pensez même à mon expérience personnelle. Je suis une exception, en quelque sorte. On me dit souvent, en pensant à ma situation: « Robert, vous êtes un Autochtone, et regardez à quel point vous réussissez dans la vie. Vous avez une maîtrise, un doctorat en mathématiques. Vous avez une très belle maison; vous avez une femme extraordinaire. »
Mais ce n'était pas le cas pendant mon enfance... j'ai grandi dans une grande pauvreté. Dans certaines périodes de mon enfance, nous étions sans-abri. Nous avons vécu dans la voiture. Ma mère disait que nous étions en camping: « Nous allons en camping pour les trois prochains mois. » Cela commençait au cours du mois de mai, jusqu'à la fin septembre ou octobre.
Je me souviens avoir vu ma mère pleurer parce qu'elle n'avait pas accès aux services des organismes d'aide sociale. Il y a un autre facteur associé à cela: la fierté. Pour beaucoup de gens au pays, avoir à demander la charité à l'État et à avouer qu'on n'a pas réussi dans la vie est très humiliant et dégradant. Au Canada, plus de 800 000 personnes sont obligées d'avoir recours aux banques alimentaires. Il est extrêmement éprouvant d'être obligé d'avoir recours aux banques alimentaires, de demander de l'aide, d'admettre qu'on a échoué dans la vie et de demander la charité. Je peux vous dire, pour avoir eu à le faire, qu'on a le sentiment d'être une m-e-r-d-e. Je ne prononcerai pas le mot, monsieur le président, mais disons qu'on n'a pas une très bonne estime de soi.
Ma mère a toutefois réussi à déjouer les règles du jeu, à contourner le système. Elle a obtenu un faux prêt, ou plutôt un prêt légitime dans une banque. Elle a fait une fausse déclaration concernant son revenu, en se servant de son employeur, qui ne lui versait pas un très bon salaire. Ensuite, elle m'a inscrit dans l'une des meilleures écoles privées de l'Ouest canadien, l'école Strathcona-Tweedsmuir, à Okotoks. Parmi mes camarades de classe, il y avait les enfants du personnel des consulats généraux de divers pays ayant une représentation à Calgary, ainsi que de nombreux enfants — garçons et filles — de dirigeants de sociétés pétrolières.
Ce fut une expérience enrichissante, mais elle a été possible uniquement parce que ma mère a décidé de se donner un revenu garanti, sous forme de prêt bancaire. Je souligne qu'elle l'a entièrement remboursé après que j'aie terminé l'école. En 1994, les frais de scolarité s'élevaient à 10 000 $; aujourd'hui, c'est 20 000 $. J'ai bâti un capital social. J'ai acquis une meilleure estime de moi-même. J'arrivais d'une école du centre-ville où j'avais l'habitude d'avoir un couteau à lame rétractable sur moi au cas où j'aurais à me défendre. J'échouais à des cours. Je suis toutefois parvenu à me prendre suffisamment en main pour réussir l'examen d'admission à l'école Strathcona-Tweedsmuir. D'une façon ou d'une autre, mes résultats à l'examen d'admission et à l'entrevue ont été assez convaincants pour que je sois admis à l'école, mais c'est plutôt inhabituel.
Je pense qu'il y a dans notre société beaucoup de gens d'exception qui méritent d'avoir les mêmes possibilités. Je crois, à l'instar de M. Caron, que nous devrions étudier le revenu garanti. C'est important.
L'une des choses que j'ai apprises pendant ma carrière militaire de 19 ans, c'est qu'il ne faut jamais refiler la responsabilité à quelqu'un d'autre, parce que l'autre risque d'oublier. Lorsqu'on vous confie une tâche quelconque, il convient de ne pas dire que cela relève de quelqu'un d'autre. Il faut veiller à ce que l'autre s'acquitte de cette tâche, parce que la vie des gens est en jeu.
J'adopte cette même façon de penser ici.
Nous avons déjà discuté de la possibilité que le comité HUMA, un autre comité, se penche sur la question. Nous avons appris que ce comité n'examinerait pas cet idéal, cet enjeu, du moins dans un avenir prévisible.
C'est un enjeu qui pourrait avoir d'importantes répercussions, mais il n'y a pas moyen de le savoir tant qu'on ne l'étudie pas. On reste alors dans l'ignorance, ou on ne sait pas vraiment ce qu'il faut faire ou ne pas faire. Lorsqu'on ne sait pas si c'est réellement possible, comment peut-on même concevoir que cela puisse être possible ou impossible?
J'aimerais pouvoir vous montrer certains graphiques; je vais peut-être simplement les mettre en ligne.
Toutefois, si vous décidiez de créer un tableau pour expliquer le fonctionnement possible du revenu garanti, vous pourriez faire un tableau à cinq ou six colonnes. Dans la première colonne, vous indiqueriez les personnes 1, 2, 3, 4 et 5, sous forme de liste descendante. Dans la deuxième colonne, vous indiqueriez le revenu brut: 500 000 $, 200 000 $, 100 000 $, 10 000 $, 0 $. Dans la troisième colonne, vous mettriez l'impôt: 136 800 $, 46 800 $, 16 800 $, et 0 $ pour les personnes 4 et 5. Ensuite, vous indiqueriez les transferts, par personne: 0 $ pour les personnes 1, 2 et 3, 6 000 $ pour la personne 4, et 16 000 $ pour la personne 5. Quant au revenu net de chacun, vous constateriez qu'on aurait 363 200 $ pour la personne 1, 153 200 $ pour la personne 2, 83 200 $ pour la personne 3, 16 000 $ pour la personne 4 et 16 000 $ pour la personne 5.
Il suffit ensuite d'examiner les montants d'impôt et les taux d'imposition pour connaître le coût réel. Les recettes fiscales totales sont de 200 400$. Les transferts annuels au titre du revenu garanti s'élèvent à 22 000$. Cela semble plutôt intéressant. Je vais mettre ces tableaux en ligne pour ceux qui souhaiteraient les consulter.
Pour terminer, j'aimerais vous présenter quelques observations. Je sais que vous voulez probablement poursuivre vos travaux. Je tâcherai d'être bref, car je sais que d'autres veulent aborder d'autres sujets. J'aimerais parler de notre société.
Paul Kennedy a écrit un livre intitulé Naissance et déclin des grandes puissances, publié en 1993. C'était un de mes livres préférés lorsque j'étais jeune et que je fréquentais l'école Strathcona-Tweedsmuir. C'est un livre très volumineux.
L'auteur y aborde la différence entre l'Europe du Nord et l'Europe du Sud. Qu'est-ce qui les distingue? Pourquoi l'une des régions est-elle plus riche que l'autre? Pourquoi a-t-on assisté à l'émergence de l'Allemagne et au déclin de l'Italie?
Si je me souviens bien, M. Kennedy a parlé de la religion dominante dans chacune de ces sociétés. Il a comparé le catholicisme au protestantisme et il a expliqué comment le protestantisme s'est transformé en une éthique de travail des protestants et en une philosophie qui s'écarte de l'idée selon laquelle les doux recevront la terre en héritage pour avancer que les riches sont bénis de Dieu, sont dignes de Dieu. Ces valeurs sont toujours bien présentes, à bien des égards, dans la façon dont les gens sont perçus dans notre société.
Ma circonscription compte 1 400 sans-abri, je crois, sur une population de 750 000 personnes. C'est un nombre ahurissant. Pendant le congrès libéral de Winnipeg, j'ai invité certains de mes collègues du Parti libéral à rencontrer des sans-abri de ma circonscription et à visiter certains secteurs qu'ils fréquentent. C'était une expérience très bouleversante.
J'ai même fait campagne dans ces secteurs pour inciter les sans-abri à s'inscrire sur la liste électorale pour qu'ils puissent voter, car je ne les méprise pas. Lorsque je les rencontre, je discute avec eux. Ce sont des êtres humains. Il aurait pu s'agir de mon père. Ou de ma mère. Il aurait pu être un de mes oncles — littéralement —, ou une de mes tantes, un cousin. Cela pourrait être moi. C'est ainsi qu'aurait pu être le cours de ma vie s'il n'avait pas été modifié lorsque ma mère a demandé un prêt à la banque.
Lorsque je les vois, je me dis que cette mesure est faite pour ces gens, notre peuple, nos concitoyens, qui sont profondément convaincus que cette question devrait être examinée à la Chambre. Même si je vais me prononcer contre la mesure proposée par le NPD, c'est une situation déchirante, car je crois qu'il y a là des éléments qui méritent une étude plus approfondie. Il reste toutefois trois ans et trois mois avant la prochaine élection. Comme je l'ai indiqué précédemment, dans une autre session, nous devons aborder cet enjeu dans une perspective à long terme. Le Comité doit penser à long terme.
Le gouvernement gère les problèmes au quotidien; on parle de crises, d'enjeux qui font surface pendant une réunion, par exemple, et qui nécessitent une intervention immédiate. D'autres pensent davantage à long terme, ce qui est parfois très difficile. À ce moment-ci, en cet endroit précis, il convient de faire une analyse approfondie, à long terme. J'espère que nous — quelqu'un, quelque part — prendrons le temps de mener une première étude sur cet enjeu précis, de manière réfléchie et dans une perspective à long terme, à l'instar de la Finlande, de l'Ontario, du Brésil et de beaucoup d'autres pays. Vous pouvez trouver la liste de ces pays sur Wikipédia.
Je vous suis très reconnaissant de m'avoir accordé ce temps, monsieur le président.
Je tiens à présenter mes sincères excuses à mes collègues. J'espère que vous n'avez pas eu l'impression d'avoir perdu votre temps. Vous avez peut-être eu l'occasion de répondre à quelques courriels. Quoi qu'il en soit, c'est quelque chose que je tenais à dire, aux fins du compte rendu, parce que si le message n'est pas entendu... Nous aurons très peu d'occasions d'aborder le sujet à la Chambre des communes, et même au Comité. Certaines de ces choses doivent être abordées dans cette enceinte, que ce soit ici dans cette petite salle ou à la Chambre. Que les gens soient nombreux à écouter, ou non, cela devrait figurer au compte rendu pour toujours.
[Le témoin s'exprime en cri]