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SCRA Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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SUB-COMMITTEE ON CORRECTIONS AND CONDITIONAL RELEASE ACT OF THE STANDING COMMITTEE ON JUSTICE AND HUMAN RIGHTS

SOUS-COMITÉ SUR LA LOI SUR LE SYSTÈME CORRECTIONNEL ET LA MISE EN LIBERTÉ SOUS CONDITION DU COMITÉ PERMANENT DE LA JUSTICE ET DES DROITS DE LA PERSONNE

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le jeudi 4 mars 1999

• 1004

[Traduction]

Le président (M. Paul DeVillers (Simcoe-Nord, Lib.)): La séance est ouverte. Il s'agit du sous-comité chargé d'étudier la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition du Comité permanent de la justice et des droits de la personne. Notre sous-comité a donc été chargé d'étudier cette Loi et nous accueillons aujourd'hui Megan Arundel et Beth Parkinson, qui représentent Prisoners' Legal Services.

• 1005

Je vous remercie d'avoir pris le temps de venir faire cet exposé au sous-comité. On a dû vous dire que nous nous attendons à un exposé de cinq minutes, mais cette durée n'est pas impérative. Ne vous sentez pas limité, car je ne vous couperai pas la parole au bout de cinq minutes. Nous aurons ensuite une période de vingt minutes pour les questions des membres du comité. Vous pourrez évidemment revenir sur vos principaux arguments au cours de cette période des questions.

Si vous êtes prêtes, allez-y.

Mme Megan Arundel (avocate juridique, Prisoners' Legal Services): Beth Parkinson et moi-même représentons Prisoner's Legal Services, qui est une succursale de la Société des services juridiques de Colombie-Britannique. Nous fournissons une assistance juridique aux prisonniers et aux bénéficiaires d'une libération conditionnelle du bas de la vallée du Fraser, tant au fédéral qu'au provincial. Nous avons chacune différentes préoccupations à vous soumettre.

Les personnes condamnées à une peine de prison de plus de deux ans sont normalement détenues dans un pénitencier fédéral, mais aux termes de l'article 16 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, elles peuvent être transférées dans un établissement provincial. Le Canada et la Colombie-Britannique ont conclu en vertu de cette disposition un accord d'échange de services qui prévoit l'incarcération au centre correctionnel pour femmes de Burnaby, une prison provinciale, d'un maximum de 50 femmes purgeant une peine fédérale.

La Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, le Code criminel et la Loi sur les prisons et les maisons de corrections exigent qu'un prisonnier se soumette aux lois et règlements de l'établissement dans lequel il purge sa sentence. Les femmes de Colombie-Britannique purgeant une sentence fédérale sont donc assujetties à la Loi sur les services correctionnels de Colombie-Britannique, aux règlements du centre correctionnel et à la politique du service correctionnel. Dans toutes les autres provinces canadiennes, les femmes purgeant une sentence fédérale sont assujetties, dans l'établissement où elles se trouvent, aux règlements d'application de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, ainsi qu'aux directives du commissaire.

Nous considérons que les femmes de Colombie-Britannique qui purgent une sentence fédérale sont lourdement pénalisées par leur assujettissement à une loi provinciale alors que leurs homologues des autres provinces canadiennes bénéficient de la LSCMLC, dont l'adoption en 1992 a codifié certains droits fondamentaux et certaines garanties de procédure découlant de la Charte et de la common law? Les lois et les règlements provinciaux n'ont rien de comparable.

La LSCMLC et ses règlements consacrent de diverses façons les exigences de l'article 7 de la Charte, selon lequel une personne ne peut être privée de sa liberté, sinon conformément aux principes de la justice fondamentale. Par exemple, comme la ségrégation et les transferts non volontaires à un niveau de sécurité supérieur impliquent des restrictions à la liberté d'un détenu, la LSCMLC et ses règlements ont défini des garanties de procédure minimales qui visent à faire en sorte que les décisions qui restreignent la liberté dans de tels cas soient néanmoins conformes aux principes de la justice fondamentale.

Je tiens à signaler que ces propos, même s'ils semblent très favorables à la LSCMLC, ne résultent en fait que d'une comparaison avec une législation provinciale d'un autre temps. En réalité, nous restons très critique à l'endroit de la LSCMLC, notamment parce qu'elle ne comporte pas la garantie de sa propre application, comme Beth l'expliquera tout à l'heure.

Quoiqu'il en soit, nous considérons que les femmes de Colombie-Britannique purgeant une sentence fédérale sont victimes d'une injustice, tant par rapport aux hommes purgeant une sentence fédérale en Colombie-Britannique et ailleurs au Canada, que par rapport aux femmes purgeant une sentence fédérale dans les autres provinces du Canada, et ce contrairement à l'article 15 de la Charte. Nous considérons que le gouvernement du Canada ne peut pas se décharger par contrat de ses responsabilités envers les détenus purgeant une sentence fédérale lorsque la question fondamentale de la liberté est en jeu.

Nous recommandons une modification de l'article 16 de la LSCMLC de façon à préciser que nonobstant l'Article 743.3 du Code criminel et le paragraphe 5(3) de la Loi sur les prisons et les maisons de correction, certaines dispositions particulières de la LSCMLC vont s'appliquer aux détenues du centre correctionnel de Colombie-Britannique. Nous demandons que les articles en question comprennent notamment les dispositions de la LSCMLC et de ses règlements d'application qui concernent l'accès aux services juridiques, les audiences disciplinaires, les transferts involontaires et les dispositions sur la divulgation concernant les audiences de libération conditionnelle.

Dans le mémoire écrit qui vous a été distribué, nous faisons référence à quatre exemples précis pour lesquels nous estimons que la législation applicable aux femmes purgeant une sentence fédérale en Colombie-Britannique ne répond pas aux normes applicables aux femmes purgeant une sentence fédérale qui sont détenues dans les autres provinces.

Mme Beth Parkinson (avocate juridique, Prisoners' Legal Services): Lorsque j'ai lu pour la première fois le projet de loi qui allait devenir la LSCMLC, j'ai éprouvé un certain espoir, dans la mesure où les progrès réalisés aux procès des années précédentes, qui avaient apporté un certain respect de la procédure en matière correctionnelle allaient être codifiés dans la loi. Hélas, lors de la mise en oeuvre de la LSCMLC, on a vite constaté que ces initiatives n'étaient pas concrétisées et que dans de trop nombreux cas, elles n'avaient même pas été comprises. À cet égard, je fais miennes les conclusions de Mme le juge Arbour qui déclarait, en 1996: «en matière correctionnelle, les faits de l'enquête font apparaître un fâcheux manque d'engagement envers les idéaux de justice de la part du service correctionnel».

• 1010

L'apparente incapacité des services correctionnels, ou leur refus de se conformer à la législation est certes préoccupante, mais l'absence de tout recours efficace pour les y contraindre l'est encore plus. La procédure de grief est loin d'être aussi efficace que le prévoyait le législateur. Encore une fois, je citerais Mme la juge Arbour qui déclarait: «comme on le voit dans cette affaire, la procédure est très bureaucratique. En particulier au niveau de l'appel tant au plan régional que national, la responsabilité de trancher les griefs est souvent confiée à des gens qui n'ont ni les connaissances, ni les moyens de les acquérir, et, et qui plus est, ne sont pas véritablement habilités à solutionner le problème, si tant est qu'ils en aient reconnu l'existence. Actuellement, il semble que la reconnaissance d'une erreur est perçue comme la reconnaissance d'une défaite par le service correctionnel. Dans un tel climat, aucune méthode interne de résolution des différends ne peut aboutir».

Dans le même ordre d'idée, je voudrais vous soumettre les commentaires de la Cour d'appel de la Colombie-Britannique dans l'arrêt Fraser contre Kent Institution où la cour a considéré que l'appel d'une décision de la Commission des libérations conditionnelles devant la division d'appel ne constituait pas un recours approprié, compte-tenu l'arriéré du système.

Vers qui les détenus doivent-ils se tourner pour exiger l'application de la loi? Ils ou elles ne peuvent pas s'attendre à une réponse rapide s'ils passent par les mécanismes internes, ce qui ne leur laisse que la possibilité de demander réparation devant la justice. Mais quelle est la valeur d'un tel recours lorsque dans la plupart des cas, le détenu doit demander réparation devant les instances fédérales dont les règles suffisent à décourager les avocats les plus aguerris? Et même si un détenu parvient à s'y retrouver dans ce dédale, le procès n'aura vraisemblablement pas lieu avant un an, ce qui rend toute action inutile.

Finalement, le détenu peut s'adresser à l'enquêteur correctionnel. Cependant, aux termes de la loi, les recommandations de ce dernier n'ont pas valeur obligatoire pour les services correctionnels. Au risque de vous lasser, je voudrais encore citer les commentaires de Mme le juge Arbour qui déclarait: «ce n'est qu'à cause de l'impossibilité pour l'enquêteur correctionnel de contraindre les services à respecter ses conclusions, et à cause du refus manifeste des services de s'y conformer de leur plein gré, que je recommande que l'on facilite l'accès des prisonniers aux tribunaux pour qu'ils puissent y faire valoir efficacement leurs droits par la consécration du principe de légalité».

Reconnaissant la difficulté qu'éprouvent les prisonniers à accéder aux tribunaux et les délais auxquels ils s'exposent, l'enquêteur correctionnel a recommandé la création d'un tribunal administratif qui serait habilité à exiger que les services correctionnels se conforment à la législation et à la politique régissant l'administration de la sentence et à remédier aux effets négatifs de la non-conformité.

En conclusion, nous pourrions faire d'innombrables recommandations concernant l'amélioration de la LSCMLC, mais ce serait en pure perte, tant que les services correctionnels ne se conforment pas à la législation déjà en vigueur. Il est évident qu'en regard de l'attitude des services correctionnels jusqu'à maintenant, on ne peut pas s'attendre à ce qu'ils prennent l'initiative de se conformer à la loi. Il est donc impératif de créer un processus d'adjudication externe indépendant qui exigera la conformité à la loi et qui veillera à ce que le principe de l'égalité s'applique derrière les murs des prisons.

Le président: Merci beaucoup de cet exposé très détaillé.

Comme il nous reste une vingtaine de minutes et que nous avons quatre députés présents, je propose cinq minutes à chacun des membres du comité. Je crois que c'est une formule équitable. Nous allons commencer par l'opposition, avec M. Gouk.

M. Jim Gouk (Kootenay—Boundary—Okanagan, Réf.): Merci.

Merci d'être venues ce matin. Nous avons besoin du plus grand nombre de points de vue sur ce sujet. C'est pour cela que nous voyageons dans différentes régions du pays.

J'ai consulté rapidement votre mémoire concernant la situation des femmes qui purgent une sentence fédérale en Colombie- Britannique... À votre avis, l'établissement correctionnel serait- il acceptable si vos préoccupations étaient satisfaites, ou la solution ultime consiste-t-elle à prévoir un établissement carcéral fédéral pour les femmes en Colombie-Britannique?

Mme Megan Arundel: Non, ce n'est pas l'établissement correctionnel qui pose problème.

M. Jim Gouk: Vous voulez donc surtout que les règles s'appliquent au niveau fédéral.

Mme Megan Arundel: C'est cela, oui.

M. Jim Gouk: C'est tout ce que j'ai pour l'instant, monsieur le président.

Le président: Merci.

• 1015

[Français]

Monsieur Marceau.

M. Richard Marceau (Charlesbourg, BQ): Tout d'abord, je vous remercie d'être venues nous rencontrer ce matin. Plus on entend de personnes de différentes organisations, meilleure est notre compréhension de l'ensemble du problème.

J'ai lu rapidement votre mémoire. Il traite beaucoup des avantages de la Loi sur la libération conditionnelle et du problème que pose le fait que, dans les prisons provinciales, on n'a pas accès à plusieurs des droits qui sont énumérés dans la Loi sur la libération conditionnelle.

Cependant, à la page 3, vous dites:

[Traduction]

«... nous restons très critiques à l'endroit de la LSCMLC, notamment parce qu'elle ne comporte pas la garantie de sa propre application.»

[Français]

J'aimerais que vous élaboriez sur ces problèmes, s'il vous plaît.

[Traduction]

Mme Beth Parkinson: On prend en permanence toutes sortes de décisions arbitraires qui donnent l'impression que le service se conforme régulièrement à la loi. Par exemple, celle-ci prévoit que le dossier de tous les détenus placés en isolement doit être réexaminé régulièrement. En outre, avant chaque réexamen, le détenu est censé recevoir l'information qui va être étudiée à l'audience.

Malheureusement, nous trouvons constamment des dossiers où l'avis de réexamen de l'isolement indique: «Pas d'information nouvelle—maintien en isolement». J'ai assisté à ces audiences et trop souvent, le détenu se fait dire: «Nous avons décidé que vous restiez en isolement. Avez-vous quelque chose à dire?» Il y a effectivement un réexamen, mais il est superficiel.

[Français]

M. Richard Marceau: Alors, quelle serait la solution pour assurer le respect de l'esprit de la loi dans des situations comme celle que vous avez décrite?

[Traduction]

Mme Beth Parkinson: Qu'il y ait un véritable réexamen et que les services fournissent l'information. Ces réexamens ont lieu chaque mois. On s'imagine qu'au cours du mois précédent, il s'est produit un certain nombre d'événements pertinents à la décision concernant le maintien ou la levée de l'isolement. Les services correctionnels se contentent de dire qu'il n'y a pas d'information nouvelle. Ce n'est pas un véritable réexamen, en particulier lorsque la décision est prise à l'avance. Ce n'est pas une audience; c'est une déclaration.

[Français]

M. Richard Marceau: Donc, on en vient à transférer le fardeau de la preuve à l'accusé, qui doit donner des raisons pour lesquelles il ne devrait plus être en ségrégation. Est-ce bien ce que vous voulez dire?

[Traduction]

Mme Beth Parkinson: Oui. Et certains détenus sont tellement désabusés qu'ils se demandent s'il est vraiment utile de discuter avec quelqu'un dont l'opinion est déjà faite. Si l'audience commence par une déclaration du genre «Nous avons décidé que vous restiez en isolement», le détenu ne peut guère espérer qu'il va réussir à leur faire changer d'avis.

[Français]

M. Richard Marceau: Merci.

Le président: Merci, monsieur Marceau.

[Traduction]

Monsieur Grose.

M. Ivan Grose (Oshawa, Lib.): Le noeud du problème, c'est apparemment qu'il n'y a pas d'établissement fédéral pour les femmes en Colombie-Britannique. Est-ce bien cela?

Mme Megan Arundel: C'est l'un des problèmes qui se posent effectivement à nous.

M. Ivan Grose: Parfait. Si au moins on avait un établissement fédéral, on pourrait recommencer à parler directement de la LSCMLC.

• 1020

Avez-vous des chiffres concernant le nombre des détenues des autres provinces qui seraient dans la même situation que celles de Colombie-Britannique? Je me demande pourquoi il n'y a pas d'établissement fédéral ici. Vous ne connaissez peut-être pas la réponse, mais savez-vous combien il y a de détenues purgeant une sentence fédérale en Alberta et en Saskatchewan par rapport à la Colombie-Britannique?

Mme Megan Arundel: Parlez-vous des détenues des pénitenciers provinciaux?

M. Ivan Grose: Non, elles devraient être dans des établissements fédéraux, n'est-ce pas?

Mme Megan Arundel: Oui, c'est exact.

M. Ivan Grose: C'est bien ce que j'ai dit.

Mme Megan Arundel: Il y a une cinquantaine de lits au Centre correctionnel pour femmes de Colombie-Britannique.

M. Ivan Grose: Je sais.

Mme Megan Arundel: Je ne connais pas les statistiques pour les détenues des pénitenciers fédéraux ailleurs au Canada. Je crois que lorsque le centre de Colombie-Britannique a été construit, il a été conçu dans la perspective d'accueillir des détenues purgeant une sentence fédérale. Ensuite, je crois qu'on a décidé de construire des établissements fédéraux distincts dans les autres provinces ou dans les cinq autres régions du Canada.

M. Ivan Grose: Évidemment, je pourrais toujours trouver les chiffres, mais je suppose que les chiffres sont bien inférieurs dans les régions moins densément peuplées des Prairies qu'en Colombie-Britannique. Je vais devoir trouver pourquoi il n'y a pas d'établissements fédéraux en Colombie-Britannique. C'est la question que je me pose. En tout cas, je vous remercie.

Le président: Merci, monsieur Grose.

Monsieur Wappel.

M. Tom Wappel (Scarborough-Sud-Ouest, Lib.): Je n'ai pas de questions.

Le président: Pas de questions.

Voulez-vous ajouter quelque chose?

Mme Megan Arundel: Non.

Le président: Dans ce cas, merci beaucoup. Nous avons beaucoup apprécié votre témoignage.

Mme Beth Parkinson: Merci.

M. Ivan Grose: Monsieur le président, si vous me permettez de dire quelques mots aux deux témoins, je voudrais dire qu'à mon avis, du moins, le noeud du problème, c'est que nous n'avons pas de prison fédérale ici. Et j'ai bien l'intention de savoir pourquoi. S'il n'y a pas de raison particulière, il faudra en construire une.

Mme Megan Arundel: Je crois que c'est parce que le Centre correctionnel de Colombie-Britannique a été construit initialement en fonction des femmes purgeant des sentences fédérales, et une fois le premier construit, on n'a pas voulu en construire un autre.

M. Ivan Grose: Oui, je ne vois rien d'exceptionnel à cela.

Merci.

Mme Megan Arundel: Merci.

Mme Beth Parkinson: Merci.

Le président: Nous passons maintenant à Sasha Pawliuk, de la West Coast Prison Justice Society. Vous avez cinq à 10 minutes pour votre exposé, puis nous passerons aux questions des membres du comité.

Mme Sasha Pawliuk (membre du conseil d'administration, West Coast Prison Justice Society): C'est parfait. C'est ce que j'avais compris.

Le président: Très bien. Soyez la bienvenue. Nous vous écoutons.

Mme Sasha Pawliuk: Merci.

Jusqu'en octobre 1998, j'étais avocate aux Prisoners' Legal Services, dont vous venez d'entendre le témoignage. J'y ai travaillé pendant 14 ans.

La West Coast Prison Justice Society est un organisme à but non lucratif, constitué selon le droit des sociétés de Colombie-Britannique. Elle se compose d'universitaires, de quelques avocats, de détenus en liberté conditionnelle, de militants des droits des détenus, d'un aîné autochtone... La Société a notamment pour objectif de veiller au respect du principe de l'égalité dans les prisons de Colombie-Britannique, et de fournir de l'information juridique aux détenus de Colombie-Britannique.

J'ai distribué un exemplaire de notre bulletin. C'est essentiellement par ce moyen que nous fournissons de l'information. Je vous ai distribué le numéro de septembre à décembre 1998.

• 1025

Je ne peux que me faire l'écho des commentaires formulés par mes collègues, Mme Parkinson et Mme Arundel, au cours de leur exposé. Je veux cependant ajouter un élément en réponse à la question concernant le Centre correctionnel pour femmes de Colombie-Britannique.

Pour autant que je sache, la principale préoccupation concerne les femmes purgeant une sentence fédérale, car elles ne sont pas traitées comme si elles relevaient des autorités fédérales. L'établissement proprement dit pose un problème dans la mesure où son niveau de sécurité est trop élevé. On a déterminé, par d'innombrables enquêtes et rapports, que les femmes n'ont pas besoin de sécurité maximale au même titre que les hommes. C'est pourtant ce que l'on trouve à Burnaby: une installation à sécurité maximale.

La LSCMLC donne aux tribunaux fédéraux toutes sortes d'occasions de se prononcer sur les questions qui affectent la liberté des personnes incarcérées. Les atteintes à la liberté sont inhérentes à la situation du détenu, elles sont l'essence même de la détention. À première vue, la loi semble assurer une certaine protection des détenus. On y trouve le droit de consulter un avocat, mais je ne peux que confirmer les critiques formulées par mes collègues du Prisoners' Legal Services. Le problème, c'est ce qui se passe dans les faits. À Ottawa, tout semble parfait sur le papier, mais il en va différemment dans le pénitencier.

Prenons le cas du droit, pour le détenu placé en isolement, de consulter un avocat. Lorsqu'un détenu doit subir un transfert involontaire dans un établissement à sécurité plus élevée, il peut consulter un avocat, car les tribunaux ont reconnu que c'est comme si un détenu était mis en prison à l'intérieur de la prison. C'est une atteinte supplémentaire à sa liberté.

Le problème, pour le détenu, c'est de savoir qui il doit appeler. L'aide juridique ne couvre pas ce genre de situation en Colombie-Britannique. Il n'y a pas de financement pour cela au Canada. On peut prévoir le droit de consulter un avocat dans la loi, mais on peut aussi légiférer pour obliger les cochons à voler. À défaut de crédits nécessaires, il ne se produira rien.

L'autre problème, c'est que le droit de consulter un avocat n'est pas assez vaste. On a parlé également, dans les témoignages précédents, des audiences du Comité de réexamen des cas d'isolement. Ces audiences posent un véritable problème. Il y a des décisions judiciaires qui ont reconnu que ces audiences étaient tenues pour la forme. La prise de décision n'est soumise à aucune procédure. La décision est prise avant même que le détenu ne comparaisse à l'audience. Le droit de consulter un avocat ne lui est pas garanti pour ces audiences. Si ce droit existe, il ne s'accompagne pas des moyens financiers nécessaires, si bien que personne ne peut obtenir les services d'un avocat.

Comme vous le voyez, même lorsque la loi prévoit les services d'un avocat, du moins sur le papier, ce n'est pas ce qui se produit. La disponibilité d'un avocat telle qu'elle est formulée dans la LSCMLC actuelle ne va pas assez loin. Le détenu a le droit d'appeler un avocat dès qu'il est placé en isolement, mais il peut y avoir des obstacles administratifs. Souvent, les délais fixés dans la LSCMLC ne sont pas respectés. La loi prévoit que le détenu doit être informé des motifs qui justifient son placement en isolement, et toute la documentation doit être prête trois jours avant l'audience. Mais les choses ne se produisent pas ainsi.

Le détenu qui n'a pas d'avocat pour s'assurer de la conformité à la loi... et même lorsqu'un détenu a un avocat, comme l'a dit Mme Parkinson, la loi ne prévoit aucune sanction en cas d'infraction. Le détenu ne peut pas se pourvoir devant la Cour fédérale un an après les faits pour dire que la documentation n'était pas prête à temps. La loi est inefficace. Les droits n'existent que dans la mesure où on peut les exercer, mais en l'occurrence, c'est impossible.

Encore une fois, il faut considérer les dispositions de la loi. J'ai défendu des prisonniers devant des juges. Un juge de la Cour fédérale m'a dit un jour qu'il était totalement superflu, de ma part, de prétendre que la Charte des droits s'appliquait aux prisonniers. Tout cela est très beau sur le papier, mais dans la réalité, les choses sont bien différentes.

Pour en revenir au Comité de réexamen des cas d'isolement, c'est une question importante car il s'agit d'un emprisonnement à l'intérieur de la prison. On ne donne pas à quelqu'un sur la rue 30 jours de prison sans qu'il ait un avocat, sans qu'on lui garantisse le droit de se défendre, de connaître les faits qui lui sont reprochés et de répondre aux accusations.

• 1030

Il est difficile de former le personnel. Je ne prétends nullement que les gens qui travaillent dans les pénitenciers fédéraux sont mauvais ou sadiques. Ils essaient de faire leur travail honorablement, mais ils ne sont pas formés pour cela. Au Prisoners' Legal Services, nous avions beaucoup de plaisir à voir comment les directives du commissaire insistent sur l'obligation d'agir avec équité. Cette obligation est au coeur même de notre civilisation. C'est une notion très importante, mais elle n'est pas comprise.

Pour une bonne partie du personnel, cette obligation se traduit inexplicablement par des règles mystérieuses qui n'ont aucun sens. L'agent correctionnel qui dirige l'audience du Comité de réexamen des cas d'isolement a une liste de critères qui n'ont aucun sens pour lui. Il n'a aucune notion de la finalité de l'audience. Elle est censée permettre de déterminer quelle doit être la durée de l'isolement. La loi oblige le directeur de la prison à veiller à ce que les détenus ne soient placés en isolement que pour une durée minimale mais bien souvent, la séance se passe à essayer de savoir si le détenu a reçu une brosse à dents. Cela n'a aucun rapport avec le placement en isolement.

Le détenu ne peut donc consulter un avocat à cette audience. En tout cas, il ne dispose d'aucune ressource pour le faire. Si on regarde les statistiques concernant la population carcérale au Canada, on voit qu'il s'agit de personnes sans éducation et pauvres. Elles ne sont pas informées de ce qui leur arrive. Les gens autour d'eux parlent le jargon des avocats, mais le plus souvent, ils ne sont pas vraiment conscients de leurs droits et en tout cas, ne savent pas comment les faire valoir.

Si l'on reprend l'exemple du placement en isolement, Mme Parkinson vous a parlé de la notion d'adjudication indépendante. C'est la formule qui s'applique au tribunal disciplinaire. En effet, le détenu peut être placé en isolement après l'audience du tribunal disciplinaire, et celle-ci peut restreindre sa liberté. On fait appel à une opinion indépendante et le détenu peut consulter un avocat. Pourtant, les détenus sont parfois placés en isolement administratif pendant beaucoup plus longtemps qu'au terme d'une condamnation par un tribunal disciplinaire, alors qu'il n'y a pas eu de condamnation et qu'ils n'ont pas bénéficié, à mon avis, d'une véritable audience, puisqu'ils n'ont pas eu droit à un avocat ni à une adjudication indépendante.

Quant on n'a pas nécessairement assez d'information pour accuser un détenu d'une infraction disciplinaire on peut trouver commode de ne pas s'embarrasser de formalités et de placer le détenu en isolement, sur un simple soupçon, pour enquête. Cette mesure peut s'éterniser, car on sait combien une procédure d'habeas corpus peut prendre de temps. L'agent connaît les délais des tribunaux et il a tout le temps de tirer l'affaire au clair avant que les tribunaux n'interviennent. S'il y a une enquête de police, la police met les dossiers des prisonniers en veilleuse: il n'y a pas à s'inquiéter, puisque l'intéressé est déjà en prison. Les détenus peuvent rester en isolement pendant longtemps en vertu d'une décision administrative d'un agent correctionnel, et non pas d'une adjudication indépendante; il n'a pas droit aux conseils d'un avocat et n'a pas nécessairement reçu l'information qui lui permettrait de se défendre des accusations portées contre lui.

Je ne peux que confirmer les commentaires de mes collègues du Prisoners' Legal Services en ce qui concerne l'application de la LSCMLC. La loi paraît très satisfaisante sur le papier, mais il faudrait prévoir davantage de ressources pour respecter le droit des détenus de consulter un avocat, pour assurer la formation des agents correctionnels et pour veiller à ce que les tribunaux soient parfaitement indépendants de l'administration pénitentiaire.

Voilà mes arguments.

Le président: Merci beaucoup. Nous les avons appréciés.

Monsieur Gouk, vous avez cinq minutes.

M. Jim Gouk: Merci. Je vais essayer d'être bref et de laisser le plus de temps possible à M. Wappel. À voir la place qu'il occupe dans ce bulletin, il a certainement des questions ou des commentaires à formuler.

Je ne prends nullement vos propos à la légère, car vous avez des arguments tout à fait valables, mais si une personne tout à fait démunie—il y a des milliers de travailleurs qui sont à une paie de la faillite—reçoit une contravention pour excès de vitesse, elle a le droit de faire appel à un avocat. Mais pour autant que je sache, on ne peut obtenir gratuitement les services d'un avocat pour contester une contravention pour excès de vitesse.

• 1035

En prison, le détenu qui commet un vol et qui serait passible d'un emprisonnement d'un an à l'extérieur n'est passible que d'une amende de 25 $ en prison. À votre avis, est-ce que la sévérité ou l'absence de sévérité par rapport à la situation du justiciable de l'extérieur compense les procédures suivies en ce qui concerne le droit de faire appel à un avocat, la préparation du dossier et tout le reste, compte tenu de la nature de la peine?

Mme Sasha Pawliuk: Je n'ai jamais connu de cas où un détenu condamné devant un tribunal disciplinaire dans un pénitencier aurait reçu une amende de 25 $ pour une infraction dont l'auteur serait normalement passible d'un emprisonnement d'un an. Je conteste votre hypothèse, et je ne sais pas où vous avez trouvé cette information.

Certainement, en ce qui concerne...

M. Jim Gouk: Cela existe, mais je ne m'y connais pas très bien. Selon la nature de l'incident, notamment le vol, s'il est mineur—je ne sais pas quel est le seuil—il y a une amende de 25 $. Au-dessus de ce seuil, l'amende est de 50 $. Il y a aussi la possibilité de mise en isolement. C'est l'un ou l'autre.

Mme Sasha Pawliuk: Au tribunal disciplinaire, la condamnation pour infraction grave entraîne des peines qui sont plus ou moins laissées à la discrétion du président indépendant. En d'autres termes, à ma connaissance, la loi ne prévoit pas de sanction précise pour tel ou tel délit. Le président du tribunal décide, compte tenu des circonstances, des antécédents, de tous les autres éléments, comme en cour criminelle. On décide quelle sera la peine appropriée.

En passant, pour quelqu'un qui gagne 1, 2 ou 3 $ par jour ou 6 $ par jour, une amende de 25 $, c'est une somme importante comme pourcentage du revenu. En Colombie-Britannique, par exemple, on a mis un système en place qui force les prisonniers à téléphoner à leur famille à frais virés, à un coût approximatif de 2 $ l'appel. Les détenus qui tentent de rembourser leurs familles pour le coût de cet appel à frais virés—la plupart de ces familles sont sur le bien-être social—voient disparaître les deux tiers de leur rémunération quotidienne pour faire un appel téléphonique par jour à leurs familles. Cela les limite financièrement. Quand on parle d'une amende de 25 $, ce n'est pas 25 $ dans le cas de quelqu'un qui gagne 100 000 $ par année. C'est une peine très différente.

M. Jim Gouk: Je m'en rends compte, bien qu'il y ait des différences à l'extérieur aussi.

Je voulais aussi vous interroger à propos de quelque chose qui a retenu mon attention dans l'énoncé de la raison d'être de votre société. Au point i), il est dit que votre société a pour objectif de «promouvoir l'abolition des prisons par la réforme du régime de justice pénale». De quel genre de réforme parlez-vous? En fait, dites-moi: cherchez-vous sérieusement à abolir les prisons? Que feriez-vous alors des meurtriers, des violeurs, de ceux qui ont commis des délits graves?

Mme Sasha Pawliuk: Il y a une organisation qui s'appelle la Conférence internationale sur l'abolition pénale qui se réunit tous les deux ans. S'y trouvent réunis des universitaires, des avocats, d'anciens prisonniers, des prisonniers, des militants, des personnes qui cherchent à instaurer une société sans prison. Je ne prétends pas être une spécialiste sur l'élimination des prisons, mais je peux vous dire après avoir assisté à quelques-unes de ces conférences que c'est ce que l'on appelle le problème des quelques cas graves. En d'autres mots, je pense que l'on reconnaît qu'on a besoin de se protéger contre un très petit nombre de personnes dans la société. De nombreuses options de rechange s'appuient d'une certaine façon sur des communautés thérapeutiques. Il ne s'agit pas de garder le régime de justice pénale tel qu'il est, c'est-à-dire avec une longue suite d'accusations, de comparutions devant les tribunaux pour ensuite, à la fin, éliminer l'emprisonnement. Je ne pense pas que quiconque croit que ce serait utile.

Lorsque l'on examine notre société et les raisons profondes de la criminalité, dans notre tentative de nous attaquer à ses causes dans le but d'avoir une communauté plus sécuritaire, il s'agit de ne pas attendre que le crime se produise pour ensuite devoir faire face à la situation rétroactivement, mais plutôt d'envisager un modèle plus réparateur. On parlait beaucoup jadis de justice réparatrice, mais alors certains ont commencé à s'interroger sur ce que l'on essayait de réparer. Dans bien des cas, il ne peut y avoir réparation car les auteurs des délits n'ont connu que pauvreté, foyers brisés ou abus.

• 1040

Il s'agit plutôt de tenter d'inventer un système ou d'essayer de s'assurer que l'auteur et la victime du délit puissent trouver le plus possible un point d'équilibre. Cela semble assez théorique, mais en d'autres termes, l'auteur d'un délit doit être forcé à assumer, d'une façon quelconque, la responsabilité de son geste et doit essayer d'aider ses victimes à retrouver l'état dans lequel elles se trouvaient avant le crime, dans la mesure du possible.

M. Jim Gouk: Merci.

Le président: Merci, monsieur Gouk.

[Français]

Monsieur Marceau.

M. Richard Marceau: Bonjour. Merci d'être venue nous rencontrer. J'ai bien aimé votre présentation. Je trouve cependant un peu dommage que vous ne nous ayez pas présenté de document écrit parce que la présentation que vous venez de faire était très intéressante.

J'ai une seule question et elle porte sur votre organisation. Vous avez travaillé pour les Prisoners' Legal Services et vous êtes maintenant à la West Coast Prison Justice Society. Est-ce à dire que les deux organisations ont une philosophie semblable?

[Traduction]

Mme Sasha Pawliuk: Le Prisoners' Legal Services est une succursale de la Legal Services Society de la Colombie-Britannique, un organisme financé en grande partie par le gouvernement. Certains employés des Legal Services ont peut-être des philosophies personnelles, mais sur le plan de l'organisation, le Prisoners' Legal Services fait partie d'un plus grand organisme. Sa philosophie lui vient du conseil d'administration de la Legal Services Society.

La West Coast Prison Justice Society est un organisme tout à fait distinct. Les membres de ce groupement arrivent avec leurs propres philosophies, leurs expériences différentes dans le régime de justice pénale. C'est une façon détournée de dire que lorsque je travaillais pour le Prisoners' Legal Services, j'avais exactement la même philosophie qu'aujourd'hui, mais je ne pouvais pas présenter mes opinions comme étant celles de l'organisme, succursale de la Legal Services Society. Dans le cas toutefois de la West Coast Prison Justice, ce qui est imprimé à la dernière page représente notre philosophie.

[Français]

M. Richard Marceau: Je vois sur votre newsletter que la West Coast Prison Justice Society travaille avec la firme Conroy and Company Barristers and Solicitors. M. Conroy est notre prochain témoin, n'est-ce pas?

[Traduction]

Mme Sasha Pawliuk: J'ai presque tout entendu en français. Demandiez-vous quelle était la relation entre le bureau de John Conroy et notre organisme?

M. Richard Marceau: Oui.

Mme Sasha Pawliuk: John Conroy est l'avocat de la West Coast Prison Justice Society; il ne fait pas partie du conseil d'administration. Il figure à la dernière page comme conseiller juridique.

M. Tom Wappel: Non, il figure sur la liste comme membre du conseil.

Mme Sasha Pawliuk: Très bien, c'est une faute d'impression...

Le président: Comme M. Conroy est notre prochain témoin, nous pourrons obtenir des précisions.

Mme Sasha Pawliuk: Vous avez raison, son nom apparaît à la rubrique «membres du conseil», mais son titre est conseiller juridique de la West Coast Prison Justice Society.

[Français]

M. Richard Marceau: Merci.

[Traduction]

Mme Sasha Pawliuk: Très bien, merci.

[Français]

Le président: Merci, monsieur Marceau.

[Traduction]

Monsieur Wappel.

M. Tom Wappel: Merci de votre exposé.

J'aimerais quelques renseignements au sujet des procédures qui étaient en place avant l'adoption de la LSCMLC dans le contexte de ce que vous nous avez dit. Est-ce que la situation s'est améliorée depuis l'adoption de cette loi?

Mme Sasha Pawliuk: Voilà une excellente question. D'après mes observations, les améliorations ne découlent pas de l'adoption de la loi. Depuis 16 ans que mon travail gravite autour des établissements pénitentiaires, j'ai constaté des changements, tels que l'embauche de femmes. Lorsque j'ai commencé dans les établissements pénitentiaires, il n'était pas question d'avoir des employés féminins. Cela a beaucoup changé ce qui arrive dans ces établissements.

• 1045

M. Tom Wappel: Je pensais plutôt à ce que vous avez dit au sujet des procédures, des punitions dans les établissements pénitentiaires, de la mise en isolement, de ce genre de chose. D'après votre expérience, est-ce que l'adoption de cette loi et je présume la codification si on peut dire de ces procédures musclées ou pas, a changé quoi que ce soit?

Mme Sasha Pawliuk: Encore une fois, pas grand-chose. Après tout, vous avez toujours plus ou moins les mêmes personnes qui prennent plus ou moins les mêmes genres de décisions.

J'aimerais revenir à ce que j'ai dit au sujet de la formation. Je le répète, je n'essaie pas d'attaquer la crédibilité des employés du Service correctionnel, mais si vous faites quelque chose de la même façon depuis 20 ans, même s'il y a une nouvelle loi, mais que personne ne vous explique les grandes différences, vous allez continuer à faire les choses comme avant. Je pense que c'est là une des difficultés.

Les nouveaux employés font partie de la culture. Mme Parkinson a parlé de l'enquête Arbour. Il existe très certainement une culture au Service correctionnel. Elle a parlé de la culture de l'anarchie. C'est une façon de faire les choses, et le changement est lent. Comme je l'ai dit, je pense qu'il y a eu des changements depuis le début des années 80 dans les établissements pénitentiaires, mais je ne les attribuerais pas en grande partie à la nouvelle loi, bien franchement.

M. Tom Wappel: Merci.

Le président: Vous avez terminé, monsieur Wappel?

M. Tom Wappel: Oui.

Le président: Merci.

Monsieur Grose.

M. Ivan Grose: Merci, monsieur le président. Je n'ai pas de questions à poser car le témoin a fait le tour du sujet très efficacement. J'aimerais avoir un exemplaire de son texte, peut-être pas la totalité, mais au moins les points saillants, pour pouvoir lire cela après les audiences.

Le président: Vous serait-il possible de nous fournir un résumé de vos observations?

Mme Sasha Pawliuk: Certainement.

M. Ivan Grose: Quand on écoute des témoins pendant deux ou trois heures, on finit par s'y perdre, on ne sait plus qui a dit quoi. C'est pourquoi j'aimerais avoir cela par écrit.

Mme Sasha Pawliuk: Je peux certainement vous préparer cela.

Le président: Nous l'apprécierons.

Monsieur Marceau.

M. Richard Marceau: Non.

Le président: Est-ce que vous avez quelque chose à ajouter? Il nous reste un peu de temps. Nous avançons de façon très satisfaisante.

Mme Sasha Pawliuk: J'hésite à empiéter sur le temps de M. Conroy; nous savons tous à quel point il peut être concis. Je vais le laisser commencer.

Le président: D'accord, merci beaucoup. Nous avons beaucoup apprécié votre exposé et si vous pouvez faire parvenir quelque chose à notre greffier, cela nous sera très utile.

Mme Sasha Pawliuk: Merci.

Le président: Notre témoin suivant est M. John Conroy, de la firme Conroy et Compagnie, un cabinet d'avocats, n'est-ce pas?

M. John Conroy, c.r. (Conroy and Company Barristers & Sollicitors): Précisément.

Le président: Merci.

Vous avez environ 10 minutes pour faire votre exposé, après quoi les membres du comité vous feront subir un contre-interrogatoire.

M. John Conroy: Étant avocat, il va me falloir cinq minutes pour me présenter.

Le président: Est-ce que vous êtes membre du conseil ou avocat auprès de la West Coast Prison Justice Society? C'est une chose que nous devons savoir.

M. John Conroy: Non, je ne suis pas membre du conseil, je suis conseiller juridique. D'ordinaire ils se réunissent dans mon bureau, ce qui explique l'adresse. C'est également là que le courrier est adressé.

Le président: Merci.

M. John Conroy: Je n'ai pas d'exposé écrit, mais je suis toujours président du Comité de l'Association du Barreau canadien sur l'emprisonnement et les libérations, un comité qui va vous soumettre un mémoire, si vous ne l'avez déjà pas reçu. Les professeurs Jackson et Manson vont comparaître devant votre comité lundi à Ottawa et vous présenter ce mémoire. Il risque d'y avoir quelques chevauchements entre ces deux exposés car j'ai également participé à la préparation du mémoire. De toute évidence, mon opinion est influencée par l'expérience que j'ai au sein de ce comité.

• 1050

J'exerce le droit depuis environ 27 ans. Je me suis installé dans la vallée du Fraser en 1973, et c'est pour cette raison, et du fait que j'ai exercé le droit criminel... Comme la plupart des avocats criminels, lorsqu'un de mes clients recevait sa sentence, je passais à l'affaire suivante, et je n'avais pas la moindre idée de ce que le client devenait ensuite, à moins qu'il ne vienne m'en parler ou qu'il ne récidive et soit inculpé à nouveau.

Puis, en 1975, on m'a demandé de prendre la direction du premier bureau de droit communautaire de Colombie-Britannique. C'était à l'époque de la prise d'otages Steinhauser au pénitencier de Colombie-Britannique. Peu de temps après, les prisonniers et leur famille de la région ont commencé à occuper de plus en plus de mon temps. La vallée du Fraser est en quelque sorte le Kingston de l'Ouest: il y a des prisons partout autour de nous. Ce n'est donc pas que je me sois particulièrement intéressé à cette question, c'est simplement que peu à peu cela occupait de plus en plus de mon temps.

Au début, quand je téléphonais à un directeur de prison pour demander à assister à une séance d'un tribunal disciplinaire, la première réaction était: «Les avocats ne sont pas admis». Évidemment, ce n'était pas une chose à dire à un jeune avocat idéaliste qui ne pensait qu'à une chose: obtenir que justice soit faite. Comme on ne m'avait pas parlé de cela à l'école de droit, j'ai été intrigué, je me suis intéressé à ce qui se passait. Je dois avouer que la situation à l'époque m'avait beaucoup choqué.

M. Wappel a posé une question aux témoins précédents au sujet de l'ancienne procédure. Quand j'ai commencé, la procédure disciplinaire faisait appel au chef de la police dans la prison et le directeur adjoint chargé de la sécurité présidait le conseil. Invariablement, c'était un des officiers subordonnés qui témoignait contre le prisonnier. Il était donc totalement irréaliste de penser que le président ou le juge du tribunal disciplinaire douterait de ce que disait l'officier subordonné, car cela aurait posé un problème de moral dans la prison. Les prisonniers, et ils n'étaient pas les seuls, considéraient donc que tout le processus était une sorte de tribunal bidon, et ça n'améliorait pas leur respect de la loi.

À l'époque, et je suis toujours de cet avis, je m'étais dit qu'il était important d'appliquer la règle de droit à l'intérieur des prisons. Derrière ces murs, les médias n'ont pas le même accès que devant les tribunaux et par conséquent, on n'a pas autant à rendre compte de ce qui s'y passe devant le public, les tribunaux et la règle de droit.

Au départ, dans ce bureau de droit communautaire, une bonne partie de mon temps était consacrée à donner aux prisonniers des recours. Par la suite, ce devint le Prisoners' Legal Services. C'était l'époque de la prise d'otage Steinhauser, et plusieurs avocats essayaient de faire reconnaître que les conditions de détention au pénitencier de Colombie-Britannique constituaient une peine cruelle et inhabituelle. Il y avait là-bas des gens qui étaient en isolement cellulaire depuis des années et qui étaient en train de devenir fous dans ces installations désuètes. Ils voyaient leurs voisins se suicider ou se poignarder, et c'est eux qui devaient nettoyer le sang. Ils savaient ce qui les attendait quelques mois plus tard.

Le plus urgent semblait de s'assurer que la loi était appliquée et que des recours pacifiques existaient. Nous avons pris des causes types—la série d'affaires Martineau—pour mettre à la disposition des prisonniers la procédure a certiorari, et leur donner accès aux tribunaux. À l'époque, les tribunaux se désintéressaient de la question et s'en remettaient à la sagesse des administrateurs correctionnels, une chose qu'à mon avis ils n'auraient pas dû faire.

Nous eûmes ensuite d'autres causes types, entre autres l'affaire Cardinal et l'affaire Oswald. On fit également des comparaisons avec l'Ontario et le Québec—l'affaire Morin au Québec et l'affaire Miller en Ontario—ce qui nous permit d'établir qu'on pouvait invoquer l'habeas corpus pour tirer un prisonnier de l'isolement cellulaire et le remettre dans la population générale de la prison. En effet, un prisonnier pouvait comparaître devant un tribunal dans un délai d'une semaine ou deux, un juge prenait une décision sur son sort et cela lui évitait de rester en isolement sans aucun recours.

Tout cela ne devait pas seulement servir à donner du travail aux avocats. En effet, nous savions que si on ne mettait pas à la disposition de ces gens-là un recours pacifique, ils auraient recours à des moyens violents, ce qui s'était produit avec Steinhauser. Les prisonniers, qui avaient déjà passé beaucoup de temps en isolement cellulaire, pensaient qu'on allait les y remettre, et au lieu de mourir lentement, dans un geste désespéré, ils prirent des otages pour obtenir que tout le monde soit retiré de l'isolement cellulaire. Ils préféraient se faire abattre et mourir rapidement que de mourir lentement.

• 1055

Il faut comprendre que plus le régime carcéral est dur, plus les réactions risquent d'être violentes, instables, non pacifiques.

Il faut se souvenir que, comme d'autres témoins l'ont dit, un grand nombre de prisonniers sont issus des couches pauvres de la société et ont été élevés dans des circonstances très instables. Ils n'ont pas été socialisés comme la plupart d'entre nous, et nous devons éviter de les juger sur la base de nos propres expériences. Nous devons nous demander ce qu'ils peuvent faire ou ne pas faire en présence de tel ou tel régime.

M'étant occupé de ce genre de litiges et ayant eu l'occasion de comparaître devant diverses commissions et divers tribunaux au cours des 25 dernières années, il me reste une certaine dose d'idéalisme, mais je crains bien de souscrire à une observation de Doris Lessing dans son livre African Laughter: Four Visits to Zimbabwe (Rires africains: quatre séjours au Zimbabwe) où elle dit qu'il n'y a pas de cynique plus acharné qu'un idéaliste trahi.

Après avoir participé à des litiges au titre de la Déclaration des droits et de la Charte des droits, après avoir participé, avec le comité du Barreau, entre autres, à la révision du droit correctionnel qui a conduit à l'adoption de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, après avoir entériné les admirables principes qui non seulement font partie de cette loi, mais également de la loi C-41, les principes de la détermination de la peine, je continue à être frustré quand je vois à quel point tous ces principes sont mal appliqués, et je suis d'accord avec ce que le précédent témoin a dit.

Je considère que ce que vous pouvez faire de plus important, la recommandation la plus importante que je puisse vous faire, et là encore, je m'associe à d'autres témoins, c'est de s'assurer que les prisonniers ont accès à des recours pacifiques par l'entremise de conseillers indépendants, grâce à un processus d'arbitrage indépendant, pour que la seconde étape du projet de John Howard en 1777 soit enfin franchie.

Nous avons un règlement, il s'agit de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition; c'est la première réforme qu'il avait réclamée, mais il voulait également qu'on fasse appel à des inspecteurs indépendants, des gens de l'extérieur, et c'est également ce que voulait Bentham dans son «Panopticon». À mon avis, c'est précisément ce dont nous avons besoin. L'enquêteur correctionnel, par exemple, devrait être responsable devant le Parlement et non pas devant le ministre. Il devrait être véritablement indépendant.

D'après les règlements, les prisonniers ont le droit d'avoir un avocat, mais comme on n'a pas prévu de financement, c'est très illusoire. Nous avons une affaire qui est en instance devant la Cour suprême du Canada, l'affaire Winters, et pour la deuxième fois—pas la deuxième fois devant la Cour suprême du Canada, mais la deuxième fois en litige—nous essayons d'obtenir que la Legal Services Society de Colombie-Britannique s'occupe des questions disciplinaires dans la prison.

Avec le régime actuel... prenons l'exemple de l'affaire Winters. Winters a été inculpé pour agression. L'agression est une infraction au Code criminel du Canada, mais également aux règlements des services pénitentiaires. C'est un représentant du Service correctionnel du Canada qui décide si la question doit être soumise à un tribunal interne ou externe. De toute évidence, s'il pense que ce sera difficile à prouver devant un tribunal externe, il va choisir l'option interne.

Le résultat de cette décision administrative, c'est que la personne qui comparaît devant un tribunal externe a droit à l'aide juridique—un avocat payé—si elle n'a pas les moyens de payer son avocat elle-même. Par contre, s'il s'agit d'un tribunal interne, ces services ne sont pas payés. Après qu'on a décidé de soumettre un cas à un tribunal interne, on décide ensuite de classer l'affaire dans les catégories grave ou mineure.

Je vais faire une courte digression et expliquer que fut un temps où il y avait trois catégories: grave, intermédiaire et mineure. La catégorie intermédiaire avait été créée parce que les tribunaux avaient décidé que lorsqu'il s'agissait d'une affaire grave on avait droit à un avocat alors que ce n'était pas le cas lorsqu'il s'agissait d'une affaire intermédiaire. Ensuite, le tribunal a décidé qu'on avait le droit d'avoir un avocat payé pour les affaires intermédiaires, et à ce moment-là, on supprima cette catégorie pour revenir aux catégories grave et mineure.

Pour revenir à Winters, si on décide qu'il s'agit d'une affaire grave, la loi prévoit qu'on a droit à un avocat, mais cet avocat n'est pas payé. Dès qu'on a décidé d'une affaire à l'interne, il n'y a plus de financement pour les avocats. Si on décide que c'est une affaire grave, on vous rend le droit de vous faire représenter par un avocat, mais sans financement.

• 1100

Dans l'Institution Kent, à l'heure actuelle, le président est un avocat de l'extérieur qui est véritablement indépendant, et toutes les affaires sont classées mineures; il n'y a donc pas d'avocat. Le problème c'est que le Service correctionnel du Canada résiste chaque fois qu'on tente d'établir une véritable responsabilité indépendante. À mon avis, ce sera le cas tant que les établissements ne respecteront pas la règle de droit.

Vous avez les récentes observations de Madame la juge Arbour. Vous pouvez vous référer à toutes les commissions royales et remonter jusqu'en 1858, vous constaterez qu'elles disent presque toutes la même chose: ces organismes ne respectent pas la loi car ils ne sont pas véritablement responsables devant le public, devant le barreau, le banc de la reine, ou un système d'arbitrage indépendant.

Je sais que cela risque de coûter cher, mais si nous voulons que la loi soit respectée, si nous voulons vraiment consacrer du temps à élaborer une loi solide, une loi qui puisse servir de modèle aux autres pays, une loi qui nous place parmi les pays les plus civilisés du monde, nous devons mettre en place également les recours qui sont nécessaires si on veut que cette loi soit appliquée, respectée. En fait, c'est le message le plus important que j'ai voulu vous apporter aujourd'hui.

Je pourrais continuer pendant des heures, comme vous le savez.

Le président: Votre réputation vous a précédé.

M. John Conroy: J'ai sans doute pris tout le temps qui m'était imparti.

Le président: En effet. Je vais passer aux membres du comité, qui ont été brefs jusqu'à maintenant; mais si je laisse les exposés perdurer, les membres du comité vont me contrarier et être trop verbeux à leur tour.

M. John Conroy: Je suis prêt à répondre aux questions.

Le président: Très bien.

Monsieur Gouk.

M. Jim Gouk: Merci.

Je conviens avec vous que lorsqu'il n'y a pas de représentant des prisonniers dans un établissement pénitentiaire, la direction de l'établissement peut faire n'importe quoi et on ne peut pas parler de véritable justice. Mais, par ailleurs, si vous laissiez les détenus être représentés pleinement par des avocats payés, peu importe les infractions commises à l'intérieur de l'établissement, les prisonniers pourraient, en manipulant le système, perturber le bon fonctionnement de l'établissement beaucoup plus efficacement que s'ils organisaient une émeute. Ils pourraient même faire cesser toute opération à l'intérieur de l'établissement. Où se trouve le juste équilibre?

M. John Conroy: Je ne suis pas d'accord avec vous, monsieur Gouk.

Si un détenu comparaît devant le tribunal disciplinaire et que l'on demande l'ajournement en vue d'aller chercher un avocat, la demande est envoyée à l'aide juridique; si elle est refusée, le détenu interjette appel et celui-ci est refusé. Le détenu est alors obligé de présenter une requête Rowbotham pour obtenir du financement individuel. Or, toute cette démarche échappe à l'objectif des tribunaux, soit d'avoir des jugements disciplinaires rapides.

Des études effectuées, il y a plusieurs années, par le professeur Jackson ont révélé que la présence d'un avocat de service permettait d'accélérer les choses, de mieux cerner la problématique.

Je comprends qu'à première vue, on puisse avoir l'impression que la présence d'avocats ne fera que retarder la procédure, puisque les avocats ont cette réputation; mais d'après mon expérience, la présence d'avocats n'a pas eu cet effet. À mon avis, dès qu'une personne indépendante dirige les diverses commissions, qu'il s'agisse du comité de réexamen des cas d'isolement ou d'un comité de discipline, c'est elle qui tire toutes les ficelles. Dans la mesure où la personne intéressée sait exactement ce qu'elle fait, il est possible d'éviter que des abus soient commis.

M. Jim Gouk: Si je vous comprends bien, il ne serait pas nécessaire que toutes les étapes aient lieu; il suffirait d'aller chercher quelqu'un qui soit à l'extérieur de l'appareil carcéral.

M. John Conroy: C'est exact. Il suffirait d'aller chercher un avocat indépendant et un arbitre indépendant, de préférence.

M. Jim Gouk: Mais chaque fois que l'on parle d'un avocat indépendant... J'essaie de voir comment on peut rationaliser toute la démarche. Faudrait-il que l'avocat soit choisi par le détenu dans chaque cas particulier?

M. John Conroy: Idéalement, oui, mais il y a quand même certaines limites qui s'imposent au choix de l'avocat, dans le système de l'aide juridique, limite qu'impose la situation financière. Ainsi, si j'accepte d'assumer une cause à Vancouver dans le cadre de l'aide juridique, on ne me remboursera pas mes déplacements d'Abbotsford à Vancouver, puisque l'on espère que l'intéressé choisira un avocat de l'endroit, par exemple.

M. Jim Gouk: D'accord.

Le président: Merci, monsieur Gouk.

• 1105

[Français]

Monsieur Marceau.

M. Richard Marceau: Je voudrais vous remercier pour votre présentation, maître Conroy.

Depuis que nous sommes arrivés en Colombie-Britannique, nous avons entendu beaucoup de gens qui trouvaient absurde le fait qu'aux deux tiers de sa sentence, le prisonnier ait automatique droit à une libération conditionnelle. Plusieurs personnes nous ont dit qu'on devait revenir à un système dans lequel les prisonniers auraient à mériter le droit à la libération conditionnelle aux deux tiers de la peine. Que dites-vous à ces gens?

[Traduction]

M. John Conroy: Je crois que les médias ont déformé le sens que l'on donne à la mise en liberté sous surveillance obligatoire, ou la libération d'office. Il ne s'agissait pas d'un privilège accordé aux détenus; au contraire, il s'agissait d'un resserrement des règlements. De tout temps—et c'est encore le cas dans la province—le détenu a eu droit à la libération sous condition après avoir purgé un tiers de sa sentence. Mais il lui fallait auparavant en faire la demande et être vu par une commission, puis celle-ci avait le pouvoir discrétionnaire de l'accorder ou pas au détenu.

Si le détenu ne demandait pas d'être libéré sous condition, ou si on la lui refusait et que le détenu ait déjà purgé les deux tiers de sa sentence, tout en s'étant bien comporté lors de sa détention, il n'était plus obligé de purger le dernier tiers de sa peine et était libéré pour bonne conduite. Cela revenait en fait à mettre un terme à la peine, et c'est toujours le cas au niveau provincial.

Les gens ont dit que cela n'avait aucun sens, puisque ceux qui ne présentaient pas beaucoup de risques se voyaient accorder leur libération conditionnelle, tandis que ceux qui présentaient des risques se la voyaient refuser, tout en sachant qu'ils pouvaient être libérés après avoir purgé les deux tiers de leur peine, sans aucune surveillance. On ne comprenait pas que les détenus représentant le plus de risque ne soient pas surveillés pendant le dernier tiers de leur peine. Et c'est alors que l'on a instauré la mise en liberté sous surveillance obligatoire. Mais comme les détenus dont je viens de parler présentaient des risques plus élevés, ils récidivaient évidemment une fois libérés ou commettaient des infractions aux conditions de leur libération plus souvent que ceux qui avaient été libérés sous condition, et ce sont les infractions des premiers qui faisaient les manchettes. Dès que les médias ont commencé à en parler, la population s'est mise à blâmer la commission pour toutes les erreurs qu'elle avait pu commettre autour de la mise en liberté sous surveillance obligatoire, alors que la décision n'avait rien à voir avec la commission, puisque ce n'était pas elle qui avait accordé les libérations conditionnelles.

Au bout d'un certain temps, on a évidemment resserré les règles. Ce n'est pas que l'on ait consenti des privilèges. On a tout simplement imposé des conditions plus strictes au dernier tiers de la peine; et ce n'est que depuis l'adoption de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition—ou peut-être un peu avant—que l'on a décidé d'abolir la réduction de peine méritée et de parler simplement de libération d'office; en effet, la plupart des détenus méritaient d'être libérés au cours du dernier tiers de leur peine, dans la mesure où ils ne faisaient pas l'objet d'une sentence rendue par un tribunal disciplinaire ou d'autres condamnations de ce genre.

Vous voyez que je serais tout à fait d'accord pour que l'on maintienne la libération d'office et la mise en liberté sous surveillance obligatoire. Mais je répète qu'il s'agit dans ce cas- là d'un exemple de plus d'une situation qui est mal comprise dans le grand public et qui, de ce fait, laisse croire que les détenus ont droit à certains privilèges, et qu'ils ont le droit d'être libérés au moment où ils arrivent au dernier tiers de leur peine.

Mais, rappelez-vous ce qui s'est passé après. Après, on s'est demandé quoi faire avec ceux dont le mandat expirait mais qui étaient toujours considérés comme dangereux au moment de l'octroi de la mise en liberté sous surveillance obligatoire. C'est alors que l'on a pensé au maintien en incarcération.

Avant que le maintien en incarcération n'existe, on avait l'habitude, à la prison de Kent, d'amener le prisonnier dans la carrière qui se trouve à l'arrière de la prison, puis de l'arrêter à nouveau immédiatement. C'est ce que l'on appelait suspendre sa mise en liberté sous surveillance obligatoire. Or, les tribunaux ont décidé qu'on ne pouvait plus procéder ainsi et qu'il fallait que le détenu soit à l'origine d'un événement survenu après sa mise en liberté, avant de suspendre cette dernière. D'où l'idée du maintien en incarcération.

Même si le Service correctionnel du Canada a de bonnes raisons de croire que vous allez commettre à nouveau une infraction violente, avant l'expiration de votre mandat, il peut vous garder incarcéré jusqu'à l'expiration du mandat.

Les Canadiens diront que c'est pour le mieux, puisque les détenus restent incarcérés plus longtemps et que la société s'en trouve donc protégée. Mais, d'après moi, ce n'est pas nécessairement le cas. Supposons un détenu qui a presque fini de purger sa peine, qui présente beaucoup de risques et qui n'a jamais encore été libéré de façon graduelle. Si vous déverrouillez la porte de la prison et que vous l'envoyez dans la rue, il me semble que ses chances de commettre une nouvelle infraction sont bien plus grandes que s'il avait été réintégré graduellement dans la société pour lui permettre de se stabiliser petit à petit.

[Français]

M. Richard Marceau: D'accord, mais le sentiment que j'ai décrit n'était pas seulement celui du public. Depuis que nous sommes arrivés en Colombie-Britannique, lundi, nous avons rencontré non pas des membres du public—c'est la première fois aujourd'hui que nous rencontrons des gens du public—, mais surtout des gens qui étaient partie prenante au processus, qu'il s'agisse de prisonniers, de gardiens ou d'agents de libération conditionnelle. Ces personnes nous disaient qu'il était insensé que ce soit automatique. Je ne parle pas de gens du public, mais de gens qui travaillent dans les prisons, dans le système jour après jour. Ils disaient eux-mêmes être sur la front line. C'étaient des gens vraiment impliqués dans le combat pour la réhabilitation.

• 1110

Pourquoi les gens qui sont en contact quotidien avec les prisonniers nous disent-ils que la libération conditionnelle ne devrait pas être automatique? Ces gens disent que deux ou trois semaines avant les deux tiers de la sentence, les détenus ne sont plus contrôlables parce qu'ils savent que, de toute façon, ils sortiront aux deux tiers de leur sentence. Que doit-on répondre à cela?

[Traduction]

M. John Conroy: Je suis surpris de vous entendre dire cela. C'est la première fois que j'entends cela.

Que je sache, les résultats de la libération d'office ou de la mise en liberté surveillée sont assez prometteurs, même s'ils ne sont pas aussi encourageants que pour la libération conditionnelle. Mais je ne suis pas sûr de bien comprendre quel est le problème. Si l'on revient au système de la réduction de peine méritée, ceux qui se comportent bien vont profiter d'une remise d'un tiers de leur peine et être libérés aux deux tiers de leur peine. Le but de ce programme, c'était d'inciter les détenus à se comporter correctement pour pouvoir gagner une remise du tiers de leur peine. Je ne sais pas si les personnes dont vous parlez proposent d'abolir simplement et purement le programme, ce qui aurait pour effet de laisser toute discrétion à la commission avant toute libération. C'est bien ce qui est proposé?

[Français]

M. Richard Marceau: C'est quelque chose qui ressemblait à cela, d'après ce que j'ai cru comprendre.

[Traduction]

M. John Conroy: Mais je répète que le nombre de détenus demeurant incarcérés augmentera.

[Français]

M. Richard Marceau: Oui, c'est cela.

[Traduction]

M. John Conroy: Cela coûtera plus cher, et un plus grand nombre d'entre eux se retrouveront à l'expiration de leur mandat. Or, je ne suis pas sûr que cela soit dans l'intérêt public.

[Français]

M. Richard Marceau: Merci.

Le président: Merci, monsieur Marceau.

Monsieur Wappel.

[Traduction]

M. Tom Wappel: Monsieur Conroy, je ne comprends pas qui vous représentez exactement. Dans la lettre de nouvelles de la West Coast Prison Justice Society, vous êtes inscrit comme... Êtes-vous John W. Conroy?

M. John Conroy: Oui.

M. Tom Wappel: Vous êtes inscrit comme membre du conseil d'administration depuis octobre ou décembre. C'est inexact, n'est-ce pas?

M. John Conroy: C'est inexact.

M. Tom Wappel: Vous êtes inscrit au nom de la Société Conroy et compagnie, et pourtant le courrier est adressé à Conroy, Hammond et compagnie.

M. John Conroy: M. Hammond n'est plus mon associé.

M. Tom Wappel: Je vois.

Reprenons votre exemple de Winters. Il me semble que la différence vient de ce que, si Winters est accusé d'une agression à l'extérieur de la prison et qu'il est jugé coupable, il est jugé coupable d'une infraction en vertu de laquelle il peut être condamné à l'incarcération au-delà de la période pendant laquelle il est actuellement incarcéré.

M. John Conroy: C'est exact.

M. Tom Wappel: Si vous êtes déjà détenu, l'agression est considérée comme une infraction à la discipline. Elle n'entraîne aucune condamnation, aucun dossier supplémentaire et—corrigez-moi si j'ai tort—elle n'entraîne aucune peine d'incarcération supplémentaire, puisque vous finirez bien par être libéré d'office, si ce n'est plus tôt. Cela me semble être une situation tout à fait différente avec des ramifications tout à fait différentes, ce qui à mon avis justifie que l'aide juridique soit remboursée dans un cas et pas dans l'autre.

Que dites-vous de cela?

M. John Conroy: D'abord, j'estime que l'on devrait avoir au Canada le moins de régime de justice pénale parallèle possible. Si une activité est définie comme étant une infraction au titre du Code criminel, elle devrait donc être jugée en vertu du Code criminel, de même que toutes les infractions qui sont définies dans le Code criminel. Cela peut sans doute déplaire à la plupart des détenus, puisque cela se traduit sans doute, comme vous l'avez signalé, par des peines d'emprisonnement consécutives, même si cela peut se traduire parfois par l'imposition de peines concomitantes.

Vous dites que la liberté est conséquemment touchée. Votre liberté l'est également, ou risque de l'être, dès que vous faites face à une accusation d'infraction disciplinaire. Dans les jugements Cardinal et Oswald, Miller et Morin, la Cour suprême du Canada a reconnu que l'imposition d'une peine d'emprisonnement à l'intérieur même de la prison—c'est-à-dire, pour un détenu, être mis au secret—touche à la liberté. Voilà pourquoi il est à ce point important que le détenu soit représenté par un avocat, à mon avis. Si les amendes imposées pour une infraction à la discipline se limitaient à des privations autres que celles de la liberté, l'absence d'un véritable avocat se justifierait mieux.

Mais rappelez-vous que la prison est une société en soi, et qu'après avoir fait partie d'une société plus vaste, les détenus appartiennent à une deuxième société, la société carcérale, et qu'ils devront un jour réintégrer la première. Dans la démarche correctionnelle, il est important d'encourager les détenus à respecter la loi, à la comprendre, et à être disposés à recourir à des moyens pacifiques à l'avenir. Le prisonnier qui risque l'isolement cellulaire est celui qui a commis une agression que le tribunal disciplinaire considère comme grave. La loi lui donne le droit d'être représenté par un avocat, mais il doit le payer.

• 1115

Ce que j'essaie d'expliquer, c'est qu'une décision administrative retire au détenu le droit d'être financé, alors qu'il s'agit des mêmes faits qui entraînent une condamnation. C'est en tout cas la façon dont le définit la loi. Non seulement la situation a un effet sur l'amende imposée au prisonnier à la suite de son infraction à la discipline, mais elle est aussi inscrite au casier judiciaire. Cela peut changer le classement des détenus selon leur niveau de sécurité et changer le classement sécuritaire—maximum, moyen ou minimum—de l'établissement auquel ils sont envoyés. Cela peut même servir à annuler leur libération conditionnelle.

M. Tom Wappel: Dans ce cas, supposons que la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition soit modifiée de façon que toute infraction à la discipline soit jugée en fonction du Code criminel: le détenu aura ainsi le droit à un avocat, mais sera jugé par le fait même par un tribunal pénal.

M. John Conroy: Il m'a toujours semblé préférable que les infractions commises au titre de la Loi soient limitées aux infractions purement disciplinaires et qu'elles ne soient pas jugées au même titre que les infractions commises au Code criminel.

M. Tom Wappel: Pensez-vous que la plupart des détenus seront d'accord avec vous?

M. John Conroy: Non.

M. Tom Wappel: Je ne le crois pas non plus.

M. John Conroy: Je ne suis pas venu pour vous faire part de ce que souhaitent les détenus.

M. Tom Wappel: Je comprends.

J'aimerais revenir à ce dont parlait M. Marceau, puisque cela a semblé vous surprendre; je crois qu'il est important pour vous de comprendre que cela n'est pas l'oeuvre ni des médias ni du grand public, mais plutôt des travailleurs de première ligne.

J'ai l'impression que nous allons entendre dire la même chose un peu partout au pays. Ces gens ne disent pas—en tout cas, je ne les ai pas entendus le dire—que tous les détenus devraient purger jusqu'au dernier jour de leur peine; personne n'a demandé cela. Ces gens disent simplement que de libérer dans bien des cas des détenus du simple fait qu'ils ont purgé toute leur peine jusqu'au dernier jour, sans que l'on se demande quel a été leur comportement, s'ils ont suivi des programmes de réadaptation, s'ils ont démontré quelque remords que ce soit d'avoir commis le crime pour lequel ils ont été condamnés et incarcérés, comporte un risque pour la population. Et ils ne sont pas uniquement inquiets de ceux qui font l'objet d'une libération d'office, ils s'inquiètent aussi de ceux qui font l'objet d'une procédure d'examen expéditif...

M. John Conroy: Je vois.

M. Tom Wappel: ... puisqu'il suffit, pour les libérer, de compter les jours. Si j'ai bien compris, ces gens considèrent que les détenus qui sont libérés ainsi peuvent représenter un grave danger pour la population.

M. John Conroy: Lorsque vous dites qu'ils représentent un danger pour la population, entendez-vous par là qu'ils risquent d'être violents?

M. Tom Wappel: Oui.

M. John Conroy: Mais c'est parfaitement illogique, voyez-vous. La procédure d'examen expéditif ne s'applique qu'aux détenus non violents de l'annexe II...

M. Tom Wappel: Mais ces gens peuvent être violents; ils peuvent avoir commis plusieurs infractions. Il se peut qu'ils n'aient jamais jusqu'alors été incarcérés dans un établissement fédéral, et que lorsqu'ils sont enfin incarcérés, l'infraction soit considérée comme n'étant pas violente. Mais allez voir celui dont la maison a fait l'objet d'une entrée par effraction: il vous dira qu'il a été la victime d'un crime violent!

M. John Conroy: Je veux bien, et vous pouvez toujours modifier le contenu de l'annexe 1 et de l'annexe II, ce qu'a déjà fait à plusieurs reprises le Parlement. Mais allez-vous vraiment abolir la procédure d'examen expéditif qui s'applique à tous les détenus non violents, qui n'ont pas le genre de passé que vous avez décrit, et que l'on n'a aucune raison raisonnable de considérer comme récidivistes potentiels allant commettre une infraction violente?

L'objectif de tous ceux qui se sont penchés sur le dossier, c'est de trouver des solutions de rechange à l'incarcération et, dans le cas de ceux qui sont incarcérés, de les garder en prison le temps requis et rien de plus. Celui qui, par exemple, a été condamné pour une infraction non violente liée aux drogues peut se voir accorder une semi-liberté après avoir purgé le sixième de sa peine et habiter dans une maison de transition, par exemple, ou peut, après avoir purgé le tiers de sa peine, être en libération conditionnelle totale en vertu de la procédure d'examen expéditif, ce qui aura pour effet que la personne sera longtemps sous surveillance, mais dans la société. Vous comprenez que dans ces cas-là, les coûts sont bien moindres et n'ont rien à voir avec les coûts d'une incarcération.

Mais si le Service correctionnel a des motifs raisonnables de croire qu'un détenu récidivera avec violence, il a le pouvoir de le garder incarcéré. Il en va de même pour la libération d'office qui peut être remplacée par le maintien en incarcération. On peut donc faire des vérifications avant d'accorder la libération d'office, c'est-à-dire au tiers et au sixième de la peine, pour essayer d'identifier ceux qui, à notre avis, seront violents. Il s'agit alors de définir ce que l'on entend par violence.

M. Tom Wappel: Ceux qui travaillent quotidiennement avec les détenus ont déjà entendu vos arguments—mais pas nécessairement de votre propre bouche—mais ils ont entendu la philosophie que vous venez d'énoncer; or, ils n'y souscrivent pas. Ils sont en contact quotidien avec...

M. John Conroy: Puisque vous parlez de ceux qui travaillent quotidiennement dans les établissements, sachez qu'il faut faire attention et bien comprendre le contexte dans lequel ils font leurs revendications. Le syndicat des gardiens de prison de la Californie est l'organisme qui contribue le plus aux coffres du gouverneur, et c'est pourquoi vous trouvez plus de prisons en Californie que partout ailleurs...

M. Tom Wappel: Nous ne sommes pas aux États-Unis. Nous sommes en Colombie-Britannique.

M. John Conroy: Les gens qui étaient sur la ligne de front...

M. Tom Wappel: Nous ne parlons pas des agents de correction, nous parlons des agents de liberté conditionnelle et des agents de programme.

• 1120

M. John Conroy: Ils pourraient tous y trouver des avantages économiques, ce n'est donc pas parce que ces gens sont sur la ligne de front qu'il faudrait nécessairement faire ce qu'ils proposent.

M. Tom Wappel: Soit et...

M. John Conroy: Si vous voulez emprisonner davantage de gens pour de plus longues périodes, alors c'est ce que vous faites.

M. Tom Wappel: Non, à mon avis, ce qu'ils affirment, c'est que les détenus devraient assumer une certaine responsabilité et faire preuve de certains progrès afin de pouvoir être libérés plus tôt, au lieu de simplement purger leur peine. C'est le seul argument.

M. John Conroy: Mais ils continuent de purger leur peine, que ce soit à l'intérieur ou à l'extérieur du pénitencier. Il faut avant tout protéger le public et déterminer si le détenu représente un danger. Il s'agit du critère le plus important.

Donc, si le détenu peut purger sa peine, sous réserve d'une suspension et d'une réincarcération... il perd son droit à l'examen automatique pour la libération conditionnelle. Il n'a pas besoin de commettre un autre délit; il perd son droit sur révocation. Il n'est plus considéré comme un détenu purgeant une première peine sous responsabilité fédérale. Ces gens ont donc beaucoup à perdre, et cela semble efficace. Il y a beaucoup de détenus qui semblent respecter les conditions de leur libération conditionnelle après examen automatique. Voilà, à mon avis, le véritable critère.

Est-ce que nous avons des statistiques montrant que beaucoup de détenus en liberté conditionnelle commettent d'autres infractions? Je ne crois pas.

Le président: Merci, monsieur Wappel. C'est un bon argument. C'est une donnée statistique que nous allons étudier.

M. John Conroy: Quelqu'un a posé une question au sujet des statistiques relatives aux prisons pour femmes, et si vous examinez le rapport de la juge Arbour, vous y trouverez des statistiques à la page 207.

Le président: Oui, mais nos attachés de recherche vont s'occuper d'obtenir l'information.

Monsieur Grose.

M. Ivan Grose: Merci, monsieur le président.

Merci, monsieur Conroy. Vous avez répondu à la question que j'avais posée plus tôt.

Pour faire suite à ce que M. Wappel a mentionné, si quelqu'un est accusé et jugé en prison, est-ce qu'on ne peut pas le condamner à perdre la réduction de sa peine?

M. John Conroy: Plus maintenant, parce que cela a été aboli.

M. Ivan Grose: Il n'y a pas de doute. Il serait alors plus avantageux d'être jugé en prison qu'à l'extérieur.

M. John Conroy: De nombreux détenus, j'en suis persuadé, préféreraient être jugés en prison pour éviter qu'on leur impose des peines consécutives.

On craignait qu'on ait davantage recours à l'isolement cellulaire lorsqu'on a aboli la possibilité d'imposer comme sentence l'annulation de la réduction de peine, mais je crois comprendre que ça ne s'est heureusement pas produit. On semble toutefois imposer davantage d'amendes.

Mais cela pose aussi un problème, comme on l'a signalé plus tôt, car les détenus gagnent très peu d'argent. Vingt-cinq dollars semblent une bien petite somme pour quelqu'un à l'extérieur, mais c'est beaucoup pour quelqu'un qui gagne peu. Je dois débourser 1,75 $ pour le privilège d'accepter chaque appel à frais virés fait par les détenus, car le destinataire des appels à frais virés doit payer conformément à l'accord conclu entre les compagnies de téléphone et Service correctionnel Canada.

M. Ivan Grose: J'ajouterais—et ce n'est pas une question—que la seule allusion à l'isolement cellulaire me fait frissonner d'horreur après avoir vu l'établissement de Kent. J'estime que c'est un traitement inhumain.

En ce qui concerne la représentation des détenus à l'intérieur de l'établissement, je crois que nous pourrions tous admettre que la plupart des dépenses sont engagées par un très faible pourcentage de la population carcérale, les soi-disant avocats en milieu carcéral, etc. S'ils représentent tous les détenus sans qu'aucun contrôle ne soit exercé, est-ce qu'ils ne vont pas consacrer des heures et des sommes démesurées à la défense des détenus, si nous avions un fonds, si c'était financé à l'intérieur de l'établissement? Beaucoup de ces choses sont faites, à mon avis, pour passer le temps. Il faudrait contrôler d'une certaine façon le nombre d'heures payées auquel chaque détenu a droit en matière de représentation.

M. John Conroy: Je crois qu'il faudrait adopter des règles en la matière, comme c'est le cas pour l'aide juridique dans la population civile. Mais je crois que si on s'assurait que les infractions au Code criminel sont jugées devant des tribunaux extérieurs, avec des juges et des avocats indépendants, on réduirait les risques d'abus. Cela serait un premier pas.

• 1125

On pourrait supposer que les infractions seraient véritablement des infractions de type disciplinaire à l'intérieur des prisons. Encore une fois, si le président indépendant a... Si vous commenciez par créer un système d'avocats de service, par exemple, vous constateriez, comme c'est le cas dans les tribunaux extérieurs, que cela aide les gens qui ne veulent pas d'un procès, qui inscrivent un plaidoyer, et qui peuvent compter sur quelqu'un pour les représenter au chapitre de la sentence, ce qui permet d'éliminer certains problèmes. Les tribunaux pourraient ainsi se consacrer aux vrais procès, aux causes où il existe un différend réel ou peut-être des abus possibles du système.

Peu importe le système que nous allons créer, il y aura toujours des gens pour en abuser. Mais nous pouvons espérer qu'un président indépendant, ayant les pouvoirs voulus pour contrôler le processus, pourra réduire au minimum les cas d'abus. Bien sûr, à mesure que se produisent les abus, des petits changements peuvent être apportés pour tenter de les limiter.

M. Ivan Grose: Oui. Malheureusement il y a beaucoup de «si». La raison pour laquelle je soulève cette question...

M. Tom Wappel: L'avocat, c'est lui.

M. Ivan Grose: ... c'est que si la question était posée par un contribuable ordinaire... Je peux déjà l'entendre: «Pourquoi fournirions-nous un avocat à un détenu qui a déjà commis une infraction, qui est emprisonné et qui se comporte mal?» Non pas que je m'oppose à votre idée...

M. John Conroy: Mais lorsque vous êtes emprisonné pour une infraction, la peine ne comprend pas un accès à une justice qui laisse à désirer. Ce n'est pas parce qu'ils ont une peine à purger que s'ils commettent une nouvelle infraction ils vont être traités inéquitablement. C'est en cela que consiste la peine? Si c'est le cas, vous devriez l'inscrire dans la loi afin que tout le monde sache que cela fait partie de la peine d'emprisonnement.

Les études et les enquêtes sur le droit à un avocat montrent en général que le public est d'accord avec la prestation d'une aide juridique adéquate. Mais le problème, à mon avis, c'est que nous n'envisageons pas l'aide juridique dans un système juridique compliqué de la même manière que nous envisageons les soins médicaux. Pourtant, les gens qui se retrouvent devant la justice criminelle ont souvent des problèmes de santé de toutes sortes, qu'ils s'agissent de problème mental ou autres, et il est très important, dans l'intérêt de la santé du Canada et du public, d'aider ces gens à régler leurs problèmes, bon nombre ayant réagi par la violence, afin de les encourager à trouver une solution à leur problème.

Il faut faire comprendre au public qu'il est malsain que des détenus exaspérés essaient de s'en sortir sans aucune aide, qu'ils comparaissent dans les tribunaux civils et carcéraux sans représentation, alors qu'ils ont une éducation insuffisante ou qu'ils comprennent mal les procédures. Il faut convaincre les gens que les fonds consacrés à l'aide juridique en milieu carcéral vont profiter au public à long terme. Mais ce n'est pas facile à faire.

M. Ivan Grose: Merci beaucoup. Vous m'avez fourni une réponse utile.

Merci, monsieur le président.

Le président: Merci, monsieur Conroy. Vous nous avez fait rattraper notre retard. Merci.

Notre prochain témoin vient du International Centre for Criminal Reform and Criminal Justice Policy. Il s'agit de M. Dandurand.

Donc, vous comparaissez seul?

M. Yvon Dandurand (directeur, Élaboration de politiques et droits de la personne, International Centre for Criminal Law Reform and Criminal Justice Policy): Oui, monsieur le président. Mon collègue, M. Tkachuck, est toujours en Afrique et n'a pas réussi à revenir assez tôt pour être ici aujourd'hui. Il vous transmet ses excuses.

Le président: Je vous remercie, c'est très bien. Je suis sûr que vous vous débrouillerez très bien.

M. Yvon Dandurand: Je l'espère. Je vous remercie.

Je vous remercie, monsieur le président et membres du comité.

Le président: Si vous pouviez prendre cinq à dix minutes pour faire votre exposé, il nous resterait du temps pour les questions des membres du comité.

M. Yvon Dandurand: Je vous remercie.

Je m'appelle Yvon Dandurand. Je suis directeur du service d'élaboration de politiques et des droits de la personne au International Centre for Criminal Law Reform and Criminal Justice Policy ici à Vancouver. Contrairement à ce qu'indique l'ordre du jour, le Centre ne fait pas partie de l'Université de la Colombie-Britannique. Il est simplement situé sur le campus. Nous ne sommes pas affiliés à l'université.

Nous sommes affilés aux Nations Unies. Nous faisons partie du programme de la prévention du crime et de la justice pénale des Nations Unies. Et dans le cadre de notre travail, nous avons entrepris un important projet en matière de système correctionnel et de détermination de la peine, projet qui est d'envergure internationale et qui consiste à faciliter la prestation d'aide technique à d'autres pays dans le domaine du système correctionnel et de la détermination de la peine. Nous travaillons par exemple en Afrique, où se trouve mon collègue Brian Tkachuck aujourd'hui, en Chine, en Amérique centrale et en Amérique latine.

• 1130

Rien de ce que je viens de dire n'a directement rapport avec le travail de votre sous-comité. Mais je le mentionne parce que cela nous permet de faire certaines comparaisons générales entre la situation qui existe au Canada et celle qui existe ailleurs.

C'est pourquoi je comparais ici non pas en tant que spécialiste mais plutôt comme un observateur éloigné de ce qui se passe au Canada. Nous travaillons de temps à autre avec nos collègues ici. Nous nous sommes occupés entre autres de faciliter les consultations qui ont eu lieu plus tôt sur la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition à Vancouver. Nous avons également participé à l'organisation d'un colloque national sur la justice réparatrice il y a environ un an et demi, qui portait en fait sur les solutions de rechange aux peines. De plus, notre travail à l'échelle internationale consiste en majeure partie à mettre en oeuvre des normes internationales en matière de justice et de droits de la personne pour ce qui est du traitement des contrevenants.

Aujourd'hui, j'aimerais présenter aux membres du sous-comité quelques commentaires généraux et faire certaines comparaisons. Je commencerai tout d'abord pour une évaluation générale.

Je tiens à dire que les Canadiens ont de bonnes raisons d'être fiers du système qu'ils ont, surtout si l'on compare notre système à celui de la plupart des autres pays, même des pays développés. Pourtant, on constate également que les Canadiens demeurent en majeure partie et dans bien des cas mécontents du système qu'ils ont.

Je pense que c'est une question très importante qui préoccupe, j'en suis sûr, votre comité. Il semble parfois que peu importe la qualité d'un service offert, les Canadiens trouveront toujours à y redire. Cela est en partie attribuable à d'autres facteurs plus généraux qui n'ont rien à voir avec la détermination de la peine et le système correctionnel, c'est-à-dire des facteurs tels que la peur du crime et la mesure dans laquelle les gens se sentent en sécurité dans leur société, et ainsi de suite. On considère qu'un grand nombre de ces questions sont la responsabilité des tribunaux et du système correctionnel alors qu'en fait elles sont la responsabilité des collectivités.

Le public privilégie l'action punitive, et pas seulement au Canada. Partout dans le monde on constate un mouvement de ressac contre certaines des réformes pénales mises en oeuvre au Canada et à l'étranger au cours des dernières années concernant le traitement des criminels. À l'étranger—au sud de la frontière mais aussi partout ailleurs—les exemples ne manquent pas de cas où, lorsque cette préoccupation de la part du public n'est pas prise au sérieux, elle peut déboucher sur une situation sérieuse où le public imposera sa volonté à tous les membres du système et fera connaître sa volonté, avec des conséquences insoutenables pour le système correctionnel. Je songe aux pays qui ont adopté le système de peine obligatoire et un type de système où après trois tentatives, c'est terminé. C'est toujours une possibilité à moins que le système soit crédible aux yeux du public.

Dans l'ensemble, je considère personnellement que depuis l'adoption de la loi en vigueur nous avons fait d'énormes progrès au Canada. Cela ne signifie pas que j'approuve tout ce qui a été fait, mais il faut avouer que beaucoup de progrès ont été réalisés depuis 1992. Je pense que l'on a mieux précisé l'orientation de l'ensemble du système, que l'on a mieux cerné la tâche à accomplir. Je pense également que l'on a nettement amélioré la qualité des décisions prises à tous les niveaux du système, y compris en matière de libération conditionnelle. J'estime que la société est mieux protégée et que l'on est en train de faire des progrès. J'estime également que le système permet maintenant une plus grande participation de la collectivité et des victimes.

Tous ces aspects constituent des progrès importants. Mais il n'en reste pas moins que plusieurs aspects exigent un meilleur effort de notre part, et pas simplement du Service correctionnel ou de la Commission nationale des libérations conditionnelles, mais aussi de l'ensemble de la société.

• 1135

Il y a entre autres l'éternelle question de la transparence. Traditionnellement, tous les systèmes correctionnels du monde sont fermés sur eux-mêmes. Un système correctionnel n'est pas spontanément ouvert et transparent. Je sais que des efforts ont été faits en ce sens, mais je crois qu'il faudra redoubler d'efforts pour s'assurer que notre système—c'est-à-dire les décisions qui sont prises, etc.—soit plus transparent et ouvert au public et à toutes les personnes intéressées, y compris les victimes de crimes et les collectivités.

Cela me ramène à un argument présenté plus tôt par un témoin précédent, M. Conroy, concernant la responsabilité de l'indépendance du système. C'est donc un aspect que je considère comme important, mais il y a aussi la question de la transparence, de l'accès à l'information, et par information j'entends une information qui n'a pas été manipulée et présentée de manière à tâcher d'orienter l'opinion publique dans un sens ou dans l'autre.

Comment peut-on y arriver? Il existe plusieurs moyens, mais celui sur lequel j'aimerais insister ici, c'est l'accroissement de la recherche—et de la recherche indépendante. Il y a beaucoup de recherches qui sont faites, mais elle est en majeure partie contrôlée très étroitement par le système même, par le Service correctionnel entre autres. Les études indépendantes sont vraiment très rares.

Vous pensez peut-être qu'il s'agit d'une proposition sans rapport et théorique, mais détrompez-vous. En fait, l'opinion publique dépend en majeure partie de la crédibilité de l'information fournie. Parfois, le système même transmet de l'information que l'on hésite à croire; on ne sait pas s'il s'agit de propagande ou de recherche. L'un des critères, c'est l'indépendance de la recherche. Je n'insisterai pas plus là-dessus. Je crois que vous savez ce dont il s'agit.

Mais je vous en donne un exemple. J'enseigne aussi au University College de Fraser Valley, au Département de criminologie. L'un de mes collègues dans ce département a commencé une étude, avec la coopération de Service correctionnel Canada et de la force policière locale, sur la situation des détenus une fois qu'ils sont libérés du pénitencier. L'étude est toujours en cours, mais j'ai eu l'occasion de lui parler avant de venir ici.

Comme vous pouvez l'imaginer, une partie de cette recherche a été effectuée par suite des milliers de signatures recueillies pour protester contre le nombre de détenus faisant l'objet de libérations conditionnelles dans la région. Ses propres constatations préliminaires indiquent que les préoccupations du public sont peut-être valables, mais ne sont pas appuyées par les preuves empiriques à savoir où vont les détenus, le taux de récidive, etc.

Je n'ai pas l'intention de présenter ses données en son nom, mais ce que je veux faire valoir ici, c'est que parfois, même si les gens au sein du système se méfient de la recherche indépendante, ils font une erreur, parce que la recherche indépendante peut éclairer les choix collectifs. Il faudrait l'encourager beaucoup plus qu'elle ne l'est à l'heure actuelle.

J'énumérerai simplement quelques autres questions, et les membres du comité pourront peut-être poser des questions à ce sujet. J'ai énuméré sept points qui à mon avis méritent une plus grande attention et de meilleurs efforts, de chacun d'entre nous, y compris ceux qui travaillent dans le système. Je tiens à le préciser, car même si mon bilan des réformes entreprises au cours des dix dernières années est nettement positif, je pense également parfois que nous devançons le public, que nous nous devançons nous- mêmes et parfois aussi que nous devançons ceux qui travaillent dans le système. Il est difficile de faire comprendre à tout le monde ce que nous tâchons d'accomplir. C'est une tâche permanente.

Parmi les sept questions que j'aimerais porter à votre attention, il y a l'éternelle question de la disparité des peines et des moyens de faire comprendre aux gens comment s'effectue la détermination de la peine. Cela ne fait peut-être pas directement partie du mandat du sous-comité, mais le rapport de la Commission de la détermination des peines à la fin des années 80 avait soulevé certaines questions concernant la disparité des peines, questions auxquelles les législateurs au Canada n'ont pas encore donné suite. Je pense que ces questions continuent de hanter le système correctionnel. Comme il s'agit du dernier maillon du système, il n'y a pas grand-chose qu'il puisse faire une fois que les peines ont été prononcées.

Je propose qu'à un certain moment le comité, soit le sous- comité, soit le comité dont il relève, se penche à nouveau sur la question de la disparité des peines.

Il existe un autre aspect sur lequel je n'ai pas beaucoup de renseignements, parce qu'en fait il n'existe pas beaucoup d'information à ce sujet. Mais nous savons que la ministre de la Justice est saisie de propositions concernant la Loi sur les jeunes contrevenants et leur transfert aux tribunaux pour adultes, et tout cela nous oblige à nous interroger sur la situation de ces jeunes contrevenants. Je sais qu'il existe des ententes fédérales- provinciales concernant ces jeunes contrevenants, et il n'est pas facile de déterminer exactement en quoi consistent ces ententes. Cela nous ramène peut-être à cette question de transparence.

• 1140

Là où je veux en venir, c'est qu'il s'agit d'un problème qui est en train de prendre de l'ampleur et qui risque d'être exacerbé si les propositions de la ministre de la Justice que l'on a fait circuler à des fins de consultation sont adoptées par le Parlement. Je considère donc que toute la question des jeunes contrevenants et de son impact sur le système correctionnel fédéral mérite un examen plus approfondi, bien que je ne sois malheureusement pas en mesure d'être d'une grande aide au sous-comité, parce qu'il n'y a pas beaucoup d'information publique sur la situation de ces jeunes. Et je ne suis pas sûr que l'on ait fait beaucoup de travail pour tâcher de prévoir quelles seront les conséquences des changements proposés et des changements récents à la Loi sur les jeunes contrevenants lorsqu'il s'agit de transférer des jeunes contrevenants à des tribunaux pour adultes et peut-être de leur imposer des peines plus longues.

En ce qui concerne le point suivant, je n'ai pas à faire la leçon à qui que ce soit à ce sujet; cependant, je peux vous rappeler que le monde surveille comment le Canada traite ses contrevenants autochtones. Il s'agit d'un domaine où des progrès ont été réalisés, mais la façon dont nous aborderons le problème de leur sureprésentation dans le système correctionnel est d'une extrême importance, et il ne fait aucun doute que les autres pays surveilleront la façon dont le Canada s'occupe de ce dossier.

Le quatrième point, c'est que l'amélioration de la qualité des décisions, dont j'ai parlé plus tôt, est attribuable partiellement aux développements assez impressionnants qui se sont produits au Canada pour ce qui est de mettre au point des méthodes permettant d'évaluer le risque et de gérer le risque que représentent les contrevenants. Comme vous le savez peut-être, il s'agit de méthodes qui s'inspirent des méthodes statistiques et actuarielles permettant de prévoir le risque, et l'ensemble de ces méthodes prévoient les risques sous l'angle des droits des contrevenants. Je suis tout à fait disposé à vous fournir plus de détails sur ce sujet si vous avez des questions. Je pense que c'est un sujet de préoccupation qui mérite une plus grande attention.

En ce qui concerne mes trois derniers points, l'un, c'est qu'il faudrait accorder plus d'attention à la situation des contrevenants ayant des troubles mentaux. Une autre question—et je sais qu'à l'heure où je vous parle on est en train d'essayer d'améliorer la situation—c'est qu'il n'existe pas suffisamment de programmes et de ressources pour des services correctionnels au niveau communautaire, et ce devrait être un secteur prioritaire. Enfin, en ce qui concerne non pas tant le système, mais le Bureau de l'enquêteur correctionnel, je suis convaincu—et je me place ici encore sous l'angle des droits de la personne—qu'il est important que le comité envisage la possibilité de recommander une plus grande indépendance pour le Bureau de l'enquêteur correctionnel, peut-être, comme l'ont proposé d'autres témoins, pour s'assurer qu'il relève directement du Parlement.

Je sais qu'au cours de nos consultations au niveau local, plus tôt cette année, la question a été soulevée à plusieurs reprises. Ici encore, je ne prétends pas offrir des propositions quant à la façon de procéder, mais je signale qu'il s'agit d'une question qui exige une attention immédiate.

Je vous remercie.

Le président: Monsieur Gouk.

M. Jim Gouk: Je vous remercie d'avoir accepté notre invitation. Votre exposé a été très succinct.

Je n'ai pas vraiment de questions précises, mais j'aimerais m'assurer que nous sommes sur la même longueur d'onde à propos de certains points.

Je constate que trop souvent les gens ont tendance à se polariser, en disant qu'il ne faut pas poursuivre quelqu'un parce que ce n'est pas sa faute, qu'il est un produit de son environnement, de son éducation, etc... Je ne crois pas que la situation soit aussi nette. Vous avez parlé de la situation des Autochtones, et les chiffres sont très troublants. Mais nous avons aussi beaucoup plus d'hommes détenus que de femmes, et cela ne signifie pas que nous devons mettre sur pied toutes sortes de programmes spéciaux pour les hommes.

Je pense qu'il faut reconnaître qu'il existe beaucoup de problèmes dans la société autochtone. Beaucoup de ces problèmes leur ont été imposés, et nous devons nous en occuper, mais nous ne devons pas délaisser le système de justice pénale à cause des autres problèmes qui existent. Il s'agit d'un système parallèle, par opposition à une solution de rechange absolue et finale.

C'est la même chose pour le système des jeunes contrevenants. Nous ne fermons pas les yeux sur ce qu'ont fait les jeunes contrevenants à cause de leurs antécédents, mais nous tâchons de nous assurer d'en éliminer les causes.

J'ai eu l'impression pendant que vous parliez que vous avez beaucoup plus d'information et de documentation. Avez-vous peut-être quelque chose que vous pourriez remettre au comité sous forme écrite qui aborderait de façon plus détaillée les idées dont vous avez parlé?

• 1145

M. Yvon Dandurand: Je pourrais certainement vous fournir plus d'information. Je dois dire que nous nous spécialisons surtout dans les données comparatives, ce qui signifie essentiellement comparer notre situation à celle d'autres pays. Il existe des chercheurs, d'autres instituts et d'autres groupes qui sont mieux placés que nous pour vous fournir cette information.

L'un des arguments que je fais valoir, c'est qu'une grande partie de cette information n'est pas disponible. Il est très difficile d'obtenir de l'information sur ce qui se passe vraiment.

Je trouve très important l'argument précédent que vous avez soulevé, à savoir que beaucoup de ces problèmes finissent par devenir, en apparence, des problèmes d'ordre correctionnel alors qu'ils ne le sont pas. Ce sont des problèmes sociaux. Lorsqu'il s'agit de contrevenants autochtones, lorsqu'ils aboutissent dans le système correctionnel fédéral, il est vraiment trop tard pour tâcher de remédier au problème. Il aurait fallu faire autre chose. Vous avez fait le lien également avec la question des jeunes contrevenants, et je ne me souviens pas exactement de la proportion, mais une énorme proportion de contrevenants adultes ont été de jeunes contrevenants. Et il s'agit en fait d'une condamnation de notre traitement des jeunes contrevenants. Si nous étions intervenus de façon plus efficace lorsqu'ils étaient jeunes, ils n'aboutiraient pas dans le système fédéral une fois qu'ils deviennent adultes.

M. Jim Gouk: Il y a de bons programmes qui démarrent actuellement. Il y en a un dans ma circonscription, un programme parallèle pour les empêcher de récidiver, et les résultats ont été tout à fait renversants; le taux de récidive inférieur à 1 p. 100, c'est vraiment un succès incroyable.

Vous avez dit également que beaucoup d'informations fausses circulaient. C'est une chose que nous devons rectifier. Il n'y a pas très longtemps que ce comité a commencé cet examen, mais je me suis aperçu que mon attitude avait déjà changé, en particulier en ce qui concerne les avantages de la libération contrôlée. Ce qui continue à manquer dans le système, c'est que le contrevenant ne se sent pas responsable, n'a pas la notion de la conséquence de ses actes. C'est cette notion de la conséquence des actes qui existe rarement. J'ai demandé à un prisonnier qui comparaissait devant nous s'il préférerait un système qui lui accorde plus de droits, mais également qui alourdirait les conséquences lorsque les prisonniers abusent de ces droits. J'ai été surpris d'entendre qu'il n'aimerait pas du tout un tel système. Que peut-on faire quand les gens réagissent comme ça?

M. Yvon Dandurand: Je crains bien de ne pas avoir de réponse à cette question.

M. Jim Gouk: C'est un des problèmes auxquelles nous cherchons une solution.

Le président: Merci, monsieur Gouk. C'est le tour de M. Marceau.

[Français]

M. Richard Marceau: Monsieur Dandurand, merci d'être venu ici aujourd'hui. J'ai trouvé votre présentation intéressante.

Vous avez dit à plusieurs reprises, dans votre introduction, que les Canadiens devaient être fiers de leur système, que c'était un bon système malgré tout, etc. Vous disiez en quelque sorte que lorsqu'on se regarde, on se désole, mais que lorsqu'on se compare, on se console.

Je veux vous poser la question inverse. Vous faites une comparaison. Quelles choses avez-vous vues ailleurs, dans d'autres pays, développés ou pas, qui devraient peut-être être étudiées et adoptées ici, au Canada?

M. Yvon Dandurand: Dans ce domaine, je ne pense pas qu'il y ait beaucoup de choses à aller chercher à l'étranger, mais au niveau de la prévention, au niveau de la façon dont on règle les conflits lorsqu'ils se présentent, il y a des choses à aller chercher dans d'autres pays, développés ou pas, qui ont trait à la participation du public au niveau de la détermination de la réponse que l'on donne à des crimes. En anglais, on parle de consensual sentencing. Ici, au Canada, on a parlé de justice réparatrice, mais je pense que ce n'est pas un très bon terme. Il s'agit de concevoir des systèmes qui permettent à la communauté de s'impliquer dans la réponse que l'on donne aux cas d'infraction.

Évidemment, dans des cas de crimes violents atroces et ainsi de suite, la réponse est assez simple, mais lorsqu'il s'agit de crimes de jeunes contrevenants et ainsi de suite, on a beaucoup à apprendre de systèmes de pays qui ne se sont pas aussi professionnalisés que le nôtre et qui ont laissé les portes plus grandes ouvertes à une participation du public. Je pense par exemple au circle sentencing ou au family group conferencing, en Australie en Nouvelle-Zélande, dont on fait déjà l'expérience au Canada. Abstraction faite de cela, à bien des égards, nous sommes à la fine pointe.

• 1150

M. Richard Marceau: [Note de la rédaction: Inaudible] ...système de libération conditionnelle.

M. Yvon Dandurand: C'est mon point de vue, oui.

M. Richard Marceau: Merci. C'est tout.

Le président: Merci, monsieur Marceau.

[Traduction]

Monsieur Wappel.

M. Tom Wappel: Merci, monsieur le président.

Monsieur Dandurand, je vais vérifier que j'ai bien compris tous vos arguments. Vous avez dit qu'il fallait faire plus d'efforts dans divers domaines. J'en ai noté huit, mais vous avez dit qu'il y avait sept domaines. Je veux simplement vérifier, et ensuite je vous demanderai de développer un peu une de ces questions.

J'ai sur ma liste la transparence dans le système correctionnel, avec un sous-titre: plus de recherche indépendante; la disparité des peines et la nécessité de sensibiliser le public à la détermination de la peine; les jeunes contrevenants et leur rôle dans les institutions fédérales; les contrevenants autochtones; l'évaluation du risque, et c'est ce point que je vous demanderais de développer, car je ne suis pas certain d'avoir bien compris; les contrevenants souffrant de troubles mentaux; les programmes et les ressources des services correctionnels communautaires; et enfin, l'indépendance de l'enquêteur correctionnel et sa responsabilité devant le Parlement. Comme je l'ai dit, j'avais une liste de huit points, mais vous acceptez le point supplémentaire, n'est-ce pas?

M. Yvon Dandurand: Oui.

M. Tom Wappel: Pouvez-vous nous parler de l'évaluation du risque?

M. Yvon Dandurand: Oui, et en fait, j'avais moi aussi huit points, mais j'ai considéré le premier comme une introduction.

M. Tom Wappel: D'accord.

M. Yvon Dandurand: La notion d'évaluation du risque est, à de nombreux égards, une épée à double tranchant. Là encore, le Canada est vraiment à l'avant-garde. Il y a beaucoup d'autres pays qui s'intéressent à cette technologie qui nous permet d'utiliser des informations statistiques et les dossiers des contrevenants, des éléments comme l'âge auquel un contrevenant a commis son premier délit, la première condamnation, tout ce qui a entouré des libérations conditionnelles passées, etc. Nous avons réussi à regrouper tous ces éléments et à en tirer un barème qui nous permet de prédire d'une façon assez exacte le comportement futur de l'intéressé. C'est devenu un cliché de dire que la meilleure façon de prévoir l'avenir, c'est de regarder le passé, mais sur la base de ce cliché nous avons élaboré une technologie très impressionnante qui nous permet de prendre des décisions plus prudentes. Certains vous diront que les décisions sont trop prudentes.

Quoi qu'il en soit, cela nous a permis d'accomplir deux choses; d'une part, cela donne aux gens qui sont dans le système un langage commun, cela leur permet de mieux comprendre les facteurs de risque et d'en tenir compte chaque fois qu'ils prennent des décisions, dans le quotidien, et des décisions officielles, par exemple en ce qui concerne les libérations. En fait, les résultats sont impressionnants. L'inconvénient, c'est que toutes ces informations concernent le passé.

Du point de vue des droits de la personne, on ne peut pas changer le passé. Si vous me dites que je pose un risque majeur pour l'avenir parce que j'ai commis ma première infraction à l'âge de huit ans, et si vous en déduisez que je suis plus dangereux qu'une personne qui a commis sa première infraction à l'âge de 25 ans, nous aurons beau modifier les programmes, il n'y a absolument rien qui pourra changer ces données. Personne ne peut revenir en arrière et effacer le fait que la première fois qu'on m'a pris sur le coup, c'est quand j'avais huit ans. C'est donc un inconvénient de ce genre d'outils.

Ce système met dans une situation difficile non seulement les détenus, mais aussi d'autres personnes qui ont des démêlés avec la justice. Rien n'est prévu pour leur permettre de prouver qu'ils ont changé, parce que nos techniques et nos méthodes ne permettent que d'évaluer le comportement passé, ce qui soulève la question du respect des droits de la personne. Une fois qu'on a été étiqueté comme «contrevenant dangereux»—risque qui n'est pas établi en fonction de la loi, mais en fonction de ces outils d'évaluation—, il est très difficile d'amener les gens à changer la perception qu'ils ont de nous.

Je sais qu'on s'efforce de mettre au point des outils qui permettront d'évaluer les progrès réalisés par les détenus, mais, à ce que je sache, cela n'a pas encore été fait. Voilà donc la faille de notre système.

M. Tom Wappel: C'est une observation intéressante.

Je vous remercie.

Le président: Je vous remercie.

Monsieur Grose, voulez-vous poser une question?

M. Ivan Grose: Non, mais je crois que nous convenons tous que MM. Dandurand et Wappel nous ont rappelé quelque chose d'essentiel au sujet de la nature humaine. C'est tout ce que j'avais à dire, monsieur le président. Je vous remercie.

[Français]

Le président: Monsieur Dandurand, avez-vous, à votre centre, des études comparatives que vous pourriez partager avec le comité? Je pense en particulier aux bureaux de l'enquêteur dans les autres pays. Comment s'y prennent-ils pour avoir l'indépendance dont plusieurs témoins ont parlé, y compris vous-même?

• 1155

M. Yvon Dandurand: Je vais le faire avec plaisir.

Le président: Merci beaucoup.

[Traduction]

Nos témoins suivants représentent la Native Courtworker and Counselling Association of British Columbia. Je souhaite la bienvenue à MM. Arthur Paul et Brian Chromko. Messieurs, j'aimerais vous demander de faire un exposé d'au plus dix minutes, pour que nous puissions ensuite vous poser des questions.

M. Brian Chromko (directeur administratif, Native Courtworker and Counselling Association of British Columbia): J'aimerais d'abord remercier le comité de nous avoir invités à comparaître devant lui.

J'aborderai surtout deux questions dans mon exposé. La première porte sur la prélibération et la seconde sur la réintégration des détenus dans leur collectivité. Je vous entretiendrai également des services offerts dans les établissements correctionnels, en particulier dans ceux de la Colombie-Britannique.

Les travailleurs auprès des tribunaux ne travaillent pas directement avec les établissements fédéraux en Colombie- Britannique, mais j'ai tout de même visité tous ces établissements, et je me suis surtout familiarisé avec les services offerts aux délinquants sexuels. Ce sont des travailleurs auprès des tribunaux qui ont créé le premier programme de réadaptation des délinquants sexuels en Colombie-Britannique et au Canada. Ils l'ont fait parce que les détenus autochtones qui n'avaient pas une 10e année ne pouvaient pas participer au programme de réadaptation des délinquants sexuels offert à l'époque dans les prisons. Certains détenus ne recevaient donc aucune aide et réintégraient simplement leur collectivité, où ils récidivaient ensuite. Ces détenus étaient laissés pour compte dans les établissements correctionnels.

À l'heure actuelle, nous envisageons d'élargir le programme de réadaptation des contrevenants sexuels pour pouvoir former les travailleurs sociaux qui travaillent actuellement auprès des bandes ainsi que les infirmières en santé communautaire, pour que les collectivités disposent de leurs propres ressources au moment de la libération des détenus. Si un problème se pose dans une collectivité, celle-ci sera mieux à même d'y faire face. On pourra régler ce problème au niveau communautaire.

Quant à la semi-liberté, les Autochtones n'en font tout simplement pas la demande. Bon nombre de détenus autochtones purgent intégralement leur peine et réintègrent ensuite leur collectivité. Ces collectivités ont dit vouloir qu'une aide supplémentaire soit accordée à ces détenus avant leur libération. Dans la région du Pacifique, je crois qu'on a investi environ 1,3 million de dollars dans la prestation de services aux Autochtones. Je m'interroge sérieusement cependant sur la pertinence de certains de ces services. Je pense en effet qu'on pourrait offrir de meilleurs services aux détenus tant dans le domaine de l'éveil spirituel que de la réadaptation.

Je m'arrêterai là. Je cède la parole à Art Paul qui est travailleur auprès des tribunaux et qui a déjà été agent de liberté conditionnelle. Il a également travaillé comme agent de liaison avec les prisons au sein du système provincial. Je demanderai à Art de parler de l'incidence de notre programme de réadaptation sur le taux de récidive chez les délinquants sexuels.

M. Arthur Paul (directeur régional, vallée du Bas-Fraser, Native Courtworker and Counselling Association of British Columbia): Bonjour et merci de nous avoir invités à comparaître. Je m'appelle Arthur Paul, et je suis directeur régional de la Native Courtworker and Counselling Association pour la vallée du bas Fraser, en Colombie-Britannique.

J'ai présenté un mémoire au sous-comité dont l'introduction porte sur le rôle des travailleurs auprès des tribunaux. Notre rôle est essentiellement de faciliter, du moins nous l'espérons, la mise en oeuvre des services offerts dans les établissements pénitentiaires.

J'aimerais d'abord dire que je pense que le programme de base destiné aux Autochtones dans les établissements pénitentiaires est un bon programme. Je ne peux pas dire qu'il donne de bons résultats dans le cas de tous les Autochtones, mais je pense qu'on peut dire qu'il est efficace dans certaines provinces.

• 1200

Je désire aujourd'hui demander la mise en oeuvre d'un programme à deux volets. Le premier volet est l'incarcération dans un établissement pénitentiaire suivie de la mise en oeuvre de notre programme de réadaptation des délinquants sexuels. Le programme fait suite à notre programme de réadaptation ou le complète. Le deuxième volet du programme est la participation communautaire. J'aimerais que ce programme puisse être mis en oeuvre dans l'ensemble de la Colombie-Britannique, et je ne peux malheureusement pas me prononcer sur ce qui devrait être fait dans le reste du Canada.

La proposition que je vous fais fait suite à l'examen quinquennal du volet autochtone de la LSCMLC, qui a été terminé en février 1998. Les statistiques indiquent que le taux de récidive chez les Autochtones est supérieur à la moyenne. En outre, les Autochtones sont réincarcérés parce qu'ils contreviennent à certaines conditions de nature technique qui leur sont fixées au moment de leur libération. Ce programme aiderait les Autochtones à bien comprendre ce qu'est une violation de nature technique. Les clients avec lesquels j'ai parlé au cours des dernières semaines m'ont dit que personne ne leur avait jamais expliqué ce qu'il en était. Je sais que certains agents de gestion de cas le font, mais il arrive souvent que les Autochtones écoutent et disent avoir compris, lorsque ce n'est pas du tout le cas. J'espère que le programme que j'offre les aidera à mieux comprendre leurs droits.

Je propose un programme interne pour ce qui est des permissions de sortir, de la semi-liberté et des libérations d'office. Je songe aussi à faire appel aux comités consultatifs autochtones qui existent dans les collectivités. Un témoin précédent vous a parlé de l'évaluation des risques. Je crois qu'on devrait davantage avoir recours à cet égard aux comités consultatifs autochtones ou à des comités composés d'aînés. On m'informe qu'un groupe consultatif d'aînés est consulté à cet égard dans la vallée du bas Fraser, en Colombie-Britannique.

J'aimerais signaler que certains groupes consultatifs autochtones se composent de gens qui ne sont pas de la Colombie- Britannique. En fait, ils viennent de l'Est, ce qui nous préoccupe beaucoup. Des Autochtones de l'Est enseignent leurs traditions et leur culture aux gens de l'Ouest, ce qui ne fait le plus souvent que créer de la confusion dans les esprits des Autochtones. J'espère donc que les travailleurs auprès des tribunaux aideront les comités consultatifs dans leurs évaluations.

J'ai en fait plus de facilité à répondre à des questions qu'à présenter un mémoire. J'espérais que vous auriez lu ce mémoire à l'avance.

M. Brian Chromko: Les travailleurs auprès des tribunaux sont répartis dans 32 bureaux en Colombie-Britannique. Nous constituons donc une véritable organisation provinciale. Nous collaborons actuellement avec le Service correctionnel dans le domaine des évaluations communautaires. Il est très difficile de travailler avec le Service correctionnel à mettre en oeuvre un meilleur système. On pourrait penser qu'il serait idéal pour le Service correctionnel de pouvoir compter sur un travailleur auprès des tribunaux pour faire une évaluation rapide de quelqu'un qui serait envoyé à Fort Ware, par exemple. À la libération de ce détenu, le travailleur auprès des tribunaux veillerait à le jumeler à une personne-ressource de la collectivité qui connaîtrait le dossier de l'ex-détenu ainsi que la formation qu'il a reçue, le cas échéant.

Permettez-moi de vous mentionner certaines choses que j'ai vues se produire en Colombie-Britannique. Un délinquant sexuel, un pédophile, a été libéré dans la collectivité. Il avait purgé sa peine de cinq ans et enseignait maintenant les langues au niveau préscolaire. Pour la collectivité, comme il avait purgé sa peine, il était guéri. La collectivité n'est pas suffisamment informée pour savoir qu'un pédophile est incurable et qu'on ne devrait jamais lui permettre de travailler de nouveau avec des enfants. La collectivité doit prendre des mesures rigoureuses pour assurer la sécurité des enfants si un contrevenant de ce genre doit se réintégrer à la collectivité.

• 1205

Lorsque nous avions dans la province un système d'agents de liaison avec les prisons, le taux de récidive était très peu élevé. Nous offrions des programmes de qualité qui remportaient beaucoup de succès.

Je répondrai maintenant à vos questions.

Le président: Je vous remercie.

Monsieur Gouk.

M. Jim Gouk: Vous avez soulevé des points très intéressants. Le problème auquel nous faisons face est en partie attribuable au fait que notre mandat général, si je peux le résumer ainsi, est d'améliorer le système. Comme quelqu'un l'a dit, il n'est pas tellement difficile de cerner les problèmes, mais il est beaucoup plus difficile de les résoudre.

Vous avez mentionné le fait que certaines personnes étaient exclues des programmes de réadaptation parce qu'elles n'avaient pas une 10e année d'études. Partons-nous du principe que quelqu'un qui n'a pas une dixième année n'est pas en mesure d'assimiler le contenu de cette formation?

M. Brian Chromko: Le programme actuel destiné aux délinquants sexuels exige qu'on sache assez bien lire et écrire, parce qu'il faut prendre en note tout ce qui concerne son comportement.

M. Jim Gouk: Comment régler ce problème? Que cela signifie-t- il pour le système d'éducation?

M. Brian Chromko: Les collectivités s'attendent à ce que le système correctionnel offre de meilleurs programmes aux détenus. On peut beaucoup les aider. Je fais allusion à des programmes qui les aideraient vraiment à changer leur vie et à régler le problème de la récidive.

Au lieu de bons programmes, le système correctionnel dépense 1,3 million de dollars dans la région du Pacifique pour offrir des services internes. J'ai cependant constaté une très mauvaise gestion de ces sommes. Il est impossible pour une personne de l'extérieur de changer quoi que ce soit à la situation parce que le Service correctionnel dit toujours que cet argent doit être dépensé de façon interne. À Elbow Lake, lorsque nous avons construit une suerie, des travailleurs des services correctionnels ont amené du gravier et de la terre et ont facturé 10 000 $ pour ce travail. Voilà ce que j'entends par une mauvaise gestion de cet argent. Il faudrait plutôt offrir des programmes qui changeront vraiment la vie des détenus.

M. Jim Gouk: Que faire au niveau communautaire pour améliorer les services offerts?

M. Brian Chromko: Je crois que la collectivité veut être davantage consultée sur ces services. Comme Art l'a mentionné, la collectivité est rarement consultée au sujet de la libération des détenus.

Je pourrais vous donner le cas d'un autre délinquant sexuel qui a réintégré sa collectivité en Colombie-Britannique. Il est retourné dans la maison qui était juste à côté de la maison où vivait sa victime. Son agent de liberté conditionnelle lui a fixé comme condition de lui faire rapport une fois par mois. La famille de la victime ne savait pas comment se comporter, pas plus que la collectivité. Le délinquant sexuel était sur le point de commettre un autre crime, et c'est à ce moment-là que Art et Doreen sont intervenus. Il a reconnu Doreen, qu'il avait vue en prison, et lui a dit: «Je vais récidiver.» Art et le comité ont aidé la collectivité à apprendre comment s'occuper du cas de cette personne.

M. Jim Gouk: C'est exactement le point que je voulais faire valoir. Nous insistons toujours sur les programmes qui doivent être offerts aux contrevenants, mais ne conviendrait-il pas d'investir une part importante de l'argent dont nous disposons pour enseigner aux collectivités comment faciliter la réintégration de ces personnes? Ne devrait-on pas s'intéresser aussi à l'éducation des collectivités?

• 1210

M. Brian Chromko: C'est ce que je réclame depuis un certain temps. Le Service correctionnel dit que ce n'est cependant pas son mandat. Chacun dit la même chose.

Ce que je proposais, ce n'était pas de créer un autre palier de bureaucratie, mais simplement de former le personnel en place pour qu'il sache comment aider les collectivités de la Colombie- Britannique à comprendre ce dont ont besoin les contrevenants. Le Service correctionnel pourrait ensuite avoir accès à ce genre de programme. Les problèmes qui pourraient se poser seraient ainsi réglés de façon plus efficace, et des décisions plus éclairées seraient prises.

M. Arthur Paul: C'est exactement ce que j'essayais de vous expliquer plus tôt. J'ai proposé un programme d'intégration communautaire et de préparation à l'emploi. Le deuxième volet du programme portait sur la création d'un service d'appui pour les comités consultatifs communautaires ainsi que sur la formation de ces comités. Nous avons constaté que la majeure partie de la formation qui est dispensée est assurée par des Autochtones de la côte Est qui ne répondent pas aux besoins des Autochtones de la côte Ouest.

Le troisième volet de notre programme vise à favoriser le recrutement du personnel voulu au sein du Service correctionnel du Canada. Au total, Brian et moi comptons 25 années d'expérience dans les établissements pénitentiaires et à l'extérieur de ceux-ci... Des gardiens de prison sont devenus des travailleurs auprès des tribunaux parce qu'ils ont constaté qu'ils pouvaient de cette façon jouer un rôle plus utile. On ne tenait pas compte de mes recommandations lorsque j'étais agent fédéral de liberté conditionnelle. On n'y attachait pas beaucoup de poids parce que je suis Autochtone.

On avait confié à un agent de liberté conditionnelle non autochtone le cas de 23 ex-détenus autochtones dans la vallée du bas Fraser. J'ai pensé que l'une des raisons pour lesquelles on m'avait embauché, c'était pour me confier la mise en oeuvre des programmes autochtones. Ce n'était cependant pas la raison pour laquelle on m'avait engagé. On m'avait engagé comme simple agent de liberté conditionnelle. Je croyais cependant qu'on m'avait engagé parce que j'avais déjà travaillé avec des Autochtones.

Le président: Je vous remercie.

[Français]

M. Richard Marceau: Monsieur Chromko, lorsque nous sommes allés voir les institutions en Colombie-Britannique, j'ai demandé d'où venaient les sages, les elders, et on m'a dit que beaucoup venaient de l'est. Une des raisons, m'a-t-on dit, était qu'il y avait beaucoup de Cris dans les prisons de la Colombie-Britannique et que, les Cris n'étant pas de Colombie-britannique, il fallait faire venir des sages cris de la région à l'est des Rocheuses. C'est l'explication qu'on m'a donnée. Est-ce vrai? Est-ce que cela a du sens?

[Traduction]

M. Brian Chromko: Une bonne part de la population carcérale vient de l'Est. Je dirais que près de 50 p. 100 de la population carcérale autochtone en Colombie-Britannique ne vient pas de l'Ouest. Ces Autochtones sont des Cris et des Ojibway venant de toutes les régions du Canada. Les comités d'aînés sont censés être représentatifs, mais je suppose que cette représentation n'est pas aussi équitable qu'on le souhaiterait.

[Français]

M. Richard Marceau: Je connais très peu la culture amérindienne et je l'avoue sans gêne aucune. On m'a dit que le système dans lequel les elders aidaient et les suivaient un peu comme des prêtres ou des ministres des religions chrétiennes fonctionnait très bien. On me l'a vanté et on m'a dit qu'il aidait beaucoup les prisonniers amérindiens, mais j'ai le sentiment, après votre présentation, que la participation des elders des nations autochtones canadiennes ne fonctionne pas aussi bien qu'on le dit.

• 1215

Que pourrait-on faire pour améliorer cela, selon vous?

[Traduction]

M. Brian Chromko: L'une des difficultés qui se posent en Colombie-Britannique, c'est qu'il existe 31 nations autochtones qui parlent 31 dialectes. Nous sommes aussi différents les uns des autres que les Italiens le sont des Français. Chaque groupe a sa propre culture et ses propres usages.

Dans les établissements carcéraux, c'est surtout la culture de l'Est qui est représentée: les sueries et les calumets notamment. La culture qui est représentée dans les établissements carcéraux ne m'est pas acceptable parce qu'elle ne reflète pas du tout la culture dont je suis issu. Le processus de réadaptation des détenus n'est sans doute pas aussi efficace qu'il pourrait l'être en raison de cette situation. Il vaudrait peut-être mieux enseigner une culture qui comporte des éléments de toutes les cultures autochtones.

Pour nous la religion est à mettre en rapport avec la spiritualité. Là d'où je viens, Coyote était un dieu. Il s'est mis à jouer des tours à un autre dieu, et on a vu des montagnes se former, puis ce fut un véritable déluge; il s'est alors transformé en morceau de bois pour se laisser porter par l'eau jusqu'au sommet de la montagne. Dans le christianisme, nous parlons également de ce déluge et de la montagne. Il y a donc des parallèles. Je crois qu'il serait sain de faire un peu de religion comparée, plutôt que d'essayer d'imposer une pratique religieuse comme étant la seule acceptée.

[Français]

M. Richard Marceau: Donc, vous me dites que lorsqu'on dit qu'il faut respecter la culture et la tradition autochtones, c'est faux parce qu'il y a des traditions autochtones au pluriel et des cultures autochtones au pluriel, qui, à l'heure actuelle, ne sont pas toutes bien représentées ou prises en compte dans le système correctionnel canadien.

[Traduction]

M. Brian Chromko: Oui. C'est une question de diversité culturelle; il faudrait étendre ce genre d'enseignement. Plutôt que d'enseigner une religion, enseigner différentes façons de voir et de faire. J'ai un petit peu de mal à imaginer que quelqu'un qui se retrouve en prison soit promu du jour au lendemain gardien du calumet. Pour commencer, les gardiens du calumet ne sont jamais en prison; je crois que cela va à l'encontre de tous les principes de cette culture.

[Français]

M. Richard Marceau: Donc, ce serait comme demander à un Québécois francophone de porter la jupe écossaise. C'est un peu ce que vous me dites.

On m'a dit que dans un centre qui s'appelle Elbow, en Colombie-Britannique, il y avait une forte proportion d'autochtones, ce qui n'était pas le cas des autres centres qu'on a vus. Il y en avait, bien sûr, mais il y en avait une concentration plus grande à Elbow. Est-ce que cette concentration d'autochtones de différentes nations est une bonne chose? Vaut-il mieux concentrer les autochtones au même endroit, même s'ils sont de différentes nations, que de les mettre dans un système carcéral qui est majoritairement blanc ou dans une institution où la plupart des gens sont des non-autochtones?

• 1220

[Traduction]

M. Brian Chromko: Non. Je pense que c'est bien comme ça; ce que je demande simplement, c'est qu'on n'impose rien comme absolu.

[Français]

M. Richard Marceau: Merci beaucoup.

[Traduction]

Le président: Monsieur Paul, vous aviez quelque chose à nous dire là-dessus.

M. Arthur Paul: Oui. Vous nous parlez d'Elbow; le conseil des aînés s'est occupé du contrat. Il y a 110 personnes qui participent au programme, et 55 sont des Autochtones, mais parmi ces 55 Autochtones qui suivent le programme des aînés d'Elbow, pas un seul ne s'est intéressé à cet aspect du programme. Cela montre qu'il faudrait faire preuve d'une plus grande sensibilité culturelle. L'aîné autochtone qui s'occupe de ce contrat vient lui aussi de l'Est. Apparemment c'est à l'origine du problème.

Le président: Merci.

Monsieur Grose, aviez-vous une question à poser?

M. Ivan Grose: Merci, monsieur le président. Je me sens un petit peu dépassé par tout cela. Je préfère écouter que poser des questions.

Le président: Monsieur Wappel.

M. Tom Wappel: Merci de vous être déplacés, et merci de nous avoir remis ce document. J'aurais quelques questions à vous poser à ce sujet. En fait j'ai essayé de faire deux choses à la fois: vous écouter et parcourir votre texte.

Il y a un message de votre président, mais je ne trouve son nom nulle part sur le document. Qui est-ce?

M. Brian Chromko: Hugh Braker.

M. Tom Wappel: L'énoncé de mission porte sur la démarche holistique en matière de prévention et d'intervention. D'après les statistiques du Service correctionnel du Canada—je ne me souviens pas exactement du chiffre que j'ai dans ma documentation à Ottawa, mais je pense que c'est bien 25 p. 100—25 p. 100 de tous les détenus des prisons fédérales ont été victimes d'agressions sexuelles dans leur enfance. Vous avez vous aussi des statistiques sur les délinquants sexuels autochtones. Vos statistiques ne portent pas toutes là-dessus. Mais savez-vous, statistiquement, combien de détenus autochtones ont été victimes de mauvais traitements sexuels dans leur enfance?

M. Brian Chromko: Sans doute 100 p. 100.

M. Tom Wappel: On imagine alors qu'il faut commencer à faire de la prévention au niveau communautaire, pour éviter que les enfants ne soient victimes, n'est-ce pas?

M. Brian Chromko: Dans les collectivités autochtones cette question d'agressions sexuelles est omniprésente, ça n'a toujours pas disparu, et nous avons beaucoup de travail à faire pour pouvoir faire disparaître ce phénomène. Dans certaines de ces collectivités autochtones on veut traiter cela de façon différente. Au lieu de passer par la prison, on voudrait traiter cela de façon interne.

M. Tom Wappel: Mais les mauvais traitements sexuels imposés à ces enfants sont certainement contre tous les principes religieux.

M. Brian Chromko: Oui.

M. Tom Wappel: Où est-ce que cela ne marche pas, alors? Où est-ce que ça coince?

M. Brian Chromko: La majorité de ces agressions sexuelles sont à mettre en rapport avec les internats. On continue à en subir les conséquences. La majorité de ces enfants des internats ont été agressés sexuellement, et maintenant nous avons, génération après génération, des gens qui ont connu ces internats, c'est-à-dire que c'est une réaction en chaîne au niveau communautaire. Voilà pourquoi nous voudrions changer la façon de traiter cela sur le plan correctionnel, ou judiciaire, et revenir au niveau communautaire. Malheureusement, les crédits de l'État ne prévoient pas ce genre de procédure. C'est-à-dire que l'argent n'est versé que si l'on remplit les conditions prévues par le programme.

Ce que j'avais prévu de faire c'était de visiter toutes les collectivités de la Colombie-Britannique, de consacrer une journée à cela avec le chef et le conseil, et quatre journées avec les travailleurs sociaux des bandes, et tous les Autochtones concernés, pour élaborer un plan d'action sur la façon de traiter ce problème; j'y serais ensuite retourné la semaine suivante pour passer trois jours avec les agents de probation, les agents de liberté conditionnelle, les policiers, etc., pour travailler avec eux pour élaborer ce plan d'action. Ce serait une façon effectivement d'associer toute la collectivité au traitement du problème. Jusqu'ici je n'ai pas encore pu obtenir l'argent nécessaire pour faire ce qui me paraît être la seule solution.

• 1225

M. Tom Wappel: Mais n'y a-t-il pas, au niveau de la bande, de l'argent pour ce genre de chose?

M. Brian Chromko: Il n'y a pas de crédits de la bande pour cela. La plupart des bandes ont tout juste assez d'argent pour boucler leur budget. Je me suis rendu au ministère des Affaires indiennes, au Service correctionnel du Canada, je me suis adressé à plusieurs instances, pour pouvoir au moins passer à cette première phase d'élaboration d'un plan. Cela permettrait alors à la collectivité de prendre toute la responsabilité du problème, et c'est par là qu'il faut commencer. Tant que la collectivité ne se sentira pas concernée et responsable nous ne verrons aucune évolution.

M. Tom Wappel: Merci. Voilà donc une statistique fort triste que vous nous avez communiquée; c'est terrible.

Le président: Monsieur Gouk.

M. Jim Gouk: Je suis un petit peu perplexe ici, et j'aimerais avoir vos lumières. Lorsque vous dites que les bandes n'ont pas d'argent... Je ne connais pas toutes les bandes et toutes les situations, mais pour les Nishgas, par exemple, où cela concernerait de 1 700 à 1 800 personnes, le revenu annuel est de 28 millions de dollars. Les Stony, 3 300 personnes, ont 50 millions de dollars de revenu par an. Comment se fait-il alors, avec ces chiffres que je vous cite, que l'on n'arrive pas à faire financer ce genre de choses par les bandes?

M. Brian Chromko: Les Nishgas n'ont pas encore touché leurs 28 millions de dollars.

M. Jim Gouk: Si, c'est le budget actuel. Ça passera à 32,1 millions...

M. Brian Chromko: J'ai dîné avec eux hier soir, et ils n'avaient toujours pas ces 28 millions de dollars.

L'argent du ministère des Affaires indiennes, et c'est le problème... vous avez de l'argent pour ceux qui sont inscrits à l'assistance sociale; l'argent est donc prévu pour un budget bien précis, et vous ne pouvez pas le dépenser ailleurs. Il y a donc une limite... même si cela n'a aucun sens d'entretenir des gens, à l'assistance sociale, à ne rien faire, les modalités de financement du ministère des Affaires indiennes n'autorisent pas d'utiliser l'argent autrement. Voilà exactement les difficultés auxquelles nous nous heurtons sur le plan financier. Il y a un crédit limité qui est destiné à un budget précis, et vous ne pouvez pas le dépenser à droite ou à gauche.

Le président: Une partie de cet argent prévu pour le nouveau programme de guérison est mise à la disposition des collectivités, si je ne me trompe. Ne pourrait-on pas débloquer une partie de ces fonds pour ce dont vous nous parlez?

M. Brian Chromko: Les travailleurs sociaux auprès des tribunaux ont fait une demande pour s'occuper d'un programme de traitement et de réintégration des délinquants sexuels, et nous avons de notre côté demandé qu'on leur alloue quatorze conseillers.

Le président: Il y a quand même une certaine marge...

M. Brian Chromko: Nous l'espérons, car c'est à la collectivité de prendre en charge le problème et d'en assumer toute la responsabilité. Le système correctionnel, là où c'est possible, pourrait essayer de collaborer plus étroitement avec la collectivité autochtone, même si, d'après ce que je comprends, ce n'est pas son travail. Mais, à long terme, une participation au niveau communautaire de la part de ces services sera payante. Ce serait le meilleur des systèmes.

Le président: Merci beaucoup, monsieur Chromko et monsieur Paul. Merci de vous être déplacés et de nous avoir présenté votre mémoire.

Je pense maintenant que le comité va suspendre ses travaux pour le repas de midi.

[Français]

Mais auparavant, Richard a une autre question.

[Traduction]

J'aimerais bien tenir une petite séance à huis clos pour discuter du travail de demain. Il y a un certain nombre de choses dont nous avons besoin de parler entre nous.

[La séance se poursuit à huis clos]

• 1259

[Note de la rédaction: reprise des audiences publiques]

Le président: Nous reprenons nos travaux, et j'aimerais souhaiter la bienvenue à nos témoins: Mme Turcotte, avec qui nous étions hier à Ferndale, et M. Doyle, qui va faire un exposé au nom des Canadiens contre la violence partout recommandant sa révocation. Peut-être pourrions-nous donc avoir un exposé de cinq à dix minutes, après quoi nous passerons aux questions des membres du comité.

M. Ben Doyle (directeur des communications, Canadiens contre la violence partout recommandant sa révocation ): Je m'appelle Ben Doyle. Comme vous le disiez, vous connaissez Rosalee Turcotte, qui participait hier à vos consultations dans la vallée du Fraser. Elle a beaucoup travaillé à cette question ainsi qu'à d'autres à titre de membre de CAVEAT et de membre du comité consultatif des citoyens.

Afin de vous expliquer les choses, Rosalee et moi avons fait connaissance il y cinq ans, en 1994, à la porte de salles d'audience contiguës à la Cour suprême de la Colombie-Britannique, à New Westminster, alors que nous étions là pour deux procès différents. Elle suivait le procès de la personne qui a finalement été condamnée pour le meurtre de son fils, Kenny, en 1991. Pour moi, c'était mes débuts, et j'étais là pour le procès de l'homme qui fut par la suite jugé responsable du meurtre de ma meilleure amie, Angie, en 1992.

• 1300

Je dis cela parce que je veux vous faire comprendre qu'en tant que membre de CAVEAT nous ne sommes pas du tout ici du fait d'une réaction instinctive de colère. En effet, cela fait longtemps que nous travaillons à ce dossier, qui nous semble extrêmement important, si l'on veut parvenir à des changements positifs dans le système. C'est pourquoi nous sommes venus ici aujourd'hui.

Plus précisément, CAVEAT espère par sa comparution améliorer le profil des victimes et aider d'autres personnes à comprendre qu'il est nécessaire que le système reconnaisse les victimes. Bref, nous affirmons que la protection de la société doit être primordiale.

Je vais vous résumer un document qu'a préparé Rosalee pour CAVEAT, C.-B. Il a été distribué aujourd'hui, et vous en recevrez un exemplaire.

Le dépôt du projet de loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition en 1992 a eu des conséquences importantes du point de vue législatif. La Commission nationale des libérations conditionnelles a été rendue responsable des décisions de ses membres, et ce, par la création d'un registre des décisions. Cette base de données des décisions concernant les libérations conditionnelles contient des renseignements très importants. Nous estimons que cette disposition a mené à une meilleure sensibilisation et à une meilleure compréhension de la Commission nationale des libérations conditionnelles, à laquelle le grand public fait maintenant plus confiance.

Par contre, le Service correctionnel du Canada est loin d'en être arrivé là, et une des raisons à cela est l'absence d'un tel registre.

À l'heure actuelle, la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition exige que certains renseignements—limités toutefois—soient communiqués sur demande aux victimes. Toutefois, ces détails sont trop élémentaires pour apporter quoi que ce soit et surtout pour réconforter ou aider les victimes qui cherchent à en savoir plus. Une quantité énorme d'information n'est pas obligatoirement communiquée sur demande, notamment les dates des audiences et des examens de dossiers, les conditions attachées à la libération, la destination générale du contrevenant lorsqu'il est libéré, etc. D'autre part, il n'est absolument pas fait mention de la participation du contrevenant, ni de sa non-participation, à certains programmes ou thérapies, ni encore de son comportement alors qu'il est sous surveillance ou d'indications quelconques quant aux risques ou aux remords. Ces renseignements ne sont tout simplement pas donnés.

Le Service correctionnel du Canada déclare qu'une de ses missions est «de veiller à ce que les préoccupations des victimes soient prises en compte dans l'exercice de ses responsabilités». Je signalerais que le libellé «prises en compte» est très faible. Malheureusement, le système regorge de choses de ce genre à propos des victimes. Cela est très révélateur de la façon dont le système néglige trop souvent les victimes, si même il en tient compte.

Le résultat est que beaucoup de victimes sont très découragées quand elles essaient de prendre contact avec le Service correctionnel et d'obtenir certains renseignements de sa part. Les coordonnateurs des liaisons avec les victimes, même s'ils sont là, s'acquittent de cette tâche en plus de leurs tâches régulières; et ne s'y consacrent pas à plein temps. Il ne s'agit pas de les critiquer; c'est simplement pour signaler que ce système ne sert pas bien les victimes.

Les principes sur lesquels repose cette loi dictent que Service correctionnel du Canada doit agir de façon «sincère et juste» à l'égard des détenus. Toutefois, rien ne dit que les victimes doivent être traitées ainsi.

Je signale que CAVEAT ne demande pas de droits spéciaux; nous demandons simplement des droits égaux en principe à ceux des contrevenants. Les victimes doivent obtenir une place dans le système et méritent d'être reconnues.

Il existe aujourd'hui un problème dont on ne parle pas. Si un contrevenant choisit de ne pas demander à la Commission nationale des libérations conditionnelles d'être libéré sous condition alors qu'il pourrait le faire, les victimes et le grand public n'ont aucun accès aux renseignements concernant cette personne. Le problème est encore amplifié dans les situations où les contrevenants purgent une sentence à vie et ne pourront présenter de demande de libération conditionnelle avant des années. Cela signifie que de nombreuses années de renseignements, documentations et décisions du Service correctionnel du Canada ne sont pas accessibles aux victimes ni au reste de la société.

Nous considérons les graves conséquences de circonstances liées aux contrevenants à risque élevé qui attendent la libération d'office, ou, dans le cas du Service correctionnel, de les envoyer dans d'autres établissements, ou d'obtenir une autre forme de libération laissée à la discrétion du chef de l'établissement correctionnel concerné. Contrairement à la Commission nationale des libérations conditionnelles, toutes ces décisions sont prises sans que le public soit informé, et nous pouvons illustrer nos propos de la façon suivante.

• 1305

Sans entrer dans les détails, il y avait deux personnes qui s'étaient enfuies et n'avaient pas été rattrapées. Elles étaient coupables d'un meurtre à Seattle, dans l'État de Washington. Il y en avait une autre, plus près. Ce que nous voulons dire, c'est que la suite d'événements ne peut être suivie, ni même retracée. C'est une situation qui porte le grand public à se méfier du système parce qu'il n'obtient pas les informations nécessaires. Le problème s'aggrave encore quand on obtient des renseignements que l'on n'est pas certain de pouvoir considérer comme crédibles.

Les victimes ont indiqué qu'elles souhaitaient être avisées des transferts et libérations avant qu'ils n'aient lieu. D'autre part, elles veulent avoir la possibilité de se faire entendre avant que les décisions ne soient prises. Là encore, cela ne devrait pas être considéré comme trop difficile ni inutile. La Commission nationale des libérations conditionnelles est déjà tenue de tenir les victimes informées avant la libération des contrevenants. Le SCC devrait être tenu d'en faire autant, me semble-t-il. Toutefois, cela doit être spécifié dans la loi. Cela ne se fera pas d'une autre façon, car la politique actuelle du Service correctionnel permet simplement de donner avis après coup.

Permettez-moi de vous citer une anecdote. Il y a à peine quatre mois, Pieter de Vink, sous-commissaire du Service correctionnel du Canada, région du Pacifique, a ordonné aux établissements de sa région d'aviser les victimes avant que ne soient prises les décisions touchant les transferts. Malheureusement, cette pratique a déjà été abandonnée après que l'on eut informé M. de Vink que c'était illégal.

C'est un exemple qui souligne la nécessité de légiférer en la matière. Cela montre aussi que notre proposition semble être acceptée par certains de ces établissements.

Nous voulons être assurés que les délinquants ne sont pas libérés prématurément et que l'on prend des mesures raisonnables en vue de leur intégration sociale. La protection de la société doit en tout temps être le premier objectif et la considération principale. Les comités consultatifs de citoyens du Service correctionnel du Canada ne sont pas mis au courant des décisions ni du processus décisionnel concernant les délinquants. Dans la situation actuelle, le SCC fonctionne dans le vide, et nous estimons que c'est tout à fait inacceptable.

Aujourd'hui, 60 délinquants sont illégalement sortis de divers établissements et installations correctionnelles dans la région du Pacifique. Bien que la majorité aient été entendus à un moment ou à un autre par la Commission nationale des libérations conditionnelles, certains sont en liberté par suite d'une libération accordée par un chef d'établissement.

Bien que les cas de mise en liberté sous condition fassent l'objet de documents publics, les autres ne le font pas. Les cas de libération d'office sont souvent les cas de non-respect total de la part des délinquants des ordres concernant leur intégration sociale. Ce sont donc ceux qui présentent le plus de risques, et nous avons connu plusieurs drames terribles en Colombie-Britannique ces dernières années. Sans citer d'exemples—mais nous pourrions vous en donner—rappelons le cas de Mitchell James Owen, qui a tué Pamela Cameron.

Malheureusement, ces cas sont aussi assez souvent des cas de récidive et non plus de risque. Le scénario terrible est donc que certains des criminels les plus dangereux sont en liberté et que l'on possède très peu de renseignements à leur sujet.

CAVEAT propose que la loi exige que le SCC crée et tienne parfaitement à jour un registre des décisions. Ce registre devrait inclure tous les renseignements pertinents sur un contrevenant et être accessible au grand public. À cette fin, doivent y être indiquées les raisons et explications données pour l'administration de la sentence d'un contrevenant. Le système pourrait suivre le modèle du registre de la Commission nationale des libérations conditionnelles créé en 1992.

Certains exemples de renseignements qui pourraient y être consignés sont la classification d'un contrevenant, telle que sécurité moyenne et minimum; le résumé de son casier judiciaire; les documents communiqués par les agents de gestion de cas lorsqu'ils aiguillent les contrevenants vers des programmes ou autres; un résumé du comportement du contrevenant dans l'établissement, ce qui manque absolument; une liste des transferts, reclassifications et décisions de mise en liberté; et une liste du personnel ou des administrateurs prenant les décisions.

Une nouvelle loi devrait obliger le SCC à demander l'avis de la victime avant de prendre une décision concernant un transfert. Cet avis est un des nombreux éléments dont il faudrait tenir compte. Nous ne nous attendons certainement pas à ce que ce soit le seul élément ni la seule voix qui soit entendue; nous savons que ce ne serait pas le cas et nous ne pensons pas que ce devrait l'être. Nous voulons simplement que ce soit un des éléments pris en considération.

En 1992, les victimes ont finalement obtenu le droit d'assister aux audiences concernant la libération conditionnelle, et ce, lorsqu'a été adoptée la loi qui nous occupe. C'est une mesure à laquelle nous applaudissons; c'est très bien. Toutefois, il faut aller plus loin. Comme je le disais lors des consultations auxquelles j'ai participé le 28 mai dernier à Vancouver—consultations organisées par le solliciteur général—les victimes ne devraient pas avoir à se battre pour obtenir quelque chose qui devrait leur revenir automatiquement. Beaucoup de victimes n'ont plus la force de se battre, surtout dans le cas de procès et d'appels multiples. Rosalee pourrait vous en parler.

• 1310

Bref, les victimes devraient avoir la possibilité, si elles le désirent, de prendre la parole à l'occasion de ces audiences. Ce devrait être à elles de choisir. Après tout, il s'agit des conséquences d'un crime qu'elles continuent de ressentir. C'est tout à fait normal.

Dans la même veine, les dispositions de 1996 concernant la déclaration de la victime sur les répercussions du crime, qui étaient un amendement au Code criminel, stipulent que les juges doivent tenir compte des observations des victimes. J'en ai rédigé une, et Rosalee aussi, et je puis vous dire que c'est beaucoup plus qu'un effort symbolique. Cela peut aider à surmonter l'épreuve. J'estime que c'est un outil très important, et, encore, c'est aux victimes et aux membres de leur famille et autres de décider s'ils veulent ou non l'utiliser. Ils devraient avoir le droit de se prévaloir de cette possibilité.

Nous voulons que le Service correctionnel du Canada arrête d'exclure les victimes de ce processus. Nous devons être intégrés dans les fonctions courantes de ceux qui administrent les sentences au sein de nos services correctionnels.

Nous pensons que la création d'un registre des décisions au SCC présenterait un certain nombre d'avantages. Cela donnerait plus de crédibilité au principe selon lequel la protection de la société est une considération première. Cela pourrait balayer une partie de la méfiance du grand public vis-à-vis de ces services qui se prétendent ouverts et prêts à rendre des comptes. Cela donnerait plus confiance dans le SCC, ce qui ne serait pas un luxe. Cela pourrait sensibiliser la population et lui faire mieux comprendre le processus correctionnel.

Cela pourrait également permettre aux victimes d'avoir la place qui leur est due dans le système de justice pénale, et cela créerait un système qui pourrait paraître plus juste pour tous, et non pas seulement pour les contrevenants. Cela pourrait également atténuer les préoccupations des victimes en supprimant les obstacles qui font que l'on se sent exclu et isolé. Cela permettrait aussi aux victimes d'avoir l'impression qu'elles jouent, si elles le souhaitent, un rôle dans le processus.

Cela pourrait donner aux victimes un cadre leur permettant d'évaluer les informations disponibles sur les contrevenants. Cela ne veut pas dire que nous serions d'accord sur les décisions, mais nous pourrions peut-être mieux comprendre ce qui les a motivées, ce pourquoi l'on critique à tort la Commission nationale des libérations conditionnelles parce que l'on utilise «libération conditionnelle» dans le sens générique et que les médias ne comprennent même pas ce que c'est. J'ai appris ma leçon, car j'ai commis ce genre d'erreurs les deux premières années que je me suis occupé de CAVEAT. Ce n'est que lorsque l'on dispose de ces informations que l'on peut comprendre que la commission a les mains liées dans bien des cas et que dans certains cas cela n'a rien à voir avec elle.

Un autre avantage serait d'obliger les contrevenants à assumer la responsabilité de leur comportement en les rendant publiquement comptables de leurs actes au sein de l'établissement. Cela pourrait même être un moyen de réintégration sociale si celle-ci est possible ou en cours.

J'aurais deux autres choses à dire.

Le président: J'espère que vous en arrivez à la fin, monsieur Doyle. Nous voudrions avoir un peu de temps pour les questions.

M. Ben Doyle: Oui, c'est presque terminé. J'aurais encore deux choses à dire.

Durant les consultations du 28 mai, l'enquêteur correctionnel, je crois qu'il s'appelle Todd Sloan, a convenu avec moi qu'il serait en effet bon d'avoir un ombudsman des victimes, car lui, dans son rôle d'enquêteur correctionnel, ne peut ni entendre ni traiter les plaintes des victimes. Puisqu'il ne peut le faire, il devrait exister un mécanisme le permettant.

Enfin, je voulais dire que je ne suis pas du tout d'accord avec le directeur général des services correctionnels, Richard Zubrycki, qui dit que l'on insiste trop sur le risque. Aux consultations du 28 mai, à Vancouver, j'ai été très découragé par ce qu'il m'a dit. Nous lui avions présenté le cas d'un contrevenant dans la vallée du Fraser qui avait commis 64 infractions, qui était illégalement en liberté et qui avait commis un 65e viol brutal d'une femme dans un magasin. Je lui ai simplement demandé si l'on avait même besoin d'une audience pour savoir que cette personne était dangereuse, lorsqu'il y a eu 64 infractions préalables.

Il a répondu: «Qu'arrive-t-il si la 64e infraction est la dernière?» Et, évidemment, ce n'était pas le cas; il a commis la 65e. Mais l'idée m'a véritablement choqué, et il a rajouté que l'on insistait trop sur le risque. Je voudrais donc en conclusion dire que nous ne pensons pas qu'il est même possible que l'on insiste trop sur le risque.

C'est tout ce que nous voulions dire aujourd'hui.

Le président: Merci beaucoup.

Monsieur Gouk.

M. Jim Gouk: Merci, monsieur le président.

Je vous remercie tous les deux d'être venus ici et de tout le travail que vous faites avec votre organisation.

J'ai vu beaucoup des documents préparés par Rosalee et je n'ai pas terminé. Cela contient beaucoup de détails.

Je voudrais vous interroger sur le registre des décisions et l'accès à ce registre. Vous avez parlé de l'accès du grand public. Afin que cela soit plus facile pour beaucoup, seriez-vous prêts à accepter le concept d'un registre qui serait limité aux victimes, à quelqu'un qui serait directement lié au crime ou qui aurait besoin de savoir, par exemple?

• 1315

M. Ben Doyle: Ce serait ce qu'il y aurait de plus pratique. Pour ce qui est du grand public, il est certain qu'il faut ramper avant de marcher et que cela ne serait pas forcément nécessaire. Mais il est évident que pour les victimes, ce serait essentiel.

Mme Rosalee Turcotte (adjointe au directeur des communications, Canadiens contre la violence partout recommandant sa révocation (CAVEAT)): Le grand public a accès au registre des décisions de la Commission nationale des libérations conditionnelles, mais il serait certes possible au début, au moins, de limiter aux victimes l'accès aux informations du SCC.

M. Jim Gouk: Chaque fois que nous proposons de faire quelque chose de nouveau ou de différent, il faut toujours équilibrer les choses, et nous nous demandons quel argument on pourrait opposer à une telle proposition et quelle solution serait réaliste et raisonnable.

Mme Rosalee Turcotte: Pour la vaste majorité des contrevenants dont nous parlons, on peut obtenir des renseignements sur eux par l'entremise de la Commission nationale des libérations conditionnelles à un moment donné, pendant qu'ils purgent leur peine. Mais ceux auxquels nous nous adressons surtout, ce sont ceux qui choisissent de ne pas présenter de demande de libération conditionnelle. Il y a également le cas des délinquants qui purgent des peines d'emprisonnement à vie ou de très longues peines, et pour lesquels la victime ne dispose d'absolument aucun renseignement pendant une période qui peut durer jusqu'à 15 ans après la détermination de la peine. Je pense donc que ce sont là les deux catégories de délinquants auxquels nous nous intéressons.

C'est donc ce que je tiens à dire. Il n'est pas raisonnable de s'attendre que les gens n'aient absolument aucun renseignement pendant 15 ans et qu'ensuite, tout à coup, ces renseignements commencent à leur parvenir. Selon moi, rien ne justifie cela.

M. Jim Gouk: Oui. Vous avez été tous deux victimes de crimes très graves, du crime le plus grave qui soit. Permettez-moi quand même de vous poser une question très dure. Dans quelle mesure, en votre qualité de victime, vos sentiments et vos réflexions vous portent-ils à envisager le concept de protection de la société en général et la réadaptation des délinquants si possible, plutôt que le recours à une justice vengeresse, pour ainsi dire? Dans quelle mesure votre état de victime vous pousse-t-il vers l'une ou l'autre de ces options? Comment répondre aux gens qui disent que c'est là votre seule préoccupation, que vous ne voulez simplement pas que les détenus soient libérés parce que vous voulez être vengés des torts que vous avez subis à cause du crime horrible dont vous avez été la victime?

Mme Rosalee Turcotte: Je pense qu'il faut éduquer le public, et c'est ce qu'on ne fait pas actuellement. Les gens ne savent pas comment fonctionne le Service correctionnel du Canada, ne comprennent pas ce qui se passe dans le système correctionnel et n'ont pas la possibilité de voir si le délinquant a effectivement commencé à apporter des changements à sa façon de vivre.

J'ai assisté à un bon nombre d'audiences de libération conditionnelle, où, selon moi, le délinquant démontrait avoir profondément changé son comportement. Je crois que si la victime concernée avait également pu constater cela, elle aurait eu une opinion tout à fait différente sur le délinquant.

Je vous renvoie à ce que j'ai déjà dit. Si, pendant 10 ou 15 ans, la victime n'obtient aucun renseignement, elle reste dans l'état d'esprit où elle se trouvait au moment où l'infraction s'est produite. Par contre, si elle peut constater la progression graduelle ou un changement du comportement du délinquant, je crois que la victime ne...

M. Jim Gouk: Cela l'aiderait à mettre un terme à son questionnement.

Mme Rosalee Turcotte: Oui, cela permettrait à la victime de mettre un terme à ses inquiétudes, de passer au processus de guérison. Mais je crois également que la victime pourrait alors engager les choses en étant mieux informée et ne chercherait plus à obtenir vengeance.

Personnellement, je sais que ce que je veux de l'homme qui a tué mon fils, c'est l'expression d'un sentiment de remords. Si cela se produisait, je n'essaierais certainement pas de le faire garder en prison pour le restant de ses jours. Mais il me faut voir cela et il me faut constater les changements moi-même, avant qu'il soit libéré.

M. Jim Gouk: Merci.

Le président: Merci, monsieur Gouk.

Monsieur Marceau.

[Français]

M. Richard Marceau: Ça va, merci.

Le président: Ça va?

[Traduction]

Monsieur Wappel.

M. Tom Wappel: Tout d'abord, permettez-moi de dire que j'appuie CAVEAT à fond depuis un bon nombre d'années. Une des difficultés qui se posent lorsque nous faisons des études comme celle-ci, c'est que nous entendons parler de ces situations très tristes et très tragiques. Bien sûr, nous sommes tous extrêmement désolés que cela se soit produit.

Permettez-moi de faire une petite blague au milieu de cette évocation de choses bien tristes. Je porte à votre attention la version anglaise de votre mémoire. Sous la rubrique Benefits of the Creation of a Decision Registry, à la page 7, je note qu'au quatrième point vous voulez qu'il y ait une plus grande sensibilisation «pubic» awareness.

Mme Rosalee Turcotte: Ah, j'ai fait taper ce texte par un copiste professionnel hier. Désolée.

M. Tom Wappel: Certaines personnes seraient peut-être parfaitement d'accord avec cela.

• 1320

Mme Rosalee Turcotte: Je vous présente mes excuses.

M. Tom Wappel: Il n'y a pas de quoi.

Une des questions intéressantes, c'est de savoir qui est victime. C'est une chose dont nous pouvons discuter. Monsieur Doyle, je pose cette question précise parce qu'il pourrait y avoir quelqu'un—j'ignore les circonstances en cause: une petite amie, un ami, un parent, ce que vous voudrez—qui soutient que vous n'êtes pas plus victime que ne l'est, par exemple, la société en général, plutôt qu'une personne qui a perdu un membre de sa famille immédiate. Cela nous mène à une très vaste discussion sur la question de savoir qui a droit à ce type de renseignement. Votre organisme et vous-même avez-vous réfléchi à cela? Aux fins de vos propositions, qui est une victime?

M. Ben Doyle: La loi donne la définition. Pour ce qui est de la situation où l'on n'est pas membre de la famille immédiate, je précise que je me suis inscrit à CAVEAT avec des membres de la famille de mon amie Angela, qui a été tuée. Ils ne sont plus membres. Les gens réagissent de façon différente et doivent faire ce qui leur semble approprié. S'ils ne s'occupent jamais activement d'essayer d'obtenir du changement, s'ils réussissent à poursuivre leur vie, je pense qu'ils font bien de faire ce qu'ils font.

Je ne me considère pas vraiment comme une victime de ce point de vue-là. J'estime être ici au nom d'Angela, de sa soeur et de sa mère en particulier, de qui je suis proche, et je ne m'attends pas à être moi-même avisé. Je voudrais toutefois qu'elles soient avisées; ensuite, ce sont elles qui me l'apprendraient. Elles savent qui est proche d'Angela et qui se préoccupe de ces questions. Donc, à titre personnel, je n'ai pas besoin d'être inclus dans cette définition. Toutefois, je peux dire que si je songe à la façon dont ma vie a changé, j'éprouve absolument le sentiment d'être une victime. Ma vie a changé du tout au tout.

Une des premières fois où j'ai vu Chris Simmonds, qui a fondé CAVEAT en Colombie-Britannique, il était conférencier invité à un collège, BCIT, et il nous a appris que les autorités lui avaient dit qu'il n'était pas une victime, parce qu'il n'avait pas été témoin visuel du meurtre de sa fille. Il a ensuite ajouté: «Je la vois mourir toutes les nuits.» À mon sens, c'était là l'information la plus navrante et la plus pertinente. Lui dire, ainsi qu'à Rosalee et aux gens dans cette situation, qu'ils ne sont pas victimes... Il nous fallait un minimum. Au moins que la famille immédiate soit incluse.

M. Tom Wappel: Vous avez dit que M. de Vink a émis une directive ou des instructions et qu'ensuite cette directive a été abrogée parce qu'elle était illégale. Je crois que c'est ce que vous avez dit...

M. Ben Doyle: Illicite.

Mme Rosalee Turcotte: Il a dit que c'était illicite.

M. Tom Wappel: Qui, au juste, a dit que c'était illicite, et pourquoi l'était-ce?

Mme Rosalee Turcotte: Le Service correctionnel a obtenu une opinion juridique. On ne nous a pas permis de voir cette opinion juridique, et je ne l'ai donc pas vue moi-même.

M. Tom Wappel: Et, selon cette opinion juridique, le Service correctionnel ne pouvait pas faire quoi au juste?

Mme Rosalee Turcotte: Il ne pouvait pas aviser les victimes avant qu'un transfert n'ait eu lieu. Tout cela a été le résultat d'une situation où j'essayais d'aider une victime dont le père avait été brutalement assassiné par un membre de la famille. Lorsque le meurtrier avait été emprisonné, il menaçait de tuer un autre homme qui avait témoigné au procès. Dix ou douze années s'étaient écoulées. Là encore, il s'agissait d'une de ces situations où il était impossible d'obtenir des renseignements. Cet homme, la victime, avait donc encore nettement le sentiment d'être menacé par le délinquant. Il a appris que le délinquant allait être transféré à un établissement pénitentiaire à Mission, qui est à moins d'un demi-mille de chez lui. Bien sûr, il a réagi à cela avec beaucoup d'émoi.

Nous avons donc eu un certain nombre de rencontres avec M. de Vink et d'autres membres du Service correctionnel. Ayant pris connaissance de nos préoccupations, et voulant agir de façon équitable à l'endroit des victimes... Pour cet homme, cet événement a été très traumatisant. Cela l'a même poussé à déménager.

M. Tom Wappel: Permettez-moi de souligner un aspect en particulier, madame. Vous dites que le SCC ne croit pas qu'il soit légal d'informer une victime d'un transfert de détenu.

Mme Rosalee Turcotte: Je suppose que M. de Vink, ayant examiné la loi, a estimé que c'était légal; il a donc ordonné que les établissements de cette région avisent les victimes chaque fois qu'il y avait transfert. Je crois que l'avis de transfert devait être communiqué dans les deux semaines, au plus tard. Mais ensuite...

• 1325

M. Tom Wappel: Le sous-commissaire, à la lecture de la loi, a pensé qu'il pouvait faire cela. Ensuite, le SCC a reçu une opinion juridique selon laquelle il n'était pas autorisé à le faire.

Mme Rosalee Turcotte: Je ne peux que supposer que c'est ainsi qu'il a envisagé les choses.

M. Tom Wappel: Cela indique certainement qu'il y a au moins une certaine ambiguïté ou un certain doute sur la question. Je tâche d'isoler cet aspect des choses afin de pouvoir poser une question bien pointue là-dessus lorsque nous entendrons le commissaire.

Mme Rosalee Turcotte: Je pense qu'il est également important de noter que cela montre que ce que nous proposons obtient un certain appui. Je crois également que certains éléments de la Commission nationale des libérations conditionnelles appuient ce point de vue. Il semble que cela a fait l'objet de discussions.

Le président: Permettez-moi de vous interrompre pour faire une observation. Le comité permanent a présenté un rapport sur les victimes. Une de ses recommandations était que la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition devait être modifiée de façon à obliger le Service correctionnel à aviser les victimes en cas de fuite ou de transfert d'un détenu en leur fournissant des renseignements sur les dates et les conditions des permissions de sortir et des autres formes de mise en liberté sous surveillance dans la collectivité.

Mme Rosalee Turcotte: Oui, mais là encore, cela ne se produit pas avant. Cela ne change rien, parce que la victime serait avisée une fois le fait accompli.

Le président: Donc, ce qu'il vous accordait, c'était un avis avant que le fait ne se produise.

Mme Rosalee Turcotte: C'est exact. Il est très important que l'on soit informé avant.

Le président: Oui.

Mme Rosalee Turcotte: Pour toutes sortes de raisons, il peut ne pas être dans l'intérêt de la victime ou du délinquant de se rendre à un endroit donné.

M. Tom Wappel: Votre message est donc que vous voulez que la victime soit avisée avant que le transfert n'ait lieu.

Mme Rosalee Turcotte: Oui.

M. Tom Wappel: Très bien.

M. Ben Doyle: Les dates restent gravées dans la mémoire. Les dates du procès de première instance ou du procès en appel sont d'une importance considérable dans la vie d'une victime. On organise sa vie en fonction de ces dates. On prend congé du travail si on le peut. Ce sont des dates porteuses de sens. Il est très important de pouvoir se préparer mentalement à un transfert, surtout dans le cas dont Rosalee vous parle, où le détenu est installé à proximité de la victime ou de la famille de cette dernière. Cela bouleverse la victime.

M. Tom Wappel: Merci.

Le président: Monsieur Grose.

M. Ivan Grose: Je n'ai rien à dire, monsieur le président.

Le président: Je veux seulement rappeler que le comité a présenté d'autres recommandations dans son rapport. Avez-vous des observations à faire là-dessus? Avez-vous eu l'occasion de les étudier? Au chapitre 4 du rapport, le comité permanent a traité des amendements à la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition. Sinon, vous pourriez peut-être remettre cela au comité, si vous en avez une copie.

Mme Rosalee Turcotte: La seule observation que j'ai à faire, c'est que la plupart de ces recommandations semblent axées sur la Commission nationale des libérations conditionnelles, exclusion faite du Service correctionnel du Canada. Bien sûr, la commission est une partie importante de toute cette problématique. Je me contenterais donc de dire que je ne vois pas vraiment pourquoi on s'attend que la Commission nationale des libérations conditionnelles comprenne les victimes et leur fournisse de l'information, d'une part, alors que, d'autre part, son homologue agit de façon tout à fait différente.

M. Ben Doyle: Le Service correctionnel du Canada est sur la ligne de front lorsqu'il traite avec ces délinquants. Par contre, la Commission nationale des libérations conditionnelles traite avec eux pour une raison particulière, et non pas au quotidien.

Mme Rosalee Turcotte: J'ai beaucoup aimé la recommandation 14, qui permet que la bande audio soit rendue disponible. C'est une chose dont je parle depuis longtemps. Cela me plaît beaucoup. Je vois beaucoup de bonnes choses dans le rapport.

Le président: Merci beaucoup. Nous vous savons gré du travail exhaustif que vous avez accompli, surtout vous, madame Turcotte et monsieur Doyle. Merci d'être venus ici. Votre apport nous est précieux.

M. Ben Doyle: Merci beaucoup.

Mme Rosalee Turcotte: Merci beaucoup.

[Français]

Le greffier du comité: Est-ce que vous ajournez, monsieur le président?

[Traduction]

Le président: La séance est levée.