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CLAR Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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LEGISLATIVE COMMITTEE ON BILL C-20, AN ACT TO GIVE EFFECT TO THE REQUIREMENT FOR CLARITY AS SET OUT IN THE OPINION OF THE SUPREME COURT OF CANADA IN THE QUEBEC SECESSION REFERENCE

COMITÉ LÉGISLATIF CHARGÉ D'ÉTUDIER LE PROJET DE LOI C-20, LOI DONNANT EFFET À L'EXIGENCE DE CLARTÉ FORMULÉE PAR LA COUR SUPRÊME DU CANADA DANS SON AVIS SUR LE RENVOI SUR LA SÉCESSION DU QUÉBEC

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le jeudi 17 février 2000

• 1018

[Traduction]

Le président (M. Peter Milliken (Kingston et les Îles, Lib.)): La séance est ouverte.

[Français]

Nous sommes prêts à commencer. Les caméras doivent sortir, s'il vous plaît.

[Traduction]

Mesdames et messieurs, notre premier témoin ce matin est M. Jack Jedwab, directeur général de l'Association d'études canadiennes. Il témoignera cependant à titre personnel. Les membres du comité gagneront certainement à l'écouter.

Monsieur Jedwab, en vertu des règles que nous avons adoptées, vous avez 10 minutes pour faire votre allocution, après quoi nous vous interrogerons pendant 25 minutes, chaque parti ayant à peu près cinq minutes. Nous allons ensuite diviser entre les partis le temps qui restera des 45 minutes qui nous sont allouées.

Il nous tarde de vous entendre, et nous vous remercions vivement d'avoir accepté d'être des nôtres aujourd'hui, monsieur. Vous avez la parole.

[Français]

M. Jack Jedwab (témoigne à titre personnel): Merci, monsieur Milliken, et merci aux autres membres du comité. Il me fait plaisir d'être ici avec vous pour parler du projet de loi C-20, qui porte sur la sécession.

• 1020

Évidemment, cette question est d'une importance capitale pour l'ensemble des Canadiens, car elle touche à l'avenir de ce pays. Je vais essayer d'être bref et de m'en tenir aux 10 minutes qui me sont accordées pour soumettre mon opinion sur la question.

Mes opinions sont divisées en deux parties. D'abord, je vais traiter des questions générales qui touchent l'ensemble de la question de la sécession, quelle que soit la province ou l'entité qui cherche à ne plus faire partie du Canada et, dans un deuxième temps, je vais m'attarder spécifiquement à la situation du Québec.

Je considère que le projet de loi C-20 constitue une réponse cruciale à la question tout aussi cruciale qu'est la sécession d'une province du Canada. Il s'agit d'une tentative de trouver un équilibre entre les questions d'ordre politique et juridique à la suite d'une sécession. Je considère que les dimensions politiques et juridiques de la question sont intimement liées. Je sais qu'il y a des débats de part et d'autre, où l'on dit qu'il ne s'agit pas d'une question juridique, mais politique. Fondamentalement, je considère que ces deux aspects sont liés.

À cet égard, selon moi, le projet de loi C-20 poursuit un objectif légitime dans son effort pour définir certaines conditions, advenant le cas où, à la suite d'un référendum, une province désirerait ne plus faire partie de la fédération. Le projet de loi réaffirme de façon juste le droit d'une province du Canada de consulter sa population par référendum sur n'importe quelle question et de formuler la question référendaire. Ceci est conforme au jugement rendu par la Cour suprême du Canada.

Bien qu'une province puisse soumettre une question à sa population, le résultat d'une telle consultation n'est pas nécessairement celui désiré par le législateur provincial, particulièrement s'il a un impact politique et des répercussions juridiques sur les juridictions situées à l'extérieur de ce territoire, là où la consultation n'a pas eu lieu.

Ainsi, le résultat désiré par ceux qui tiennent un référendum sur la question du statut d'une province à l'intérieur de la fédération, dans ce cas-ci sur la sécession, a de meilleures chances d'être reconnu si la question est exempte de toute ambiguïté. Cela est particulièrement pertinent pour une province qui cherche à cesser de faire partie du Canada et dont l'objet de la question affecte non seulement les territoires situés à l'extérieur de sa juridiction, mais aussi des personnes à l'intérieur de cette même province. Cela a un impact important sur la légitimité des résultats.

La Cour suprême du Canada a dit, dans son jugement, qu'une majorité claire et une question claire étaient reliées. Du point de vue politique, et c'est dans cette optique que je m'exprime, il y a un lien évident, tel que je l'ai dit plus tôt. Il est en effet nécessaire de tenir compte de la qualité de la question, tout autant que du nombre de personnes qui votent pour ou contre l'option présentée. C'est la clarté ou la qualité de la question et de la majorité obtenue qui aura un effet déterminant sur le mandat d'une province qui désire cesser de faire partie du Canada.

• 1025

Le paragraphe 3(1) du projet de loi C-20 parle des parties qui seraient incluses dans le processus de négociation si une province cherchait à cesser de faire partie du Canada. Selon moi, toute négociation devrait au moins inclure le gouvernement du Canada ainsi que toutes les provinces. Cela se justifie par des considérations historiques et contemporaines.

La première considération qui justifie mon appui à un tel processus de négociation est reliée à l'Acte de l'Amérique du Nord britannique de 1867. En effet, cet acte n'a pas été négocié entre le Québec et le reste du Canada, ni entre l'Ontario et le reste du Canada. La négociation a eu lieu entre l'Ontario, le Québec, le Nouveau-Brunswick et la Nouvelle-Écosse, c'est-à-dire entre quatre provinces. C'est un point de vue qui devrait être pris en considération, au moins en ce qui concerne l'aspect historique de la question.

À notre point de vue, non seulement les provinces et territoires qui se sont joints à la fédération après 1867 devraient être inclus dans le processus de négociation, mais aussi les populations autochtones, ainsi que les représentants des minorités historiques officielles.

Bien que le législateur soit justifié de ne pas aller trop dans les détails du processus extrêmement complexe de la négociation, le projet de loi C-20 soulève certaines questions qui pourraient faire l'objet de discussions lors des négociations sur la sécession. Il y a évidemment beaucoup d'autres questions, au paragraphe 3(2) du projet de loi, qui font partie du litige entourant la sécession, mais nous considérons que la question de la mobilité des droits et de la mobilité des citoyens devrait être l'une d'entre elles. Cela s'explique par le fait qu'entre 1966 et 2001, selon mon estimation, au moins 1 million de Québécois auront déménagé ailleurs au Canada, alors qu'un peu plus que 400 000 Canadiens seront venus d'ailleurs pour s'installer au Québec.

Je pense qu'il y a des questions fort importantes qui devraient être prises en considération quant à la citoyenneté, au droit à la mobilité et à son effet sur les autres provinces et territoires. Certains peuvent dire que cela fait partie de la question de la citoyenneté, mais je considère que la mobilité des personnes constitue une question unique, surtout si la sécession d'une province, quelle qu'elle soit, entraîne de fortes migrations de part et d'autre.

Toujours en rapport avec le paragraphe 3(2), le gouvernement devrait considérer la possibilité d'y ajouter quelque chose sur l'efficacité du processus. Ce sont les précédents, dans l'histoire de notre pays, qui m'amènent à soulever ceci, surtout en ce qui a trait à la négociation des actifs et des passifs. Il y a une quinzaine d'années, j`ai eu l'occasion d'étudier un précédent relatif à la question des actifs sur ce qu'on appelle les common school funds.

Si vous me le permettez, je vais donner cet exemple en anglais. Il s'agit d'extraits d'un article que j'ai écrit il y a longtemps.

[Traduction]

À l'époque de la Confédération, le Québec et l'Ontario avaient des attentes divergentes à l'égard de la répartition des actifs et de la dette. Les dettes des provinces, les actifs, les crédits et les obligations du Haut et du Bas-Canada devaient être répartis et ajustés selon la décision des arbitres.

Après la Confédération, les gouvernements du Québec et de l'Ontario semblaient résolus à régler leur contentieux fiscal le plus vite possible.

[Français]

Je pense que cela démontre la bonne volonté des parties.

[Traduction]

Plus on tardait à résoudre la question, moins cela semblait avantageux pour les deux provinces.

Avant la supposée répartition finale de ces biens en 1879, l'arbitre nommé par le gouvernement du Québec, Charles Dewey Day, a démissionné du comité, laissant aux gouvernements du Canada et de l'Ontario le soin de prendre la décision.

• 1030

Dans le partage des actifs que possédaient les provinces de l'Ontario et du Québec avant l'avènement de la Confédération, le litige le plus important portait essentiellement sur ce qu'on appelait le fonds des écoles publiques.

À la fin des années 1870, une décision du comité judiciaire du Conseil privé sembla paver la voie à un accord final. Cependant, après que cette décision a été rendue, où l'on considérait qu'il y avait partage des actifs, on ne s'entendait toujours pas sur ce qui constituait un «partage» entre les deux provinces. Il en est résulté une série de contestations judiciaires autour de ce fonds qui ont duré jusqu'au début du XXe siècle.

J'attire votre attention sur ce fait parce qu'il démontre la complexité de certaines négociations entourant ces questions. Ce n'était pas, pour nous aujourd'hui, des actifs très considérables, et pourtant, il a fallu quelque 30 ans de négociations avant de parvenir à un accord. Voilà pourquoi je crois qu'il serait bon pour toutes les parties d'avoir, au paragraphe 3(2) du projet de loi, une mention quelconque de l'efficacité qui doit entourer le processus, parce que je ne crois pas qu'il serait dans l'intérêt de quiconque de prendre 30 ans pour s'entendre sur une question qui, de toute évidence, ne manquera pas d'

[Français]

avoir un impact. Si, sur la question de ces seuls actifs, il a fallu 30 ans de discussion, malgré beaucoup de bonne volonté à l'époque de part et d'autre, du Québec et de l'Ontario, vous vous imaginez où le processus peut mener. J'ai pensé qu'il était nécessaire d'attirer votre attention là-dessus.

Passons à un autre sujet, celui de la partition, question qui nous rend tous mal à l'aise, je crois. Personnellement, elle me rend très mal à l'aise, et ceux et celles qui me connaissent savent que je ne l'appuie pas. Cependant, à mon avis, l'analyse de ce qui se passe réellement un peu partout dans le monde dans le cas des sécessions démontre que ce processus peut engendrer de l'incertitude quant aux limites territoriales et même faire réfléchir et amener les deux parties à réexaminer à sa base même l'organisation territoriale.

Je vais vous en donner un exemple. Très souvent, comme vous le savez peut-être, la question de la partition—je n'aime pas ce terme—est associée à la communauté anglophone du Québec. Mais la réalité est qu'il y a un nombre important de francophones au Québec qui, eux aussi, considèrent que les limites territoriales ne sont pas nécessairement fixes. Cela pourra vous étonner, mais dans certaines études... Je me suis documenté là-dessus parce que je trouve cela important et je me suis rappelé qu'il y avait eu, en 1995, un sondage fait par CROP et Environics. J'avais la question en français et je l'ai traduite en anglais. Je vais vous la citer en anglais, si vous me le permettez.

[Traduction]

Selon un sondage CROP/Environics tenu en février 1995, deux Québécois sur trois étaient favorables à l'idée selon laquelle, si le Québec devenait souverain, les régions francophones du reste du Canada devraient avoir le droit de s'annexer au Québec si tel était leur désir.

[Français]

C'est-à-dire que la proposition que le Nouveau-Brunswick puisse se rattacher au Québec est vue par les deux tiers des Québécois, soit une majorité claire, comme tout à fait légitime. Pour être correct, to be fair, 56 p. 100 des Québécois étaient aussi d'accord que des régions francophones d'un Québec souverain puissent demeurer dans le Canada si elles le désiraient.

Je trouve ces idées extrêmement difficiles et problématiques, mais je pense qu'il est important de souligner le fait qu'il y a quand même beaucoup de Québécois qui trouvent qu'il est normal que l'intégrité territoriale du Nouveau-Brunswick puisse être remise en question. Je ne pense pas qu'on l'ait pensé à Saint-Boniface, parce qu'il serait difficile de rattacher Saint-Boniface au Québec. Cela démontre la complexité de la question territoriale et les enjeux qui peuvent découler des négociations. Il est donc nécessaire que le législateur y réfléchisse et adopte une orientation qui puisse donner une espèce de stabilité à ce processus.

Je vais aborder très rapidement la question du partenariat dans le cadre de la question référendaire au Québec. J'ai répété très souvent et je réaffirme que le partenariat, à mon avis, vient en contradiction avec la notion de sécession. Il n'y a pas de rapports mutuels entre les deux cas.

Je me rappelle que dans le Time Magazine, en 1992, Jacques Parizeau avait dit que l'appui à la souveraineté pouvait varier entre 52 p. 100 et 62 p. 100 selon la façon dont la question serait posée. Je pense qu'il est important de se le rappeler, et surtout important que le législateur se le rappelle.

• 1035

J'aurais d'autres points à développer, mais je vais terminer là-dessus pour allouer du temps aux questions. Je vous remercie de votre patience et de m'avoir donné l'occasion de m'exprimer sur ces questions d'importance capitale pour toute la population.

Le président: Merci, monsieur Jedwab. Nous sommes très heureux de vous rencontrer aujourd'hui. M. Jaffer sera le premier à poser des questions et à faire des commentaires.

[Traduction]

M. Rahim Jaffer (Edmonton—Strathcona, Réf.): Merci, monsieur le président. Et merci au témoin pour son exposé.

Ma première question fait suite à ce que vous avez dit sur l'importance d'avoir une question claire et l'importance d'avoir une majorité claire. Je pense que l'une des meilleures façons de déterminer ce qui constitue une majorité claire, c'est d'avoir un chiffre. Bon nombre d'entre nous croient que la norme démocratique, qui est habituellement respectée, c'est 50 p. 100 plus un. Je suis curieux de savoir si c'est une norme que vous respecteriez pour un référendum, ou ce que vous pensez de ce genre de normes en particulier.

M. Jack Jedwab: Je pense que la règle du 50 p. 100 plus un comporte une certaine réalité juridique. Mais je pense que les questions les plus importantes ici sont à la fois de nature politique et morale. Dans un scénario 50 p. 100 plus un, je compterais parmi les 49,9 p. 100 des gens qui auraient voté contre une proposition de sécession. J'aurais des réserves, particulièrement si l'on songe aux électeurs indécis du Québec.

Soit dit en passant, il y a des jours où j'aimerais bien être un indécis étant donné que c'est un groupe tellement populaire au Québec, qui reçoit de l'attention et qui, très souvent, en temps de référendum, fait l'objet de grandes démonstrations d'affection des deux camps, le oui et le non.

Ce groupe dispose d'un pouvoir immense. Étant donné son indécision, s'il devait changer d'avis le lendemain d'un vote 50 p. 100 plus un, cela créerait une situation très difficile. Vous savez, hier j'ai voté pour, mais aujourd'hui, j'ai changé d'avis. Je pense qu'il faut garder cela à l'esprit lorsqu'on se penche sur la question du 50 p. 100 plus un. Un tel résultat aurait sûrement un effet sur le mandat.

Encore là, je pense qu'il y a là une dimension politique très importante. Si vous voulez opérer une sécession, le mieux est de la faire dans un cadre politique d'une légitimité telle que vous disposerez d'un mandat fort. Je ne crois pas qu'une majorité de 50 p. 100 plus un vous donne un mandat très fort, même si sur le plan juridique elle présenterait sûrement une certaine pertinence.

Voilà pourquoi je crois que nous devrons tirer cela au clair, nous les Canadiens, pour toute province qui décidera de suivre cette voie. Une sécession pourrait évidemment déclencher d'autres mouvements de sécession au sein de la fédération. Je crois que nous devons examiner le rapport qu'il y a entre la qualité de la question et l'aspect quantitatif du vote. Plus la question est embrouillée et obscure, plus faible sera votre mandat, évidemment.

Si le Québec devait poser une question qui porterait directement sur la sécession et que le vote en faveur dépasserait les 50 p. 100, pas 50 p. 100 plus un à proprement parler mais passablement plus que 50 p. 100, alors je crois que cela donnerait l'impression à bien des Canadiens qu'on s'est exprimé d'une manière relativement forte sur une question très directe.

M. Rahim Jaffer: Je crois que personne ne conteste le principe d'une question claire. Je pense que c'est très important, et une telle question aurait de toute évidence un effet sur le résultat. Nous avons entendu le ministre hier, et si je vous comprends bien, je crois qu'il est presque dangereux d'évaluer après le référendum ce que l'on considère être une majorité claire. Je crois que la règle devrait être arrêtée a priori pour que tout le monde sache à quoi s'en tenir.

Je ne suis pas sûr de bien vous comprendre. Dites-vous qu'il faut attendre de voir ce que sera le résultat et établir a posteriori ce qui constitue une majorité claire, ou devrions-nous savoir à l'avance ce que ce chiffre sera?

M. Jack Jedwab: Je pense que nous devrions attendre de voir ce que dit la question, et de là peut-être prendre une décision à ce moment-là, selon la question qu'on aura. Je pense que la question est dans une très large mesure le principal enjeu ici. À l'heure actuelle, vous avez Guy Laforest de l'ADQ qui dit que son parti est à la fois souverainiste et fédéraliste. Imaginez une question qui inclurait ces deux éléments.

Voilà pourquoi je crois que la question est absolument essentielle. Comme j'aborde ce problème d'un point de vue politique, je suis plus enclin à dire qu'il faut voir d'abord quelle question on pose aux gens, et de là on déterminera quel pourrait être l'élément quantitatif.

M. Rahim Jaffer: Donc, selon cette question...

M. Jack Jedwab: Mais je ne voudrais pas m'avancer et donner un chiffre sans connaître d'abord la tournure de la question sur un sujet aussi délicat.

• 1040

M. Rahim Jaffer: Mais vous ne vous opposeriez pas, une fois que vous auriez vu la question, à ce que la norme démocratique soit 50 p. 100 plus un. Est-ce bien ce que vous dites?

M. Jack Jedwab: Je pense que le 50 p. 100 plus un constitue une règle, qui présente sûrement une certaine pertinence, mais cela dépendra encore énormément de la question elle-même.

M. Rahim Jaffer: Bien sûr. Ça va.

M. Jack Jedwab: Il faudrait tenir compte également des autres aspects que j'ai mentionnés et qui figurent dans le projet de loi, concernant les communautés autochtones, les groupes linguistiques minoritaires, la mobilité, la citoyenneté, etc., ainsi que l'actif et le passif, dont je vous ai donné un tout petit exemple.

M. Rahim Jaffer: C'est là-dessus que porte ma prochaine question. Si je vous ai bien compris, vous dites qu'il faudrait peut-être prendre en compte l'avis des associations françaises à l'extérieur du Québec qui voudraient s'annexer au Québec en cas de sécession.

M. Jack Jedwab: Je crois personnellement qu'une telle proposition est ridicule, mais deux tiers des Québécois, dans deux sondages, semblent penser que c'est parfaitement raisonnable. Il y a peut-être quelque chose que je n'ai pas compris, mais vous ne pouvez pas dire qu'il est raisonnable pour une région du Canada de s'annexer à un Québec souverain sans soulever toute la question du territoire, et dire ensuite que le territoire est absolument sacro-saint, on ne peut pas y toucher. Qu'il est offensant de même en discuter alors qu'il se pose de toute évidence un problème ici.

[Français]

M. Stéphane Bergeron (Verchères—Les-Patriotes, BQ): Merci, monsieur le président.

Je suis toujours amusé et inquiet quand j'entends les débats sur la partition du Québec. Si le territoire du Québec était divisible, la grande majorité de ce territoire serait déjà souverain, puisqu'à l'exception de l'Outaouais, de l'ouest de Montréal et peut-être de la Beauce, les autres régions du Québec ont toutes voté en faveur de la souveraineté en 1995. C'est la preuve, quant à moi, que le territoire du Québec n'est pas divisible. C'est également la preuve que les Québécoises et les Québécois respectent le verdict qui a été rendu en 1995 par la population, en dépit du fait que le résultat fut très serré.

Au sujet du 50 p. 100 plus un, vous indiquiez, il y a quelques minutes, que si la souveraineté devait se faire à la suite d'un résultat de 50 p. 100 plus un, vous feriez partie des 49,9 p. 100 d'insatisfaits du résultat référendaire.

Il s'avère que je fais partie des 49,3 p. 100 de Québécois et Québécoises insatisfaits du résultat référendaire de 1995. Et qu'est-ce que le gouvernement fédéral a fait depuis pour tenir compte de cette volonté profonde de changement qui a été manifestée par les Québécoises et Québécois lors du référendum de 1995? J'aimerais citer un article que vous avez fait paraître dans le journal La Presse du 21 décembre dernier, dans lequel vous disiez:

    Si l'appui au projet souverainiste est décroissant,...

—ce que vous n'avez pas vraiment démontré dans votre article—

    ...depuis quelque temps, ce n'est pas à cause d'obstacles de procédure; on doit plutôt en attribuer la raison à un manque de vision de la part des leaders du mouvement souverainiste.

Lorsqu'on consulte les sondages sur lesquels vous vous êtes probablement appuyé, on constate que l'appui au fédéralisme est également à la baisse. Je maintiens qu'il y a peut-être là un manque de vision de la part du mouvement fédéraliste au Québec également. J'aimerais entendre votre point de vue à cet effet.

M. Jack Jedwab: En ce qui concerne les résultats des sondages, je pense qu'il y a des patrons évidents. Entre autres, je peux citer Pierre Drouilly, qui fait l'analyse des sondages, selon qui l'option souverainiste est en déclin.

Pour ce qui est du fédéralisme, permettez-moi de vous dire, si on veut jouer le jeu des sondages, que dans l'édition souvenir de la revue L'actualité—j'imagine que vous avez eu l'occasion de la lire—on dit que 75 p. 100 de la population du Québec a dit que le Canada était le meilleur pays au monde et que 54 p. 100 des souverainistes étaient d'accord sur cette affirmation. Cela m'a beaucoup affecté.

Je pense qu'on va entrer dans un débat sur la...

M. Stéphane Bergeron: Mais qu'est-ce que ça prouve, ce que vous dites là?

Ce que j'entends actuellement me rappelle les propos de Pierre Elliott Trudeau, qui disait, en 1976, que le mouvement souverainiste était mort au Québec. Or, quelques mois plus tard, le Parti québécois prenait le pouvoir. Cette tendance à se bercer d'illusions et à croire que le mouvement souverainiste est en pleine décroissance et sur le bord de la disparition fait en sorte que le fédéralisme ne se renouvelle pas.

Alors, je vous pose la question suivante. Au référendum de 1995, 49,3 p. 100 des Québécoises et des Québécois ont manifesté un profond désir de changement. Est-ce que le projet de loi C-20 répond à ce désir de changement?

Vous parliez d'un manque de vision des leaders souverainistes. N'y a-t-il pas là un manque de vision de la part des leaders fédéralistes?

• 1045

M. Jack Jedwab: Je pense qu'un nombre important de Québécois et de Québécoises souhaitent un processus clair. Si on peut encore jouer le jeu des sondages, je dirai que dans plusieurs d'entre eux, les Québécois et les Québécoises ont exprimé le désir qu'il y ait un processus et une question clairs. Je pense qu'après deux référendums, le gouvernement du Canada, auquel beaucoup de Québécois s'identifient malgré l'ambiguïté de leur attachement, répond, avec le projet de loi C-20, au désir de ceux-ci de voir le Canada prendre ses responsabilités pour assurer qu'il y ait un processus clair.

En ce qui concerne les revendications, d'abord, je ne suis pas là pour représenter le gouvernement fédéral, mais je pense que...

M. Stéphane Bergeron: Non, mais je vous ai cité au sujet du manque de vision des leaders souverainistes. N'y a-t-il pas là un manque de vision de la part des leaders fédéralistes?

M. Jack Jedwab: Non, parce que je pense qu'au Québec, on voit des leaders fédéralistes. On voit, par exemple, un fédéraliste comme Alain Dubuc, qui va proposer, dans les prochaines semaines, d'autres solutions permettant de s'affirmer. Selon moi, on a une bonne marge de manoeuvre au sein du Canada. La Charte des droits et libertés permet aux Québécois d'affirmer leurs caractéristiques particulières, comme la langue française, s'ils le veulent. On peut le faire. Il n'y a aucun obstacle à l'enchâssement de tels éléments.

M. Stéphane Bergeron: Parlons de clarté, monsieur le président.

Le président: Je regrette, monsieur Bergeron, mais vos cinq minutes sont déjà expirées.

Monsieur Blaikie, vous avez la parole.

[Traduction]

M. Bill Blaikie (Winnipeg—Transcona, NPD): Merci, monsieur le président, et merci au témoin pour son témoignage.

Je m'attarderai un instant sur un élément que mon collègue réformiste a mentionné, car il me semble qu'en réponse à sa question, vous disiez que, tout d'abord, vous devriez savoir quelle est la question avant de vous prononcer sur la majorité. Mais selon moi, ce que le projet de loi fait, c'est affirmer que la question va porter sur la sécession. Qu'il s'agit de demander aux Québécois s'ils veulent un pays distinct. La question ne pourrait pas porter sur le partenariat, ou la souveraineté-association, ou tout autre aspect que vous craignez de voir dans la question et qui pourrait influencer votre évaluation de ce qui serait une majorité claire.

Donc étant donné que le projet de loi lui-même dit que la question ne peut être qu'une question claire et ne peut porter que sur la sécession, il me semble qu'on n'est pas obligé de réserver son jugement sur la question. Vous savez ce sur quoi portera la question, ou à tout le moins la question dont on parle dans ce projet de loi. La question doit porter sur la sécession, faute de quoi elle sera irrecevable aux termes de ce projet de loi et le gouvernement ne sera pas tenu d'accepter la sécession.

Vous pourriez donc peut-être nous reparler de cela un peu et nous répondre en tenant compte du fait que ce serait une question claire, qui aurait à voir avec la sécession et avec le fait que le Québec deviendrait un pays distinct. Si l'on posait une telle question, considéreriez-vous que 50 p. 100 plus un est suffisant?

M. Jack Jedwab: Je n'ai peut-être pas compris le projet de loi, mais je n'ai rien vu dans le projet de loi qui dit instamment que la question doit absolument porter sur la sécession, faute de quoi tout le reste ne vaut rien. Je pense qu'il faut faire une évaluation qualitative de la question.

Si la question dit que le Québec deviendra un pays souverain, ou un pays indépendant, etc., alors il faudra procéder à une évaluation qualitative qui aura un rapport avec le résultat quantitatif, afin de décider ce qui constituera un mandat fort. Je ne crois pas que le projet de loi dise qu'il faut poser une question là-dessus de telle ou telle manière. On dit seulement que la question doit être aussi claire que possible, et de toute évidence, beaucoup diront qu'étant donné que c'est la sécession qui est en jeu, la province aspirant à la sécession disposera d'un mandat des plus forts si elle inclut de tels termes dans la formulation de la question. Autrement, son mandat sera plus faible. Mais cela ne veut pas dire, à mon avis, que la question ne présenterait aucune pertinence sur le plan politique si elle ne porte pas sur la sécession.

M. Bill Blaikie: Voilà où je veux en venir. Une autre question quelconque pourrait être pertinente sur le plan politique, mais elle ne présenterait aucune pertinence relativement au jugement de la Cour suprême. Elle ne présenterait aucune pertinence pour ce qui est de savoir si l'on a créé les conditions voulues pour obliger le reste du Canada à négocier. Ce que le projet de loi définit, c'est la nature de la question qui créerait cette obligation.

• 1050

Je ne suis donc pas sûr que votre lecture du projet de loi corresponde à ce que d'autres y voient ou que vous vouliez vraiment répondre à la question.

Mais j'ai une autre question qui a trait au...

M. Jack Jedwab: À mon avis, le projet de loi ne dit pas ce que doit être la question.

M. Bill Blaikie: Mais si.

Tout le monde voit bien que les dirigeants autochtones doivent prendre part aux négociations qui suivraient une question claire et ensuite une majorité claire.

Dans le projet de loi, il a deux dispositions où le gouvernement dit que, au moment de déterminer, tout d'abord, avant le référendum, si la question est claire ou non, puis après le référendum, si la majorité était claire ou non, il prendrait en compte les vues des provinces, des assemblées législatives, des autres partis politiques dans les assemblées législatives et des territoires. Je me demande si vous êtes également d'accord pour dire que les dirigeants autochtones ou les communautés autochtones devraient compter parmi ces acteurs politiques dont il faut prendre en compte les vues dans la détermination de ces questions.

Étant donné que vous avez déjà dit que le projet de loi devrait être modifié ou que ce projet de loi présente des lacunes en ce qui concerne les peuples autochtones et leur participation à la négociation, dans cette sorte de période de pré-négociation, où l'on détermine si l'on va négocier ou non, devraient-ils également être inclus?

Le président: Une réponse brève, s'il vous plaît.

M. Jack Jedwab: Si j'ai bien compris le projet de loi, on dit qu'il faut à tout le moins inclure les provinces du Canada. Tout ce que j'ai dit, c'est qu'il y a peut-être lieu d'être plus précis pour ce qui est de la participation des communautés autochtones aux négociations.

Quand on pense aux diverses questions que cela soulève, par exemple toute la question, incontournable de l'actif et du passif, rien que cette question fait intervenir toutes les provinces du Canada dans la négociation étant donné qu'elle aura des effets sur ces provinces. Je pense qu'étant donné qu'il se posera divers autres problèmes qui revêtent une importance cruciale et qui auront des effets certains sur les communautés autochtones, cela nécessiterait, à mon avis, une mention plus claire de leur présence dans cette disposition du projet de loi.

Je ne crois pas qu'il serait sain de légiférer ou de s'engager dans les divers détails des comités et sous-comités qui pourraient intervenir dans les négociations. Par exemple, pour la question du territoire, on pourrait faire valoir qu'elle serait plus pertinente pour les provinces contiguës—le Nouveau-Brunswick, que j'ai mentionné plus tôt...

[Français]

Le président: Monsieur Bachand, la parole est à vous.

M. André Bachand (Richmond—Arthabaska, PC): Merci, monsieur le président.

Premièrement, merci d'être ici et bienvenue. Vous soulignez, dans votre présentation, que le projet de loi C-20 constitue une réponse cruciale à l'arrivée d'un mouvement sécessionniste dans une province et que la Cour suprême est un élément important ayant donné naissance à ce projet de loi.

Vous soulevez quand même des petits points que vous auriez peut-être aimé voir ajoutés. Aujourd'hui, si on vous donnait le travail d'écrire le projet de loi, qu'est-ce que vous changeriez? Qu'est-ce que vous ajouteriez? Qu'est-ce que vous enlèveriez?

M. Jack Jedwab: Comme je l'ai dit, j'ajouterais quelque chose aux paragraphes 3(1) et 3(2) en ce qui concerne la présence des autochtones dans le processus de négociation. Je pense aussi que la question de la mobilité est extrêmement importante.

On a vu récemment, dans un document du gouvernement de l'Ontario obtenu grâce à la Loi sur l'accès à l'information, que ce dernier s'intéresse à la question de la mobilité. On s'intéresse à la possibilité qu'une proportion importante de Québécois et de Québécoises quittent leur province pour la province voisine, l'Ontario. Même si certains disent que la Loi sur la citoyenneté peut répondre à cela, je trouve que cet élément est suffisamment important pour être inclus dans la liste. Mais je ne pense pas non plus que la liste devrait être très longue, parce qu'il y a de nombreuses questions qui découlent d'un tel processus.

M. André Bachand: La Cour suprême parle d'acteurs politiques. Pourriez-vous me donner votre définition du concept d'«acteurs politiques» qu'on retrouve dans le projet de loi C-20?

• 1055

M. Jack Jedwab: Les acteurs politiques dans le processus de négociation, c'est le gouvernement du Canada d'abord, puis ce sont les élus. Dans le cas des communautés autochtones, il faudrait des personnes qui sont dûment élues et, dans le cas des minorités linguistiques officielles, il faut aussi des personnes qui sont élues.

M. André Bachand: D'après ce que disent le ministre et le premier ministre, le projet de loi C-20 est une conséquence du jugement rendu par la Cour suprême. Lorsqu'on parle d'acteurs politiques dans ce projet de loi, trouvez-vous que cela correspond à la définition donnée par la Cour suprême? Dans quel paragraphe du jugement de la Cour suprême dit-on que le gouvernement fédéral est l'acteur principal?

M. Jack Jedwab: Je ne veux pas nécessairement faire un examen du jugement de la Cour suprême par rapport aux acteurs politiques. Toutefois, je dirai en toute modestie que, selon moi, toute négociation devrait impliquer les élus au niveau fédéral ainsi que les élus au niveau provincial, parce que c'est nécessaire qu'il y ait un renforcement mutuel de la crédibilité. Si le Québec ou une autre province, par exemple l'Ontario, se retirait ou tentait de se retirer du Canada, puisqu'il faut considérer la question globalement, cela remettrait en question la légitimité de la fédération. Il serait donc nécessaire pour les provinces de renforcer cette légitimité. C'est là que les acteurs se renforcent mutuellement à l'occasion de toute négociation pouvant découler d'une sécession.

Je ne peux pas vous offrir tout de suite une analyse du jugement de la Cour suprême ou de l'effet qu'il a eu sur les législateurs en ce qui a trait à la notion d'«acteurs politiques», mais je vous offre mon opinion en ce qui concerne le processus. J'ai beaucoup d'objections à la notion de partenariat parce que, d'une part, on détruit la fédération et que, d'autre part, on offre un partenariat.

M. André Bachand: Ne pensez-vous pas que les provinces auraient un mot à dire sur la clarté de la question et la clarté de la majorité?

M. Jack Jedwab: Dans un processus politique, parce que la sécession a une dimension politique primordiale, je pense que c'est aux acteurs, aux personnes directement affectées, de juger si le mandat est suffisamment fort et clair pour entamer un processus de négociation. Quelle que soit la province, si le résultat d'un référendum a un impact de l'ampleur d'une sécession, je crois qu'il appartient aux élus, qui représentent le gens directement affectés, de s'assurer que la population a clairement compris les enjeux. Lors du référendum de 1995, sondage après sondage, on apprenait qu'au moins une personne sur quatre, même parmi celles qui ont voté oui à la question, pensait que la province de Québec demeurerait une province à l'intérieur de la fédération...

M. André Bachand: Il faut faire attention aux sondages. Les gens pensaient aussi que le gouvernement libéral voulait éliminer la TPS et déchirer l'Accord de libre-échange.

Le président: Monsieur Bachand, votre temps est écoulé.

M. André Bachand: Ce sont des perceptions qui existent.

Le président: Monsieur Mills, vous avez la parole.

[Traduction]

M. Dennis J. Mills (Broadview—Greenwood, Lib.): Merci beaucoup, monsieur le président.

Monsieur Jedwab, merci beaucoup d'avoir accepté notre invitation avec un préavis si court.

Dans votre témoignage, vous mentionnez cet épisode de la fin des années 1870 relativement au partage du fonds des écoles publiques. Vous avez parlé du processus d'arbitrage et dit qu'il avait duré plus de 30 ans. Avez-vous songé au processus d'arbitrage ici? Devrions-nous avoir une question claire? Devrions-nous avoir une majorité acceptable? Qui seraient ces arbitres? On parle des acteurs politiques, mais très peu de gens font carrière en politique—je pense que la moyenne est environ 6 ou 8 ans dans la plupart des assemblées législatives du pays. Avez-vous réfléchi à l'organisation de cet arbitrage, et croyez-vous que certains de ces arbitres, qui représenteraient le gouvernement du Canada, pourraient venir du Québec.

• 1100

M. Jack Jedwab: Je pense que ce sont des questions extrêmement complexes. J'ai soulevé cet exemple parce que je pense qu'il démontre la grande complexité que pose tout arbitrage. J'imagine qu'on pourrait faire toutes sortes d'analogies avec les conseils d'administration et dire qu'un conseil d'administration voudra peut-être nommer ceux qui prendront part au processus d'arbitrage. Mais de toute évidence, dans le cas du Québec, il serait très difficile de nommer des négociateurs qui tireraient leur légitimité de l'électorat québécois, et encore là, à la condition que la démarche soit issue d'un référendum sur la sécession où une majorité claire se serait prononcée.

Je ne peux donc pas vraiment répondre à cette question car je crois que toutes ces choses devraient être prises en considération, et le processus serait extrêmement complexe.

Je dirais, pour ce qui est des groupes linguistiques minoritaires, que toute personne prenant part aux négociations devrait être un représentant dûment élu de régions où l'on trouve des concentrations importantes d'anglophones, dans la mesure où toute négociation pourrait toucher les droits de cette communauté.

M. Dennis Mills: Justement, M. Bachand en a parlé brièvement hier soir au comité. Il a évoqué un scénario où, au moment du référendum, la branche exécutive du gouvernement du Canada serait dirigée par un premier ministre du Québec, et certains membres de l'exécutif seraient du Québec. Imaginons qu'il y a séparation. Avez-vous réfléchi à la position qu'adopterait cet exécutif pour ce qui est de la capacité qu'il aurait d'être arbitre ou négociateur dans le partage de l'actif? Y avez-vous réfléchi?

M. Jack Jedwab: Comme je l'ai dit, ce serait un processus très complexe. Je répondrai à cela que je n'y ai pas suffisamment réfléchi pour vous donner une réponse. Mais si vous le voulez, je pourrais certainement vous donner un point de vue politique sur la question d'ici peu de temps.

M. Dennis Mills: Merci beaucoup.

Merci, monsieur le président.

Le président: Monsieur Patry.

[Français]

M. Bernard Patry (Pierrefonds—Dollard, Lib.): Merci.

Merci, monsieur Jedwab. Vos discours et vos écrits reflètent une préoccupation profonde à l'égard de la protection des droits des minorités au Québec, et plus particulièrement les droits des minorités linguistiques. Ce matin, vous avez fait allusion aux autochtones.

[Traduction]

À votre avis, est-il raisonnable de régler certaines questions fondamentales dans le contexte de négociations sur les conditions de sécession, entre autres le partage de l'actif et du passif, la modification des frontières d'une province, les droits, intérêts et revendications territoriales des premières nations, et la protection des droits des minorités? Est-ce raisonnable de faire une telle chose dans le cadre du projet de loi C-20?

[Français]

M. Jack Jedwab: Je m'excuse, mais pouvez-vous préciser votre question?

M. Bernard Patry: Est-ce que c'est raisonnable?

M. Jack Jedwab: Oui.

M. Bernard Patry: Est-ce vraiment raisonnable que le gouvernement du Canada donne suite à l'avis de la Cour suprême du Canada concernant les droits des minorités, des autochtones et des minorités linguistiques?

M. Jack Jedwab: Je pense qu'il y a en quelque sorte une responsabilité de la fédération quant à la protection des droits de ces communautés. Encore une fois, tout va dépendre—tout est relié, selon moi, et on y revient encore—de la clarté de la question et de la quantité ou de la qualité de la majorité. Tout ceci affectera l'individu sur le terrain et aura un effet sur la manière dont je vais me conduire personnellement en tant que membre d'une minorité linguistique.

Je suis extrêmement préoccupé, peut-être même d'abord et avant tout, par le sort des communautés francophones hors Québec en cas de sécession et par la manière dont serait respectée l'obligation de protéger ces minorités. Je suis préoccupé par l'idée que les minorités linguistiques pourraient être prises en otage dans une négociation après un référendum sur la sécession.

C'est une des raisons pour lesquelles j'aimerais éviter à tout prix qu'on se retrouve dans ce type de situation. Cependant, je respecterai absolument le désir d'une majorité claire de la population du Québec, sur une question claire, de ne plus vouloir faire partie du Canada. Je devrais dire que, tout en faisant partie de cette minorité qui demeure attachée au Canada, si la question était claire et si la majorité était qualitative, je serais tout à fait disposé à appuyer la province qui chercherait à cesser de faire partie du Canada, mais je le ferais unhappily.

• 1105

Cela n'aurait pas un effet mobilisateur. C'est le problème politique qui se poserait dans le cas d'une majorité de 50 p. 100 plus un. Cela n'aurait pas vraiment un effet mobilisateur pour beaucoup de gens.

Le président: Merci. Il faut continuer. Monsieur Bergeron, vous avez une autre période de cinq minutes.

M. Stéphane Bergeron: Monsieur le président, M. Jedwab est encore une fois revenu sur le fait qu'il ferait partie du 49,9 p. 100 et qu'il souhaiterait à ce moment-là qu'on en tienne compte. Je lui rappelle que je fais partie du 49,3 p. 100 et que j'aurais souhaité qu'on en tienne compte, ce qui n'est certainement pas le cas dans le projet de loi qui nous est présenté.

Vous avez dit tout à l'heure que les Québécoises et les Québécois étaient d'accord pour qu'on poursuive un objectif de clarté. Je suis de votre avis. Je pense que les Québécoises et les Québécois sont d'accord sur la clarté. C'est comme être pour la vertu et la tarte aux pommes. Tout le monde est pour la vertu et la tarte aux pommes. Il va sans dire que tout le monde est pour la clarté.

Par contre, est-ce que les Québécoises et les Québécois sont d'accord sur cette clarté-ci? Je ne le sais pas. Et si les Québécoises et les Québécois, comme vous le dites ou comme vous semblez le prétendre, l'étaient tellement, pourquoi le gouvernement tiendrait-il tant à éviter d'aller les entendre et les voir là où ils se trouvent?

Vous êtes ici aujourd'hui. J'imagine que vous n'y seriez pas si vous n'aviez pas étudié attentivement l'avis de la Cour suprême et le projet de loi C-20. Où, dans l'avis de la Cour suprême, trouve-t-on quelque référence donnant au gouvernement fédéral le pouvoir et la responsabilité de donner effet à l'exigence de clarté qu'elle avait formulée? C'est la première chose.

Deuxièmement, lorsque vous lisez les critères un peu vasouilleux contenus dans le projet de loi quant à la définition de ce que seraient une question et une majorité claires, croyez-vous que ces critères, tels qu'ils sont rédigés dans le projet de loi, permettent de déduire une définition très nette de ce qu'est qu'une question claire et de ce qu'est une majorité claire? Est-ce que, pour vous, ce qui est écrit dans le projet de loi quant à la majorité claire et à la question claire, c'est clair?

M. Jack Jedwab: Je crois que ceci offre...

D'abord, permettez-moi de dire que je suis très heureux qu'on soit d'accord qu'il existe un consensus en ce qui concerne le désir des Québécois et Québécoises quant à la clarté de la question.

M. Stéphane Bergeron: C'est comme la vertu et la tarte aux pommes.

M. Jack Jedwab: En ce qui me concerne, je ne trouve pas que la question de 1995 était claire. J'imagine qu'on est en désaccord là-dessus. Si on n'est pas en désaccord là-dessus, je serais fortement heureux de vous l'entendre dire.

M. Stéphane Bergeron: Avez-vous voté au référendum de 1995?

M. Jack Jedwab: Effectivement.

M. Stéphane Bergeron: Bon. J'imagine que vous deviez comprendre la question.

Le président: À l'ordre. Nous posons nos questions et le témoin a toujours la possibilité d'y répondre. À l'ordre.

M. Stéphane Bergeron: J'imagine que vous deviez comprendre la question quand vous avez voté en 1995.

Le président: Le témoin a la parole.

M. Jack Jedwab: J'avais ma propre interprétation, mais malheureusement, il y a beaucoup de souverainistes qui ne la partageaient pas. C'est cela qui me frustre. Il y avait presque un quart des voteurs en faveur du Oui qui pensaient que le Québec continuerait d'être une province du Canada. Je trouve cela très frustrant. Je ne pouvais pas les convaincre du contraire. J'ai tenté de le faire.

M. Stéphane Bergeron: Les gens sont assez intelligents pour comprendre.

M. Jack Jedwab: C'est la raison pour laquelle je pense qu'il est important, dans l'intérêt de l'ensemble des Québécois et Québécoises et dans celui de l'ensemble des Canadiens, que la chose soit le plus claire que possible. J'ai dit très souvent que je trouvais que le partenariat était en opposition avec l'idée de sécession.

M. Stéphane Bergeron: Et que répondez-vous à la question que je vous ai posée?

M. Jack Jedwab: Sur quoi?

M. Stéphane Bergeron: Les deux questions que je vous ai posées.

M. Jack Jedwab: Pouvez-vous les répéter rapidement?

M. Stéphane Bergeron: Oui. D'abord, où trouve-t-on, dans l'avis de la Cour suprême, une référence donnant au gouvernement fédéral le pouvoir et la responsabilité de donner effet à l'exigence de clarté? Deuxièmement, trouvez-vous le libellé du projet de loi clair quant à la clarté de la question et à la clarté de la majorité?

M. Jack Jedwab: Je pense que la Cour suprême ne dit pas au législateur de faire une loi là-dessus. Toutefois, il y a beaucoup d'avis de la Cour suprême qui ne disent pas d'en faire. Ce n'est pas nécessairement le rôle de la Cour suprême. La Cour suprême donne une opinion, et le législateur peut, selon ce qu'il perçoit, articuler une politique ou une loi en fonction de cette opinion. Je ne vois pas nécessairement de contradiction quant à cette dimension de la chose.

M. Stéphane Bergeron: Et ma deuxième question quant à la clarté du libellé par rapport à la clarté de la question et la clarté de la majorité?

M. Jack Jedwab: Il y a des paramètres qui sont établis dans la loi. Je ne pense pas que le gouvernement du Québec ne désire pas que le gouvernement fédéral impose la question. Il s'oppose à ce que le gouvernement fédéral impose la question, inscrive directement la question dans la loi. Ce qui s'y trouve, ce sont des paramètres.

En ce qui a trait au pourcentage de la majorité, c'est la même chose. Je ne pense pas qu'on souhaite qu'un pourcentage précis soit indiqué.

• 1110

Lors de sécessions, idéalement, toutes les parties contractantes devraient être de bonne volonté. Comme je vous l'ai dit, selon moi, la bonne volonté va découler d'un processus clair, d'une question claire et d'une majorité claire.

Personnellement, comme je vous l'ai dit, si la question était claire et la majorité, qualitative, je serais prêt à appuyer le Québec dans une démarche qui, par ailleurs, me rendrait fort malheureux. Si le processus était clair, c'est la position que j'adopterais.

Le président: Les cinq minutes sont expirées.

M. Stéphane Bergeron: Déjà?

Le président: Oui. Normalement, nous aurions dû avoir deux périodes de cinq minutes après le premier tour de cinq minutes, mais il est maintenant 11 h 10. Chacun des participants a pris un peu plus que les cinq minutes qui lui étaient allouées, et le temps alloué à ce témoin est vraiment expiré. Si tout le monde est d'accord, je suggère que nous passions au prochain témoin. D'accord?

Des voix: D'accord.

Le président: Je vous ferai remarquer qu'il y a déjà presque 55 minutes d'écoulées parce que tout le monde a pris plus que le temps qui lui était dévolu.

M. Stéphane Bergeron: Nous nous étions entendus sur une période de 45 minutes, mais également sur le fait qu'il y aurait un tour de cinq minutes suivi de deux autres tours de cinq minutes.

Le président: Oui.

M. Stéphane Bergeron: L'entente était à deux volets, si je puis dire.

Le président: Si tout le monde veut disposer d'une autre période de cinq minutes, je l'accorderai si on m'en fait la demande. Mais étant donné qu'on pris plus que le temps alloué, je propose que nous passions à un autre témoin.

Monsieur Blaikie.

[Traduction]

M. Bill Blaikie: Monsieur le président, je veux seulement vous dire que je suis d'accord avec vous pour passer au témoin suivant. Nous avons dépassé le temps qui nous était imparti. On s'était entendu pour avoir des tours de cinq minutes, et vous useriez de votre sagesse pour répartir le reste du temps. La prochaine fois, vous voudrez peut-être passer à un autre parti et vous en tenir aux cinq minutes. Mais je crois que nous n'avons d'autre choix que de passer au témoin suivant. Il y a des gens qui attendent ici.

[Français]

Le président: Monsieur Bergeron.

M. Stéphane Bergeron: Si on veut débattre des ententes que nous avons faites, je vous rappellerai que nous avions convenu que le comité se réunirait à 9 h 30 ce matin. Or, nous n'avons commencé qu'à 10 h 15, et même à 10 h 20.

On peut invoquer toutes les ententes que nous avons eues entre nous, mais nous plaidons avec force et vigueur pour qu'on ne limite pas les témoins qui comparaissent devant ce comité. J'interprète donc votre décision, monsieur le président, comme une autre tentative de limiter l'audition des témoins que nous avons devant nous.

M. Daniel Turp (Beauharnois—Salaberry, BQ): Monsieur le président, c'est d'autant plus vrai que j'ai cru comprendre qu'il n'y avait pas de témoins cet après-midi.

Le président: C'est vrai.

M. Daniel Turp: C'est vrai, n'est-ce pas? Il n'y a pas de témoins cet après-midi.

M. Stéphane Bergeron: Pourquoi pousser dans le dos des témoins dans ce cas?

[Traduction]

Le président: Mais les témoins étaient d'accord pour venir à une heure donnée. Nous n'avons pas commencé plus tôt parce que c'était l'heure sur laquelle nous nous étions entendus. Tout ce que je dis, c'est...

[Français]

M. Daniel Turp: Nous avons devant nous un homme intéressant.

[Traduction]

Le président: Tout ce que je dis, c'est que même si nous disposons encore de cinq minutes, nous avons dépassé les cinq minutes imparties parce que les tant questions au témoin que les réponses de celui-ci ont toutes pris plus de temps que le temps qui nous était imparti. Donc si tout le monde est d'accord, je propose que l'on continue et que l'on entende le témoin suivant. D'accord?

Monsieur Jedwab, je tiens à vous remercier pour votre témoignage.

Je tiens à dire à tous les membres du comité que je n'aime pas bousculer les députés ou le témoin à la fin des cinq minutes, et j'ai permis aux députés et au témoin de poursuivre un peu plus longtemps que le temps qui leur était imparti. Je ne veux pas être sévère, mais j'essaie de faire avancer les choses et d'être équitable envers les témoins suivants qui attendent pour prendre la parole. Alors continuons.

Merci beaucoup, monsieur Jedwab. Nous vous savons gré de votre témoignage.

• 1114




• 1116

[Français]

Le président: À l'ordre. Nous pouvons recommencer.

Le prochain témoin est M. Michel Lebel, professeur retraité de droit constitutionnel. Professeur Lebel, vous avez la parole.

M. Michel Lebel (témoigne à titre personnel): Merci, monsieur le président.

Mesdames et messieurs du comité de la Chambre des communes, je tiens d'abord à vous dire que je suis très honoré d'avoir été invité à participer aux travaux de votre comité. Ces travaux, me semble-t-il, sont importants, car ils abordent des sujets fondamentaux pour un pays, à savoir son intégrité territoriale, la sécession éventuelle ou possible d'une partie importante de ce même pays et le processus démocratique qui devrait ou qui pourrait être suivi à l'occasion d'un référendum portant sur la sécession ou sur la souveraineté. La sécession et la souveraineté ne sont pas des termes synonymes, mais disons que ce sont des termes que j'emploie dans ma présentation parce que sécession et souveraineté sont intimement liées. Certains parlent de sécession, alors que certains parlent de souveraineté, mais au fond, ce qui est important, c'est qu'on s'entende sur la réalité. J'en profite pour vous dire que pour ma part, et vous le remarquerez dans mes propos, j'insiste sur la réalité politique et sociale lorsqu'on débat de ces questions-là.

Le sujet est très important mais, en même temps, ce n'est pas un nouveau sujet. Les questions traitées dans ce projet de loi ont été longuement et largement soulevées au cours des dernières décennies au Canada et en particulier au Québec. Encore il n'y a pas tellement longtemps, la Cour suprême, dans son renvoi, a officiellement traité de la question en long et en large d'un point de vue juridique. C'est une des raisons pour lesquelles nous sommes ici réunis.

Avant d'entrer dans le vif du sujet—je sais que 10 minutes me sont allouées—je veux faire certaines mises en garde pour bien situer mon intervention.

Premièrement, je veux mentionner que je ne suis membre d'aucun parti politique, ni fédéral ni provincial. Je tiens aussi à préciser que je n'ai jamais de ma vie rencontré ou parlé à M. Stéphane Dion. Je dis cela parce que...

[Note de la rédaction: Inaudible]

M. Réal Ménard (Hochelaga—Maisonneuve, BQ): ...

M. Michel Lebel: Non. Je rencontre toutes sortes de monde, mais je dis cela pour une raison: c'est que je viens ici à titre personnel. Voilà ce que ça veut dire. J'en profite pour dire aussi que je ne compte pas discuter de questions d'ordre stratégique. Je ne viens pas ici en tant que stratège. Je ne défends aucune stratégie, ni celle du Parti libéral ni celle d'aucun autre parti. Il faut que ce soit clair. Alors, je ne répondrai probablement pas aux questions d'ordre stratégique. Je suis ici pour tenter d'aller au fond du débat, mais compte tenu du peu de temps à ma disposition, je ne me fais pas d'illusions.

• 1120

Comme le président l'a mentionné plus tôt, j'ai été professeur de droit constitutionnel pendant 26 ans à l'Université de Montréal et à l'Université du Québec à Montréal, mais ce n'est pas le motif principal de ma présence ici, aujourd'hui. Je tiens à vous dire que je suis ici surtout à titre de citoyen démocrate et, en deuxième lieu, ce qui pourra en surprendre certains, à titre de fédéraliste. Cela ne veut pas dire que je ne suis pas fédéraliste. Je le suis. Mais, pour paraphraser une parabole de l'Évangile, je vous dirai que, peu importe la forme de l'État, qu'il soit une fédération, une confédération, un État unitaire ou une monarchie, les régimes politiques doivent être faits pour les personnes et non les personnes faites pour eux.

En d'autres termes, je n'absous aucun régime et je ne dis pas que l'un d'eux va rester. Dans l'histoire, il y a eu des régimes qui sont disparus, il y a des fédérations et des confédérations qui sont disparues et il y en a eu d'autres qui ont été créées. Il y a aussi des États-nations qui ont été créés. Il en va ainsi de la vie des sociétés. Elles évoluent. Cela ne veut cependant pas dire que tout cela soit équivalent. Ce que je respecte, c'est le fait que ces formes d'États ont été choisies démocratiquement par la population, à la suite d'élections libres et à la suite de choix le plus possible éclairés. Cela exclut tous les régimes fascistes ou nazis qui peuvent exister et les régimes qui violent massivement les droits de l'homme. Mais je respecte le processus démocratique, sauf pour ces exceptions dont il faut tenir compte de nos jours et pour toujours, je l'espère.

Cela dit, j'en arrive à l'essentiel de cette courte réflexion, qui va probablement se poursuivre lors de nos échanges, à savoir le caractère démocratique ou non démocratique de ce projet de loi. À bien des égards, on qualifie trop facilement les projets d'antidémocratiques, sous prétexte qu'ils violent des droits. La démocratie est importante, et lorsqu'on dit une chose comme celle-là, il faut que ce soit sérieux. Il ne faut pas que ce soit de la rhétorique.

Comme tout le monde au Québec, je lis et j'entends souvent des remarques selon lesquelles ce projet de loi serait antidémocratique, porterait atteinte aux droits de l'Assemblée nationale et imposerait un carcan. Or, ce genre de remarque m'interpelle. Je pense que cela va au coeur de l'affaire. Ce projet de loi est-il démocratique, oui ou non?

Comme j'ai peu de temps, je vais laisser tomber un certain nombre d'observations pour aller à l'essentiel du projet de loi. Je vais éviter certaines autres considérations plus larges et m'en tenir à l'essentiel. D'après ce projet de loi, à la suite d'un référendum sur la sécession, il y aurait des négociations seulement si les résultats étaient dénués de toute ambiguïté en ce qui concerne tant la question posée que l'appui reçu. En ce qui concerne la question à l'article 1 du projet de loi, il faut d'abord souligner que malgré ce que dit cet article, l'Assemblée nationale du Québec demeure, et doit demeurer, entièrement maîtresse de la formulation de la question.

• 1125

À cet égard, je ne vois aucun diktat du gouvernement fédéral. Certes, à l'article 1, il précise ce qui n'est pas clair pour lui, à ses fins, notamment tout ce qui concerne des éléments qui pourraient s'ajouter au projet de sécession ou de souveraineté, comme on peut aussi l'appeler. Mais c'est uniquement par rapport aux pouvoirs du Parlement fédéral. C'est le Parlement fédéral qui intervient à titre de Parlement fédéral. Il donne son avis et il indique comment il voit la question de la clarté. Je trouve tout à fait normal, sain et démocratique qu'il prenne les devants ou qu'il dise ce qui, pour lui, pourrait être un projet clair ou non.

Il faut prendre la réalité telle qu'elle est à l'heure actuelle au plan politico-juridique, à savoir que le gouvernement fédéral n'est pas un gouvernement étranger, inconstitutionnel ou illégitime au Québec. Dans sa sphère de compétence, à l'heure actuelle, il est aussi légitime que celui du Québec. Je dis bien dans sa sphère de compétence. Il y a des députés qui sont élus et il y a toute une liste de pouvoirs qui relèvent de la compétence du Parlement et qui sont exercés par le gouvernement fédéral.

Sur une question référendaire qui mettrait en cause l'intégrité du territoire canadien, à mon avis, le gouvernement fédéral aurait le droit et même le devoir de se prononcer, car c'est l'intégrité d'un territoire qui serait en cause. Le gouvernement du Québec, à plusieurs reprises, a dit lui aussi que le territoire du Québec devait rester complet et intégral, tel qu'il est actuellement. Il a dit qu'il n'accepterait aucune limite ou aucune partition de son territoire. L'intégrité du territoire est à la base de la souveraineté en droit international.

Il est donc évident que, si le gouvernement fédéral se voit menacé potentiellement de perdre un partie de son territoire, il a le droit de donner son point de vue sur la façon dont cela peut se faire et à quelles conditions. Cela ne lie pas l'Assemblée nationale. L'Assemblée nationale peut faire ce qu'elle veut et poser la question qu'elle veut. À ce moment-là, évidemment, il y aura conflit.

Le président: Monsieur Lebel, je regrette, mais les 10 minutes sont écoulées.

M. Michel Lebel: C'est déjà terminé.

Le président: Oui. Peut-être pourrez-vous continuer à énoncer vos remarques dans le cadre des réponses aux questions ou aux commentaires qui vous seront adressés.

Je donne d'abord la parole à M. Jaffer du Parti réformiste.

[Traduction]

M. Rahim Jaffer: Merci, monsieur le président. Je remercie le témoin pour ses propos. Mais je pourrais peut-être l'orienter. Il a parlé d'abord de la question proprement dite. S'il pouvait passer à la question de savoir ce qui constitue une majorité claire, je pense que bon nombre d'entre nous veulent savoir ce que les gens ont à dire à ce sujet.

Nous, de l'opposition, avons dit que la norme à respecter est la règle du 50 p. 100 plus un, règle que la plupart des démocraties reconnaissent. Je suis curieux de savoir ce qu'un professeur de droit constitutionnel comme vous a à dire à ce sujet.

M. Michel Lebel: Si vous le permettez, je vais répondre à la question en français.

M. Rahim Jaffer: Oui, je vous en prie.

M. Michel Lebel: Je peux répondre aux autres questions en anglais.

M. Rahim Jaffer: Je comprends.

M. Michel Lebel: Je pense que M. Turp comprend l'anglais aussi, mais je vais répondre à cette question en français parce qu'elle est très importante.

La question est très difficile, et d'une certaine manière, c'est aussi une question qui soulève les passions. Cela fait partie de l'histoire. Cela fait partie de... Je n'appellerai pas ça un jeu parce que ce n'est pas un jeu, mais cela fait partie de l'affaire.

[Français]

Qu'en est-il de ce que je pense relativement à cette question de la majorité? Je vais en faire sursauter plusieurs. J'ai longtemps hésité à me prononcer. J'ai jonglé avec la question. Il y a environ deux ans, j'avais écrit là-dessus. J'y avais pensé, mais à un moment donné, après réflexion et analyse, j'étais arrivé à la conclusion suivante: à mon avis, si l'on veut...

• 1130

Avant de mentionner le chiffre que certains attendent, je vais dire ceci. Premièrement,... Il y a une logique à cela. Ils ont une phobie...

[Note de la rédaction: Inaudible]

M. André Bachand: ...

M. Réal Ménard: J'attends.

M. Michel Lebel: Non, mais ils ont une phobie du chiffre.

M. Réal Ménard: On se croirait à l'UQAM. On va manquer de temps.

M. Michel Lebel: Non, non, non. Attendez un peu. C'est une question sérieuse. Premièrement, je veux dire que, dans le cas de la sécession d'un pays, 50 p. 100 plus un, cela n'a aucun sens, absolument aucun sens. C'est ridicule et politiquement nul. Je le dis bien clairement: c'est politiquement nul. Il n'y a aucun rapport de force possible. Là, je me place au strict plan politique. Pourquoi?

Deuxièmement...

M. Daniel Turp: C'est stratégique.

M. Michel Lebel: Non, non, ce n'est pas stratégique. Attendez. Je vais insister. J'ai bien dit que je ne n'étais pas ici pour des raisons stratégiques. C'est clair. Autrement, je ne serais pas venu. Je ne parle pas de stratégie, mais du fond.

Je parle, monsieur Turp, de la question de la démocratie lorsqu'il s'agit de la sécession d'un pays, lorsqu'il y a sécession. Je ne parle pas d'autre chose que cela. Et quand je dis qu'il faut une majorité nettement plus forte que celle de 50 p. 100 plus un, c'est dans l'intérêt des citoyens, point à la ligne.

Moi, je peux vivre dans un système, dans un État unitaire, dans un État fédéral en autant que la population le décide librement, clairement et sans ambiguïté. J'ai bien dit que j'étais ici en tant que démocrate d'abord. On ne peut pas dire que, pour un démocrate, toutes les solutions et tous les choix sont possibles. Je suis prêt à discuter parce que je ne prétends pas avoir la vérité, mais je parle du respect des citoyens.

Je vais aborder une question de fond. Si je dis que 50 p. 100 plus un n'est pas la bonne solution, c'est que j'estime que, sur le plan éthique et sur le plan moral, pareille façon de faire est néfaste et mauvaise. Pourquoi? Parce qu'elle divise les citoyens les uns contre les autres. Dans le cas d'une victoire purement mathématique, je sais qui est le gagnant quand il y en a un de plus que 50 p. 100, mais ce n'est pas une histoire de gagnants et de perdants.

Ce qui est important, c'est que le peuple gagne, et non les partis politiques. Personnellement, je m'en fous, car je ne prends pour aucun parti. Ce qui est important, c'est que le peuple souverain gagne et qu'il ne soit pas divisé. Et la pire chose qui puisse arriver au Québec et au Canada, c'est que les gens s'embarquent dans un processus de sécession avec une infime majorité. Ce serait la pire chose qui pourrait nous attendre.

Penser autrement, c'est rêver en couleur. C'est faire des projections quant à ce qu'on souhaiterait. Mais ce n'est pas ça, la réalité. La réalité n'est pas celle-là. La réalité est plus difficile. On peut rêver, mais le réel est souvent plus ardu. C'est mon point de vue.

Maintenant, idéalement, qu'est-ce que moi je souhaiterais? Je souhaiterais qu'au moins les deux tiers des Québécois, un bon 66 p. 100, doivent voter clairement en faveur de l'indépendance, de la souveraineté. À ce moment-là, tous les petits débats sur la façon de négocier et l'obtention de l'accord de toutes les provinces disparaîtraient. Ce serait balayé sous le tapis.

Le président: Professeur Lebel, les cinq minutes sont écoulées. Merci.

Monsieur Turp, c'est à vous.

M. Daniel Turp: Monsieur le président, j'aimerais d'abord souhaiter la bienvenue à mon ancien professeur, parce que M. Lebel m'a enseigné le droit constitutionnel. Il m'a donné un cours sur les droits linguistiques au Québec en 1977, à l'Université de Montréal.

[Note de la rédaction: Inaudible]

M. Michel Lebel: ...monsieur Turp.

• 1135

M. Daniel Turp: D'ailleurs, M. Lebel a produit des étudiants qui, comme moi-même, ont des interprétations tout à fait différentes de la sienne. Je vous dirai que dans notre classe—vous vous en souvenez bien—il y avait aussi Daniel Proulx, notre collègue de l'Université d'Ottawa, qu'on entendra, je l'espère, et qui, contrairement à son professeur, dit que le projet de loi n'est pas du tout conforme à l'avis de la Cour suprême sur la plupart de ces questions.

Vous êtes un expert constitutionnel fédéraliste...

M. Michel Lebel: Oui.

M. Daniel Turp: ...et vous vous intéressez à la stratégie, car vous avez parlé tout à l'heure du rapport de force qui serait absent s'il y avait seulement une majorité de 50 p. 100 plus un, ce qui est de la stratégie.

M. Michel Lebel: Non.

M. Daniel Turp: Oui, c'est de la stratégie.

M. Michel Lebel: Non, excusez-moi. Je suis ici, mon cher Turp, en tant que philosophe politique.

M. Daniel Turp: Oui, un philosophe ayant...

[Note de la rédaction: Inaudible]

Une voix: On l'avait remarqué.

M. Michel Lebel: Vous l'avez remarqué.

M. Daniel Turp: Les philosophes en font, de la stratégie.

Le président: À l'ordre.

M. Daniel Turp: Mon cher Lebel, parlons de droit constitutionnel...

M. Michel Lebel: Oui, allez-y.

M. Daniel Turp: ...et d'une des choses que vous avez abordées: la question. Il y a deux juristes qui ont dit que l'article de ce projet de loi portant sur la question n'était pas conforme à l'avis de la Cour suprême. Je pense à Patrick Monahan qui dit, dans un écrit tout à fait récent, qu'exclure le mandat de négocier ou surtout le partenariat n'est pas du tout conforme à l'avis de la Cour suprême. Alain Pellet, un internationaliste très respecté, dit la même chose: l'idée d'exclure d'une question la notion de partenariat va à l'encontre de l'avis de la Cour suprême. J'aimerais avoir votre avis de juriste, de constitutionnaliste sur cette question.

M. Michel Lebel: Eh bien, est-ce une question constitutionnelle? C'est une question politique, purement politique. La Cour suprême n'est pas Dieu le Père. Le gouvernement fédéral peut, dans un projet de loi comme celui-ci, dire qu'aux fins de la discussion et aux fins de sa loi, la clarté est ceci et exclure de la question tel autre aspect, soit le partenariat, s'il ne trouve pas cela clair. Il a le droit de le faire. Je ne vois pas en quoi c'est inconstitutionnel.

M. Daniel Turp: Il dit que c'est en accord avec l'avis de la Cour suprême. Je vous demande donc votre avis de juriste.

M. Michel Lebel: Je ne sais pas si c'est un point de vue de juriste, mais pour moi, il faut que les choses soient claires. C'est bizarre, parce qu'au fond, ce qui est important dans le projet souverainiste, c'est la sécession, la souveraineté. Alors, il faut absolument voter sur cela. Il faut respecter ce que la population pense de cela. C'est au coeur du projet. On veut la souveraineté, l'indépendance. M. Parizeau l'a dit. Il l'a dit constamment et il l'a répété. Au départ, son avant-projet de loi, avant le référendum de 1995, disait: «Voulez-vous que le Québec devienne un pays souverain?» C'est ça, la question de fond.

M. Daniel Turp: Vous ne trouvez pas excessif, comme semble le faire le juriste Monahan, qu'on laisse entendre qu'on ne peut même pas évoquer le partenariat dans une question? Vous savez comme moi que des pays souverains comme ceux de l'Union européenne ont des partenariats avec d'autres États souverains.

M. Michel Lebel: Je saisis très bien votre question, mais je ne veux pas m'embarquer dans des considérations stratégiques.

M. Daniel Turp: Écoutez, je vous demande une opinion juridique.

M. Michel Lebel: Si vous voulez une opinion juridique, je vous dirai que je préfère nettement le projet de loi tel qu'il est: lorsqu'il s'agit de la sécession, on pose une question sur une une seule chose, sur la sécession, point. Le reste viendra plus tard, au besoin, le cas échéant. Il faut poser une question claire portant sur la seule sécession.

M. Daniel Turp: Mais vous ne répondez pas à ma question.

M. Michel Lebel: Oui.

M. Daniel Turp: Est-ce fidèle à l'avis de la Cour suprême que d'exclure le partenariat?

M. Michel Lebel: Oui.

M. Daniel Turp: Vous le pensez vraiment?

M. Michel Lebel: Oui.

M. Daniel Turp: Donc, vous êtes en désaccord avec M. Monahan et M. Pellet.

M. Michel Lebel: Tout à fait, si c'est ça qu'ils disent.

M. Daniel Turp: Très bien. Ma deuxième question porte sur le référendum et sur la majorité. Vous dites que sur le plan éthique et moral, une majorité de 50 p. 100 plus un serait néfaste et mauvaise.

M. Michel Lebel: Oui.

M. Daniel Turp: Est-ce qu'une majorité de 50 p. 100 plus un est néfaste et mauvaise lorsqu'il s'agit d'un référendum comme celui de Charlottetown?

M. Michel Lebel: Ce n'est pas du tout la même chose. Ce n'est pas du tout le même enjeu.

M. Daniel Turp: Quelle est la différence?

M. Michel Lebel: Eh bien, l'enjeu est fondamentalement différent. Dans le cas de Charlottetown, il s'agissait de réformes à la Constitution. C'étaient des réformes importantes, mais c'étaient des réformes. La création d'un État souverain est la décision la plus importante pour une société. Il faut donc un appui massif. Il ne faut pas un appui qui disparaisse après quelques semaines de brassage. Il faut un appui massif, cela dans le respect des citoyens.

• 1140

M. Daniel Turp: Et que dites-vous quand on dit que les votes ne sont pas égaux?

Le président: Monsieur Turp, à l'ordre. Les cinq minutes sont écoulées.

M. Daniel Turp: Une dernière.

Le président: Pour être juste, je dois donner la parole à un autre.

Monsieur Blaikie.

[Traduction]

M. Bill Blaikie: Je ferai seulement une brève observation, monsieur le président, et veuillez m'excuser si je dois vous quitter bientôt. Je dois prendre la parole en Chambre sur la motion du Bloc relative au projet de loi sur la clarté référendaire. On ne peut pas être à deux endroits au même moment, donc toutes mes excuses au témoin si je dois partir au milieu de sa réponse à ma question.

Il me semble seulement qu'il y a beaucoup à dire sur toute la question du fait que le projet de loi est muet à propos de partenariat ou d'association, etc. Est-ce que cela ne contredit pas l'opinion de la Cour suprême? Il me semble que l'opinion de la Cour suprême ne portait pas...

Si comprends bien l'opinion de la Cour suprême, le Québec ou toute autre province est libre de tenir tout référendum sur toute question faisant état d'un partenariat ou d'une association, mais il n'y a qu'un seul genre de question qui créera l'obligation de négocier dont parle la Cour suprême. On a ici le gouvernement fédéral qui définit ce qui constituerait l'obligation de négocier la sécession, et non l'obligation de négocier un partenariat ou l'obligation de négocier une association. Il s'agit d'un débat politique permanent qui est conforme au processus ordinaire de modification constitutionnelle, dans le cadre duquel une province pourrait avoir une stratégie en vertu de laquelle elle tiendrait un référendum pour démontrer que sa proposition constitutionnelle d'association ou de partenariat jouit d'un soutien populaire massif. Mais pour revenir à ce que disait la Cour suprême, elle parlait de créer les conditions qui obligeraient le reste du Canada à négocier la sécession avec le Québec.

Je ne crois pas—et j'ai le sentiment que vous ne le croyez pas non plus—que le fait que ce projet de loi ne traite pas de toutes ces autres questions contredit la Cour suprême. Ce projet de loi n'a pas à traiter de toutes ces autres questions afin de faire ce que la Cour suprême disait.

M. Michel Lebel: Je suis entièrement d'accord avec vous. C'est très simple. Je ne répéterai pas ce que j'ai dit, mais pour moi, il est évident que si un autre référendum a lieu, on n'a pas à traiter de... Excusez-moi, mais je dois me corriger.

Le Québec peut poser n'importe quelle question, y compris une question sur le partenariat. Il n'y a pas de problème de ce côté. Le Québec peut poser n'importe quelle question. Ce que le gouvernement fédéral dit alors, c'est que si le Québec parle de partenariat, Ottawa ne négociera pas. C'est tout, et c'est équitable. Après ça, quelque chose d'autre se produit. Il y a conflit, si vous voulez, mais quelque chose d'autre se produit. Quand quelque chose d'autre se produit, il y a lutte politique. Je ne sais pas en quoi elle consistera.

[Français]

Le président: Monsieur Bachand, c'est à vous.

M. André Bachand: Comme vous le savez, monsieur le président, M. Blaikie a un discours à faire en Chambre sur la motion de nos confrères du Bloc québécois. Imaginez-vous, je parle pour les néo-démocrates!

Le président: Non, vous êtes ici maintenant pour représenter les conservateurs. Vous avez cinq minutes.

M. André Bachand: Je tenais à travailler un peu avec vous là-dessus, monsieur le président.

M. Réal Ménard: Il ne faut pas se tromper d'alliance.

M. André Bachand: Je suis prêt à faire n'importe quelle alliance, mais je ne veux pas en porter une.

Monsieur Lebel, vous dites que vous êtes ici pour parler de démocratie. Vous dites que la population de ce pays a fait son choix politique lors d'une élection libre. Je vous rappellerai que le suffrage universel n'existait pas en 1867. Mais il existe aujourd'hui, Dieu merci.

Sur la question des 66 p. 100, vous dites que vous n'êtes pas satisfait du projet de loi. Je vous mets les mots dans la bouche et vous me direz si j'ai tort ou raison. Vous n'êtes pas satisfait du projet de loi C-20 parce que, justement, on nage dans l'ambiguïté. Pour vous, si je suis votre raisonnement, pour que les électeurs puissent faire un choix libre, le résultat et la façon de faire doivent être compris de l'ensemble des électeurs. Donc, pour vous, si le seuil doit être de 66 p. 100, on doit l'inscrire dans la loi, dans la Constitution ou ailleurs, si je comprends bien. C'est ma première question.

• 1145

Voici ma deuxième. Supposons qu'il y a maintenant un nouveau seuil. Le seuil de base auparavant reconnu par tous les partenaires était de 50 p. 100 plus un, ou la majorité simple, et un nouveau seuil, celui des deux tiers, a été reconnu implicitement ou explicitement. Qu'arrivera-t-il si le résultat est de 65,9 p. 100?

M. Michel Lebel: Vous avez posé plusieurs questions.

M. André Bachand: J'en ai posé essentiellement deux.

M. Michel Lebel: Je vous ai bien dit que je n'étais pas ici pour des raisons stratégiques.

M. André Bachand: Professeur Lebel, la question du seuil de base...

M. Michel Lebel: Je vais répondre à vos questions.

M. André Bachand: Le seuil de 50 p. 100 plus un a toujours été la base pour nous. Est-ce suffisant? Ça, c'est une autre question.

M. Michel Lebel: Oui.

M. André Bachand: Je n'entre pas dans la stratégie parce que vous ne voulez pas entrer dans la stratégie, mais il reste que 50 p. 100 plus un est le seuil de base reconnu. Vous suggérez une nouvelle base. Le seuil reconnu ne vous satisfait pas.

M. Michel Lebel: Vous dites que ce seuil de 50 p. 100 est reconnu. Par qui est-il reconnu? Il faut s'entendre sur les termes. Qui, exactement, reconnaît cela?

M. André Bachand: La loi...

M. Daniel Turp: C'est une autre affaire ou un autre contexte. On n'entrera pas dans...

M. André Bachand: Il y a deux gouvernements qui ont été élus démocratiquement et librement, selon vos critères: le gouvernement du Québec et celui d'Ottawa.

M. Michel Lebel: Je n'ai pas compris que le gouvernement d'Ottawa avait reconnu que le 50 p. 100 plus un était cette base reconnue. On a dit que c'était une victoire, évidemment. Pour moi aussi, c'est une victoire, 50 p. 100 plus un. Il y a une victoire et il y a un perdant. Il n'est pas nécessaire d'avoir un doctorat en mathématiques pour comprendre ça. Cela dit, est-ce suffisant? Ça, c'est une autre chose. Est-ce moralement correct? C'est une autre chose.

[Note de la rédaction: Inaudible]

M. Daniel Turp: ...

M. Michel Lebel: Non, non, non, ce n'est pas de la stratégie. Je répète que je ne vise ici que l'intérêt de l'ensemble des Québécois et des Canadiens. Je veux que la meilleure décision soit prise pour l'ensemble des Québécois et des Canadiens, point, pour améliorer leurs conditions d'existence. Ce n'est pas pour avoir des pouvoirs, etc., mais pour améliorer les conditions d'existence des gens, surtout dans le quotidien. C'est tout.

Vous me demandez si le projet de loi devrait être changé. Si j'avais le choix, oui, je le changerais, cela par respect pour les citoyens.

Vous me demandez si une majorité de 65,9 p. 100 suffirait. Je dirais que oui. C'est évident.

M. André Bachand: Ce serait suffisant?

M. Michel Lebel: Oui.

M. André Bachand: Donc, 50 p. 100 ne serait pas suffisant, mais 65,9 p. 100 le serait.

M. Michel Lebel: Oui, oui. Je parle des deux tiers. Quand vous avez un tiers de gens mécontents dans une société, ça pose déjà des problèmes. Je ne veux pas vous faire peur, mais ça pose des problèmes. Si vous en avez plus que ça, est-ce qu'on va voir apparaître un parti fédéraliste qui va vouloir rentrer dans la fédération?

M. André Bachand: Très bien. J'ai une dernière question.

M. Michel Lebel: Est-ce que bien des Québécois ne voudraient pas, à la Yvon Deschamps, être six mois dans la fédération et six mois dans la souveraineté?

M. André Bachand: J'ai une dernière question, monsieur le président. Supposons que 66 p. 100 des Québécois répondent oui à une question claire. On ne parle pas de stratégie. Le tiers des gens, soit les autochtones, ne votent pas. Je pense par exemple aux Cris du Nord. À ce moment-là, est-ce que le territoire de la province de Québec serait divisible ou indivisible?

M. Michel Lebel: Est-ce qu'il serait divisible ou indivisible? Pour ma part, je souhaiterais que le territoire reste indivisible, comme je souhaiterais que le territoire du Canada reste indivisible.

M. André Bachand: Donc, c'est un autre élément du projet de loi que vous...

Le président: Monsieur Drouin, vous avez la parole.

M. Claude Drouin (Beauce, Lib.): Monsieur Lebel, merci de votre présentation.

Vous reconnaissez que le projet de loi C-20 laisse au Québec la discrétion quant à la question et à la réglementation et vous dites que ce n'est pas antidémocratique. C'est le Québec qui va décider de tenir un référendum ou pas et qui formulera la question. M. Monahan disait que la question de 1995 n'était pas claire, selon l'avis de la Cour suprême. J'aimerais avoir votre opinion sur cette question de 1995. Est-ce que, pour vous, cette question était claire?

M. Michel Lebel: Pour moi, elle n'était pas claire. D'ailleurs, je l'ai relue à un moment donné. Je l'ai devant moi:

    Acceptez-vous que le Québec devienne souverain,

—on ne parle ni d'État ni de pays—

    ...après avoir offert formellement au Canada un nouveau partenariat économique et politique, dans le cadre du projet de loi sur l'avenir du Québec et de l'entente du 12 juin 1995?

• 1150

M. Réal Ménard: Est-ce que vous avez voté?

M. Michel Lebel: Je suis un bon citoyen. J'ai évidemment voté. Moi, j'ai compris. Si moi je ne comprenais pas les questions...

Cela dit, il faut faire attention. Je vais répondre à votre question. Lorsqu'il s'agit de sécession ou de souveraineté, la situation n'est pas la même que dans le cas du Traité de Maastricht, de l'Accord de Charlottetown ou de n'importe quelle autre réforme. Il s'agit d'une question vitale, fondamentale: est-ce que, oui ou non, on crée un État souverain? Donc, pour être claire, la question ne peut pas avoir deux volets.

Dans cette chose-là, il y a deux volets. Ce sur quoi on insiste le plus, et M. Parizeau a lui-même dit que c'était l'astuce gagnante, c'est sur le partenariat. On insiste sur le partenariat pour faire passer la souveraineté. Le principe est celui-ci: quand il y a deux volets dans une question, cette question ne peut pas être claire. Elle peut être comprise, mais cela ne veut pas dire qu'elle est claire. Vous savez tous très bien qu'il y a beaucoup de gens qui n'ont pas compris la question. C'est un fait. Il y a beaucoup de gens qui ne l'ont pas comprise. Il faut donc une question claire si on veut respecter les gens. À cet égard, je suis d'accord avec M. Parizeau. Il a dit qu'il fallait que la question soit claire: Voulez-vous un pays souverain? Je suis parfaitement d'accord sur cette question, mais jamais je n'accepterais qu'on pose une question emberlificotée.

M. Réal Ménard: Ça va toujours vous faire du bien de suivre M. Parizeau, vous.

M. Michel Lebel: Non, non. Je ne suis pas d'accord avec lui sur beaucoup d'autres choses.

Le président: Monsieur Drouin.

M. Claude Drouin: Toujours dans la même veine, monsieur Lebel, vous dites que pour vous, afin qu'il y ait un rapport de force et que le Québec soit capable de négocier de façon claire et nette, la norme de 66 p. 100 pourrait être acceptable. Dites-vous cela parce que vous pensez qu'un vote fédéraliste est plus pesant qu'un vote souverainiste ou pour vous assurer que la population soit devant une majorité claire?

M. Michel Lebel: Je ne parle pas en termes de séparation du vote. Est-ce que le vote fédéraliste est plus lourd que le vote souverainiste? Je demande simplement une majorité des deux tiers, un vote massif, complet, fort, comme c'est arrivé dans à peu près tous les cas de sécession dans le monde. En général, les gens qui se séparent votent massivement pour la sécession, à 80 ou 90 p. 100. Ils ne veulent plus rien savoir du colon ou du dominateur, et c'est souvent à la suite d'une guerre civile. Ils ne veulent rien en savoir. Il n'y a même pas de question. On ne fait pas des débats sur la clarté et tout cela. C'est 90 p. 100 des gens qui veulent quitter. Demandez aux Algériens. Demandez à plein de communautés. Ils ont voté pour cela. C'était clair et net. Il n'y avait pas d'ambiguïté. Il n'y avait pas de partenariat. C'était clair et net. Ils voulaient l'indépendance. C'était un besoin vital pour eux, selon leur histoire.

Mais ce n'est pas le cas ici, au Québec, et c'est ce que les gens ne semblent pas comprendre. On semble évoluer un peu du côté du Parti québécois. On se rend compte que la population du Québec, qu'on le veuille ou non—c'est en démocrate que je dis cela—, majoritairement, sondage après sondage, référendum après référendum, n'en veut pas. On peut être en désaccord là-dessus. On peut dire que la population ne sait pas ce qu'elle fait, mais la réalité, c'est cela. La population préfère l'option canadienne fédérative lorsqu'on le lui demande clairement. C'est la réalité. On peut la détester et vouloir la changer, mais à l'heure actuelle, c'est cela.

Le président: Vos cinq minutes sont écoulées. Monsieur Jaffer, c'est à vous.

[Traduction]

M. Rahim Jaffer: Ma question a trait à un aspect particulier du projet de loi. On parlait de la négociation. Le projet de loi dit qu'un effort légitime de la part d'un participant de la Confédération pour obtenir une modification constitutionnelle oblige toutes les parties à négocier.

• 1155

Si l'on considère ce qui s'est passé en 1980 lorsqu'on demandait essentiellement un mandat pour négocier la souveraineté-association, il serait presque admissible que, si l'on suit ce genre de processus, vous pourriez par après, de toute évidence, tenir un autre référendum sur le mandat clair de ces négociations. On réglerait le problème que vous avez décrit, où l'on ne veut dresser les gens les uns contre les autres, mais où l'on veut des gagnants. À votre avis, est-ce que cela forcerait les négociations à être claires et donnerait ainsi plus de légitimité à quiconque, en un sens, remporterait ces négociations qui auraient eu lieu avec toutes les parties intéressées, en faisant peut-être des gagnants? J'aimerais votre avis sur ce processus.

M. Michel Lebel: Je comprends ce que vous dites, mais j'essaie d'y voir clair. Il y aura négociation s'il y a une question claire et une réponse claire avec une majorité forte. S'il y a une question claire et une majorité claire, j'ai le sentiment que les choses iront bien. Il n'y aurait pas, je crois, d'objections constitutionnelles pour ce qui est du processus de modification constitutionnelle. Cela serait secondaire. Mais les choses doivent être claires en ce qui concerne la question et le nombre de personnes qui disent oui à la question. Puis le reste, selon l'esprit du renvoi à la Cour suprême, serait secondaire.

M. Rahim Jaffer: Qu'est-ce qui serait une question claire à votre avis?

M. Michel Lebel: Le Québec veut-il devenir un État souverain? C'est tout. Comme M. Parizeau l'a dit la première fois très clairement, voulez-vous être un État souverain? C'est une question claire. Si on y répond oui, alors n'importe quoi peut se produire. Il peut en sortir n'importe quel genre de contrat ou de traité, et cela sera fait au Québec. Mais pour commencer, il faut que la question soit claire et il ne faut pas mélanger les deux.

Le président: C'est au tour de Mme Redman.

Mme Karen Redman (Kitchener-Centre, Lib.): Merci, monsieur le président.

Ma question est en fait fort simple: Monsieur Lebel, si vous étiez député fédéral, voteriez-vous pour ce projet de loi?

M. Michel Lebel: Oui.

Le président: Monsieur Guimond.

[Français]

M. Michel Guimond (Beauport—Montmorency—Côte-de-Beaupré—Île-d'Orléans, BQ): Merci, monsieur le président.

Professeur Lebel, je vous lis la question suivante:

    Acceptez-vous et approuvez-vous l'entente de règlement, datée à des fins de référence le 14e jour de décembre 1999, intervenue entre la Bande des Montagnais du Lac-Saint-Jean et Sa Majesté la Reine du chef du Canada?

    Acceptez-vous de sanctionner, conformément aux articles 38(1) et 39 de la Loi sur les Indiens, la cession, à titre absolu, à Sa Majesté la Reine du chef du Canada par la Bande des Montagnais du Lac-Saint-Jean, de tous ses droits et ceux de ses membres sur tous les lots des terres de réserve du rang IX du canton de Ouiatchouan?

    En votant «OUI», vous autorisez le Chef de la Bande des Montagnais du Lac-Saint-Jean ou tout autre membre du Conseil de Bande dûment autorisé par résolution, à signer, au nom du Conseil de Bande, de la Bande et de ses membres, tous les documents et à prendre toutes les mesures nécessaires pour rendre exécutoire l'entente de règlement et la cession à titre absolu de tous les lots des terres de réserve du rang IX du canton de Ouiatchouan.

    OUI ou NON

Professeur Lebel, êtes-vous d'avis que cette question est conforme aux critères de clarté du projet de loi C-20?

M. Michel Lebel: Je m'excuse, mais...

M. Michel Guimond: Voulez-vous que je vous la relise?

M. Daniel Turp: Il y a deux volets.

M. Michel Lebel: Je n'ai pas compris.

M. Michel Guimond: Je vais vous la relire.

M. Michel Lebel: Je ne vois pas le rapport. Je ne suis pas au courant de cette question-là et je ne suis pas au courant, non plus, de l'arrière-plan de ce débat que vous soulevez sur la nation autochtone. Je ne sais pas ce qu'il en est et je ne peux donc pas me prononcer sur le fond.

M. Michel Guimond: Je vous lis une question qui vient du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien et qui s'adresse à une bande de Montagnais du Lac Saint-Jean. C'est une question référendaire à laquelle on doit répondre par oui ou par non.

M. Michel Lebel: Qui a posé la question?

M. Michel Guimond: Le gouvernement, le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien.

M. Michel Lebel: Si je comprends bien, ce n'est pas un référendum fait par les Montagnais.

• 1200

M. Michel Guimond: Je relis la question:

    Acceptez-vous et approuvez-vous l'entente de règlement, datée à des fins de référence le 14e jour de décembre 1999, intervenue entre la Bande des Montagnais du Lac-Saint-Jean et Sa Majesté la Reine du chef du Canada?

    Acceptez-vous de sanctionner, conformément aux articles 38(1) et 39 de la Loi sur les Indiens, la cession, à titre absolu, à Sa Majesté la Reine du chef du Canada par la Bande des Montagnais du Lac-Saint-Jean, de tous ses droits et ceux de ses membres sur tous les lots des terres de réserve du rang IX du canton de Ouiatchouan?

    En votant «OUI», vous autorisez le Chef de la Bande des Montagnais du Lac-Saint-Jean ou tout autre membre du Conseil de Bande dûment autorisé par résolution, à signer, au nom du Conseil de Bande, de la Bande et de ses membres, tous les documents et à prendre toutes les mesures nécessaires pour rendre exécutoire l'entente de règlement et la cession à titre absolu de tous les lots des terres de réserve du rang IX du canton de Ouiatchouan.

    OUI ou NON

Est-ce que cette question posée par le gouvernement fédéral aux Montagnais est claire?

M. Michel Lebel: Je vais vous dire franchement que je me sens incapable de répondre à votre question.

M. Michel Guimond: Vous êtes incapable d'y répondre?

M. Michel Lebel: Dans le contexte et tout cela, je me sens incapable de répondre à votre question.

M. Daniel Turp: Je vous ferai remarquer qu'il y a deux volets. Est-ce correct, deux volets?

M. Michel Lebel: Il peut y avoir 50 volets dans certains cas.

M. Daniel Turp: Ah... Ah...

M. Michel Lebel: Ils sont clairs là. Lors du référendum de Charlottetown, c'était d'un ridicule absolu parce qu'il y avait tellement de choses. Il fallait être un expert en droit constitutionnel pour comprendre de quoi il s'agissait.

M. Daniel Turp: Est-ce que la question était claire à Charlottetown?

M. Michel Lebel: Oui, mais c'est le contenu. S'il vous plaît. Attention! Ce qui est important dans cette chose-là, c'est le contenu. Je ne connais pas le contenu de cette entente. Est-ce qu'elle est bonne?

M. Réal Ménard: Répondez à la question. Est-ce que c'était clair?

M. Michel Lebel: Pour moi, ce n'était pas clair. Je dois être logique avec moi-même. Si cela avait été clair, j'aurais répondu oui ou non. Je n'en suis pas capable. Il y donc là un problème pour moi.

M. Réal Ménard: Vous êtes scolarisé, vous.

M. Michel Lebel: Oui, mais vous aussi, vous êtes scolarisé.

M. Réal Ménard: Pas mal.

M. Michel Lebel: Ce sont des jeux de mots, et je ne marche pas.

Le président: Merci beaucoup, monsieur Lebel. Votre témoignage a été très utile au comité. Vous avez suscité beaucoup de questions et de commentaires.

[Traduction]

Merci beaucoup pour votre témoignage.

• 1203




• 1204

[Français]

Le président: À l'ordre. Nous entendrons maintenant M. Claude Castonguay, qui témoignera à titre personnel. Monsieur Castonguay, merci de votre aide. La parole est à vous.

M. Claude Castonguay (témoigne à titre personnel): Merci, monsieur le président. Si je comprends bien, j'ai environ 10 minutes à ma disposition. Alors, je vais essayer d'être aussi bref que possible.

J'ai participé activement aux deux référendums de 1980 et de 1995. J'ai évidemment été témoin du référendum de 1992, même si je n'y ai pas participé de façon très active, mais je peux dire que dans les référendums de 1980 et de 1995, le concept d'association ou de partenariat qui a été greffé à celui de la souveraineté a semé beaucoup de confusion et beaucoup d'ambiguïté.

• 1205

Je crois qu'une des raisons principales de cela était qu'on présentait le partenariat ou l'association comme si cela devait venir automatiquement avec la souveraineté. Évidemment, il s'agissait de rassurer les Québécois en associant toujours l'idée d'association et de partenariat à l'objectif de la souveraineté. On se souvient que, lors du référendum de 1995, le premier ministre actuel était intervenu en cours de campagne pour greffer d'une façon nouvelle le concept de partenariat afin d'éviter un résultat qui, autrement, aurait été évidemment très négatif.

Nombre de Québécois, et j'ai été en mesure de le juger et de le constater à plusieurs reprises lors de chacun de ces deux référendums, ne savaient pas très bien quel était l'objectif poursuivi. Évidemment, si le Oui l'avait remporté, il aurait été, dans un cas comme dans l'autre, absolument impossible d'interpréter le résultat, surtout si le Oui avait excédé de peu le 50 p. 100. Je reviendrai sur cette question un peu plus tard car j'aimerais donner quelques exemples.

Il me semble que la confusion persiste encore aujourd'hui. En relevant l'information disponible entourant le présent débat, je voyais qu'un sondage CROP faisait ressortir récemment le fait que 35 p. 100 des Québécois croyaient que Lucien Bouchard veut réformer le fédéralisme. On voit jusqu'à quel point la confusion pourra être grande si on greffe encore une fois l'idée d'association ou de partenariat à une question lors d'un éventuel référendum. Pourtant, il est essentiel que les Québécois sachent vraiment clairement quel est l'enjeu d'un tel référendum s'il y en a un.

D'ailleurs, la Cour suprême, dans son arrêt, a souligné que la sécession était un événement trop important pour que la moindre ambiguïté flotte quant à la volonté des Québécois. Il me semble qu'il est évident que, même en faisant abstraction du jugement de la Cour suprême, l'indépendance du Québec aurait de profonds effets sur l'ensemble du Canada et de ses citoyens, y compris ceux qui, au Québec, souhaitent demeurer Canadiens. Il ne s'agit pas d'une question qui intéresse uniquement les Québécois qui peuvent vouloir opter pour l'indépendance. Elle intéresse tous les Québécois, incluant évidemment ceux qui veulent demeurer Canadiens. À ce sujet, il ne faut pas oublier qu'une majorité de Québécois ont indiqué à deux reprises leur volonté de demeurer Canadiens.

En conséquence, il me semble qu'on ne peut être indigné par le fait que le gouvernement fédéral, au nom des Canadiens, ou le Parlement du Canada veuille établir les règles de conduite qu'il entendra suivre advenant un autre référendum sur la souveraineté. Encore une fois, c'est une question qui n'intéresse pas uniquement les souverainistes, mais aussi les gens qui, comme moi, sont à la fois Québécois et Canadiens.

À mon avis, la question de 1995 n'était pas claire, et je l'ai mentionné tantôt. Je vais vous donner un premier exemple. Je discutais à l'époque de façon soutenue avec quelques personnes qui enseignaient en sciences politique dans une université à Montréal. J'ai demandé à une de ces personnes ce que signifiait la question qui était posée, et elle m'a répondu que la question qui était posée en 1995 avait tout simplement pour but de demander un mandat de négociation. Je lui ai demandé de retourner à la question et de la lire clairement, et elle a constaté que si le gouvernement jugeait, en cours de négociation, que les choses ne progressaient pas de façon suffisamment satisfaisante, il pouvait engager immédiatement le processus de déclaration de l'indépendance, ou que si, au terme d'un an, il n'était pas satisfait du résultat des négociations, il pouvait le faire également.

• 1210

C'était donc autre chose que de demander un simple mandat de négocier. C'est ce genre de confusion qui a fait en sorte que le résultat de 1995 a été impossible à analyser, à mon avis. Une seule chose ressortait, et c'est qu'une majorité de personnes avaient dit non. Quel était le souhait de ceux qui avaient répondu oui? C'était loin d'être très clair.

Ceci nous amène à la question de la majorité qui pourrait être requise. En théorie, une majorité de 50 p. 100 plus un est suffisante lorsqu'on prend des votes en Chambre ou lorsqu'on négocie des conventions collectives. Seulement, en pratique, dans une question d'importance aussi capitale que celle qui pourrait entraîner la séparation du Québec du reste du Canada, un gouvernement qui voudrait s'engager dans la voie de l'indépendance avec une majorité aussi faible serait rapidement confronté par des problèmes extrêmement graves. Il pourrait voir sa majorité disparaître bien vite, compte tenu des difficultés que l'indépendance apporterait.

Je ne sais pas quel devrait être un seuil acceptable. D'ailleurs, je pense qu'il n'y a pas de consensus sur cette question. C'est pour cette raison qu'il me semble raisonnable que le Parlement du Canada, en consultation avec tous ses partenaires, puisse porter un jugement sur la valeur de la majorité ayant été exprimée. Il me semble qu'au lendemain d'une élection ou d'un référendum, comme on l'a vu à tellement de reprises dans le passé, on interprète la signification du vote qui vient d'avoir lieu. Il me semble que c'est une voie raisonnable à prendre. Cela, à mon avis, ne donnerait aucunement au Parlement ou au gouvernement du Canada l'autorisation ou la capacité de porter un jugement arbitraire sur la volonté des Québécois s'il y avait une question claire et une majorité claire. Ce serait d'ailleurs intenable.

J'aimerais faire un bref commentaire sur un autre aspect, étant donné tout ce qui se publie au Québec, dans nos journaux, depuis quelque temps sur ce projet de loi, que j'ai lu et relu. J'ai été député à l'Assemblée nationale et je crois connaître assez bien ce que signifie un projet de loi. Je n'ai rien vu dans ce projet qui limite les compétences de l'Assemblée nationale du Québec ni le droit des Québécois de disposer de leur avenir. Par contre, ce droit doit s'exercer dans un contexte politique, un contexte très réel. Ce droit ne peut aucunement forcer les Canadiens de l'extérieur du Québec à accepter automatiquement un partenariat ou une association. Il me semble d'ailleurs que si jamais le Québec votait en majorité pour la sécession du Québec, la réaction à l'extérieur du Québec serait extrêmement vive et négative. Je vois mal comment il serait possible de négocier dans un délai assez court, d'une façon le moindrement valable, des ententes à la suite d'un tel événement.

Le projet de loi précise ou énumère une série de questions qui devront faire l'objet de négociations.

• 1215

On a discuté de la question de l'indépendance du Québec de façon tellement soutenue et à tellement de reprises depuis la fin des années 1960 que les principales questions qui devraient être négociées ont maintenant été assez bien identifiées. Il me paraît tout à fait normal qu'on le rappelle à la population afin qu'il n'y ait pas d'ambiguïté sur ce qui devrait faire l'objet des négociations.

J'aimerais faire un simple commentaire qui déborde un peu ce projet de loi, monsieur le président. Je vais être très bref.

L'adoption de ce projet de loi ne mettra pas fin à l'histoire des relations entre le Québec et le reste du Canada. Je crois que le problème fondamental, qui remonte périodiquement à la surface, vient du fait que la très grande majorité des Québécois n'acceptent pas la conception du Canada qui ne reconnaît pas la spécificité du Québec et qui ignore leur inquiétude, surtout l'inquiétude des francophones quant à l'avenir de leur langue et de leur culture.

J'espère qu'une fois ce projet de loi adopté, on se tournera vers cette question, de telle sorte que, lorsqu'il y aura, à Québec, un gouvernement qui voudra engager le dialogue, il y ait, pour les Québécois, un espoir qu'on sorte enfin de cette situation qui dure depuis trop longtemps, qui sème l'incertitude et qui nuit à bien des égards non seulement aux Québécois mais à l'ensemble des Canadiens.

[Traduction]

M. Grant Hill (Macleod, Réf.): Merci, monsieur Castonguay, de vos brèves remarques.

Il y a une demi-heure, en Chambre, j'ai dit exactement ce que vous avez dit. J'étais d'avis que la question de 1995 portait à confusion. J'ai dit ensuite que j'étais d'avis que les politiciens en comprenaient le sens, les journalistes en comprenaient le sens, les universitaires en comprenaient le sens, mais que le simple citoyen qui ne suit pas attentivement la politique aurait pu avoir de la difficulté à s'y retrouver.

Je pensais que c'était là des propos anodins. Ce n'était que mon opinion, j'énonçais un fait. Quelques moments plus tard, on m'a reproché d'avoir insulté tous les Québécois, même si moi je suis né au Québec. J'ai été élevé dans l'Ouest, et j'admets avoir sur ces choses la perspective d'un Canadien de l'Ouest.

Vous qui êtes Québécois avez dit la même chose, et je ne crois pas qu'on vous reprochera d'insulter les Québécois ou d'avoir dit que la question portait à confusion.

M. Claude Castonguay: J'espère que non.

[Français]

M. Grant Hill: Moi aussi.

[Traduction]

Vous avez dit qu'il ne faut pas préciser la majorité. Je ne suis pas sûr de bien comprendre la raison pour laquelle vous ne voulez pas que l'on précise la majorité. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi vous ne fixeriez pas de chiffre?

M. Claude Castonguay: Je ne crois pas que l'on s'entende sur ce qui serait un niveau admis. Il y a des gens qui disent 50 p. 100 plus un. À mon avis, 50 p. 100 plus un est une proportion convenable en théorie, mais il s'agit ici d'une question terre-à-terre qu'il faudra gérer dans un contexte donné. Il me semble que les gens peuvent analyser un vote, peuvent interpréter un vote, et de là ils peuvent décider si le vote est suffisant ou non.

• 1220

Si l'on fixe un seuil en vase clos, comme nous le faisons en ce moment, certaines personnes en seront satisfaites. Il est évident aussi que bon nombre de gens vont dire: «Non, c'est trop élevé.» C'est donc pour moi un débat stérile. Il faut laisser le soin d'en décider aux gens qui seront ici, à la Chambre des communes et au Sénat, et aux gens qui seront interpellés par cette question et qui porteront un jugement.

M. Grant Hill: Ne craignez-vous pas que le seuil pourrait être changé selon le pourcentage de votes qu'on pourrait recueillir au référendum?

M. Claude Castonguay: Je ne crois pas. S'il y a une question claire et qu'une majorité des Québécois disent: «Nous voulons partir», tout le monde verra si leur désir de partir est sincère ou non. Et ce pourrait fort bien être une majorité de 58 p. 100, ou de 63 p. 100, ou de 55 p. 100. Il faudra en juger à ce moment-là.

À mon avis, il n'y a personne ici au Parlement du Canada qui pourrait retenir le peuple du Québec en haussant la barre si celui- ci veut vraiment partir. Et cette volonté peut devenir évidente. Ce n'est pas seulement une question d'un certain nombre de votes pour ou contre. Je crois que le contexte justifie que l'on juge des circonstances, et la manière dont la majorité aura été atteinte peut également justifier que l'on juge de sa valeur.

M. Grant Hill: Merci.

[Français]

Le président: Monsieur Turp.

M. Daniel Turp: Monsieur le président, avant de poser ma question à M. Castonguay, je voudrais dire à mon collègue Grant Hill, que je respecte beaucoup, que mon collègue s'est sans doute emporté. Du moins, je l'espère. Vous avez droit à votre propre interprétation de la question de 1995. On peut être en désaccord, et je ne crois pas qu'on doive se sentir insulté par un désaccord sur l'interprétation.

Monsieur Castonguay, qui êtes un des pères de l'État moderne québécois, et les collègues du Bloc québécois vous saluent et saluent votre contribution à ce Québec moderne que vous avez construit.

Je vous pose une question qui est difficile, je crois, et que j'ai posée hier au ministre en toute fin de séance. Vous avez été membre de l'Assemblée nationale, comme vous l'avez rappelé tout à l'heure, et vous savez que l'Assemblée nationale examine aussi un projet de loi concernant les prérogatives de l'État du Québec et du peuple du Québec, projet de loi qui contient des dispositions sur la majorité—50 p. 100 plus un—et sur les prérogatives de l'assemblée pour ce qui est de la question.

Qu'arrivera-t-il si l'Assemblée nationale, après un scrutin référendaire, considère que la majorité est claire et que, quelques jours plus tard, la Chambre des communes considère que cette majorité n'est pas claire? Finalement, où réside le siège de la souveraineté du peuple québécois? Quelle loi devrait prévaloir?

M. Claude Castonguay: Le droit des Québécois à l'autodétermination est reconnu. Je crois que les Québécois sont libres de décider de leur destinée. Ce dont on discute, c'est de la façon dont cela doit être fait, me semble-t-il. Je sais qu'il est toujours difficile de discuter de situations hypothétiques, mais malgré tout, je vais essayer de commenter votre question.

Si l'Assemblée nationale du Québec décidait que c'est une majorité claire et qu'elle avait l'accord de l'opposition, je crois que c'est un aspect qui devrait être pris en considération par le Parlement d'Ottawa dans la décision qu'il aurait à prendre ou le jugement qu'il aurait à porter. C'est pourquoi je disais tout à l'heure qu'il est difficile, à mon avis, d'établir ce que devrait être un seuil.

• 1225

Dans l'hypothèse que vous soulevez, si nous avions à l'Assemblée nationale du Québec, comme c'est le cas actuellement, un gouvernement qui a été élu par une minorité de Québécois et une opposition qui représente une majorité de Québécois, et que cette opposition votait contre une motion reconnaissant la validité du vote, je pense que le gouvernement ou le Parlement ici pourrait être influencé dans son jugement.

C'est dans ce sens-là que je disais tout à l'heure que le jugement à porter doit tenir compte non seulement d'un pourcentage, mais également d'un contexte et d'une analyse de la volonté réelle des Québécois.

M. Daniel Turp: J'apprécie votre réponse. Toutefois, dans le cas d'un conflit potentiel de légitimité... En effet, si le projet de loi est adopté, il y a potentiel de légitimité entre les deux chambres. Si l'assemblée devait décider à l'unanimité que la majorité est claire et que le Parlement fédéral décidait qu'elle n'est pas claire, après avoir pris l'avis de l'une des provinces ou tout autre avis pertinent, s'il y avait ce conflit réel au lendemain d'un vote, où serait le siège de la souveraineté? Quelle opinion prévaudrait? Serait-ce celle de l'Assemblée nationale ou celle de la Chambre des communes?

M. Claude Castonguay: Si le Québec ou l'Assemblée nationale prenait un tel vote à la suite d'un référendum où le Oui avait été majoritaire, je pense bien qu'il serait libre de le faire. Mais, à ce moment-là, il se poserait une question extrêmement sérieuse, à mon avis. Cela se ferait dans un contexte presque impossible. C'est là qu'on voit toutes les conséquences qui pourraient découler d'une situation où la volonté des Québécois n'aurait pas été vraiment clairement exprimée.

En fait, l'indépendance d'une province comme le Québec, dans une société aussi complexe que la nôtre, où des liens de toutes sortes se sont tissés, est une question fort complexe qui soulève des tonnes d'autres questions, et pas uniquement celles qui sont énumérées dans le projet de loi. C'est aussi une question qui soulève beaucoup d'émotivité.

Justement, le genre de questions que vous soulevez est, à mon avis, ce qui fait réfléchir les Québécois et qui leur fait conclure que les conséquences de la souveraineté seraient telles qu'ils n'y voient pas d'avantages; ils préfèrent rester au sein du Canada, où l'expérience a été jusqu'à maintenant valable dans l'ensemble, même s'il y a des difficultés et des problèmes évidents.

M. Daniel Turp: Vous ne voulez pas vraiment répondre à ma question. Vous avez gardé vos habitudes de parlementaire.

Le président: Le temps est écoulé. Normalement, nous devrions entendre les questions des députés du Nouveau Parti démocratique et ensuite celles des députés du Parti conservateur. Comme ils ne sont pas ici, nous entendrons pour l'instant les députés du Parti libéral.

Monsieur Alcock.

[Traduction]

M. Reg Alcock (Winnipeg-Sud, Lib.): Je suis très heureux de vous voir des nôtres aujourd'hui, monsieur Castonguay.

Deux choses m'intéressent. Il y a d'abord la discussion qu'avaient M. Turp et M. Hill au sujet de la clarté. Nous avons une déclaration de l'actuel premier ministre du Québec, qui disait en octobre que l'idée de partenariat lui valait de sept à huit points de pourcentage d'appui dans la population; voilà pourquoi ils doivent y penser à deux fois avant de clarifier l'option.

Ce qui pose la question de savoir qui essaie de rouler qui et qui respecte vraiment qui.

Cela m'intrigue, monsieur Castonguay. Vous avez une très longue et très brillante carrière. D'ailleurs, si je ne me trompe, vous avez été le ministre de la Santé qui a été à l'origine de l'assurance-maladie universelle au Québec.

M. Claude Castonguay: Oui.

M. Reg Alcock: Vous avez la réputation d'être un grand fédéraliste et un grand nationaliste aussi, un grand patriote québécois.

• 1230

On peut dire de vous que vous n'êtes pas toujours d'accord avec l'actuel premier ministre du Canada. Je pense que vous vous êtes opposé plus d'une fois, et pourtant, tous les deux, qui êtes tous deux Québécois et avez connu une longue et brillante carrière, vous êtes d'accord sur ce projet de loi. Alors que vous avez peut- être des vues différentes sur l'avenir du Québec, vous êtes tous deux capables de soutenir ce mécanisme qui permettra de clarifier ces questions.

Dites-moi comment vous en venez à cela, et croyez-vous que ce processus produira le genre de clarté que M. Turp dit vouloir, et que nous devons tous avoir si nous nous engageons un jour dans cette voie?

M. Claude Castonguay: Comme je l'ai dit, j'étais présent au référendum de 1980 et à celui de 1995, et j'ai suivi ce dossier. J'ai participé à la conférence de Victoria de 1971 à titre de ministre du gouvernement québécois. Il y a maintenant presque 40 ans que je suis ce débat qui n'en finit plus, et j'en suis venu à la conclusion qu'il nous faudra en finir un jour, et le plus tôt sera le mieux.

S'il doit y avoir un autre référendum, j'ai la conviction que nous devons tout faire pour éviter le genre de situation que nous avons connu après 1980 et après 1995, où les souverainistes n'ont pas vraiment accepté la décision de la majorité et ont dit: «Nous allons recommencer.»

Donc, cette fois-ci, s'il doit y avoir un autre référendum, il me semble que l'expérience des deux référendums passés justifie que nous prenions tous les moyens nécessaires pour nous assurer de savoir exactement ce que signifiera le vote du prochain référendum.

[Français]

Le président: Monsieur Cotler.

M. Irwin Cotler (Mont-Royal, Lib.): Monsieur Castonguay, comme Québécois, je voudrais souhaiter une chaleureuse bienvenue à un père de la Révolution tranquille, pas très tranquille, peut-on dire.

Ma question concerne la position du gouvernement du Québec vis-à-vis du jugement de la Cour suprême du Canada. Le gouvernement du Québec, d'une part, fait l'éloge de la décision de la Cour suprême. D'autre part, il rejette ce projet de loi, qui est basé sur ce même jugement. Comment doit-on comprendre les critiques du gouvernement du Québec? Contre quoi ces critiques portent-elles?

M. Claude Castonguay: Monsieur Cotler, je me pose exactement la même question que vous. Comme je l'ai mentionné, j'ai lu le projet de loi à plus d'une reprise. J'ai lu les critiques qui en ont été faites et je suis encore incapable de voir en quoi ce projet de loi limite les compétences ou les prérogatives de l'Assemblée nationale du Québec.

On l'a dit et je l'ai répété tout à l'heure: à mon avis, si les Québécois disent clairement qu'ils veulent quitter le Canada, rien dans ce projet de loi ne les empêchera de le faire. Il dit cependant que le Parlement du Canada, le gouvernement fédéral ou les Canadiens représentés par leurs représentants dûment élus engageront une négociation et le feront dans le cadre qui est précisé dans ce projet de loi, ce qui m'apparaît normal.

Le président: Les cinq prochaines minutes sont allouées à M. Ménard. Il n'est pas membre du comité, mais le Bloc québécois a indiqué qu'il pouvait poser des questions en son nom.

Monsieur Ménard.

M. Réal Ménard: Monsieur Castonguay, merci. Finalement, c'est toujours un climat de franche cordialité qui fait que les choses changent. Cela va vous rappeler de bons souvenirs.

• 1235

Monsieur Castonguay, je veux comprendre le point de vue que vous avez émis. J'ai la jeune trentaine et, un peu comme pour M. Turp, vous représentez pour moi quelque chose d'emblématique pour le Québec moderne. Mais s'agissant d'un conflit potentiel, le coeur de ce projet de loi est de savoir si les parlementaires de l'Assemblée nationale peuvent décider de la clarté de la question et décider d'enclencher le processus.

Si l'Assemblée nationale, dont vous connaissez bien la façon de fonctionner, décide que la question et le résultat sont clairs, comment pourra-t-on accepter que le gouvernement fédéral, par l'intermédiaire de la Chambre des communes, soit associé au processus? C'est ce que je ne comprends pas.

On ne peut pas nous dire que nous pouvons décider de la clarté de la question si la Chambre des communes elle-même dit que ce n'est pas clair. L'Assemblée nationale doit décider elle-même. Si elle a un processus qui lui est propre et si tous les partis y sont associés, vous conviendrez que cela lui donnera encore de plus en plus de force.

Autrement dit, ne convenez-vous pas que le projet de loi tel qu'il existe donne un droit de veto inacceptable à la Chambre des communes et au gouvernement fédéral, puisqu'il dit que, même dans une situation où l'Assemblée nationale reconnaîtrait que la question est claire, la Chambre des communes pourrait dire qu'elle n'est pas claire?

Selon vous, s'il y avait conflit, si l'Assemblée nationale disait oui et que la Chambre des communes disait non, comment la question pourrait-elle être tranchée?

M. Claude Castonguay: D'abord, je ne crois pas qu'on pourrait, par un projet de loi ou par des déclarations préalables, éviter à tout jamais qu'il y ait conflit quant au résultat d'un référendum entre le Québec et le reste du Canada. Je pense que ce serait utopique de penser qu'on pourrait résoudre ça à l'avance par des dispositions législatives ou par des déclarations.

Encore là, je fais la réserve que j'ai exprimée tout à l'heure: il est toujours difficile de discuter de questions hypothétiques. S'il y avait une question vraiment claire et un résultat vraiment clair, soit une majorité solide, et que l'Assemblée nationale disait à l'unanimité que c'est suffisant pour elle et qu'elle constate que les Québécois veulent quitter le Canada, à ce moment-là, à mon avis, le Parlement du Canada serait dans une situation qui l'obligerait à répondre à un tel vote de façon positive.

Comme je l'ai dit plus tôt, ce projet de loi ne donne pas au Parlement du Canada un mandat qui lui permettrait de tomber dans l'arbitraire. Je crois qu'il aurait la responsabilité de prononcer un jugement objectif.

M. Réal Ménard: Je veux bien vous comprendre, monsieur Castonguay. Vous nous dites que si l'Assemblée nationale décide que la question et les résultats sont clairs, c'est cela qui doit prévaloir. La question est celle de la légitimité et de l'affrontement de deux institutions. Vous dites que l'autodétermination des Québécois est reconnue et que si l'Assemblée nationale décide que c'est clair, c'est cette voix-là qui doit prévaloir.

M. Claude Castonguay: Si la question était très claire: «Voulez-vous que le Québec quitte le Canada ou devienne souverain?» et qu'un pourcentage élevé de Québécois disaient clairement oui, je crois qu'à ce moment-là, le Parlement devrait dire oui. Rien dans ce projet de loi ne justifierait que le Parlement du Canada dise non. Mais on sait fort bien qu'il serait très probable que ça ne soit pas nécessairement le cas, et c'est pour ça que ce projet de loi, qui énonce la façon dont on va se comporter si ce n'est pas clair, insiste tellement sur la nécessité de la clarté.

Je ne vois pas pourquoi vous vous inquiétez tant. C'est une question qui se décidera dans un contexte politique. Vous dites que le Québec a tel droit et telle prérogative, et le Parlement du Canada dit qu'il a telles responsabilités et qu'il entend les assumer de telle façon. Il me semble que c'est normal.

• 1240

M. Réal Ménard: Vous ne pouvez pas nous en vouloir...

Le président: Les cinq minutes...

M. Réal Ménard: Trente secondes de synthèse, monsieur le président.

Vous ne pouvez pas nous en vouloir de souhaiter qu'il soit clairement établi que c'est l'Assemblée nationale qui aura voix prédominante en pareille matière. Vous ne pouvez pas nous en vouloir de cela.

Une voix: Eh bien, non.

M. Claude Castonguay: Personne ne le nie.

M. Réal Ménard: Et vous, vous souscrivez à cela.

M. Claude Castonguay: Personne ne le nie.

Le président: Très bien.

Monsieur Bonin, la parole est à vous.

M. Raymond Bonin (Nickel Belt, Lib.): Monsieur Castonguay, je vous remercie de votre excellente présentation. Je n'avais jamais eu l'occasion de vous rencontrer, mais je vous connais par les médias. On pourrait aussi bien être voisins ou frères. Je ne me sens pas du tout différent de vous même si je suis Franco-Ontarien et que je n'ai jamais été citoyen du Québec.

Vous avez fait allusion au fait que certains partisans du mouvement séparatiste avaient peur de perdre leur langue. C'est une des raisons—ce n'est pas la seule—qui motivent plusieurs personnes à appuyer cette option.

Mes petits-enfants, qui vivent dans le nord de l'Ontario, à 600 kilomètres de la frontière, sont la sixième génération de francophones hors Québec. Cela surprend mes collègues du Québec, autant les séparatistes que mes collègues du côté du gouvernement, d'apprendre qu'il y a sept caisses populaires Desjardins dans ma circonscription, laquelle compte 40 p. 100 de francophones. Cela les surprend aussi d'apprendre qu'avant de devenir député, j'étais professeur dans un collège communautaire français, que ma femme, avant de prendre sa retraite, a été enseignante dans une école élémentaire française administrée par des francophones et que mon fils enseigne dans une école secondaire française administrée par des francophones.

Je dis tout cela, monsieur Castonguay, parce qu'une de mes grandes inquiétudes, c'est le 50 p. 100 plus un. Je devrais ajouter que nous avons six postes de télévision française chez nous, dont TFO, le poste de télévision français de l'Ontario. Nous, les francophones hors Québec, nous connaissons les Québécois; ce sont nos cousins et nous cousines puisque nos ancêtres viennent du Québec. Le 50 p. 100 plus un m'inquiète parce qu'à chaque fois que je donne une information de ce genre, je suis étonné de voir la réaction des Québécois et des Québécoises, qui disent qu'ils ne savaient pas cela.

Si, après un vote, on apprenait de quelle façon les francophones ont pu survivre et peuvent travailler ensemble avec les anglophones et être autonomes, je suis convaincu que cela ferait changer d'idée au moins quelques personnes. C'est une des raisons pour lesquelles le 50 p. 100 plus un, d'après moi, est très dangereux.

J'aimerais avoir votre réaction à cette situation.

M. Claude Castonguay: Très bien. Si vous me permettez un bref commentaire, je dirai que ce ne sont pas uniquement les souverainistes qui s'inquiètent quant à l'avenir de la culture et de la langue au Québec. On constate le même phénomène un peu partout avec les nouveaux moyens de communication ainsi que la force des modes et de la culture américaine. On le voit dans les débats au sein de l'Union européenne. C'est une question qui intéresse un peu tous les peuples qui souhaitent garder leur identité.

Je dois dire que j'ai beaucoup d'admiration pour les francophones hors Québec, que je connais mieux, pour les Acadiens, que je connais, pour les Franco-Ontariens. J'ai beaucoup d'admiration pour ce que vous avez fait et ce que vous faites.

Maintenant, sur la question de la majorité, est-ce que 50 p. 100 plus un est suffisant? Pour moi, en théorie, on peut argumenter en faveur de 50 p. 100 plus un, mais dans les faits, sur une question aussi importante, qui a des implications aussi profondes, non seulement pour les Canadiens hors Québec mais aussi pour les Canadiens québécois qui ne souhaitent pas la séparation, cela m'apparaît une majorité nettement insuffisante, qui pourrait d'ailleurs s'évaporer rapidement à la suite de toutes les difficultés qui ne pourraient que surgir à la suite d'une déclaration d'indépendance.

Le président: Très bien.

Monsieur Hill.

• 1245

M. Grant Hill: Il y a quatre enjeux très importants dans la loi: les frontières, les droits des minorités, la position des peuples autochtones et le partage de la dette. Il y a d'autres enjeux liés à un référendum sur la souveraineté. Selon vous, est-ce que la loi devrait comprendre d'autres points importants?

M. Claude Castonguay: Je ne peux pas vraiment répondre à cette question-là. Je ne sais pas s'il est sage d'essayer de faire une énumération exhaustive de tous les points. Les quatre questions mentionnées sont ressorties clairement des débats des dernières années, mais on peut imaginer bien d'autres difficultés qui pourraient se produire. Je vais vous en donner deux exemples.

Comment le transfert des employés fédéraux au gouvernement du Québec s'effectuerait-il au lendemain d'une séparation? Quelles garanties auraient ces employés quant au maintien de leur emploi et quant à leur intégration dans la fonction publique québécoise?

Si nous devions prendre la voie de l'indépendance, nous devrions aussi régler la question du Régime des rentes du Québec et du Régime de pensions du Canada. Bon nombre de Québécois ont des droits au Régime de pensions du Canada, qui leur sont reconnus pour des années de service au Québec. Comment en diviserions-nous les actifs? Quelle sorte d'actifs est-ce qu'on transférerait?

Il y a un certain nombre de questions comme celles-là qui surgiraient. Je n'ai jamais essayé de les énumérer toutes, mais il me semble que la liste pourrait en être très longue. Est-ce qu'au lendemain d'une séparation du Québec, il y aurait un libre mouvement de la main-d'oeuvre, des biens et des services, ou est-ce qu'on voudrait établir certaines barrières? Étant donné le ressentiment que cela pourrait provoquer, cela pourrait faire l'objet de discussions très difficiles.

On sait que, malgré l'Accord sur le commerce intérieur entre les provinces et le gouvernement fédéral, qui a été signé il y a quelques années, il y a bien des barrières qui subsistent et que le commerce des biens et des services est loin de se faire de façon harmonieuse partout à l'intérieur du Canada. Qu'est-ce qui arriverait advenant une séparation? C'est une question qui m'apparaît également importante. Les échanges entre le Québec et le reste du Canada sont fort importants, même s'ils sont peut-être moins importants qu'ils ne l'ont été dans le passé.

M. Grant Hill: Parlons de la détermination des frontières du Québec. Selon la Constitution, les frontières du Québec sont fixes. S'il y avait sécession, serait-il possible de modifier les frontières?

M. Claude Castonguay: Je ne suis ni avocat ni constitutionnaliste. Les deux seules réflexions que je peux faire, c'est qu'il me semble que des traités reconnaissent la propriété de certains territoires à des bandes amérindiennes. Si ces bandes ne voulaient pas demeurer dans un Québec souverain, est-ce qu'on pourrait les retenir? Il me semble que c'est une question fort importante.

Par-delà cela et la question juridique ou constitutionnelle, vous savez comme moi que bien des gens au Québec, dans bien des municipalités, ont exprimé le désir de rester dans le Canada advenant un vote sur la souveraineté. Je ne sais pas du tout s'ils auraient le droit de le faire, mais je sais fort bien que cela créerait une situation extrêmement tendue au lendemain d'un vote sur la souveraineté. Il me semble qu'on doit essayer justement d'éviter ces situations par tous les moyens.

[Traduction]

Le président: Très bien, nous avons presque fini, mais je vais permettre

[Français]

une question de plus à M. Guimond, ce qui mettra fin à nos délibérations pour aujourd'hui.

• 1250

M. Michel Guimond: Monsieur Castonguay, pour me rafraîchir la mémoire, dites-moi à quelle période vous avez quitté l'Assemblée nationale.

M. Claude Castonguay: En 1973, à la fin du mandat, avant la deuxième élection du gouvernement libéral de Robert Bourassa.

M. Michel Guimond: Donc, vous avez été en poste assez longtemps et vous aviez joué au préalable le rôle de conseiller assez longtemps pour savoir que l'Assemblée nationale... Considérez-vous que l'Assemblée nationale est vraiment dépositaire des droits et pouvoirs du peuple québécois et que son rôle est de se défendre contre toute tentative d'y porter atteinte? Est-ce qu'on rejoint votre pensée en disant cela?

On pourrait donner l'exemple du rapatriement unilatéral de la Constitution, en 1982, où tous les partis, incluant votre ancien parti, le Parti libéral du Québec, s'y étaient opposés. M. Trudeau a quand même persisté et a rapatrié la Constitution.

M. Claude Castonguay: Je suis d'accord avec vous que l'Assemblée nationale du Québec est là pour défendre les droits des Québécois dans ses champs de compétence. Elle est là aussi pour déterminer si, advenant un référendum, la majorité des Québécois veulent demeurer au sein du Canada ou veulent le quitter. Je n'ai aucune difficulté par rapport à cela. C'est l'Assemblée nationale du Québec qui doit protéger les droits des Québécois dans les domaines de ses compétences.

Maintenant, vous faites allusion au rapatriement de la Constitution de 1982. Il s'agit clairement d'une tache, d'un épisode de la vie politique canadienne qui n'a pas été corrigé et qui est à la source des débats que nous continuons d'avoir sur cette question du statut du Québec au sein du Canada. Je trouve malheureux qu'en l'an 2000, nous en soyons encore là. C'est pourquoi, à la fin de mon petit boniment, je souhaitais qu'une fois ce chapitre terminé, avec l'adoption de ce projet de loi, on se tourne vers cette question du statut du Québec au sein du Canada.

M. Michel Guimond: Est-ce que le projet de loi C-20 corrige cette tache?

Le président: Monsieur Guimond, il était entendu que vous aviez droit à une question. Je crois que le temps est vraiment expiré. Merci beaucoup.

Merci, monsieur Castonguay, de votre aide. Elle a été bien appréciée de tous les membres du comité. Merci beaucoup.

[Traduction]

Mesdames et messieurs, j'ai quelques nouvelles à vous annoncer.

[Français]

Il n'y aura pas de réunion de ce comité cet après-midi ou ce soir parce que nous n'avons pas de témoins.

M. Daniel Turp: Même pas ce soir?

Le président: Même pas ce soir. C'est dommage, parce que je sais que tous les députés voudraient siéger, travailler, etc., mais nous n'avons pas de témoins pour le reste de la journée.

S'il y a des témoins pour demain matin, vous recevrez...

M. Daniel Turp: Il n'y en a pas?

Le président: Pas en ce moment.

M. Daniel Turp: Ah, il n'y en a pas.

Le président: Donc, vous recevrez un avis cet après-midi, avant 17 heures. Vous devrez peut-être vous préparer pour une réunion demain matin.

En tout cas,

[Traduction]

nous allons siéger demain à 12 h 30. Nous allons entendre trois témoins à compter de 12 h 30 demain.

[Français]

M. Daniel Turp: Pouvez-vous nous expliquer pourquoi il n'y a pas de témoins?

Le président: Les partis m'ont donné des listes, et le greffier et moi avons tenté de trouver des témoins à partir de ces listes.

[Traduction]

Il y a certains témoins sur la liste dont nous ne sommes pas sûrs; nous n'avons pas eu de nouvelles d'eux. Ils ne nous ont pas dit s'ils voulaient témoigner, alors nous allons voir à cela.

[Français]

Des voix: Oh, oh!

Le président: À l'ordre. Il n'y a pas de pause dans les débats en ce moment.

[Traduction]

M. Turp a informé le greffier qu'il retire les deux avis de motion qu'il nous a donnés hier. Nous n'en discuterons pas tant que nous n'aurons pas reçu un nouvel avis.

Je vous ai dit également que vous saurez d'ici 17 heures si nous entendrons des témoins dans la matinée. Mais demain après- midi, à compter de 12 h 30, nous en aurons trois:

[Français]

M. Bernard Amyot, président du Groupe des Cent; M. Jean-Pierre Derriennic, professeur agrégé au Département de science politique de l'Université Laval; et, au nom de l'organisation Pro-Démocratie, M. Gérald Larose et M. André Tremblay. Tous les quatre seront ici demain.

Lundi et mardi, nous aurons un programme très chargé.

• 1255

La séance est levée.