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Monsieur le Président, je suis content de voir davantage de collègues à la Chambre et je vais poursuivre mon discours.
Ces territoires sont immensément grands pour qui doit couvrir convenablement les nouvelles locales. Imaginons un peu le temps de déplacement que cela prend pour les journalistes, surtout lorsqu'ils sont seuls.
La réalité, c'est qu'on ne couvre plus l'ensemble des nouvelles. Les médias ne comptent plus sur les placements de publicité, qui sont en chute libre. Quand on gruge, année après année, la part du gâteau en publicité qui revenait traditionnellement aux entreprises de nouvelles et que les grands contrats publicitaires ne sont plus diffusés ou consommés par les entreprises de nouvelles, mais plutôt par les Google et Facebook de ce monde, pour ne pas les nommer, les entreprises de nouvelles sont privées de sources de revenus et, dans bien des cas, sont forcées de fermer.
Ce qui est le plus alarmant, c’est que toute la société finira par souffrir de ce manque de nouvelles et de rétroaction dans son milieu. Il est fondamental en démocratie de savoir ce qui se passe tout près de chez soi.
Je peux présenter des chiffres sur la façon dont se fait le partage des sommes d'argent en publicité en ce moment. Je donnerai aussi quelques arguments justifiant le maintien d'une position ferme face à ces géants que sont les GAFAM.
Le gouvernement a trop longtemps erré en n'imposant pas de règles. S'il pensait que les GAFAM se gouverneraient en faisant montre de sensibilité à l'endroit de nos petites collectivités, il a eu tort. Quoi que disent ou fassent les géants du numérique, leurs actions sont motivées par l'appât du gain, un peu comme les compagnies pétrolières, pour qui c'est le profit aux actionnaires qui compte.
Pour agir, cela prend du courage. On a vu ce qui s'est passé en Australie et les conséquences qui en ont découlé. Cela fait longtemps que ces compagnies connaissent notre point de vue et qu'elles savent très bien le chemin qu'elles doivent prendre. Elles n'ont plus le choix, la pression est forte depuis très longtemps. Si on arrive à faire adopter ce projet de loi rapidement, elles n'auront plus vraiment le choix: soit elles embarquent dans le train, soit le gouvernement s'en mêlera.
Pourquoi les gens devraient-ils se soucier de l'adoption de ce projet de loi? C'est parce que cela les concerne. Il faut d'abord se rendre compte de l'apport inestimable des journalistes qui, jour après jour, font un travail formidable, pas toujours avec des moyens financiers adéquats. Leur avenir est fragilisé et, pour eux, chaque jour compte.
Les médias locaux ont une importance de plus en plus grande pour nos communautés régionales et rurales. Les médias et les journaux locaux sont le cœur de l'écosystème médiatique régional. Pour parler des exploits des gens de la région ou de sujets qui les touchent, cela prend des journalistes présents dans leur communauté, qui vivent l'expérience d'une communauté.
Les exploits sportifs ou artistiques, les enquêtes, la lutte contre la corruption, les questions des médias locaux ont une importance particulière dans la vie des gens de ces communautés. Disons-le: si les nouvelles sont partagées sur les plateformes des GAFAM, c’est parce qu'ils ont un intérêt pour celles-ci. Les GAFAM en tirent profit allégrement et de façon inéquitable pour tous les auteurs de ces nouvelles. Les GAFAM exploitent les nouvelles de façon éhontée.
On doit donc prendre les choses en main, car le temps de la récréation est fini. Les GAFAM n'ont pas la même rigueur journalistique. Pour conserver un environnement sain en matière de diversité des opinions et de capacité de discerner le vrai du faux, il faut permettre à des journalistes professionnels de continuer de faire leur travail et aux entreprises médiatiques de nous faire découvrir régulièrement le fruit de ce travail rigoureux, et ce, partout et pas juste dans les grands centres.
Ce n'est pas Facebook ou Google qui enverra un journaliste couvrir la conquête de la Coupe Russell par les Pirates de Ville-Marie ou par les Titans de Témiscaming: c'est CKVM, TV Témis, RNC Média ou TVA Abitibi-Témiscamingue.
Ce n'est pas Facebook ou Google qui va envoyer un journaliste questionner les autorités municipales de Rouyn‑Noranda sur le retard dans la construction d'un centre aquatique: c'est Le Citoyen de Rouyn-Noranda.
Ce n'est pas Facebook ou Google qui va couvrir les différents festivals d'Amos: c’est MédiAT, CHUN FM, TV Témis ou la télé communautaire d'Abitibi-Ouest avec Gaby Lacasse.
En Abitibi-Témiscamingue, c'est Radio-Canada qui peut accueillir et interviewer son député afin qu'il puisse rendre des comptes et informer la population des actions qu'il entreprend.
Il faut savoir que la crise des médias a frappé de plein fouet les médias écrits de l'Abitibi-Témiscamingue. En effet, aussi récemment qu'en 2017, le journal Le Citoyen pouvait encore compter sur une quinzaine de journalistes pour couvrir notre territoire. Aujourd'hui, l'hebdo local n'en compte plus que cinq et le contenu a lui aussi été touché.
De journaux d'une soixantaine de pages livrés à chaque porte, ces derniers ne comptent plus qu'une vingtaine de pages. Le journal Le Reflet du Témiscamingue a cessé sa publication papier en raison de la chute des revenus publicitaires. Même la station de radio Énergie a supprimé deux postes, réduisant maintenant la taille de sa salle de nouvelles à deux journalistes pour l'Abitibi—Témiscamingue.
Prenons l'exemple de la MRC d'Abitibi-Ouest. Il y a quelques années, deux journalistes étaient basés en permanence sur ce territoire. Aujourd'hui, il n'en reste qu'un seul. Cela peut sembler dérisoire, mais, sur un territoire de 3 415 kilomètres carrés et de 21 municipalités, ce sont bon nombre de sujets qui ne sont plus traités, faute de temps et de personnel.
Une perte d'emploi d'un journaliste peut sembler peu, mais sa disparition est une perte monumentale pour les petites communautés du Québec. Un membre des médias en moins, ce sont des reportages et des enquêtes qui ne sont pas écrits. Ce sont des événements qui ne sont plus couverts. Ce sont des voix qui s'éteignent, car c'est la vitalité de nos communautés qui en est affectée.
C'est pourquoi le projet de loi est important. Il est temps que les GAFAM partagent les revenus avec les médias locaux. Ces sommes sont importantes pour dynamiser nos médias régionaux et permettre le maintien et peut‑être même l'embauche de journalistes. Ces derniers pourront ainsi nous questionner et rapporter le travail que nous faisons, comme ici, à la Chambre des communes. On appelle cela de la responsabilité pour l'ensemble de la classe politique.
Le a prévu un mécanisme d'adhésion des GAFAM, c'est‑à‑dire que soit ils adoptent une attitude prospective et qu'ils s'y mettent dès aujourd'hui pour conclure des ententes avec les différentes entreprises de nouvelles, ou bien le gouvernement va dire qu'il va se charger d'eux. C'est aux GAFAM de décider.
Je salue aussi le fait que le gouvernement, dans le projet de loi C‑18, veut laisser de la place pour l'indépendance et la transparence dans les ententes. Une fois que c'est fait, les GAFAM auront à déposer les différentes ententes avec le CRTC. Ce dernier se chargera de confirmer que les conditions suivantes sont remplies: les ententes prévoient des indemnisations équitables; une part des indemnisations sert à la production de contenu de nouvelles locales, régionales et nationales; les ententes garantissent la liberté d'expression; elles contribuent à la vitalité du marché canadien des nouvelles; elles assurent le soutien des nouvelles locales et indépendantes; et elles reflètent la diversité canadienne et, on l'espère, la diversité québécoise, culturelle et linguistique.
Si on regarde les critères d'admissibilité des entreprises de nouvelles, seules celles désignées comme une organisation journalistique canadienne qualifiée, ou OJCQ, en vertu du paragraphe 248(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu pourront bénéficier des compensations liées au repiquage de leurs nouvelles. Des entreprises non canadiennes répondant à des critères similaires à l'OJCQ seront également admissibles.
En effet, l'obligation d'avoir deux journalistes est aussi un frein pour certaines communautés plus éloignées du Québec. Il faut y penser. Certains médias très locaux comptent sur une seule personne pour produire les différentes nouvelles. Ces médias ne seraient pas admissibles à ce programme à l'heure actuelle. C'est un frein au développement de nos médias locaux qui peuvent se dynamiser et agir de façon proactive.
Puisque l'occasion m'est donnée de m'exprimer sur ce projet de loi C‑18, je voudrais aussi attirer l'attention de mes collègues et poser la question suivante: dans le cas des médias régionaux et communautaires, ces derniers ne verront pas la différence ni une nette amélioration de leur condition économique. Je voudrais bien savoir si le gouvernement a prévu des mesures additionnelles. J'aimerais bien avoir des réponses à ces questions.
Médias d'Info Canada, la voix de l'industrie des médias d'information du Canada, a déjà indiqué qu'il voudrait que l'on s'attarde sur le critère d'admissibilité afin de permettre aux hebdos qui n'emploient qu'un seul journaliste d'avoir le droit de recevoir leur part du gâteau également. Cela reflète plus justement la réalité des médias des régions éloignées, comme celle de l'Abitibi—Témiscamingue.
Regardons aussi d'autres dispositions du projet de loi C‑18.
Je vois que le ministre du Patrimoine canadien a prévu des dispositions pour soustraire les parties prenantes à ces négociations à certaines conditions de la Loi sur la concurrence et il oblige les parties à négocier de bonne foi. Il interdit à une plateforme d'user de moyens comme la réduction ou la priorisation d'accès à une plateforme en guise de rétribution ou de pressions sur les négociations. Il permet aux entreprises de nouvelles de porter plainte contre les GAFAM au CRTC, si elles observent des comportements de la sorte de la part des plateformes. Il y a des sanctions et des amendes pour les différentes entités assujetties au projet de loi C‑18.
Le Bloc québécois votera en faveur de ce projet de loi.
Le projet de loi C‑18, comme celui sur la Loi sur la radiodiffusion, le projet de loi , était attendu depuis plusieurs années. Lorsque j'ai fait la lecture du projet de loi C‑18, son accueil par les différents groupes de l'industrie des médias était encore incertain. Nous continuons en ce moment nos discussions et nous aurons certainement des idées pour améliorer ou bonifier le projet de loi C‑18.
Il y a beaucoup de similitudes entre la loi australienne et celle du Canada. Tout comme pour l'Australie, nous nous attendons à ce que les GAFAM intensifient leurs interventions, voire leurs pressions, auprès des parlementaires et dans les médias. Je remarque que le gouvernement a eu de la sensibilité pour les petits joueurs en leur permettant de se regrouper comme ils le souhaitent pour négocier, une disposition qui a bonne presse et qui a été bien accueillie.
Au Canada, le CRTC va gérer le programme. L'argent financera le journalisme, et non les actionnaires d'une entreprise de nouvelles. J'aime cela. La loi australienne maintient des ententes confidentielles et le projet de loi aussi, mais le gouvernement confie au CRTC le rôle d'examiner ces dernières et de valider certaines conditions que j'ai mentionnées un peu plus tôt dans mon discours.
Je vais reprendre certains arguments que j'ai trouvés en faisant un peu de recherche. Je commencerai par une bonne nouvelle: les entreprises de nouvelles, du moins certaines, ont des résultats positifs grâce à des choix d'affaires qu'elles ont faits. Certaines ont pu embaucher de nouveaux journalistes et créer des postes additionnels. D'autres y sont allées avec la mise en place d'un système d'abonnement, ce qui apporte de l'eau au moulin. On est loin de la panacée, et il faudra beaucoup plus pour me convaincre que les entreprises de nouvelles ont la tête bien au-dessus de l'eau.
Plusieurs écrits rapportent que près de 18 organisations journalistiques du pays ont des ententes avec Meta, ce qui a permis de conclure des rétributions de près de 8 millions de dollars au cours des trois prochaines années. Il y a un bémol, par contre. Actuellement, Facebook peut bien dire qu'elle a contribué aux médias d'ici par l'entremise de son programme News Innovation Test — c'est vrai —, mais ces sommes sont allées dans les grands médias canadiens. Ces sommes ne se sont jamais rendues dans les médias locaux de ma circonscription ni dans de nombreuses autres circonscriptions du Québec. C'est aussi pourquoi ce projet de loi est important. Sans celui-ci, les médias locaux seront assurément oubliés par les GAFAM. Il y a un grand danger pour notre démocratie.
Je reviens encore sur le fait que des questions se posent aussi sur la négociation d'ententes entre les médias et les GAFAM. S'il est facile pour les grands consortiums d'avoir un pouvoir de négociation, il en est tout autre pour les médias locaux desservant de petites communautés.
C'est une préoccupation de François Munger, fondateur de MédiAT, qui a peur que nos artisans de nouvelles locales ne ramassent que des pinottes. J'aimerais rappeler le travail essentiel du journaliste dans les petites localités en résumant ce qui caractérise la nouvelle locale et en citant M. Munger, qui a osé démarrer son média en 2015, en pleine crise médiatique. Il a dit: on part un média en Abitibi‑Témiscamingue parce qu'on y croit et qu'on a la volonté d'informer sa communauté.
La nouvelle locale exprime des couleurs, les couleurs de sa population, dans sa langue et dans l'expression de sa culture. Elle la saisit de questions qui interpellent ses citoyens dans une réflexion et une mobilisation souvent nécessaires autour des préoccupations qui auront une incidence sur la qualité de vie des citoyens. La nouvelle locale, ce sont aussi des bons coups qui méritent d'être soulignés. Prise dans son ensemble, la nouvelle locale, c'est aussi le chien de garde des gouvernements et des entreprises. C'est également celui des citoyens face à ceux-ci. La nouvelle locale, c'est elle qui nous informe des infractions ou des règlements d'emprunt dans les municipalités et qui nous rapporte souvent des informations sur des poursuites judiciaires. Nous voyons à quel point c'est important. Les nouvelles locales sont en fait ce que nous sommes.
Il va falloir une aide financière immédiate pour les petits médias, qui peinent à survivre en ce moment. Les mesures que contient le projet de loi vont prendre encore plusieurs mois, et les médias ne verront pas un sou avant au moins un an. Une avenue serait pour Ottawa de s'assurer que ses publicités sont placées dans ces médias locaux qui ont de la difficulté à obtenir des revenus importants.
Facebook a besoin de contenu pour que sa plateforme ait du sens. Si on retranche du contenu journalistique de Facebook, il ne reste que les contenus viraux et de divertissement. Je souligne que je ne suis évidemment pas le plus grand partisan des influenceurs. Dans le but de faire croître le nombre d'usagers et les recettes de ses publicités, les plateformes comme Facebook ont besoin de nouvelles. Il y a tout intérêt à ce que le milieu journalistique reste bien vivant.
Facebook a besoin d'offrir un contenu plus attrayant, car, lorsqu'elle attire notre attention, elle vend de la publicité en retour et elle en tire automatiquement un revenu. La presque totalité du chiffre d'affaires de Facebook provient de ses publicités. Ce sont 80 % des revenus en ligne qui sont engrangés par Facebook et Google. Je le répète: c'est là que se trouve le nerf de la guerre. Ce sont 193 millions de dollars de leur chiffre d'affaires au Canada qui ont été réalisés grâce à du contenu qui ne leur appartient pas, notamment le contenu des journalistes. C'est probablement le montant de la compensation qui retournerait à nos entreprises de nouvelles.
En conclusion, le projet de loi est l'un des trois projets de loi du ministère qui touchent la modernisation de nos communications et il offre une réponse à la dominance des multinationales. Il ramène l'industrie des médias à son identité première et soutient les industries qui sont au cœur de la démocratie.
Cependant, le travail est loin d'être fini, puisque le gouvernement a choisi de faire des petits pas, et il en sera ainsi. Le travail de veille qu'accomplissent mes collègues du Bloc québécois donne des résultats non négligeables et nous nous réjouissons de retrouver dans le projet de loi les nombreuses propositions qui viennent du Bloc québécois ou qui venaient de notre plateforme électorale. Je dois également dire que j'ai pris des engagements auprès de mes électeurs en ce qui a trait à ces propositions, notamment par le truchement de médias d'informations locales et régionales comme TvcTK.
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Monsieur le Président, c'est avec grand plaisir que je participe à cette discussion fondamentale et très importante sur l'appui qu'un gouvernement fédéral, provincial ou autre peut apporter au travail journalistique et aux médias dans nos localités, nos villes, nos villages, nos régions, ainsi que dans l'ensemble de la nation.
Je pense que c'est ce genre de projet de loi qui fait que, au NPD, nous disons: enfin. On s'attaque enfin à cette question. Il était à peu près temps. Malheureusement, comme cela arrive trop souvent avec les libéraux, il faut les pousser pendant des années afin qu'ils consentent à faire la bonne chose.
On l'a notamment vu avec le projet de loi sur la radiodiffusion, avec celui sur les langues officielles, avec la question des soins dentaires et de l'assurance-médicaments, qui s'en vient, et avec le projet de loi anti-briseurs de grève. Ce dernier fait partie de notre entente et il est censé arriver l'année prochaine.
Il faut toujours les pousser. Dans le cas présent, est-il trop tard pour certains médias? La réponse est oui. On est en train de faire du rétropédalage, ce qui est un peu dommage. On essaie de sauver les meubles.
Aller dans cette direction et tenter d'aider ce pilier fondamental de notre démocratie que sont les médias locaux, régionaux et nationaux, est la bonne chose à faire. Malheureusement, le constat avait été fait il y a plusieurs années. En effet, la crise existe depuis plusieurs années, les fermetures de salles de nouvelles et les pertes d'emplois se sont multipliées, et cela a des conséquences réelles.
La démocratie ne fonctionne pas sans ce quatrième pouvoir, sans ce contrepouvoir que sont les médias indépendants professionnels. On reviendra sur ce qu'est un média, sur ce qu'est un reporter, sur ce qu'est un journaliste et sur ce qui est du vrai journalisme, comparativement à de la propagande ou de la désinformation. C'est tellement important.
On dit toujours que, dans notre société, le pouvoir a trois grands piliers: l'exécutif, le législatif et le judiciaire. Toutefois, sans le contrepouvoir qu'est le travail journalistique, il n'y a pas de véritable démocratie. C'est important d'établir cela dès le début de notre discussion pour savoir exactement de quoi on parle.
Il est tout aussi important de parler des géants du Web. Ces derniers sont des espèces de prédateurs du travail journalistique. Ils sont voraces et avares, les deux à la fois. Ils ont un aspect parasitaire dans le sens où ils vont piger, chercher les nouvelles pour ensuite les mettre dans les agrégateurs de nouvelles sur les sites Web.
Plusieurs géants du Web font cela. Ils pillent littéralement du vrai travail journalistique, de vrais articles et de vraies nouvelles, et mettent cela sur leurs pages Internet. Cela suscite des clics, ce qui leur rapporte des revenus. Ils ne paient pas pour cela. C'est pratiquement du vol de travail d'autrui.
Quelqu'un d'autre a fait un travail essentiel, et ces géants du Web n'ont pas eu à payer une cenne pour prendre un article, qui provient de différents médias régionaux, de La Presse, de Radio‑Canada, du journal Le Devoir ou autre, et le mettre ensuite sur leur site de nouvelles. Ils ne font rien. Ils n'ont pas eux-mêmes de salle de nouvelles et ils volent le travail des autres sans offrir de compensation financière.
Au moins, le projet de loi s'attaque à ce problème et apporte une piste de solution. Je ne dis pas qu'elle est parfaite ou qu'elle est la meilleure possible. Elle est perfectible, mais elle est une piste de solution.
Comme parlementaires, il est important que nous nous penchions sur cette question. Il est important que nous réfléchissions à ces préoccupations et que nous regardions ce que nous pouvons faire pour améliorer les choses afin de conserver, dans notre démocratie québécoise et canadienne, ce contrepouvoir.
Il faut conserver la possibilité d'avoir des employés, des travailleurs et des travailleuses, qui sont des spécialistes des nouvelles et qui vont fouiller, chercher, poser des questions, nous contredire, parfois même exercer quelques pressions sur le gouvernement, les partis de l'opposition et l'ensemble des élus. C'est parfait. Cela doit continuer.
Malheureusement, on est dans un écosystème où vendre des nouvelles n'est pas nécessairement la chose la plus viable, financièrement. On a donc assisté à cette disparition, cet effritement ou cette érosion des capacités des salles de nouvelles de poser les vraies questions et de couvrir ce qui se passe en politique, mais aussi en économie, dans la société ou dans le milieu culturel, entre autres.
Je pense que le gouvernement se devait d'agir. Au NPD, cela faisait des années que nous disions qu'il fallait faire quelque chose et soutenir les salaires, les salles de nouvelles et les entreprises. De plus, il faut rétablir le rapport de force entre les géants du Web, dont les agrégateurs pigent des articles sur lesquels ils n'ont pas du tout travaillé ni fourni d'effort ni de ressources humaines ou financières, et tous ceux qui se débattent pour essayer de survivre en posant les bonnes questions et d'écrire des articles pertinents, qui font réfléchir la société et nous font avancer collectivement.
On a beaucoup parlé des nouvelles locales et régionales. C'est absolument fondamental. Il y a quelques minutes, j'ai d'ailleurs posé une question à mon collègue du Bloc québécois.
J'ai l'exemple de Laval en tête, plus proche de moi. Pendant des années, Laval n'a pas eu de vraie salle de nouvelles, de vrai média capable de couvrir la politique municipale. Laval n'est pas assez loin de Montréal pour avoir son propre écosystème médiatique, ses propres salles de nouvelles ou ses propres hebdos. Laval n'est pas non plus assez proche de Montréal pour que les médias montréalais s'y intéressent véritablement. Par conséquent, pendant des années, la politique municipale de Laval n'a pas été tellement couverte.
Cette situation a permis à l'ancien maire de Laval Gilles Vaillancourt, depuis accusé et condamné, de détourner des fonds publics et de commettre d'épouvantables fraudes dont il a profité à titre personnel et fait profiter sa famille et ses amis. Cela a pu arriver parce qu'il n'y avait pratiquement pas d'opposition politique, de relais médiatique, de journaux assez forts et indépendants, ni de stations de radio capables de se pencher sur l'attribution des contrats et la gestion des fonds publics à Laval.
On a donc vu ce à quoi pouvait mener un désert médiatique: à l'impunité et à la non-transparence. Cela permet aussi à quelqu'un de penser que tout lui est dû et qu'il peut faire absolument n'importe quoi. Il est donc important d'avoir des journalistes nationaux, mais également locaux et régionaux, pour surveiller tout cela et tout ce beau monde.
Je trouve très important de souligner ici qu'il faut absolument avoir des reporters et des ressources à l'international également. Ces journalistes pourront ainsi nous expliquer et nous rapporter ce qui se passe à l'étranger afin que l'opinion publique au Canada, mais également les élus, les décideurs et les forces économiques, sociales et politiques soient capables de réagir de manière appropriée, en toute connaissance de cause, en sachant exactement ce qui se passe dans les autres pays du monde.
On l'a vu récemment, avec la guerre qui a eu lieu en Artsakh en Arménie, avec l'exode des Rohingyas du Myanmar, ou avec ce qui arrive aux Ouïghours en Chine. On a absolument besoin de savoir ce qui se passe à l'étranger. Il faut avoir des ressources pour le faire et avoir des gens sur le terrain qui nous disent et nous rapportent exactement ce qui se passe.
Je vais tout même prendre quelques secondes pour révéler un parti pris et dire à quel point je trouve absolument formidable tout le travail que font les correspondants de Radio‑Canada à l'étranger. Je leur tire mon chapeau et je pense qu'il y a beaucoup de gens au Québec et au Canada qui reconnaissent à quel point ils sont importants parce qu'ils observent, analysent et nous racontent ce qui se passe à l'étranger.
Sans les nommer tous, je vais tout de même citer Marie‑Ève Bédard, Tamara Alteresco, Anyck Béraud et Jean‑François Bélanger, parmi tant d'autres qui sont nos yeux et nos oreilles en Europe, au Moyen‑Orient, en Asie. Leur travail est absolument essentiel pour notre compréhension du monde.
Tant qu'à parler du travail journalistique, de ce qui se passe à l'étranger et de la reddition de compte dont je parlais tout à l'heure, je vais profiter de la tribune qui m'est accordée aujourd'hui pour condamner et dénoncer l'assassinat de la journaliste palestinienne Shireen Abu Akleh.
Elle a été tuée alors qu'elle faisait un reportage sur une opération de l'armée israélienne. Elle portait un casque et une veste pare-balle sur laquelle il était inscrit « presse ». Il était donc très évident qu'elle était une journaliste. Pendant des années, Shireen Abu Akleh était une journaliste vedette extrêmement appréciée de la chaîne Al Jazeera, et elle a été abattue.
Au NPD, nous condamnons ce meurtre et nous demandons une enquête indépendante pour savoir ce qui s'est passé exactement et qui est responsable de cet acte. Je pense que beaucoup de mes collègues sont d'accord sur notre position.
Il y a eu plusieurs témoignages sur le terrain. Il est assez difficile d'atteindre quelqu'un au visage avec une balle perdue. Malheureusement, c'est comme cela que Shireen Abu Akleh a été tuée. Nous demandons cette enquête indépendante avec de nombreux autres organismes du monde.
Hier, j'ai déposé à la Chambre une motion visant à condamner l'assassinat de cette journaliste palestinienne et à demander une enquête indépendante. Je suis absolument désolé qu'on ait refusé l'adoption de cette motion. Il me semble que c'était la moindre des choses.
Je déplore aussi les gestes qui ont suivi. Sa famille en deuil était réunie dans la maison de ses parents, et les forces israéliennes sont arrivées et ont bousculé tout le monde en arrachant les drapeaux palestiniens qui étaient là. Ces gens venaient d'apprendre la mort de leur fille, sœur, amie, nièce, ou cousine. C'est absolument épouvantable.
Cela ne s'est pas arrêté là. Aujourd'hui, on a vu des images extrêmement troublantes des funérailles de Shireen Abu Akleh dans lesquelles les forces de l'ordre israéliennes fonçaient avec des matraques et des bâtons sur les gens qui portaient le cercueil de la journaliste assassinée. Elles ont frappé sur la foule et bousculé tout le monde, ce qui a failli renverser le cercueil de la défunte. C'est indécent et d'une violence impossible. Nous voulons savoir qui a fait cela et nous demandons une enquête indépendante.
Non seulement elle a été tuée, mais on débarque ensuite chez ses parents et on bouscule les gens qui sont là pour se recueillir et mettre son corps en terre. C'est quand même absolument incroyable. Qui est responsable de cela? Qui a ordonné cet assaut sur une foule en deuil, sur la famille et les amis de cette journaliste qui venait de se faire tuer dans le cadre de son travail?
Il y a beaucoup de questions à se poser sur la sécurité des journalistes partout dans le monde et sur leur capacité de bien faire leur travail. Dans les territoires palestiniens occupés de manière illégale et militaire par Israël, il y a également beaucoup de questions à se poser à cet égard. Les journalistes palestiniens ou étrangers doivent être capables de faire leur travail en toute sécurité et rapporter les faits de ce qui se passe là-bas.
Nous voulons savoir quelles sont les conséquences de l'occupation militaire d'un territoire, des terres qu'on vole, des maisons qu'on détruit et des colonies illégales qu'on instaure à vitesse grand V. On s'installe dans des milliers de nouvelles maisons en territoire occupé en Cisjordanie, contrairement aux résolutions des Nations unies. Des gens sur le terrain doivent raconter ce qui se passe là-bas. S'ils se font tuer, plus personne ne pourra raconter ce qui se passe là-bas. Nous n'aurons qu'une seule version, soit la version officielle des autorités gouvernementales. Ce n'est pas ce que nous voulons.
Des journalistes se sont fait tuer en Ukraine à cause de l'invasion illégale et brutale de la Russie de Vladimir Poutine. Ce dernier a tué des journalistes et des opposants politiques dans son pays. Il s'attaque maintenant à des journalistes en Ukraine et les tue. On dénonce ces meurtres de manière forte et virulente et on doit le faire. Or, quand cela arrive à une journaliste palestinienne, c'est le silence.
On doit être respectueux, équitable et cohérent. Le travail journalistique est important partout: en Ukraine, en Russie, en Palestine, en Israël, au Yémen, en Arabie‑Saoudite, en France, en Angleterre, aux États‑Unis, au Canada et au Québec. Bref, il est important partout et pour tout le monde. Je trouve cela très important de dire ici haut et fort que le NPD veut soutenir une presse libre et indépendante qui peut agir en sécurité. Les journalistes doivent pouvoir faire leur travail sans être visés par un régime qui s'attaque à eux et à elles et qui peut parfois les tuer ou porter atteinte à leur sécurité.
Le projet de loi C‑18 qui nous concerne aujourd'hui est très important, car, comme je l'ai dit tantôt, il essaie de corriger un pillage du travail journalistique et des nouvelles en raison duquel nous avons perdu énormément de nos capacités de raconter ce qui se passe dans nos communautés. Depuis des années, le NDP travaille avec les fédérations de journalistes et les syndicats de journalistes pour mettre en avant cette idée. Finalement, c'est arrivé. Est-il trop tard? Ce ne l'est pas pour ceux qui sont encore là dans les salles de nouvelles. Peut-être y en a-t-il beaucoup qui sont malheureusement disparus.
Je veux quand même donner des chiffres. Au Canada, 450 médias d'information ont fermé leurs portes entre 2008 et 2021. Ce n'est pas rien. De plus, 78 % des gens ont accès aux nouvelles en ligne, souvent par le truchement de ces agrégateurs des grandes compagnies. Aussi, 13 % des revenus des entreprises de nouvelles proviennent de la publicité en ligne ou des abonnements, ce qui n'est pas énorme.
Cependant, les revenus publicitaires en ligne de Google et de Facebook s'élevaient à près de 10 milliards de dollars en 2020 au Canada. Si on combine les parts, Google et Facebook gagnent 80 % des revenus. Depuis des années, non seulement le gouvernement n'achetait plus de publicité dans nos hebdos et nos journaux locaux ou régionaux, mais il achetait de la publicité à Facebook et à Google. Non seulement on n'aidait pas le travail journalistique, mais, en plus de cela, les fonds publics servaient à financer ces grandes entreprises étrangères, souvent américaines, pour mettre en avant les nouvelles que le gouvernement fédéral voulait mettre en avant. C'est absolument incroyable.
Le gouvernement fédéral n'a doublement pas aidé les salles de nouvelles. Il les a laissées doucement disparaître à cause des pertes de revenus qu'elles subissaient et en plus de cela il n'y avait pas d'apport ni d'aide directe sous forme d'achat de publicité. Depuis des années, ce n'est pas l'abonnement à un journal ou l'achat de journaux qui fait que le journal est rentable. Ce sont les revenus publicitaires qui font qu'un média est rentable. Or les revenus publicitaires ont changé de provenance. Ils ne viennent plus des stations de radio locales, des hebdos ou des quotidiens; ils viennent des sites Web. Ces sites Web, qui sont la propriété de grands médias la plupart du temps, pillent le travail journalistique des autres.
Finalement, le gouvernement libéral a entendu raison et s'est dit qu'il fallait peut-être penser à régler le problème puisqu'on avait perdu plus de 450 salles de nouvelles et des centaines d'emplois. On a regardé ce qui se faisait à l'étranger. Le modèle australien force la négociation entre les médias qui produisent les nouvelles et les géants du Web qui les utilisent pour les mettre sur leur plateforme et les diffuser.
Ce qui est important pour le NPD, c'est la possibilité d'une négociation collective. Il ne faut pas que les médias indépendants locaux ou régionaux soient seuls face à ces géants que sont Facebook, Google et les autres. Ils doivent pouvoir se regrouper pour parler d'une même voix et obtenir des ententes équitables. C'est vraiment le nerf de la guerre, et c'est ce qui va être extrêmement difficile à entendre.
Il faut que ces ententes soient également publiques et transparentes, parce qu'il faut être en mesure de se comparer. Il faut savoir exactement ce que le géant du Web a payé pour l'utilisation de tel contenu, de tel pourcentage, pour telle quantité d'articles, pour chaque année, dans tel marché et avec tel auditoire. Si on n'a pas cette information, tout le monde va négocier à l'aveuglette et ce sera extrêmement difficile. Tout le monde sera extrêmement désavantagé.
Il faut donc établir un rapport de force équitable, avoir la possibilité d'une négociation collective et avoir une transparence dans les clauses de ces ententes. On ne peut pas juste dire que c'est un secret commercial, ou je ne sais pas quoi. Il faut faire en sorte que cela soit connu et public, pour que les gens puissent se comparer et avoir un juste revenu pour l'utilisation de leur travail.