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FISH Rapport du Comité

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INTRODUCTION

La chasse au phoque suscite les passions et la controverse. Pendant près de deux décennies, les groupes de défense des droits des animaux ont dépeint cette chasse comme une activité inhumaine, brutale et même barbare générant peu de retombées économiques réelles. Leur documentation montre encore de belles images de blanchons1 même si la chasse au blanchon est illégale au Canada depuis 1987.

Mais il y a aussi les résidents de collectivités côtières du Canada atlantique pour qui la chasse au phoque est à la fois une tradition et une importante source de revenus. Il se peut que la valeur immédiate des débarquements de phoques ne soit pas élevée comparativement à d'autres pêches, mais elle demeure néanmoins cruciale dans des régions où l'économie est peu diversifiée. L'image du sang répandu sur la neige peut sembler dramatique pour la population en général, mais les chasseurs de phoques estiment qu'il y a peu de différence entre tuer des phoques et abattre des animaux domestiques derrière des portes closes, comme cela se fait dans les abattoirs de tout le pays.

Ces problèmes sont encore plus graves pour les Inuits vivant dans le Nord et l'Arctique canadiens. En effet, en raison de son éloignement géographique et de son climat, cette région peut compter sur peu d'autres ressources ou sources de revenus comme par exemple le tourisme. Les phoques sont tout simplement considérés comme une ressource dont on se sert et qui s'inscrit dans le cycle naturel de la vie, de la mort et de la survie. Les habitants chassent le phoque depuis des générations, non pas pour en faire le commerce, mais pour survivre. Le phoque leur fournit la nourriture, le vêtement, la lumière, la chaleur et des outils. Plus récemment, l'exportation de produits à base de peaux de phoque fabriqués dans le Nord a constitué une importante source de revenus en espèces qui ont contribué à diversifier leur économie de subsistance.

Même si les collectivités inuites ne constituaient probablement pas la cible des campagnes de lutte contre la chasse au phoque du début des années 1980, il ne fait aucun doute qu'elles ont beaucoup plus souffert que les autres collectivités de chasseurs de phoques plus méridionales de l'effet dévastateur qu'a eu la disparition des débouchés pour les peaux de phoque. Les résidents du Nunavut sont en train de lentement reconstruire une vigoureuse industrie exportatrice fondée sur les produits à base de peaux de phoque, mais il leur reste encore beaucoup d'obstacles à surmonter, dont les principaux sont les préjugés qu'on continue à entretenir sur la nature de la chasse au phoque et de cette industrie.

Un nouvel élément est maintenant venu s'ajouter au débat sur la chasse au phoque. En 1992, on a décrété un moratoire sur la pêche à la morue du Nord. Puis, d'autres pêches au poisson de fond ont rapidement connu le même sort. Au départ, à peu près tout le monde s'attendait à ce que l'abandon de la pêche permette aux stocks de se reconstituer rapidement, peut-être en l'espace de seulement deux ans, et à ce que la pêche puisse reprendre comme avant. Toutefois, sept ans plus tard, la plupart des stocks de poisson de fond n'ont réalisé que des gains modestes et certains ont même continué à décliner. Il est donc naturel qu'on se mette à la recherche d'une cause.

Pendant cette même période, les populations de phoques, et en particulier de phoques du Groenland, ont augmenté dramatiquement. Pour de nombreuses personnes, l'équation est simple et la conclusion inévitable. Les phoques se nourrissent de poisson et notamment de morue; on compte un très grand nombre de phoques et peu de morues. Par conséquent, la prédation par le phoque empêche la reconstitution des stocks de morues. De plus, on a observé des signes de malnutrition chez certains phoques du Groenland ainsi que des changements dans leur aire de distribution et leur comportement migratoire et alimentaire.

Pour de nombreux intervenants, le nombre disproportionné de phoques par rapport aux morues est symptomatique d'un écosystème qui est sérieusement perturbé et qu'on doit aider à se rééquilibrer. Renoncer à prendre des mesures risque d'entraîner l'extinction des stocks de morue et de faire disparaître les collectivités côtières dont l'avenir dépend de la reconstitution de ces stocks.

D'un autre côté, des observateurs sont tout aussi convaincus qu'il n'existe pas de lien clair entre l'expansion des populations de phoques et l'incapacité des stocks de morue de se reconstituer. Ils signalent que la morue ne constitue qu'une petite partie du régime alimentaire des phoques. Lorsqu'on tient compte d'autres espèces, les résultats de l'équation sont imprévisibles. Ainsi, si les phoques se nourrissent d'une espèce qui se nourrit elle-même de jeunes morues ou qui concurrence la morue, la réduction de la population de phoques pourrait bien déséquilibrer encore davantage l'écosystème. Malheureusement, les données scientifiques dont on dispose actuellement ne sont pas encore en mesure de nous fournir une réponse définitive.

Au début, le Comité voulait, dans le cadre de la présente étude, se rendre à Terre-Neuve et au Labrador au printemps de 1999 pour assister à une chasse au phoque. Mais après avoir maintes fois tenté d'organiser ce voyage, il a dû se résigner à ne pas le faire.

LES DONNÉES SCIENTIFIQUES

La taille du troupeau de phoques du Groenland de l'Atlantique du Nord-Ouest

En 1994, lors du dernier relevé de la productivité de la population de phoques du Groenland, on estimait que le troupeau comptait 4,8 millions d'individus. Cette estimation était fondée non pas sur un dénombrement direct des phoques, mais sur un modèle biologique qui tenait compte à la fois de l'abondance des jeunes et de données sur les taux de reproduction des femelles et sur la structure par âge du troupeau. Comme une estimation dépend dans une certaine mesure des détails du modèle utilisé, le fait de changer de modèle modifierait les résultats de l'estimation.

Le nombre de phoques du Groenland a augmenté régulièrement depuis le début des années 1970, période où cette population avait atteint son plus faible niveau, soit moins de 2 millions d'individus. Après la Deuxième Guerre mondiale, la taille du troupeau avait diminué en raison de la chasse.

En 1994, le troupeau avait plus que doublé son effectif par rapport à son niveau plancher du début des années 1970 et on estimait qu'il l'avait presque triplé en 1996 puisqu'il rassemblait quelque 5 millions d'individus. Depuis 1996, la population s'est stabilisée ou a peut-être diminué légèrement.

Les tendances de la population de phoques du Groenland de l'Atlantique de l'Ouest semblent épouser celles des taux d'exploitation. De 1961 à 1970, alors que la chasse était intensive, avec à peu près 275 000 captures, la population baissait. Après l'adoption de quotas en 1971, les captures ont été réduites à environ 150 000 individus et le troupeau a lentement recommencé à croître.

En 1983, le marché des peaux de phoques s'effondrait principalement en raison des campagnes des groupes de défense des droits des animaux et de l'interdiction décrétée par l'Union européenne de l'importation de produits fabriqués à partir de peaux de blanchons et de dos bleus2. Ici au pays, des règlements interdisant la chasse commerciale des blanchons et des dos bleus ont été adoptés en 1987 à la suite du rapport de la Commission royale sur les phoques et l'industrie de la chasse au phoque au Canada (rapport Malouf) présenté en 1986. De 1983 à 1995, le nombre de phoques récoltés a été de beaucoup inférieur au total admissible des captures (TAC), qui s'élevait à 186 000 individus. En effet, aussi peu que 20 000 et jamais plus de 100 000 animaux ont été capturés. Durant cette période, le troupeau de phoques du Groenland a augmenté rapidement.

En 1995, le marché des peaux de phoques s'était amélioré, ce qui a entraîné un regain d'intérêt pour la chasse, et à la suite du relevé effectué en 1994, le TAC a été porté à 250 000 en 1996. Par conséquent, la récolte a augmenté radicalement cette année-là. Pour les trois dernières années, soit de 1997 à 1999, le TAC a été fixé à 275 000 individus. Selon le ministère des Pêches et des Océans (MPO), la récolte s'est élevée à environ 260 000 individus en moyenne de 1996 à 1998, soit le plus haut niveau depuis les années 1960. Cette situation semble avoir coïncidé avec un plafonnement ou même une légère diminution du troupeau.

La taille de la récolte

Actuellement, le TAC fixé par le MPO se fonde sur le « rendement de remplacement », qui se définit comme le nombre d'individus qui peuvent être prélevés au sein de la population sans en diminuer la taille. Établi à partir des résultats du relevé de 1994 qui estimait que la population de phoques du Groenland se chiffrait à 4,8 millions d'individus et augmentait à un taux annuel de 5 p. 100, ce rendement de remplacement a été évalué à 286 700 phoques3. En se fondant sur ces chiffres, le MPO a fait passer le TAC à 250 000 en 1996, puis à 275 000 en 1997, 1998 et 1999.

En plus de la récolte canadienne, il y a aussi une chasse au phoque du Groenland qui est pratiquée dans l'ouest du Groenland. Les dernières données dont on dispose à ce sujet faisaient état de captures de 75 000 individus. Le Ministère estime qu'elles se chiffrent actuellement à quelque 85 000 phoques en faisant une extrapolation jusqu'en 1998.

Selon le Dr George Winters, consultant spécialiste des pêches, Focus Technologies Inc., le quota actuel de 275 000 phoques pour la zone canadienne, combiné à une récolte prévue de 75 000 à 80 000 individus dans le Groenland de l'ouest, donne un nombre total de prises variant entre 350 000 et 360 000 individus. Ce chiffre est inférieur au rendement de remplacement de la population de phoques du Groenland de l'Atlantique du Nord-Ouest, qui est estimé par le Dr Winters à entre 400 000 et 420 000 individus. Si ces hypothèses sont justes, cette population continuerait à croître avec une chasse de cet ampleur.

Toutefois, selon le Dr David M. Lavigne, président, International Marine Mammal Association, les débarquements entre 1996 et 1998 ont dépassé même l'estimation gouvernementale la plus élevée du rendement de remplacement, c'est-à-dire 300 000 individus. Si c'est le cas et si le modèle de gestion du MPO est fiable, la population devrait être en déclin.

Touchés, mais perdus

Les prises enregistrées ne rendent pas compte de tous les phoques tués lors de la chasse. Un certain nombre sont « touchés, mais perdus », c'est-à-dire qu'ils sont tués, mais qu'on ne peut les récupérer. Des estimations divergentes du nombre de phoques touchés, mais perdus ont été présentées au Comité. Des phoques sont également tués accidentellement dans le cadre d'autres pêches.

Selon les fonctionnaires du MPO, les phoques non récupérés ne feraient qu'une légère différence dans les chiffres totaux. La majeure partie de la chasse s'effectue sur la glace et vise des « brasseurs », c'est-à-dire des jeunes dont la mue est achevée. Le Ministère estime que peu de ces jeunes sont touchés et perdus, soit entre 1 et 3 p. 100. Dans l'Arctique, où les phoques sont chassés en eaux libres, la proportion des phoques non récupérés peut atteindre 50 p. 100; toutefois, comme cette chasse est marginale, puisque les prises se chiffrent à environ 5 000 individus, elle n'a pas une très grande incidence sur les estimations globales du nombre de phoques tués.

Le Dr Lavigne4 a toutefois dépeint un tableau différent de ce nombre de phoques touchés, mais perdus. En effet, il estime que le nombre total de phoques tués dépasse dans la plupart des cas les 400 000 et a même atteint 548 903 durant la période allant de 1996 à 1998. Selon lui, on a tué au cours de ces années entre 100 000 et 260 000 phoques du Groenland de plus (entre 1,3 et 1,9 fois plus) que ce qu'aurait dicté une gestion réellement axée sur la prudence5. Des prises totales de cet ordre entraîneraient non seulement le déclin de la population actuelle de phoques du Groenland, mais aussi son déclin à des niveaux inférieurs à 50 p. 100 de sa taille maximale.

Ces chiffres ont été contestés par le Dr Winters, qui a fourni une estimation des pertes basée sur une modélisation de 8 p. 100, ce qui, selon lui, est conforme aux estimations empiriques établies à partir des données recueillies par le MPO. Des pertes de 8 p. 100 signifieraient que 32 000 phoques supplémentaires seraient tués mais non inclus dans les statistiques établissant à 360 000 le total des animaux qu'on devrait abattre en 1999. Toutefois, environ la moitié de ces phoques tués mais non enregistrés seraient inclus dans l'estimation actuelle du taux de mortalité naturelle, et même si le rendement de remplacement était corrigé pour tenir compte de ces phoques tués mais non enregistrés, la récolte totale demeurerait toujours inférieure aux limites fixées à des fins de conservation.

La prédation par le phoque et son impact sur la morue

L'un des aspects les plus controversés du débat sur la chasse au phoque concerne le régime alimentaire des phoques du Groenland et l'incidence que cette espèce pourrait avoir sur la reconstitution des stocks de morue. Aucun des témoins qui ont comparu devant le Comité n'a soutenu que les phoques avaient entraîné l'effondrement des stocks de morue. Ils ont plutôt clairement attribué ce problème à la surpêche canadienne et étrangère. Toutefois, le Conseil pour la conservation des ressources halieutiques (CCRH) a mentionné dans son rapport d'avril 1999 « que le seul stock de morue de l'Atlantique nord-ouest qui est considéré s'être rétabli, c'est-à-dire celui au sud de Terre-Neuve, sur le banc Saint-Pierre (morue en 3Ps), est le stock à vivre dans une zone où il n'y a pas de grandes quantités de phoques ».

Les avis divergent cependant lorsqu'il s'agit de déterminer si les fortes populations de phoques et en particulier de phoques du Groenland, mais également de phoques à capuchon et de phoques gris entravent réellement la reconstitution des stocks de morue. Tout le monde était d'accord pour affirmer que cette question est complexe sur le plan scientifique et qu'il est difficile d'y répondre. Il n'est donc pas surprenant que le Comité ait entendu des opinions très différentes à ce sujet.

D'un côté, certains affirment que les phoques se nourrissent de poisson et, notamment de morue, et qu'étant donné qu'on observe un nombre sans précédent de phoques et très peu de morues, il y a de très grandes chances que les phoques gênent réellement la reconstitution des stocks de morue. Par conséquent, il serait prudent de gérer le troupeau de phoques du Groenland de manière à en réduire la taille. Cette opinion s'appuie sur des observations ponctuelles de comportements inhabituels de morues et de phoques comme l'a démontré le vidéo du ministre Efford.

De l'autre côté, il y a ceux qui croient que la morue ne constitue qu'une très petite proportion du régime alimentaire du phoque du Groenland. Comme on ne dispose pas de preuves scientifiques crédibles que les phoques ont une incidence sur la reconstitution des stocks de morue, ces personnes soutiennent que rien ne justifie la prise de mesures visant à limiter ou à réduire la taille du troupeau.

Le régime alimentaire des phoques du Groenland

Une bonne partie du débat sur l'impact des phoques sur les stocks de morue s'explique par le fait qu'il est difficile de déterminer la quantité de morues consommées par ces phoques. La plupart des données sur leur régime alimentaire sont obtenues par l'analyse du contenu de leurs estomacs. Comme les tissus mous sont facilement digérés et donc plus difficiles à identifier, la majeure partie des données proviennent de l'identification de tissus durs moins digestibles comme les otolithes6.

De nombreux pêcheurs et d'autres intervenants sont convaincus que les phoques consomment les abdomens de grosses morues, peut-être à la recherche de délices comme le foie. Le vidéo du ministre Efford est cité à titre d'exemple puisqu'on peut y voir des images dramatiques de morues éventrées (d'un point de vue scientifique, ces témoignages sont purement ponctuels et il faudrait mentionner que ce vidéo ne montre nulle part des phoques en train de manger des abdomens de morues). Le fait que l'abdomen de la morue soit entièrement composé de tissus mous pourrait donc fausser les données scientifiques.

Même si l'on pouvait déterminer de manière concluante quelle fraction du régime alimentaire du phoque est composée de morues, cette réponse pourrait sous-estimer l'impact total de cette prédation sur les stocks de morue puisque la partie non consommée de la morue est laissée de côté. Le MPO reconnaît que la consommation de tissus mous constitue un problème pour l'estimation des régimes alimentaires. Il signale que bon nombre de ses échantillons sont obtenus de chasseurs qui ont retiré et préservé les estomacs de phoques tués alors qu'ils se nourrissaient et que certains de ces estomacs sont donc bien conservés et contiennent non seulement des tissus mous, mais aussi des poissons entiers. Un grand nombre des proies sont identifiées, certaines étant très fraîches et d'autres décomposées.

Le Dr Stenson, chef de section, ministère des Pêches et des Océans, a mentionné que le MPO avait été informé depuis un certain nombre d'années que les phoques mangeaient les abdomens non seulement des morues mais également chez la lompe et d'autres espèces, et qu'il a tenté de corriger ces biais dans les estimations causés par l'échantillonnage. Il a souligné qu'il existe un biais fonctionnant à l'inverse puisque la morue est assez robuste et peut donc être plus facilement identifiée qu'une autre proie dans les contenus stomacaux, de sorte qu'il est possible qu'on surestime le rôle joué par les morues dans le régime alimentaire.

Le Dr Stenson a également mentionné des rapports voulant que des phoques aient été observés en train de se nourrir de morues entières de 40 à 50 centimètres. Les tailles des morues trouvées dans les contenus stomacaux montrent aussi que les phoques consomment les têtes d'un certain nombre de ces poissons.

Un autre problème est que les rapports sur le régime alimentaire des phoques tendent à être sélectifs quant au moment et à l'endroit choisis pour l'échantillonnage et pourraient donc ne pas se révéler entièrement représentatifs de l'ensemble du régime alimentaire; il faut toutefois ajouter que le MPO tente de procéder au plus vaste échantillonnage possible.

L'impact sur les stocks de morue

Selon les données du MPO, un phoque du Groenland adulte consomme en moyenne entre 1,0 et 1,4 tonne d'aliments par an. Le MPO estime que la proportion de ce régime alimentaire qui est constituée d'espèces commerciales et en particulier de morues varie entre 1 et 2 p. 100. Ce chiffre est bas parce que le phoque du Groenland est une espèce migratrice qui passe la majeure partie de son temps dans les eaux arctiques; ainsi, seulement 40 p. 100 environ de sa prédation s'effectue dans des eaux où se trouvent des espèces commerciales et encore là, le gros de son régime est alors constitué de poisson fourrage. Par conséquent, si on retient les estimations les plus élevées, la consommation pourrait atteindre 140 000 tonnes de morue (le MPO a également signalé qu'au cours des dernières années, la proportion de morues dans le régime alimentaire des phoques présents le long des côtes avait atteint 10 p. 100 dans les baies de certains secteurs).

Le CCRH a également lancé un cri d'alarme concernant l'effet que les phoques pourraient avoir sur les stocks de morue. Dans un rapport présenté en novembre 1998 au ministre des Pêches et des Océans, cette organisation précisait ce qui suit :

Nous sommes déçus qu'on n'ait pas pu mesurer les effets de la consommation de morue par les phoques sur les stocks de morue de l'Atlantique dans le cadre de la préparation des rapports sur l'état des stocks. D'après l'analyse du MPO :

  • les phoques gris consomment entre 5 400 t et 22 000 t de morue par année dans l'est de la plate-forme néo-écossaise (sur une biomasse totale estimée d'à peu près 32 000 t);
  • les phoques du Groenland consommeraient jusqu'à 140 000 t par année de morue du Nord;
  • les phoques du nord du golfe du Saint-Laurent pourraient avoir consommé jusqu'à 68 000 t de morue en 1996;
  • les phoques du sud du golfe du Saint-Laurent pourraient consommer plus de 10 000 t de morue annuellement7.

Pour M. John Efford, ministre des Pêches et de l'Aquaculture de Terre-Neuve et du Labrador, et le comité multipartite de cette province, le lien entre la prédation par les phoques et la reconstitution des stocks de morue est clair. Voici ce qu'il a déclaré :

Les scientifiques de l'OPANO indiquaient clairement en 1997 que les phoques consommaient 108 000 tonnes de jeunes morues du Nord - les morues qui mesurent moins de 40 cm - ce qui représente 300 millions de poissons. Si ces 300 millions de poissons avaient eu une chance de survivre, peu importe ce qu'est le pourcentage de survie dans la nature, et s'ils avaient pu grossir et atteindre une taille où l'on peut les récolter commercialement, combien de personnes à Terre-Neuve et au Labrador seraient retournées au travail pour nourrir leurs familles?

Le Dr Winters a présenté une analyse plus circonspecte de la relation générale entre la taille de la population de phoques du Groenland et la productivité globale de l'écosystème :

Nous recommandons que les autorités responsables de la gestion reconsidèrent la réglementation de la population des phoques du Groenland au niveau du REM8. Cette politique était déjà en place à la fin des années 1970 et elle a été abrogée lorsque la chasse a été réduite en 1983, ce qui a permis une explosion démographique.

Une population ayant atteint le REM possède un éventail d'avantages sur le plan biologique et de la conservation. Nous les avons énumérés dans le document. Ces avantages permettront d'atteindre des taux de croissance et de reproduction des phoques plus optimaux. Ils leur permettront aussi d'améliorer le rendement global de l'écosystème.

Nous donnons dans notre rapport un exemple de la consommation alimentaire en fonction de la biomasse pour la population actuelle de phoques du Groenland et cette consommation est d'environ 450 tonnes. Les phoques consomment 7 millions de tonnes de poissons, soit 16 fois leur propre masse et pourtant leur rendement excédentaire - c'est-à-dire, leur addition marginale à l'écosystème - est à peine de 15 000 tonnes. La biomasse équivalente de morues consommerait entre 3 à 4 fois sa propre masse - autrement dit, peut-être 1,5 million à 2 millions de tonnes - et entraînerait un rendement d'environ 100 000 tonnes.

De plus, il y a une probabilité accrue que les stocks appauvris de morues puissent se rétablir. On ne dispose d'aucune certitude selon laquelle il y avait un rapport de cause à effet, mais s'il en existe un, dans ce cas, il est certain qu'il se pourrait qu'en réduisant la population de phoques, on puisse améliorer la probabilité d'un rétablissement.

Le rendement équilibré maximal s'inscrit dans la ligne de pensée de la loi américaine sur la protection des mammifères marins dans laquelle on exige, pour toutes les importations de produits du phoque, que ces populations se situent à un niveau de rendement optimal. Le REM est un niveau de rendement optimal.

Certains témoins étaient toutefois d'avis qu'il n'existait aucun lien entre la population de phoques du Groenland et la reconstitution des stocks de morue. Selon le Dr Lavigne :

Toutes les recherches scientifiques destinées à établir un lien entre la prédation par les phoques et la diminution des stocks de poisson de fond au Canada ont échoué. C'est d'ailleurs ce que concluaient 97 scientifiques qui ont signé une pétition en 1995. À ce jour, aucune étude scientifique ne conclut que les phoques du Groenland empêchent le rétablissement des stocks de morue du Nord ou le rétablissement de quelque autre stock de morue.

Ce point de vue était partagé par le Fonds international pour la défense des animaux :

Il est très clair qu'il n'y a pas d'informations scientifiques qui montrent que le phoque gêne la reconstitution des stocks de morue du Nord. De fait, un professeur de l'Université Memorial de Terre-Neuve a déclaré que l'on n'a jamais vu de preuves dans le monde que l'élimination sélective de la population d'un mammifère marin avait profité à la pêche commerciale.

La raison en est très simple. Beaucoup d'intervenants dans ce débat, y compris John Efford, voudraient faire croire au Comité que l'Atlantique du Nord-Ouest est comme une bascule avec le phoque du Groenland à un bout et la morue à l'autre. Si l'on fait baisser l'extrémité de la bascule où il y a le phoque du Groenland, l'extrémité où se trouve la morue va remonter et le poisson va se précipiter dans les filets des pêcheurs.

La complexité de l'écosystème a également été soulignée par un autre scientifique, le Dr R.L. Haedrich, qui a soutenu que l'élimination systématique d'un prédateur de niveau trophique supérieur pourrait placer un système déjà déstabilisé dans une situation encore plus précaire. Pour illustrer son point de vue, le Dr Haedrich a indiqué qu'on pourrait soutenir que les phoques freinent l'accroissement de la population de morues de l'Arctique qui, en l'absence de cette prédation, en viendrait à dominer ce système. En livrant une forte concurrence à la morue aux stades larvaire et juvénile, la morue de l'Arctique, nouvellement dominante, pourrait empêcher la véritable reconstitution des stocks de morue9.

LE RAPPORT DU CONSEIL POUR LA CONSERVATION DES RESSOURCES HALIEUTIQUES

Le 6 mai 1999, le Conseil pour la conservation des ressources halieutiques (CCRH) a publié un rapport intitulé Impératifs de conservation des stocks de poisson de fond du golfe du Saint-Laurent et des stocks de morue de 2GH et 3Ps. Le chapitre 2 de ce rapport étudie le problème de la prédation des stocks de poisson de fond en général et de morue en particulier par les troupeaux de plus en plus grands de phoques du Groenland, de phoques gris et de phoques à capuchon.

Dans ce rapport, le Conseil affirme que les troupeaux de phoques de ces trois espèces tuent ensemble plus de morues des stocks canadiens au nord de Halifax que tout autre facteur connu de mortalité de la morue et se dit convaincu que les phoques nuisent à la reconstitution des stocks de morue :

Les éléments de preuve accumulés dans le cadre d'évaluations scientifiques de même que les renseignements fournis de façon uniforme, continue et corroborante par les pêcheurs de l'ensemble du Canada atlantique sont tels que le CCRH est convaincu au-delà de tout doute raisonnable que la conservation des stocks de poisson de fond, surtout ceux de la morue, continuera d'être mise en péril si les troupeaux de phoques restent à leurs niveaux actuels.

Le rapport du Conseil a été controversé. En général, on a vu dans la recommandation du Conseil suggérant « que les troupeaux de phoques soient diminués jusqu'à la moitié de leurs niveaux de population actuels » une invitation à « exterminer » jusqu'à la moitié de la population des troupeaux de phoques. Fort bien accueilli par le ministre des Pêches et de l'Aquaculture de Terre-Neuve et du Labrador, M. Efford, le rapport a été dénoncé par le FIDA et l'IMMA. Le FIDA a dit qu'il contenait « plus de superstitions que de données scientifiques » et a demandé que l'on examine la composition du Conseil. L'IMMA a quant à elle qualifié les recommandations du Conseil de « dangereuses, [et] dénuées de fondement scientifique » et a accusé le CCRH d'être surtout composé de représentants de l'industrie de la pêche.

Le 27 mai 1999, le Comité permanent des pêches et des océans a entendu des membres du Conseil pour la conservation des ressources halieutiques, soit son président, deux membres chargés des questions scientifiques et son directeur général intérimaire, et a examiné avec eux le fondement des recommandations du Conseil.

Après discussion avec les témoins, le Comité a conclu que la suggestion précitée du Conseil n'était pas draconienne et que ses recommandations étaient plus mesurées que les détracteurs du rapport ne l'avaient affirmé jusque là.

C'est au chapitre 2 de son rapport que le Conseil fait sa recommandation principale :

Réduire les troupeaux de phoques jusqu'à la moitié de leurs niveaux de population actuels à des endroits précis, et se servir de ces diminutions pour mener une étude scientifique et gérer les stocks suivant la situation.

En faisant cette recommandation, le Conseil a appliqué le principe de la « prévention »10. Autrement dit, à défaut de certitudes scientifiques, le Conseil a basé sa recommandation sur la prépondérance de la preuve fournie par les considérations suivantes :

  • les populations de phoques ont atteint des sommets sans précédent et sont maintenant près d'atteindre - si elles ne l'ont pas atteint - leur capacité limite;
  • les populations de phoques peuvent être durables à un niveau inférieur;
  • même après plus de six ans de moratoire, les stocks de morue de l'Atlantique nord-ouest demeurent faibles et ont été qualifiés de « vulnérables »11 par le CSEMDC12;
  • la prédation par le phoque est la principale cause de mortalité dans les stocks de morue de l'Atlantique nord-ouest.

Les témoins ont précisé que le Conseil ne préconise pas de réduire « aveuglément » les populations de phoques et encore moins d'abattre la moitié de leur population totale, mais plutôt de mener une expérience scientifique rigoureuse consistant à réduire la population de phoques à des endroits précis où les stocks de morue sont le plus vulnérables, comme les frayères et les aires de concentration hivernale. Cette proposition est décrite de façon détaillée dans la recommandation V, au chapitre 2 du rapport :

Définir un nombre restreint de zones d'exclusion expérimentales du phoque pour chacune des pêches en 2J3KL (morue du Nord), en 4TVn (morue dans le sud du golfe du Saint-Laurent) et en 4RS3Pn (morue dans le nord du Golfe [sic]), afin d'empêcher l'expansion du phoque dans les divisions de pêche, une baie en particulier ou une zone. La présente mesure vise à protéger les concentrations de géniteurs et de morues juvéniles et à empêcher le phoque de consommer en grande quantité des concentrations côtières localisées de morues qui font l'objet de pêches restreintes.

Les zones d'exclusion en question ne seraient pas des baies entières, et encore moins tout l'Atlantique nord-ouest, mais des secteurs restreints et clairement délimités. Par exemple, le détroit de Smith, un fjord de l'est de Terre-Neuve situé dans la baie de la Trinité, pourrait être une zone d'exclusion. C'est à cet endroit que l'on trouve le plus important des stocks géniteurs de morue du Nord qui subsistent encore. Ce peuplement a été bien étudié, et l'on sait qu'il faut le protéger.

Même convaincus que la prédation par le phoque retarde la reconstitution des stocks de morue, les membres du Conseil ont convenu avec les témoins qu'il est impossible de prédire l'effet de la réduction de certaines populations de phoques. Aussi le Conseil a-t-il formulé ses recommandations en fonction de ce qu'il a appelé la « gestion suivant la situation ». En principe, cela signifie qu'à l'avenir, dès que les effets des réductions seront connus, on en tiendra compte dans les plans de gestion.

Il pourrait s'avérer plus simple de procéder ainsi que d'éliminer systématiquement des populations entières de phoques. Si le nombre de phoques abattus à titre expérimental dans les zones d'exclusion est négligeable comparativement au nombre de bêtes abattues dans le cadre des activités normales de chasse, les marchés existants les absorberont probablement sans effet indu sur les prix. Le Conseil admet toutefois qu'il ne leur donne pas de conseil sur ce qu'ils devraient faire dans l'éventualité ou l'abattage expérimental produirait un nombre élevé de carcasses supplémentaires, car cela déborde son mandat.

LA VALEUR ÉCONOMIQUE ET SOCIALE DE LA CHASSE AU PHOQUE

La valeur économique

Le Comité a entendu des opinions divergentes quant à la valeur économique de la chasse au phoque. Le ministère des Pêches et des Océans (MPO) considère que la chasse au phoque a des retombées économiques de 12 millions de dollars par année à Terre-Neuve seulement.

Le gouvernement de Terre-Neuve a calculé que la valeur de la récolte de 1998 pour l'économie terre-neuvienne s'élevait à environ 25 millions de dollars en tenant compte des produits à base d'huile, de peaux et de viande tirés des 275 000 phoques transformés par des entreprises locales. Dans cette province, cette industrie donne de l'emploi à plus de 400 travailleurs d'usine et de 4 000 chasseurs en amont.

Le FIPA est cependant d'avis que la valeur économique de la chasse au phoque est grandement exagérée. Il signale qu'une fois qu'on a déduit les subventions gouvernementales, la véritable valeur de la chasse chute à 2,9 millions de dollars. Même ce chiffre pourrait constituer une surestimation puisqu'il ne tient pas compte des coûts assumés par les contribuables pour des services comme les brise-glace et l'application des lois et règlements.

Pour les Inuits du Nunavut, la valeur économique de la chasse ne se mesure pas en revenus en espèces. Le Conseil de gestion des ressources fauniques du Nunavut a ainsi décrit un programme sur les prix des fourrures mis sur pied il y a environ quatre ans afin de relancer l'industrie de la chasse au phoque. Fondé sur un prix fixe de 30 $ la peau, ce programme a réussi à ranimer l'intérêt pour la chasse et à rendre cette activité de nouveau viable. Ce programme a entraîné la production de quelque 7 000 peaux de phoques annelés par année, ce qui représente une valeur d'environ 200 000 $ en espèces et d'à peu près 10 millions de dollars en nourriture.

La valeur sociale

Le Conseil de gestion des ressources fauniques du Nunavut a expliqué le rôle social que jouait la chasse au Nunavut. Dans cette région, la chasse constitue une activité menée à une échelle relativement petite puisqu'elle entraîne la récolte d'environ 20 000 phoques annelés par an et de quelques centaines de phoques du Groenland. Les phoques annelés sont préférés tant pour la nourriture que pour la fabrication des vêtements.

La préservation de la chasse au phoque constitue une façon de protéger les traditions culturelles et les moyens de subsistance des Inuits, qui sont limités sur le plan de l'emploi rémunéré. Cette activité aide les chasseurs indépendants à financer le coût croissant de la chasse de subsistance qu'ils pratiquent pour nourrir leurs familles. Les revenus en espèces permettent d'assumer les dépenses qui sont nécessaires pour mettre de la nourriture sur la table, c'est-à-dire rapporter de la viande de phoque qui a, comme on le sait, une très grande valeur nutritive.

Lorsque le marché s'est effondré au début des années 1980 à la suite des campagnes des groupes de défense des droits des animaux et de l'interdiction de l'importation des peaux décrétée par l'UE, les chasseurs ne pouvaient plus vendre leurs peaux. Comme la Compagnie de la Baie d'Hudson et la coopérative ont cessé d'en acheter, les chasseurs ont dû essuyer de lourdes pertes puisqu'ils tiraient une grande partie de leurs revenus en espèces de la vente de ces peaux, un sous-produit de leur chasse. Non seulement cet effondrement du marché a-t-il réduit leur capacité de chasser et de ramener de la nourriture à la maison, mais il a également eu des effets nocifs sur le plan culturel, social et nutritif.

La chasse permet de soutenir l'unité familiale. Le chasseur tue un phoque et le rapporte à la maison où la peau est préparée pour la vente. Dans une certaine mesure, on dispose toujours du savoir-faire requis, mais il a quand même fallu offrir des ateliers où les femmes âgées encourageaient les jeunes à perfectionner leur art.

Le développement des marchés

Le gouvernement de Terre-Neuve est optimiste quant aux possibilités d'expansion de l'industrie de la chasse au phoque. Il croit qu'au cours des deux ou trois prochaines années, l'industrie pourrait atteindre une valeur de 100 millions de dollars en récoltant et transformant jusqu'à 400 000 phoques. Un large éventail de produits, notamment des produits plus traditionnels à base de viande, de fourrure et de peaux sont actuellement offerts, mais on commercialise aussi de nouveaux produits comme des concentrés de protéines, des acides gras oméga-3 et d'autres acides gras utilisés comme suppléments nutritifs.

Le Nunavut cherche aussi activement à développer de nouveaux marchés dans le cadre de sa stratégie sur la chasse au phoque, soit par des activités comme une participation à la foire de la fourrure de Montréal (où l'industrie de la fourrure rendra un hommage spécial au Nunavut cette année) et par d'autres moyens. Le Nunavut fait également paraître de la publicité à l'échelle internationale dans le Red Book et participe à l'encan des chasseurs de fourrure qui attire des acheteurs de partout au monde, notamment de Chine et d'Europe.

Le Nunavut travaille en outre au développement de son propre marché dans le Nord, tant pour les clients locaux que pour les touristes; ainsi, il fait la promotion des fourrures en les présentant comme des produits attrayants et fonctionnels qui sont le fruit d'une chasse traditionnelle faisant partie de leur culture. De cette façon, il espère créer de nouveaux débouchés locaux. Parmi les autres initiatives, notons des ateliers de conception et de production, des séances de photos dans le Nord avec des mannequins de la région, et l'évaluation des débouchés commerciaux. Le Nunavut examine enfin la possibilité d'utiliser les sous-produits du phoque de diverses façons, en partenariat avec le secteur privé. Nous avons également entendu le témoignage d'Inuits du Labrador, qui ont exprimé des préoccupations semblables à celles des résidents du Nunavut.

Les relations publiques

Un des avantages de l'industrie de la chasse au phoque du Nunavut est qu'elle est appuyée par les résidents du sud. Cette situation est principalement attribuable au fait que cette chasse a de solides fondements culturels et sociaux, qu'elle est pratiquée sur une petite échelle et non de manière industrielle, qu'elle constitue une activité de subsistance, qu'elle utilise des méthodes non cruelles et que les peaux n'en sont qu'un sous-produit. Cette chasse fait toutefois face à un dilemme, car même si elle utilise des sous-produits d'une manière durable, elle peut donner l'impression de ne pas être pratiquée uniquement à des fins de subsistance.

Le Nunavut a déployé beaucoup d'efforts afin d'éduquer le public sur la chasse. Au nombre de ses initiatives, notons la production d'un vidéo sur la chasse au phoque dans le Nunavut, d'un livre, d'un manuel de classement des peaux, de brochures et d'étiquettes, ainsi que l'amélioration des relations avec les médias et des présentations publiques.

Les obstacles au commerce et l'éducation du public

L'un des objectifs fondamentaux de la stratégie du Nunavut est de tenter de surmonter les obstacles au commerce. Or, le plus important de ces obstacles est la Marine Mammal Protection Act (MMPA) des É.-U. puisque ce pays constitue probablement le meilleur marché potentiel pour des produits comme les manteaux de peaux de phoques. Même si ces articles sont populaires auprès des Américains qui visitent la foire de la fourrure de Montréal, ils ne peuvent être importés aux États-Unis en raison de la MMPA. Le Conseil de gestion des ressources fauniques du Nunavut a expliqué au Comité que le Nunavut ne demandait pas une assistance financière ou des subventions, mais plutôt une aide pour éliminer ces obstacles au commerce. Nous avons entendu des témoignages selon lesquels les Inuits de l'Alaska peuvent commercialiser leurs produits du phoque sur le territoire continental des États-Unis alors que les Inuits canadiens ne le peuvent pas.

Ce problème préoccupe également le Conseil de développement de l'industrie de la chasse au phoque. Cette organisation déploie donc des efforts pour éliminer les obstacles au commerce comme la MMPA et d'autres, qu'elle décrit comme des obstacles « vexateurs » dans le cas de l'Asie. Le Conseil a également signalé que le mouvement de défense des droits des animaux avait créé un climat d'antipathie à l'égard de l'industrie.

LES OPTIONS EN VUE DE LA GESTION DU TROUPEAU DE PHOQUES

Le ministre vous a donné certains faits et certaines données au sujet du cheptel de phoques du Groenland et de la nécessité d'y voir immédiatement. Je ne vais qu'effleurer pendant quelques instants le côté humain de cette question. Monsieur le président, je vais y mettre un visage humain puisque c'est de cela qu'il s'agit. Il s'agit de personnes, de familles, de collectivités et de la survie du milieu rural de Terre-Neuve et du Labrador13. » - M. Roger Fitzgerald, député de l'Assemblée législative de Terre-Neuve et du Labrador

Les collectivités côtières de Terre-Neuve et du Labrador craignent réellement que l'expansion du troupeau de phoques du Groenland menace la reconstitution des stocks de morue et d'autres poissons de fond et du même coup la reprise de la pêche comme activité économique. Cette éventualité mine à son tour la viabilité de ces collectivités côtières. Si les jeunes ne peuvent espérer y trouver d'emplois, ils n'ont pas d'autres choix que de quitter la région pour aller en chercher ailleurs. Or, sans les jeunes pour perpétuer la tradition, les collectivités mourront et un mode de vie disparaîtra.

Que devrions-nous ou que pouvons-nous faire concernant la taille du troupeau de phoques du Groenland? Au cours des derniers mois, les médias ont fait état de demandes d'abattage sélectif afin de réduire le troupeau de phoques du Groenland et d'améliorer du même coup les chances de reconstitution des stocks de morue. Toutefois, aucun des témoins entendus par le Comité n'était en faveur d'un abattage sélectif. Le ministre Efford et les membres du comité multipartite de l'assemblée législative de Terre-Neuve et du Labrador ont clairement précisé qu'ils n'avaient pas demandé une augmentation du TAC pour 1999.

Mme Tina Fagan, directrice exécutive, Association canadienne des chasseurs de phoques, qui s'exprimait au nom du Conseil de développement de l'industrie de la chasse au phoque, a aussi déclaré sans équivoque que le Conseil n'appuyait même pas l'idée d'un accroissement des quotas et donc encore moins celle d'un abattage sélectif tant qu'on n'aura pas pris des mesures pour garantir des marchés constants offrant des prix acceptables. Le Conseil a fait état d'un certain nombre d'inquiétudes en ce qui touche l'abattage sélectif, notamment concernant l'élimination des phoques abattus, le coût financier de l'opération, son coût sur le plan des relations publiques, la possibilité de fournir aux groupes de défense des droits des animaux une nouvelle cause, et l'incertitude qui persiste quant aux répercussions de cet abattage sur la viabilité de la population de phoques. On a même indiqué qu'un abattage sélectif pourrait avoir un effet nocif sur d'autres pêches commerciales sans garantir une vigoureuse reconstitution des stocks de morue.

Le FIPA s'oppose à toute chasse commerciale parce qu'elle entraîne inévitablement des récoltes qui ne peuvent être maintenues, une cruauté inacceptable et des problèmes insurmontables relativement à l'application de la loi. Cette organisation a mentionné des espèces qui avaient été exterminées dans le passé comme la tourte, le grand pingouin, le bison et les baleines, mais elle a également souligné qu'elle ne s'opposait pas à la chasse de subsistance pratiquée par les peuples autochtones.

Des témoignages indiquent que le troupeau de phoques du Groenland montre actuellement des signes de stress, en raison d'une surpopulation. Par conséquent, un plan de gestion visant à réduire graduellement la taille de ce troupeau pourrait être justifié même si l'on ne sait pas trop quelle devrait être sa taille optimale.

Certains ont proposé comme objectif le rendement équilibré maximal (REM). Si on suppose que ce rendement peut être établi d'une manière crédible, il demeure qu'il n'est pas facile de déterminer exactement à quel niveau devrait être fixé le TAC ou combien de temps serait nécessaire pour atteindre ce rendement étant donné l'incertitude entourant le nombre total de phoques actuellement abattus, notamment les prises non déclarées. Des données scientifiques plus concluantes seront nécessaires pour répondre à ces questions.

Il est toutefois évident qu'aucune augmentation du TAC ne peut être mise en oeuvre tant qu'on n'a pas trouvé de nouveaux débouchés permettant d'absorber un plus grand volume de produits dérivés du phoque sans compromettre les marchés existants.


1 Un jeune phoque du Groenland qui n'a pas encore commencé à muer et donc à perdre son manteau blanc.

2 Un jeune phoque à capuchon qui n'a pas encore commencé à muer et donc à perdre son manteau bleu.

3 Ce chiffre n'est pas certain, mais constitue la valeur la plus probable parmi des estimations variant entre 170 000 et 300 000 individus.

4 Le Dr Lavigne a déclaré que ses documents sont révisés par des pairs tandis que le Dr Winters a mentionné que les siens ne l'étaient pas, mais étaient plutôt examinés par un autre organisme.

5 Ces chiffres se fondent sur un retrait biologique potentiel de 288 000 phoques du Groenland de l'Atlantique du Nord-Ouest, une donnée publiée dans Waring et al., U.S. Atlantic Marine Mammal Stock Assessments - 1998, U. S. Department of Commerce, NOAA, NMFS, Northeast Fisheries Science Centre, Woods Hole, MA.

6 Il s'agit d'os se trouvant dans l'oreille d'un poisson.

7 Conseil pour la conservation des ressources halieutiques, Impératifs de conservation des stocks de fond de la plate-forme Scotian et de la baie de Fundy, de sébaste, unités 1-3, et 3-0, et des stocks de poisson de fond en division 3Ps en 1999, Rapport présenté au ministre des Pêches et des Océans, CCRH.98.R.6, novembre 1998, p. 5.

8 Le rendement équilibré maximal, qui est estimé par le Dr Winters a entre 3,5 et 4 millions d'individus.

9 R.L. Haedrich, lettre à l'hon. David Anderson, ministre des Pêches et des Océans, 12 avril 1999.

10 Défini à l'alinéa 30c) de la Loi sur les océans comme consistant à « pécher par excès de prudence ».

11 Selon le CSEMDC, une espèce vulnérable est une espèce dont on a particulièrement lieu de s'inquiéter en raison de caractéristiques qui la rendent éminemment sensible aux activités humaines ou aux phénomènes naturels.

12 Comité sur le statut des espèces menacées de disparition au Canada.

13 Canada, Chambre des communes, Comité permanent des pêches et des océans, Procès-verbaux, Ottawa, 15 avril 1999.