La Chambre reprend l'étude, interrompue le 10 mai, de la motion portant que le projet de loi , soit lu pour la deuxième fois et renvoyé à un comité, ainsi que de l'amendement.
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Monsieur le Président, j'utiliserai cette fois chacune des minutes et chacune des secondes qui me sont imparties, puisque le projet de loi est un projet de loi fondamental pour quiconque croit à la démocratie.
Au fond qu'est-ce qu'un député, toutes couleurs et tous partis confondus, sinon un militant ou une militante qui a décidé de pousser au maximum son engagement politique, de façon à participer à l'élaboration, au meilleur de sa connaissance et au meilleur de ses valeurs, du développement de notre société.
Chacun des députés de la Chambre reconnaît aussi la chance qu'il a de vivre et de participer à un régime démocratique. Or ce régime démocratique, comme bien d'autres, est bien loin d'être parfait. Dans sa perfectibilité, nous souhaiterions que chacun et chacune d'entre nous soit mis à contribution, et que la finalité d'un projet de loi qui vient modifier de façon partielle, substantielle, voire totale, un projet de loi qui touche le mode de scrutin dans quelques-unes de ses composantes, fasse non seulement le plus large consensus possible, mais ultimement l'unanimité.
Un projet de loi qui touche les fondements mêmes de notre démocratie ne devrait pas être un projet de loi partisan. Or on est obligé de reconnaître que depuis le dépôt par les conservateurs du projet de loi dans le précédent Parlement, un projet de loi qui s'intitulait Loi sur l'intégrité des élections, on a changé un peu le cours des choses. Ce consensus toujours recherché me semble le point fort de notre recherche d'un meilleur système démocratique, mais de plus en plus semblent se glisser des joutes partisanes qui, à mon avis, n'ont pas lieu d'être dans ce genre de projet.
Alors évidemment, je me sens privilégié de pouvoir prendre la parole sur un projet de loi aussi fondamental que le projet de loi . Toutefois, j'ai malheureusement l'impression de jouer dans un vieux film historique, puisqu'on a maintenant tenu pour acquis qu'on n'est pas à la recherche d'un consensus. En effet, on est en train d'utiliser ce que permet notre vieux système parlementaire, c'est-à-dire de faire en sorte qu'un parti politique qui détient la majorité à la Chambre des communes puisse « bulldozer » — je pense que le terme n'est pas trop fort — le programme, plutôt que de rechercher le consensus.
Au même moment où nous débattons cette question, nous avons observé à Québec quelque chose d'absolument significatif. À quelques mois, quelques semaines à peine du déclenchement d'une élection provinciale dans cette province, quatre partis ont fait une conférence de presse commune pour dire que, quels que soient les résultats de la prochaine élection, ils sont tous d'accord pour dire que le mode électoral actuel n'est plus celui qui devrait être utilisé dans nos sociétés.
Québec solidaire, la Coalition Avenir Québec, le Parti québécois et le Parti vert du Québec sont sortis ensemble pour dire que la prochaine campagne électorale au Québec devrait être la dernière avec ce mode de scrutin. C'est là où, tristement, cela nous ramène au vieux film. En effet, plusieurs partis ont dit cette phrase et principalement le Parti libéral lors de la dernière campagne électorale. Il souhaitait, et avait affirmé haut et fort, que ce serait la dernière élection avec ce mode scrutin qui, disons-le, avait ses vertus à une autre époque.
Le jour où ce Parlement est né, il n'y avait que du bipartisme. On comprend bien que dans une société où il y a deux partis, à la suite d'une élection il y en a forcément un qui va recueillir 50 plus 1 % des voix. À ce moment-là, la démocratie est totalement respectée sur le fond et sur la forme. Depuis ce jour, la société canadienne et la société québécoise, comme la société de toutes les provinces ou de tous les territoires, se sont grandement modifiées.
On a vu se développer une pluralité d'opinions et d'approches politiques qui demandent à être représentées à la Chambre des communes. Or, quelle que soit sa couleur, même si c'était un gouvernement néo-démocrate, il nous apparaît totalement inapproprié qu'un gouvernement qui récolte 39 % des appuis populaires lors d'une élection se retrouve à la Chambre avec 100 % du pouvoir. C'est le modèle qu'on a dans ce gouvernement, et c'est également le modèle qu'on avait dans le gouvernement précédent. Il y a vraiment là une dichotomie flagrante qu'il nous faut résoudre.
Or on a reculé sur cette question précise qui était un enjeu électoral phare du Parti libéral et du Nouveau Parti démocratique à la dernière élection. Force est d'admettre que les libéraux ont reculé sur leur engagement électoral. C'est probablement parce que maintenant qu'ils sont au pouvoir, les libéraux veulent perpétuer la jouissance de ce contrôle total sur l'appareil démocratique de cet État.
On nous présente donc le projet de loi à toute vapeur, à la toute dernière minute. Je dirais que c'est fait à minuit moins une, au moment même où le directeur des élections par intérim ne s'est même pas s'il arrivera à mettre en place les différentes mesures prévues dans ce projet de loi à temps pour la prochaine élection, tellement les libéraux se sont traîné les pieds. Ils ont d'abord fait traîner l'étude sur ce que devait être notre nouveau mode de scrutin, pour ensuite faire fi d'un très large consensus qui allait vers une proportionnelle mixte, en plus d'essayer de faire croire aux Canadiens qu'il n'y avait pas de consensus ou que le consensus voulait qu'il n'y en ait pas. Drôle de tournure de phrase, mais on voit bien comment on cherchait l'esquive.
Non seulement contents d'avoir laissé traîner ce processus, les libéraux ont aussi laissé traîner le processus suivant qui visait à corriger un certain nombre de mesures restées en plan derrière celles qu'ils avaient rejetées. Or ils arrivent à minuit moins une et il n'est même pas garanti que l'ensemble des mesures, dont on discute ce matin et depuis quelques jours, auront vu le jour pour la prochaine élection.
On peut alors pratiquement parler d'un échec total, même si dans le projet de loi C-76 que j'aurai l'occasion de développer, il y a quand même quelques mesures qui valent la peine d'être étudiées et mises en place.
On parle donc d'un projet de loi de 230 pages qu'il faudrait étudier à toute vapeur parce que, comme je le disais, les libéraux sont en retard sur toute la ligne depuis le début.
Pire encore, ce nouveau projet de loi tellement bousculé risque d'être adopté par la formule de la majorité gouvernementale. Cela veut dire que ce large consensus qui faisait la tradition à la Chambre risque encore une fois d'être écarté au profit du bulldozer d'une majorité gouvernementale.
Avec deux communiqués qui se sont suivis et qui proposaient des noms différents, on nous apprenait cette semaine la nomination d'un potentiel futur directeur général des élections. La personne qui serait chargée de mettre en place les mesures comprises dans le projet de loi n'est pas encore officiellement nommée. Disons que les problèmes s'accumulent.
Voyons quelques éléments contenus dans ce projet de loi sur lesquels il vaut la peine de s'arrêter, par exemple, la question du financement. Comme on s'attend à plus de transparence lors des périodes préélectorales, ce projet de loi nous propose un certain nombre de mesures qui vont dans ce sens. Toutefois, du même souffle où on nous promet une plus grande transparence, on augmente le plafond des dépenses. Ainsi, les campagnes deviennent de plus en plus des campagnes d'argent plutôt que des campagnes d'idées.
S'il y a un très large consensus au sein de la société canadienne et québécoise quand elle analyse le mode électoral américain, c'est au sujet de sa réticence à voir l'argent prendre le pas sur les idées. Ce qu'on semble voir depuis quelques années, c'est une tendance lourde à donner de plus en plus d'importance à l'argent. Or tous les citoyens sont très conscients que de vivre dans une démocratie représente un coût. Personne ne s'attend à ce que les élections soient gratuites. J'aurai l'occasion de revenir un peu plus tard sur le financement public, une mesure qui est principalement absente dans ce projet de loi et qui aurait pu rééquilibrer des approches qui étaient plus équilibrées et qui sont disparues sous le précédent gouvernement conservateur dirigé par M. Harper. Celui-ci a fait disparaître complètement cette proportionnalité du financement en fonction du vote exprimé. Je ne dis pas qu'il y avait là un gouvernement proportionnel, mais il y avait là au moins un financement public qui était à la hauteur du vote exprimé par chacun des citoyens et qui donnait un sens supplémentaire au geste d'aller voter.
Par ailleurs, l'augmentation de la limite des dépenses encourues pendant la campagne électorale est aussi problématique et s'inscrit dans la tendance de donner plus d'importance à l'argent qu'aux idées. J'aimerais bien voir, dans une campagne électorale, des gens débattre d'idées de façon équitable, plutôt que de voir des partis inonder la place publique de publicités parce que les règles ne sont pas les mêmes pour tous. On pourrait arguer, à l'inverse, que les règles sont égales pour tous puisque tout le monde a le même plafond de dépenses, mais quand ce plafond de dépenses est rendu à des hauteurs telles qu'il ne permet pas nécessairement à tous les partis de l'atteindre, on voit très bien le déséquilibre.
J'aimerais aussi insister sur un autre problème qui est largement décrié et qui ne semble pas avoir été réglé par le projet de loi : la protection des données ou des renseignements personnels. Voilà une question qui préoccupe maintenant l'ensemble des citoyens du Canada et du Québec, et pas simplement dans le cadre d'une élection, mais dans le cadre de leur vie quotidienne. Tous les gestes que l'on pose sur cette grande toile que s'appelle le Web laissent des traces, et on a peine à mesurer l'ensemble des données personnelles que l'on y laisse.
On a peut-être déjà vécu l'expérience de faire le téléchargement d'une application, par exemple, sur son téléphone cellulaire, et de lire le contrat de consentement demandé. Je ne sais pas si vous y êtes arrivée, madame la Présidente, mais j'ai essayé à quelques reprises, et j'avoue avoir très rarement réussi à me rendre à la fin du contrat de consentement. Toutes les fois que j'y suis arrivé, j'avoue que c'était par défi. Cela ne veut pas dire non plus qu'une fois rendu à la fin, j'y avais compris quelque chose. Toutefois, on finit toujours par consentir, parce qu'on a besoin de l'application dans notre vie quotidienne. À partir de ce moment-là, on ne sait plus quelle est la portée des données personnelles qu'on laisse aller ni comment elles sont gérées. Or cette question n'est pas résolue par le projet de loi .
À titre d'exemple, je vais donner quelques citations de témoins. Voici ce qu'a dit Teresa Scassa, de la Chaire de recherche du Canada en politiques et droit de l'information à l'Université d'Ottawa, au sujet de la solution proposée dans le projet de loi C-76: une solution rapide, presque méprisante, et entièrement cosmétique conçue pour détourner l'attention des enjeux très sérieux concernant la vie privée soulevés par l'utilisation des renseignements personnels par les partis politiques.
Quant à elle, Lori Turnbull, directrice de la School of Public Administration de l'Université Dalhousie et coauteure d'un document du Forum des politiques publiques sur la modernisation du financement public, a dit: c'est un pas dans la bonne direction, mais il semble qu'ils aient été pressés par le temps et de gros problèmes demeurent présents.
J'ai souvent utilisé cette image: quand on fait un pas en avant, on n'avance pas, on déplace le centre de gravité. Pour avancer, il faut faire au moins deux pas. En cette matière, le projet de loi ne fait pas plus qu'un pas.
Curieusement, on a une loi sur la protection des données personnelles au Canada. C'est une loi assez avant-gardiste qui fait souvent l'objet d'observation de nombreux autres pays qui cherchent à parfaire la leur et à voir comment collectivement on doit faire front commun pour protéger les données personnelles dans ce nouveau monde informatique qu'est le nôtre.
Or, les partis politiques sont exemptés de cette loi sur la protection des données personnelles au Canada. Par exemple, une compagnie privée qui veut faire de la sollicitation par courriel doit demander le consentement à ceux à qui elle envoie le courriel pour savoir s'ils consentent à ce qu'elle conserve leur adresse électronique pour correspondre par la suite. Ce consentement n'est pas exigé des partis politiques. On peut même vendre les données personnelles enregistrées par les partis politiques, ce qui m'apparaît un non-sens absolu et une situation que le projet de loi C-76, tel qu'il est présenté, ne résout pas.
Où se trouvent les règles permettant d'arriver à un nombre important de femmes? Voilà une autre question que le projet de loi C-76 ne résout pas. Quand on regarde la proportion de femmes qui siègent à titre de députée à la Chambre, on est à des années-lumière de la parité, sauf chez les néo-démocrates. Pourquoi? À l'initiation même d'une campagne électorale, à ses balbutiements, les néo-démocrates se sont donné des règles qui font qu'ils atteignent dès le départ la parité, par le choix des candidats et des candidates. S'il n'y a pas de parité à la ligne de départ, comment peut-on espérer que la parité soit résolue par miracle à la ligne d'arrivée? Remercions le NPD de ses efforts et de faire en sorte que la Chambre accueille un nombre de femmes accru.
En refusant le projet de loi de mon collègue de , on a raté une belle occasion de faire un pas supplémentaire dans cette direction. Avec le projet de loi C-76, on rate encore l'occasion de mettre en place des moyens précis qui feront que la parité, ou à tout le moins la zone de parité qui se situe entre 40 et 60 %, soit atteinte dès la prochaine élection. On n'a pas à attendre des décennies. Si la tendance du taux de croissance actuel du nombre de femmes à la Chambre des communes se maintient, la parité sera probablement atteinte dans 40 à 50 ans, et ce n'est pas une garantie. Il y a là une question absolument cruciale qu'on échappe totalement.
Il y a bien quelques points importants et bons qui font que, à la fin du processus, je vais voter en faveur du projet de loi en deuxième lecture, même si j'ai l'air d'être totalement contre le projet. Il m'apparaît important de l'envoyer en comité pour obtenir un certain nombre de réponses à des questions pertinentes et voir comment on peut faire le maximum avec un projet de loi réduit à l'essentiel, qui ne revoit pas le mode de scrutin. C'est le rôle de tous les députés de l'opposition. Notre rôle n'est pas simplement de s'opposer mais également de bonifier les projets.
On salue toutefois la limitation de la durée d'une élection. Tenir des campagnes électorales à l'ère des déplacements plus rapides et des médias électroniques m'apparaît plus important que d'avoir des campagnes électorales calquées sur l'époque où il fallait nécessairement traverser le Canada en train, ce qui nécessitait plus de temps.
Offrir un remboursement de 90 % des frais de garde est une bonne chose. Nous n'allons pas nous y opposer.
En conclusion, la démocratie n'appartient pas aux libéraux ni à aucun parti de la Chambre. Elle appartient bien à l'ensemble des partis de la Chambre.
Je souhaite que la prochaine modification que l'on va apporter à notre système électoral soit une modification consensuelle.