LANG Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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Comité permanent des langues officielles
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TÉMOIGNAGES
Le mardi 4 avril 2017
[Enregistrement électronique]
[Français]
La séance est maintenant publique.
Conformément au paragraphe 108(3) du Règlement, nous procédons à l'étude de la mise en oeuvre intégrale de la Loi sur les langues officielles dans le système de justice canadien.
Je souhaite la bienvenue au Comité permanent des langues officielles à nos deux invitées du Barreau du Québec: Claudia Prémont, qui est bâtonnière du Québec, ainsi que Sylvie Champagne, qui est secrétaire de l'Ordre.
Comme membre du Barreau, je suis très fier de vous recevoir ici aujourd'hui.
Nous allons vous laisser une dizaine de minutes pour nous présenter la position du Barreau sur le sujet à l'étude. Nous passerons ensuite aux commentaires et aux questions des membres du Comité.
Madame la bâtonnière, nous vous écoutons.
Monsieur le bâtonnier et président du Comité, messieurs les vice-présidents, mesdames et messieurs les membres du Comité, bonjour. C'est un énorme plaisir d'être ici pour discuter de cet enjeu extrêmement important.
Nous souhaitons tout d'abord vous remercier d'avoir invité le Barreau du Québec à participer aux réunions visant à obtenir des commentaires et observations sur les langues officielles en matière judiciaire et législative.
Je suis Claudia Prémont, bâtonnière du Québec. Je suis accompagnée de Me Sylvie Champagne, qui est secrétaire de l'Ordre et également directrice des affaires juridiques au Barreau du Québec.
Le Barreau du Québec est l'ordre professionnel des quelque 26 000 avocats et avocates du Québec. Il est investi par la loi d'une mission de protection du public. Cette mission équivaut notamment à la protection des personnes dans leurs relations avec des avocats. Pour remplir cette mission, le Barreau possède des mesures variées, dont le contrôle de l'admission à la profession, la surveillance des membres de l'Ordre par l'inspection professionnelle et la discipline, de même que la gestion des poursuites pour exercice illégal de la profession par un non-membre.
Dans sa définition plus large, la mission de protection du public du Barreau a également un volet social important, c'est-à-dire que cette mission s'étend à tous les justiciables. Le Barreau protège le public en défendant la primauté du droit et en intervenant publiquement sur différents sujets juridiques, notamment en ce qui a trait aux droits des personnes vulnérables et des groupes minoritaires. Vous aurez compris que c'est dans ce contexte que le Barreau souhaite participer à la consultation d'aujourd'hui.
Nous sommes particulièrement interpellés par le respect des droits linguistiques en matière de justice. Nous croyons qu'il existe actuellement, pour le Québec, trois enjeux d'importance en cette matière. Je prendrai les quelques minutes qui me sont allouées pour les résumer, sachant fort bien que vous avez pris connaissance de notre court mémoire.
Il s'agit d'abord du bilinguisme à la Cour suprême du Canada et à la magistrature de nomination fédérale, puis de l'obligation constitutionnelle, pour le Québec, de rédiger ses lois en français et en anglais et de traduire les jugements rendus par les tribunaux québécois.
Pour ce qui est du premier point, soit le bilinguisme à la Cour suprême du Canada et à la magistrature de nomination fédérale, vous comprendrez que le nouveau processus de nomination des juges à la Cour suprême annoncé par le premier ministre du Canada et prévoyant le bilinguisme des juges satisfait le Barreau du Québec. Cela répond à plusieurs demandes que nous avons formulées au cours des dernières années. Le droit d'être compris par un juge en français ou en anglais est fondamental et assure le statut égal des deux langues officielles. En ce qui a trait à l'apparence de justice, le fait qu'on ne fasse pas appel à des interprètes est extrêmement important pour le justiciable.
Rappelons que le Barreau du Québec s'est prononcé sur la question en 2011, en 2014 et en 2016. Nous parlons de bilinguisme fonctionnel. À notre avis, cela comprend la capacité de lire et de comprendre la langue des plaideurs qui se trouvent devant le tribunal, mais également de poser des questions dans cette langue. Ce bilinguisme, qui fait en sorte que les gens soient en mesure de converser et de poser des questions, constitue pour nous un élément extrêmement important.
Bien que nous soyons très heureux de ces développements, nous demandons que la Loi sur la Cour suprême soit modifiée de sorte que les gouvernements ultérieurs soient également tenus de respecter ce critère.
Comme vous le savez, certains juristes affirment que, étant donné que ces modifications changeraient la composition de la Cour, il faudrait passer par le processus de modification constitutionnelle, ce qui veut dire que cela devrait être approuvé par sept provinces canadiennes comptant, au total, au moins 50 % de la population de toutes les provinces, conformément à l'interprétation faite par la Cour suprême dans le renvoi concernant le juge Nadon. Cet aspect constitutionnel de la question mérite une attention particulière.
De notre côté, nous nous en remettons à l'avis du professeur Sébastien Grammond, de la Section de droit civil de l'Université d'Ottawa. Selon M. Grammond, le Parlement a la compétence requise pour adopter une loi qui établirait le bilinguisme en tant qu'exigence lors de la nomination des juges à la Cour suprême. À son avis, cela ne nécessiterait pas un amendement constitutionnel.
En ce qui concerne les autres tribunaux de nomination fédérale, nous estimons que le bilinguisme est très certainement un atout, voire un préalable, selon la région où le juge doit siéger. Toutefois, cela ne devrait pas être un préalable dans toutes les régions. La réalité d'un juge qui siège à Saguenay est extrêmement différente de celle d'un juge qui siège à Montréal.
Je vais maintenant aborder l'obligation de rédaction dans les deux langues officielles.
Comme vous le savez, en vertu de l'article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867, l'Assemblée nationale du Québec se doit d'adopter ses lois dans les deux langues officielles. Or au Québec, il s'est établi au fil des ans une pratique voulant que les députés ne votent que les textes en français. Dans ce contexte, il arrive souvent que des amendements votés dans le cadre d'une commission parlementaire ne soient pas immédiatement disponibles en anglais.
Les projets de loi sont rédigés au départ par des avocats ou des notaires légistes et sont ensuite traduits par des traducteurs qui n'ont pas nécessairement de formation juridique. Vous aurez compris que cela cause des difficultés. Dans certains cas, il s'agit d'erreurs grammaticales, mais dans d'autres cas, les versions peuvent même mener à une interprétation totalement différente. Par la suite, les justiciables doivent se présenter devant les tribunaux afin d'obtenir un jugement qui porte sur l'interprétation de la loi. On sait que les tribunaux sont engorgés présentement, alors ce n'est pas une voie à privilégier. Cela dit, on se doit de tout faire pour régler ce problème le plus rapidement possible.
Vous savez que le Barreau de Montréal a souligné, tout particulièrement, beaucoup d'erreurs contenues dans le nouveau Code de procédure civile. En fait, il n'est plus si nouveau, puisque cela fait plus d'un an qu'il a été adopté au Québec. En ce moment, on se doit de travailler extrêmement fort pour modifier le plus rapidement possible ces différences entre la version française et la version anglaise.
Comme vous le savez, il a fallu plus de 18 ans pour en arriver à une version du Code civil tout aussi bonne en français qu'en anglais. C'est une réalité que nous devons malheureusement accepter.
Que peut faire le gouvernement fédéral à cet égard? Nous croyons qu'il peut soutenir financièrement les efforts pour que la traduction soit faite plus efficacement à l'avenir, particulièrement dans le cas de pièces législatives extrêmement importantes, comme le Code de procédure civile. Cela ne se ferait pas nécessairement pour chaque projet de loi, mais vous comprenez que nous aimerions bien être en mesure de faire de la corédaction dans certains cas. Ce n'est pas possible, compte tenu des ressources que nous avons, mais nous devrions très certainement viser une amélioration du processus. Nous y travaillons présentement avec le ministère de la Justice. Toutefois, cette aide financière pourrait clairement nous aider à obtenir des résultats positifs plus rapidement.
Je vais maintenant vous parler de la traduction des jugements.
Nous avons souligné le problème devant les membres du Comité permanent des langues officielles le 22 novembre dernier. Me Antoine Aylwin, qui est vice-président du Barreau du Québec, ainsi que Me Casper Bloom, qui est directeur de l'Association des juristes d'expression anglaise du Québec, sont intervenus ici à cet égard. Le problème en ce qui touche la traduction des jugements est le suivant. On sait que l'article 9 de la Charte de la langue française prévoit le droit de toute partie à un jugement de le faire traduire gratuitement en anglais ou en français, peu importe qu'il ait été rendu dans l'une ou l'autre langue officielle. Évidemment, la décision au sujet de la langue du jugement revient au tribunal. Par la suite, une partie peut demander la traduction du jugement dans son propre dossier. La grande majorité des jugements québécois sont rendus en français. Il arrive que certaines parties demandent la traduction, cependant ce n'est pas le cas de la majorité des dossiers. Notre jurisprudence est donc en grande majorité en français et ne rayonne pas comme elle pourrait le faire si elle était traduite, puisqu'elle n'est pas comprise par les instances des autres provinces; elle n'est pas lue.
En ce qui concerne les enjeux repris dans notre mémoire, la Société québécoise d'information juridique, que nous appelons la SOQUIJ, le ministère de la Justice et les différents tribunaux québécois, dont la Cour d'appel à compter de 2003 et, par la suite, la Cour supérieure et la Cour du Québec en 2005, en sont venus à une entente afin de traduire vers l'anglais 1 350 pages de jurisprudence ayant un intérêt pancanadien. C'est l'équivalent de 450 pages par tribunal. Comme on le sait, plusieurs lois s'appliquent partout au Canada de la même façon, malgré notre tradition civiliste. Entre 2010 et 2012, une subvention accordée à la SOQUIJ par le ministère de la Justice du Canada a permis de traduire annuellement, à l'époque, 1 350 pages supplémentaires de jugements de la Cour d'appel du Québec. Ce sont évidemment des jugements sélectionnés par la cour en fonction de l'intérêt qu'ils présentent pour le reste du Canada.
Il faut comprendre que le manque de traduction des jugements a une grande incidence sur la visibilité et le rayonnement des décisions rendues par les tribunaux québécois.
Je vous donne quelques statistiques. Par exemple, le nombre de juges qui siègent à la Cour d'appel du Québec est similaire au nombre de juges qui siègent à la Cour d'appel de l'Ontario. Il faut savoir qu'en Ontario, il y a la Cour divisionnaire. Malgré tout, en 2015, la Cour d'appel du Québec a rendu près de deux fois et demie plus de jugements que la Cour d'appel de l'Ontario. Toujours en 2015, les arrêts de la Cour d'appel de l'Ontario ont été cités à plus de 1 500 reprises par la jurisprudence canadienne, alors que ceux de la Cour d'appel du Québec n'ont été cités qu'environ 300 fois. C'est directement lié au fait que, présentement, le manque de traduction des jugements qui émanent des cours québécoises nous empêche malheureusement de rayonner à notre plein potentiel, comme je le disais d'entrée de jeu.
Afin d'améliorer l'accès au système de justice canadien et d'accroître la capacité des cours fédérales à rendre les décisions disponibles en français et en anglais, le budget de 2017 propose d'accorder 2 millions de dollars sur deux ans, à compter de 2017-2018, aux services administratifs des tribunaux judiciaires. Je précise qu'il est question ici de la Cour d'appel fédérale, de la Cour fédérale, de la Cour d'appel de la cour martiale du Canada et de la Cour canadienne de l'impôt. Encore une fois, la Cour supérieure du Québec et la Cour d'appel du Québec ne sont malheureusement pas visées par ces mesures.
À cet égard, nous demandons au ministère de la Justice du Canada de collaborer avec les différents acteurs québécois, dont le ministère de la Justice du Québec, les tribunaux et la SOQUIJ, et d'apporter une aide financière afin que soit conçue une stratégie qui permettra de favoriser la traduction des jugements. Je pense que nous avons tous intérêt à ce que ce soit fait. Le Québec a intérêt à ce que sa jurisprudence soit connue, mais pour le reste du Canada, c'est aussi extrêmement positif d'avoir accès aux arrêts des cours québécoises.
Je vous remercie.
Merci beaucoup, madame la bâtonnière.
Nous allons commencer immédiatement par Mme Boucher.
Madame Boucher, je crois que vous avez une courte intervention à faire.
Oui, monsieur le président, j'ai deux petites questions à poser.
Merci aux témoins d'être ici.
Je viens du Québec et je trouve épouvantable que cela ait pris 18 ans avant que nous ayons une traduction adéquate du Code civil.
Comme province, le Québec a-t-il lui aussi le pouvoir d'exiger qu'une réponse à un certain dossier soit dans les deux langues officielles? C'est la première chose que j'aimerais savoir.
Par ailleurs, vous avez mentionné qu'un professeur avait dit que le bilinguisme était constitutionnel et qu'on n'aurait pas à modifier la Constitution pour cela. Pourtant, on entend autre chose ailleurs. J'aimerais connaître votre point de vue là-dessus; c'est très important. Il arrive qu'en tant que gouvernement, on ait des opinions différentes. Je suis favorable au bilinguisme des juges à la Cour suprême, mais encore faudrait-il que les gens s'entendent sur la constitutionnalité de cette obligation.
Je voudrais que vous fassiez des commentaires là-dessus, s'il vous plaît.
Je vais répondre à la première question et laisser Me Champagne répondre à la deuxième.
D'après ce que je comprends de votre première question, vous vous demandez ce que fait le gouvernement du Québec concernant la traduction des lois.
Le gouvernement du Québec a eu des échanges assez musclés avec le Barreau de Montréal. Nous allons possiblement entrer dans le bal si, par malheur, on ne réussissait pas à s'entendre, mais pour le moment, cela semble être dans la bonne voie.
Le Barreau de Montréal a clairement dit qu'il allait attaquer le processus en faisant valoir qu'il est inconstitutionnel. Il y a eu des discussions et, vers la fin de l'année 2015, des engagements ont été pris par le ministère de la Justice. Comme ces engagements n'ont pas été entièrement remplis, les discussions ont repris.
Dernièrement, un comité formé de représentants du Barreau du Québec, du Barreau de Montréal et du ministère de la Justice s'est réuni afin de discuter de l'amélioration du processus. On sait bien que ce n'est pas dans le cadre d'un comité qu'on va décider de la constitutionnalité d'un processus. Toutefois, on s'est demandé quelles solutions pratiques et concrètes on pouvait adopter à court terme pour améliorer le processus et possiblement éviter ce débat sur la constitutionnalité du processus tel qu'on le connaît au Québec.
Des engagements ont donc été pris, dont celui d'engager des juristes civilistes anglophones pour procéder à la traduction des lois. On ne parle pas de traducteurs de profession, mais de juristes civilistes anglophones. Cela pourrait améliorer le résultat. Cette idée a été entendue. Ce n'est pas complètement réglé, parce qu'il faut que cela passe par le Conseil du Trésor également, mais il y a quand même un engagement du ministère de la Justice à cet égard.
On a également pris l'engagement d'embaucher des jurilinguistes de façon ponctuelle, lorsqu'on se trouvera devant des pièces législatives d'importance. Toutefois, la corédaction n'est pas envisagée présentement, en raison des ressources de la province.
Oui, je vais ajouter des éléments de réponse à la deuxième question.
Il y a plusieurs écoles de pensée sur la question du bilinguisme, à savoir si la Loi constitutionnelle peut être modifiée par le Parlement ou s'il faut une modification constitutionnelle. Le renvoi relatif à la Loi sur la Cour suprême n'a pas permis de trancher clairement cette question.
C'est une question fondamentale pour l'accessibilité à la justice. En effet, la Cour suprême est la cour de dernier ressort pour tous les Canadiens, y compris ceux qui s'expriment en français. Il serait important, si on n'arrive vraiment pas à trancher le différend entre les deux écoles de pensée, de soumettre cette question à la Cour suprême du Canada pour qu'elle donne l'heure juste sur cette question, c'est-à-dire pour qu'elle détermine si le bilinguisme fait partie de ce qu'on appelle les autres caractéristiques essentielles qui sont protégées par la Constitution.
Une fois que nous aurons tous cette réponse, nous pourrons soit modifier la Loi sur la Cour suprême pour y inclure cette obligation, soit entamer des discussions, encore une fois, en vue d'apporter une modification à la Loi constitutionnelle.
Pour le Barreau du Québec, le bilinguisme des juges à la Cour suprême est essentiel pour assurer la confiance et la protection du public.
Je savais que j'allais me faire jouer un tour. Ce n'est pas grave, car vous avez répondu en partie à ma question.
Je comprends que le Barreau a adopté la position de M. Grammond, qui appuie l'idée voulant que les juges soient bilingues. M. Grammond n'a pas nécessairement la science infuse, il faut bien se le dire. Vous avez fait un choix, que j'imagine être très éclairé.
Quand on parle de bilinguisme fonctionnel, cela pose problème, selon moi. Malheureusement, j'ai manqué la séance au cours de laquelle le Comité a reçu des gens qui donnent de la formation. Je n'ai malheureusement pas pu les écouter. Toutefois, je fais une distinction très claire entre quelqu'un qui est parfaitement bilingue et quelqu'un qui satisfait à l'exigence de bilinguisme fonctionnel. Sauf erreur, vous jugez si quelqu'un est bilingue de façon fonctionnelle. Encore là, les interprétations de ce que veut dire être fonctionnel en français ou en anglais peuvent varier largement.
Quelle est votre position relativement à cet enjeu bien particulier du bilinguisme fonctionnel?
Je peux répondre à cette question.
En réalité, l'important n'est pas de savoir quelle est la position du Barreau sur le bilinguisme fonctionnel, mais de voir comment nous allons le définir. Nous pensons qu'il faut des juges bilingues. Un juge bilingue est capable de lire, d'écrire et de converser en anglais et en français. Il doit pouvoir échanger.
Selon mon souvenir, M. Grammond a dit qu'il n'était pas nécessairement important que le juge puisse parler l'anglais ou le français, mais je ne suis pas certain d'avoir bien compris. Selon moi, la position qu'il exprimait posait problème.
Nous avons clairement exprimé cette position. Nous l'avons transmise par écrit à la ministre fédérale de la Justice.
J'aimerais continuer à parler des juges bilingues.
Vous avez dit que les juges de la Cour suprême devraient pouvoir parler, écrire et converser dans les deux langes. Selon vous, serait-il acceptable qu'ils ne puissent que lire et comprendre?
Pour ce qui est de la Cour suprême, le Barreau se positionne en disant que ce ne serait pas acceptable. Nous nous en rendons compte dans le cadre d'auditions. Certains juges sont capables de lire le français et l'anglais, mais lorsque vient le temps pour les juges de poser des questions à un plaideur francophone, les juges anglophones interviennent beaucoup moins, malheureusement, que les juges francophones. Cela nous apparaît extrêmement important.
Peut-être que Mme Champagne voudrait ajouter quelque chose.
En fait, j'aimerais vous demander comment vous vous y prendriez pour évaluer le niveau de bilinguisme d'un juge.
Donc, ce ne serait pas des gens qui se définiraient eux-mêmes comme étant bilingues. Il faudrait aller le vérifier.
Comme le disait la bâtonnière, quand on est à la Cour suprême, on voit très clairement les juges qui peuvent interagir avec les plaideurs. Comme vous le savez, quand on plaide à la Cour suprême, le temps est calculé. On n'a pas beaucoup de temps, alors il faut être très précis. Il faut avoir la chance de répondre aux questions du juge, parce qu'il n'y a pas d'autres instances par la suite. N'importe quel plaideur veut avoir sa chance de convaincre la Cour. Si le juge n'a pas de questions à poser au plaideur parce qu'il n'est pas à l'aise de s'exprimer dans la langue de celui-ci, il restera avec ses questions dans sa tête. Parfois, le juge et le plaideur peuvent échanger. Parfois, le juge veut aussi écouter le plaideur pour comprendre et saisir toute l'argumentation qui lui est soumise. Si le juge est en train de réfléchir à comment traduire sa question dans la langue du plaideur, il risque de perdre un bout de ce qui a été dit. Évidemment, il y a toujours les mémoires, mais parfois les questions du juge permettent au plaideur d'ajouter des détails qui ne sont pas contenus dans le mémoire.
Il est important que tous les juges soient capables de s'exprimer dans les deux langues.
D'accord, merci.
Revenons au cas du Québec et de ses communautés anglophones. Je sais que ce n'est pas qu'à Montréal qu'il existe des communautés anglophones; il y en a un peu partout.
À votre avis, quels sont les besoins de ces communautés afin qu'elles soient bien entendues par des juges?
Je viens des Basses-Laurentides. Cela comprend Deux-Montagnes, Saint-Eustache, Boisbriand, Rosemère. C'est la cour de Saint-Jérôme.
D'accord.
D'ailleurs, Me Aylwin avait répondu à une question à ce sujet à ce comité. Il n'était pas à même de savoir s'il y avait suffisamment de juges anglophones dans cette région. Évidemment, les juges en chef peuvent quand même s'assurer, lorsque c'est nécessaire, qu'un juge a une bonne compréhension de l'anglais avant de l'affecter à des auditions dans la région en question. Il donnait un exemple où, dans le cadre d'une conférence de règlement à l'amiable, un juge anglophone était disponible pour l'entendre.
Pour ma part, je viens de la ville de Québec. Il arrive peut-être moins fréquemment que nous ayons besoin d'un juge anglophone ou encore d'un juge parfaitement bilingue parce qu'il va y avoir des témoins anglophones et des témoins francophones. Par contre, lorsque c'est nécessaire, en tout temps et sans aucun problème, les juges sont à même de nous entendre.
C'est peut-être plus difficile dans certaines régions. À Montréal, je ne pense pas que cela constitue une difficulté. Je pense que tous les juges sont parfaitement bilingues et qu'ils sont en mesure d'entendre sans aucun problème un procès en français et en anglais ou entièrement en anglais. À Saint-Jérôme, il se peut effectivement qu'il y ait des difficultés dans certains cas, mais je ne serais pas en mesure d'en témoigner personnellement.
Merci.
Je vais changer de sujet.
Tantôt, vous avez parlé des jugements qui seraient d'intérêt pour le reste du Canada. On nous avait déjà dit qu'une faible proportion des jugements émanant du Québec étaient traduits et que, par conséquent, ils étaient beaucoup moins utilisés.
À combien estimez-vous le nombre de jugements qui pourraient présenter un intérêt ailleurs dans le Canada s'ils étaient traduits, mais qui sont sous-utilisés?
En fait, il faudrait consulter les juges en chef de chacune des cours. Ils pourraient vous dire combien de jugements par année sont ainsi sous-utilisés.
Je comprends qu'on ne traduise pas tous les jugements. En effet, certains peuvent se ressembler.
Vous disiez tout à l'heure que 1 350 pages étaient traduites chaque année. Il y a eu des subventions, n'est-ce pas?
En moyenne, 25 jugements étaient traduits régulièrement à la Cour d'appel du Québec. Pendant les années où il y a eu des subventions, on a pu en traduire beaucoup plus.
Je pense qu'il y aurait plus de jugements à traduire. Par contre, nous ne sommes pas en mesure de vous indiquer aujourd'hui le nombre de jugements supplémentaires qu'il faudrait traduire.
Je comprends que cela varie en fonction des jugements. Par exemple, cela aurait été bien que le jugement dans l'affaire Éric contre Lola ait été traduit. C'est un cas qui touche le droit de la famille.
En effet.
Compte tenu du nombre de jugements rendus, c'est certain que la proportion de jugements à traduire est quand même assez importante, et je ne pense pas que le nombre de jugements qui sont traduits s'en rapproche.
Nous reprenons la séance.
J'aimerais avertir les membres du Comité qu'ils disposeront chacun de quatre minutes pour poser des questions.
Nous commençons par M. Choquette.
Merci, monsieur le président.
Mesdames Prémont et Champagne, j'aimerais que vous me disiez si vous avez été consultées sur le budget qui vient de paraître. Il y a entre autres 2 millions de dollars sur deux ans qui sont destinés à augmenter la capacité des tribunaux fédéraux en français et en anglais.
Les gens du Québec, notamment les membres du Barreau, ont-ils été consultés?
Il y a 2 millions de dollars sur deux ans, mais, sauf erreur, la Cour supérieure du Québec et la Cour d'appel du Québec ne recevront rien du fédéral pour traduire les jugements qui font jurisprudence.
C'est effectivement le cas pour les jugements qui émanent de la Cour supérieure et de la Cour d'appel.
Autrement dit, ce budget n'offre rien pour bonifier la traduction de notre jurisprudence francophone au Québec.
En effet.
Il faut dire qu'il y a des cours fédérales qui siègent au Québec, mais il faut voir à quel point le Québec va bénéficier de ces fonds.
Cela dit, tout ce qui touche à la Cour d'appel et à la Cour supérieure n'est pas visé par cet octroi de fonds.
La dernière fois que la SOQUIJ a reçu des fonds, c'était de 2010 à 2012 environ. Il s'agissait d'une somme ponctuelle. Or il n'y a plus rien eu par la suite.
Je crois que le montant était de 200 000 $ pour les deux premières années, puis le montant est passé à 70 000 $, et ensuite à 50 000 $.
Est-ce que cela avait été profitable en matière de traduction de la jurisprudence et des jugements du Québec?
Vous pourrez lire dans notre mémoire que la subvention de 200 000 $ nous a permis de doubler la capacité de traduction.
C'est ce que je comprends, n'est-ce pas, maître Champagne?
Il faudrait donc qu'une partie de ces 2 millions de dollars soit attribuée à la SOQUIJ. C'est peut-être l'une de vos recommandations.
On a parlé tout à l'heure de la Cour suprême, mais j'aimerais parler un peu des cours supérieures.
Il y a eu un petit changement de politique en ce qui concerne les cours supérieures. Je ne sais pas si vous êtes au courant du changement qu'il y a eu récemment concernant la capacité bilingue des cours supérieures.
Il est question notamment du bilinguisme et de l'évaluation des juges. En fait, cela renvoie au rapport de 2013 des commissaires aux langues officielles de l'Ontario, du Canada et du Nouveau-Brunswick portant sur l'accès à la justice dans les cours supérieures. On y soulignait qu'il n'était pas normal qu'un juge puisse se dire bilingue sans toutefois subir d'évaluation. Les juges évaluent eux-mêmes leurs compétences linguistiques. Dans certains cas, ils les sous-estiment et dans d'autres cas, ils les surestiment, ce qui cause des problèmes d'accès à la justice dans les deux langues officielles. Selon une nouvelle politique qui a été adoptée récemment, une évaluation peut être effectuée lorsque c'est nécessaire.
Si vous êtes au courant de cette nouvelle politique, j'aimerais que vous me disiez ce que vous en pensez.
Que je sache, nous ne nous sommes pas prononcés précisément sur ce changement.
Comme nous l'avons dit ici, nous sommes d'avis que le bilinguisme est nécessaire dans le cas des cours supérieures de certaines régions. Pour ce qui est de certaines autres régions, cela peut être un atout en tout temps, évidemment. Plusieurs juges de la Cour supérieure sont parfaitement bilingues, mais dans certaines régions du Québec, il n'est pas nécessaire que le juge soit bilingue.
Merci.
Nous allons maintenant passer à l'intervention suivante.
Monsieur Arseneault, vous avez la parole.
Merci, monsieur le président.
Je veux d'abord vous remercier d'être parmi nous, maîtres Champagne et Prémont.
Le Barreau du Québec considère donc que le Québec a au minimum l'obligation constitutionnelle de traduire ses projets de loi avant de les passer au vote.
Évidemment, cela n'a pas été décidé par un tribunal. Le gouvernement du Québec affirme que son processus est conforme à ses obligations constitutionnelles, mais à l'heure actuelle, le Barreau de Montréal dit le contraire.
Les autres barreaux régionaux appuient, je crois, la position du Barreau de Montréal, mais se sentent quand même moins concernés. Comme je vous l'ai dit, il y a actuellement une entente de principe, alors des procédures ne seront pas entamées à court terme. Cependant, s'il y avait éventuellement des procédures, le Barreau du Québec serait codemandeur.
Il sera intéressant de voir comment cela se terminera.
J'aimerais parler de la terminologie juridique.
Je viens d'un pays, ou plutôt d'une province de common law...
Des voix: Ah, ah!
Je suis d'un coin de pays, dis-je donc, où la common law est pratiquée en français. Je suis fier d'avoir fréquenté la première université de la planète où la common law a été enseignée en français. Cela a été tout un défi de créer cette nouvelle terminologie, d'éliminer les anglicismes et de définir notre propre vocabulaire.
J'imagine qu'au Québec, vous avez vécu exactement la même situation en ce qui concerne la traduction du Code civil vers l'anglais. Comment ce travail se fait-il? Existe-t-il chez vous des organismes clés, de la même façon qu'il existe au Nouveau-Brunswick, à Moncton, le Centre de traduction et de terminologie juridiques, par exemple?
Sérieusement, c'est quand même un défi. Il y a un manque de traduction de la jurisprudence.
Je suis conscient que les fonds ne sont pas disponibles. Soit dit en passant, j'aimerais savoir s'il existe aujourd'hui une contribution ou une initiative provinciale en vue de financer la traduction de la jurisprudence québécoise. Le gouvernement du Québec finance-t-il la traduction ou compte-t-il seulement sur l'argent du fédéral?
Cela existe déjà. Cependant, les ressources étant insuffisantes, on ne traduit pas suffisamment de jugements.
Avez-vous une idée de la manière dont cela se passe dans les autres provinces qui traduisent leur jurisprudence et leurs lois, comme le Manitoba, l'Ontario et le Nouveau-Brunswick? Pardonnez mon ignorance, mais j'aimerais savoir comment cela est financé.
Sincèrement, nous n'avons pas cette information. J'ai demandé à Me Champagne, lorsque nous attendions tout à l'heure, si nous avions ces informations. Malheureusement, nous ne les avons pas. J'ignore si le Comité les a obtenues, mais je ne peux pas répondre à votre question.
C'est vrai que ces jugements qui ne sont pas traduits manquent à la jurisprudence canadienne. Lorsque je pratiquais, j'étais l'un des rares avocats du Canada qui allait grattouiller dans la jurisprudence du Québec pour obtenir des jugements en français. Je faisais le contraire de ce que faisait l'ensemble des juristes canadiens.
En résumé, même si les différents paliers gouvernementaux avaient un élan de générosité et exprimaient la volonté de financer la traduction intégrale de toute la jurisprudence du Québec, il reste qu'il n'y a pas de centre spécialisé en terminologie juridique découlant du Code civil. Est-ce bien cela?
Il n'y a pas de centre spécialisé.
Présentement, la SOQUIJ a quand même des juristes qui font, à mon avis, de l'excellent travail en matière de traduction juridique, mais nous n'avons pas de centre comme celui de Moncton. Nous n'avons pas cela.
Merci, monsieur le président.
Maître Prémont, maître Champagne, soyez les bienvenues dans ma province, l'Ontario.
Je suis également juriste en Ontario. Je veux simplement bien comprendre. Au Québec, on adopte des projets de loi en français et, ensuite, on les traduit. Est-ce bien ce qu'il me faut comprendre? On traduit les textes par la suite, et il va peut-être y avoir des erreurs.
En fait, les projets de loi sont disponibles dans les deux langues. Les commissions parlementaires vont les étudier et, souvent, elles vont y apporter des amendements. Or, ce ne sont pas toujours tous les amendements qui sont disponibles dans les deux langues. Toutefois, quand le projet de loi est sanctionné, c'est la version dans les deux langues qui est sanctionnée.
Je comprends.
Vous avez mentionné aussi que des erreurs se produisaient parfois. Par le passé, il y a eu des erreurs dans la traduction de lois, et il a fallu plusieurs années pour corriger le tir. Cela a-t-il causé des préjudices? Quand un texte de loi est rédigé d'abord en français et est ensuite traduit en anglais, la version anglaise peut contenir des erreurs. À votre avis, cela a-t-il causé des préjudices dans certaines causes où les gens s'étaient fiés à l'interprétation de la loi en anglais?
Il est entendu que lorsque les avocats préparent leurs dossiers, au Québec comme en Ontario, ils lisent les deux versions de la loi. Ils peuvent tirer des arguments du fait que le sens d'un article n'est pas le même en français qu'en anglais, et à ce moment le litige doit être porté devant le tribunal pour qu'on détermine quelle était la véritable intention du législateur. Il est certain que le fait que les deux versions n'aient pas le même sens mène à des litiges.
Cela revient un peu à la capacité de traduire de vos collègues juristes. Vous avez dit, en réponse à la question de mon collègue, qu'il n'y avait pas d'école ou de milieu qui appuyait ce genre de travail. Où sont donc formés vos collègues juristes qui font de la traduction?
Au gouvernement fédéral, c'est une spécialité. Il y a des juristes qui ne font que de la traduction. Certains traduisent de l'anglais au français et d'autres sont spécialisés dans la traduction du français à l'anglais pour s'assurer qu'il y a une concordance. Il y a aussi une telle capacité en Ontario. Qu'en est-il au Québec?
Le gouvernement du Québec nous dit qu'il est extrêmement difficile de trouver des jurilinguistes, parce que les véritables jurilinguistes vont travailler du côté de l'Ontario, à Ottawa. Ils ne sont pas nécessairement intéressés à venir travailler au Québec. C'est une difficulté très concrète avec laquelle il faut composer.
Dans ce cadre, les gens qui travaillent présentement à la traduction des lois n'ont pas nécessairement une formation de jurilinguiste. Ce sont des traducteurs, mais ils ne sont pas nécessairement des juristes, ou encore, ce sont des juristes parfaitement bilingues, mais ils ne sont pas nécessairement des traducteurs.
J'ai parlé d'une entente tout à l'heure. Le Barreau de Montréal est même prêt à considérer qu'un juriste civiliste parfaitement bilingue serait capable de faire un bon travail. On ne parle pas de quelqu'un qui a une formation en traduction, mais d'un juriste civiliste anglophone.
Le gouvernement fédéral et d'autres provinces, surtout le Nouveau-Brunswick et l'Ontario, ont créé cette capacité et cette expertise. Cependant, au Québec, il reste quand même du chemin à faire. Vous dites qu'au Québec, il y a encore des juristes qui font de la traduction même s'ils n'ont pas de formation en traduction, et il y a aussi des traducteurs qui font un peu de traduction juridique même s'ils n'ont pas de formation juridique.
Merci beaucoup, monsieur Lefebvre.
Cela met fin à la séance d'aujourd'hui.
Madame la bâtonnière et maître Champagne, merci beaucoup de votre apport au Comité.
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