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JURI Rapport du Comité

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CHAPITRE 3 - MODIFICATIONS AU CODE CRIMINEL

CONTEXTE

Comme il a été dit dans ce rapport, les lois et les programmes fédéraux et provinciaux prévoient une panoplie de services et de mesures de redressement pour les victimes. Plusieurs participants dans notre processus de consultation ont toutefois noté des lacunes dans la législation fédérale et nous ont recommandé qu'un certain nombre de modifications soient apportées au Code criminel. Afin de procéder à l'examen ordonné de certaines de ces recommandations, nous allons passer brièvement en revue les dispositions du Code criminel actuelles qui sont destinées à aider les victimes dans les méandres du système de justice pénale.

Les dispositions actuelles du Code criminel et leurs modifications éventuelles seront examinées en les regroupant en cinq grandes catégories, soit celles visant à :

    1. Protéger les victimes contre l'intimidation ou les préjudices corporels;

    2. Subvenir aux besoins spéciaux des victimes en tant que témoins;

    3. Donner aux victimes le droit de participer dans le processus;

    4. Réparer le préjudice subi par les victimes;

    5. Lever des fonds pour financer les services fournis aux victimes, de façon générale.

PROTECTION CONTRE L'INTIMIDATION OU LES PRÉJUDICES CORPORELS

Plusieurs modifications ont été apportées au Code criminel au cours des cinq dernières années pour réduire, au moyen d'ordonnances préventives diverses, le risque que certains individus ne causent un préjudice corporel. Par exemple, dans le cas où une personne âgée de moins de 14 ans est déclarée coupable d'une infraction d'ordre sexuel, le tribunal qui lui inflige une peine peut, en vertu de l'article 161, interdire au contrevenant de se trouver sur un terrain d'école ou un terrain de jeu ou dans d'autres lieux publics que fréquentent normalement des enfants. Le tribunal peut aussi interdire au contrevenant d'accepter un emploi rémunéré ou un travail bénévole qui le placerait en relation de confiance ou d'autorité vis-à-vis un enfant. Les dispositions relatives à l'engagement à ne pas troubler l'ordre public, soit l'article 810 (crainte de blessures ou de dommages aux biens) et l'article 810.2 (crainte de sévices graves à la personne), permettent aux tribunaux d'ordonner au défendeur « de ne pas troubler l'ordre public et d'observer une bonne conduite » s'ils sont convaincus que les craintes du dénonciateur sont fondées sur des motifs raisonnables. L'article 810 a été modifié en 1995 pour en élargir la portée de sorte qu'un juge doit considérer s'il est souhaitable pour des raisons de sécurité d'interdire au défendeur de posséder une arme12. L'article 810.2, qui a été adopté plus récemment comporte une telle exigence depuis son adoption13. Des obligations similaires ont été imposées aux tribunaux lorsqu'ils considèrent une demande judiciaire pour mise en liberté provisoire. Par exemple, l'article 515 du Code criminel oblige le juge qui impose un cautionnement dans le cas où le prévenu est inculpé de harcèlement criminel ou d'une autre infraction « perpétrée avec usage, tentative ou menace de violence contre la personne » de rendre également une ordonnance interdisant la possession d'armes.

Malgré ces garde-fous, les tribunaux peuvent toujours accorder la mise en liberté provisoire par voie judiciaire sans qu'il ne soit pris en compte les craintes légitimes de la victime ou les conditions requises pour les résoudre. Comme l'a indiqué Peter Quinn, de la GRC :

« [...] ils n'imaginent pas la crainte que ressent la victime lors des audiences de justification parce que les déclarations des victimes sont présentées lors du prononcé de la peine et non pas lors des audiences de justification en vue de la libération. Il n'y a donc pas moyen de porter le problème à la connaissance du juge ».

Par ailleurs, le Code criminel ne prévoit aucune mesure pour informer le plaignant de la mise en liberté, avant le procès, de l'accusé et des conditions, s'il en est, de la mise en liberté. Afin d'offrir une meilleure protection aux victimes pendant le procès d'une cause en matière de lésions corporelles ou de violence conjugale, le Comité est favorable à la mise en place d'un processus de consultation. S'ils sont informés des risques que comporte, selon la victime, la mise en liberté de l'accusé, les tribunaux devraient être plus en mesure de déterminer si celle-ci doit être refusée ou si on peut assortir la mise en liberté de conditions pour limiter les risques. De la même façon, les victimes qui sont à tout le moins informées de la mise en liberté d'un accusé et des conditions dont elle est assortie devraient être plus en mesure de se prémunir contre l'intimidation ou la victimisation. Par conséquent, le Comité recommande que les ministres fédéral, provinciaux et territoriaux responsables de la justice envisagent des moyens pour faire en sorte que les victimes soient informées de ces mises en liberté et des conditions s'y rattachant.

RECOMMANDATION 6

Le Comité recommande que les dispositions du Code Criminel relatives à la mise en liberté provisoire par voie judiciaire soient modifiées afin d'obliger le juge à examiner; par l'intermédiaire du procureur de la Couronne, les craintes éventuelles du plaignant concernant sa sécurité ainsi que la nature et l'étendue des conditions auxquelles devrait être assujettie une telle mise en liberté dans ce contexte.

SUBVENIR AUX BESOINS DES TÉMOINS

Le Code criminel contient un certain nombre de dispositions destinées à subvenir aux besoins des témoins qui sont très souvent aussi des victimes. Par exemple, le paragraphe 486(2.1) permet aux jeunes plaignants dans le cadre de procès pour voies de fait ou pour infractions d'ordre sexuel de témoigner derrière un écran ou à l'extérieur de la salle d'audience en circuit fermé. L'article 715.1 permet en outre d'admettre en preuve dans de telles causes un enregistrement vidéo réalisé dans un délai raisonnable après la perpétration de l'infraction reprochée. En vertu de l'article 486, les tribunaux qui entendent les affaires criminelles peuvent interdire la publication ou la diffusion de renseignements qui permettraient de découvrir l'identité du plaignant ou celle d'un témoin dans les procès relatifs à une infraction d'ordre sexuel. Des modifications apportées à l'article 486 en 1993 montrent que l'on veille à ce que soit sauvegardé l'intérêt des témoins âgés de moins de quatorze ans en permettant aux juges d'écarter de la salle d'audience des membres du public dans les procédures relatives à une infraction d'ordre sexuel ou dans laquelle est alléguée l'utilisation, la tentative ou la menace de violence14. D'autres modifications contenues dans le même projet de loi interdisent à l'accusé de procéder lui-même, dans de telles procédures, au contre-interrogatoire d'un témoin qui est âgé de moins de quatorze ans, sauf si le tribunal est d'avis que la bonne administration de la justice l'exige. Afin de mieux combattre la prostitution infantile, des modifications ont été apportées en 1997 aux articles 486 et 715.1 pour que les dispositions permettant le témoignage derrière un écran et celles permettant l'admission en preuve d'un enregistrement vidéo s'appliquent également aux témoins âgés de moins de dix-huit ans dans les poursuites d'infractions de proxénétisme15.

Enfin, pour mieux protéger l'intimité et les droits à l'égalité des victimes, les modifications de 1997 apportées au Code criminel ont restreint l'accès du défendeur au dossier médical ou thérapeutique du plaignant dans une poursuite d'infraction d'ordre sexuel. Avant d'ordonner la communication d'un tel dossier, les tribunaux doivent être convaincus que le dossier est vraisemblablement pertinent quant à un point en litige ou à l'habilité d'un témoin à témoigner et que sa communication sert les intérêts de la justice16. Cette modification cadre bien avec les limites qu'impose depuis longtemps le Code criminel sur l'admissibilité de la preuve concernant le comportement sexuel du plaignant pour le discréditer dans une poursuite pour agression sexuelle17.

Un certain nombre de propositions qui nous ont été faites recommandaient d'étendre l'application de certaines de ces dispositions du Code criminel à un plus grand nombre de témoins pour leur permettre de témoigner plus facilement. Joanne Marriott-Thorne, de la Division des services aux victimes de la Nouvelle-Écosse, a recommandé d'augmenter l'âge limite au paragraphe 486(2.3) pour restreindre le contre-interrogatoire par l'accusé des témoins qui ont au moins dix-huit ans18. Le Centre canadien de ressources pour les victimes de crime propose que soit étendue l'application de la protection à tous les plaignants d'agressions sexuelles quel que soit leur âge19. Le Centre propose en outre que la limite d'âge passe de quatorze à dix-huit ans concernant les autres mesures de protection prévues par l'article 486, notamment l'exclusion du public de la salle d'audience et le droit d'être accompagné par une personne de confiance20.

Le Comité estime que la façon dont les victimes et les témoins sont traités dans un procès aura une influence sur le bon vouloir des Canadiens de dénoncer les crimes et/ou de témoigner. Toutefois, nous sommes convaincus qu'il faille que les limites qui pourraient être imposées à la liberté d'expression et à d'autres libertés protégées par la Constitution soient compatibles avec l'article 1 de la Charte canadienne des droits et libertés. Le Comité estime que l'on pourrait justifier l'application de certaines mesures de protection à des témoins âgés de plus de quatorze ans mais de moins de dix-huit ans, compte tenu de la situation vulnérable de ce groupe que reflètent les dispositions du Code criminel prévoyant des infractions visant leur protection. Nous sommes convaincus notamment que les jeunes témoins sont plus susceptibles d'être intimidés par la possibilité de faire l'objet d'un contre-interrogatoire portant sur certaines questions en présence des médias ou d'étrangers, surtout si c'est l'accusé(e) qui procède à ce contre-interrogatoire. C'est pourquoi le Comité est favorable à l'augmentation de la limite d'âge prévue au paragraphe 486(2.3) de sorte que l'accusé(e) ne puisse procéder au contre-interrogatoire d'un témoin qui est âgé de moins de dix-huit ans. Le Comité est favorable à ce qu'une modification semblable soit apportée au paragraphe 486(1.1) pour étendre la juridiction du tribunal pour qu'il puisse écarter de la salle d'audience des membres du public dans les procès relatifs à une infraction d'ordre sexuel ou à une infraction dans laquelle est alléguée l'utilisation, la tentative ou la menace de violence, lorsque le témoin est âgé de moins de dix-huit ans.

RECOMMANDATION 7

Le Comité recommande que le Code criminel soit modifié pour permettre les ordonnances d'exclusion et empêcher que l'accusé procède lui-même au contre-interrogatoire d'un témoin âgé de moins de dix-huit ans, plutôt que quatorze ans comme c'est le cas à l'heure actuelle, au cours d'un procès relatif à des infractions précises.

Le Groupe de travail fédéral-provincial-territorial sur les victimes d'actes criminels a discuté de la possibilité d'améliorer les dispositions du Code criminel visant à protéger l'identité des plaignants21. Après avoir exprimé certaines inquiétudes concernant les conséquences en regard de la Charte que comporte une plus grande restriction de la liberté d'expression, le Groupe de travail a recommandé que le ministère de la Justice considère la possibilité de consacrer par voie législative le pouvoir discrétionnaire qu'ont les tribunaux en « common law » d'interdire la publication ou la diffusion de renseignements22. Toutefois, le Comité craint que le pouvoir discrétionnaire des tribunaux en « common law » soit trop limité pour satisfaire les besoins des plaignants ou des témoins, compte tenu de l'accent qu'il met sur la nécessité d'écarter « le risque réel et important que le procès soit inéquitable »23.

Le Comité consultatif des services aux victimes de l'Île-du-Prince-Édouard a récemment considéré un document de travail préparé par Ellie Reddin pour orienter la discussion sur la question de savoir s'il est opportun d'élargir l'interdiction de publication ou de diffusion de renseignements prévue actuellement aux paragraphes 486(3) et (4) du Code criminel et, le cas échéant, sur les modalités24. Le document fait valoir que le droit des victimes au respect de leur « dignité et de leur intimité » n'a « aucune valeur s'il ne peut au moins s'appliquer à l'interdiction que soient publiés ou diffusés des renseignements touchant l'identité du plaignant ou d'un témoin » sur demande. Le document fait aussi valoir que « la réticence des victimes ou des témoins d'un crime à le rapporter aux autorités ou à témoigner parce qu'ils ne désirent pas que leur identité soit publiée ou diffusée par les médias ne sert en rien les intérêts de la société ».

Le Comité reconnaît qu'il puisse y avoir des cas où la publication ou la diffusion de l'identité d'un témoin ou d'une victime dans le cadre de presque tous les procès relatifs à un acte criminel pourrait causer un préjudice irréparable. C'est pourquoi nous proposons que soient apportées des modifications législatives permettant au tribunal d'interdire la publication ou la diffusion de renseignements identifiant la victime ou des témoins, s'ils en font la demande ou qu'une autre personne en fait la demande en leur nom. Contrairement aux mesures actuelles prévues au paragraphe 486(4) traitant de l'interdiction de publication ou de diffusion dans les cas d'infractions d'ordre sexuel, la nouvelle version de la disposition permettrait au tribunal de rendre, à sa discrétion, une ordonnance d'interdiction dans tous les cas, sur la base de critères déterminés. Le juge serait ainsi tenu avant de rendre sa décision de prendre en compte un certain nombre de facteurs, dont ceux énumérés dans l'avant-projet de loi proposé dans le document que le Comité consultatif de l'Î.-P.-É. a examiné, soit, entre autres, l'intimité des témoins ou du plaignant, la nécessité de les protéger contre l'intimidation, l'embarras ou des représailles et le droit de l'accusé à un procès équitable.

RECOMMANDATION 8

Le Comité recommande que le Code criminel soit modifié pour permettre à un juge d'interdire la publication ou la diffusion de renseignements permettant d'identifier une victime, un plaignant ou un témoin, si le juge est convaincu que leur publication ou diffusion causerait un préjudice indu à la victime, au plaignant ou au témoin et que l'interdiction ne brimerait pas les droits de l'accusé ni ne nuirait à la bonne administration de la justice.

PARTICIPATION DES VICTIMES

En 1988, le projet de loi C-89 a modifié le Code criminel pour permettre aux tribunaux de prendre en considération la déclaration de la victime « [p]our déterminer la peine à infliger »25. L'article 722 prévoit que la déclaration doit être faite « selon la forme et en conformité avec les règles prévues par le programme » désigné par le lieutenant-gouverneur en conseil de la province compétente. Si la victime est décédée, malade ou incapable, la définition de « victime » assimile à la victime son conjoint, un parent ou toute personne aux soins de laquelle elle est confiée ou qui est chargée de son entretien, ou une personne à sa charge. Les modifications apportées en 1995 à la Loi sur les jeunes contrevenants ont permis la prise en compte des déclarations des victimes par les tribunaux pour adolescents en incorporant les dispositions applicables du Code criminel26. Le législateur a réorganisé la partie XXIII du Code criminel au moyen d'autres modifications législatives apportées en 1995, de sorte que le nombre de dispositions a augmenté pour prévoir des règles de preuve et de procédure aux fins de la détermination de la peine27. Par suite de cette modification, le tribunal qui détermine la peine doit maintenant, en vertu de l'article 722, prendre en considération la déclaration de la victime rédigée en conformité avec la loi et déposée auprès de celui-ci. La version antérieure de cette disposition disait simplement que le tribunal pouvait prendre en considération semblable déclaration. Malgré cette modification, le juge qui détermine la peine peut toujours exercer sa discrétion à l'égard de la valeur probante qui doit être accordée à la déclaration d'une victime, mais il doit au moins la prendre en considération. Enfin, les déclarations des victimes ont été prévues dans les dispositions du Code criminel relatives aux demandes de réduction du délai préalable à la libération conditionnelle28. Ainsi, le jury doit considérer tout renseignement fourni par la victime pour décider s'il y a lieu de réduire le délai préalable à la libération conditionnelle des personnes condamnées pour meurtre au premier ou au deuxième degré29.

Il y a un appui généralisé pour l'utilisation des déclarations des victimes dans l'administration de la justice pénale. Un certain nombre de participants dans nos travaux ont critiqué certains aspects de la loi actuelle et les pratiques touchant la présentation et l'utilisation de telles déclarations. Par exemple, le Centre canadien de ressources pour les victimes de crime et MADD ont exprimé le point de vue selon lequel les victimes devraient pouvoir présenter leur déclaration sous forme orale si elles le désirent30.

Le Comité reconnaît que certaines victimes peuvent tirer de nouveaux avantages en s'adressant directement au tribunal et au contrevenant pour faire valoir leur point de vue sur leur victimisation. Par ailleurs, il a été porté à la connaissance du Comité que des déclarations de victimes présentées sous forme orale ont déjà été acceptées par certains tribunaux, bien qu'il semble que cette pratique ne soit pas courante31. Par conséquent, le Comité préconise de modifier le Code criminel pour permettre à la victime de présenter elle-même ou par d'autres moyens sa déclaration en preuve sous forme orale.

RECOMMANDATION 9

Le Comité recommande que le Code criminel soit modifié pour donner expressément le droit aux victimes de présenter elles-mêmes ou par d'autres moyens leur déclaration sous forme orale, à condition que l'accusé en ait reçu préalablement une copie.

Des problèmes ont été relevés concernant le moment opportun pour la divulgation de la déclaration de la victime. Cette question a aussi attiré l'attention du Groupe de travail fédéral-provincial-territorial sur les victimes d'actes criminels32. Selon le rapport provisoire du Groupe, les dispositions actuelles du Code criminel exigent du greffier du tribunal qu'il fournisse à l'accusé une copie de la déclaration de la victime « dès le dépôt de celle-ci, plutôt qu'après la condamnation ». Toutefois, la directrice de la Division des services aux victimes de la Nouvelle-Écosse, Joanne Marriott-Thorne, a souligné lors de notre Forum national ce qui suit :

« la déclaration des victimes ne devrait servir qu'à déterminer la peine encourue. Elle ne devrait pas servir de preuve pendant le procès. »

En raison du risque que la déclaration de la victime soit utilisée, à titre d'exemple, pour attaquer la crédibilité de la victime, le Programme des services aux victimes de la Nouvelle-Écosse ont adopté la pratique de ne pas déposer la déclaration avant la déclaration de culpabilité. Cette solution présente l'inconvénient qu'il se pourrait que la déclaration ne soit jamais utilisée à moins qu'il ne soit accordé un ajournement pour permettre le dépôt de celle-ci. Dans un document de travail de 1997, Ellie Reddin, coordonatrice des services aux victimes de l'Île-du-Prince-Édouard, s'est dite préoccupée par la question de l'utilisation de déclarations de victimes à l'enquête préliminaire ou au procès et a examiné la procédure utilisée dans d'autres provinces33. Des modifications à l'article 722.1 sont proposées dans le document de l'Î.-P.-É. aux termes desquels on aurait l'obligation de fournir des copies de la déclaration de la victime au contrevenant ou à son avocat ainsi qu'au poursuivant « aussitôt que possible après la condamnation ».

Le Comité reconnaît que les dispositions actuelles du Code criminel visent à permettre l'utilisation de la déclaration de la victime au moment de la détermination de la peine et non pas durant le procès. Nous souscrivons à la solution proposée par l'Î.-P.-É. parce qu'elle protégerait l'intimité de la victime tout en permettant la communication complète de la déclaration au défendeur avant la détermination de la peine.

RECOMMANDATION 10

Le Comité recommande que le Code criminel soit modifié afin d'exiger que la déclaration de la victime soit communiquée au contrevenant ou à son avocat ainsi qu'au poursuivant aussitôt que possible après une déclaration de culpabilité.

Le Centre canadien de ressources pour les victimes de crime a exprimé une plainte encore plus importante concernant les déclarations des victimes : dans de nombreux cas, on ne donne pas l'occasion à la victime de présenter une déclaration et elle n'est même pas informée de son droit de présenter une déclaration34. Le Comité reconnaît qu'il y a des différences considérables sur la façon dont différentes collectivités fournissent l'occasion à la victime de participer à la détermination de la peine. Selon le Groupe de travail, seulement la moitié des juridictions disposent de programmes « désignés » pour les déclarations des victimes et dans certains cas, l'absence d'un tel programme « a poussé les juges à rejeter la déclaration qui avait été préparée »35.

Afin que les victimes puissent se prévaloir du droit de se servir de telles procédures conformément au Code criminel, MADD a proposé que soit accordé à la victime le « pouvoir de faire reporter une audience d'imposition de la peine »36. Le Comité ne souhaite pas alourdir davantage les délais dans le système de justice pénale mais il y a, selon nous, du mérite à ce que le système encourage les tribunaux à chercher activement à obtenir une déclaration de la victime. À cette fin, le Comité propose que le Code criminel soit modifié pour faire en sorte que le juge qui détermine la peine soit tenu de demander au procureur de la Couronne si on a donné l'occasion à la victime de préparer une déclaration et, dans la négative, d'accorder un ajournement à cette fin.

RECOMMANDATION 11

Le Comité recommande que le Code criminel soit modifié pour obliger le juge qui détermine la peine par suite d'une déclaration de culpabilité à l'égard de toute infraction de demander au procureur de la Couronne si on a donné l'occasion à la victime de préparer et de présenter une déclaration de la victime sur les répercussions du crime et d'accorder un ajournement à cette fin s'il est convaincu que cela ne nuira pas à la bonne administration de la justice.

DÉDOMMAGEMENT/RESTITUTION DE BIENS

Des modifications apportées en 1995 à la partie XXIII du Code criminel comportent des changements dans les recours et les mesures de redressement pour réparer les pertes financières subies par les victimes d'actes criminels. Par exemple, l'article 738 permet au tribunal qui inflige la peine d'ordonner le versement de dommages-intérêts pour la perte de biens ou le dommage qui leur a été causé et de dommages-intérêts pour les dommages pécuniaires, notamment la perte de revenu, imputables aux blessures corporelles. Dans les cas de violence domestique causant des blessures corporelles ou comportant des menaces de blessures corporelles, le tribunal peut en outre ordonner à l'accusé de verser « des dommages-intérêts non supérieurs aux frais d'hébergement, d'alimentation, de transport et de garde d'enfant » qu'une personne demeurant avec le délinquant, notamment son conjoint ou un de ses enfants « a réellement engagés pour demeurer ailleurs provisoirement ». L'article 739 permet en outre au tribunal d'ordonner que soient versés des dommages-intérêts au tiers agissant de bonne foi qui avait acheté des biens ou prêté de l'argent en prenant des biens en garantie si ceux-ci ont été restitués à leur propriétaire ou à la personne qui avait droit à leur possession légitime. En vertu de l'article 740, le tribunal qui inflige une peine rend d'abord une ordonnance de dédommagement avant de rendre une ordonnance de confiscation ou d'infliger une amende, surtout s'il estime que le délinquant n'aurait pas les moyens, à la fois, de se conformer à l'ordonnance de dédommagement et de payer l'amende. Enfin, l'article 741 permet au bénéficiaire d'une ordonnance de dédommagement à laquelle il n'a pas été satisfait de faire exécuter l'ordonnance comme s'il s'agissait d'un jugement rendu aux termes d'une action civile. L'article 741.2 énonce clairement que l'ordonnance de dédommagement ne porte pas atteinte au recours civil fondé sur le même acte ou la même omission.

Malgré ces dispositions du Code criminel, Joanne Marriott-Thorne s'est exprimée ainsi lors du Forum national :

« Pour ce qui est du degré de satisfaction envers l'appareil judiciaire pénal, le fait que le dédommagement n'est pratiquement jamais ordonné et encore moins versé lorsqu'il l'est, cause chez la majorité des victimes d'énormes frustrations ».

Au cours de la même discussion, Priscilla de Villiers, de CAVEAT, a souligné que le versement d'un dédommagement dans les cas appropriés peut satisfaire un besoin « de justice et de réparation » pour la victime, tandis que selon Steve Sullivan, du Centre canadien de ressources pour les victimes de crime, il peut aider les contrevenants à se responsabiliser. Selon le Comité, l'atteinte de ces buts pourrait avoir pour effet de rétablir la confiance du public dans leur système de justice. Toutefois, l'ordonnance de dédommagement peut avoir l'effet contraire dans les cas où la victime n'a aucun espoir de la faire respecter.

Des suggestions ont été faites pour que ce soit l'État qui soit tenu de dédommager les victimes lorsqu'un contrevenant est dans l'impossibilité de le faire, mais le Comité partage l'avis de ceux qui plaident pour qu'un plus grand effort soit fait pour recouvrer le paiement des dommages-intérêts des contrevenants eux-mêmes. En plus de créer une dette financière potentiellement considérable pour les contribuables, le fait de prélever les dommages-intérêts sur les fonds publics n'aiderait pas à tenir les contrevenants responsables de leurs actions. Même s'il est vrai que le dédommagement est impossible dans certaines circonstances, le Comité souscrit au point de vue selon lequel les « ordonnances de dédommagement n'avantagent pas les victimes autant qu'elles le pourraient idéalement et ne les avantagent pas de la façon prévue par la loi »37. Pour remédier à cette situation, le Centre canadien de ressources pour les victimes de crime propose qu'on offre des services d'avocat de l'Aide juridique aux victimes dans le but de les aider à faire respecter les ordonnances de dédommagement38. Comme solution de rechange, le Comité propose que les ressources du Bureau des victimes d'actes criminels qu'on se propose d'établir soient mises à la disposition des provinces et des Territoires pour les aider à obtenir de l'information et à élaborer des stratégies pour les organismes locaux qui peuvent aider les victimes à exercer leurs recours civils, si nécessaire.

RECOMMANDATION 12

Le Comité recommande que le Bureau pour les victimes d'actes criminels dont on propose l'établissement aide les provinces et les Territoires à élaborer des stratégies et des ressources permettant aux organismes locaux d'aider les victimes à obtenir l'exécution des ordonnances de dédommagement.

SURAMENDE COMPENSATOIRE

L'article 737 du Code criminel est une autre disposition du projet de loi C-89 qui est entré en vigueur en juillet 1989. Il prévoit une « suramende compensatoire » pour le contrevenant qui est condamné ou absous à l'égard d'une infraction en vertu du Code criminel ou de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, en plus de toute autre peine qui lui est infligée. Le montant de la suramende compensatoire ne peut dépasser 15 p. 100 de l'amende qui est infligée pour l'infraction ou 35 $ si aucune amende n'est infligée39. Plutôt que d'enjoindre que les suramendes compensatoires soient versées à un destinataire particulier, l'article 737 énonce qu'elles « sont affectées à l'aide aux victimes d'actes criminels en conformité avec les instructions du lieutenant-gouverneur en conseil de la province où elles sont infligées ».

Selon ce que nous a souligné le ministère de la Justice de la Nouvelle-Écosse, Justice Canada prévoyait « qu'un montant beaucoup plus élevé de suramendes compensatoires serait perçu annuellement que celui qui a été obtenu depuis l'entrée en vigueur de ces dispositions en 1989 »40. La perte de revenu semble se produit lorsque les juges omettent, par inadvertance, d'imposer la suramende. Pour augmenter le produit tiré des suramendes prévues par le Code criminel, la plupart des gouvernements provinciaux et territoriaux ont prévu l'imposition de suramendes similaires à l'égard des amendes payables pour des infractions prévues par leurs lois. Néanmoins, on a dit au Comité que « l'absence de financement est un facteur majeur lorsque des mesures sont prises pour subvenir aux besoins des victimes de crime »41. Le Comité a reçu plusieurs suggestions pour accroître le financement tiré des dispositions du Code criminel. Par exemple, le ministère de la Justice de la Nouvelle-Écosse a recommandé une suramende obligatoire d'un montant minimal de 15 p. 100 à l'égard de toute amende et de 50 $ et 100 $, à l'égard des dispositions sur les infractions punissables par procédure sommaire et les actes criminels, respectivement. La Nouvelle-Écosse a aussi proposé que soient ajoutées à la Loi sur les jeunes contrevenants les dispositions relatives à la suramende. Tout en étant favorable aux mêmes montants minimums de suramende obligatoire, le Groupe de travail fédéral-provincial-territorial a aussi recommandé que les ministres « envisage[nt] d'infliger une suramende compensatoire aux jeunes délinquants »42. Comme solution de rechange, Suzanne Dahlin, de la Division des services aux victimes de la Colombie-Britannique, a affirmé qu'on pourrait générer des revenus supplémentaires en augmentant le montant maximal de la suramende et en établissant un mécanisme pour la rendre automatique43.

Le Comité estime que des ressources supplémentaires sont nécessaires pour fournir des services convenables aux victimes d'actes criminels et que la modification aux dispositions du Code criminel relatives aux suramendes compensatoires constitue un moyen approprié de générer les fonds requis. Nous sommes en outre d'avis que des augmentations de suramendes de l'ordre de celles qui ont été proposées sont justifiées, surtout si l'on tient du fait que les montants maximaux des suramendes n'ont pas augmenté depuis 1989. Toutefois, tandis que l'imposition de montants minimums de suramendes seraient simples à administrer, il semble que l'imposition automatique ou réputée de la suramende causerait des difficultés excessives ou constituerait une charge trop onéreuse dans certaines circonstances. C'est pourquoi nous croyons qu'il devrait être laissé à la discrétion des juges de s'abstenir de condamner au paiement d'une suramende dans les cas appropriés.

RECOMMANDATION 13

Le Comité recommande que le Code criminel et la Loi sur les jeunes contrevenants soient modifiés afin de permettre l'imposition automatique d'une suramende compensatoire d'un montant minimum obligatoire que le juge qui détermine la peine pourrait, sur demande et à condition d'en aviser la Couronne, annuler pour éviter que ne soit causé un préjudice indu à l'égard du contrevenant.

Le Comité estime que les ministres provinciaux et territoriaux responsables de la justice devraient se pencher au plus tôt sur les différentes utilisations possibles des recettes supplémentaires découlant des changements apportés aux dispositions du Code Criminel portant sur la suramende, en cette ère d'austérité budgétaire.


12 L.C. 1995, ch. 39, art. 157.

13 L.C. 1997, ch. 17, art. 9.

14 L.C. 1993, ch. 45, art. 7.

15 L.C. 1997, ch. 16, art. 7.

16 Code criminel, art. 278.7.

17 Code criminel, art. 276.

18 Mémoire présenté au comité, p. 32.

19 Équilibrer la balance (1998), p. 37.

20 Ibid., p. 37.

21 Groupe de travail fédéral-provincial-territorial sur les victimes d'actes criminels, Rapport provisoire présenté aux ministres responsables de la Justice, novembre 1997, p. 43.

22 Ibid., p. 44. Le Groupe de travail a fait observer que la constitutionnalité d'une telle mesure a été maintenue, mais qu'une mesure additionnelle d'interdiction de publication devra « être suffisamment justifiée en vertu de l'article 1 de la Charte ».

23 Voir Dagenais c. CBC, [1994] 3 R.C.S. 835, p. 878.

24 « Proposal for an Extension of the Publication Ban on the Identity of Victims and Witnesses », février 1998.

25 Loi modifiant le Code criminel (victimes d'actes criminels) L.R.C. (1985), ch. 23 (4e suppl.).

26 Loi modifiant la Loi sur les jeunes contrevenants et le Code criminel, L.C. (1995), ch.19.

27 Loi modifiant le Code criminel (détermination de la peine) et d'autres lois en conséquence, L.C. (1995), ch. 22.

28 L'article 745.6 du Code criminel donne un recours limité aux tribunaux à la personne déclarée coupable de meurtre lui permettant de demander la réduction de la peine d'emprisonnement qu'elle doit purger avant d'être admissible à sa libération conditionnelle.

29 Code criminel, alinéa 745.63(1)(d).

30 Équilibrer la balance (1998), p. 33. « Mothers Against Drunk Driving », 15 juillet 1998, mémoire présenté au comité, p. 4.

31 Rapport provisoire (1997), p. 42.

32 Ibid., p. 42.

33 « Filing of Victim Impact Statements », septembre 1997.

34 Équilibrer la balance (1998), p. 27.

35 Rapport provisoire (1997), p. 42.

36 « Mothers Against Drunk Driving » (avril 1998), mémoire présenté au comité, p. 5. Voir aussi Équilibrer la balance (1998), p. 54.

37 Équilibrer la balance (1998), p. 32.

38 Ibid., p. 33.

39 Règlement sur la suramende compensatoire, SOR/89-366.

40 Mémoire présenté au comité, p. 34.

41 Ibid., p. 35.

42 Rapport provisoire (1997), p. 41.

43 Procès-verbal du comité, 14 mai 1998, à .0955.