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Merci beaucoup, monsieur le président, et merci, honorables députés.
C’est un grand privilège d’avoir l’occasion de témoigner devant vous aujourd’hui pour parler de la constitutionnalité du projet de loi S-201, une initiative très importante. À mon avis, les doutes qui ont été exprimés dans certains milieux au sujet de la validité constitutionnelle du projet de loi n’ont pas lieu d’être.
Il s’agit d’un exercice valide du pouvoir du Parlement. En particulier, les parties les plus controversées du projet de loi d’un point de vue constitutionnel, pas selon moi, mais de l’avis de certains, les articles 3 à 7, le volet qui deviendra une nouvelle loi indépendante de non-discrimination génétique, constitue un exercice valide du pouvoir du Parlement lui permettant de promulguer des lois en matière de droit criminel parce qu’il consiste, dans sa caractéristique dominante, à mettre en place des interdictions aux articles 3 à 6 et une disposition de sanction à l’article 7 en vue de protéger la santé des Canadiens.
Je vais aborder un moment la portée du paragraphe 91(27) et dire quelques mots sur le projet de loi comme tel. J’aimerais souligner l’importance d’une doctrine constitutionnelle dans ce contexte, que nous appelons la règle du double aspect.
Ce que nous entendons par là, c’est que certaines questions, comme la discrimination génétique, peuvent être traitées par les deux ordres de gouvernement dans leurs sphères de compétence respectives. Le Parlement peut légiférer sur cette question en partie en raison de sa compétence en matière de droit criminel et, bien sûr, elle relève également de la compétence des provinces. J’espère pouvoir également vous éclairer à cet égard.
Tout d’abord, il y a la compétence en matière de droit criminel, et les autres membres du groupe vous entretiendront sur sa portée. Il s’agit d’une compétence fédérale très large, selon laquelle, comme les tribunaux l’ont établi, le Parlement peut adopter des lois qui ont pour caractéristique dominante d’imposer des interdictions assorties de peines pour des fins courantes d’intérêt public en matière de droit criminel, comme la protection de la paix publique, l’ordre, la sécurité, la santé et la moralité.
Je cite la décision de la Cour suprême du Canada faisant autorité sur la portée de la compétence en droit criminel, une décision connue sous le nom de « renvoi relatif à la margarine », qui a été rendue par la Cour suprême en 1949 et qui fait jurisprudence depuis.
Le tribunal a maintes fois souligné la très vaste portée de la compétence en matière de droit criminel. Elle a servi, au cours des années, à confirmer la validité de nombreuses dispositions du Code criminel, ainsi que d’autres lois.
Dans mon témoignage devant le Comité sénatorial plus tôt cette année et dans le mémoire que j’ai rédigé pour le Comité, j’ai donné quelques exemples de lois fédérales qui ont été confirmées dans le cadre de la compétence fédérale en matière de droit criminel. Elles comprennent les dispositions de la Loi sur les aliments et drogues, de la Loi sur le tabac, de la Loi sur les armes à feu, de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances et les dispositions du Code criminel relatives au commerce des valeurs mobilières, les dispositions sur les activités interdites de la Loi sur la reproduction humaine et la partie V de la Loi canadienne sur la protection de l’environnement, qui traite des substances toxiques. Ce ne sont que quelques exemples tirés de la jurisprudence.
Il est également vrai que les provinces ont compétence en matière de propriété et de droits civils en vertu du paragraphe 92(13) de la Loi constitutionnelle de 1867. Il s’agit aussi d’une disposition que les tribunaux ont interprétée de façon large et qui comprend la réglementation de la plupart des aspects réglementaires du secteur des assurances. Elle comprend la réglementation des relations de travail de la plupart des employeurs, car la plupart d’entre eux relèvent de la compétence provinciale.
Il est également vrai que les dispositions de la loi sur la non-discrimination génétique, aux articles 2 à 7 de ce projet de loi, ont un impact important sur les activités relevant de la compétence provinciale, comme le secteur de l’assurance et les activités des employeurs sous juridiction provinciale. Cela s’applique toutefois à la plupart des dispositions du Code criminel ou, du moins, à de nombreuses dispositions de celui-ci, c’est-à-dire qui traitent de questions comme le vol, qui concerne également la propriété relevant de la compétence provinciale.
D’importantes sections du Code criminel traitent de la célébration du mariage, des infractions conjugales et de la célébration illégale du mariage. Encore une fois, il s’agit d’une question provinciale, conformément au paragraphe 92(12).
En d’autres termes, on peut dire qu’une grande partie du Code criminel porte sur des questions à double aspect, c’est-à-dire qui peuvent être réglementées par le Parlement fédéral en vertu de sa compétence en matière de droit criminel à l’égard des activités particulièrement nuisibles et par le gouvernement provincial en vertu de sa compétence sur la propriété et les droits civils. Par conséquent, il n’y a pas lieu de contester qu’il s’agit d’une loi qui aura une incidence importante sur les compétences provinciales. Cette influence ne constitue cependant pas un facteur déterminant de la validité constitutionnelle de la loi.
Pour déterminer sa validité constitutionnelle, nous devons nous demander si sa caractéristique dominante consiste à mettre en place des interdictions assorties de peines en vue de combattre des comportements préjudiciables ou un mal social ou s’il faut plutôt craindre qu’il s’agit d’une sorte de tentative insidieuse du Parlement de réglementer le secteur des assurances ou les employeurs provinciaux. À mon avis, rien ne permet de conclure que c’est bien le cas. Si tel était le cas, nous dirions qu’il s’agit d’une législation spécieuse, que sa forme dissimule son véritable objet, consistant à réglementer les questions provinciales plutôt qu’à supprimer des comportements nuisibles ou un mal social qui constituent une menace pour la santé des Canadiens.
C’est la question clé, et non qu’il s’agit d’une loi ayant une incidence sur les compétences provinciales, car, bien sûr, tel est le cas, comme pour la plupart des dispositions du Code criminel, par exemple.
La question sur laquelle nous devons nous concentrer est l’essence ou la caractéristique dominante des dispositions du projet de loi. Sa caractéristique dominante consiste-t-elle à mettre en place des interdictions assorties de sanctions pour protéger la santé des Canadiens ou est-ce la réglementation d’un domaine relevant de la compétence provinciale? Pour déterminer le fond et la substance, les tribunaux examineront l’objet de la législation ainsi que ses effets. Son titre tel que défini à l’article 1 du projet de loi, « » est important.
Les articles 3, 4 et 5 mettent en place des interdictions à l’obligation faite aux personnes de subir des tests génétiques et d’en divulguer les résultats ainsi qu’à l’utilisation des résultats des tests génétiques sans consentement écrit. Ces dispositions visent à promouvoir la santé et la sécurité des personnes et à protéger la vie privée en laissant aux personnes le soin de décider seules de subir ou non des tests et des utilisations des résultats des tests génétiques. Ces interdictions s’appliquent à tous. Elles ne mentionnent aucun secteur industriel ni type d’acteur particulier.
L’article 6 prévoit des exemptions aux interdictions pour les praticiens de la santé et les chercheurs et l’article 7 impose des peines sévères pour la violation des interdictions énoncées aux articles 3 à 5. À mon avis, il est évident que la caractéristique dominante de ces dispositions est de mettre en place des interdictions assorties de peines afin de protéger les personnes contre les menaces à leur santé et à leur sécurité que pose l’utilisation de l’information génétique sans leur consentement.
L’essence de ces dispositions entre entièrement dans la définition du droit criminel suivie par les tribunaux canadiens depuis le renvoi relatif à la margarine. Celles-ci ne ressemblent pas à la réglementation détaillée et exhaustive des services de procréation assistée, par exemple, que la Cour suprême du Canada a déclaré invalide dans la Loi sur la procréation assistée ou à la réglementation détaillée du secteur des assurances qui a été déclarée invalide dans une série de cas jugés dans la première moitié du XXe siècle, lorsque le Parlement fédéral cherchait à faire valoir sa compétence de façon plus générale sur l’industrie des assurances.
Les dispositions des articles 3 à 7 du projet de loi sont plutôt très semblables, par leur nature et leurs objectifs, aux dispositions relatives aux activités interdites, y compris les interdictions d’utiliser le matériel reproductif sans consentement, qui ont été confirmées par la Cour suprême du Canada dans le renvoi relatif à la Loi sur la procréation assistée.
Je serai heureux d’approfondir la jurisprudence ou d’autres aspects de la compétence du Parlement sur les lois relatives aux droits de la personne en général ou sur la discrimination en général et sur la façon dont la compétence fédérale interagit avec la compétence provinciale lors des discussions avec les membres du Comité.
Merci beaucoup.
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Je vais sans doute répéter un peu ce que Bruce a déjà dit.
Je voudrais commencer par dire que le grand avantage du droit criminel est qu’il peut s’appliquer partout au pays. En ce qui concerne le problème de laisser les provinces et territoires imposer eux-mêmes les interdictions à la discrimination génétique, je suis d’accord avec le professeur Ryder pour dire qu’ils auraient certainement le pouvoir de le faire. Je suis sûr qu’aucune province ne veut autoriser la discrimination génétique.
Cependant, chaque province a ses propres priorités législatives et il se peut que l’interdiction de la discrimination génétique ne figure pas dans le lot. Si nous avions laissé ce rôle aux provinces, je pense pouvoir affirmer sans aucun doute qu’il n’y aurait pas de règle nationale. L’exercice de la compétence du Parlement en matière de droit criminel a le mérite de fournir une règle à l’échelle nationale.
Permettez-moi de parler encore un peu de la procréation assistée. J’ai témoigné devant la Cour suprême pour le gouvernement fédéral et j’ai été extrêmement déçu lorsque les juges n’ont pas confirmé l’ensemble du régime. Ils ont maintenu certaines interdictions, mais ils ont aboli le cadre de réglementation qui avait été établi, je pensais, en vertu de la compétence fédérale en matière de droit criminel. La majorité des juges était cependant en désaccord. Il est intéressant de noter que les provinces ont soutenu qu’il s’agissait de leur domaine de compétence. La majorité des juges, même s’il s’agit d’une décision qui porte à confusion et qui est très partagée, était essentiellement d’accord.
Souhaitons-nous que les provinces interviennent et prennent en charge la procréation assistée? Si tel était le cas, nous serions très déçus. Les provinces estimaient que la question était trop controversée, trop complexe et que la décision de la Cour suprême avait pour résultat, à part les éléments confirmés, de laisser la reproduction humaine assistée sans réglementation dans la majeure partie du pays. Je pense que c’est une situation vraiment malheureuse.
Je plaide simplement en faveur du grand avantage, une fois que le Parlement aura décidé de l’adopter en vertu de sa compétence en droit criminel, et que son incidence sera nationale.
Une loi criminelle valide comporte trois éléments. Le professeur Ryder en a parlé. Il doit y avoir une interdiction, il doit y avoir une peine et il doit y avoir des fins courantes en matière de droit criminel.
En me limitant aux dispositions sur la non-discrimination génétique, à cet aspect de la loi, je constate que la discrimination génétique est interdite. Une peine est imposée en cas de violation de l’interdiction. Le seul objectif envisageable est d’interdire et d’empêcher ce que le Parlement considère comme le fléau de la discrimination génétique. Je suis tout à fait d’accord avec la conclusion du professeur Ryder selon laquelle la loi proposée constitue un exercice valide de la compétence du Parlement en matière de droit criminel.
J’ajouterais que j’ai lu l’avis de Torys, que vous avez en main, selon lequel la question concerne vraiment l’assurance, l’emploi, etc. Je ne suis pas d’accord avec cette affirmation. Il me semble que la loi reste muette sur ces sujets. Je crois que l’assurance figurait explicitement dans une version antérieure de ce projet de loi. Le professeur Thibault a estimé que le projet de loi était inconstitutionnel pour cette raison. Cet aspect a été retiré, ce n’est donc pas une interdiction qui s’applique seulement à ... Le projet de loi ne cible ni l’industrie de l’assurance ni les employeurs. Son champ d’application est parfaitement général.
Je ne partage donc pas l’opinion de la firme Torys, qui exprime la position du secteur des assurances, selon laquelle il s’agit en essence d’une question de propriété et de droits civils, c’est-à-dire d’assurance. Le cabinet soutient également, et je suis en désaccord avec lui là encore, que nous savons qu’il y a interdiction et peine, mais qu’il y a absence d’objet véritable en matière criminelle. À mon avis, les tribunaux reconnaîtraient que l’interdiction et la prévention du mal qu’est la discrimination génétique constituent un objet de droit criminel.
Monsieur le président, permettez-moi d’arrêter ici. J’attends vos questions.
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Merci beaucoup, monsieur le président, de m'accueillir parmi vous aujourd'hui.
C'est un sujet auquel je réfléchis depuis un certain temps. Hier soir, j'ai retrouvé dans mes archives un travail de session sur la discrimination génétique que j'ai fait en 1994 pour un certain professeur Irwin Cotler. Vous comprendrez donc que je suis d'accord sur le fond et sur l'objectif du projet de loi . J'ai toutefois plusieurs réserves, notamment sur la constitutionnalité des articles 3, 4, 5, 6 et 7.
Je suis aussi d'accord avec la lettre publiée par la ministre de la Justice concernant la validité des articles 8, 9 et 10. À mon avis, ces dispositions sont valides et ne posent pas de problème constitutionnel.
Il y a des enjeux touchant la politique législative qu'il faut prendre en considération puisqu'il y aura un dédoublement des compétences, à savoir la compétence en droit du travail et la compétence qui sera donnée aux tribunaux des droits de la personne. Cela créera un conflit. Je vais parler en particulier des articles 3, 4, 5, 6 et 7.
Lorsqu'on examine le caractère véritable d'une disposition, il faut regarder le titre, certes, mais il faut aussi regarder sa teneur et ce qu'elle fait précisément. Or, l'article 3 interdit d'imposer une obligation de subir un test. Il est possible de subir un test pour obtenir des services. Le projet de loi ne l'interdit pas, mais il interdit d'imposer l'obligation de subir un test comme condition à l'obtention de services.
Ces mêmes dispositions n'interdisent pas non plus l'utilisation d'une information génétique qui aurait été reçue après obtention d'un consentement écrit à des fins de distinction. Les articles 3, 4, 5, 6 et 7 du projet de loi n'empêchent pas la discrimination fondée sur l'information génétique. Par contre, il le fait dans les deux autres parties. En droit du travail, on ne peut pas punir une personne ou lui retirer un bénéfice en fonction des résultats d'un test.
La Loi canadienne sur les droits de la personne stipule qu'on ne peut pas faire de la discrimination en raison de caractéristiques génétiques, mais pas dans la première partie, qui vise à interdire simplement l'obligation de fournir de l'information dans le but de recevoir un service ou un contrat. L'effet juridique réel est l'interdiction d'exiger un test, la permission de remettre l'information de manière volontaire et la permission d'utiliser de l'information si elle est remise de manière volontaire.
Les conditions de formation d'un contrat ou celles qui touchent ce qu'on appelle les droits de la personnalité en droit civil sont traditionnellement de compétence provinciale en vertu de l'article 92.13 de la Loi constitutionnelle de 1867. D'ailleurs, l'article 3 du Code civil du Québec énonce ce qui suit: « Toute personne est titulaire de droits de la personnalité, tels le droit à la vie, à l’inviolabilité et à l’intégrité de sa personne, au respect de son nom, de sa réputation et de sa vie privée. » Cet article 3 fait partie intégrante du livre premier intitulé « Des personnes » du Code civil du Québec. Il y a aussi un chapitre particulier sur le respect de la vie privée, qui commence à l'article 35.
Je vais vous lire le passage d'un arrêt clé sur ce qu'est le droit criminel et ce qu'on peut faire en vertu de ce droit. Ce passage provient du Conseil privé dans l'affaire Attorney General for Ontario c Reciprocal Insurers .
[Traduction]
Conformément au principe inhérent à ces décisions, leurs Seigneuries croient qu’il ne fait aucun doute que le Parlement du Canada ne peut pas, en prétendant créer une sanction pénale en vertu du paragraphe 27 de l’article 91, s’approprier un champ de compétence exclusif dans lequel, hormis par cette procédure, il ne pouvait exercer aucun pouvoir législatif et si, après examen de la loi dans son ensemble, il était conclu que, par sa méthode et son objet, la loi porte sur un champ de compétence attribué exclusivement aux provinces, sa validité ne pourrait pas être confirmée. Et en effet, tenir autrement serait incompatible avec un principe essentiel du régime de la Confédération...
[Français]
Dans cette affaire, on voulait indiquer que le fait de vendre de l'assurance sans avoir obtenu une licence du gouvernement fédéral soit considéré comme un crime. On a dit non à ce sujet. La vente d'une assurance est de compétence provinciale. On ne peut pas, simplement en créant une interdiction et une sanction, transformer le sujet de façon à ce qu'il soit de compétence fédérale en vertu du droit criminel. Ici, on ne peut pas considérer que l'obligation de donner de l'information génétique pour obtenir un service peut devenir automatiquement une question de droit pénal simplement parce qu'on ajoute une sanction à l'interdiction. Comme mes collègues l'ont dit, il faut voir si cette interdiction est de nature criminelle.
Je vais maintenant ouvrir rapidement une parenthèse à ce sujet. Si, malgré le terme utilisé, le sujet de la loi n'est pas le transfert d'information génétique mais plutôt les droits et libertés et le droit à l'égalité, rappelons-nous que ces droits ne relèvent pas d'une compétence assignée à l'une ou l'autre des législatures, mais bien d'une compétence qui est accessoire à une autre. Il faut donc préciser quelle est cette autre compétence.
Ici, la tradition veut que ce soit une compétence associée au droit privé, au droit civil et à la formation des contrats. C'est pourquoi ce sont les provinces qui disposent des règles générales d'application sur le droit à l'égalité. Je souligne en passant que même s'il interdit une série d'actes discriminatoires, l'article 20.1 de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec prévoit que dans ces contrats ou régimes, c'est-à-dire des contrats d'assurance ou des régimes de pensions, « [...] l’utilisation de l’état de santé comme facteur de détermination de risque ne constitue pas une discrimination au sens de l’article 10.»
À tort ou à raison, une disposition prévoit expressément que le fait d'utiliser l'état de santé pour déterminer l'étendue du risque ne constitue pas un acte discriminatoire. Le professeur Hogg nous a dit plus tôt que, selon lui, il s'agissait d'un enjeu de droit pénal. Dans son ouvrage, il affirme effectivement qu'il est peut-être possible de criminaliser la discrimination.
[Traduction]
Il a dit que, en vertu de la compétence en matière criminelle et en établissant cette classification, les tribunaux chercheront les ingrédients du droit criminel — l’interdiction, la sanction et l’objectif public du droit criminel —, et non pas principalement l’impact de la loi sur la discrimination.
[Français]
La nature pénale ne se déduit pas simplement du fait de la discrimination. D'ailleurs, comment décrit-on la nature pénale?
Il faut lutter contre un mal. On a vu le renvoi sur les armes à feu et on en a discuté. On a parlé des trois critères que sont l'interdiction, la pénalité et la lutte contre un objectif de nature pénale. Les tribunaux ont rappelé plusieurs fois qu'il ne fallait pas l'interpréter de façon trop large, de façon à ne pas vider la compétence provinciale.
Dans le Renvoi relatif à la Loi sur la procréation assistée, on parle d'« activité répréhensible ». Même si cette décision est assez complexe parce que les avis sont partagés, on s'entend pour parler d'« activité répréhensible ». On y utilise souvent l'expression « activité néfaste ». Or il est difficile ici de parler d'activité répréhensible et d'activité néfaste alors que la Loi sur la procréation assistée reconnaît elle-même la possibilité de donner l'information volontairement. Il est difficile de dire que la divulgation d'information génétique est une activité néfaste ou répréhensible en soi alors que l'article 7 de la Loi prévoit cette possibilité.
Je pourrai répondre à d'autres questions, mais avant de terminer, je souligne que, dans ce renvoi, lorsqu'on examine les éléments pour voir s'il s'agit d'une compétence de nature criminelle, on parle d'« actes répréhensibles ou présentant des risques graves pour la morale, la sécurité ou la santé publique ». Dans cette affaire, on souligne l'existence de règles sur le consentement en droit civil. Les dispositions qui portent sur l'information et le consentement des patients ont toutes été déclarées inconstitutionnelles par la Cour suprême dans cette affaire.
On craint qu'il y ait un vide juridique. Cependant, rappelons qu'il existe dans nos lois une interdiction de discrimination fondée sur une situation de handicap, qui inclut non seulement une situation de handicap avéré, mais également une situation de handicap potentiel, appréhendé ou même la perception d'un tel handicap. Il y a une décision de la Cour suprême qui le précise.
Merci beaucoup.
:
Je vous remercie, monsieur le président, de m'avoir invité à comparaître devant le Comité aujourd'hui au sujet du projet de loi , lequel vise à interdire et à prévenir la discrimination génétique.
J'estime que l'objectif du projet de loi est louable et mérite considération. Cependant, comme mes collègues l'ont mentionné, il faut mesurer l'impact de cette mesure législative en regard de la Constitution du Canada. J'ai pris connaissance de la nouvelle version du projet de loi S-201 et j'estime que ce projet de loi est valide sur le plan constitutionnel.
Comme je l'ai mentionné lors de ma comparution devant le Comité sénatorial permanent des droits de la personne le 11 décembre 2014, je suis d'avis que rien n'empêche le Parlement du Canada de modifier le Code canadien du travail et la Loi canadienne sur les droits de la personne, bien au contraire, et d'y introduire des dispositions visant à prohiber la discrimination génétique sans empiéter indûment sur la compétence des provinces en matière d'assurance. C'est ce que fait le nouveau projet de loi S-201.
J'ai aussi pensé qu'il pourrait y avoir un débat au sujet de la portée du pouvoir du Parlement en matière de droit criminel. J'estime qu'il y a deux autres façons de justifier la constitutionnalité du projet de loi S-201. La première se base sur la doctrine des effets accessoires de la loi et la seconde sur la doctrine des pouvoirs accessoires. Voici en quoi consistent ces deux doctrines.
La doctrine des effets accessoires permet de justifier la constitutionnalité d'une loi en raison de ses effets purement accessoires sur la compétence législative des provinces. Voici ce qu'a dit la juge en chef McLachlin dans l'arrêt au sujet de l'affaire Lacombe:
[...] la règle des effets accessoires s’applique lorsque, de par son caractère véritable, une disposition relève de la compétence de l’organisme qui l’adopte, mais touche un domaine de compétence attribué à l’autre ordre de gouvernement. Selon cette règle, on ne conclura pas à l’invalidité de la disposition simplement parce qu’elle a un effet accessoire sur un domaine de compétence législative qui excède la compétence de l’organisme qui l’adopte.
La doctrine des pouvoirs accessoires permet en revanche de justifier une loi qui empiète sur le domaine de compétence de l'autre ordre de gouvernement dans la mesure où les dispositions en cause sont accessoires et nécessaires pour mettre en oeuvre cette loi de façon efficace et adéquate. Cela fait en sorte que la loi est entièrement valide.
Voici ce qu'explique la juge en chef McLachlin, toujours dans l'arrêt dans l'affaire Lacombe:
La doctrine des pouvoirs accessoires s’applique lorsque, de par son caractère véritable, une disposition excède la compétence de l’organisme qui l’adopte [...] La disposition potentiellement invalide sera sauvegardée si elle constitue un élément important d’un régime législatif plus vaste qui relève de la compétence de l’organisme qui l’adopte.
On pourrait déduire de ces explications que la doctrine des pouvoirs accessoires et celle des effets accessoires d'une loi semblent contrevenir à l'exclusivité des compétences prévues aux articles 91 à 96 de la Loi constitutionnelle de 1867.
Or il importe de mentionner que la Cour suprême ne favorise pas une interprétation stricte de cette doctrine, soit celle de l'exclusivité des compétences, car cela irait à l'encontre du principe du fédéralisme coopératif. Par exemple, dans l'arrêt relatif à l'affaire Banque de Montréal c. Marcotte, les juges Rothstein et Wagner affirment ce qui suit:
Une application élargie de cette doctrine est à contre-courant de la conception moderne du fédéralisme coopératif qui préconise l’application, dans la mesure du possible, des lois adoptées par les deux ordres de gouvernement.
Il me semble donc, à la lumière de ces motifs et de l'état du droit constitutionnel canadien, que le projet de loi S-201, tel que révisé et amendé, est valide sur le plan constitutionnel.
Je vous remercie de votre attention et c'est avec plaisir que je tenterai de répondre à vos questions.
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Merci, monsieur Cooper.
À titre de précision, je ne crois pas qu’il faut considérer l’opinion de la juge en chef dans le renvoi sur la Loi sur la procréation assistée comme une dissidence sur certains aspects de la décision. Il y avait trois opinions distinctes. Je crois que la conclusion la plus importante à laquelle le tribunal est parvenu dans cette affaire a été de confirmer la validité des dispositions relatives aux activités interdites dans la loi, mais de radier les dispositions réglementaires de celle-ci, le régime de licences, ce que le tribunal a appelé la réglementation détaillée ou fine de la prestation des services de procréation assistée.
C’est la principale distinction dans cette affaire. Le tribunal a confirmé les dispositions relatives aux activités prohibées. Il a aboli la réglementation détaillée visée par le système de délivrance d’autorisation et d’autres mesures.
Je pense qu’il est important de s’appuyer sur son opinion, comme vous l’avez fait. Ce n’est pas une dissidence sur tous les aspects. Avec l’avis du juge Cromwell, la majorité a confirmé la validité des articles sur les activités interdites.
Je ne comprends pas l’objection, franchement, aux articles 3 à 7, au motif qu’ils ne visent pas à promouvoir la santé publique, qui constitue l’un des objets légitimes de la compétence en matière de droit criminel. Il semble clair que l’objectif premier est d’encourager les gens à subir des tests génétiques, parce qu’ils peuvent s’avérer fort utiles pour leur santé et notre système de soins de santé dans son ensemble. Il semble clair également que nous craignons l’effet dissuasif qu’aura sur les Canadiens le fait de ne contrôler ni le moment des tests ni l’utilisation qui sera faite des résultats.
Les arguments contre me rappellent beaucoup certains des arguments avancés par l’industrie du tabac dans l’affaire RJR-MacDonald. La Loi sur le tabac interdit la publicité et les autres pratiques de commercialisation liées à la vente des produits du tabac. On a soutenu qu’elle ne ciblait pas un mal social, que la publicité n’était pas un mal en soit, qu’il s’agissait d’un produit légal. Que l’industrie cherchait simplement à en faire la promotion et que, par conséquent, elle échappait au pouvoir en matière de droit criminel.
Ce que la Cour a dit, c’est qu’il est légitime que le Parlement examine les diverses façons de promouvoir la santé publique et que la nature addictive des produits du tabac rendait très difficile de cibler la consommation directement, Il s’agissait plutôt d’en interdire la publicité et d’autres pratiques de commercialisation en vue de dissuader la consommation de tabac afin de promouvoir la santé.
Je crois que cela est du même ordre pour les articles 3 à 7. En ce qui concerne les pratiques qui peuvent dissuader les gens de subir des tests génétiques et de bénéficier de l’incroyable quantité d’informations que l’on peut en extraire, comme la prise de mesures préventives concernant les soins de santé et d’autres avantages pour la santé, nous estimons devoir dissuader ces pratiques afin de promouvoir la santé publique, tout comme il a fallu interdire la publicité du tabac pour des raisons similaires.
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Je vous remercie, monsieur Fraser.
Je pense que c’est une question intéressante. Le professeur Hogg a affirmé que le Parlement fédéral pouvait adopter des lois interdisant la discrimination en vertu de son pouvoir en matière de droit criminel. Nous n’avons pas eu beaucoup l’occasion de considérer les limites d’un tel pouvoir, parce que le Parlement a choisi de ne pas lutter contre la discrimination en faisant appel à son pouvoir en matière criminelle, ce qui est vrai à l’échelle provinciale également, où notre approche est surtout corrective et privilégie les sanctions civiles par opposition aux infractions criminelles.
Bien entendu, la discrimination en tant que terme juridique couvre un éventail très large de comportements. Certains d’entre eux sont très graves par l’impact qu’ils ont sur les personnes et les groupes, et d’autres peuvent être relativement moins graves. Par exemple, dans le contexte de la discrimination en matière d’emploi, les personnes peuvent perdre leur emploi en raison d’une discrimination, une conséquence très grave, ou faire l’objet d’un commentaire discriminatoire unique au travail, qui crée un environnement négatif et a des conséquences. Mais s’agit-il d’une sorte de mal susceptible d’être visé par le pouvoir fédéral en droit criminel? On peut certainement soutenir que cela irait trop loin.
Je pense qu’il importe grandement que les interdictions énoncées aux articles 3 à 6 du projet de loi soient très ciblées. Elles ne traitent pas de tous les aspects de la discrimination. Elles visent à donner aux personnes le contrôle sur leur information génétique, en les laissant décider de subir ou non des tests génétiques, et en leur donnant l’assurance que, si elles décident de subir ces tests, elles seront en mesure de conserver le contrôle sur leurs résultats, lesquels ne pourront être utilisés par d’autres pour leur imposer des conséquences négatives.
Je pense que ce sont là des types de discrimination très graves, qui sont visés par le projet de loi, et non les conséquences discriminatoires potentielles qui pourraient découler des caractéristiques génétiques.
Je crois qu'il n'est pas anormal que, dans une fédération, il y ait des chevauchements entre les compétences. On peut parler de la santé. On peut parler du droit criminel. Par exemple, je vais me référer à l'affaire Banque canadienne de l'Ouest c. Alberta. Puisque les banques font le commerce de l'assurance, lorsqu'elles font la promotion des assurances, il y a donc un chevauchement. C'est la même situation en ce qui touche la réglementation, qu'elle soit fédérale ou municipale, par exemple en matière d'environnement. Il va y avoir des chevauchements.
Je crois que les effets du projet de loi sont purement accessoires en ce qui a trait à la compétence des provinces. Si les provinces veulent légiférer, à ce moment-là, on pourra dire qu'elles en ont la compétence en vertu de la théorie du double aspect. Cependant, tout ce que je dis, c'est que la doctrine des effets accessoires peut s'appliquer. Si on arrive à la conclusion que la compétence en matière d'actes criminels n'est pas suffisante, on peut utiliser la doctrine des pouvoirs accessoires pour, dans un premier temps, valider le projet de loi S-201. Si on dit que la compétence est suffisante en droit criminel, on peut dire qu'elle a des effets accessoires sur la compétence des provinces en matière de droit privé. Cette fois encore, cela permet de justifier la validité constitutionnelle du projet de loi S-201.
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Désolé, je n’étais pas sûr d’avoir bien compris.
La compétence en matière de discrimination est, bien entendu, partagée entre le Parlement fédéral et les législatures provinciales et territoriales. Comme vous le savez, en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne, la compétence fédérale ne s’applique que dans certains domaines, comme, par exemple, les lieux de travail sous réglementation fédérale. La compétence provinciale en vertu des codes des droits de la personne s’appliquera à d’autres lieux de travail.
À ce sujet, les modifications à la Loi canadienne sur les droits de la personne, par exemple, ne s’appliqueront pas. Une interdiction de discrimination sur les caractéristiques génétiques dans la Loi canadienne sur les droits de la personne ne s’appliquera pas à la plupart des employeurs du pays. Les provinces devraient modifier leur législation en matière de droits de la personne pour atteindre cet objectif, comme l’Ontario le fait avec le projet de loi 30, qui est actuellement devant l’Assemblée législative de l’Ontario et qui modifiera le Code des droits de la personne de l’Ontario pour y ajouter une interdiction de discrimination sur une base génétique. Il a passé l’étape de la deuxième lecture et sera présenté sous peu au comité de la justice à Queen’s Park.
La compétence en matière de droit criminel — et cela revient à ce que M. Hogg a dit plus tôt — permet au Parlement d’adopter une loi qui s’appliquera dans tous les domaines. Bien sûr, l’avantage tient au fait que, face à une grande injustice qui constitue un mal social, il ne suffit pas de s’en remettre au traitement des plaintes relatives aux droits de la personne, qui est un processus ponctuel ne traitant souvent que d’un aspect restreint du problème et qui débouche sur des recours qui sont souvent essentiellement adaptés à chaque plaignant. L’impact pourrait être plus systémique, mais ce n’est pas une solution particulièrement efficace à cet égard, alors que le droit criminel, surtout en présence d’interdictions et de peines graves, aura, et c’est là le souhait, aura un impact plus systémique sur tous les fournisseurs de services visés par les interdictions et sur tous ceux qui concluent des contrats visés par les dispositions.
Donc, oui, il y a un chevauchement avec les compétences provinciales, mais c’est très souvent le cas avec les lois pénales fédérales.
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Merci, et merci de nous offrir cette occasion de vous parler.
L’Institut canadien des actuaires se consacre à servir l’intérêt public en fournissant des services et des conseils actuariels de la plus haute qualité. L’Institut privilégie la protection du public à l’intérêt de la profession et de ses membres.
L’ICA a appliqué les compétences uniques des actuaires au dépistage génétique et à son impact potentiel sur le public canadien. Je souligne que nous ne sommes pas ici pour parler au nom de l’industrie de l’assurance.
Le premier problème que pose le projet de loi est qu’il facilite l’antisélection. Un système d’assurance solide comporte de nombreuses composantes, dont la capacité de l’assureur à évaluer le risque d’un individu à partir de nombreuses données, notamment divers tests médicaux, et de placer les personnes présentant des profils de risque similaires dans un groupe distinct. Il s’agit d’un processus basé sur la science actuarielle et médicale, que l’on pourrait qualifier de « différenciation », un concept fondamental en assurance utilisé depuis des siècles. Ce processus assure que, pour des raisons d’équité, les personnes présentant des risques similaires paient des primes similaires. Le présent projet de loi nuirait à ce processus éprouvé et introduirait la probabilité d’une antisélection généralisée, c’est-à-dire la capacité d’une partie à un contrat de tirer avantage d’une information que ne détient pas l’autre partie.
Le deuxième problème concernant le projet de loi est son caractère discriminatoire. Lorsqu’ils veulent contracter une assurance, les Canadiens qui ont une espérance de vie réduite découverte par des moyens médicaux non génétiques, tels que l’électrocardiogramme ou les rayons X, doivent divulguer les renseignements qu’on leur demande, et ils peuvent se voir refuser une assurance. Cependant, en vertu de ce projet de loi, ceux qui ont une espérance de vie réduite découverte grâce aux tests génétiques peuvent ne pas divulguer les résultats et obtenir l’assurance qu’ils ont demandée. Cette distinction n’est pas fondée sur des principes actuariels et médicaux solides. Elle est totalement arbitraire et représente, en tant que telle, la pire forme de discrimination.
Permettez-moi de parler brièvement de l’expérience de l’Affordable Care Act (loi sur les soins abordables) aux États-Unis, également connue sous le nom d’ACA ou d’Obamacare, car elle est très pertinente pour l’étude du présent projet de loi. L’un des éléments clés de cette loi est que les assureurs sont légalement tenus de fournir une couverture à tous les demandeurs, indépendamment de leurs antécédents médicaux. Les primes reflètent essentiellement l’âge de l’assuré et l’expérience régionale, mais le sexe et les conditions préexistantes ne sont pas pris en compte. C’est une condition parfaite pour favoriser l’antisélection, qui m’a conduit à l’instar de nombreux actuaires et économistes, à prédire deux choses: d’une part, d’importantes hausses des primes pour une grande partie de la population; d’autre part, le refus de beaucoup de gens de participer à l’ACA, quitte à payer l’amende imposée pour ce refus, de même que d’importantes pertes pour les assureurs. C’est exactement cela qui s’est passé.
Des augmentations aussi élevées que 65 % se sont produites. Une spirale de la mort de l’assurance-vie en a résulté, puisque les personnes qui sont restées avec l’ACA ont requis tellement de soins médicaux que de nombreux assureurs ont perdu de l’argent, peu importe la hausse des primes demandée. Finalement, les assureurs n’ont pas eu d’autre choix que de se retirer du programme. Aetna, United Health et de nombreux autres assureurs l’ont fait à la suite de pertes massives.
L’expérience de l’ACA est très pertinente, car son élément clé est semblable à la condition que créerait le projet de loi . De fait, en vertu du projet de loi, l’élément clé de l’ACA pourrait être réécrit ainsi: « Les assureurs sont légalement tenus de fournir une couverture à tous les candidats, indépendamment des résultats des tests génétiques, et doivent fixer les primes basées sur l’âge, le sexe et le statut tabagique », plutôt que « sur le sexe, le statut tabagique et l’information génétique pertinente ».
Comme vous pouvez le constater, les deux formulations se ressemblent et il serait étonnant que le projet de loi n’ait pas une incidence semblable sur les Canadiens qui achètent une assurance-vie individuelle. Les législateurs américains ont ignoré les conseils des experts, avec les résultats négatifs que je viens de mentionner. Nous pouvons seulement espérer que la leçon appropriée soit tirée, afin d’éviter une débâcle semblable au Canada.
Merci.
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Merci beaucoup, monsieur le président.
Vous ne l’avez peut-être pas prévu, mais l’antisélection que permet le projet de loi confère un avantage aux personnes qui seraient testées positives pour certains gènes. Ces personnes savent qu’elles seront en mesure de contracter une assurance tarifée en fonction d’un risque beaucoup plus faible que leur propre risque. Supposons que le projet de loi S-201 soit adopté tel quel, et que vous appreniez, par exemple, que votre gendre porte un gène d’une affection cardiaque grave, souvent mortelle. Ne lui recommanderiez-vous pas d’acheter une assurance-vie, un bon montant? Si vous avez répondu oui, vous convenez que l’antisélection est réelle et que la loi confère un avantage à ceux qui sont testés positifs.
Quelle sera l’ampleur de l’impact? J’ai conçu un modèle pour le compte de l’Institut canadien des actuaires et j’ai écrit deux articles sur le sujet afin de répondre à cette question. Mon modèle suggère que les primes pour l’assurance-vie sont susceptibles d’augmenter de 30 % pour les hommes et de 50 % pour les femmes en raison de l’interdiction stipulée dans le projet de loi . C’est beaucoup. C’est ce à quoi la plupart de vos électeurs seront confrontés peu de temps après l’adoption du projet de loi S-201. Nous croyons que vous n’aviez pas l’intention de favoriser une forte augmentation des coûts pour vos électeurs. Nous ne pensons pas qu’il soit dans l’intérêt public de le faire.
Si vous connaissez l’article d’Angus Macdonald publié en 2011, la taille de l’impact peut vous surprendre. Je peux vous expliquer pourquoi mes données sont appropriées pour le Canada, si vous le souhaitez.
Il est possible d’amender le projet de loi afin d’éviter la conséquence involontaire d’une importante augmentation des coûts des assurances pour les Canadiens. L’amendement que nous proposons est consigné dans notre mémoire, et il apparaît sur les diapositives présentées. Il y a aussi un tableau qui indique les montants que nous proposons. L’amendement limite l’interdiction de demander les résultats d’un test génétique. Comme la limite, dans notre proposition, est fondée sur le revenu hebdomadaire moyen publié par Statistique Canada, aucune mesure récurrente du Parlement pour le maintenir à jour n’est nécessaire. Une entreprise pourrait utiliser un test génétique si le montant est supérieur à la limite et si l’impact mortel du gène est jugé bien étayé par les données. C’est ce qu’on entend par « raisons objectives ou de bonne foi ». Ce tableau montre les limites pour les différents types d’assurance.
L’amendement porte directement sur deux préoccupations. Tout d’abord, il n’existe aucune restriction sur l’achat d’une assurance à la suite d’un test positif jusqu’à concurrence du montant que le Canadien moyen achète maintenant. Deuxièmement, en n’appliquant pas l’interdiction sur des montants plus élevés, nous n’aurons pas l’importante antisélection qui entraînerait des primes élevées pour les personnes n’ayant pas été testées ou ayant été testées négatives.
Soit dit en passant, même aujourd’hui, les Canadiens testés positifs peuvent obtenir un important montant d’assurance-vie. L’assurance collective n’est pas du tout limitée. L’assurance-vie hypothécaire n’est pas restreinte, contrairement à ce qu’offre la SCHL. Il existe des produits d’assurance vendus sans aucune question d’ordre médical; ces produits ne sont aucunement restreints. Si une personne a déjà contracté une assurance avec garantie d’assurabilité , alors elle peut majorer son contrat sans fournir de preuve médicale. Toute assurance déjà détenue ne peut être résiliée par la compagnie d’assurances en raison d’un test positif. Ainsi, les craintes concernant l’accès à l’assurance ne sont pas fondées.
Il est à noter que l’amendement que nous proposerons ne profitera pas aux compagnies d’assurances. Les entreprises sont en mesure d’ajuster leurs taux de prime dans le but de protéger leurs profits.
Je ne m’attends pas à ce que leurs profits à long terme soient sensiblement différents si le projet de loi est rejeté, s’il est adopté tel quel ou s’il est amendé comme nous le proposons. C’est le public qui sera affecté, mais seulement si le projet de loi S-201 passe dans sa version actuelle. Notre amendement proposé le protégerait.
Merci, monsieur le président.
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Merci beaucoup, monsieur le président, et merci au Comité de me donner l’occasion de vous parler.
J’aimerais, au cours des prochaines minutes, essayer de raviver certaines des discussions que vous avez eues au cours des dernières semaines, et de vous fournir des preuves que la discrimination génétique est réelle. C’est un problème courant dans ce pays, qui touche des milliers et des milliers de personnes.
Je suis ici, aujourd’hui, non seulement au nom des 197 collègues du pays qui vous ont envoyé une lettre, mais aussi au nom des fournisseurs de soins de santé partout au Canada, et peut-être, plus important encore, je suis ici pour parler au nom de chaque personne au Canada qui risque de subir de la discrimination génétique à un moment ou à un autre de sa vie.
Je vous donnerai trois exemples qui traitent de cette question que nous rencontrons dans le milieu des soins de santé.
Je vais vous donner un exemple de la façon dont la discrimination génétique interfère avec notre capacité à fournir à nos patients des soins cliniques de haute qualité, sécuritaires et répondant aux meilleures normes, ce qui peut en partie être paralysant pour nous, en tant que fournisseurs de soins de santé.
Je vais vous donner un exemple de la façon dont la peur de la discrimination génétique peut interférer avec notre capacité à effectuer le type de recherche dont nous avons besoin pour réellement faire progresser nos normes de soins cliniques et pour continuer de les améliorer tout en tenant compte du coût des soins de santé et en essayant de les limiter.
Dernier point, mais non le moindre, je vous donnerai un exemple de l’aspect préventif qu’a la crainte de la discrimination génétique, lorsque l’absence de tests génétiques empêche les personnes d’agir en fonction de certaines connaissances et mettre en place des mesures qui les protégeront ou les aideront à éviter un trouble qui limite ou menace leur vie.
Permettez-moi de commencer par le premier exemple, et c’est triste pour moi de dire que je suis au Canada depuis quatre ans et demi et que les exemples que j’ai rencontrés depuis que je suis ici et parmi lesquels je pourrais choisir sont trop nombreux. J’ai opté pour l’exemple d’une jeune fille qui est venue à ma clinique à la suite d’un diagnostic de trouble du tissu conjonctif. Elle risquait que le gros vaisseau sanguin en provenance de son coeur, son aorte, se déchire et que sa vie soit ainsi mise en danger.
Une fois que je l’ai eue examinée, j’ai discuté avec la famille de l’offre de tests génétiques pour déterminer si elle avait une forme plutôt sévère ou plutôt légère de ce trouble. Lorsque j’ai suivi le processus de consentement et que nous avons dû discuter de la question de la discrimination génétique, les deux parents se sont montrés fort inquiets. La mère était en recherche d’emploi et elle a dit qu’elle craignait que cela n’interfère avec sa capacité d’obtenir un travail. Les parents n’avaient pas d’assurance-vie, et ils ont dit qu’ils ne voulaient pas faire les tests génétiques. En conséquence, cet enfant doit venir à l’hôpital tous les trois mois pour subir une échographie cardiaque et elle vit avec la crainte d’avoir la forme sévère de la maladie, mais préfère cette peur à celle d’être victime de discrimination génétique.
J’aimerais que chacun de vous se mette à ma place un moment, sachant que je ne suis pas en mesure de fournir la bonne norme, la meilleure pratique de soins parce que la famille a refusé de passer des tests génétiques. Par moment, il m’a été très difficile, comme pour d’autres fournisseurs de soins de santé, de ne pas pouvoir faire le boulot que j’ai appris à faire et pour lequel j’ai été formé.
Le deuxième exemple est celui d’une étude où nous tentions de savoir si le séquençage complet du génome (le séquençage de votre génome entier) serait un bien meilleur test pour diagnostiquer un problème médical et aussi un test beaucoup moins cher pour le système de santé.
Nous avons parlé à environ 200 familles. Pensez un instant aux familles qui ont des enfants depuis longtemps, la plupart atteints de problèmes médicaux très sévères, qui essaient de savoir quelles en sont les causes. Lorsque nous leur avons offert la chance de participer à l’étude, en leur disant que les chances étaient bonnes que nous trouvions une réponse pour eux, ils étaient enthousiastes et heureux, comme vous pouvez l’imaginer. Mais, encore une fois, quand le processus de consentement a été mené, plus de 35 % des familles ont choisi de ne pas participer par crainte d’être victimes de discrimination génétique.
Ce que cela démontre, c’est que malgré leur quête et leur démarche en vue de trouver une réponse à ce qui ne va pas chez leur enfant, les parents ont choisi de passer outre par crainte d’être victimes de discrimination génétique. Cette réaction corrobore également d’une certaine façon le fait que notre étude rendait ce genre de recherche beaucoup plus difficile à faire, afin de prouver qu’il s’agit d’un meilleur test, qu’il est moins coûteux et que c’est le test que nous devrions offrir aux Canadiens qui sont dans cette situation.
Le dernier exemple que je vais vous donner est celui d’une jeune femme adulte qui a des antécédents familiaux de cancer du côlon. Sa mère avait un cancer du côlon. Elle a choisi de faire des tests génétiques, afin de savoir si elle a une forme génétique qui prédispose à ce cancer.
Lorsqu'elle a suivi le processus de consentement, je ne veux pas trop me répéter, elle a elle aussi été confrontée au risque de ne pas pouvoir obtenir d'assurance-vie. Elle a plutôt décidé de subir une coloscopie chaque année pour dépister les signes précurseurs et se protéger.
L’enjeu est le suivant: si vous êtes jeune, les coloscopies annuelles ne sont pas couvertes par l’Assurance-santé de l’Ontario sans preuve génétique d’un risque particulier. Elle a donc décidé que sa santé passait avant les questions d’assurance. Elle a subi les tests génétiques, qui se sont révélés positifs, ce qui lui permet maintenant d’avoir une coloscopie annuelle et d’éviter ainsi les complications médicales.
Bien que je ne sois pas ici pour parler d’industrie ni d’assurance, j’aimerais que tout le monde considère que l’aspect préventif et le pouvoir préventif des connaissances génétiques donnent à bien des gens la possibilité de prendre des mesures pour rester en vie, en santé, le plus longtemps possible, et par ricochet, évidemment, payer leurs primes d’assurance.
J’espère être arrivé à mettre en lumière certains problèmes; cela étant, je vais prendre position et vous inciter tous à accepter le projet de loi sans aucun amendement, dans son intégralité, afin que chaque Canadien puisse avoir une meilleure vie, libre de toute discrimination génétique.
Merci.
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Merci, monsieur le président.
Je m’appelle Stephen Frank, vice-président principal, Politiques, de l’Association canadienne des compagnies d’assurances de personnes. Je suis accompagné de mon collègue, Frank Zinatelli, qui est vice-président et avocat général à l’ACCAP.
L’ACCAP représente les compagnies d’assurance de personnes qui détiennent 99 % des contrats d’assurance-vie et santé en vigueur au Canada. L’industrie protège 28 millions de Canadiens et verse des prestations de 84 milliards de dollars annuellement.
Nous vous remercions de nous donner l’occasion de témoigner devant le Comité qui examine le projet de loi . Dans sa version actuelle, nous n’appuyons pas le projet de loi S-201. Notre argument central est que, au fil du temps, il en résultera probablement une augmentation du nombre de Canadiens sans assurance. De plus, nous ne croyons pas que les articles 1 à 7 du projet de loi soient constitutionnels.
Permettez-moi d’approfondir ces questions et de souligner ce que l’industrie fait pour répondre aux préoccupations concernant la protection de l’information génétique des particuliers, tout en veillant à ce que l’assurance demeure abordable pour les Canadiens.
[Français]
L'assurance est une convention de bonne foi. Au moment où une demande d'assurances est présentée, les parties communiquent tous les renseignements pouvant être pertinents au contrat afin que celui-ci soit conclu sur une base de symétrie de l'information. Ainsi, le proposant est certain des garanties promises et l'assureur est en mesure d'évaluer le risque et de prendre une décision éclairée, à savoir de fournir ou non une assurance-vie au particulier et comment en établir le prix.
Ce principe est protégé par la loi sur les assurances de chaque province et territoire. Selon ce principe, et avec le consentement exprès du proposant, les assureurs se fondent sur des antécédents familiaux, le style de vie et les renseignements médicaux du proposant pour fixer un prix qui reflète adéquatement le risque que présente ce dernier. L'utilisation des résultats des tests génétiques que le proposant a déjà en sa possession s'inscrit dans la logique du principe qui a été mentionné. Notre objectif est de garantir que le prix de l'assurance correspond au risque en cause et d'éviter que certains assurés n'assument injustement les coûts revenant à d'autres.
[Traduction]
L’expérience nous enseigne que si une personne obtient un résultat de test génétique qui confirme une prédisposition à une maladie ou un autre problème plus tôt dans la vie que le grand public, elle cherchera une assurance et le fera davantage qu’elle ne l’aurait fait autrement.
Cela se traduira à la longue par des primes plus élevées pour les autres consommateurs, puisque les assureurs devront augmenter les primes pour tout le monde afin couvrir ces coûts supérieurs non anticipés. Comme vous l’avez déjà entendu, l’Institut canadien des actuaires a conclu que l’interdiction aux assureurs d’obtenir des renseignements pertinents entraînerait des augmentations des coûts de l’assurance-vie temporaire de 30 % pour les hommes et de 50 % pour les femmes.
Nous savons que les Canadiens sont sensibles aux prix. À mesure que ceux-ci augmenteront, plusieurs milliers de Canadiens décideront probablement de ne pas acheter d’assurance en raison de son coût. Par conséquent, l’interdiction faite aux assureurs d’avoir accès aux mêmes renseignements lors de l’évaluation d’une demande d’assurance risque de faire diminuer le nombre de Canadiens ayant une protection contre les événements malheureux.
Nous ne pensons pas non plus que les articles 1 à 7 du projet de loi relèvent de la compétence constitutionnelle du Parlement. Ces articles auraient comme effet prédominant de réglementer les dispositions relatives aux biens et services ainsi que les conditions des contrats, y compris dans l’industrie de l’assurance. Les articles 1 à 7 du projet de loi relèvent donc clairement du chef de compétence relatif à la propriété et aux droits civils, sur lequel les provinces ont le pouvoir constitutionnel exclusif.
Certains témoignages antérieurs sur ce projet de loi indiquent que celui-ci pourrait être jugé constitutionnel sur la base du pouvoir fédéral en matière de droit pénal. Le Parlement canadien dispose d’un pouvoir général et plénier en matière criminelle. Cependant, il ne peut légiférer dans un domaine de compétence provinciale exclusive, simplement en déclarant qu’il s’agit d’une loi de nature criminelle. La Cour suprême du Canada a statué que la capacité du Parlement à adopter une loi criminelle dans le domaine de la santé est limitée. L’information issue de tests génétiques n’appartient pas à cette catégorie.
De même, veuillez noter que les articles 1 à 7 du projet de loi visent une catégorie spécifique dans des contextes spécifiques, dont l’assurance et l’emploi, et n’ont pas d’objet valide de droit criminel. Ils ne visent pas à interdire la discrimination génétique en général et ne peuvent être jugés du ressort du pouvoir fédéral en matière de droit pénal.
Nos commentaires sont appuyés par les opinions du cabinet d’avocats Torys, dans un avis que nous avons obtenu. Nous avons remis des copies de l’avis juridique au greffier pour qu’elles soient distribuées aux membres du Comité.
[Français]
Notre industrie est consciente de la nature délicate des renseignements médicaux issus de tests génétiques. C'est pourquoi les assureurs de personnes ont adopté un code applicable à l'industrie en vertu duquel ils souscrivent à divers engagements, notamment celui voulant qu'aucun Canadien ne se voie demander de subir un test génétique comme condition pour obtenir une assurance.
Par ailleurs, nous nous engageons à trouver une solution qui répond aux préoccupations des Canadiens en matière de protection des renseignements génétiques tout en maintenant des prix en assurance qui soient justes et raisonnables.
[Traduction]
Nous avons activement travaillé sur ce dossier pendant de nombreux mois et nous avons récemment entamé des discussions avec les provinces au sujet d’une approche selon laquelle les assureurs du Canada s’engageraient à ne pas demander les résultats des tests génétiques ni à les utiliser pour des demandes d’assurance-vie ne dépassant pas 250 000 $. À ce niveau, plus de 85 % des demandes d’assurance-vie ne nécessiteraient aucune divulgation de résultats de tests génétiques et, par conséquent, répondront aux inquiétudes de la grande majorité des Canadiens sur cette question.
Cette approche permettrait également de maintenir l’assurance-vie à un prix abordable pour les familles de la classe moyenne. Nous espérons être en mesure de faire une annonce sous peu relativement à cette initiative.
En conclusion, le projet de loi compromettrait le principe fondamental de l’égalité d’information et entraînerait vraisemblablement, avec le temps, une augmentation du nombre de Canadiens sans assurance. De plus, nous ne croyons pas que les articles du projet de loi portant sur les assurances relèvent des pouvoirs fédéraux. Cependant, nous comprenons que l’information génétique est un sujet sensible pour les Canadiens. Nous avons entamé des discussions avec les provinces afin de trouver une solution équilibrée qui protégera adéquatement les renseignements génétiques des Canadiens tout en maintenant une assurance tarifée de façon juste et raisonnable.
Nous apprécions cette occasion de participer à l’examen du Comité. Nous serons heureux de répondre à vos questions.
Merci.