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CLAR Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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LEGISLATIVE COMMITTEE ON BILL C-20, AN ACT TO GIVE EFFECT TO THE REQUIREMENT FOR CLARITY AS SET OUT IN THE OPINION OF THE SUPREME COURT OF CANADA IN THE QUEBEC SECESSION REFERENCE

COMITÉ LÉGISLATIF CHARGÉ D'ÉTUDIER LE PROJET DE LOI C-20, LOI DONNANT EFFET À L'EXIGENCE DE CLARTÉ FORMULÉE PAR LA COUR SUPRÊME DU CANADA DANS SON AVIS SUR LE RENVOI SUR LA SÉCESSION DU QUÉBEC

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le lundi 21 février 2000

• 0937

[Français]

Le président (M. Peter Milliken (Kingston et les Îles, Lib.)): Le premier témoin qui figure à notre ordre du jour ce matin parlera au nom de la Confédération des syndicats nationaux, qui est représentée par les trois personnes ici présentes: Mme Lise Poulin, M. Marc Laviolette et M. Normand Brouillet.

Selon la procédure que nous avons adoptée, nous accorderons à nos témoins 10 minutes pour faire leur présentation, après quoi suivra une période de questions et commentaires d'une durée de 35 minutes au cours de laquelle les députés des différents partis prendront la parole.

Je vous souhaite la bienvenue au comité, madame et messieurs, et j'attends votre présentation.

Monsieur Laviolette.

M. Marc Laviolette (président, Confédération des syndicats nationaux): M.rci, monsieur le président.

Au nom de la CSN, je voudrais remercier le comité législatif de nous permettre de partager les réflexions de la CSN, ses préoccupations, ainsi que son opposition nette au projet de loi C-20. Pour la CSN, il s'agit d'une question de respect des droits démocratiques fondamentaux et des institutions démocratiques, ainsi que des droits fondamentaux des peuples autochtones.

La CSN est en désaccord sur l'empressement du gouvernement du Canada à adopter le projet de loi C-20. Nous avons entre autres appris que votre comité entendra 28 groupes pendant une période de cinq jours. Il me semble qu'un débat sur un processus de sécession mériterait d'être prolongé et qu'on devrait permettre à un plus grand nombre de groupes de faire valoir leur point de vue. C'est pourquoi la CSN demande le retrait du projet de loi.

Nous espérons que nos arguments seront entendus par les démocrates du Canada. D'ailleurs, contrairement à notre habitude, nous avons déposé une version anglaise de notre mémoire afin d'être bien sûrs que les arguments de la CSN pourront être lus par les citoyens qui ne parlent pas français.

Je vous dirai brièvement que la CSN est une organisation syndicale qui est basée au Québec et qui regroupe 235 000 membres francophones de toutes les régions du Québec. La CSN regroupe aussi des membres de la communauté anglophone ainsi que des communautés culturelles, particulièrement à Montréal. Plusieurs de nos membres font également partie des 11 nations autochtones qui vivent sur le territoire québécois.

• 0940

La CSN est elle-même le résultat de la lutte du peuple québécois contre l'oppression nationale. Elle a été fondée en 1921. Elle regroupait alors des travailleurs canadiens-français et catholiques dans une volonté de développer une organisation syndicale indépendante des syndicats américains, qui étaient dominés à l'époque par les anglophones. Ces travailleurs voulaient aussi se doter d'une organisation syndicale indépendante des partis politiques.

Tout au long de son histoire, la CSN a lutté pour que règne dans la société plus de solidarité, plus de démocratie, plus de justice, plus de respect et plus d'équité. C'est pourquoi la CSN réitère que c'est à la population québécoise de décider de son avenir, que son choix doit s'exercer conformément aux lois et règlements de l'Assemblée nationale, que ce choix ne peut être contraint par nulle institution politique et que le gouvernement se doit de respecter la légitimité des élus et de l'Assemblée nationale dans la défense du territoire et des droits historiques du peuple québécois.

Ce n'est ni à la Chambre des communes, ni au gouvernement canadien, ni au Sénat, ni aux assemblées législatives des provinces et territoires de s'immiscer dans la question que les Québécois auront à se poser. Ils doivent au contraire en accepter la majorité référendaire. Ils doivent également reconnaître les peuples qui vivent au Canada, que ce soit le peuple canadien, les autochtones ou le peuple québécois.

Selon la CSN, le projet de loi C-20 jette la confusion et sème des éléments de peur ou de menace au sein de la population québécoise. De fait, on recherche deux droits de veto: un premier ex ante et un autre ex post, c'est-à-dire à la suite des événements. Le droit de veto préalable vise tout l'aspect de la clarté de la question. Pourtant, le Québec n'a aucune leçon à apprendre du gouvernement canadien, d'autant plus qu'en 1982, lors du rapatriement de la Constitution—qui est quand même la loi fondamentale du pays—, on n'a pas fait que rapatrier le papier sur lequel la Constitution était écrite; on a aussi procédé à une refonte en profondeur de cette loi fondamentale. On y a introduit la Charte canadienne des droits et libertés, qui a restreint le pouvoir du Québec en matière de langue et qui renfermait une formule d'amendement qui, de fait, retirait au Québec son droit de veto historique.

Ce rapatriement s'est fait sans référendum et sans l'accord du Québec. Le fait qu'aucun gouvernement québécois n'ait signé la loi fondamentale du pays signifie quelque chose.

Pour ce qui est du droit de veto après le fait, on touche à la question de la majorité. Il est clair pour la CSN que, face à une décision relative à l'avenir du peuple québécois, la majorité acceptable est de 50 p. 100 plus un. Le projet de loi ne vise qu'à contourner l'obligation de négocier qui est contenue dans l'avis de la Cour suprême.

Pourtant, encore une fois, après le fait, le Canada n'a aucune leçon à donner au Québec sur la démocratie de ses référendums. Trois référendums ont été tenus jusqu'à maintenant et les taux de participation ont varié de 85 p. 100 en 1980 à 93 p. 100 lors du dernier référendum, en 1995.

Ceux qui n'ont pas respecté les lois québécoises régissant un exercice référendaire sont plutôt ceux qui viennent d'ailleurs au Canada. Entre autres, en organisant la manifestation love-in avant le dernier référendum, on a contourné les règles de financement référendaire puisque les dépenses qui ont été engagées par des gens à l'extérieur du Québec n'ont pas été comptabilisées dans les dépenses pour le camp du Oui ou du Non. Dans ce cas-ci, les dépenses avaient été engagées par le camp du Non.

Ensuite, lors du référendum de 1980, on a donné au Non un sens contraire à sa signification. Le premier ministre Trudeau est venu promettre qu'après 1980, si le Non l'emportait, on reconnaîtrait les revendications historiques du Québec. Pourtant, en 1982, la Constitution a été rapatriée de façon unilatérale, et les droits du Québec sont passés au bout du quai.

En 1995, on a eu droit à la même promesse et, dans la Déclaration de Calgary, on a nié l'existence de la nation québécoise et résumé le Québec ainsi: une minorité francophone gouvernée par son Code civil.

• 0945

C'est un mépris fondamental du peuple québécois. Tout ce que le Québec a subi jusqu'ici, c'est le renforcement du caractère centralisateur de la Confédération, que ce soit par les réductions budgétaires de 2 milliards de dollars des transferts fédéraux ou par le vol qualifié des cotisations d'assurance-emploi, qui ont permis au gouvernement fédéral de générer de façon artificielle des surplus, par l'entente sur l'Union sociale, que le Québec n'a pas signée non plus, ou encore par les négociations du rapatriement de l'assurance parentale, qu'on tarde à régler.

Dire et affirmer, comme l'a fait le ministre Dion, que le projet de loi C-20 est prodémocratique et proquébécois relève, selon nous, de l'imposture. Ce projet de loi nie la nation québécoise, le peuple québécois, puisqu'on y parle de sécession des provinces. L'une des raisons qui expliquent que le mouvement souverainiste soit si fort au Québec, c'est justement le fait que le Canada a toujours considéré que le Québec était une province comme les autres, alors que le Québec est une nation. Les nations ont le droit de disposer d'elles-mêmes, et il n'appartient qu'à elles d'exercer ce droit.

Lorsqu'on présente un projet de loi tel le projet de loi C-20, où l'on essaie de prévoir toutes les situations possibles une fois la décision prise, on peut s'attendre à ce que cela mène à une déclaration unilatérale de souveraineté de la part du Québec et à ce que cela accroisse les tensions entre le peuple québécois et le peuple canadien.

La meilleure façon de résoudre ces questions-là, c'est de négocier afin de résoudre nos différends une fois que les décisions ont été prises. Ce n'est pas ce qu'on nous propose dans le projet de loi C-20, qui, soit dit en passant, nous apparaît être une véritable farce.

On veut disposer de ce projet de loi qui parle de sécession en l'espace d'une semaine et n'entendre qu'un nombre restreint de témoins. Il me semble qu'il s'agit davantage d'une caricature que d'un exercice démocratique.

Nous recommandons aux membres de votre comité législatif de venir faire le tour du Québec pour discuter du projet de loi C-20 et entendre les Québécois leur parler de leur droit de disposer d'eux-mêmes. Une chose est sûre: peu importe le résultat du débat qu'on tient ici et de l'issue du projet de loi C-20 au Canada, le droit du Québec de disposer de son avenir lui appartient. Que cela fasse l'affaire du gouvernement d'Ottawa ou pas, ce droit va s'exercer. On a intérêt à ce qu'il s'exerce dans la plus grande démocratie possible, et nous espérons que ce sera suivi d'une négociation.

Un projet de loi semblable à celui qui fait l'objet de votre étude ne représente pas un bon moyen de s'assurer de négociations harmonieuses.

J'ai terminé ma présentation, monsieur le président.

Le président: Très bien, merci beaucoup. Vous avez des questions?

Monsieur Hill.

M. Grant Hill (Macleod, Réf.): M.rci, monsieur Laviolette, de votre témoignage.

Selon vous, la question qu'on a posée lors du référendum de 1995 était-elle claire?

M. Marc Laviolette: Oui, elle était tout à fait claire.

M. Grant Hill: Absolument claire?

M. Marc Laviolette: Elle était tellement claire que le camp du Non affirmait qu'en répondant oui au référendum, on prendrait une décision irréversible en faveur de la souveraineté du Québec. Ceux qui s'opposaient à la souveraineté et qui exerçaient leur droit démocratique le plus strict estimaient qu'elle était tellement claire qu'elle enclencherait un processus irréversible. Je crois qu'ils avaient tout à fait raison et qu'à la suite d'un Oui, on aurait de fait enclenché un processus de négociation avec le Canada sur la souveraineté du Québec.

M. Grant Hill: Selon vous, il est possible que l'Assemblée nationale du Québec puisse poser une question qui ne comporte aucune restriction.

M. Marc Laviolette: En vertu du principe fondamental de l'égalité de droit des peuples et de leur droit de disposer d'eux-mêmes, il appartient aux peuples eux-mêmes de répondre à une telle question. Il y a au Québec une loi qui encadre ce processus-là, une Assemblée nationale où l'on tient des débats sur la question, une opinion publique qui est sensibilisée à la question, ainsi qu'un camp du Oui et un camp du Non qui mènent le débat. Bien entendu, si la question n'était pas claire, des gens au Québec se chargeraient de la dénoncer et d'exiger qu'elle soit clarifiée.

• 0950

Si elle n'avait pas été claire, nous n'aurions pas atteint des taux de participation aussi élevés que ceux qu'on a obtenus au Québec: 85 p. 100 en 1980, 82 p. 100 en 1992 et 93 p. 100 en 1995. Si les gens sont venus voter en si grand nombre, c'est parce que quelque chose devait être clair quelque part. Il serait difficile d'obtenir des taux de participation plus élevés que ceux qui ont été atteints lors des référendums au Québec. On n'a aucune leçon à apprendre de qui que ce soit à ce chapitre.

M. Grant Hill: M. Claude Castonguay, qui a comparu devant ce comité, nous a dit que la question était confuse. Que répondez-vous à M. Castonguay?

M. Marc Laviolette: Je puis comprendre que ceux qui sont contre le Oui aient intérêt à mêler toutes les questions et à rendre les choses confuses. Dans le cadre du débat public au Québec, j'ai toutefois entendu autre chose. Les porte-parole et chefs du camp du Non semblaient croire que la question était tellement claire que son résultat serait irréversible. Lorsqu'on parle ainsi de résultat irréversible, il est difficile d'affirmer que la question aurait pu être encore plus claire. Il ne faudrait pas prendre les Québécois pour des imbéciles. Ils connaissent très bien les enjeux de la question, et le débat dure depuis longtemps. D'ailleurs, le débat de la souveraineté du Québec remonte au moment où le Québec s'est joint à la Confédération. On pourrait même affirmer qu'il date de la Conquête. Il y a donc plusieurs années qu'on se pose ces questions-là, et le débat s'est intensifié au cours des 40 dernières années.

On peut se pencher sur la progression des réponses. Que le pourcentage se situe à quelque 40 p. 100 ou à 49 p. 100, je crois que de plus en plus de Québécois savent ce qu'ils veulent au pays. D'ailleurs, je crois qu'il est tout à fait normal que le Canada se prépare à l'éventualité d'un Oui. Si nous sommes ici aujourd'hui, c'est peut-être parce qu'un Oui est possible.

Le problème, c'est que ce projet de loi est fondé sur la sécession des provinces. Le Québec n'est pas une province, mais une nation, un peuple. C'est là le fondement de notre incompréhension au Canada.

M. Grant Hill: Pourriez-vous préciser en quoi consiste la majorité, selon vous?

M. Marc Laviolette: La majorité est celle qui est reconnue par la communauté internationale et qui a été appliquée à tous les référendums qui ont été présidés par l'ONU, à savoir la règle de 50 p. 100 plus un. Voilà ce qu'est une majorité claire en démocratie. D'ailleurs, il faut souligner les taux élevés de participation qu'on a obtenus. On devrait adopter la même notion de la majorité que lorsque le Non l'a emporté lors des deux premiers référendums. Si le camp du Non a accepté cette règle de 50 p. 100 plus un—même s'il n'y avait même pas 1 p. 100 de différence—, cette règle devrait certainement valoir pour le camp du Oui.

M. Grant Hill: Selon vous, des irrégularités ont-elle eu lieu au niveau du vote lors du dernier référendum?

M. Marc Laviolette: Lors du dernier référendum?

M. Grant Hill: Oui.

M. Marc Laviolette: J'ai relevé tout à l'heure certaines irrégularités, dont celles qui ont découlé de la grande manifestation tenue avant le dernier référendum, lors de laquelle les gens du Canada sont venus nous dire qu'ils nous aimaient. Nous avons apprécié nous faire dire que nous étions aimés, mais il demeure que des dépenses ont été engagées lorsque ces gens sont venus et qu'elles auraient dû, comme cela se fait normalement au Québec, être comptabilisées à titre de dépenses du camp du Non, ce qui n'a pas été le cas.

M. Grant Hill: M.rci bien.

Le président: Monsieur Turp.

M. Daniel Turp (Beauharnois—Salaberry, BQ): M.rci, monsieur Milliken. Je voudrais souhaiter la bienvenue aux représentants de la CSN et dire jusqu'à quel point il est important que la société civile soit entendue. Nous aussi aimerions que davantage de Québécois, de citoyens, de groupes comme le vôtre et de groupes canadiens aussi soient entendus, mais il semble que le gouvernement pense autrement.

J'ai deux questions sur la notion d'irréversibilité. Vous savez que c'est un argument que soulève constamment le ministre Dion pour dire que 50 p. 100 plus un n'est pas suffisant. L'argument veut que, puisque la décision d'accéder à la souveraineté est si grave et si irréversible, 50 p. 100 plus un ne suffirait pas. J'aimerais savoir ce que vous pensez de cet argument et que vous me disiez s'il est valable pour justifier qu'une règle autre que celle du 50 p. 100 plus un soit appliquée.

• 0955

Ma deuxième question porte un point assez difficile. Je l'ai posée à plusieurs témoins déjà et j'aimerais avoir aussi votre opinion.

Le projet de loi 99 est en cours de débat à l'Assemblée nationale. Il dit clairement que l'Assemblée nationale est l'autorité suprême lorsqu'il s'agit de l'avenir du Québec, d'un référendum, de la majorité et de la question. Nous avons ici un projet de loi qui, de toute évidence, dit que la Chambre des communes a voix au chapitre, que c'est elle qui, finalement, va déterminer si la question est claire et si la majorité est claire.

En cas de conflit entre une assemblée et l'autre, d'après vous, laquelle doit parler au nom du Québec lorsqu'il s'agit de questions de clarté et de majorité?

M. Marc Laviolette: Écoutez, la démocratie est ainsi faite: quand on prend des décisions en démocratie, la majorité, c'est 50 p. 100 plus un. D'ailleurs, les grands débats de société sont tranchés de cette façon. Il y a eu des référendums sur l'Union européenne, par exemple, ce qui n'est pas rien, et les majorités se sont exprimées ainsi et parfois même par des résultats très serrés. Comme ce sont de grandes décisions, il est normal que la société se polarise. En démocratie, c'est 50 p. 100 plus un. C'est ainsi que cela fonctionne. Tous les référendums sur l'indépendance d'un pays présidés par les Nations Unies s'appuient sur cette règle-là. Donc, c'est cette règle qui s'applique.

Comme je l'ai dit plus tôt, s'il s'agissait du Non, 50 p. 100 plus un suffirait. Pourquoi cela ne vaudrait-il pas pour le Oui? C'est ça, la question. On l'a accepté la dernière fois pour le Non. Tout le monde l'a accepté: d'abord le camp du Non, puis le camp du Oui. Ce qui est bon pour l'un doit être bon pour l'autre. La règle est ainsi faite.

En cas de conflit, quelle assemblée prévaut? C'est l'Assemblée nationale, qui est l'assemblée des Québécois. C'est au peuple québécois de décider de son sort, de son avenir. Cela revient à cette assemblée-là, historiquement et dûment élue de façon démocratique par les Québécois. C'est cette même assemblée qui a décidé de ne pas signer la Constitution après le rapatriement en 1982, et il en a toujours été ainsi, peu importe les partis politiques. Donc, l'Assemblée nationale a la capacité et la légitimité de prendre les décisions qui s'imposent en cas de conflit.

Cependant, je tiens à rappeler au comité que la meilleure façon de régler les différends et les conflits est la négociation. Il me semble que dans un pays démocratique comme le Canada, on devrait bien comprendre cela. Or, avec le projet de loi C-20 que nous avons là, avant même qu'il y ait un autre référendum, on fige les questions.

Cela me fait penser à un employeur qui dirait à ses employés qui veulent se syndiquer que, s'ils prennent cette décision, elle sera irréversible et les bonnes conditions qui leur sont consenties seront abolies. Devant une attitude patronale de ce type, au moment des négociations, il y a une mauvaise foi qui engendre un conflit, lequel dégénère de toutes sortes de manières que personne n'avait souhaitées.

Il me semble que le Canada s'est construit par l'adhésion. Même s'il n'y a jamais eu de référendum sur l'intégration du Québec dans la Confédération, il me semble que qu'il devrait en être ainsi. C'est ainsi que Terre-Neuve, la plus récente des provinces, est entrée dans le Canada, et tout le monde l'a accepté. Il y a eu un débat démocratique. Il y a eu deux référendums à Terre-Neuve. Je ne vois donc pas pourquoi on propose un projet de loi comme C-20 qui, par sa nature même, nie l'existence du peuple québécois. Je comprends que si l'on nie l'existence du peuple québécois, si le peuple québécois n'existe pas, on soit sûr que c'est au peuple canadien de se prononcer là-dessus. On ne veut pas les laisser faire.

C'est la raison qui nous a amenés là, au Québec. Depuis le début, la nation québécoise n'a jamais été reconnue. Il me semble que la meilleure façon de faire fonctionner le Canada serait de la reconnaître au lieu de faire subir au Québec le genre d'attaque qu'il doit subir actuellement de la part d'un Canada centralisateur, qui pense en grand frère au nom de tout le monde et de façon très paternaliste.

Donc, c'est l'Assemblée nationale qui, en cas de conflit, aurait le dernier mot. De plus, il me semble que la seule façon de résoudre le conflit serait de négocier.

• 1000

Le président: Monsieur Blaikie, voulez-vous poser des questions aux témoins?

[Traduction]

M. Bill Blaikie (Winnipeg—Transcona, NPD): M.rci, monsieur le président.

Je tiens tout d'abord à dire que je suis d'accord avec les témoins en ce qui a trait au processus et à la façon choquante dont il a été conçu et appliqué. Le processus est un affront à la façon dont nous procédons normalement ici. Je tiens aussi à dire que j'approuve la partie de votre mémoire où vous parlez de la nécessité de reconnaître le peuple québécois et les peuples autochtones. J'ai simplement quelques questions à vous poser.

Manifestement, une des principales affirmations de votre exposé est qu'il appartient au Québec, et au Québec seul, de se prononcer. Il me semble que cette position, à savoir que le «Québec seul» a le droit de se prononcer, ne saurait être maintenue que si vous estimez qu'il n'y a pas lieu... Le Québec pourrait disposer de lui-même, je l'accepte, mais cette décision pourrait se prendre j'espère à l'intérieur de la Confédération, sans qu'il en soit forcément ainsi.

Ne croyez-vous pas que, s'il exerçait ce droit à l'autodétermination en quittant le Canada, le Québec aurait à négocier? Il faudrait des négociations sur bien des choses. Or, toute négociation suppose qu'il y a au moins deux parties, et j'ose dire que, dans le cas de la séparation du Québec, il y aurait au moins trois parties: le Canada, le Québec et les Autochtones.

Les parties à une négociation doivent avoir une idée de ce qui pourrait les amener à la table de négociation. Une des parties à cette négociation éventuelle, le gouvernement canadien, dit qu'il y a certaines conditions pour qu'il se présente à la table: une question claire et une majorité claire.

Ne pensez-vous pas que chaque partie à cette négociation éventuelle, et dans le cas qui nous occupe il s'agit du gouvernement canadien, a en quelque sorte l'obligation d'énoncer les conditions qui l'amènerait à la table de négociation? Car on ne peut sûrement pas laisser à une des parties le soin de dire: «Très bien, nous allons négocier, même si vous estimez qu'il n'y a rien à négocier.» L'inverse est aussi vrai. Je vous demande simplement si vous ne voyez aucune légitimité à ce point de vue.

[Français]

M. Marc Laviolette: C'est une bonne question. D'abord, advenant la décision du peuple québécois de prendre en main son avenir et de s'autodéterminer, il devra y avoir des négociations avec le peuple canadien et avec le peuple autochtone, bien entendu.

Quant à savoir si le peuple canadien veut négocier ou pas et quant à savoir s'il peut s'interroger sur la clarté de la question posée, etc., voici ce que je pense. Il y a eu trois référendums à l'occasion desquels les représentants politiques pro-Canada se sont prononcés et auxquels ils ont participé. Bien entendu, le chef du camp du Non a été jusqu'à maintenant le Parti libéral du Québec, qui est fédéraliste. M. Chrétien et d'autres avant lui ont joué un rôle tout à fait actif dans les trois référendums qui se sont tenus au Québec. C'est parce qu'ils reconnaissaient tous que les règles qui s'appliquaient là étaient suffisamment démocratiques pour jouer le jeu. Je pense que le Canada n'aurait pas participé aux référendums ou que les fédéralistes n'auraient pas participé aux référendums s'ils avaient jugé que la loi référendaire québécoise les flouait.

Donc, pour moi, advenant un nouveau référendum et une réponse positive, il appartiendrait d'abord au peuple québécois de prendre sa décision. Est-ce qu'il veut quitter le Canada? Est-ce qu'il veut s'autodéterminer ou pas? Ce doit être fait selon des règles démocratiques assurées par l'Assemblée nationale. Une fois cela décidé, les négociations seront entreprises.

• 1005

M. Normand Brouillet (adjoint à l'exécutif, Confédération des syndicats nationaux): Je pense qu'il faut faire la différence entre vouloir établir une position de négociation et ce que contient le projet de loi C-20, qui veut, à toutes fins utiles, que le gouvernement fédéral substitue son jugement à celui du peuple québécois, et sur la question et sur les résultats.

C'est en ce sens qu'on écrit dans le mémoire que le projet de loi C-20 n'indique pas une volonté de négociation de la part du gouvernement fédéral, mais une volonté d'assujettissement du peuple québécois, lequel n'aurait pas la maturité nécessaire pour juger de la clarté d'une question et pour juger de la valeur du résultat obtenu.

M. Marc Laviolette: Si le peuple québécois n'est pas formé de citoyens de seconde zone démocratique, c'est qu'il a une conception de la démocratie inférieure à celle du peuple canadien.

Le président: C'est maintenant à M. Bachand. Il y a déjà six minutes ou presque d'écoulées.

M. André Bachand (Richmond—Arthabaska, PC): Je poserai très rapidement deux questions car je sais que le temps file. Premièrement, je veux vous remercier de vous être déplacés, parce que quant à nous, comme vous l'avez souligné, nous sommes enfermés ici. Nous n'avons pas le droit de sortir de la ville d'Ottawa pour aller à la rencontre des gens. Nous sommes encarcanés, prisonniers du Parlement et du gouvernement.

Vous avez parlé de trois peuples: le peuple canadien, le peuple autochtone et le peuple québécois. Vous dites que tout le monde reconnaît que les peuples peuvent disposer d'eux-mêmes. Est-ce à dire que vous reconnaissez aux peuples autochtones le droit de disposer d'eux-mêmes? Et quelle serait la conséquence quant à la divisibilité du territoire du Québec?

M. Marc Laviolette: Aucun peuple autochtone sur le territoire du Québec ne le revendique actuellement. Nous allons un peu plus loin que les principes qui ont été énoncés par l'Assemblée nationale, en 1985, je crois.

Une voix: C'est ça.

M. Marc Laviolette: C'est ça, en 1985. Cela a permis d'avoir des négociations avec les 11 nations autochtones présentes sur le territoire québécois, négociations qui ont mené à des accords.

M. André Bachand: Est-ce que vous reconnaissez très clairement aux peuples autochtones le droit de disposer d'eux-mêmes?

M. Marc Laviolette: Oui, tout à fait.

M. André Bachand: Est-ce que vous allez jusqu'à dire—on revient à la fameuse question de la partition—qu'après un référendum gagnant au Québec, si les peuples autochtones décidaient...

M. Marc Laviolette: ...de s'autodéterminer.

M. André Bachand: ...de s'autodéterminer, cela ne vous poserait pas de problème?

M. Marc Laviolette: Cela va entraîner une négociation, tout comme la décision du peuple québécois de s'autodéterminer. Les autochtones vont vouloir savoir ce qui arrive de leurs droits. On entreprendra donc une négociation qui leur reconnaîtra leurs droits historiques. C'est la position de la CSN que je vous énonce.

M. André Bachand: C'est une position de très grande ouverture, dois-je dire.

M. Marc Laviolette: Nous pensons qu'une nation, pour être libre, ne saurait en opprimer une autre, comme on peut le constater dans le projet de loi C-20 actuellement.

M. André Bachand: Vous militez sur le plan de la syndicalisation, sur le plan de la défense des travailleurs et des travailleuses au Québec. On pourrait vous dire qu'il est plus facile de s'affilier, de se syndiquer, que de se désaffilier. Si on compare les deux processus, on voit que le processus pour se syndiquer est quand même assez clair. Pour se désaffilier, c'est très compliqué. Est-ce que vous êtes d'accord pour dire qu'une majorité claire pour se syndiquer, ça va bien, mais que pour se désaffilier, c'est comme pour se séparer du Canada: c'est plus difficile?

Mme Lise Poulin (secrétaire générale, Confédération des syndicats nationaux): Tout d'abord. j'apprécie que vous connaissiez bien nos statuts et règlements à la CSN. Cependant, si vous les lisez bien, vous verrez qu'il faut une majorité de 50 p. 100 plus un pour qu'un syndicat, un regroupement de travailleurs puisse s'affilier à la CSN. La quitter requiert également une majorité de 50 p. 100 plus un.

Dans le cas d'un regroupement sectoriel ou régional, pour s'affilier à la centrale, à la fédération ou au conseil central ou s'en désaffilier, le même pourcentage est requis, soit 50 p. 100 plus un.

M. André Bachand: Pour se «désyndiquer». Un groupe de travailleurs qui décide de se syndiquer... Et on a vu quelques histoires abracadabrantes au Québec, où les gens décidaient, après avoir reçu leur accréditation, sur la foi de leur accréditation, de changer d'idée et de se désaffilier.

• 1010

Mme Lise Poulin: Pour se désaffilier, c'est 50 p. 100 plus un. Vous parlez plutôt d'une révocation de l'accréditation syndicale, ce qui relève du syndicat local. Or, nous n'accréditons pas les syndicats. Nous affilions des groupes. Il revient au groupe de révoquer son accréditation auprès du ministère du Travail. Encore là, la majorité nécessaire est 50 p. 100 plus un.

M. André Bachand: Quelle est votre définition du peuple canadien?

M. Normand Brouillet: Le peuple canadien, c'est l'ensemble des Canadiens qui habitent le territoire et qui ne font pas partie du peuple québécois ou des peuples autochtones. Ce sont des entièretés.

M. André Bachand: Exact.

Le président: Monsieur Drouin.

M. Claude Drouin (Beauce, Lib.): M.rci aux gens de la CSN de leur présentation de ce matin.

Dans votre présentation, monsieur Laviolette, vous faites allusion au 50 p. 100 plus un. Le jugement de la Cour suprême dit clairement, et à de nombreuses reprises, qu'une question claire, avec une majorité claire, obligera le gouvernement canadien à négocier la sécession.

Le premier ministre du Québec a dit que c'était un très bon jugement. Le projet de loi C-20 est correctement relié au jugement de la Cour suprême. Pour commencer, pouvez-vous m'expliquer ce qu'est une majorité simple, si 50 p. 100 plus un est une majorité claire?

M. Marc Laviolette: Une majorité simple, c'est 50 p. 100 plus un.

M. Claude Drouin: Et une majorité claire?

M. Marc Laviolette: C'est la même chose.

M. Claude Drouin: C'est la même chose pour vous?

M. Marc Laviolette: C'est ça. Ce n'est pas un jugement, mais un avis de la Cour suprême.

M. Claude Drouin: Excusez-moi. C'est un avis.

M. Marc Laviolette: C'est différent.

M. Claude Drouin: Oui, très différent.

Vous avez dit, lors de votre présentation, que c'était aux nations de décider si, oui ou non, elles veulent devenir un peuple, ce qui semble ne pas être du tout la position du gouvernement du Québec au moment où on se parle.

Vous dites que les autochtones n'ont pas demandé à devenir un pays. Lors du dernier référendum, ils ont voté à 96 p. 100 en faveur de demeurer dans le Canada. On ne dit pas 50 p. 100 plus un ou 52 p. 100, mais bien 96 p. 100. Étant donné ce que vous nous avez dit ce matin, accepteriez-vous la partition, le détachement d'une grande partie du Québec si les autochtones décidaient de demeurer dans le Canada? Est-ce qu'ils pourraient demeurer dans le Canada?

M. Marc Laviolette: Non. Advenant un Oui au référendum, la négociation devrait se faire avec le peuple canadien et avec les peuples autochtones, entre autres sur les droits historiques ou ancestraux de ces derniers. Cela leur sera garanti dans un Québec indépendant. Ces négociations devront se tenir. La minorité canadienne anglaise au Québec, à ce que je sache, est en faveur du Non. Pourtant, ses droits seront respectés dans un Québec indépendant. C'est pourquoi il faut négocier toutes ces questions. C'est dans ce sens que les discussions vont être entreprises avec le peuple autochtone.

M. Claude Drouin: Vous dites, monsieur Laviolette, que vous respectez le résultat du vote quand le Non l'emporte avec 50 p. 100 plus un. J'ai un peu de difficulté à vous suivre parce qu'en 1980, le Non a gagné avec 57,59 p. 100. Pourtant, on a continué. On a dit: «À la prochaine!». En 1995, on a gagné avec 50 000 voix.

Par la suite, le gouvernement du Parti québécois a été élu, mais à la minorité des voix, car le Parti libéral a obtenu plus de votes que le Parti québécois. Or, depuis qu'il est élu, il ne fait que parler de séparation. Alors que les Québécois ont décidé en majorité qu'ils voulaient demeurer dans le Canada, trouvez-vous démocratique que le gouvernement du Québec continue, jour après jour, de parler de séparation?

M. Marc Laviolette: Ce règlement-là s'applique à Jean Chrétien. C'est la même chose. C'est le système dans lequel on est.

Je peux vous dire pourquoi la question de la souveraineté du Québec revient constamment sur le tapis. C'est à cause des projets de loi comme C-20, à cause des attaques centralisatrices et des coupures dans les paiements de transfert comme celles que le Québec subit présentement. Cela donne des arguments de plus pour militer en faveur du fait que nous devons nous occuper de nos propres affaires.

L'argument que vous me servez vaut pour tout le monde, en commençant par le premier ministre du Canada.

M. Claude Drouin: Monsieur Laviolette, vous parlez des coupures de transfert. Est-ce que vous nous dites que la province de Québec est la province qui investit le moins en santé et en éducation au Canada? Investit-elle moins que Terre-Neuve? Est-ce que vous nous dites que c'est 200 $ par habitant, moins que l'Ontario, 1,4 milliard de dollars par année pour la santé?

• 1015

Est-ce dû aux coupures dans les transferts puisque que les transferts ont été coupés dans toutes les provinces? Je dois vous rappeler que nous sommes revenus au niveau de 1993-1994 quant aux points d'impôt, monsieur Laviolette, et que nous sommes les plus taxés en Amérique du Nord. Pouvez-vous m'expliquer cela?

M. Marc Laviolette: Ce que je vous dis, c'est que si le Québec avait 2 milliards de dollars de plus pour fonctionner, cela ferait toute la différence. On se servirait de cet argent dans nos régimes de santé, dans le système l'éducation ou pour l'aide sociale, qui relèvent de la compétence des provinces.

Je ne m'attendais pas à venir plaider en faveur de la Constitution canadienne, mais c'est exactement ça. Tant qu'Ottawa va continuer à empiéter dans les domaines de compétence des provinces ou à empêcher que les provinces exercent leur juridiction, on se retrouvera dans un débat comme celui qu'on a actuellement. C'est ça, la différence entre les deux.

M. Normand Brouillet: Monsieur Drouin, vous pourriez peut-être prendre note du fait que le Québec est la province canadienne qui a subi les plus grandes coupures dans les paiements de transfert. On pourrait discuter pendant des heures sur les chiffres, mais c'est une réalité avérée. Entre autres, si on parle de la nécessité de restaurer 3,8 milliards de dollars en paiements de transfert dès le prochain budget, c'est que le Québec a écopé d'à peu près la moitié de ces coupures.

Vous pouvez réciter votre litanie de statistiques concernant les dépenses en programmes sociaux du Québec, mais cette réalité-là existe aussi.

M. Marc Laviolette: Quand Ottawa pompe l'argent de la caisse de l'assurance-chômage, comme il le fait dans le moment, pour se faire des gros surplus, pour bâtir le pays qu'il veut sur le dos des chômeurs du Québec et des Maritimes, c'est fatiguant aussi. C'est de là que viennent les surplus. Ils viennent des coupures de paiements de transfert et des surplus de la caisse de l'assurance-chômage.

Le président: Nous allons poursuivre en donnant la parole à M. Guimond.

M. Michel Guimond (Beauport—Montmorency—Côte-de-Beaupré—Île-d'Orléans, BQ): Madame, messieurs, je vous remercie de votre présentation. Je ferai un commentaire, que je ferai suivre d'une question. J'ai apprécié le rappel que vous avez fait du love-in de Montréal, pour lequel beaucoup d'autobus en provenance surtout de l'Ontario avaient été nolisés et pour lequel la rémunération des participants pour la journée n'avait pas été comptabilisée.

On aurait aussi pu rappeler le prix de 99 $ pour un billet aller-retour de Vancouver à Montréal, sur les 747 de la compagnie Canadien. On aurait aussi pu rappeler que certaines compagnies de téléphone avaient mis gracieusement leurs lignes à la disposition de certaines catégories de personnes, comme les ingénieurs de l'Ouest qui appelaient des ingénieurs du Québec ou des avocats et des techniciens dans tous les domaines pour leur dire: «On vous aime; on aimerait que vous restiez avec nous.» On pourrait aussi rappeler les sommes qui ont été englouties dans Option Canada à l'époque et dont on n'a jamais connu les montants. C'est là mon commentaire.

Venons-en à ma question. Monsieur Laviolette, depuis combien d'années êtes-vous dans le domaine syndical? Depuis quand êtes-vous actif dans le mouvement syndical?

M. Marc Laviolette: Depuis 25 ans.

M. Michel Guimond: Donc, vous avez connu des relations de travail dont la toile de fond était la violence, les menaces, la peur. Est-ce habituellement la recette d'une bonne cohabitation entre des travailleurs et travailleuses et leur employeur? Vous comprenez que je fais directement le lien avec le projet de loi C-20. qui essaie, encore une fois, de jouer le jeu de la peur. «On ne négociera pas après.» Combien de fois a-t-on entendu cela? «On ne négociera pas après.» On met des enfarges. On rend cela assez compliqué pour essayer de maintenir le peuple du Québec dans l'asservissement. J'aimerais avoir vos commentaires là-dessus.

M. Marc Laviolette: D'abord, à propos de votre commentaire sur la compagnie aérienne Canadien, je vous dirai que ma femme, durant cette période, avait appelé Canadien pour savoir si elle pouvait aller voir les Rocheuses avant qu'on prenne notre décision. Malheureusement, on ne pouvait pas aller vers l'Ouest. C'était surtout l'Ouest qui venait vers l'Est. C'est sérieux. On l'a testé. On s'est donc douté qu'il y avait quelque chose qui ne tournait pas rond dans ce love-in.

• 1020

Pour ce qui est de l'intimidation, de la violence et ainsi de suite, cela n'a jamais donné de bons résultats en matière de relations de travail pour les deux parties: pour l'employeur qui, en bout de ligne, y perd parce qu'il y a toujours des coûts à ça, et pour les syndiqués parce que ce sont toujours eux qui paient les premiers.

D'ailleurs, en matière de relations de travail, avec la loi antibriseurs de grève, on a civilisé cette chose, qui était un irritant très fort. Je pense que cela n'existe pas au fédéral, dans le code, n'est-ce pas?

M. Daniel Turp: On a essayé.

M. Marc Laviolette: On a essayé, oui.

M. Daniel Turp: On a essayé, mais ils ne veulent pas de cela.

M. Marc Laviolette: Cela a contribué à civiliser les rapports entre les parties. Il y a longtemps qu'on se sert de cette recette de l'intimidation au Québec. On pourrait faire une longue description historique de la répression du peuple québécois par rapport à sa volonté d'affirmation nationale. Un bon film sera tourné sur Delorimier, qui nous rappellera quelques faits historiques. Au Québec, on en a vu en masse, des choses comme celles-là, notamment en 1970. Cela ne donne jamais quoi que ce soit.

Les fédéralistes qui veulent garder le Canada intact doivent trouver une façon de le faire fonctionner. Il faudrait que les provinces jouent dans leur sphère de compétence et que les Québécois soient reconnus comme un peuple. Le Canada a été fondé sur la négation du peuple québécois. Le solage était craquelé au départ. Ça n'aide pas.

M. Michel Guimond: Dans votre mémoire, vous demandez aux démocrates canadiens de s'élever contre cette tentative de perversion de l'exercice de la démocratie au Québec.

Avez-vous pris connaissance de la lettre ouverte à l'appui du droit démocratique à l'autodétermination du Québec, signée par au-delà de 124 particuliers et des représentants d'associations syndicales? J'ai hâte de voir comment nos collègues du NPD vont voter sur ce projet de loi, étant donné que ce sont des organisations syndicales très proches du NPD. Je suis persuadé que le NPD votera contre l'adoption du projet de loi C-20. C'est le professeur Gary Kinsman de Sudbury qui nous a fait parvenir cette lettre. En avez-vous pris connaissance?

M. Marc Laviolette: Vous me rassurez ce matin. Non, je n'en ai pas pris connaissance. Je suis bien content d'entendre dire qu'il y a des démocrates qui se lèvent enfin pour dénoncer le projet de loi C-20. J'aimerais en avoir une copie. On la fera connaître largement au Québec. C'est encourageant, parce que j'étais plutôt inquiet. Je n'ai pas entendu beaucoup de voix s'élever. J'espère que cela va se produire dans un avenir rapproché.

M. Michel Guimond: M.rci.

Le président: Monsieur Patry.

M. Bernard Patry (Pierrefonds—Dollard, Lib.): Je remercie nos invités. J'ai deux commentaires à faire et une ou deux petites questions à poser.

Monsieur Laviolette, vous nous avez dit au début que le Québec n'était pas une province. Madame Poulin, vous nous avez dit qu'un Canadien était une personne qui vivait à l'extérieur du Québec. Pour moi, ces affirmations sont une négation du Canada tel qu'il existe actuellement. Elles sont surprenantes, parce que la CSN est régie par une charte fédérale et que, même à l'intérieur de la CSN, il y a eu certains syndicats affiliés de l'extérieur du Québec.

Voici maintenant mon deuxième commentaire. Monsieur Laviolette, vous avez parlé deux fois de l'ONU et de la règle universelle de 50 p. 100 plus un à l'ONU. Vous me permettrez de différer d'opinion. Dans le cas du Timor-Oriental, un exemple très souvent cité par le Parti québécois et le Bloc québécois, aucun seuil n'avait été fixé pour la majorité, et le secrétaire général des Nations Unies s'était vu accorder le pouvoir de juger des résultats dans leur contexte.

Quant à l'admission ou à la suspension d'un État membre au Conseil de sécurité des Nations Unies, cela requiert une majorité des deux tiers, et toutes les décisions au Conseil de sécurité sont prises à la majorité de 60 p. 100, soit 9 voix sur 15.

M. Daniel Turp: Ce n'est pas pertinent.

M. Bernard Patry: S'il vous plaît, Daniel.

Quelle est la majorité requise, selon les statuts de la CSN, pour suspendre un membre du comité exécutif ou destituer le contrôleur de la CSN? Quelle est la majorité requise pour la révocation de juridiction d'une fédération au sein de la CSN?

M. Marc Laviolette: Eh bien, là on mêle...

Mme Lise Poulin: Pour les trois dernières questions, ce sont les deux tiers, mais on parle d'individus et on parle de juridictions d'une fédération. Une fédération peut avoir plusieurs juridictions, mais pour qu'un groupe, un regroupement de syndicats, une fédération—il y en a neuf à la CSN—ou un conseil central puisse s'affilier à la CSN ou s'en désaffilier et devenir autonome, il faut 50 p. 100 plus un.

• 1025

Par exemple, la Fédération des travailleurs du Québec, la FTQ, pourrait s'affilier à la CSN avec une majorité de 50 p. 100 plus un des votes et s'en désaffilier avec une majorité de 50 p. 100 plus un des votes. On ne représente pas des individus, mais des syndicats. Les syndicats sont toujours affiliés à la CSN. On parle de la structure. On voit que vous connaissez bien nos statuts et règlements et on en est bien contents.

M. Bernard Patry: Monsieur Laviolette, les autochtones auraient-ils le droit de quitter le Québec à la suite d'un référendum qu'ils tiendraient pour rester au Canada? À la suite d'une victoire du Oui du Québec, les autochtones auraient-ils le droit, oui ou non, de quitter le Québec s'ils répondaient oui à une question référendaire leur demandant s'ils veulent rester dans le Canada?

M. Normand Brouillet: On a indiqué plus tôt qu'on était d'accord sur le droit à l'autodétermination des nations autochtones. Cependant, on pense aussi qu'il y a une réalité géographique dont il faut tenir compte, de sorte qu'au lendemain d'un vote favorable à la souveraineté du Québec, les nations autochtones qui sont sur le territoire québécois demeureraient partie prenante du Québec. Comme M. Laviolette l'a mentionné plus tôt, il y aurait alors des négociations à engager. À la CSN, on considère qu'au lendemain d'un référendum qui serait favorable à la souveraineté, l'ensemble des obligations actuellement assumées par le gouvernement fédéral reviendraient au gouvernement du Québec. À ce moment-là, il y aurait des négociations à engager en fonction des positions des nations autochtones.

Mais une chose est certaine: c'est qu'on ne peut pas déménager à l'extérieur du Québec ces personnes et le territoire qu'elles habitent. C'est une réalité géographique, et il faudra appliquer toute la sagesse nécessaire, de part et d'autre, pour qu'on soit capable, non seulement de continuer à vivre ensemble, mais de vivre encore mieux qu'actuellement.

M. Bernard Patry: Si je vous comprends bien, vous niez aux autochtones le droit de quitter le Québec, parce que vous parlez tout simplement de négociations avec la province de Québec.

M. Normand Brouillet: Oui.

M. Bernard Patry: S'ils avaient un référendum et qu'ils décidaient de quitter le Québec, est-ce que, oui ou non, ils auraient le droit de quitter le Québec? C'est une question très simple.

M. Marc Laviolette: Il s'agit d'une question tout à fait hypothétique. Il faut bien voir que les autochtones ne revendiquent pas l'indépendance...

M. Bernard Patry: [Note de la rédaction: Inaudible].

M. Marc Laviolette: S'il vous plaît... J'ai toujours trouvé assez fantastique la façon dont on pouvait se servir des autochtones pour nier le droit du Québec de décider de son propre sort. Cette question est strictement hypothétique. Le peuple québécois va faire son lit, on engagera des discussions avec les autochtones et on verra. Les autochtones ne parlent même pas de tenir un référendum au moment où on se parle.

C'est aussi le problème du projet de loi C-20, par lequel on tente d'encarcaner des questions à l'avance. Vous pouvez encarcaner les questions, mais vous n'empêcherez jamais le peuple québécois de décider de son avenir. Regardez les résultats vers lesquels on s'en va. Si vous voulez créer des situations tendues au lieu de négocier les règlements, eh bien, continuez comme cela. Vous êtes bien partis. C'est dangereux pour la démocratie. Vous avez une attitude dangereuse pour la démocratie au Canada et au Québec. Je vous le dis aujourd'hui: continuez comme cela et l'avenir vous le dira.

M. Normand Brouillet: Quand vous parlez de 93 p. 100 des autochtones, vous devez faire attention, car on pourra vous répondre que 60 p. 100 des francophones ont voté oui au dernier référendum. Il y a un seul résultat du référendum de 1995. C'est celui qu'on connaît et il s'applique à tout le monde.

Le président: À l'ordre. Les 45 minutes sont écoulées. Je remercie les témoins de leur comparution. Nous avons été heureux de vous accueillir au comité. M.rci beaucoup.

[Traduction]

Nous allons maintenant faire une courte pause, le temps que le témoin suivant prenne sa place, et nous pourrons reprendre dans une minute.

• 1029




• 1031

[Français]

Le président: À l'ordre, s'il vous plaît.

[Traduction]

Nous sommes maintenant prêts à entendre le témoin suivant. Il s'agit de M. Brian Crowley, président de l'Atlantic Institute for Market Studies.

Soyez le bienvenu à notre comité, Monsieur Crowley. M.rci beaucoup d'avoir pris le temps de venir témoigner devant nous aujourd'hui.

M. Brian Crowley (président, Atlantic Institute for Market Studies): M.rci, monsieur le président.

Le président: Vous avez la parole pour 10 minutes, après quoi nous aurons une période de questions de 35 minutes. Il va falloir mettre fin aux photos. Allons.

M. Brian Crowley: Vous voulez que je commence maintenant, monsieur le président?

Le président: Oui. Vous avez la parole, monsieur.

M. Brian Crowley: M.sdames et messieurs, c'est tout un honneur pour moi d'avoir été invité à prendre la parole devant vous aujourd'hui sur le projet de loi C-20, connu sous le nom de projet de loi sur la clarté. Comme je n'ai que 10 minutes, je passe sans plus tarder à mon exposé.

[Français]

Il me paraît approprié de commencer par les raisons pour lesquelles je suis ici devant vous aujourd'hui. Il y en a trois.

Premièrement, je suis un observateur de la scène politique et constitutionnelle au pays depuis bon nombre d'années et je suis l'auteur de plusieurs livres et articles traitant de sujets constitutionnels.

Deuxièmement, je suis un négociateur constitutionnel expérimenté, ayant agi en tant que conseiller constitutionnel auprès du gouvernement manitobain au cours des négociations menant à l'Accord du lac M.ech, ainsi qu'auprès du gouvernement néo-écossais pendant le Canada Round, qui a débouché sur l'Accord de Charlottetown en 1992.

Finalement, j'ai été, de 1967 à 1979, secrétaire particulier adjoint auprès de M. Robert Burns alors qu'il était ministre d'État à la réforme électorale et parlementaire dans le gouvernement de M. René Lévesque. Chez Burns, on avait la responsabilité, entre autres, d'élaborer le Livre vert sur la réforme électorale et la fameuse Loi 2 sur le financement des partis politiques. De plus, ce qui est le plus important dans le cadre de ma comparution d'aujourd'hui, on a rédigé le texte de la Loi sur la consultation populaire.

[Traduction]

Permettez-moi de commencer par affirmer clairement que le projet de loi du gouvernement sur la clarté, bien qu'il ne soit pas parfait, est un ajout tardif, mais crucial et heureux au cadre constitutionnel, juridique et politique dans lequel l'avenir du Québec et celui du Canada seront décidés. En outre, le projet de loi constitue une réponse logique et nécessaire à l'invitation faite par la Cour suprême du Canada de clarifier les règles sur un éventuel référendum sur la souveraineté et sur la négociation de la sécession qui pourrait en découler.

Permettez-moi de bien faire remarquer qu'un des rôles fondamental de tout gouvernement est de réduire l'incertitude. L'objet de la vie en société est d'améliorer les chances que les membres de la société puissent y réaliser leurs objectifs et leurs aspirations...

Le président: Monsieur Crowley, puis-je vous interrompre un moment? Je sais que vous essayez de tout dire en dix minutes, mais...

M. Brian Crowley: Je parle trop vite?

Le président: Vous parlez tellement vite que les interprètes ont du mal à vous suivre. Avez-vous le texte de votre exposé que vous pouvez leur remettre?

M. Brian Crowley: Oui, monsieur le président.

Le président: Cela leur serait peut-être utile pour interpréter vos propos.

M. Brian Crowley: Quelqu'un peut peut-être aller remettre le texte aux interprètes.

Le président: Pourriez-vous remettre le texte aux interprètes?

Cela les aidera.

• 1035

M. Brian Crowley: Puis-je continuer, monsieur le président?

Le président: Oui, certainement. Allez-y.

M. Brian Crowley: Un des moyens que nous avons de réduire l'incertitude est de vivre sous le régime d'un gouvernement qui crée un ensemble de règles que nous appelons le droit. Ces règles confèrent à la vie en société une part de certitude raisonnable et accroissent les chances que chacun de nous puisse obtenir ce à quoi nous tenons le plus. Ainsi, le droit des contrats nous permet de conclure des ententes les uns avec les autres et d'avoir la certitude que ces ententes seront respectées.

En quoi cela favorise-t-il notre réflexion sur le projet de loi sur la clarté? De deux façons. Premièrement, il est parfaitement légitime que le gouvernement fédéral intervienne pour réduire autant que possible l'incertitude créée pour tous les Canadiens, les Québécois y compris, par la poursuite de la souveraineté. Deuxièmement, on comprend ainsi qu'il y ait une présomption très forte en faveur du statu quo juridique et constitutionnel, étant donné qu'il s'agit du fondement à partir duquel les multiples projets et intentions de tous les membres de la société sont créés et développés.

À mon avis, il n'est donc pas juste de considérer le projet de loi sur la clarté comme une tentative, par exemple, visant à accorder plus de poids aux voix fédéralistes qu'aux voix souverainistes; il faut plutôt y voir un moyen d'affirmer que, dans une société civilisée, les attentes fondées des membres de cette société pèsent plus lourd dans la balance que les avantages théoriques d'un changement social en profondeur dont il est impossible de prévoir les conséquences.

[Français]

Après tout, monsieur le président, qui peut nous dire avec certitude quels seraient le régime de droit, le régime fiscal, le régime commercial, le régime monétaire, le régime de propriété privée, le territoire sur lequel le nouveau gouvernement aurait autorité, la réaction de la communauté internationale et le rôle et l'indépendance des tribunaux, de la police et des forces armées, advenant l'accession du Québec à la souveraineté?

Voilà une liste très brève des incertitudes que le projet souverainiste laisse planer, non seulement sur le Québec, mais sur la société canadienne tout entière. Vu le rôle primordial qu'a l'État de promouvoir la stabilité et la certitude afin de favoriser l'épanouissement des individus, le gouvernement fédéral a non seulement le droit mais également le devoir de minimiser l'impact de cette incertitude, et la Cour suprême du Canada en convient.

Parlons maintenant majorité. Même si le projet de loi passe sous silence la question d'une majorité adéquate pour déclencher les négociations pouvant mener à la souveraineté du Québec, la Cour suprême ainsi que le projet de loi lui-même présagent un seuil décisionnel plus élevé que 50 p. 100 plus un des votants. Dès lors, la question se pose: est-ce légitime? Je réponds sans ambages oui. Il s'agit là d'un principe à la fois foncièrement démocratique et foncièrement canadien et québécois.

Est-il besoin de rappeler, par exemple, qu'une bonne partie de notre histoire constitutionnelle, depuis 40 ans et plus, gravite autour de la demande québécoise d'un droit de veto constitutionnel, indépendamment du poids démographique de la province au sein de la Confédération? Il s'agit là d'une des clés de voûte des positions constitutionnelles de Jean Lesage, de Daniel Johnson père, de Robert Bourassa, de René Lévesque et, bien sûr, de Lucien Bouchard par rapport à l'Accord du lac M.ech.

Il est clair que l'Acte constitutionnel de 1982, par exemple, jouissait d'un très large appui populaire au moment de son adoption, y compris au Québec. Pourtant, tous les gouvernements québécois qui se sont succédé depuis lors ont prétendu qu'il s'agissait d'un amendement constitutionnel illégitime parce que l'Assemblée nationale n'y avait pas donné son consentement.

Eh bien, on ne peut pas avoir le beurre et l'argent du beurre, même en matière constitutionnelle. Qui plus est, la démocratie n'est pas et n'a jamais été une société où 50 p. 100 plus un l'emporte toujours et dans toutes circonstances. Une telle société ne serait rien de plus qu'une tyrannie de la majorité, selon l'heureuse expression d'Alexis de Tocqueville. La démocratie véritable se base sur le principe moral suivant: seulement ce qui est acceptable à la majorité devrait se trouver transformé en loi, mais tout ce que la majorité souhaite n'est pas, par le fait même, matière à législation. Au contraire, comme la Cour suprême l'a si bien dit elle-même, il y a, au Canada, au moins quatre principes qui viennent qualifier les droits des majorités: les droits des minorités, le fédéralisme, le constitutionnalisme et la primauté du droit. Il n'est donc pas exagéré de dire qu'en démocratie, même les majorités sont tenues de respecter la justice et l'équité. Il y va de la nature même de la démocratie.

• 1040

[Traduction]

Enfin, comme nous avons pu le constater, l'appui à la souveraineté fluctue énormément avec le temps, alors que tant les souverainistes que les fédéralistes se fondent sur nos institutions, celles du Canada et du Québec, comme fondement de leur vie quotidienne et de leurs rêves d'avenir. Il est donc justifié, sur le plan tant moral que pratique, de s'attendre à une expression plus ferme et plus durable de la volonté des Québécois de donner suite au projet de souveraineté que celle que donne une majorité simple de 50 p. 100 plus un.

[Français]

On ne change pas de pays comme on change de chemise.

[Traduction]

Il s'agit là d'une décision lourde de conséquences. S'imaginer qu'on peut se réveiller un beau matin et prendre une décision pareille à la suite de la plus récente querelle entre Ottawa et Québec au sujet du contrôle du trafic aérien, de la taxe de vente ou de banales bourses d'études universitaires, c'est nier la gravité et la grandeur de la décision de former un pays.

Dans un autre ordre d'idées, le projet de loi C-20 suscite aussi les critiques parce que, dit-on, il omet de préciser le niveau d'appui qui serait acceptable; de ce fait, le gouvernement qui serait au pouvoir pourrait simplement refuser de négocier, peu importe l'ampleur du vote en faveur de la souveraineté. Permettez- moi de dire d'entrée de jeu que je partage l'avis de ceux qui critiquent le projet de loi parce qu'il ne fixe pas le seuil référendaire minimal qui déclencherait l'obligation pour le Canada de négocier, mais il faudrait aussi prendre en compte le passage du temps.

Je me contenterai pour l'instant de dire que l'idée qu'on puisse ne pas tenir compte d'un résultat clair sur une question claire va manifestement à l'encontre tant du principe du droit, tel qu'il a été énoncé par la Cour suprême du Canada, que des considérations politiques d'ordre pratique. L'expression claire de la volonté politique du Québec de se séparer conduirait au chaos tant au Québec que dans le reste du pays à cause de l'incertitude qui en découlerait. Il faudrait absolument qu'il y ait négociations.

Je ferai aussi remarquer que la loi référendaire du Québec n'oblige pas le Québec à entamer des négociations advenant que le vote soit favorable. Il ne faut pas oublier que cette loi s'appelle, non pas la Loi sur la législation populaire, mais bien la Loi sur les consultations populaires. Ce sont deux choses complètement différentes. Il appartiendrait aux chefs politiques des deux côtés de résoudre la question par les moyens politiques habituels.

Sur ce point, je citerai de mon ancien patron, Robert Burns, qui, en 1977, a dit ceci au sujet de sa loi référendaire.

[Français]

    C'est pourquoi, dans la situation actuelle, un référendum ne peut avoir qu'une valeur consultative, même si cette valeur consultative ne diminue en rien la valeur morale d'un référendum auprès du gouvernement, qui ne pourra, je pense bien, impunément passer outre à une volonté populaire clairement et largement exprimée.

Monsieur le président, j'avais d'autres commentaires à faire, surtout sur le rôle du Parlement fédéral par rapport à celui de l'Assemblée nationale, mais je vois que mon temps est écoulé. Peut-être aurons-nous la possibilité d'y revenir pendant le temps réservé aux questions. Je vous remercie de m'avoir écouté si attentivement.

[Traduction]

Le président: Monsieur Jaffer.

M. Rahim Jaffer (Edmonton—Strathcona, Réf.): M.rci, monsieur le président.

Monsieur Crowley, vous avez indiqué clairement que la majorité insuffisante fondée sur la règle de 50 p. 100 plus un n'est pas, selon vous, celle qui convient. Cela m'amène toutefois à me poser deux questions.

Premièrement, vous rendez-vous compte qu'il est presque dommageable de commencer à parler de modifier cette règle des 50 p. 100 plus un après qu'elle a déjà servi de base ni plus ni moins à la tenue de trois référendums précédents.

Deuxièmement, quelle serait alors une majorité acceptable, selon vous, ou que proposeriez-vous comme seuil? Nous espérons pouvoir apporter une certaine clarté au projet de loi quant à ce qui constitue une majorité claire. Que recommanderiez-vous à cet égard?

M. Brian Crowley: Je crois qu'elle est très utile et qu'elle appelle plusieurs éléments de réponse.

Premièrement, il faut tenir compte tant de l'histoire que de la façon dont la situation a changé par suite de la décision de la Cour suprême. Si on fait un retour en arrière pour voir quelle était la position du gouvernement fédéral qui était au pouvoir au moment de ces référendums précédents, il n'est pas du tout clair que, dans chaque cas, il était prêt à accepter un résultat même de 50 p. 100 plus un lors de ces scrutins référendaires.

M. Trudeau avait d'ailleurs bien fait savoir, dans plusieurs discours que

[Français]

si vous frappez à la porte de la souveraineté-association, il n'y a personne derrière cette porte.

[Traduction]

Il me semble donc que ce n'est pas être fidèle à l'histoire que de dire que le gouvernement fédéral a accepté la règle des 50 p. 100 plus un lors des référendums précédents.

• 1045

La Cour suprême est venue ajouter un élément de plus en disant très clairement—et c'est là un leitmotiv de vos audiences—qu'il faut une majorité claire. Il est évident pour moi, que la Cour suprême a parlé, non pas d'une majorité ou d'une majorité faible, mais d'une majorité claire. Si elle avait voulu parler de la majorité simple, ou simplement de la majorité, telle qu'on l'entend habituellement, il lui aurait été parfaitement loisible de le faire. Elle a toutefois décidé de parler d'une majorité claire. C'est là un choix qui n'est pas sans signification.

J'estime que le gouvernement fédéral est parfaitement en droit de chercher à étoffer les principes énoncés par la Cour suprême du Canada. Je comprends pourquoi il n'a pas voulu fixer de seuil décisionnel précis dans son projet de loi.

La Cour suprême du Canada dit explicitement dans sa décision qu'il faut examiner le résultat en tant que tel. La question ne peut pas être décidée de manière abstraite, puisque chaque résultat référendaire sera obtenu dans un ensemble précis de circonstances dont il faudra tenir compte. Je suis toutefois d'avis que cela n'empêche pas pour autant le gouvernement fédéral de dire que, peu importent les circonstances, il y un seuil minimal qui s'impose pour que nous acceptions même de discuter de la question de savoir si le résultat entraîne l'obligation de négocier qui a été énoncée par la Cour suprême.

Pour ma part, j'estime que le seuil devrait être de 50 p. 100 plus un de tous ceux qui ont le droit de vote au Québec. Il s'agit là d'une considération d'ordre stratégique.

M. Rahim Jaffer: Mon autre question concerne toute cette idée des négociations. De toute évidence, pour que le reste du pays et le gouvernement fédéral prennent au sérieux le résultat d'un scrutin tenu au Québec, il faudrait à tout prix que la question soit claire et simple et que toutes les parties négocient ensuite de bonne foi. À votre avis, comment la question devrait-elle être formulée et que feriez-vous comme recommandation au Québec pour faire en sorte que la question soit claire? D'après vous, quel serait le rôle du reste du pays dans les négociations? Pourriez-vous nous dire quels seraient certains des éléments importants sur lesquels les négociations devraient porter, et qui devraient à tout le moins être précisés avant que le projet de loi sur la clarté ne soit adopté?

M. Brian Crowley: Vous avez posé une longue série de questions complexes. Si vous vous rendez compte quand j'aurai terminé que je n'ai pas répondu à certaines de vos questions, rappelez-le moi.

Il me semble que le projet de loi sur la clarté prend bien soin de ne pas porter atteinte aux prérogatives de l'Assemblée nationale. Il ne dit pas que le gouvernement fédéral doit être consulté sur la question, et il ne dit pas que le gouvernement fédéral a un rôle à jouer dans la formulation de la question que l'Assemblée nationale devra adopter.

Il dit simplement, que, conformément à la décision de la Cour suprême du Canada, le gouvernement fédéral a un pouvoir de discrétion quant à la suite à donner à un éventuel résultat référendaire, et ce, en fonction de la question. Il doit notamment, dans l'exercice de ce pouvoir de discrétion que lui confère la Cour suprême, tenir compte de la qualité de la question. C'est là une considération qui semble parfaitement légitime. Aussi je ne pense pas qu'il serait acceptable—je crois même que cela pourrait nuire à la cause que le projet de loi vise à défendre—, que nous cherchions à donner quelque rôle que ce soit au gouvernement fédéral dans la formulation de la question. Le projet de loi ne fait que demander au gouvernement fédéral de porter un jugement sur la question.

Cela nous amène à la question de savoir ce que devraient faire le gouvernement québécois et l'Assemblée nationale du Québec pour faire en sorte que le gouvernement fédéral soit obligé de se rendre à l'évidence que la question est claire. C'est là la deuxième étape à mon avis. Le projet de loi indique clairement que, pour se prononcer sur la clarté de la question, le gouvernement fédéral doit notamment tenir compte, par exemple, de la réaction des autres partis à l'Assemblée nationale, des acteurs politiques légitimes de la scène politique québécoise. J'ose penser par conséquent que, si le gouvernement du Québec voulait accroître considérablement les chances que le gouvernement fédéral ne puisse pas contester la clarté de sa question, il modifierait sa loi référendaire de manière à préciser qu'il faudra l'aval d'au moins un des autres grands partis à l'Assemblée nationale. Il pourrait exiger par exemple que la question référendaire soit adoptée aux deux tiers des voix à l'Assemblée nationale. Cette façon de faire n'est d'ailleurs pas sans précédent. Il faut deux tiers des voix à l'Assemblée nationale pour nommer le directeur général des élections, et il faut aussi les deux tiers des voix pour approuver la nomination du Vérificateur général. La décision de quitter le pays est sûrement au moins aussi importante que ces autres décisions. Là encore, il appartient toutefois exclusivement au gouvernement du Québec et à l'Assemblée nationale du Québec de prendre cette décision, et il devrait en être ainsi.

• 1050

Le président: Le prochain à poser des questions sera M. Turp.

[Français]

Monsieur Turp, voulez-vous poser une question?

M. Daniel Turp: Non, c'est M. Guimond.

Le président: Très bien. Monsieur Guimond.

M. Michel Guimond: Monsieur Crowley, vous semblez bien connaître la politique québécoise et la dichotomie qui existe entre les deux principaux partis présents à l'Assemblée nationale du Québec. Selon vous, est-ce que le Parti libéral du Québec est un parti d'obédience davantage fédéraliste que souverainiste?

M. Brian Crowley: Totalement, et je crois que c'est la question qui divise le plus la population québécoise au plan politique.

M. Michel Guimond: Parfait. Selon vous, Robert Bourassa était-il un leader fédéraliste?

M. Brian Crowley: À quelques nuances près.

M. Michel Guimond: Quelles sont ces nuances?

M. Brian Crowley: Évidemment, à la suite de l'échec de l'Accord du lac M.ech, M. Bourassa a laissé planer la menace d'un référendum sur l'indépendance ou sur une option politique autre que le fédéralisme, mais je crois que, tout compte fait, il était clairement le chef des forces fédéralistes au Québec.

M. Michel Guimond: Vous vous rappelez sûrement que le Parti libéral du Québec a été réélu et que M. Bourassa lui-même a été reporté au pouvoir en 1985 et réélu en 1989 avec un nombre de sièges assez confortable. Vous vous en souvenez?

M. Brian Crowley: Oui, bien sûr.

M. Michel Guimond: Vous avez dit tout à l'heure qu'en 1982, le rapatriement unilatéral de la Constitution par M. Trudeau avait semblé obtenir, non pas l'assentiment majoritaire de la population, mais un certain assentiment de la population. Comment se fait-il que l'Assemblée nationale ait dénoncé à l'unanimité ce coup de force, ce rapatriement unilatéral de la Constitution? Quand je parle de l'unanimité de l'Assemblée nationale, je parle des députés du Parti québécois et des députés libéraux fédéralistes du Québec, du Parti libéral du Québec.

M. Brian Crowley: Je n'ai pas dit le contraire. Je ne parlais pas de l'opinion de l'Assemblée nationale; je parlais de l'opinion publique. Selon les sondages et selon toutes les indications sur la qualité de l'opinion publique de l'époque, il était très clair que la majorité de la population appuyait le geste du gouvernement de M. Trudeau.

C'est évident que l'Assemblée nationale était contre. Le changement constitutionnel de 1982 a changé les règles du jeu face à l'Assemblée nationale pour ce qui est de l'évolution constitutionnelle du Canada. L'Assemblée nationale était libre d'adopter la position qu'elle voulait. Je peux vous dire également que la vaste majorité des députés élus par les Québécois à la Chambre des communes ont voté oui. On a donc eu deux expressions de la volonté démocratique des Québécois face à l'amendement de 1982. Où voulez-vous en venir?

M. Michel Guimond: Qu'est-ce qui prévaut dans un tel cas? Est-ce que ce sont les sondages qui prévalent ou si ce sont les députés membres d'un parti majoritairement élu à l'Assemblée nationale? Vous semblez donner aux sondages une préséance qui n'est prévue nulle part.

M. Brian Crowley: Je trouve malheureux, comme vous sans doute, qu'on n'ait pas consulté la population à ce moment-là. Il n'y a aucun doute dans mon esprit quant au résultat qu'on aurait obtenu. Je crois que ça aurait été l'endossement, par la population du Québec et du reste du pays, de la décision de M. Trudeau, mais c'est seulement mon opinion et on ne peut pas vérifier. Je sais par contre très clairement que le gouvernement du Québec était contre l'idée d'une consultation populaire de la part du fédéral, justement parce que le gouvernement du Québec craignait le résultat.

M. Daniel Turp: Eh bien, non! Voyons donc!

M. Michel Guimond: C'est abominable!

• 1055

M. Daniel Turp: M. Lévesque voulait la négociation. Vous ne connaissez pas votre histoire.

Le président: À l'ordre. À l'ordre, s'il vous plaît. On a posé des questions au témoin. Le témoin a la parole.

Des voix: Oh, oh!

M. Michel Guimond: Vous semblez être une sommité en matière de connaissances de l'histoire politique du Québec. Pourquoi le premier ministre Bourassa, fédéraliste—je parle de Bourassa deux—, pendant la période de 1985 à 1994, n'a-t-il pas ratifié la Constitution? Pourquoi ne l'a-t-il pas fait, selon vous?

M. Brian Crowley: Eh bien, je crois qu'il y a deux raisons à cela. Premièrement, j'ai dit qu'il y avait une distinction à faire entre l'opinion du public et l'opinion de la classe politique. La classe politique était contre, pour toutes les raisons qu'on connaît.

Deuxièmement, par la suite, après l'adoption de l'amendement constitutionnel, il y a eu, au Québec, un effort de fait afin de changer l'opinion publique là-dessus. Cet effort a très bien réussi, et je le reconnais. Aujourd'hui, le résultat d'un tel référendum sur l'accord de 1982 serait sans doute différent. Je n'ai pas dit que cette chose se passerait aujourd'hui. J'ai parlé de 1982, au moment du rapatriement. On ne parle pas de l'avis des gens 15 ans après la souveraineté. On parle de l'opinion des gens au moment où le projet a été proposé. Quelle est la pertinence, 15 ans plus tard, de la question de l'attitude des chefs politiques ou de la population?

M. Michel Guimond: À quel endroit votre institut est-il basé? Vos membres font-ils affaire avec le Québec?

M. Brian Crowley: Notre institut est un institut de recherche en politique publique, comme l'Institut de recherche en politique publique à Montréal ou l'Institut C.D. Howe à Toronto.

Nous n'avons pas énormément de membres. On a un conseil d'administration dont au moins un membre réside au Québec, mais la grande majorité de nos membres sont dans la région Atlantique. D'ailleurs, on s'occupe surtout de questions politiques en Atlantique.

Le président: M.rci.

Monsieur Blaikie.

[Traduction]

M. Bill Blaikie: Monsieur le président, toujours dans cette ligne de pensée, j'arrive à peine à maîtriser mon impatience d'entendre mes collègues du Bloc citer à nouveau les résultats d'un sondage...

Des voix: Oh, oh!

M. Bill Blaikie: ...surtout sur cette question, ou sur n'importe quelle autre, car on ne tarderait pas à leur rappeler le mépris avec lequel ils accueillent ces instruments visant à mesurer l'opinion publique.

Je voudrais poursuivre la discussion sur le rapatriement de 1982. Je sais que la question est plus ou moins pertinente, mais elle ne cesse de revenir sur le tapis. Les témoins que nous avons entendus avant vous en ont parlé dans leur exposé. C'est depuis longtemps un sujet de discorde. Le témoin voudrait peut-être en dire plus long à ce sujet après que j'aurai terminé mes observations.

J'étais là à l'époque, en 1981-1982, lors du débat sur le rapatriement, et je crois que c'est une erreur, assez répandue, que de dire que c'est quelque chose que le reste du Canada a fait envers et contre le Québec, si on veut, car c'est bien plus compliqué que cela. Vous avez fait allusion au fait que c'est bien plus compliqué que cela. Vous avez parlé de l'opinion publique au Québec à l'époque. Je ne me souviens pas à vrai dire de ce que disaient les sondages, mais je me contente pour l'instant pour vous croire sur parole.

Je tiens aussi à dire, en tant que député qui siégeait à la Chambre des communes à l'époque, en tout cas en tant que personne de l'extérieur du Québec cherchant à savoir si ce rapatriement unilatéral était considéré comme complètement illégitime au Québec, que j'ai eu du mal à accepter pareille conclusion, étant donné que 74 députés québécois à la Chambre des communes sur 75 l'appuyaient.

• 1100

Si donc il y a eu offense du fait du rapatriement prétendument unilatéral... il n'a pas été tout à fait unilatéral. Le rapatriement ne saurait être considéré comme unilatéral que dans l'optique du Québec par rapport au Canada. Or, il n'y avait pas que le gouvernement du Canada qui était en cause; il y avait aussi les autres provinces. Dans ce sens, le rapatriement n'était pas unilatéral.

Si donc il y a eu offense, il me semble que c'est du fait que les Québécois n'arrivaient pas à s'entendre entre eux comme cela arrive souvent et comme c'est le cas à l'heure actuelle. Le débat est présenté comme un débat entre le Canada et le Québec alors qu'il oppose plutôt un groupe de Québécois à un autre groupe de Québécois, comme c'est invariablement le cas à notre comité et à d'autres tribunes.

En 1982, 74 des 75 députés québécois appuyaient un rapatriement et n'y voyaient pas un affront grave.

Je me demande simplement si vous pourriez nous en dire un peu plus à ce sujet. J'ai parfois l'impression que le débat est mal présenté.

M. Brian Crowley: Il est très important, à mon avis, de se rappeler que la société québécoise a une identité double. Ainsi, contrairement à certaines des affirmations qui ont été faites par ceux qui m'ont précédé,

[Français]

le peuple canadien comprend tous les Canadiens qui habitent le territoire du Canada, y compris les Québécois. Les Québécois sont à la fois Québécois et Canadiens. On ne peut pas faire disparaître cette réalité. Il ne faut pas prendre ses rêves pour la réalité. Donc, en 1982, la personnalité double des Québécois se trouvait en conflit avec elle-même. Il y avait le côté canadien, représenté de façon très légitime et très démocratique à la Chambre des communes par une majorité de 74 députés québécois sur 75, qui étaient, eux, très fortement en faveur du projet de rapatriement, contrairement à l'Assemblée nationale, qui était unanimement contre le projet.

Est-ce que cela veut dire que le Québec tout entier, dans l'ensemble de sa personnalité, était contre le projet? Je pense que la réponse est claire. C'est non. Je dois ajouter que j'étais personnellement contre le projet de 1982, mais ça, c'est une autre question. J'étais contre le projet à son mérite.

Le président: Monsieur Bachand.

M. André Bachand: Monsieur le président, il y a plusieurs questions. Pour ma part, je vais m'attaquer au projet de loi C-20. Entre vous et moi, on est ici pour cela. Vous avez souhaité, tout en reconnaissant que c'est à l'Assemblée nationale de décider ce qui serait souhaitable pour aider après un votre positif sur la souveraineté, que l'Assemblée nationale se prononce aux deux tiers en faveur de la question. Quel pourcentage devrait-on exiger à la Chambre des communes lorsqu'il s'agirait de se prononcer sur la clarté de la question?

M. Brian Crowley: C'est une bonne question. Je n'y avais pas réfléchi.

M. André Bachand: Je pense que c'est important. On demande souvent à d'autres de faire des choses qu'on n'est pas capable de faire soi-même. J'aimerais avoir votre opinion, vous qui avez travaillé entre autres aux négociations menant à l'Accord du lac M.ech. Dans le projet de loi, on ne parle ni du Parlement ni du gouvernement, mais de la Chambre des communes. Comment voyez-vous le rôle du Sénat dans le système parlementaire ou constitutionnel canadien?

M. Brian Crowley: Il est très clair qu'on a déjà fait une distinction entre le rôle de la Chambre des communes et celui du Sénat au plan constitutionnel. D'ailleurs, dans la formule d'amendement, on voit bien que le Sénat a seulement ce qu'on appelle un suspensive veto. Le Sénat peut retarder de six mois l'adoption d'un amendement constitutionnel, mais n'a pas de droit de veto. Donc, déjà, on fait une distinction entre les deux Chambres, distinction légitime, à mon sens, parce que le Sénat n'a pas de mandat démocratique. Par contre, si on veut impliquer le Sénat, j'y vois peu d'objections.

M. André Bachand: Vous nous avez donné une liste de régimes de droit, de ceci et de cela qui seraient à négocier après un vote positif. Auriez-vous aimé retrouver ces choses dans C-20?

• 1105

M. Brian Crowley: Non. D'ailleurs, ce n'est pas tout à fait ce que j'ai dit. J'ai dit que personne ne peut nous dire quels seraient les régimes de droit, etc. dans un Québec indépendant parce que cela devrait être défini par une nouvelle société.

M. André Bachand: La Cour suprême a parlé d'acteurs politiques. Quelle est votre définition des acteurs politiques? Comment interprétez-vous ce que la Cour suprême a dit?

M. Brian Crowley: Évidemment, la Cour suprême a laissé un peu d'ouverture quant à la définition. Si la Cour suprême avait voulu dresser une liste définitive, elle aurait pu le faire. Elle ne l'a pas fait. On peut présumer que la liste minimale comprendrait évidemment, au niveau des négociations, les gouvernements et les assemblées législatives de toutes les provinces; elle comprendrait aussi les partis politiques représentés dans toutes les assemblées législatives. Je pense qu'on parle aussi des autochtones, quoique la décision est un peu ambiguë si les autochtones y participent...

M. André Bachand: Monsieur Crowley, excusez-moi de vous couper la parole, mais le temps est très serré ici. Selon vous, dans quel paragraphe de l'opinion de la Cour suprême dit-on spécifiquement que le gouvernement fédéral devra prendre en charge l'analyse d'une question claire et d'une majorité claire?

M. Brian Crowley: La décision de la Cour suprême dit que le gouvernement fédéral ainsi que d'autres acteurs du système politique canadien devront répondre à un vote.

M. André Bachand: Souhaiteriez-vous que les législatures provinciales, qui sont aussi implicitement ou explicitement nommées, selon ce que vous venez dire, mais dont on parle très rarement dans l'opinion de la Cour suprême—on parle d'acteurs politiques—, adoptent un projet de loi similaire?

M. Brian Crowley: Je pense que les autres gouvernements ont la possibilité d'adopter des lois qui pourraient définir leur point de vue sur d'éventuelles négociations.

M. André Bachand: À quel paragraphe de l'opinion de la Cour suprême dit-on que les acteurs politiques—ici, on résume cela en parlant de la Chambre des communes—doivent analyser la question avant qu'elle ne soit posée?

M. Brian Crowley: Il est très clair que la discrétion du gouvernement fédéral s'exercerait après le résultat référendaire, mais cela ne veut pas dire que le gouvernement fédéral ne peut pas annoncer à l'avance les critères qu'il appliquera à l'analyse d'une telle question.

M. André Bachand: Quels critères retrouve-t-on dans le projet de loi?

M. Brian Crowley: Justement, la Cour suprême a expliqué qu'il fallait juger le résultat selon les circonstances.

M. André Bachand: Donc, vous nous dites que le projet de loi n'est pas clair.

M. Brian Crowley: Non, je n'ai pas dit cela. Je pense que la Cour suprême a dit que le gouvernement fédéral avait une discrétion et que le projet de loi dit très clairement que le gouvernement fédéral va juger de la qualité du vote et de la décision après coup. Le gouvernement fédéral essaie de clarifier le processus par lequel il va en arriver à une décision. Je pense que c'est tout à fait légitime.

Le président: Madame Redman, vous avez la parole.

[Traduction]

Mme Karen Redman (Kitchener-Centre, Lib.): M.rci, monsieur le président.

J'ai deux questions pour M. Crowley. Si la formule des 50 p. 100 plus un est la règle universelle d'après le Bloc et le PQ, pourquoi ne la retrouve-t-on pas noir sur blanc dans la Loi référendaire du Québec?

M. Brian Crowley: Cela s'explique, bien entendu, par des raisons constitutionnelles. Comme vous le savez sans doute, en vertu de notre régime juridique et constitutionnel, seules les assemblées législatives sont autorisées à adopter des lois, et ces assemblées maintiennent leur entière discrétion quant aux lois qu'elles adoptent. Par conséquent, toute loi référendaire au Canada est de nature consultative. Autrement dit, elle vise à demander à la population son avis, après quoi le gouvernement exerce sa discrétion pour ce qui est de savoir s'il doit donner suite à l'avis ainsi exprimé.

Je suppose que le Québec aurait pu préciser dans sa loi référendaire que toute proposition soumise à la population et qui recueillerait moins de 50 p. 100 plus un des voix ne saurait être retenue par le gouvernement, mais ce n'est pas ce qu'il a fait. En fait, cette loi permet en principe au gouvernement d'adopter une proposition qui aurait été complètement rejetée par l'électorat, puisqu'elle ne l'oblige aucunement à respecter le résultat de la consultation ni même à y accorder quelque importance que ce soit.

• 1110

Mme Karen Redman: Pensez-vous que l'idée d'un partenariat comme celui qui est présenté par le Bloc et les péquistes est réaliste?

M. Brian Crowley: Le Québec et le Canada sont depuis des siècles inextricablement liés par l'action humaine, par l'intermariage, par les relations commerciales et politiques et par tous les autres éléments imaginables. Il est à peu près impossible de les séparer à mon avis. Aussi j'estime que, si le Québec et le Canada en arrivaient au stade où l'un des deux disait, il faut que ça change, sinon nous allons partir, il faudrait que le reste du pays prenne cette déclaration très au sérieux. Il ne pourrait en être autrement. Je ne crois toutefois pas qu'il soit acceptable, juste ou clair que le gouvernement du Québec ou quelque gouvernement que ce soit suppose qu'il sera effectivement possible de négocier un partenariat avant d'en avoir négocié un.

Si donc la question est de savoir si le Québec devrait devenir indépendant, c'est là la question qu'il convient de poser. Si la question est de savoir si on veut conclure un nouvel arrangement avec le Canada, il faudrait définir une proposition en ce sens, la négocier et la soumettre ensuite à l'approbation de la population. Ce sont toutefois deux questions distinctes. J'estime qu'il est tout à fait inacceptable, si tant qu'on veut une expression claire de la volonté démocratique, de mêler les deux.

Mme Karen Redman: M.rci.

Le président: Monsieur Scott, vous avez la parole.

M. Andy Scott (Fredericton, Lib.): M.rci beaucoup.

J'aimerais que vous nous disiez dans quelle mesure le processus à l'étude ou les circonstances dans lesquelles pourrait se tenir un référendum sur la sécession au Canada se compare à ce qui existe ou n'existe pas de semblable ailleurs. Nous entendons beaucoup parler de démocratie ou d'absence de démocratie dans le présent débat, et il me semble que ce qui est proposé est une façon très civilisée de s'y prendre relativement à une question aussi fondamentale. Qu'en pensez-vous?

M. Brian Crowley: Vous me demandez quelle procédure il existe dans d'autres pays pour la tenue d'un référendum semblable sur des questions fondamentales comme celles qui nous occupent?

M. Andy Scott: Si un territoire des États-Unis voulait se séparer, comment cela se ferait-il?

M. Brian Crowley: Ce serait la guerre. Nous en avons déjà eu un exemple.

M. Andy Scott: Ce que nous avons ici est certainement préférable à cela.

M. Brian Crowley: Cela ne fait aucun doute. Je m'explique. Je ne dis pas que nous voulons d'une guerre au Canada. La question était quelle serait la réaction aux États-Unis? Je n'ai fait que citer cet exemple de l'histoire. Qu'on n'aille pas m'accuser d'avoir dit qu'il devrait y avoir une guerre. Ce n'est pas ce que j'ai dit.

La question était: quelle est l'expérience internationale à cet égard? On m'a plus précisément interrogé au sujet de l'expérience américaine. J'ai d'ailleurs eu l'occasion de discuter avec bien des Américains de la possibilité de la sécession du Québec. Les Américains sont des êtres étranges. Ils sont parfaitement inconscients à bien des égards de ce qui se passe dans le reste du monde. Beaucoup d'entre eux m'ont dit: nous avons pourtant réglé cette question dans les années 1860. Je dois sans cesse leur rappeler qu'ils ne l'ont réglé que pour eux-mêmes.

Il me semble que l'examen de la pratique internationale en matière de référendum vous permettrait de constater qu'elle varie énormément. Je ne suis pas sûr qu'il nous sera vraiment utile de nous reporter à l'expérience internationale pour résoudre cette question très difficile. J'estime qu'il nous faut décider nous- mêmes, Canadiens et Québécois ensemble, de ce qui constitue un ensemble de règles acceptables. Si nous voulons mettre la barre un peu plus haut que d'autres ou un peu plus bas, j'estime que nous avons parfaitement le droit de faire cela dans le cadre de notre démarche à nous pour définir ce que c'est que d'être Canadien. Je n'en ai pas honte. C'est à nous de décider de ce qui est acceptable à nos yeux.

[Français]

Le président: Je regrette, mais les cinq minutes sont déjà écoulées.

[Traduction]

Monsieur Hill.

M. Grant Hill: M.rci, monsieur le président.

Vous avez dit au départ que le projet de loi pourrait être amélioré. Vous êtes très satisfait du fond et de la forme, comme moi. Vous avez proposé de fixer le seuil minimal à 50 p. 100 plus un de tous ceux qui ont le droit de vote.

M. Brian Crowley: Oui.

M. Grant Hill: Avez-vous d'autres propositions à nous faire quant à la façon d'améliorer le projet de loi?

M. Brian Crowley: C'est la principale amélioration qui me vient à l'esprit. Si nous voulons effectivement assurer le respect du principe de la clarté, je crois que nous devons le faire dans le contexte des règles qui ont été énoncées par la Cour suprême.

J'estime que la Cour suprême a posé des obstacles difficiles en travers de notre chemin, bien qu'elle ait aussi clarifié certaines choses. Dans sa décision, la Cour suprême dit clairement que les acteurs politiques du Canada et du Québec doivent porter un jugement qualitatif une fois que le résultat du référendum sera connu, une fois que la question sera connue.

• 1115

Il est donc très difficile pour nous de préciser de façon vraiment détaillée quelle sera l'attitude du gouvernement fédéral, de préciser ce qu'il considérera comme un seuil acceptable. J'estime que, dans l'ensemble, le projet de loi est un compromis raisonnable qui tente, d'une part, d'assurer la clarté du processus et qui tient compte, d'autre part, des paramètres que nous a imposés la Cour suprême.

M. Grant Hill: Sera-t-il utile, à votre avis, d'y inclure des indications plus précises quant à la façon dont les autres provinces seraient consultées? Supposons que ce soit la Colombie- Britannique qui décide de se séparer. Le projet de loi n'est pas très précis quant à la façon de consulter les provinces; s'il y a un mécanisme officiel pour que les provinces... serait-il utile de fixer un mécanisme plus officiel qui permettrait de consulter les provinces?

M. Brian Crowley: Pour la même raison pour laquelle je crois qu'il est important que la loi n'empiète pas sur les prérogatives de l'Assemblée nationale, j'estime qu'il est également important qu'elle n'empiète pas sur les prérogatives de l'assemblée législative des autres provinces. Effectivement, je pense que nous constaterons que dans les différentes provinces, il y aura divers points de vue sur la façon de procéder. Cela va peut-être au-delà de ce qu'il serait sage à ce moment-ci de faire en limitant la marge de négociation du gouvernement fédéral ou sa capacité de consulter les provinces comme il le juge nécessaire, étant donné les circonstances des résultats d'un référendum éventuel.

M. Grant Hill: Une question dont on a parlé—et il s'agit là d'une question qui soulève considérablement la controverse—est la capacité des autochtones du Québec de demeurer au sein du Canada. Ils ont déjà exprimé leur volonté dans ce sens. Il y a ceux qui disent que si le Québec est divisible... Écoutez, de toute évidence les Québécois disent que le Canada est divisible. Pourriez-vous nous dire ce que vous en pensez?

M. Brian Crowley: Vous avez soulevé deux points extrêmement importants. Permettez-moi de les aborder tous les deux.

Tout d'abord, en ce qui concerne les autochtones, je crois que cela est tout à fait approprié pour un gouvernement ou une assemblée législative provinciale d'établir des principes sur lesquels se basent ses politiques. Dans ce cas, le principe de l'Assemblée nationale et du gouvernement du Québec veut que la population du Québec forme un peuple et que les peuples ont des droits, et parmi ces droits figure celui de l'autodétermination. Il faut alors se poser la question légitime suivante: Est-on prêt à appliquer ce droit de façon uniforme, ou cherche-t-on tout simplement à obtenir que quelque chose pour soi-même que l'on nÂest pas prêt à accorder à d'autres?

Si la position du gouvernement du Québec et de l'Assemblée nationale est également de

[Français]

le peuple autochtone est un peuple au même titre que les Québécois,

[Traduction]

alors il me semble très clair que les droits qui s'appliquent aux Québécois doivent s'appliquer aux autochtones. Je ne suis pas d'accord avec cette façon de voir les choses, mais il faut se poser la question légitime suivante: y a-t-il uniformité? Si le

[Français]

peuple autochtone est un peuple au même titre que les Québécois,

[Traduction]

alors il a le droit à l'autodétermination et il a le droit d'occuper son territoire et de déterminer quelle allégeance nationale ce territoire devrait avoir. Si le peuple autochtone a une allégeance au Canada et exprime cette allégeance par des moyens démocratiques légitimes comme un référendum, alors je pense qu'il est tout à fait libre de le faire. Il serait tout à fait inopportun pour une majorité du peuple québécois, tel que l'entend l'Assemblée nationale, d'empiéter sur ce droit.

Le président: Monsieur Scott, une seule question, qui mettra fin à notre entretien avec le témoin.

[Français]

Des voix: Non, non, monsieur le président.

Le président: Vous avez pris la parole deux fois au dernier tour.

[Traduction]

Vous avec une question.

M. Andy Scott: M.rci beaucoup.

Nous avons beaucoup parlé de la clarté de la question et de la clarté qualitative pour ce qui est du nombre en ce qui concerne la majorité. J'aimerais savoir tout simplement ce que vous pensez de ce que j'ai appelé précédemment la durée de vie de la formule «expression de la volonté». Nous n'en avons pas beaucoup parlé, pourtant nous avons eu deux référendums avec les résultats que nous connaissons. Combien de temps dure l'expression de la volonté?

• 1120

M. Brian Crowley: Je ne suis pas certain qu'il y a une réponse simple à cette question. Croyez-moi, je comprends l'importance de la question, mais je ne suis pas certain qu'il y ait une réponse simple. Si nous prenons l'élection d'un gouvernement, l'expression de la volonté lors d'une élection parlementaire dure jusqu'à la prochaine. J'hésiterais à dire la même chose au sujet du résultat d'un référendum, qui ne se répétera peut-être pas avant 20 ou 30 ans.

Encore une fois, je n'essaie pas d'éviter la question, mais je pense que la bonne réponse, c'est qu'il s'agit là d'une question de d'appréciation politique et qu'il est possible de prendre une décision uniquement dans les circonstances. Un référendum qui aurait pour résultat un vote de 90 p. 100 à la suite d'une question claire a une durée de vie plus longue qu'avec 50 ou 51 p. 100 du vote, car c'est une expression plus claire, plus directe, de la volonté démocratique d'une société entière plutôt que d'une majorité étroite. Je pense que c'est tout ce que je peux dire à ce sujet.

Le président: Monsieur Crowley, nous vous remercions de votre témoignage ce matin. Je suis désolé que nous n'ayons plus de temps. Je sais qu'il y a beaucoup d'autres questions que les députés aimeraient vous poser, mais nous devons nous arrêter ici.

M.rci. Nous vous remercions d'être venu, monsieur.

M. Brian Crowley: Je remercie le comité de m'avoir écouté aussi respectueusement. M.rci.

Le président: Nous allons faire une toute petite pause avant d'entendre nos témoins suivants.

• 1121




• 1125

Le président: Silence, s'il vous plaît. Nous pourrions peut-être reprendre la séance.

Nos prochains témoins sont deux personnes qui comparaissent à titre personnel: le professeur Robert Ware, de l'Université de Calgary, et

[Français]

la professeure Jocelyne Couture de l'Université de Montréal.

Je vous souhaite à tous deux la bienvenue au comité.

[Traduction]

Nous sommes ravis que vous soyez ici et nous vous remercions de prendre le temps de comparaître devant notre comité.

[Français]

M. Daniel Turp: Monsieur le président, j'aimerais faire appel au Règlement, s'il vous plaît.

Le président: Oui, certainement, monsieur Turp.

M. Daniel Turp: Je voudrais déposer maintenant deux avis de motion qui se liraient comme suit.

Le président: Pourriez-vous attendre à la fin du témoignage de ces deux témoins que je viens de présenter?

M. Daniel Turp: Je voudrais savoir si les autres motions seront examinées à la fin de leur témoignage. Est-ce qu'il est question d'examiner la motion gouvernementale à ce moment-là?

Le président: Nous avions prévu d'entendre d'autres témoins jusqu'à 13 h 15 au moins.

M. Daniel Turp: Ah bon, d'accord.

Le président: Très bien.

M. Daniel Turp: Je le ferai tout de suite après ces témoignages.

Le président: Très bien.

[Traduction]

Je crois comprendre que les témoins partageront le temps qu'il leur est alloué.

[Français]

Qui voudrait commencer?

Mme Jocelyne Couture (professeure à l'Université de Montréal; représentante des Intellectuels pour la souveraineté, À titre personnel): Je voudrais d'abord vous présenter brièvement le groupe que je représente ici. Il s'appelle les Intellectuels pour la souveraineté et est peut-être mieux connu sous l'acronyme IPSO.

Ce regroupement a été créé en 1995, il y aura bientôt cinq ans, dans le but de favoriser le dialogue sur la question nationale par des interventions publiques, individuelles ou collectives. Quelques semaines après la création du groupe, les IPSO comptaient déjà plus de 500 membres: des écrivains, professeurs et étudiants de toutes disciplines, ainsi que des artistes, tous souverainistes, bien entendu, et manifestant de l'intérêt pour les débats d'idées. En tant que regroupement souverainiste, les IPSO ont tenu dès le début et tiennent encore à marquer leur indépendance par rapport aux partis politiques. Nos principales activités consistent à écrire, aujourd'hui comme par le passé, pour des journaux ou pour des revues spécialisées, à organiser des tables rondes et conférences, et à représenter dans des lieux et des circonstances diverses, comme celle-ci par exemple, un point de vue souverainiste libre de toute ligne de parti.

Je suis ici en tant que représentante des IPSO et je parle en leur nom pour demander au gouvernement canadien de retirer son projet de loi C-20.

J'évoquerai brièvement trois raisons pour lesquelles je fais cette demande. La première raison tient à la clarté, à la clarté du projet de loi. C'est un projet qui porte sur la clarté et dans lequel on peut compter au moins 16 fois le mot «clarté», mais il est obscur, autant par ce qu'il dit que par ce qu'il ne dit pas. Il prétend donner effet à l'exigence de clarté formulée par la Cour suprême, sans dire ce qu'il entend par la clarté. Bref, il nous invite à signer un chèque en blanc au gouvernement, qui pourra ensuite l'utiliser à sa guise.

C'est un projet qui prévoit aussi que les gouvernements de l'ensemble des provinces participeront à une éventuelle négociation postréférendaire, sans dire un mot de ce que sera cette participation. Devrions-nous oublier le fait que la Constitution permet à une ou deux provinces de renverser une décision, comme ce fut le cas dans un passé pas très lointain?

Ce projet laisse donc dans l'ombre et tente de nous faire oublier les échecs du passé en matière d'accord entre les provinces. Il sème aussi la confusion quant à la notion même de majorité en parlant de la simple règle de majorité. La simple règle de majorité, dans le cadre d'un référendum, c'est la majorité absolue, c'est-à-dire 50 p. 100 plus un, et c'est la règle reconnue, de surcroît, dans les consultations populaires.

• 1130

La deuxième raison qui m'amène à demander le retrait de ce projet de loi tient à la démocratie. C'est un projet qui, à sa face même, est une insulte à la démocratie. Il nie les compétences de l'État et de l'Assemblée nationale du Québec.

Il soutient qu'une majorité absolue ne serait pas une majorité claire. Est-ce qu'il faudrait donc demander 60, 70 ou 80 p. 100 des voix? Dans ce cas-là, cela signifie que 40, 30 ou peut-être même 20 p. 100 de la population québécoise pourrait décider du sort de tous les Québécois.

Il confirme encore, comme si cela était nécessaire, la tendance du gouvernement canadien à la judiciarisation du processus politique en voulant régler une fois pour toutes par des lois ce qui devrait être soumis à la volonté du peuple. Le projet de loi C-20, en raison des conséquences qu'il pourrait avoir pour l'avenir des Canadiens, mériterait lui-même de faire l'objet d'un référendum, à la condition, bien sûr, qu'il soit clarifié au préalable.

Finalement, c'est un projet qui entre en contradiction flagrante avec les principes du fédéralisme que le gouvernement prétend vouloir respecter. Non seulement le Canada est-il incapable de reconnaître que plusieurs peuples habitent son territoire, mais il s'apprête à donner une loi qui pervertit l'esprit du fédéralisme en faisant des provinces des entités subordonnées à l'État central.

Le gouvernement trahit ainsi une attitude colonialiste qui n'est pas sans rappeler le régime imposé par l'Acte d'Union de 1840, qui, vous vous en souviendrez, était inspiré du rapport Durham.

Ce projet, s'il devait être accepté, n'enlèverait pas au Québec son droit légitime à l'autodétermination, mais il en compliquerait l'exercice, car il remet en cause les principes démocratiques qui forment les assises de la société québécoise et constitue une invitation non ambiguë à violer ces principes démocratiques. Le fait que le gouvernement consente à proposer un tel projet en Chambre montre bien quel est l'ordre de ses priorités et montre bien aussi l'ampleur de la désinvolture qu'il entretient à l'endroit de la démocratie.

La troisième et dernière raison qui m'incite à demander le retrait de ce projet concerne la procédure qui entoure son adoption. Cette procédure est aussi un affront à la démocratie. Alors que le gouvernement, dans le texte même du projet, se déclare disposé à négocier et offre généreusement à toutes les provinces la possibilité de se prononcer lors d'une prochaine éventuelle négociation postréférendaire, lorsqu'il est question d'adopter ce projet, il étouffe les débats en Chambre et expédie à un rythme d'enfer l'adoption de ce projet qui, je le répète, est obscur, antidémocratique et d'inspiration colonialiste.

Les audiences publiques finalement consenties à l'arrachée ne sont qu'une farce à laquelle il nous faut participer pour la dénoncer. Qui croira que le gouvernement est prêt à consulter, à entendre des arguments et à les soupeser, alors que la tenue d'audiences a été décidée à la dernière minute et que les témoins ont été invités à se présenter dans des délais restreints et en nombre restreint?

Dans ces circonstances qu'il a lui-même créées, le gouvernement aura ensuite beau jeu de déclarer que peu de personnes s'intéressent à ces questions et d'ajouter que cette indifférence généralisée témoigne d'un assentiment généralisé au projet de loi C-20. Pendant ce temps, des groupes et des réseaux se constituent au pays, qui ne sont pas, je le précise, des réseaux souverainistes, pour manifester leur opposition au projet de Loi C-20. Il en a d'ailleurs été question un peu plus tôt ce matin.

La façon dont ces audiences sont tenues enfreint la règle la plus élémentaire que reconnaissent tous les États de droit, à savoir la règle de droit elle-même, qu'on appelle aussi the rule of law. Par le fait même qu'elle affirme la suprématie du droit, la règle de droit exige que la loi soit telle qu'elle puisse être connue des citoyens. Ceci implique une relative stabilité des lois. À plusieurs reprises, le gouvernement a accepté la tenue de référendums sur la souveraineté. Il a laissé l'Assemblée nationale décider de la question référendaire et il a validé les résultats des référendums, en saluant une victoire à chaque fois. Maintenant que le résultat du dernier référendum lui fait craindre une défaite imminente, il s'apprête à changer à toute vapeur, sans consulter la population ou sans même l'informer de façon claire, les règles sur la question référendaire et même la règle de majorité absolue.

Ce geste bafoue les assises mêmes d'une démocratie constitutionnelle et ne laisse planer aucun doute sur les intentions qui inspirent le projet de loi C-20. Ce projet, même amendé en Chambre, respirera toujours la volonté de domination, le mépris des lois, la fourberie et la tricherie institutionnalisées.

• 1135

C'est pourquoi je demande au gouvernement, au nom des IPSO et de tous ceux qui ont jusqu'ici fait preuve d'un attachement à la démocratie, de retirer purement et simplement le projet de loi C-20 et de faire tout en son pouvoir pour effacer jusqu'au souvenir d'un projet qui le déshonore à la face du monde civilisé. M.rci.

Je m'excuse d'avoir lu le texte, mais on ne m'a avertie qu'à la dernière minute que j'avais cinq minutes plutôt que dix. Je vous remercie de votre attention.

[Traduction]

Le président: Monsieur Ware, il vous reste deux minutes.

M. Robert Ware (témoignage à titre personnel): M.rci.

Je veux passer en revue certaines évidences. Tout d'abord, je ferai des observations au sujet du processus. Je parle à titre personnel, mais je suis membre des IPSO. Je suis par ailleurs membre du groupe qui a signé une pétition contre le projet de loi sur la clarté, que j'ai jointe à mes observations.

Une évidence de la démocratie c'est que l'on devrait tenir largement compte des points de vue des citoyens qui représentent de nombreux intérêts. Trop peu de temps a été accordé à l'étude ce projet de loi. Les institutions sont traitées cavalièrement. Par ailleurs, il n'est pas déraisonnable que le gouvernement demande l'avis de la Cour suprême, mais il faut souligner que ce ne sont justement que des avis. Dans une bonne démocratie, les avis doivent être recueillis auprès de nombreuses institutions établies et des citoyens en général. Il est malheureux que l'on permet aussi peu de délibérations dans ce cas-ci.

Le projet de loi C-20 induit en erreur en disant que la Cour suprême a confirmé, déterminé, ou déclaré la signification de quoi que ce soit. Ce sont des choses que le tribunal ne peut faire que lorsqu'il rend une décision. Ces avis, peu importe d'où ils proviennent, ne peuvent que guider les représentants du peuple au Parlement.

En ce qui concerne les démocraties et la majorité, il y a des évidences très générales concernant la démocratie. Il y a deux façons de comprendre la démocratie: soit que les gens décident, soit que la majorité décide, ce qui est de toute évidence différent. Tout d'abord, une définition de la démocratie c'est que les gens décident. Cela donne une signification, contraire à l'opinion donnée dans le cinquième «attendu que» du projet de loi à l'étude, et tous les gens, avec raison, comprennent qu'il s'agit d'un gouvernement au sein duquel tous les citoyens sont égaux. Naturellement, la question de savoir ce qui constitue un peuple est une question importante que l'on ne doit pas nier. Qui sont les gens, et ce qui est encore plus important, ce qui est sous-jacent aux délibérations, ce que l'on entend par «le peuple» sont des questions qu'il faut résoudre au cours de ce processus. Différentes positions doivent être reconnues.

Une fois que l'on a déterminé la politie, tous les citoyens de la politie doivent avoir la protection de la pleine participation et des droits égaux. Le principe de l'égalité plus particulièrement a été pris très au sérieux et s'applique à tous ceux qui votent. Chaque vote doit avoir le même poids. Il ne doit pas y avoir de citoyens de deuxième classe et de remaniement arbitraire des voix.

Dans le cadre de ces observations au sujet de la signification, il y a également des questions au sujet de la procédure à suivre. Pour être bref, je voudrais être absolument clair en disant que pour moi la majorité, et c'est le point de vue également des dictionnaires que j'ai consultés—c'est plus de la moitié, c'est-à-dire 50 p. 100 plus un. La notion d'une majorité claire n'est pas une notion que je connais. Dans les documents, les gens parlent de super majorité ou de majorité extraordinaire. Ces dernières sont trompeuses en soi.

Une démocratie peut suivre d'autres procédures lorsqu'elle se constitue elle-même, et ces procédures peuvent être supérieures à une majorité ou inférieures à une majorité. Cependant, une majorité de 50 p. 100 plus un est une procédure par défaut pour toutes les démocraties, je crois. Le C-20 laisse à désirer sur ce point et il n'est pas clair sur ce qui constitue une majorité, une majorité des voix, une majorité des populations, etc.

J'aimerais faire de brèves observations au sujet de ce qui constitue des questions claires. À mon avis, des questions claires sont des questions que l'on peut comprendre. Je me suis penché longtemps sur les questions de langage dans le cadre des études philosophiques que j'ai faites sur la nature du langage. Une question est claire si on peut la comprendre. Il n'y a rien au sujet de la complexité d'une question qui fait qu'elle ne soit pas claire. Si nous pouvons la lire et la comprendre, alors elle est claire.

La question cruciale ici c'est que toute politie qui tranche une question pour prendre une décision devrait également décider quelle question devrait être posée. Il me semble que le projet de loi C-20 ne menace dans cette situation que de limiter le type de questions qui pourraient être posées, et en fait en un sens cela amène un manque de clarté, car les conséquences des réponses à la question ne sont pas claires. Cela représente une menace, que je mentionne à la fin, mais le texte complet de ma déclaration vous a été remis, de sorte que vous pourrez en prendre connaissance plus tard, également, je suppose. Je conclus donc là-dessus.

• 1140

Le président: Très bien.

Monsieur Jaffer.

M. Rahim Jaffer: M.rci, monsieur le président.

En vous écoutant, madame Couture et monsieur Ware, je peux comprendre que vous ayez de sérieuses réserves à propos de ce projet de loi, et que vous vouliez peut-être même qu'il soit retiré. L'opposition officielle a dit qu'elle en a aussi, mais nous l'appuyons en principe. La raison pour laquelle nous disons cela, c'est que nous estimons que d'autres intervenants au Canada ont un rôle à jouer, dans l'éventualité de la sécession du Québec ou de toute autre province, en fait, et qu'ils doivent connaître la certitude qui l'entoure ou débattre de la question au cours de négociations. Un certain nombre d'autres facteurs doivent être pris en compte, et d'autres intervenants doivent avoir leur mot à dire si une province veut faire sécession.

Je crois comprendre que vous avez des réserves à propos de ce projet de loi, mais que proposeriez-vous afin de l'améliorer, ou de permettre à d'autres intervenants d'avoir leur mot à dire afin d'arriver à un certain niveau de certitude?

M. Robert Ware: Il y a deux façons d'aborder la chose. Il y a deux questions.

Que dit la Constitution lorsqu'on envisage une situation démocratique? Les institutions sont établies pour des arrangements constitutionnels, et il y a un certain débat, comme celui que vous avez déjà eu, au sujet de la nature de la Constitution, ce qui est très important ici.

L'autre question consiste à savoir jusqu'où l'on permettra qu'aillent le débat et la réflexion dans la population et au pays pour discuter de ces questions? Cela dépend des forces politiques qui sont en place. Cela inclut un comité comme celui-ci, qui devrait consulter les gens partout au pays, y compris dans le reste du Canada, comme moi en venant ici, pour connaître leurs points de vue.

D'autres choses devraient être faites. Allez en Alberta, par exemple, et parlez des questions fédérales et de partenariat. Je crains que l'on n'ait pas fait suffisamment ce genre de choses. Vous connaissez tous la déclaration de Calgary, qui est une bonne indication du genre de débat qui s'est tenu au pays. Cela est très malheureux, et ça fait partie de la démocratie.

Les arrangements institutionnels sont ceux qu'il faut respecter. Nous avons la Constitution qu'il faut examiner et des mesures législatives parlementaires sur lesquelles il faut travailler. Dans ce cas-ci, je pense que le projet de loi qui est proposé est inapproprié.

[Français]

Mme Jocelyne Couture: Vous demandez ce qu'on pourrait faire pour améliorer ce projet de loi. Dans mon esprit, rien ne saurait le faire. Ce projet de loi essaie de prévoir tout ce qui se passera et qui ne se passera pas dans le cas d'un référendum gagnant sur la souveraineté—gagnant pour nous, bien sûr. Il est impossible de préciser dans un projet de loi tout ce qui pourrait se passer. De toute façon, ce ne serait pas une bonne chose que d'essayer de le préciser avant même le référendum.

Ce projet de loi renferme deux éléments très importants: la majorité et la clarté de la question. De fait, ce sont les deux composantes du projet de loi. Il y a des difficultés insurmontables, et le précepte même est à rejeter. Je m'oppose à un principe selon lequel le gouvernement pourrait, dans un projet de loi, juger à l'avance—ou enfin se donner le droit de juger—de la clarté de la question et se donner la capacité de fixer une majorité acceptable, laquelle serait différente de la majorité absolue.

Dans mon esprit, il n'y a absolument rien qui puisse améliorer ce projet de loi. C'est la raison pour laquelle je crois que le gouvernement devrait le retirer purement et simplement.

M. Rahim Jaffer: Madame Couture, comment peut-on demander aux autres provinces de négocier de bonne foi avec le Québec ou une autre province qui aurait voté en faveur de la sécession alors qu'on n'a pas essayé de clarifier au préalable certaines questions très importantes semblables à celles dont nous avons discuté avec d'autres témoins, dont par exemple les passeports et la dette?

• 1145

Mme Jocelyne Couture: Ce dont on a besoin, c'est d'une règle spécifiant justement ce que sera la participation des provinces à une négociation et il faut que cette règle soit soumise à un référendum. Je ne pense pas que ce soit au gouvernement de déterminer d'une façon unilatérale les conditions et les circonstances d'une négociation. Voilà ma réponse.

Le président: Monsieur Turp.

M. Daniel Turp: J'aimerais souhaiter la bienvenue aux représentants des IPSO. Je vais me permettre de faire un commentaire sur ce qu'on a entendu tout à l'heure et de vous poser une question.

M.s commentaires s'adressent surtout à nos amis d'en face, qui semblent être bien d'accord avec le témoin précédent. Quand on laisse entendre que la Constitution de 1982 est légitime parce que des sondages ont laissé croire qu'on était d'accord, on oublie d'abord qu'en 1980 ou 1979, quand le gouvernement a été élu, il n'était pas question de faire de modifications constitutionnelles et qu'avant, pendant et après la campagne référendaire, on avait même laissé entendre qu'on ferait des changements allant dans un sens favorable aux revendications du Québec, dont on n'avait pas tenu en compte dans la Constitution, mais que par la suite, les fameux 73 députés libéraux qui avaient voté en faveur ont été battus par des conservateurs. Alors là, il y a un vrai problème de légitimité parce que la Constitution a été imposée sans l'assentiment de l'Assemblée nationale.

Ma première question porte justement là-dessus. Voyez-vous un lien entre le processus qui a été adopté pour adopter la Constitution de 1982 et le processus actuel, qui vise à faire adopter le projet de loi C-20?

Mme Jocelyne Couture: Il y a un lien de continuité direct, et même un lien de continuité qu'on pourrait prolonger vers le passé. J'ai fait allusion tout à l'heure à l'Acte d'Union. L'esprit dans lequel ces interventions ont été faites est toujours le même. Je pense donc qu'il y a un lien de continuité direct. J'ai parlé plus tôt du colonialisme du gouvernement canadien. Je ne suis pas la seule à remarquer que c'est justement l'héritage anglais de ce gouvernement, qui ne s'est jamais démenti, qui continue de s'affirmer encore maintenant et qu'on reconnaît malgré ses déguisements divers.

M. Daniel Turp: Continuons dans cette logique de réflexion. J'ai posé cette question auparavant et vous l'avez peut-être entendue. On a un conflit potentiel de légitimité entre deux lois. Je crois que vous êtes allée ou que vous irez témoigner à l'Assemblée nationale au sujet du projet de loi 99. Il y a une loi qui dit que la majorité s'établit à 50 p. 100 plus un. Dans la loi actuelle, la Loi sur la consultation populaire, il n'y a pas de règle de 50 p. 100 plus un. Vous ne voulez pas respecter cette règle qui est inscrite dans le projet de loi 99 et qui figure dans la loi en Alberta et en la Colombie-Britannique, où, même si ce sont des consultations, on prévoit l'application de la règle de 50 p. 100 plus un. Vous remettez en cause cette règle de 50 p. 100 plus un qu'appuie le Québec.

Dans cette même lignée, pourquoi pensez-vous qu'on veut changer la règle maintenant, au cours du débat sur l'avenir politique et constitutionnel du Québec et du Canada? Ça sert quel intérêt de changer la règle des 50 p. 100 plus un maintenant?

Mme Jocelyne Couture: Pour répondre à cette question, il s'agit de savoir soustraire. On peut additionner: si 50 p. 100 ne suffit pas, mettons 60 p. 100. Additionnons encore: 70 p. 100 ou 80 p. 100. On peut additionner, mais on doit aussi savoir soustraire. Chaque fois qu'on augmente le pourcentage requis, on diminue, bien entendu, le pourcentage de voix qui pourrait décider finalement. On donne à 20 p. 100, 30 p. 100 ou 40 p. 100 des voix la capacité et le pouvoir de décider pour le reste. Si vous établissez une règle de majorité claire à 80 p. 100 des voix plus une, ça veut dire que 20 p. 100 de la population peut décider pour le reste en disant non à un référendum.

• 1150

Lorsqu'on réfléchit dans ces termes-là, je crois que la réponse à la question de savoir qui bénéficie de ce changement de la règle de la majorité est évidente.

M. Daniel Turp: Madame Couture, si l'Assemblée nationale adoptait un projet de loi stipulant qu'il appartient à l'Assemblée nationale de décider de la majorité et de la clarté de la question et que la Chambre des communes adoptait le projet de loi C-20, qui dit que cette dernière détient le pouvoir de déterminer ce qui est clair, qui l'emporterait en cas de conflit potentiel?

Mme Jocelyne Couture: La question est de savoir où est la légitimité.

M. Daniel Turp: Vous êtes une philosophe.

Mme Jocelyne Couture: Vous me demandez quel est le lieu de la légitimité.

M. Daniel Turp: Vous êtes une philosophe politique, et une philosophe politique doit bien avoir une réponse à cela.

Mme Jocelyne Couture: Encore une fois, dans mon esprit, cette question a une réponse immédiate et directe. J'ai dit dans mon exposé que s'il était adopté, le projet de loi C-20 n'enlèverait rien au droit légitime du Québec de s'autodéterminer; il compliquerait l'exercice de ce droit, mais il ne l'enlèverait pas au Québec. Il est très clair pour moi que si ce projet de loi était adopté et qu'il y avait un référendum au Québec sur une question déterminée par l'Assemblée nationale, c'est le point de vue de la légitimité, le Oui des Québécois, qui l'emporterait. Ça, c'est très clair. Pour moi, c'est très clair.

Le président: Monsieur Blaikie.

[Traduction]

M. Bill Blaikie: M.rci, monsieur le président.

Tout d'abord, je dois dire que je suis d'accord avec le témoin. Je suis d'accord pour dire que le projet de loi à l'étude n'enlève aucun droit au Québec et c'est pourquoi je l'appuie en principe. Si j'estimais qu'il enlevait quelque droit que ce soit que le Québec a déjà, ou quelque droit que ce soit de l'Assemblée nationale, cela m'inquiéterait beaucoup.

Vous avez utilisé le mot «compliqué»; vous avez dit que cela ne faisait que compliquer l'exercice de ces droits. C'est une façon négative de dire les choses. Ce que cela fait, c'est donner une certaine forme à l'exercice de ces droits et assurer que ces droits ne puissent être exercés d'une façon qui soit contraire à la volonté que les Québécois ont exprimée lors d'un référendum donné. Cela veut dire que ces droits ne peuvent être exercés d'une façon qui pourrait déclencher des négociations pour la sécession à moins qu'il soit clair que les Québécois veuillent en fait faire sécession avec le Canada.

Ma question est donc la suivante. Vous n'avez pas peur des mots; vous avez utilisé le mot «colonial» à quelques reprises. Êtes- vous vraiment convaincu qu'une question, quelle qu'elle soit, pourrait servir de contexte à négociations sur la sécession? Car c'est ce dont il s'agit justement dans le projet de loi à l'étude. Il ne s'agit pas de référendum sur le partenariat ou la souveraineté-association ou quoi que ce soit d'autre. Le projet de loi parle spécifiquement de ce qui déclencherait des négociations sur la sécession. Vous prétendez vraiment que toute question posée lors d'un référendum qui recevrait un vote de 50 p. 100 et plus devrait faire en sorte que le gouvernement du Canada entame inconditionnellement des négociations sur la sécession?

M. Robert Ware: Tout d'abord, le projet de loi n'est pas clair sur la question des droits. Il dit d'emblée qu'il n'existe aucun droit en droit international, etc. C'est trompeur. Le fait est que la loi passe sous silence toutes ces questions, mais si quelque chose n'est pas illégal, je suppose que cela peut être fait.

Je trouve cela très difficile, dans le contexte du gouvernement fédéral ici—c'est ce que nous examinons—que l'on mette en doute ce qui devrait se produire dans une autre politie, notamment les questions qu'ils devraient poser, par exemple. Dans le projet de loi à l'étude, on ne dit pas qu'ils devraient poser une question très explicite avec exactement tel libellé, mais c'est tellement près de cela. Ça devrait être une question sur la sécession.

Je crois que c'est à l'organisme qui s'apprête à trancher une question et à voter sur une question qu'il appartient de déterminer ce que doit être la question. Le gouvernement fédéral pose une question au sujet de la sécession. Il y a un débat sur le partenariat dans...

M. Bill Blaikie: Mais on n'a pas éliminé cela. Il pourrait y avoir un référendum sur le partenariat, mais ça ne déclencherait pas des négociations sur la sécession. Ça déclencherait des négociations sur le partenariat. Tout ce qu'on dit, c'est que cela déclencherait des négociations sur la sécession. Il est donc très clair que ce qui déclencherait des négociations sur la sécession est une question sur la sécession, non pas une question sur le partenariat.

• 1155

M. Robert Ware: Supposons que les Québécois, par l'intermédiaire de leurs représentants, voulaient poser une question sur la sécession avec la possibilité d'un partenariat qui y serait lié pour une bonne raison. Tout comme les gens parfois veulent avoir plus d'une déclaration au sujet d'une mesure draconienne, ils voudraient peut-être une sorte de partenariat comme ce qu'a préconisé le Bloc québécois, par exemple.

Pourquoi diviser la question? Je ne sais pas exactement quel règlement vous utilisez ici, mais il doit y avoir de très bonnes raisons pour diviser une question. Ce n'est pas parce qu'une question complexe n'est pas claire. Je veux que cela soit explicite. L'argument qui est invoqué, c'est que s'il y a un élément de complexité, la question n'est pas claire. Il y a d'autres raisons pour diviser une question, et il appartiendrait également au Québec d'en décider, je pense.

Mme Jocelyne Couture: Puis-je répondre?

Le président: Oui, allez-y.

[Français]

Mme Jocelyne Couture: Vous me demandiez si, pour moi, n'importe quelle question à laquelle on répondrait oui à plus de 50 p. 100 des voix plus une serait acceptable. Je pense que la question, une fois posée, exige une réponse. Bien sûr, on n'accepterait pas n'importe quelle question, mais on a une certaine expérience des référendums au Québec, comme vous l'avez peut-être remarqué, et les questions qui ont été posées auparavant étaient compréhensibles et claires pour des personnes pourvues d'une intelligence normale. L'insistance que l'on met sur la clarté de la question présume d'un quotient intellectuel vraiment très bas. La réponse est, bien entendu, qu'on ne peut pas poser n'importe quelle question. Mais des questions claires, on est capables d'en fabriquer nous-mêmes, au Québec.

Je voudrais revenir sur le préambule à votre question. Vous faisiez la remarque que c'était, de ma part, une façon négative de formuler les choses que de dire que le projet de loi C-20 complique l'exercice du droit à l'autodétermination des Québécois, parce qu'on pourrait dire que le projet de loi C-20 fournit un cadre.

Lorsque j'ai dit que ce projet compliquait l'exercice du droit à l'autodétermination des Québécois, j'en ai aussi donné la raison dans mon exposé. Il complique les choses parce qu'il constitue un appel à la violation de la démocratie et des principes de base de la démocratie.

On peut lire dans ce projet de loi—et votre ministre Dion le répète depuis ce temps-là—qu'on pourra voir, par exemple—et c'est le prix d'une majorité claire—, région par région, quel genre de majorité on a obtenu. Qu'est-ce que vous pensez que cela signifie? C'est un appel aux partitionnistes, aux citoyens de la société démocratique du Québec à ne pas suivre les règles traditionnelles de la démocratie. C'est dans ce sens-là que j'ai dit que ce projet de loi compliquait l'exercice du droit à l'autodétermination. Je n'ai pas utilisé une expression négative pour le dire, mais un euphémisme.

Le président: Non, c'est déjà trop long.

La parole est à vous, monsieur Cotler, s'il vous plaît.

M. Irwin Cotler (Mont-Royal, Lib.): J'ai une question pour vous deux.

Vous avez dit que ce projet de loi mettait en cause le principe de la démocratie, qu'il était une négation de la démocratie. Mais le jugement unanime de la Cour suprême du Canada affirme, et je cite:

    Pour être considérés comme l'expression de la volonté démocratique, les résultats d'un référendum doivent être dénués de toute ambiguïté en ce qui concerne tant la question posée que l'appui reçu.

Est-ce que vous acceptez cette décision de la Cour suprême du Canada, qui se base sur ces principes de clarté?

Mme Jocelyne Couture: Ce qui est dit dans l'avis de la Cour suprême est d'une généralité qui, je pense, frôle la vacuité. Qu'on demande que les résultats soient clairs et que la question soit claire, c'est entendu. C'est évident. Que les résultats soient clairs signifie qu'il n'y ait pas d'ambiguïté. C'est ce que dit l'avis de la Cour suprême. C'est évident à un point tel que c'est trivial. Sans vouloir me lancer dans des interprétations, je pense que la Cour suprême a simplement dit ce qui était l'évidence même, sans s'avancer davantage.

• 1200

En revanche, lorsqu'on dit que le projet de loi C-20 est une conséquence de l'avis de la Cour suprême, je pense qu'on fait un saut logique un peu trop rapide. Le projet de loi C-20 n'est pas une conséquence de l'avis de la Cour suprême.

M. Irwin Cotler: Est-ce qu'on ne peut pas dire que le projet de loi n'est ni plus ni moins qu'une tentative de donner suite au jugement unanime de la Cour suprême, c'est-à-dire de mettre en oeuvre ce principe de clarté? Ce n'est pas seulement un principe général. C'est un principe de clarté très précis que de demander: «Êtes-vous en faveur de la sécession du Québec?» Ce n'est pas seulement une question théorique générale. On peut faire valoir la primauté du droit dans ce projet de loi. Qualifier ce projet de loi d'affront à la démocratie revient à contester la décision même de la Cour suprême du Canada.

Mme Jocelyne Couture: Pas du tout. J'ai dit et je répète que ce projet de loi, si on veut parler de la primauté du droit, est en conflit avec the rule of law. La primauté du droit veut dire, entre autres, que la loi est telle qu'elle puisse être connue. C'est ça que ça implique, la primauté du droit. Le droit ne pourrait pas avoir cette primauté si la loi restait inconnue des citoyens.

Une façon pour la loi d'être connue, c'est d'être stable. Ce qu'on est en train de faire, maintenant, c'est de tout changer en cours de route, même la règle de la majorité qui, comme je l'ai fait valoir, a été validée lors des précédents référendums. On est en train de changer la loi en cours de route. Et on le fait en soumettant un projet de loi qui sera adopté à toute vapeur, un projet de loi pour lequel la population n'a pas été consultée ou informée. Ça, c'est une chose.

La deuxième chose, c'est que ce projet de loi veut—peut-être en est-ce l'intention—clarifier ce que la Cour suprême a déjà posé comme balises générales. Néanmoins, il le fait en laissant dans l'obscurité des points aussi importants que la participation, ou le type de participation des provinces, par exemple, et la définition d'une question claire. On parle beaucoup de la clarté, mais quels sont, pour le gouvernement fédéral, les critères de clarté? On ne le sait pas.

On voudrait nous faire signer ce chèque en blanc que le gouvernement pourra utiliser après coup. Je vois très bien le gouvernement dire, après l'énoncé d'une question référendaire à l'Assemblée nationale, que la question n'est pas claire. On la reformule, et encore il prétend que la question n'est pas claire. Finalement, la question n'est jamais claire. Où cela s'arrête-t-il? Et il en va de même pour la majorité.

On ne dit pas ces choses-là dans le projet de loi C-20. Ce qu'on nous demande de faire, c'est vraiment de signer un chèque en blanc. Et ça, c'est inacceptable en démocratie.

M. Irwin Cotler: Madame parle de chèque en blanc. Le but de ce projet de loi est de donner à la population le droit de se prononcer sur une question claire, parce qu'à moins que la question ne soit claire, le peuple du Québec ne pourra pas vraiment exprimer sa volonté de façon démocratique. On peut dire qu'à moins que la question ne soit claire, le peuple du Québec ne pourra exercer son droit à l'autodétermination.

Mme Jocelyne Couture: Qui décidera que la question est claire ou non?

M. Irwin Cotler: La Cour suprême a dit que pour être claire, la question devait porter sur le sujet précis de la sécession. Ainsi, il n'y aura pas d'ambiguïté.

Mme Jocelyne Couture: D'accord, mais a-t-on besoin que le gouvernement vienne s'ériger en juge de la clarté? Ce que dit le projet de loi C-20, c'est que la question devra être claire. Qui décide que la question est claire? Je pense que ceux qui peuvent décider de la clarté de la question, ce sont les gens à qui elle s'adresse.

M. Irwin Cotler: La Cour suprême a dit que la Chambre des communes avait le mandat de se prononcer sur la qualité de la question.

Mme Jocelyne Couture: Ce n'est absolument pas ce que dit la Cour suprême.

• 1205

Le président: À l'ordre, à l'ordre. Nous devons maintenant passer à quelqu'un d'autre.

[Traduction]

M. Robert Ware: Puis-je faire un commentaire à ce sujet?

Le président: Soyez bref, monsieur Ware.

M. Robert Ware: J'aimerais répondre aux questions que vous posiez.

Tout d'abord, très brièvement, je ne comprends pas cette tempête dans un verre d'eau au sujet de la clarté. Il est tout à fait facile de comprendre de l'anglais ou du français qui est clair. Il y a ensuite l'autre principe, à savoir qui décide sur quoi porte le vote. Dans son ensemble, le projet de loi C-20 est clair—il n'est pas clair partout, je ne pense pas, mais dans l'ensemble il l'est.

Pour ce qui est de la majorité, il y a des questions plus importantes. Il y a une longue tradition qui est très claire, c'est-à-dire que lorsqu'un groupe se constitue, il doit avoir une façon de se constituer, et cela exige l'unanimité. Prenez Hobbes, Locke, Rousseau, et les principes évidents qu'on y retrouve. On ne dit pas au beau milieu d'une organisation: «Les règles sont maintenant différentes. Il faudra un pourcentage plus élevé.» Au beau milieu du Parlement, un parti qui a plus des deux tiers du vote ne se lève pour dire: «Nous allons maintenant changer les règles du débat. Il faudra dorénavant avoir une majorité de deux tiers pour faire quelque chose.» Les règles ne doivent pas changer de cette façon.

Il y a un autre élément trompeur dans la discussion sur la volonté de la population. Il est absolument clair que la volonté d'un peuple est exprimée par la majorité de la population. C'est la tradition de toute l'histoire de la philosophie politique.

Il y a des raisons de se restreindre dans certains cas, un peu comme pour une situation personnelle. Je peux décider de ne pas faire quelque chose suivant ma volonté, sachant que mes émotions me troublent. Le groupe s'impose des contraintes, en disant que nous ne mettrons pas fin au débat à moins d'avoir un très fort pourcentage. Cela ne signifie pas pour autant que la volonté des deux tiers est équivalente à la volonté de la population. La volonté de la population, c'est encore celle de la majorité. Et il y a d'autres raisons d'imposer des restrictions collectives.

[Français]

Le président: Monsieur Guimond, la parole est à vous.

M. Michel Guimond: M.rci, monsieur le président.

Professeure Couture, je crois que, même s'il est un constitutionnaliste reconnu, M. Cotler erre profondément. J'aimerais avoir votre opinion sur ses propos, selon lesquels le jugement de la Cour suprême donnerait à la Chambre des communes la possibilité de se prononcer sur le libellé de la question.

Mme Jocelyne Couture: Ma lecture et même ma relecture de l'avis de la Cour suprême ne m'autorisent pas à me mettre d'accord avec M. Cotler. Je pense que l'avis de la Cour suprême ne donne pas ce mandat au gouvernement canadien.

M. Michel Guimond: Ma question s'adresse au professeur Ware. Vous enseignez à l'Université de Calgary, et je suis heureux que vous ayez accepté de vous déplacer pour venir témoigner devant nous. Selon vous, parce que ça fait quand même un certain nombre de semaines que je ne suis pas allé dans l'Ouest, est-ce que les citoyens de l'Ouest du Canada, les intellectuels, les groupes divers auraient souhaité que ce comité législatif se déplace pour aller les entendre? Êtes-vous d'avis que c'est une décision démocratique que de confiner le débat à Ottawa, de l'encadrer, de le limiter dans le temps, d'imposer des bâillons? Est-ce une bonne approche? Vos concitoyens de Calgary et de l'Ouest du Canada approuvent-ils cette approche décidée par le gouvernement libéral du Canada?

• 1210

[Traduction]

M. Robert Ware: Absolument. Souvent, en Alberta, nous nous sentons très éloignés des centres de décision et j'ai l'impression que lorsque des comités viennent en Alberta, beaucoup de gens veulent s'exprimer.

Dans le cas de la pétition contre la clarté signée surtout par des gens de l'Ouest, ou du moins par des gens de l'extérieur du Québec, beaucoup voulaient présenter leur point de vue. Ce groupe a déjà manifesté son désir d'exprimer son point de vue, et il serait difficile bien entendu, que tous viennent ici. Il est donc dommage que le comité ne se soit pas déplacé ailleurs au pays pour recevoir des témoignages et des mémoires.

[Français]

Mme Jocelyne Couture: Est-ce que je peux dire un mot là-dessus? Il a été question plus tôt dans la matinée d'une pétition qui a circulé, qui circule encore et qui a été initiée par un petit groupe d'Ontariens qui ne sont en rien souverainistes, je vous prie de le croire. Sur la liste des personnes qui ont signé cette pétition figurent plusieurs noms de personnes qui sont aussi bien de l'Ontario que de l'Ouest canadien et des provinces Maritimes. Je pense que c'est assez révélateur. Les personnes qui ont signé cette pétition sont des personnes qui voulaient se faire entendre aux présentes audiences et qui n'ont pas eu la possibilité de se faire entendre. Je pense que cela ajoute une précision à la réponse de mon collègue Ware.

M. Michel Guimond: Professeure Couture, tout à l'heure, j'ai noté les trois raisons pour lesquelles ce projet de loi, selon les IPSO, pose problème. Relativement à l'aspect démocratique et au fait que c'était une insulte à l'intelligence, vous avez mentionné que ce projet de loi venait à l'encontre des principes fédéralistes canadiens. Pouvez-vous expliciter davantage?

Mme Jocelyne Couture: Il vient à l'encontre des principes mêmes du fédéralisme que le gouvernement prétend défendre, dans la mesure où c'est un projet de loi qui parle des provinces, qui ne parle pas spécifiquement du Québec, qui parle des provinces en général et qui, si on devait le suivre, l'adopter et l'appliquer, constituerait les provinces en tant qu'entités subordonnées au gouvernement central. Encore une fois, cela fait partie de notre héritage, de notre culture politique canadienne que cette idée de subordination. Je pense qu'historiquement, il n'y a jamais eu de fédération au Canada et que ce geste-là, c'est-à-dire le dépôt de ce projet de loi, continue dans cet esprit de considérer les provinces comme des entités subordonnées à l'État central.

Le président: Monsieur Drouin.

M. Claude Drouin: M.rci à nos témoins de leurs présentations.

J'aimerais, dans un premier temps, vous faire part d'un sondage qui a été fait le 30 octobre dernier par la maison CROP auprès de 4 992 Québécois—je pense que vous en avez pris connaissance—où on mentionnait que, contrairement à ce que vous disiez tout à l'heure, la majorité des Québécois affirme que la question de 1995 n'était pas claire.

Madame Couture, 61 p. 100 des gens disaient que la question n'était pas claire, qu'on ne parlait pas de sécession mais de partenariat. De plus, on avait appris à la suite du référendum qu'il y aurait eu une négociation pendant seulement un mois et que, par la suite, on aurait déclaré de façon unilatérale l'indépendance. Ça, c'est très différent de ce que les gens ont répondu.

Voilà pour mon commentaire. J'aimerais vous poser deux questions pour avoir votre opinion sur le référendum qui s'est tenu dans trois municipalités de la région de Mont-Tremblant. Une municipalité sur trois refusait à 95 p. 100 la fusion, et le gouvernement a passé outre en disant que ce n'était qu'une opinion.

Voici un dernier point. Les autochtones ont voté à 96 p. 100 pour demeurer dans le Canada. J'aimerais savoir ce que vous pensez de ça. Est-ce que les autochtones ont le droit de demeurer dans le Canada, étant donné qu'ils sont un peuple et que, comme vous le dites si bien, c'est au peuple de décider? Est-ce que les autochtones, à 96 p. 100, n'ont pas démontré d'une façon très claire qu'ils voulaient demeurer dans le Canada?

Mme Jocelyne Couture: Je commencerai par répondre à votre première question.

On a dit qu'après un référendum gagnant, il y aurait eu déclaration unilatérale de souveraineté. Ça, on l'a lu dans les journaux, mais cela ne faisait absolument pas partie des projets du gouvernement québécois, et cette rumeur a été démentie.

• 1215

Pour ce qui est de la question de la fusion, je pense que le cas des municipalités est sans doute à traiter différemment de celui des nations et des territoires nationaux. Je n'en dirai pas plus là-dessus parce que je n'ai rien à dire sur la fusion des municipalités à Mont-Tremblant et que c'est en dehors de mon champ de compétences.

La question des autochtones revient toujours. Je pense que les autochtones, en tant que peuple, ont droit à une autonomie gouvernementale. Cela ne fait aucun doute. Ils ont ce droit en vertu du fait qu'ils forment un peuple. Je pense que s'ils veulent demeurer au Canada et qu'ils le font en tant que Canadiens, la question est différente. Je pense qu'il faut distinguer les deux questions.

En tant qu'autochtones, en tant que peuple, ils ont des droits qui ne sont pas les mêmes que ceux qu'ils auraient s'ils étaient des groupes de Canadiens qui désirent demeurer au Canada.

M. Claude Drouin: Voulez-vous dire, madame Couture, que s'ils veulent devenir un pays eux-mêmes, aucun problème ne se posera, mais que s'ils veulent demeurer dans le Canada, ce sera différent et beaucoup plus compliqué, parce que ce ne sera plus la notion de peuple qui s'appliquera?

Mme Jocelyne Couture: Oui, c'est ce que je pense. Toutefois, mes compétences sont plutôt dans le domaine de la philosophie que dans celui du droit. Il me semble que du point de vue de la légitimité, il y a une différence entre les deux.

M. Claude Drouin: Je voudrais revenir sur un point. Vous avez dit que le gouvernement avait démenti cela, mais c'est M. Parizeau lui-même, chef du gouvernement du Québec à l'époque, qui avait mentionné cela. Je comprends mal que le gouvernement se soit dissocié du premier ministre.

Mme Jocelyne Couture: Ce qui a été démenti, c'est que ce serait au lendemain d'un référendum gagnant. Vous parliez d'un délai d'un mois. Je pense que M. Parizeau a plutôt parlé d'une certaine période de négociation qui, si mon souvenir est bon, se serait étendue sur une année.

M. Claude Drouin: M.rci.

Le président: Je crois que la période de temps allouée à ces témoins est maintenant terminée. Je voudrais vous remercier tous les deux pour votre comparution de cet après-midi.

[Traduction]

M.rci beaucoup. Nous apprécions. Nous apprécions le temps que vous nous accordez.

Nous devons maintenant régler quelques questions administratives du comité.

Monsieur Turp, je crois que vous voulez présenter des avis.

[Français]

M. Daniel Turp: M. Guimond et moi avons deux avis de motion à présenter. Je vous présente la première.

Je propose que la motion relative au nombre de témoins invités à comparaître devant le comité législatif, adoptée par le comité le 14 février 2000, soit annulée.

[Traduction]

Le président: M.rci.

[Français]

Monsieur Guimond.

M. Michel Guimond: Je présente la deuxième motion au comité législatif.

Je propose que la motion relative au temps alloué pour l'étude article par article, adoptée par le comité législatif le 14 février 2000, soit annulée.

[Traduction]

Le président: Bien.

J'ai maintenant deux questions pour les membres du comité. D'abord, voulez-vous rester ici pendant l'heure du vote ou aller voter à la Chambre?

[Français]

M. Bernard Patry: Par respect pour nos témoins, nous pouvons rester.

M. Daniel Turp: Sur quoi le vote porte-t-il, monsieur le président?

Le président: Je crois que c'est une motion sur l'allocation du temps.

M. Michel Guimond: Pour le retour à l'ordre du jour?

[Traduction]

Le président: Je propose que nous continuions, à moins qu'il y ait des objections.

[Français]

M. Daniel Turp: Excusez-moi, mais je pense que de notre côté, nous souhaiterions aller voter car c'est une mesure qui porte atteinte à la démocratie, un autre bâillon du Parti libéral, qui est en cause. Je pense que cela s'impose d'aller voter là-dessus. J'espère qu'on pourra entendre le prochain témoin.

[Traduction]

Le président: Bien. Vous voulez aller voter; nous suspendrons donc la séance.

M. Bernard Patry: Qu'en pensent les autres partis?

Le président: Voyons s'il y a suffisamment...

Une voix: Il peut y aller. Nous n'avons besoin que d'un député.

M. Rahim Jaffer: Sur quoi le vote porte-t-il?

Le président: L'attribution du temps pour le projet de loi C-23.

M. Rahim Jaffer: Les réformistes sont contre et nous irons donc voter.

Une voix: Vraiment? Voyons donc!

Le président: Bien. Nous allons d'abord écouter le témoin suivant, puis nous irons voter.

• 1220

Est-ce que les députés veulent que nous commandions un déjeuner? Nous avons deux autres témoins, ce qui nous mènera au-delà de 13 h 15. Avec le vote en plus, nous devrions terminer autour de 14 heures. Voulez-vous que je commande un repas, que nous pourrons prendre en écoutant les témoins?

Des voix: D'accord.

Le président: C'est ce que nous ferons.

Nous prenons une courte pose pour que les témoins suivants prennent place, et nous devrions ensuite avoir amplement de temps avant le vote pour écouter leur exposé d'une dizaine de minutes.

• 1221




• 1224

[Français]

Le président: À l'ordre, s'il vous plaît. Notre prochain témoin est la professeure Andrée Lajoie. Elle nous a donné une copie d'un document qu'elle a préparé. Bienvenue au comité, professeure Lajoie. C'est avec plaisir que nous vous accueillir aujourd'hui. Vous avez la parole pour dix minutes.

Mme Andrée Lajoie (professeure à la faculté de droit de l'Université de Montréal; témoigne à titre personnel): Monsieur le président, mesdames, messieurs, merci beaucoup. D'entrée de jeu, je voudrais souligner que le document qui vous a été distribué est le texte d'une opinion juridique que j'ai préparée sur le projet de loi C-20 pour le parti du Bloc québécois. Il est accompagné d'une traduction anglaise, que je n'ai pas lue et dont je ne peux certifier l'exactitude.

• 1225

Par ailleurs, je tiens à souligner, comme je le fais toujours en pareille circonstance, que je n'ai jamais appartenu à quelque parti politique que ce soit. À les regarder agir du Pacifique à l'Atlantique, aux États-Unis comme en Europe, ce n'est pas demain la veille que je vais changer d'idée.

Cela étant dit, je vais essayer d'être claire. Si ceux à qui je m'adresse me comprennent, ce sera en effet clair. Ce sera mon critère.

Je vais traiter rapidement de la portée extrêmement étroite du projet de loi C-20, du fondement, au contraire très large, de l'obligation de clarté et des conséquences que cela comporte pour nous tous.

Sur la portée étroite du projet de loi, je dirai que, malgré l'ambiguïté entretenue dans le discours politique depuis la parution du projet de loi C-20, il ne contraint pas et ne pourrait contraindre l'Assemblée législative du Québec ni à faire quelque chose ni à ne pas faire quoi que ce soit, parce que l'Assemblée législative n'est pas soumise à l'autorité du Parlement. Nous sommes dans une fédération. Prétendre le contraire, ce serait de la part du Parlement du Canada se réapproprier le pouvoir de désaveu qui appartenait au gouverneur général quand il existait, mais dont la Cour suprême a dit, dans son avis sur la sécession, au paragraphe 55, qu'il était désormais tombé en désuétude. Dès lors, le projet de loi n'a pas plus de portée que n'en auraient des directives internes, des guidelines du Parlement à l'égard de lui-même ou du gouvernement à l'égard de ses membres.

Pour dire les choses en langage plus populaire, on pourrait dire que le Parlement parle tout seul, qu'il se parle à lui-même. Cependant, précisément, cette inutilité juridique du projet de loi, qui, je le répète, n'atteindra pas plus des objectifs juridiques qu'auraient pu le faire des directives internes, nous renvoie à ses véritables finalités.

Ces dernières sont politiques, à savoir désinformer et apeurer les Québécois, par là rallier des votes dans le reste du Canada et, enfin, lier le successeur de M. Chrétien à l'approche dure qui a été prise à l'égard du Québec, sous peine de devoir abroger un projet de loi, ce qui lui vaudrait évidemment une perte importante de soutien au Canada anglais. C'est donc, au fond, une instrumentation du Parlement et un détournement de sa fonction législative à des fins de propagande politique partisane.

S'agissant, en second lieu, du fondement de l'obligation de clarté, la cour le situe comme un cas particulier de modification constitutionnelle, au paragraphe 76, dont elle dit qu'en vertu du principe démocratique qu'elle énonce au paragraphe 88, la question et la majorité devront être claires, en tant qu'elles modifient la Constitution et pour respecter l'aspect démocratique que doit avoir une telle modification. Mais, évidemment, la cour ne prétend pas énoncer cette obligation de respecter la démocratie uniquement pour le présent. Elle affirme que ces cinq principes qu'elle énonce ont toujours été à la base de la Constitution canadienne.

Quelles sont les conséquences de ces deux points que je viens de développer rapidement? D'abord, la conséquence de ce fondement, c'est que toute modification constitutionnelle, pour être démocratique, doit être claire. Cela n'exclut pas les questions autres que celles portant sur la sécession. Au contraire, cela implique que tout autre type de question doit être également soumise à cette obligation de clarté dès qu'elle a pour effet une modification constitutionnelle.

• 1230

En passant, je dirai que mon collègue de Toronto Patrick Monahan, avec qui on ne peut pas me soupçonner d'avoir des atomes crochus sur le plan des idées politiques, a écrit la même chose dans l'avis qu'il a fourni récemment au C.D. Howe Institute.

J'irai plus loin. Je dirai non seulement que cela n'exclut pas les questions autres que celles portant sur la sécession, mais aussi que cela exige, et cela depuis toujours, la clarté pour toute modification constitutionnelle. En effet, le principe de la démocratie n'a pas attendu, pour s'appliquer au Canada, que la Cour suprême le stipule dans son arrêt sur la sécession.

Cela existait déjà en 1982. S'il s'agit de parler de clarté, expliquez-moi l'expression «société libre et démocratique», dans le premier article de la loi de 1982, ou «les droits autochtones», à l'article 35. Est-ce que vraiment nous sommes là en face d'expressions claires? La Cour suprême elle-même a donné trois définitions successives entre 1982 et 1993 de ce qu'était la société libre et démocratique au Canada. Quant aux droits ancestraux, elle n'en a pas encore donné. Vraiment, s'il fallait que ce soit clair pour adopter la loi de 1982, alors on pourrait avoir des motifs de s'inquiéter de sa validité.

Quant aux conséquences de la portée restreinte, cela n'a pas d'effet sur l'Assemblée nationale du Québec. Une question, une loi, tout écrit, tout énoncé oral ou écrit, c'est un acte de langage, un fait social dont le sens n'est pas déterminé seulement par celui qui l'énonce et encore moins par des tiers, mais conjointement par celui qui l'énonce et celui auquel cet énoncé est destiné.

Si la question est posée à la communauté du Québec, c'est à la communauté interprétative du Québec d'apprécier cette clarté. Si elle manifestait que la question n'est pas claire, ce serait à elle d'en juger, y inclus, à titre personnel, à MM. Chrétien et Dion, qui sont des citoyens du Québec. Mais quand il s'agira d'apprécier cela dans le sens que le projet de loi prévoit, c'est-à-dire pour décider au nom des autorités fédérales si l'obligation de négocier est enclenchée, quand il s'agira de déterminer si la question a été claire, c'est à la réponse de l'ensemble de la population québécoise que le gouvernement fédéral devra se référer.

Or, le sens clair n'est pas un sens univoque. Ce n'est jamais compris de la même manière par tous. M. Chrétien en a donné un exemple en Chambre, lorsqu'il a dit que, pour lui, si on demandait si le Québec doit être un pays, ce serait une question claire. Il faisait sans doute allusion, si je l'ai bien compris, à un pays, à un État-nation reconnu sur le plan international avec tous les apanages de la souveraineté.

Pourtant, quand on regarde au dictionnaire, on trouve un autre sens au mot «pays»: c'est le coin d'où l'on vient. Je me trouvais, la semaine dernière, dans le pays basque espagnol, et je vous assure que les gens, là, seraient ravis d'apprendre qu'un pays, et par conséquent le pays basque, est nécessairement un pays au sens où l'entend M. Chrétien.

Gilles Vigneault dit qu'un pays, c'est l'hiver. Notre pays, c'est l'hiver; quiconque est allé dehors ce matin ne me contredira pas là-dessus.

Une voix: [Note de la rédaction: Inaudible].

Mme Andrée Lajoie: Tant mieux si c'est ce que vous avez vu.

Je pense à une question sur le fédéralisme. J'avais apporté, mais je ne l'ai pas à la portée de la main, une coupure du Time Magazine d'il y a deux ou trois semaines.

• 1235

William Safire est un bon conservateur républicain, mais est aussi, par ailleurs, à la fois politologue et linguiste. Monsieur Cotler, je vois à votre sourire que vous avez lu cet article. Il dit que le fédéralisme peut avoir une demi-douzaine de sens et qu'on ne s'y retrouve plus. Donc, une question qui parlerait du fédéralisme ne serait pas claire non plus. Cette polysémie n'est pas limitée à ce mot; elle est particulièrement présente dans le domaine politique.

Ma fille a été élevée à l'ombre de la CSN. Dans son enfance, une amie l'avait emmenée à la plage. Je souligne pour les auditeurs qui suivent l'interprétation que le mot «grève», en français, veut aussi dire «plage» et que son amie avait dit qu'elle l'emmenait au bord de la «grève». Ma fille est revenue outrée, en disant qu'il n'y avait aucune espèce de grève à cet endroit. «Je n'ai pas vu de piquets ni de pancartes», disait-elle.

Ce n'est pas limité à la question. Les actes de langage sont polysémiques. Ce qui est important, c'est que ceux à qui s'adresse la question estiment la comprendre au moment où ils y répondent. Quoi qu'on ait dit tout à l'heure d'un sondage conduit cinq ans après le fait auprès de constituants qui ne sont plus les mêmes, un peu plus de 93 p. 100 des Québécois ont voté lors du dernier référendum. S'ils n'ont pas compris ce qu'ils faisaient, eh bien, il y a des inquiétudes dans l'air.

Le président: Je regrette, madame, d'avoir à signaler que les 10 minutes sont largement écoulées maintenant.

Mme Andrée Lajoie: Il me restait à ajouter trois mots pour dire que les acteurs politiques fédéraux, y compris le Parlement, devront apprécier la clarté de la question en référence à la réaction québécoise et que, s'ils font une erreur, la sanction sera internationale, comme la cour le dit aux paragraphes 152 et 154. C'est la communauté internationale qui départagera ce qu'on a appelé tout à l'heure «les deux légitimités».

Le président: D'accord. M.rci beaucoup. Nous ferons maintenant une petite pause. Juste après le vote, tout le monde reviendra et nous pourrons alors poser nos questions. M.rci.

• 1237




• 1259

Le président: Peut-être pouvons-nous commencer à accueillir les questions.

[Traduction]

Rahim, êtes-vous prêt? Vous êtes le premier de votre parti. Nous commençons par M. Jaffer.

[Français]

M. Rahim Jaffer: Je vais commencer par demander à Mme Lajoie de nous expliquer sa position sur la question de la majorité claire. Est-ce que 50 p. 100 plus un est suffisant pour déterminer une majorité claire dans un référendum de ce genre?

Mme Andrée Lajoie: Ma réponse n'en est pas une de spécialiste; je n'ai pas étudié la question sur le plan juridique. Je vais vous répondre à titre de citoyenne.

• 1300

C'est infiniment mieux qu'une minorité. J'aime mieux être gouvernée par une faible majorité que par la minorité, ce qui se produirait si on élevait le niveau des exigences pour la majorité. Si la majorité est à 60 p. 100, cela veut dire qu'on est gouvernés par 40 p. 100. Mon choix est évident.

M. Rahim Jaffer: D'accord. Pensez-vous que, dans ce projet de loi, on devrait indiquer un minimum ou exprimer exactement quel résultat le gouvernement fédéral accepterait avant de négocier avec une province? Ou est-ce qu'on devrait attendre jusqu'après un référendum pour décider exactement de ce qui va se passer?

Mme Andrée Lajoie: Moi, je crois que le projet de loi devrait être retiré dans son entier. Maintenant, cela n'aurait qu'un seul effet, celui de préserver la liberté du successeur de M. Chrétien. En effet, les deux autres effets du projet de loi se sont déjà produits; la désinformation des Québécois est en voie depuis un bon moment et il est inutile de...

Je pense que ce projet de loi vise la décision que les autorités politiques fédérales vont prendre entre elles pour savoir comment décider de négocier ou de ne pas négocier. C'est tout.

M. Rahim Jaffer: D'accord. Je veux aussi vous demander ce qu'on peut faire comme gouvernement fédéral si ce projet de loi n'est pas suffisant pour tenir compte des provinces, de n'importe quelle province, dans le cas d'un vote sur la sécession. Comment le gouvernement fédéral pourrait-il respecter les autres provinces au cours de ces négociations? Quelle est votre opinion par rapport à ce processus?

Mme Andrée Lajoie: Mon opinion est purement personnelle; ce n'est pas une opinion juridique. Je pense que c'est à l'État fédéral et aux autres provinces de décider entre eux du processus selon lequel ils vont organiser leur décision de négocier ou de ne pas négocier.

Dans le passé, il y a eu une très grande désaffection dans l'ensemble du Canada à l'égard de la chose politique, notamment à cause du fait qu'en 1982, ainsi que pour Charlottetown et M.ech, la population n'a pas été consultée. On constate donc qu'il y aurait probablement un intérêt pour une plus large consultation.

Maintenant, ce n'est pas à moi de dire au gouvernement fédéral et au reste du Canada comment organiser leurs flûtes. Cela ne me regarde pas.

Le président: Monsieur Hill.

M. Grant Hill: M.rci bien.

Pour vous, est-ce que la question du référendum précédent était claire?

Mme Andrée Lajoie: Écoutez, 93 p. 100 et des poussières sont allés voter. Vous admettrez que ce serait faire insulte à une très grande majorité de Québécois que de prétendre que les gens sont allés voter en ne sachant pas sur quoi ils allaient voter.

M. Grant Hill: M. Claude Castonguay, qui est venu témoigner ici, a dit et je cite:

    ...je peux dire que dans les référendums de 1980 et de 1995, le concept d'association ou de partenariat qui a été greffé à celui de la souveraineté a semé beaucoup de confusion et beaucoup d'ambiguïté.

Quand je dis cela, je suis un étranger, mais M. Claude Castonguay n'est pas un étranger pour vous.

Mme Andrée Lajoie: M. Castonguay n'est pas un étranger et il a droit à son opinion. Cependant, je pense que si les gens prétendent qu'on n'est pas clair quand on lie la sécession à une négociation préalable, c'est parce qu'ils ont décidé à l'avance qu'il n'y aura pas de négociation de la part des autorités fédérales. Donc, cela leur paraît ambigu qu'on prétende que l'État fédéral va négocier alors qu'il ne le fera pas. Ce n'est pas moi qui vais prétendre que l'État fédéral et le reste du Canada ne vont pas respecter ce que la Cour suprême leur a demandé de faire. M. Castonguay est libre d'avoir ses opinions là-dessus.

• 1305

[Traduction]

Le président: Monsieur Turp.

[Français]

M. Daniel Turp: D'abord, merci, chère collègue, d'être des nôtres ce matin.

Je voudrais inviter nos collègues, les membres de ce comité, à lire l'opinion de Mme Lajoie. Je trouve que c'est une opinion qui mérite d'être lue par tous ceux qui s'intéressent à ce projet de loi et à l'avis de la Cour suprême, quelles que soient les conclusions de chacun, que l'on soit en accord ou en désaccord sur le projet de loi.

La contribution de cette opinion est, à mon avis, utile pour éclairer les parlementaires et les citoyens, surtout venant d'une juriste qui est en même temps une philosophe du droit et qui connaît bien la relation entre le langage et le droit. Notamment, son opinion sur ce que la Cour suprême du Canada fait avec le droit et sur la langue qu'elle utilise pour donner et traduire des normes en société est vraiment très utile.

Mme Andrée Lajoie: Là-dessus, monsieur Turp, je note que notre collègue Cotler m'a dit la même chose.

M. Daniel Turp: Tant mieux.

Mme Andrée Lajoie: Vous permettez que je vous cite?

M. Daniel Turp: Oui. D'ailleurs, il y a une chose qui, je pense, mériterait d'être approfondie en comité. C'est tout ce que vous dites sur la formulation de la question, sur les exclusions qui sont évoquées dans le projet de loi même, sur l'idée qu'il ne peut pas y avoir de question sur le partenariat, ou qu'il peut y en avoir, mais qu'elle n'est pas claire.

C'est ce que l'on veut faire comprendre et accepter aux Québécois: dès lors qu'il y aurait référence à un mandat de négocier ou à un accord politique ou économique, la question ne serait pas claire; elle laisserait entendre que le Québec ne veut pas cesser de faire partie du Canada et devenir un État indépendant. J'aimerais que vous poussiez un peu votre raisonnement là-dessus et, notamment, que vous nous rapportiez ce que M. Monahan nous a dit là-dessus. M. Monahan doit d'ailleurs revenir, je pense. J'aimerais que vous abordiez cette question devant nous.

Mme Andrée Lajoie: Pour commencer par la fin, je vous dirai que je laisse à M. Monahan le privilège de vous dire ce qu'il pense. Pour ma part, je citais l'opinion qui a été rendue publique et qu'il avait préparée pour un think-tank, dans laquelle il disait que, selon lui, on ne pouvait pas déduire de la décision de la Cour suprême que toute question autre que celle portant sur la sécession était écartée. J'espère ne pas dépasser sa pensée en affirmant cela.

En tout cas, c'est certainement mon opinion à moi. Je répète ce j'ai dit tout à l'heure, à savoir que je vais encore plus loin, compte tenu du fondement que la cour donne à cette obligation. La cour dit que, s'il y a une obligation de clarté, c'est parce que la sécession entraîne une modification constitutionnelle et que les modifications constitutionnelles doivent être adoptées en vertu du principe de la démocratie, notamment. J'en conclus que toute modification constitutionnelle doit être présentée de façon claire si le principe démocratique doit être respecté.

C'est ce qui me faisait dire tout à l'heure que, si on juge la Loi constitutionnelle de 1982 à cette aune de la Charte, il n'est pas clair qu'elle aurait été adoptée validement, si vous me passez le jeu de mots. Il n'est pas certain qu'elle aurait été adoptée validement puisqu'elle comprenait un très grand nombre d'expressions ambivalentes, comme je l'ai souligné: «société libre et démocratique» et «droits ancestraux».

On m'a parfois répondu, quand j'ai soulevé cette question, que la sécession, ce n'était pas pareil, que c'était un cas extrême de modification constitutionnelle. Je ne sais pas si c'est un cas plus extrême que la Loi de 1982, parce que si le Québec s'en va, quand il sera parti, le reste du Canada ne subira pas de séquelles. La Constitution ne sera pas changée à l'intérieur du Canada. Elle pourra rester ce qu'elle est. Même à ce moment-là, la Charte continuera de s'appliquer. Il y aura encore la liberté d'expression, l'égalité et les droits des autochtones. Toutes les modifications qui ont été apportées en 1982 demereront. Quant à la modification qui consiste à prévoir la sécession du Québec, elle est ponctuelle et n'a pas d'effet dans le temps.

• 1310

M. Daniel Turp: Est-ce que je peux déduire de ce que vous avez dit aujourd'hui qu'on ne peut pas nécessairement affirmer qu'une question comportant un volet sur le partenariat n'est pas claire? Est-ce qu'on doit dire à l'avance, comme le suggère le projet de loi, que dès lors qu'il y est fait référence à un partenariat, la question n'est plus claire parce qu'elle ne porte plus sur la sécession? Est-ce que cette équation, selon vous, est valide?

Mme Andrée Lajoie: Absolument pas, parce qu'on peut être aussi clair ou aussi peu clair sur la sécession que sur le partenariat. Tout dépend du libellé de la question et de la façon dont la comprennent ceux à qui elle est adressée.

Les actes de langage se passent dans un triangle. Une personne prononce un énoncé qui s'adresse à un ou à des destinataires. L'échange se fait entre eux à l'intérieur d'une communauté interprétative qui va finalement donner le sens commun, au sens littéral de l'expression «sens commun», c'est-à-dire le sens dominant dans une société donnée à un moment donné.

C'est ainsi qu'on peut expliquer les interprétations que les tribunaux donnent. C'est ainsi qu'on peut expliquer tout échange de langage. C'est pourquoi je dis que c'est à la communauté interprétative du Québec, à qui la question est adressée—question qui n'est pas adressée par le Parlement du Canada et ne peut pas l'être—de dire si elle est claire ou non et d'y répondre dans le sens qui lui convient.

[Traduction]

Le président: Monsieur Blaikie.

M. Bill Blaikie: M.rci, monsieur le président. Je n'ai que quelques commentaires à formuler, auxquels le témoin pourra répondre.

Pour commencer, je ne suis pas d'accord avec ceux qui prétendent que le reste du Canada ne serait pas touché par la sécession du Québec. Ce que vous dites est vrai, en ce sens que la Charte continuera d'exister, etc. Mais il reste que la formule d'amendement sera touchée, dans son application, sinon dans sa nature. Quant aux effets sociaux, économiques, psychologiques et politiques sur le reste du Canada en cas du sécession du Québec, c'est bien entendu discutable, mais à mon avis, il y aurait un effet important sur l'avenir du pays, et ce serait à mon avis un effet négatif.

Mme Andrée Lajoie: Je dirais que l'effet porterait sur la fierté du Canada plutôt que toute autre chose.

M. Bill Blaikie: C'est peut-être vrai, mais je crois qu'il pourrait y avoir un effet sur l'existence à long terme du Canada.

J'ai lu votre mémoire et je crois que la différence entre vous-même et les partisans du projet de loi C-20, pour utiliser vos propres termes, c'est que vous ne considérez pas que le reste du Canada fasse partie de la «communauté interprétative pertinente». Là-dessus, je ne suis pas d'accord avec vous.

Vous dites plutôt dans votre mémoire que «l'utilisation du langage implique le dialogue». Vous semblez pourtant prétendre que tous ceux qui sont à l'extérieur du Québec ne sont pas parties à ce dialogue, sont en dehors de la «communauté interprétative pertinente». N'y a-t-il pas un destinataire ultérieur, dans ce dialogue triangulaire? Au bout du compte, c'est le Québec qui veut négocier sa sécession avec le reste du Canada. Dites-vous qu'il n'y a pas d'interprétation à faire pour le reste du Canada sur le contexte de ces négociations, que nous sommes à la merci de quelqu'un d'autre et que nous n'avons aucune participation, que nous ne faisons pas partie de la «communauté interprétative pertinente»?

[Français]

Mme Andrée Lajoie: Le reste du Canada intervient dans un dialogue très important, qui se situe après le référendum, au moment où la communauté interprétative québécoise a jugé, pour son compte, que les Québécois ont considéré la question claire et que la majorité est claire à ses yeux. L'obligation de négocier est alors enclenchée et c'est là que le dialogue entre le reste du Canada et le Québec s'enclenche.

• 1315

Prétendre que le reste du Canada devrait avoir une part dans la détermination du libellé de la question, c'est comme prétendre que le patron doit définir l'offre syndicale dans une négociation. Il y a aussi une offre patronale qui n'est pas déterminée par le syndicat. Quand l'offre est faite, il y a des négociations, mais pas avant.

[Traduction]

M. Bill Blaikie: Monsieur le président, je regrette certainement qu'à quelques reprises, ce matin, on ait fait une analogie entre le Canada et le Québec et un employeur et son employé. À mon avis, la relation est d'un tout autre type. Bon nombre de témoins reviennent à cette métaphore et je ne crois pas qu'elle convienne, dans le cadre de notre travail.

[Français]

Mme Andrée Lajoie: Les négociations, où qu'elles se déploient,...

[Traduction]

M. Bill Blaikie: Les négociations ne sont pas toujours pareilles.

[Français]

Mme Andrée Lajoie: ...se déroulent toujours selon les mêmes règles de rapport de force, et vous le savez bien.

[Traduction]

M. Bill Blaikie: Je dirais qu'il s'agit plutôt d'une sorte de négociation familiale, ce qui ne la rend pas pour autant plus facile.

[Français]

Mme Andrée Lajoie: À chacun ses métaphores.

[Traduction]

M. Bill Blaikie: J'avais une autre question, monsieur le président, mais notre conversation l'a éliminée.

Vous dites que le reste du Canada a un rôle à jouer, après que le Québec se sera exprimé. Il me semble que cela présume une homogénéité de l'opinion québécoise, à laquelle on ne pourrait s'attendre nulle part ailleurs. En fait, qu'arrive-t-il s'il y a un désaccord au Québec? Qu'arrive-t-il s'il n'y a pas de consensus entre les souverainistes et les fédéralistes, même, au sein des souverainistes? Pourquoi le Canada devrait-il agir comme si les Québécois devaient toujours s'exprimer d'une seule voix sur quelque chose d'aussi...

[Français]

Mme Andrée Lajoie: Non, ils ne vont pas parler d'une seule voix; ils vont parler par la majorité absolue, comme c'est le cas aux élections. Pourquoi les citoyens du Canada sont-ils obligés de respecter le gouvernement qui est élu? C'est pour la même raison. Le Québec ne parle pas d'une seule voix; le reste du Canada non plus.

Je dirai qu'à mesure qu'on avance dans la postmodernité, les majorités fortes sont de plus en plus rares. On l'a vu en Europe lors du référendum de Maastricht. Je pense qu'on est devant des identités fragmentées et qu'on n'a pas de meilleure règle que celle de la majorité. C'est Churchill qui disait que la démocratie, c'est effrayant, mais que le reste est pire.

[Traduction]

Le président: Monsieur Blaikie, je crains que votre temps soit épuisé.

M. Bill Blaikie: Si une majorité devait s'exprimer...

Le président: Monsieur Blaikie, vous aurez un autre tour, j'espère, mais celui-ci est écoulé, même compte tenu des interruptions.

[Français]

Monsieur Bachand.

M. André Bachand: Monsieur le président, ce que j'aime de ce que dit le témoin, c'est que cela s'attaque au coeur du projet de loi, à l'aspect technique. On a souvent la possibilité de discuter de son aspect politique, c'est-à-dire de la zone de confort que crée à l'extérieur du Québec ce projet de loi.

J'ai une question à adresser au professeur Lajoie. Qu'auriez-vous fait de l'avis de la Cour suprême sur la question du Québec?

Mme Andrée Lajoie: Dans la peau de qui?

M. André Bachand: De qui vous voulez. Disons dans celle du législateur.

Mme Andrée Lajoie: Je l'aurais respecté, un point, c'est tout. Comme je l'ai dit tout à l'heure, l'idée de faire ce projet de loi est un détournement de la fonction législative. Ce n'était absolument pas nécessaire. On aurait pu arriver au même résultat avec des directives internes au gouvernement du Canada, pour les acteurs politiques. C'est un acte de publicité. Non, je n'aurais certainement pas fait de projet de loi.

M. André Bachand: Parlons de l'aspect strictement législatif du projet de loi, qui a été enfanté grâce à la Cour suprême. Vous soulevez plusieurs points importants. Est-ce que vous trouvez que le projet de loi correspond à l'opinion de la Cour suprême dans son ensemble ou qu'il n'y correspond pas?

• 1320

Mme Andrée Lajoie: Je dirais que la Cour suprême ne prescrivait d'aucune façon le contenu de ce projet de loi et même que le projet de loi, à mon avis, déroge à l'avis de la Cour suprême en ce qui concerne l'exclusion de questions portant sur autre chose que la sécession. À mon avis, la cour a dit le contraire. Elle a posé les bases pour dire le contraire, à savoir que toute modification constitutionnelle doit faire l'objet d'une question claire. Ce n'est donc pas limité à la question de la sécession.

M. André Bachand: Parlons de la motivation. Là je m'adresse davantage à vous comme philosophe.

Mme Andrée Lajoie: Je fais de la théorie, mais je ne fais pas de philosophie, Dieu m'en garde!

M. André Bachand: D'accord. Il en faut un peu.

La réaction à l'extérieur du Québec est très en faveur de C-20 parce que les gens disent que c'est clair, que c'est comme une vérité de La Palice, qu'il faut une question claire et une majorité claire. Si vous étiez invitée comme conférencière à l'extérieur du Québec, qu'est-ce que vous pourriez dire à propos du projet de loi C-20?

Mme Andrée Lajoie: Je me garderais probablement d'en parler. Mon impression est que—est-ce que je vais dire cela ici?—le reste du Canada ou les libéraux dans le reste du Canada ont choisi Jean Chrétien pour mater le Québec. Il est en train de le faire et ils sont contents. C'est normal.

M. André Bachand: M.rci, monsieur le président.

[Traduction]

Le président: Monsieur Cotler.

[Français]

M. Irwin Cotler: Professeure Lajoie, comme je vous l'ai dit et comme mon collègue Daniel Turp l'a dit, j'ai trouvé votre mémoire et votre opinion très intéressants. Cela nous donne à réfléchir à l'égard de la clarté de la question. C'est là-dessus précisément que je voudrais me pencher.

Je veux brièvement situer le sujet dans un contexte. La Cour suprême a déclaré sans équivoque et à l'unanimité que la Loi constitutionnelle du Canada et tout autre texte de loi international ne reconnaissaient pas le droit à une déclaration unilatérale d'indépendance. En même temps, la cour a dit que le gouvernement fédéral avait le devoir de négocier la sécession. Ce jugement unanime envers le devoir de négocier présuppose que deux conditions ont été remplies: la première, que la question sur la sécession soit claire, et la deuxième, qu'une nette majorité se soit prononcée en faveur d'une question clairement énoncée sur la sécession. Voici ma question.

[Traduction]

La Cour suprême a énoncé le principe de contextualité, selon lequel les décisions doivent être interprétées dans le contexte où elles sont rendues. Ce renvoi de la Cour suprême a été donné après deux référendums pour lesquels la question n'était peut-être pas ambiguë, mais a certainement été interprétée d'une manière ambiguë par les électeurs québécois, dont un tiers pensait qu'après la question, ils resteraient au Canada. Par conséquent, l'exigence de clarté de la question ne se rapporte-t-elle donc pas uniquement à l'idée de sécession?

Autrement dit, dans sa décision, la Cour suprême n'affirme-t- elle pas, en le réitérant, qu'il doit y avoir une question claire en faveur de la sécession, ou une question claire visant la sécession? Je peux continuer, comme ça, longtemps. La notion d'une question claire visant la sécession, d'après ce principe de contextualité, me semble incompatible avec toute autre question qui ne se rapporterait pas directement à la sécession.

[Français]

Mme Andrée Lajoie: Je dirai en premier lieu que je trouve intéressant que vous sortiez un sixième principe, celui de la contextualité, que la cour n'a pas énoncé. Elle en a sorti cinq du chapeau, qu'elle a inscrits tout à coup dans la Constitution, et vous lui en attribuez un autre. Mais vous êtes libre de votre interprétation. Les cinq principes ne comprenaient pas la contextualité.

• 1325

Peu importe le contexte passé, la cour dit que s'il y a une question sur la sécession, elle doit être claire. Elle ne dit nulle part que la question ne doit porter que sur la sécession. À mon avis, elle dit le contraire, dans la mesure où—chacun en a sa lecture et on peut être en désaccord—elle dit que c'est parce qu'il s'agit d'une modification constitutionnelle qu'on doit exiger la clarté. Elle maintient qu'il ne serait pas démocratique d'adopter des modifications constitutionnelles à partir de questions qui ne seraient pas claires. Si le Québec veut poser une question sur le partenariat, en quoi cette question échapperait-elle à l'obligation de clarté? Pas du tout. Il faudra que la question soit claire aux yeux de ceux à qui s'adresse la question.

Qu'est-ce qui nous empêche de poser une question claire à la fois sur la sécession et sur la discussion préalable d'un partenariat? Vous dites que 30 p. 100 des Québécois croyaient qu'ils demeureraient à l'intérieur du Canada. Ils avaient peut-être raison. C'est peut-être ce qui aurait résulté des négociations. On n'en sait rien puisqu'on aurait été engagés dans un processus de négociation. Je reprendrai un parallèle que M. Blaikie n'aime pas: quand on commence une négociation en droit du travail, on sait où elle commence, mais on ne sait pas où elle finit. C'est pareil sur le plan constitutionnel.

M. Irwin Cotler: Non, je ne veux pas qu'on invoque un cinquième principe. Je suis d'accord avec vous. Le processus de négociation doit tenir compte de quatre principes: la démocratie, le fédéralisme, la primauté du droit constitutionnel et les droits des minorités. Je suis d'accord là-dessus. Je dis seulement qu'il y a un principe qui ne s'applique pas uniquement dans ce cas-ci. Il s'agit d'un principe général de droit constitutionnel.

Mme Andrée Lajoie: Je suis d'accord avec vous.

M. Irwin Cotler: La cour se base sur ce principe de contextualité. C'est dans ce contexte qu'on doit interpréter le jugement de la Cour suprême du Canada. Lorsqu'elle parle d'une question claire sur la sécession, compte tenu du principe de la contextualité, je crois qu'elle parle uniquement de la sécession et non pas d'un autre sujet.

Mme Andrée Lajoie: Je suis en désaccord avec vous. Cela reviendrait à appliquer aux interprétations judiciaires le vieux principe de l'intention du législateur, à savoir que dans un contexte, le législateur a voulu dire ça. Tout le monde sait que c'est un principe qui est révolu maintenant et que la loi, tout comme les interprétations judiciaires, s'interprètent en contexte. Mais justement, elles le sont dans le contexte où elles vont être utilisées, et non pas dans celui qu'avait à l'esprit le législateur ou le juge.

En aucune façon le fait qu'il y ait eu antérieurement des référendums sur d'autres questions ne nous empêche de poser quelque question que ce soit à l'avenir. Il faut que la question soit comprise par ceux à qui elle s'adresse. On ne peut pas, comme on le disait tout à l'heure, poser n'importe quelle question; on ne peut poser que des questions qui sont comprises par ceux à qui elles s'adressent.

D'ailleurs, dans la même décision, la cour disait que n'importe quel acteur constitutionnel pouvait initier des réformes constitutionnelles, par référendum ou d'une autre façon, bien qu'il faille toujours qu'on agisse de façon démocratique. C'est de là que découle l'obligation de clarté.

Le président: Monsieur Hill.

M. Grant Hill: Madame, vous croyez que le Canada est divisible, tout comme l'est le Québec, qui comprend tout particulièrement le territoire des autochtones du Nord.

Mme Andrée Lajoie: Vous faites allusion à la question autochtone. Je vous dirai que me posez une bien grande question puisque même la Cour suprême s'est bien gardée de se prononcer à cet égard. Elle n'a absolument pas voulu en préjuger. La Cour suprême parle des peuples autochtones lorsqu'elle parle de leurs réclamations; elle parle des minorités ou de la population autochtone quand elle parle de leurs droits. Je vous invite à le vérifier; c'est intéressant à lire. Elle va jusqu'à dire expressément qu'elle ne se prononcera pas sur la situation des autochtones.

Je crois personnellement que les autochtones ont un droit à l'autodétermination qui est certainement aussi sérieux que celui des Québécois et qui remonte encore plus loin dans le temps. Il n'y a pas d'hésitation là-dessus. Si vous me le permettez, je soulignerai qu'il me semble qu'ils sont effectivement en train d'exercer ce droit au Québec et qu'ils remportent beaucoup de succès.

• 1330

J'ai eu le plaisir de faire récemment une analyse comparative du Traité Nisga'a, du traité du Nunavik et des 10 ententes qui ont été signées entre le Québec et Kahnawake. J'ai constaté que ces ententes-là allaient plus loin. Je vous dirai que Joe Norton ne s'y trompe pas. Le gouvernement fédéral n'était pas vraiment très heureux que le pouvoir fiscal ait été délégué aux Mohawks de Kahnawake. Aucune entente semblable n'a été signée par le gouvernement d'une autre province du Canada ou par le gouvernement fédéral.

Les négociations qui auront lieu entre les autochtones et les Québécois au sujet des dispositions de l'entente de principe avec Kahnawake, y compris par exemple le respect de nos occupations respectives du sol, vont se dérouler certainement aussi bien que celle qui auraient lieu éventuellement, le cas échéant, entre le Québec et le reste du Canada.

M. Grant Hill: Je vous pose cette question une autre fois. Si le Canada est divisible, est-ce que le Québec est divisible lui aussi, oui ou non?

Mme Andrée Lajoie: Cela dépend des circonstances et par qui. Dans le cas des nations autochtones qui habitent des territoires qu'elles habitaient au moment de l'arrivée des colonisateurs, je dirais oui, bien sûr.

M. Grant Hill: M.rci.

Mme Andrée Lajoie: Ce ne sont pas des minorités comme les autres.

M. Grant Hill: Le successeur de M. Chrétien aura-t-il la possibilité d'annuler ou de modifier cette loi? J'ai cru vous entendre dire:

[Traduction]

Ce qui lierait le successeur de M. Chrétien.

[Français]

Mme Andrée Lajoie: J'ai dit que le troisième effet de ce projet de loi était de lier le successeur de M. Chrétien. Il serait lié de la façon suivante: soit qu'il respecte le projet de loi et qu'il maintienne la même même ligne dure—et M. Chrétien se réjouit de l'héritage qu'il a laissé—, soit qu'il décide de modifier la loi. Un parlement n'est jamais lié par les décisions de son prédécesseur. Le successeur de M. Chrétien devrait devoir porter l'odieux de modifier un projet de loi qui aurait reçu l'appui massif du reste du Canada. Alors, il est coincé de toute façon.

M. Grant Hill: M.rci.

Le président: Monsieur Bonin.

M. Raymond Bonin (Nickel Belt, Lib.): Madame Lajoie, selon vous, la clarté de la question relève uniquement de l'appréciation du peuple. Qu'aurait-il fallu en 1980 et 1995, lorsque l'opposition officielle à l'Assemblée nationale a voté contre la question; lorsque ses amendements pour clarifier la question ont été rejetés par le Parti québécois; lorsque 61 p. 100 des Québécois ont estimé que la question posée en 1995 n'était pas claire; et lorsque le premier ministre du Canada a dit pendant la campagne référendaire que la question n'était pas claire? Ne dites-vous pas plutôt que c'est au Parti québécois seul de décider de la clarté de la question?

Mme Andrée Lajoie: Absolument pas. Je vous répète que je n'ai jamais fait partie d'aucun parti politique et que ce n'est pas demain la veille que je le ferai. Je ne suis pas ici pour appuyer le Parti québécois...

M. Raymond Bonin: J'ai pas insinué cela, madame.

Mme Andrée Lajoie: ...ni le Bloc québécois. La communauté interprétative du Québec, c'est l'opinion dominante de ceux à qui la question est adressée. Vous dites qu'on a fait un sondage et que la majorité des personnes interrogées ont répondu qu'elles n'avaient pas compris la question. Premièrement, j'ai cru comprendre que ce sondage avait été fait récemment, donc cinq ans après la question. Les personnes qu'on a interrogées ne sont plus les même électeurs. Deuxièmement, je voudrais bien voir la question. Si on dit que les questions référendaires doivent être claires et que l'on craint que les résultats ne puissent être manipulés, on pourrait en dire autant des questions d'un sondage. Je n'ai pas besoin de vous apprendre cela. Je crois que ces résultats démontrent une certaine incohérence quelque part parce que 93 p. 100 des électeurs étaient allés voter. Si j'avais à choisir entre ces électeurs et les personnes interrogées, je choisirais ceux qui ont voté et qui représentaient l'ensemble de la population plutôt qu'un échantillon, aussi représentatif soit-il.

• 1335

M. Raymond Bonin: M.rci. Êtes-vous d'accord avec M. Turp, qui soutient que la Chambre des communes a un rôle à jouer dans le processus de détermination de la clarté de la question?

Mme Andrée Lajoie: Avant le référendum, je répondrais non. Après le référendum, il reviendra aux autorités politiques—que la cour a appelées les acteurs politiques—, qu'elles soient exclusivement fédérales ou fédérales et issues des autres provinces, d'entamer des négociations. Ce sont elles qui devront l'évaluer, en se référant à ce que la communauté interprétative du Québec a elle-même décidé.

Si, devant une question que l'ensemble des Québécois ont trouvée claire et à laquelle l'ensemble des Québécois ont répondu par une majorité claire, le Canada refuse de négocier en disant qu'il considère que la question n'était pas claire, eh bien, ce sera à la communauté internationale de départager la question.

M. Raymond Bonin: Alors, ce n'est pas clair.

Mme Andrée Lajoie: Je le répète: un énoncé n'est clair que pour celui à qui il s'adresse.

M. Raymond Bonin: Vous dites que si 93 p. 100 des citoyens et citoyennes du Québec ont voté lors du référendum, c'est qu'ils comprenaient la question et qu'elle était claire. Lorsqu'ils se sont prononcés, est-ce qu'ils votaient sur la souveraineté, la souveraineté-partenariat, l'indépendance du Québec, le renouvellement du fédéralisme ou toutes ces choses-là, si c'était clair? J'aimerais une réponse claire.

Mme Andrée Lajoie: Clair n'équivaut pas à univoque. Certains votaient pour l'indépendance, tandis que d'autres votaient pour une négociation, espérant qu'elle serait suivie d'un renouvellement du fédéralisme, à défaut de quoi ils votaient pour l'indépendance.

Je répète qu'il n'y a pas de langage univoque. Ç'aurait été pareil si on leur avait demandé s'ils voulaient un pays. Je vous ai donné des exemples qui venaient de M. Chrétien lui-même.

M. Raymond Bonin: Alors, il y avait quatre composantes à la question et il pouvait donc y avoir quatre camps de réponse.

Mme Andrée Lajoie: Il n'y avait pas quatre composantes à la question, et les gens qui y ont répondu ont compris cela. Dans un sondage, c'est pareil; toutes les personnes interrogées ne comprennent jamais la question de la même manière, bien que chacune estime la comprendre.

Je pourrais vous donner d'autres exemples. Quand le Québec a adopté le droit aux services de santé, M. Castonguay, qui était ici récemment, le comprenait comme un droit limité par les ressources et non pas absolu. René Dussault et Camille Laurin le comprenaient au contraire comme étant absolu. C'est on the record. Ils ont tous voté, et l'article 4 a fait le bonheur des Québécois jusqu'à ce que le fédéral retire ses sous.

Le président: Le temps est écoulé.

[Traduction]

Encore une courte question de M. Blaikie, puis ce sera tout.

M. Bill Blaikie: M.rci, monsieur le président.

Il me semble que l'argumentation du témoin fait l'amalgame entre amendements constitutionnels ordinaires et négociations sur la sécession. Elle a elle-même étudié la question plus tôt, en 1995, en reconnaissant qu'il y avait des différences d'interprétation au sein de la communauté interprétative.

Avez-vous une idée de ce que pourrait être la question? Beaucoup de gens viennent nous dire qu'ils n'aiment pas le projet de loi, mais vous pourriez peut-être nous dire à la suite de quelle question le Canada pourrait-il négocier la sécession? À votre avis, qu'est-ce qui serait une question claire?

[Français]

Mme Andrée Lajoie: La question qui aura été considérée claire par la communauté interprétative du Québec.

[Traduction]

M. Bill Blaikie: Mais cela ne nous dit rien du tout.

[Français]

Mme Andrée Lajoie: Ceux à qui la question s'adresse. Si le Canada n'admet pas cela comme preuve de la validité et de la clarté de la question, la communauté internationale jugera de son attitude lors des négociations. C'est tout.

Le président: M.rci, professeure Lajoie, Nous avons été heureux d'entendre votre point de vue ici aujourd'hui. Au nom de tous les membres du comité, je vous remercie de votre témoignage au sujet du projet de loi C-20.

• 1340

[Traduction]

Je signale aux membres du comité qu'un repas nous est servi à l'arrière de la salle. Vous pouvez vous servir.

Passons au témoin suivant. Il y a eu un petit changement dans les personnes qui comparaissent.

[Français]

Nous accueillons maintenant M. René Roy, le secrétaire général de la FTQ; M. Arnold Dugas, directeur québécois du Syndicat des métallos et vice-président de la FTQ; et M. Émile Vallée, conseiller politique de la FTQ.

Je vous souhaite la bienvenue.

Oui, monsieur Bachand.

M. André Bachand: Excusez-moi, monsieur le président. Bien que je sois conscient que notre horaire est très serré, j'aimerais faire un court commentaire.

[Traduction]

Le président: Faites sortir les caméras, s'il vous plaît. La séance est en cours.

[Français]

M. André Bachand: Il m'apparaît choquant que des membres du comité puissent manger, comme on dit chez nous, en pleine face des témoins. Je laisse cette question à votre discrétion, monsieur le président. Je sais qu'on a tous faim, mais je crains qu'on porte atteinte à la crédibilité des témoins et à la crédibilité du travail du comité si on mange un sandwich au jambon pendant qu'on entend des témoins. Notre comité manquerait de sérieux. Je vous laisse cette question entre les mains, monsieur le président. Je me demande s'il n'y aurait peut-être pas lieu de suspendre la séance.

M. Daniel Turp: J'abonde dans le même sens que mon collègue. Il y a quand même des limites à vouloir nous bousculer et à nous obliger à manger pendant que les témoins parlent.

[Traduction]

Le président: Si le comité veut suspendre la séance, je n'ai pas d'objection. Je m'en remets à vous.

[Français]

Est-ce que vous êtes d'accord qu'on suspende la séance pendant quelques minutes?

M. André Bachand: Monsieur le président, je ne vous recommande pas nécessairement de suspendre la réunion. Je ne fais que dire que les gens autour de la table devraient s'abstenir de manger en pleine face des témoins. Il faut reconnaître que nos témoins ont également un horaire chargé et que nous ne devrions peut-être pas suspendre nos travaux. Il y a plusieurs solutions possibles. Je laisse cela à votre discrétion, monsieur le président, au nom du comité.

Le président: Vous ne me demandez pas de suspendre la séance, mais tout simplement de demander aux personnes d'aller manger ailleurs qu'à cette table. D'accord? Très bien. Nous pouvons commencer.

M.ssieurs, nous vous accordons 10 minutes pour votre présentation, après quoi débutera une période de questions qui durera 35 minutes. Je vous cède la parole.

M. René Roy (secrétaire général, Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec): Bonjour et merci. Je m'appelle René Roy et je suis secrétaire général de la FTQ. Je suis accompagné d'Arnold Dugas, vice-président de la FTQ, et d'Émile Vallée, conseiller juridique à la FTQ.

L'exercice de consultation auquel la FTQ entend se prêter est essentiel. Il importe, en effet, que le plus grand nombre de personnes puissent se prononcer sur l'exercice des droits fondamentaux et des prérogatives du peuple québécois.

La FTQ, qui représente près de 500 000 travailleurs et travailleuses québécois et québécoises, vous remercie de cette possibilité que vous lui offrez de se faire entendre. Nous n'entendons cependant pas réagir de manière classique par une analyse détaillée du projet de loi C-20. Nous souhaitons plutôt identifier clairement notre position au projet de loi et les raisons qui soutiennent notre position.

Le gouvernement fédéral, en déposant son projet de loi, dit souhaiter une question et une majorité claires. Les Québécois et Québécoises doivent donner une réponse aussi claire à cette tentative du fédéral de s'ingérer dans ce qui ne le concerne pas. S'il est vrai que le Parlement du Canada aura à prendre des décisions quant aux stratégies qu'il devra mettre de l'avant à la suite d'un référendum québécois gagnant, il est pour le moins prématuré d'adopter dès maintenant des positions stratégiques qui ne peuvent tenir compte du contexte concret dans lequel les deux gouvernements se retrouveront dans un futur proche ou éloigné.

La population du Québec s'attend à une réaction unanime et pourrait accepter que, pour des considérations uniquement partisanes, les trois partis politiques soient incapables de s'entendre. Le Québec doit donc réagir d'une seule voix à cette attaque du fédéral, comme il a toujours su le faire dans le passé sous la direction des gouvernements québécois, tant fédéralistes que souverainistes.

C'est une telle unanimité qui permettra au message québécois de passer auprès du gouvernement fédéral, mais surtout auprès de l'ensemble de la population canadienne. La FTQ s'inscrit dans cette réaction unanime.

• 1345

Parlons maintenant des motifs. Les Québécois et Québécoises sont maîtres de leur destin. C'est à eux et à eux seuls de décider de l'avenir du Québec dans ou hors du Canada. Le Québec est doté d'institutions démocratiques qui garantissent des changements démocratiques. Le Québec n'a de leçon à recevoir de personne à cet égard. Notre Loi électorale, notamment en ce qui concerne le financement des partis politiques, est exemplaire. Notre Loi sur la consultation populaire l'est tout autant. Le Québec n'a pas besoin que le grand frère fédéral regarde par-dessus son épaule pour corriger ses supposés manquements à la démocratie. Au contraire, nous croyons que le gouvernement fédéral aurait tout avantage à s'inspirer de grands pans des lois électorales québécoises, ce qu'il promet souvent de faire mais ne fait jamais.

De plus, le gouvernement fédéral joue un jeu extrêmement dangereux en s'immisçant dans le processus démocratique québécois et en faisant loi son intention de ne pas respecter le vote majoritaire des Québécois et Québécoises advenant un résultat positif à un référendum sur la souveraineté. Il attisera un ressentiment qui pourra malheureusement empêcher des négociations civilisées. Alors même qu'il aura un rôle important à jouer pour représenter les intérêts des autres Canadiens et Canadiennes à une table de négociations, il sera essentiel qu'il s'assoie de bonne foi.

Ce sont les travailleurs et travailleuses syndiqués qui parlent par notre voix. Ces Québécois et Québécoises sont fort bien placés pour comprendre les principes qui sous-tendent l'obligation de négocier de bonne foi. Pour elles et eux, il est révoltant de constater qu'une des parties est déjà de mauvaise foi avant même que le processus de négociation n'ait commencé. Comment pouvons-nous interpréter autrement le geste d'Ottawa? Le projet de loi fédéral décrit en effet, en long et en large, toutes les situations où le gouvernement fédéral se devra de n'engager aucune négociation. C'est comme si l'employeur avait le droit de décréter à l'avance qu'il ne négociera pas si le syndicat demande la sécurité d'emploi ou une augmentation de salaire.

Comme on le sait, les employeurs ne peuvent se soustraire à l'obligation de négocier de bonne foi parce qu'il y a une loi qui exige le contraire. Le gouvernement fédéral n'a pas le droit de se situer au-dessus des lois ou d'un avis de la Cour suprême qui a statué sur l'obligation de négocier de bonne foi.

Qui plus est, on peut se demander si un gouvernement a le droit moral d'attacher les mains d'un gouvernement qui pourrait lui succéder d'ici à ce qu'un référendum ait lieu. Un nouveau gouvernement fédéral qui voudrait négocier de bonne foi pourrait en être empêché par une loi. Mais nous ne voulons pas faire de débat de juristes. Jusqu'à ce jour, on a entendu autant d'interprétations de l'avis de la Cour suprême ou du projet de loi fédéral qu'il y a de commentateurs de tous les horizons politiques.

Nous voulons retourner ce débat dans l'arène du politique et des choix stratégiques que tant le Québec que le fédéral devront faire lorsqu'il y aura un référendum sur la souveraineté. Dans le contexte du moment, l'analyse des résultats d'un référendum gagnant servira de base aux négociations qui devront inévitablement s'ensuivre, et c'est seulement là que toutes les questions à négocier devront être mises sur la table par les deux parties et que des négociations de bonne foi devront débuter.

Le Québec a déjà vécu deux référendums. Les questions ont été claires. La population du Québec savait pourquoi elle votait, la campagne référendaire de chaque camp, celui du Oui et celui du Non, garantissait cette compréhension et les résultats étaient aussi clairs en termes de participation et de résultats finals. Nul ne les a alors contestés. Les résultats du premier ont été acceptés sans façon par le fédéral, et on le comprendra. Son option gagnait assez majoritairement. Les résultats du second ont été plus difficiles à digérer. Il s'en est fallu d'un cheveu pour que le Oui ne gagne. C'est dans ce contexte qu'il faut analyser la position actuelle du fédéral.

Le fédéral aurait pu choisir de reconnaître la nette volonté de changement de près de la moitié de la population québécoise. Il aurait pu interpréter les résultats comme un signal de négocier un renouvellement interne de la fédération canadienne, ce qu'attendait une immense majorité de Québécois et Québécoises, souverainistes ou fédéralistes.

Le fédéral a choisi la ligne dure: que les 49 p. 100 de Québécois et Québécoises qui veulent du changement s'en passent. Assurons-nous que dans le futur, même si 50 p. 100 plus un d'entre eux en veulent, ils n'en aient pas puisqu'on s'assurera de bien encarcaner ce futur.

On comprend que le fédéral veuille envoyer un message clair à la population: votez sur ce que vous voulez et comme vous le voulez, mais c'est le Canada qui va décider du bien-fondé de toute l'opération. Et on vous avise à l'avance qu'on ne négociera pas dans telle ou telle situation. Voilà l'essence même du projet de loi.

• 1350

Le projet de loi ne veut pas donner effet à l'existence de clarté formulée par la Cour suprême du Canada. Il veut limiter les conséquences de l'avis de la Cour suprême, qui énonce l'obligation de négocier. Le projet de loi s'adresse à toutes les provinces et territoires canadiens pour que cela ne paraisse pas trop mal et pour le cas où d'autres provinces ou territoires auraient envie de se lancer dans une guerre souverainiste. Si un référendum a lieu dans 10 ou 15 ans, le gouvernement fédéral d'alors n'aura pas la possibilité de négocier de bonne foi, en fonction des paramètres du moment, puisqu'une loi votée des années auparavant restreindra grandement ses droits d'évaluer le contexte sociopolitique du moment. On reconnaît bien là un gouvernement libéral.

Il s'agit d'un projet de loi dangereux. Il y a un prix à payer lorsqu'on veut jouer avec le feu. Le projet de loi C-20, c'est jouer avec le feu. Quel en sera le prix? Nul ne peut le dire et peu veulent y réfléchir. Du côté québécois, on attise un ressentiment justifié. Il n'y a pas de motif réel de s'immiscer, par une loi fédérale, dans les consensus démocratiques québécois. On alimente aussi des craintes, tout aussi justifiées, sur la bonne foi du gouvernement fédéral de respecter ses obligations de négocier. Cela ne présage rien de bon pour la tenue d'une négociation civilisée.

Du côté canadien, on suscite un sentiment d'insouciance: le gouvernement fédéral s'en occupe; l'exercice de 1995 ne se reproduira plus jamais; vous pouvez dormir sur vos deux oreilles; vous pouvez surtout cesser de vous demander ce que veulent vraiment les Québécois et les Québécoises. Il s'agit d'un faux sentiment de sécurité qui pourra aussi déclencher des réactions très négatives si un référendum positif a lieu. Là aussi, cela ne présage rien de bon pour la tenue de négociations civilisées.

En terminant, la FTQ demande que le gouvernement fédéral retire le projet de loi C-20 et que le gouvernement fédéral reconnaisse que tout futur référendum devra se faire dans l'arène politique au moment et dans les circonstances où il aura lieu, et affirme que cette loi est inutile pour deux motifs principaux: le Québec n'est pas en déficit démocratique, et l'obligation de négocier a été édictée par l'avis de la Cour suprême. Ce sont deux principes à retenir.

Voilà. M.rci beaucoup.

[Traduction]

Le président: Madame M.redith.

Mme Val M.redith (South Surrey—White Rock—Langley, Réf.): M.rci, monsieur le président.

Monsieur Roy, merci d'être venu cet après-midi.

Je conteste certaines de vos déclarations. Vous avez dit, en effet, que le peuple du Québec savait sur quoi il votait et connaissait très clairement quel serait le résultat de sa décision. Je trouve cela intéressant, compte tenu du nombre de Québécois qui estimaient qu'ils resteraient tout de même au Canada, et qu'ils continueraient d'avoir des députés à la Chambre des communes. Je ne crois pas que les Québécois connaissaient clairement les conséquences d'un oui.

Vous semblez vous opposer au fait que le gouvernement fédéral présente à la population du Québec les conséquences de sa décision. Vous dites que la présentation des effets négatifs est menaçante ou inutile. Si la population du Québec ne comprend pas clairement qu'il pourrait très bien y avoir des effets très négatifs, comment pouvez-vous espérer un vote légitime, si la discussion et le débat sur les effets positifs et négatifs ne sont pas présentés aux électeurs du Québec, dans un futur référendum?

[Français]

M. René Roy: C'est votre opinion. La nôtre est que les questions qui ont été posées au Québec en 1980 et de 1995 étaient très claires. L'ensemble de la population a bien compris l'objet du vote. S'il y avait ambiguïté, les campagnes, tant celles des fédéralistes que celles des souverainistes, ont permis de bien clarifier les questions.

[Traduction]

Mme Val M.redith: Vous avez aussi déclaré que le gouvernement fédéral ne devait pas intervenir, que c'était une affaire uniquement québécoise. Essentiellement, vous estimez que le reste du Canada ne doit pas s'occuper des événements au Québec, ni de la clarté de la question ou des résultats.

• 1355

Je trouve que c'est un peu intéressant, compte tenu que le Québec semble profiter volontiers des largesses des provinces qui contribuent aux paiements de péréquation. Pourquoi est-il acceptable que le reste du Canada contribue au bien-être financier du Québec, mais sans se préoccuper de son avenir politique au sein de la confédération?

[Français]

M. René Roy: Vous nous avez mal saisis. Les Canadiens des autres provinces ont parfaitement le droit de se préoccuper de l'avenir du Québec. D'ailleurs, lors des deux référendums et dans toutes les autres discussions qu'il y a eu au Québec, les fédéralistes ont bien défendu les objectifs de la fédération canadienne. On saisit bien que les autres Canadiens qui font partie de la fédération ont leur mot à dire là-dessus. D'ailleurs, lors de la dernière campagne référendaire, les gens du fédéral ont fait un grand rassemblement à Montréal pour expliquer aux gens du Québec les avantages qu'ils avaient à demeurer Canadiens. Par des annonces télévisées et autres, ainsi que par toutes sortes d'arguments, on a bien fait valoir la position des Canadiens à la population du Québec.

[Traduction]

Mme Val M.redith: C'est une préoccupation qui a certainement été exprimée par mon parti: il faut renouveler la fédération de manière à définir clairement et à respecter les compétences données aux provinces en 1867. Beaucoup de gens, partout au Canada, partagent cette préoccupation. Un renouvellement de la fédération serait certainement plus avantageux, en fin de compte, que la promotion du désir séparatiste du Québec.

En tant qu'organisme, vous intéressez-vous à une discussion sur le renouvellement de la fédération, plutôt que sur une séparation de la fédération?

[Français]

M. René Roy: Je ne suis pas ici pour étaler mes états d'âmes, mais je dois dire que le Québec a participé à plusieurs discussions en vue d'améliorer ou de modifier la Constitution canadienne, ou de modifier le Canada comme tel. La dernière portait sur l'Accord du lac M.ech. Le Parlement du Québec avait voté en faveur de cet accord. Le gouvernement de M. Bourassa avait voté en faveur de l'Accord du lac M.ech, qui a été rejeté par l'ensemble des Canadiens lors d'un référendum. L'Accord du lac M.ech a été rejeté par certains parlements du Canada. Donc, on a participé dans le passé à plusieurs discussions en vue de modifier la Constitution canadienne et d'insérer le Québec à l'intérieur de la Constitution canadienne. Comme vous le savez, le Québec n'a toujours pas signé la Constitution du Canada. Il était assez clair, après le rejet de l'Accord du lac M.ech par différents parlements du Canada, et non celui du Québec, qu'il y aurait un effet de ressac et qu'il y aurait donc un référendum au Québec.

Le président: Monsieur Guimond.

M. Michel Guimond: M.ssieurs, je vous remercie de vous être déplacés. Je vous remercie aussi de votre présentation.

La FTQ, qui la plus importante centrale syndicale du Québec, avec ses 500 000 travailleurs et travailleuses, participe à tous les débats. Elle a toujours été présente à tous les débats, tant dans le domaine social que dans le domaine politique et dans le domaine de l'évolution des lois du travail. Elle a toujours été un acteur actif, depuis même bien avant Louis Laberge.

J'ai deux questions à poser. Dans votre présentation, vous avez bien fait ressortir le caractère antidémocratique du projet de loi C-20. Vous savez que la majorité libérale refuse carrément que le comité aille dans les régions du Québec et du Canada, qu'elle impose une limite quant au nombre de témoins et qu'elle veut imposer un bâillon, une clôture au débat. On s'attend à que le gouvernement entreprenne d'une minute à l'autre les discussions sur ce bâillon. Trouvez-vous que de telles choses favorisent l'épanouissement de la démocratie? C'est ma première question.

• 1400

Voici ma deuxième question. Je pense que la FTQ est affiliée au Congrès du travail du Canada. J'aimerais savoir si vous avez discuté de cette question avec vos collègues des centrales syndicales à l'extérieur du Québec, des gens qui favorisent la démocratie et le respect des différentes lois en place?

M. Arnold Dugas (vice-président, Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec): Premièrement, au Congrès du travail du Canada, il est très clair depuis de nombreuses d'années que la décision appartient aux Québécois. Le CTC respecte la volonté des Québécois et des Québécoises de se prononcer sur un Québec indépendant. L'ensemble des syndicats qui composent le CTC et la FTQ ont fait de même. Qu'ils soient des syndicats internationaux ou des syndicats nationaux, ils disent qu'il appartient aux Québécois de décider chez eux.

En ce qui a trait à votre première question, qui portait sur la démocratie, nous croyons que les Québécois et les Québécoises sont des citoyens responsables et qu'ils sont capables de juger de la question. Certains disent que cela doit venir de l'extérieur, qu'on doit éclairer les Québécois et les Québécoises parce qu'ils sont incapables d'écrire la question eux-mêmes. Pour nous, c'est un affront que les Québécois et les Québécoises n'acceptent pas.

M. Michel Guimond: La professeure Lajoie, dans un témoignage...

M. René Roy: Le gouvernement fédéral veut qu'il y ait des questions claires lors de référendums. Je l'inviterais à soumettre son projet de loi à un référendum au Québec, avec une question très claire: êtes-vous pour ou contre le projet de loi C-20? Il verrait ce qui se passerait. Ce projet de loi limite énormément les droits démocratiques des Québécois et des Québécoises. Si on veut être égal avec tout le monde, qu'on le soit avec nous aussi. On n'a jamais eu la chance de voter depuis 1874. On n'a jamais consulté le peuple québécois par référendum pour voir s'il voulait faire partie du Canada.

M. Michel Guimond: La professeure Andrée Lajoie de l'Université de Montréal a témoigné avant vous. Je ne sais pas si vous avez eu l'occasion de l'entendre, mais elle a tenu des propos assez forts et assez lourds. Elle parlait d'un passé colonialiste. À l'article 1 du projet de loi, on dit:

    ...la Chambre des communes examine la question et détermine, par résolution, si la question est claire.

Est-ce qu'il y a là une démonstration de colonialisme, selon vous? Pensez-vous que les élus de l'Assemblée nationale, lors des travaux préliminaires aux référendums de 1980 et 1995, avaient suffisamment de légitimité pour se prononcer sur le processus en 1980 et en 1995?

M. René Roy: La question va de soi. Tous les partis politiques au Québec ont reconnu qu'il était légitime pour l'Assemblée nationale du Québec de se prononcer sur le contenu et la clarté de la question et même qu'elle devait même se prononcer là-dessus, et tous les partis politiques présents ont participé au processus.

Dans le projet de loi, notamment à l'article 1, on dit que, même si le Parlement fédéral décidait que la question est claire et acceptait complètement le processus, il aurait encore le droit, à la fin, d'accepter ou de refuser le résultat. Dans le projet de loi, on n'a pas inscrit de limite quant au pourcentage du vote, et le gouvernement fédéral pourrait dire que 60, 65, 70 ou 75 p. 100 ne suffit pas.

Le président: Monsieur Bachand.

M. André Bachand: J'aimerais dire quelques mots sur la clarté. Ce n'est pas ici que vous allez trouver de la clarté, ni dans le projet de loi ni chez les individus. J'ai fait un petit exercice en fin de semaine. J'ai donné 10 exemplaires du projet de loi à 10 personnes différentes, qui étaient toutes des Québécois francophones. Je voulais savoir ce qu'elles en pensaient. Il n'y a pas deux personnes qui ont compris le projet de loi de la même façon.

Après l'élection de 1993, alors que le Parti conservateur a subi toute une dégelée, certaines personnes ont cru que la TPS serait abolie et que le traité de libre-échange serait déchiré. Est-ce que cela veut dire que l'élection n'était pas claire et qu'on devait recommencer? Peut-être. Est-ce que le parti ministériel avait menti à ce moment-là? En tout cas, il n'avait pas dit toute la vérité. Est-ce que c'était clair? Est-ce que c'était assez pour remettre en question l'élection?

• 1405

Cela dit, il ne faut pas faire de l'inflation verbale. On doit faire attention. Quand on parle de l'esprit colonisateur, cela m'horripile un petit peu.

Trouvez-vous que C-20 va marquer l'histoire politique? Dans l'affirmative, pensez-vous qu'une consultation et une mobilisation de l'ensemble de vos membres sont nécessaires?

M. Arnold Dugas: Cette mobilisation est déjà faite. Il est très clair qu'il nous appartient de décider.

Pour nous, il est aussi très clair que c'est un autre pas en vue de coloniser les Québécois. Cela, on ne l'acceptera pas.

M. André Bachand: Je dois dire que je ne suis pas de votre avis pour ce qui est du mot «coloniser».

M. Daniel Turp: Au sens juridique.

M. André Bachand: Daniel, si on prend le mot «coloniser» au sens juridique, c'est encore pire. Si on le prend au sens politique, c'est une figure de style, mais sur le plan juridique, c'est encore pire.

Cela dit, est-ce que vous avez mis en oeuvre d'autres moyens avec vos membres pour vous opposer au projet de loi C-20?

M. René Roy: Pas actuellement. Pour nous, il est tellement acquis que cette question relève de l'Assemblée nationale que ce projet de loi ne devrait pas changer quoi que ce soit pour la société québécoise. Son droit de décider elle-même de son sort existe. Les sociétés existent de par les peuples qui les occupent. Selon un grand philosophe, le monde appartient à ceux qui y vivent. Les institutions politiques ou les lois qui, comme celle-ci, restreignent les droits démocratiques n'ont pas à être observées par les peuples si elles sont contraignantes.

M. Arnold Dugas: Il y a une chose très claire au sujet du projet de loi C-20. Dans le passé, nous avons adopté en congrès des positions très, très claires. On s'est toujours opposés à ce que le fédéral intervienne dans le débat au Québec.

Le président: Monsieur Drouin.

M. Claude Drouin: Je tiens à remercier les gens de la FTQ de leur présentation. J'ai quelques questions à leur poser.

Dans un premier temps, trouvez-vous que 50 p. 100 plus un suffit pour faire un pays? Trouvez-vous normal qu'on crée un pays après un recomptage judiciaire? Trouvez-vous cela normal? Est-ce une assise forte et solide pour un nouveau pays?

M. René Roy: Eh bien, c'est notre opinion.

M. Claude Drouin: Si telle est votre opinion, comment se fait-il que, pour désaffilier ou dissoudre un syndicat, il faut 66 p. 100 des votes? Comment se fait-il que, pour soumettre une résolution spéciale lors d'un congrès, il faut 66 p. 100 des votes? Pour modifier les statuts, il faut 66 p. 100 des votes chez vous, alors que 50 p. 100 suffirait pour faire un pays? Si 50 p. 100 plus un est la norme, pourquoi n'adoptez-vous pas cette norme chez vous? J'aimerais comprendre.

M. Arnold Dugas: Je vais vous expliquer ça. Ce n'est pas très compliqué. Peut-être avez-vous de mauvais renseignements.

Au niveau de l'accréditation, c'est 50 p. 100 plus un; pour se désaffilier, c'est 50 p. 100 plus un. Ça, c'est très clair. La modification des statuts, avec des mandats des assemblées générales lors d'un congrès, n'a rien à voir avec l'appartenance à la centrale. Pour partir ou revenir, il faut 50 p. 100 plus un. Partout en démocratie, c'est 50 p. 100 plus un.

Pour certaines modifications à la constitution, c'est 66,6 p. 100. C'est uniquement là qu'on exige 66,6 p. 100. Ce n'est pas ce qu'on exige quand il s'agit de décider de faire partie ou de ne pas faire partie du syndicat. Notre constitution est très claire à cet égard. Que ce soit au niveau international ou national, c'est 50 p. 100 plus un partout.

M. Claude Drouin: Monsieur Roy.

M. René Roy: Il y a des délégations de pouvoir. Lors d'un congrès, on délègue des pouvoirs à une délégation. Vous connaissez bien cela puisque vous êtes député. Chaque fois qu'on consulte les membres par référendum dans les organisations syndicales, c'est la règle de 50 p. 100 plus un qui s'applique.

M. Claude Drouin: Monsieur Roy, vous disiez dans votre présentation que le fédéral n'avait rien à faire dans la négociation et que c'était aux Québécois de décider.

Poussons un peu plus loin que votre réflexion. Cela veut-il dire que, quand une compagnie veut renégocier, les employés n'ont rien à faire là-dedans, que c'est l'employeur qui a investi l'argent, que c'est son argent à lui, que c'est lui qui va décider et que les employés n'ont qu'à se soumettre? Est-ce cela que vous voulez nous faire comprendre? Le Canada, contrairement aux États-Unis et à la France, qui sont indivisibles, reconnaît que le Québec a le droit de décider s'il veut, oui ou non, demeurer dans le Canada. On le reconnaît.

• 1410

M. Bouchard disait que l'avis de la Cour suprême était un excellent avis. Le projet de loi C-20 s'inspire de cet avis afin qu'il y ait un cadre clair.

Quand vous obtenez un mandat de grève de 50 p. 100 plus un de vos membres, vous n'aimez pas cela. Cependant, quand vous en avez un de 65, 70 ou 80 p. 100, vous dites que c'est un vote clair, que vous êtes contents, que vos membres sont derrière nous et que vous allez aller au front. Et vous dites que 50 p. 100 plus un suffit pour faire un pays? Il y a peut-être un gars qui a fait une erreur parce qu'il avait peut-être pris un verre de vin de trop au souper.

Des voix: Oh, oh!

M. Arnold Dugas: Je ne suis pas sûr que ce soit une question de verre de vin.

Une voix: Tu es dans les patates!

Une voix: Sérieusement, pour moi, il est évident...

Le président: À l'ordre, à l'ordre.

M. Roy a la parole.

À l'ordre!

M. René Roy: M.rci, monsieur le président. Vous avez raison dans votre analyse: on aime beaucoup mieux les votes à 70 p. 100 que les votes à 51 p. 100, mais on a déjà fait des conflits de travail après un vote à 51 p. 100. En 1988, le conflit de Bell Canada a duré quatre mois avec deux votes à 51 p. 100. On a respecté...

M. Claude Drouin: Vous dites 51 p. 100?

M. René Roy: On a réussi à avoir 51 p. 100 contre.

M. Claude Drouin: D'accord.

M. René Roy: Mais on aurait tout aussi bien pu obtenir 50 p. 100 plus un. Cela n'aurait pas changé grand-chose.

Sur la question du 50 p. 100 plus un, c'est notre réponse, mais nous sommes d'accord avec vous pour dire que plus le vote est fort, mieux c'est.

Pour ce qui est de la question de l'ingérence du fédéral, à l'Assemblée nationale du Québec, il y a des partis fédéralistes qui représentent l'option fédéraliste et il y a des partis souverainistes qui représentent l'option souverainiste. Ils sont là pour débattre de l'avenir du peuple du Québec, et c'est là que cela doit se passer. Mon ami Vallée veut ajouter quelque chose là-dessus.

M. Émile Vallée (conseiller juridique, Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec): Dans le projet de loi, on parle d'un mandat clair, mais le projet lui-même n'est pas clair. Le projet de loi C-20 ne parle que d'un pourcentage; il ne parle pas de 66,66, de 60 ou de 55 p. 100. Le projet de loi dit simplement que le mandat doit être clair. Que veut dire «clair»?

M. Claude Drouin: Vous soulevez un bon point, monsieur Vallée. C'est Mme Lajoie qui mentionnait que les décisions prises auparavant pouvaient encarcaner. On n'a pas précisé de pourcentage pour être sûr qu'au moment voulu, on pourra prendre une décision. Si vous me le permettez...

Le président: Non, je ne le permets pas. Vos cinq minutes sont écoulées.

Monsieur Turp, vous avez la parole.

M. Daniel Turp: Monsieur le président, il y a quelque chose qui m'échappe. Il est 14 h 15 et, en principe, selon la motion qu'on a adoptée, on aurait dû suspendre nos travaux à 13 h 30. Est-ce exact?

Le président: Non, à 12 h 30, mais...

M. Daniel Turp: À 12 h 30?

Le président: Oui.

M. Daniel Turp: Il me semble que c'est 13 h 30, et vous avez dérogé à la règle.

Le président: Non. Nous avons adopté une suggestion du président précisant qu'en temps normal, nous ne siégerions que pendant certaines heures.

M. Daniel Turp: Oui.

Le président: Nous avons continué plus longtemps aujourd'hui parce que nous avons beaucoup de témoins. Nous sommes aussi retardés par les votes, etc. Alors, nous continuons.

M. Daniel Turp: J'espère que nos amis libéraux vont vouloir participer à la période des questions. Puis-je suggérer que nous suspendions la séance pour que nous puissions tous assister à la période des questions?

Le président: Est-ce que les membres du comité désirent que nous suspendions la séance?

[Traduction]

M. Reg Alcock (Winnipeg-Sud, Lib.): Non. Nous souhaitons terminer la discussion avec ces témoins, puis j'ai une petite motion à présenter, puis nous pourrons aller à la période de questions.

[Français]

M. Daniel Turp: Quelle est cette

[Traduction]

petite motion?

M. Reg Alcock: C'est la motion pour laquelle j'ai présenté un avis vendredi.

[Français]

M. Daniel Turp: Vous voulez faire cela maintenant, après que nous aurons entendu les témoins?

M. Reg Alcock: Oui, oui.

Le président: Voulez-vous poser des questions aux témoins, monsieur Turp?

M. Daniel Turp: M.ssieurs de la FTQ, ils est utile que vous ayez rafraîchi la mémoire des gens qui laissaient entendre que des majorités qualifiées étaient nécessaires pour s'affilier à votre syndicat ou s'en désaffilier. Cela fait à peu près trois mois que le gouvernement essaie de convaincre les citoyens que la règle de la majorité qualifiée devrait s'appliquer dans le cas de l'accession du Québec à la souveraineté. Ma question est très simple. Comme moi, vous avez vécu le référendum de 1995. Croyez-vous que les Québécois avaient compris la question? Croyez-vous qu'ils ont pris une décision en toute connaissance de cause?

• 1415

M. Arnold Dugas: Une chose est certaine: c'est que les Québécois ont pris une décision en toute connaissance de cause. La question était très claire, mais il y a plusieurs politiciens qui l'on rendue ambiguë.

M. Daniel Turp: M.rci.

Le président: Avez-vous des questions, monsieur Patry?

M. Bernard Patry: Monsieur Dugas, vous avez répondu à M. Turp que la question était très claire. Que serait-il arrivé le lendemain d'un Oui à 50,1 p. 100? Est-ce qu'on aurait déclaré l'indépendance du Québec?

M. Arnold Dugas: Pas du tout. On se serait assis, on aurait discuté avec le fédéral et on aurait négocié. Par la suite, on aurait vu comment les choses se passaient, et tous les intervenants au Québec auraient jugé de la situation.

M. Bernard Patry: En cas d'échec des négociations, que serait-il arrivé?

M. Arnold Dugas: Je ne suis pas sûr qu'il y aurait eu l'indépendance pure et simple, même si on avait eu 51 p. 100.

Une voix: Je n'en suis pas sûr.

M. Arnold Dugas: Ça, c'est votre opinion. Les gens du Québec sont responsables. Une chose est certaine: c'est qu'il y aurait eu une période de négociations. Cela ne se serait pas fait du jour au lendemain. On aurait attendu les réponses des intervenants fédéraux.

M. Bernard Patry: Qu'est-ce que c'est pour vous, une question claire? Quelle serait une question claire à poser aux Québécois?

M. René Roy: La même qu'en 1995.

M. Arnold Dugas: Que la question porte sur la sécession, qu'elle porte sur l'indépendance ou qu'elle porte sur la négociation, elle est claire. Il faut respecter l'opinion des gens du Québec. Les gens comprennent. Ils parlent d'indépendance depuis de nombreuses années, et un gouvernement indépendantiste est au pouvoir au Québec. Il essaie de promouvoir l'option indépendantiste. Les gens comprennent exactement ce qui se passe dans l'arène politique et ils sont capables de juger.

M. René Roy: Il y a une chose qui est claire. M. Chrétien, votre chef, n'avait aucune difficulté à comprendre la question qui avait été posée au Québec. Il était venu devant nous et nous avait dit que voter pour le Oui, c'était voter pour la séparation du Québec. La question semblait très claire pour lui.

Une voix: Ce n'est pas cela qu'il a compris, lui, dans sa question.

Le président: Y a-t-il d'autres questions?

M.ssieurs, merci de votre comparution. Elle a été bien appréciée de tous les membres du comité. Je vous remercie de votre aide.

[Traduction]

Monsieur Alcock, voulez-vous intervenir?

M. Reg Alcock: M.rci, monsieur le président.

Monsieur le président, pour suivre la règle voulant qu'on présente un avis de motion à l'avance, j'ai présenté un avis de motion vendredi, et je propose aujourd'hui que le comité puisse, s'il est nécessaire pour recevoir les témoins de la liste, continuer à écouter des témoignages jusqu'à 17 h 30, le jeudi 24 février 2000, à la condition que le président mette aux voix, sans autre discussion ni amendement, toutes les questions nécessaires pour disposer du projet C-20 au plus tard à minuit, le jeudi 24 février 2000.

Si vous permettez, monsieur le président, j'aimerais commenter cette motion. Nous avons déjà eu cette discussion au comité de direction. Nous sommes saisis de ce projet de loi depuis 73 jours. Il y a eu beaucoup de débats et de discussions à son sujet, tant à la Chambre des communes qu'ailleurs. Nous voulons pouvoir revenir aux travaux de la Chambre.

Nous avons tenu compte de certaines préoccupations qui ont été soulevées. Les leaders en Chambre néo-démocrate et réformiste ont déclaré qu'ils voulaient qu'on s'assure d'avoir le temps d'entendre tous les témoins convenus. Nous voulons nous assurer qu'il y ait suffisamment de temps pour ce faire et c'est pourquoi nous voulons prolonger le temps de séance du comité cette semaine, afin de pouvoir entendre tous les témoins et de pouvoir passer à l'examen article par article du projet de loi.

• 1420

Je remarque que nous avons reçu deux autres avis de motion. Si cette motion est adoptée, je soupçonne qu'on pourrait s'entendre sur l'une des autres, soit l'annulation des dispositions sur le temps de la partie de la motion se rapportant à l'examen article par article. Il s'agit d'un avis de motion du Bloc.

Le président: Discussion?

Commençons avec M. Hill.

M. Grant Hill: Je veux encore une fois insister sur le fait que la procédure n'a pas été convenable aux yeux de l'opposition officielle. Il n'y a pas eu suffisamment de temps ni de consultation. Par exemple, M.l Smith, un constitutionnaliste de Vancouver qui était l'un de nos quatre témoins les plus souhaités m'a téléphoné pour me dire qu'à l'heure qu'on lui avait donnée, il ne pouvait pas venir. Il en était incapable. Il estime incroyable qu'on lui donne pratiquement une demi-heure de préavis et qu'on s'attende à ce qu'il vienne.

C'est une question trop importante pour qu'on se presse. Je ne m'étendrai pas là-dessus, puisque je sais que nous sommes en minorité, mais je veux que mes collègues de l'autre côté sachent bien que même si je suis pour le projet de loi, je suis outré par la façon dont on a procédé. Et je le dis en tant qu'allié, en faveur du projet de loi. Je ne comprends pas votre stratégie, qui fait que vous vous aliénez vos alliés. Si quelqu'un pouvait me l'expliquer, je serais moins véhément dans mes critiques. Je vous le dis sincèrement, quand vous vous aliénez vos alliés, il me semble que c'est dénué de toute logique.

[Français]

Le président: Monsieur Guimond.

M. Michel Guimond: Monsieur le président, je dois dire, au nom de mon parti, que la motion qui a été déposée devant nous est antidémocratique et, par conséquent, inacceptable.

Pour le bénéfice de nos collègues et des gens qui nous écoutent à la télévision, je dirai qu'il serait pertinent de reprendre la motion qui est présentement débattue et qui a été proposée par le secrétaire parlementaire du ministre des Affaires intergouvernementales, M. Alcock. Je refais la lecture de cette motion:

    Que le comité peut, si nécessaire, afin d'accommoder encore plus la liste de témoins, continuer à écouter des témoins jusqu'à 17 h 30 jeudi, le 24 février 2000, à condition que le président mette aux voix toutes questions nécessaires pour disposer du projet de loi C-20 au plus tard le jeudi, 24 février 2000 à minuit.

Monsieur le président, je vous soumets respectueusement que nous sommes opposés à cette motion pour différentes raisons. Premièrement, cette motion ne vise rien d'autre qu'à écourter le débat sur un projet de loi qui ne repose sur aucun consensus au Québec à l'heure actuelle.

De plus, nous sommes d'avis que rien ne justifie l'empressement du gouvernement à adopter rapidement ce projet de loi, après avoir tenu si peu d'audiences et après avoir entendu si peu de témoins. Nous croyons qu'il faut prendre le temps d'entendre tous les citoyens et citoyennes qui désirent s'exprimer sur ce projet de loi. Ce projet de loi ne peut pas se régler en une nuit ou en une semaine.

Il n'est pas question pour nous d'accommoder les témoins. Il est plutôt question de respecter le droit des citoyens d'être entendus, le droit des citoyens d'être écoutés par les parlementaires, le droit des citoyens d'être écoutés par le gouvernement démocratiquement élu le 2 juin 1997.

• 1425

Monsieur le président, cette motion vient le confirmer, d'autant plus que ce projet de loi est très important, parce qu'il remet en question les règles de l'exercice de la démocratie au Québec. Donc, il est tout à fait normal, souhaitable, voire rassurant que des citoyens et des citoyennes veuillent être entendus là-dessus.

Monsieur le président, cette motion n'est qu'une preuve additionnelle de l'arrogance du gouvernement libéral, qui ne désire pas entendre ce que la population a à dire sur son projet de loi. Peut-être le gouvernement a-t-il peur d'être contredit?

Monsieur le président, cette motion n'est pas justifiée, parce qu'il n'y a aucune urgence à adopter ce projet de loi maintenant. Les délais impartis au comité pour entendre des témoins sont antidémocratiques. Monsieur le président, êtes-vous conscient que moins de deux semaines se seront écoulées entre le début des travaux du comité et la fin de la période d'audition des témoins, si cette motion antidémocratique est acceptée?

Nous ne pouvons cautionner une telle mascarade, monsieur le président. C'est inacceptable.

Il n'y a rien qui explique que le comité, dont la première séance a eu lieu durant la soirée du lundi 14 février dernier, doive terminer ses travaux neuf jours plus tard seulement. Si ce projet de loi est si important, si capital pour la vie démocratique, pourquoi vouloir bâcler son étude en comité en neuf jours?

D'ailleurs, monsieur le président, à cause de la précipitation du gouvernement, il aura été impossible pour le comité d'entendre des témoins lors des séances prévues pour le jeudi 17 février, en après-midi et en soirée, de même que pour la séance du vendredi 18 février, en matinée, puisqu'aucun témoin n'était prêt ou n'était disponible pour comparaître dans des délais aussi courts.

Monsieur le président, le comité, en adoptant cette motion, n'aura tenu qu'un simulacre d'audiences. Le premier ministre affirmait même, la semaine dernière, qu'il n'avait pas de temps à perdre avec ça et qu'il ne fallait pas passer la nuit là-dessus.

Les députés de l'opposition, monsieur le président, ne considèrent pas qu'ils perdent leur temps en écoutant la population, en écoutant des témoins sur le projet de loi C-20.

Pour sa part, le ministre des Affaires intergouvernementales justifie son projet de loi en affirmant à ce sujet que son gouvernement avait amélioré le Canada de différentes façons et qu'il continuerait à le faire. Ce sont les propos du ministre des Affaires intergouvernementales qui, soit dit en passant, aime bien se citer lui-même.

    Nous le ferons d'autant mieux que plus personne dans ce pays ne menacera les autres avec des possibilités de séparation.

Je viens de vous lire un extrait du compte rendu des Débats de la Chambre des communes du 14 décembre 1999. C'est encore une citation du ministre des Affaires intergouvernementales.

Monsieur le président, nous sommes d'avis qu'il n'y a pas de menace souverainiste, comme le prétendent certains membres du gouvernement. Il y a plutôt, comme le soulignaient à juste titre les juges de la Cour suprême dans leur avis consultatif sur le renvoi sur la sécession du Québec, une volonté légitime pour les Québécoises et les Québécois de chercher à réaliser la souveraineté.

• 1430

Je vous cite à cet effet l'avis de la Cour suprême, le paragraphe 1, où le plus important tribunal au pays soulignait:

    Le principe du fédéralisme, joint au principe démocratique, exige que la répudiation claire de l'ordre constitutionnel existant et l'expression claire par la population d'une province du désir de réaliser la sécession donnent naissance à une obligation réciproque pour toutes les parties formant la Confédération de négocier des modifications constitutionnelles en vue de répondre au désir exprimé. La modification de la Constitution commence par un processus politique entrepris en vertu de la Constitution elle-même. Au Canada, l'initiative en matière de modification constitutionnelle relève de la responsabilité des représentants démocratiquement élus des participants à la Confédération.

C'est ce que nous sommes ici, monsieur le président. Nous sommes des représentants démocratiquement élus d'une population qui n'accepte pas qu'une majorité, au sein de ce gouvernement, se serve d'une motion comme celle qui est présentée devant nous pour littéralement bâillonner l'exercice du droit démocratique de poser des questions et d'entendre des témoins. Pour ces représentants, comme le disait la Cour suprême, le signal peut être donné par un référendum, mais en termes juridiques, le pouvoir constituant, au Canada comme dans bien d'autres pays, appartient aux représentants du peuple élus démocratiquement.

    La tentative légitime, par un participant de la Confédération, de modifier la Constitution a pour corollaire l'obligation faite à toutes les parties de venir à la table des négociations. Le rejet clairement exprimé par le peuple du Québec de l'ordre constitutionnel existant conférerait clairement légitimité aux revendications sécessionnistes, et imposerait aux autres provinces et au gouvernement fédéral l'obligation de prendre en considération et de respecter cette expression de la volonté démocratique en engageant des négociations et en les poursuivant en conformité avec les principes constitutionnels sous-jacents mentionnés précédemment.

Voilà qui met fin à la lecture de ce paragraphe de l'avis de la Cour suprême.

Maintenant, monsieur le président, pour illustrer davantage mon propos et convaincre mes collègues de ce comité et vous-même que cette motion est totalement antidémocratique, j'aimerais vous parler quelque peu de l'argument invoqué par le gouvernement pour expliquer la démarche ayant mené à ce projet de loi.

Il est clair que, par le dépôt de cette motion antidémocratique et par le dépôt du projet de loi C-20, tout aussi antidémocratique, le gouvernement veut mettre fin à la menace souverainiste. Mais il n'y a pas de menace souverainiste, monsieur le président. Il n'y a que la volonté du peuple du Québec de choisir librement et démocratiquement son avenir politique. Or, la précipitation inexpliquée de ce comité va empêcher les Québécois et les Québécoises de venir expliquer au gouvernement ce que les citoyens et les citoyennes ordinaires pensent de ce projet de loi. À cet effet, je me serais attendu à ce que mes collègues d'en face souhaitent entendre nos concitoyens et concitoyennes à Val-d'Or, à Verdun, à Shawinigan, à Sept-Îles, à Toronto, à Vancouver, à Thunder Bay, à Fredericton, à Saint-Georges-de-Beauce, à Sainte-Marie-de-Beauce, à Winnipeg... On aurait eu une belle occasion de les entendre en acceptant de se déplacer, monsieur le président. Mais non, la majorité gouvernementale au sein de ce comité dépose une motion que nous qualifions d'antidémocratique parce qu'elle va priver la population de venir se faire entendre devant ce comité.

Monsieur le président, le bâillon que tente de nous imposer la majorité libérale du comité fait en sorte que les membres du comité n'auront pas la chance d'entendre les témoins leur dire d'où provient cette volonté du Québec de maîtriser son avenir. Personne n'entendra les Québécois et les Québécoises dire pourquoi les droits fondamentaux du Québec et les prérogatives de son Assemblée nationale doivent être protégés, ce que nient le projet de loi C-20 et la motion déposée par M. Alcock, secrétaire parlementaire du ministre des Affaires intergouvernementales, Stéphane Dion, qui démontre sa volonté de nous bâillonner.

• 1435

Cette volonté, monsieur le président, n'est pas nouvelle. Elle trouve ses origines principalement dans la mouvance de la modernisation de l'État du Québec et de la volonté du peuple québécois de prendre son destin en main.

Monsieur le président, elle n'a pas commencé hier ni avant-hier, cette démarche des Québécois vers leur souveraineté; elle dure depuis une quarantaine d'années et remonte même avant.

On a entendu ici des témoins venir nous parler de Jean Lesage, dont le thème pendant les années 1960 était «Maîtres chez nous» et de Daniel Johnson père avec «Égalité ou indépendance». À ce que je sache, monsieur le président, vous conviendrez avec moi que Daniel Johnson père n'était pas un souverainiste, pas plus que Daniel Johnson fils d'ailleurs, qui a eu un emploi d'été à l'Assemblée nationale comme premier ministre pendant quelques mois. On aurait pu parler de Bourassa I, de René Lévesque, de Bourassa II, de M. Parizeau et de M. Bouchard à l'heure actuelle. Tous ces premiers ministres, au cours des 40 dernières années, ont toujours revendiqué une plus grande autonomie pour le Québec.

Il pourrait être pertinent, monsieur le président, d'examiner avec un peu plus de clarté en quoi ce statut politique et constitutionnel du Québec a évolué. Vous serez d'accord avec moi que la Constitution canadienne ne reconnaît pas l'existence du peuple québécois, cette Constitution canadienne que, soit dit en passant, le Québec n'a jamais signée et dont le rapatriement, en 1982, a été répudié par l'ensemble des partis à l'Assemblée nationale. Rappelons-nous, monsieur le président, que de 1985 à 1994, le premier ministre fédéraliste du Québec Robert Bourassa avait refusé à son tour de signer la Constitution canadienne rapatriée unilatéralement par Trudeau en 1982.

Pourtant, monsieur le président, une communauté nationale issue du peuplement de la Nouvelle-France a participé à la fondation de la fédération canadienne et a été au centre des différents aménagements constitutionnels préfédératifs que le Canada colonial a connus à partir du régime britannique. En faisant allusion aux mots «Canada colonial», j'aimerais reprendre un peu les propos qu'a émis Mme Andrée Lajoie tout à l'heure lorsqu'elle parlait d'un certain colonialisme que l'on retrouvait dans le projet de loi C-20. Mon collègue de Richmond—Arthabaska devrait être d'accord avec moi. On parlait d'un colonialisme au sens juridique du terme. On doit quand même le reconnaître.

Avant la Confédération et à partir de la Conquête jusqu'à l'Acte d'Union, le pays qui, avec le temps, va voir ses frontières politiques modifiées pour devenir le Québec contemporain et l'assise territoriale du peuple québécois, compte au moment de la Conquête britannique, en 1760, environ 65 000 habitants. Cette population, issue de quelque 10 000 colons venus de France au cours des XVIIe et XVIIIe siècles, forme une communauté nationale, c'est-à-dire une réalité sociologique homogène et nettement caractérisée par sa culture.

Après la Conquête de 1760 et la cession subséquente de la Nouvelle-France à l'Angleterre à la fin de la Guerre de Sept ans, une première organisation institutionnelle est donnée à la nouvelle colonie britannique. Celle-ci est baptisée Province of Quebec par un acte du souverain britannique, la Proclamation royale de 1763, qui substituait un gouvernement civil au régime militaire instauré après la Conquête.

Ce nouveau régime entraînera l'abrogation du droit français, la Proclamation royale ne comportant aucune garantie expresse relative aux lois et coutumes des habitants de la nouvelle colonie. Cette situation, monsieur le président, sera corrigée en 1774, à la suite de demandes de la population, avec l'Acte de Québec, qui rétablit les lois civiles d'inspiration française, garantit le libre exercice de la religion catholique et remplace le serment du Test, qui empêchait les catholiques d'accéder à la fonction publique et à l'administration de la province.

• 1440

Le politologue Gérard Bergeron décrit l'importance de l'Acte de Québec en ces termes:

    Avant même que la société des nouveaux occupants n'ait encore trouvé ses propres assises, les Canadiens virent les fondations séculaires de leur propre société en quelque sorte officialisées par le nouveau régime et, par cela même, consolidées pour l'avenir.

L'adoption de ce premier véritable texte de nature constitutionnelle a soulevé un débat au Parlement de Londres. L'historien Jacques Lacoursière souligne à cet égard le fait que la question des lois civiles françaises et celle d'une certaine reconnaissance de la religion catholique ont entraîné l'opposition de plusieurs représentants britanniques.

La Constitution établie par l'Acte de Québec ne répond toutefois pas aux besoins des loyalistes, qui avaient fui la révolution américaine et dont l'arrivée massive allait commencer à modifier la situation des habitants de la province de Québec, une colonie bien particulière parmi les colonies de l'Empire britannique en Amérique du Nord. Les loyalistes éprouvèrent de la difficulté à s'adapter à leur nouveau milieu de vie parmi les habitants francophones et catholiques de leur province d'adoption, lesquels représentaient encore environ 85 p. 100 de la population.

Outre la langue et la religion, les institutions, les lois civiles et la culture leur étaient complètement étrangères. La situation de cette nouvelle minorité allait rapidement inciter les autorités métropolitaines à préconiser une nouvelle constitution pour la province de Québec. La Loi constitutionnelle de 1791 opéra la séparation de la province de Québec en deux entités distinctes: le Haut-Canada, centré autour de la région de Kingston—dans votre circonscription électorale de Kingston et les Îles, monsieur le président—, où vivait une majorité de colons d'origine britannique et de loyalistes, et le Bas-Canada, centré sur la vallée du St-Laurent, toujours occupée par une population à très forte majorité canadienne-française.

Dans le Bas-Canada, les francophones sont en mesure d'affirmer une présence politique par la mise sur pied d'une assemblée élue. Leur influence politique est cependant limitée par l'absence d'un gouvernement responsable devant cette assemblée. Le régime électif et parlementaire à structure bicamérale mis en place dans chacune des deux nouvelles provinces s'accompagne d'une concentration du pouvoir au sein du Conseil exécutif, dont les membres sont nommés par le gouverneur, lui-même nommé par les autorités impériales, et agissent sous l'autorité de ce dernier.

En raison de leurs nombreux défauts, notamment l'absence du contrôle réel des dépenses du gouvernement par les députés de l'assemblée, les institutions de 1791 susciteront, à l'usage, le mécontentement général. Le régime préfédératif instauré par ce changement constitutionnel aura apporté au moins pour effet de confirmer le caractère distinct du Canada français au sein des colonies britanniques et de permettre l'avancée institutionnelle du parlementarisme québécois.

En 1831, le grand penseur politique Alexis de Tocqueville, lors d'un séjour effectué au Bas-Canada, observait la population d'expression française qui y vivait «a son gouvernement, son Parlement à elle. Elle forme véritablement un corps de nation distinct.» Non seulement avait-elle sa langue, sa religion et ses moeurs, mais, constatait-il, elle avait déjà aussi ses lois et ses institutions.

Le président: Monsieur Guimond, un instant, s'il vous plaît. M. Mills fait appel au Règlement.

[Traduction]

M. Dennis J. Mills (Broadview—Greenwood, Lib.): J'invoque le Règlement, monsieur le président. Je m'excuse d'interrompre la dissertation de M. Guimond, mais il est important à mon avis que nous tous et ceux qui nous écoutent comprennent bien quelle est la procédure actuelle.

Pourriez-vous m'expliquer ce qui se passe? Combien de temps accorderez-vous à cette dissertation? Habituellement, ce genre de commentaire est limité à 20 minutes. Que fait le président?

Le président: Il n'y a pas de limite de temps pour les discours au comité. Nous attendons la fin de ce discours, peu importe quand elle arrivera. Je crains donc...

M. Dennis Mills: Il a déjà pris 20 minutes et je crains qu'il n'en soit encore qu'au XIXe siècle.

Le président: Il n'y a pas de limite de 20 minutes pour les discours au comité, et par conséquent...

M. Dennis Mills: Et que fait-on de la pertinence?

Le président: Je sais bien sûr que notre honorable collègue parle du projet de loi et de la motion dont nous sommes saisis, qui limite le temps consacré au projet de loi. Je sais qu'il remonte un peu dans l'histoire, mais il nous explique quelque chose qui à mon avis, jusqu'ici, pourra avoir un lien avec le projet de loi quand il viendra au fait, ce dont je ne doute pas.

• 1445

[Français]

Monsieur Guimond, vous avez la parole.

M. Michel Guimond: M.rci, monsieur le président.

Cela me permet donc de présenter l'Acte d'Union de 1840. L'union forcée du Haut-Canada et du Bas-Canada en une seule entité politique, la province du Canada, ne suscita guère d'enthousiasme au sein du Canada français. Monsieur le président, depuis ce matin, plusieurs témoins ont fait allusion à cette date charnière, celle de l'Acte d'Union de 1840.

Il faut bien comprendre et bien apprécier cette date charnière. Ce n'est pas une date qui est sortie d'une boîte à chapeau. Beaucoup de témoins y ont fait allusion devant le comité ce matin. C'est pourquoi, monsieur le président, cela me fait plaisir de renseigner M. Mills sur le bien-fondé de la démarche qui a suivi cet Acte d'Union de 1840. C'est pourquoi je disais que les retombées en étaient importantes. C'est pourquoi je vous disais tout à l'heure que l'union forcée du Haut-Canada et du Bas-Canada en une seule entité politique, la province du Canada, ne suscita guère d'enthousiasme au sein du Canada français.

Elle fut instaurée à la suite de la recommandation faite en ce sens par lord Durham au terme d'une enquête qu'il avait menée pour le gouvernement britannique, au sujet notamment de la situation politique du Bas-Canada, après les troubles qui secouèrent cette province en 1837 et 1838.

L'union telle qu'elle était envisagée dans le rapport Durham visait l'objectif précis de faire qu'au Bas-Canada, la composante anglophone de la population ne soit pas soumise à une majorité française.

    Le plan par lequel on se proposerait d'assurer la tranquillité du Gouvernement du Bas-Canada doit renfermer les moyens de terminer à l'Assemblée l'agitation des querelles nationales, en établissant pour toujours le caractère national de la province.

C'est toujours Durham qui parle.

    Je n'entretiens aucun doute sur le caractère national qui doit être donné au Bas-Canada: ce doit être celui de l'Empire britannique, celui de la majorité de la population de l'Amérique britannique,...

Regardez ce que Lord Durham disait:

    ...celui de la race supérieure qui doit à une époque prochaine dominer sur tout le continent de l'Amérique du Nord.

Ce n'est pas moi qui dis cela. Ce ne sont ni le Bloc québécois, ni Lucien Bouchard, ni René Lévesque, non plus. C'est lord Durham qui disait que ce qui doit primer, c'est la race supérieure, celle de la majorité de la population de l'Amérique britannique.

Lors Durham poursuivait en disant:

    Sans opérer le changement ni trop vite ni trop rudement pour ne pas froisser les esprits et ne pas sacrifier le bien-être de la génération actuelle, la fin première et ferme du Gouvernement britannique doit à l'avenir consister à établir dans la province une population de lois et de langue anglaises, et de n'en confier le gouvernement qu'à une Assemblée décidément anglaise.

C'est lord Durham qui disait cela, monsieur le président. Lord Durham poursuit en disant:

    La tranquillité ne peut revenir [...] qu'à la condition de soumettre la province [du Bas-Canada] au régime vigoureux d'une majorité anglaise; et le seul gouvernement efficace serait celui d'une Union législative.

C'est ainsi, monsieur le président, que la nouvelle Constitution est entrée en vigueur en février 1841. Le Bas-Canada perd ses institutions parlementaires propres et, bien que majoritaires au sein de la population, les Canadiens français se retrouvent en minorité dans les institutions du Canada-Uni.

En outre, l'anglais est consacré seule langue officielle des institutions gouvernementales. Pour la première fois dans un texte constitutionnel, le français est proscrit. Ces dispositions seront toutefois abrogées en 1848 par le Parlement impérial.

Deux nations constituent le Canada-Uni: l'une, francophone et principalement catholique; l'autre, anglophone et principalement protestante. Le Canada-Uni trouvera une pratique institutionnelle afin de s'adapter à la présence en son sein de ces deux communautés nationales distinctes.

• 1450

La quête du gouvernement responsable donnera aux réformistes des deux anciennes provinces l'occasion de faire cause commune et les conduira à envisager pour l'Assemblée législative une direction bicéphale, qui va devenir l'instrument d'une espèce de dualisation ethnique de la politique au Canada-Uni.

On alla même jusqu'à appliquer une règle de double majorité en vertu de laquelle toute mesure législative devait, pour être adoptée, rallier des majorités simultanées au sein des députations du Canada-Est, soit l'ancien Bas-Canada, et du Canada-Ouest, l'ancien Haut-Canada.

Examinons maintenant, monsieur le président, comment le Québec se situait dans le régime fédéral canadien. Vous voyez que la pertinence ne peut être remise en cause parce que le projet de loi C-20 et la motion qui est déposée devant nous, en plus de se retrouver sous le même dénominateur commun, soit d'être tous deux antidémocratiques, constituent une pierre de plus dans la pyramide construite pour mettre le Québec à sa place.

Une voix: Absolument.

M. Michel Guimond: On sait que vers 1860, les deux nations qui composaient le Canada-Uni étaient toutes deux désireuses de changer le régime politique qui leur avait été imposé 20 ans auparavant.

Le président: Monsieur Guimond, si vous en avez fini avec votre discussion des événements de 1840 et de 1841, de l'union des deux provinces du Canada, c'est que vous avez oublié quelque chose de très important: la première capitale était Kingston.

M. Michel Guimond: C'est vrai, monsieur le président.

M. Réal Ménard (Hochelaga—Maisonneuve, BQ): Il va recommencer. Il y a eu Montréal aussi, que les anglophones ont brûlée.

M. Michel Guimond: Monsieur le président, j'espère que cette intervention très pertinente ne fait pas en sorte que tout ce que je vous ai dit n'est plus pertinent et que je me verrai dans l'obligation de recommencer.

Une voix: Eh bien, oui!

Le président: Pas du tout. C'est simplement que la description des événements de cette époque est quelque chose d'assez important pour moi. Comme vous avez bien décrit...

M. Michel Guimond: Monsieur le président, je crois que vous ne faites que démontrer que mon discours est perfectible, qu'il pourrait être amélioré. Vous ne faites que reconnaître que j'ai droit à l'erreur. Je me valorise beaucoup. Je suis très modeste mais je nourris beaucoup le culte de sa personne. Vous me rappelez à l'ordre car je peux me tromper.

M. Daniel Turp: Il est très modeste, vraiment très modeste.

M. Michel Guimond: La modestie m'étouffe, monsieur le président.

M. Réal Ménard: Ce n'est pas Flora MacDonald qui a votre culture historique, monsieur le président.

M. Michel Guimond: Donc, les deux nations qui composaient le Canada-Uni vers 1860 étaient toutes deux désireuses de changer le régime politique qui leur avait été imposé 20 ans auparavant, mais l'une ne pouvait rien sans l'autre.

Je vais vous lire maintenant un extrait d'un discours de George Brown, un des Pères de la Confédération. Il a prononcé ce discours le 8 février 1865. Je n'y étais pas, monsieur le président.

M. Daniel Turp: Écoutez ça.

M. Michel Guimond: Lors des débats parlementaires sur la question de la Confédération des provinces de l'Amérique britannique du Nord, M. Brown disait:

    Que nous demandions une réforme parlementaire pour le Canada seul ou une union avec les provinces maritimes, il faut consulter les vues des franco-canadiens aussi bien que les nôtres. Ce projet peut être adopté, mais nul autre qui n'aurait pas l'assentiment des deux sections ne pourrait l'être.

Vous voyez, monsieur le président, combien c'est capital en termes d'acceptation. J'aurai l'occasion un peu plus tard d'y revenir.

Une voix: Absolument.

M. Michel Guimond: Au sein du Canada-Uni, lors des débats parlementaires sur la Confédération, des acteurs influents de la création de la nouvelle fédération insistèrent sur l'importance pour les Canadiens français de l'adoption d'un régime qui soit fédéral et qui leur permette le développement de leur identité propre.

Étienne-Paschal Taché, premier ministre du Canada-Uni, déclarait en présentant le projet de loi de Confédération au nom du gouvernement:

    Le Bas-Canada a constamment refusé d'écouter la demande du Haut-Canada au sujet de la représentation d'après le nombre, et cela pour la bonne raison que, comme l'union entre les deux sections du pays est législative, accorder la prépondérance à l'une ce serait mettre l'autre à sa merci. Il n'en sera pas ainsi dans une union fédérale, car toutes les questions d'une nature générale seront du ressort du gouvernement fédéral, et celles qui auront un caractère local seront du ressort des gouvernements locaux, qui auront le pouvoir d'administrer leurs affaires d'intérieur comme ils l'entendront.

• 1455

Monsieur le président, vous voyez encore une fois comme cela est pertinent et comment on peut faire le lien avec le projet de loi C-20, avec un référendum tenu sur le territoire du Québec, avec le libellé d'une question décidée à l'Assemblée nationale, avec une majorité claire de 50 p. 100 plus un.

Même Étienne-Paschal Taché, premier ministre du Canada, disait que cela serait «du ressort des gouvernements locaux, qui auront le pouvoir d'administrer leurs affaires d'intérieur comme ils l'entendront». Il ajoutait:

    Si nous obtenons une union fédérale, ce sera l'équivalent d'une séparation des provinces, et par là le Bas-Canada conservera son autonomie avec toutes les institutions qui lui sont si chères et sur lesquelles il pourra exercer la surveillance nécessaire pour les préserver de tout danger.

John A. Macdonald, leader du Canada-Ouest et procureur général pour cette section, reconnaissait également qu'un État unitaire, c'est-à-dire «l'union législative» dans le vocabulaire politique de l'époque, serait inacceptable pour les Canadiens français et inadapté à leur situation.

Monsieur le président, j'aimerais citer encore une fois les débats sur la Confédération. George Brown disait aussi:

    J'ai trouvé que ce système—il parlait de l'union législative—était impraticable. Et, d'abord, il ne saurait rencontrer l'assentiment du peuple du Bas-Canada, qui sent que, dans la position particulière où il se trouve comme minorité, parlant un langage différent, et professant une foi différente de la majorité du peuple sous la confédération, ses institutions, ses lois, ses associations nationales, qu'il estime hautement, pourraient avoir à en souffrir. C'est pourquoi—toujours selon Brown—il a été compris que toute proposition qui impliquerait l'absorption de l'individualité du Bas-Canada, ne serait pas reçue avec faveur par le peuple de cette section.

Pour George Étienne Cartier, chef de file du Canada français et procureur général pour le Canada-Est lors des négociations sur la Confédération, l'instauration d'un régime fédéral avait pour effet de reconnaître la nationalité canadienne-française. Cartier nous dit:

    Telle est [...] la signification que l'on doit attacher à cette constitution. On y voit la reconnaissance de la nationalité canadienne-française. Comme nationalité distincte et séparée, nous formons un État dans l'État, avec la pleine jouissance de nos droits, la reconnaissance formelle de notre indépendance nationale.

C'est ce que Cartier disait.

Je suis persuadé que mon collègue Mills va être content. Je quitte les années 1800 pour l'année 1956, année où la Commission royale d'enquête sur les problèmes constitutionnels, mise sur pied par le gouvernement du Québec, estimera que les faits liés à la naissance de la fédération révèlent que les Canadiens français n'ont donné leur assentiment à la Confédération qu'à deux conditions fondamentales:

    que l'union soit fédérative et que, dans cette union, ils soient reconnus comme tels, comme groupe national distinct, et même placés sur un pied d'égalité avec l'autre groupe ethnique.

Monsieur le président, la Commission royale d'enquête mentionnait cela en 1956. Ce n'est pas sous le régime de René Lévesque ni sous le régime de Lucien Bouchard. En 1956, la Commission sur les problèmes constitutionnels avait été mise sur pied par le gouvernement du Québec. Je pense que le cul-de-sac dans lequel le gouvernement actuel nous a plongés avec le projet de loi C-20 et la motion que la majorité libérale au sein de ce comité veut nous imposer, qui est aussi antidémocratique que le projet de loi lui-même, viennent confirmer que l'on ne veut pas reconnaître que les Québécois forment un groupe national distinct qui devrait être placé sur un pied d'égalité avec l'autre groupe ethnique.

• 1500

Monsieur le président, la Confédération sera vue par une certaine pensée politique et constitutionnelle québécoise comme un pacte entre deux peuples fondateurs. C'est ce que Jean-Charles Falardeau nous disait dans un article intitulé «Les Canadiens français et leur idéologie»:

    Cette interprétation de la Confédération en tant que pacte étonne encore le Canadien de langue anglaise pour qui la Loi de 1867 ne peut être qu'une loi du Parlement impérial dont l'exégèse doit s'en tenir strictement à la lettre des textes juridiques, lesquels, à nulle part, ne font spécifiquement allusion à aucun pacte. Quoi qu'il en soit, le fait sociologiquement significatif et important est que les Canadiens français, depuis environ la fin du XIXe siècle, ont donné à la Constitution canadienne cette signification. [...] Que les publicistes et les juristes canadiens-anglais la trouvent acceptable ou non, elle persistera comme l'un des éléments les plus tenaces de la définition que le Canadien français donne de l'histoire du Canada.

Bien que, en effet, cette conception dualiste du pays ait été contestée dans le reste du Canada, elle a exprimé en tant qu'idée politique fondamentale un désir du Canada français d'être associé à titre de partenaire et de participant à part entière dans l'édification du nouveau pays.

Par ailleurs, une autre vision montrera la Confédération comme un pacte entre les provinces, vision à laquelle on opposera une acception de la Constitution canadienne comme loi impérative avant tout.

En 1884, Honoré M.rcier, alors premier ministre du Québec, dénonçait les empiétements fréquents du gouvernement fédéral sur les prérogatives des provinces. Monsieur le président, déjà, en 1884, Honoré M.rcier, le premier ministre du temps, qui n'était ni un séparatiste ni un souverainiste, se plaignait des empiétements du gouvernement fédéral dans les prérogatives des provinces. Voici ce que M.rcier disait:

    L'existence des provinces a précédé celle de la Puissance...

Il écrit «Puissance» avec une majuscule, comme la Puissance qui nous vient d'en haut.

    ...et c'est d'elles que celle-ci a reçu ses pouvoirs. Les provinces possédaient le gouvernement responsable en 1867: elles avaient leur législature, leurs lois et toute l'autonomie qui est inhérente à une colonie. Les provinces ont délégué, dans l'intérêt général, une partie de leurs pouvoirs: et ce qu'elles n'ont pas délégué, elles l'ont gardé et le possèdent encore. Elles sont souveraines dans les limites de leurs attributions, et toute atteinte portée à cette souveraineté est une violation du pacte fédéral.

Un autre premier ministre reconnu pour son ardeur à défendre l'autonomie du Québec face aux visées centralisatrices du gouvernement fédéral, Maurice Duplessis, s'est maintes fois porté à la défense des prérogatives constitutionnelles du Québec en invoquant le Pacte de 1867:

    Notre régime de gouvernement est fondé sur le principe de l'autonomie complète des provinces. Et cela pour d'excellentes raisons dont la plus importante est que la Confédération canadienne, depuis son origine, ne constitue pas seulement une entente entre les quatre provinces pionnières, mais un pacte sacré conclu entre les deux grandes races dont la coopération amicale est juste et indispensable à l'unité canadienne.

Maurice Duplessis nous disait aussi:

    La Confédération devrait être ce que les Pères de la Confédération ont voulu, de bonne foi, qu'elle fût: une association de provinces souveraines dans les limites de leur compétence, et un gouvernement fédéral souverain dans les limites de sa compétence. [...] La province de Québec n'aurait jamais accepté de faire partie de la Confédération, s'il n'avait pas été alors parfaitement évident que les garanties sur lesquelles se fondaient la Confédération étaient intangibles.

Je suis assuré, monsieur le président, que beaucoup de personnes qui nous écoutent, des gens qui ont connu Maurice Duplessis et qui ont eu beaucoup de respect pour les visées autonomistes de Maurice Duplessis, des Québécois et des Québécoises d'une certaine génération qui ont aimé Maurice Duplessis, mais qui aujourd'hui sont devenus souverainistes, apprécient cette citation de l'ancien premier ministre.

• 1505

La conception du pacte entre les provinces s'appuie notamment sur la théorie de l'existence et de la survie des entités politiques qui se sont entendues en 1867, théorie exprimée dans un avis rendu en 1892 par le Comité judiciaire du Conseil privé de Londres, qui agissait alors comme tribunal de dernier ressort pour le Canada.

Le Conseil privé avait dit ceci:

    Le but de l'Acte [de 1867] était non pas de fusionner les provinces en une seule ni de mettre les gouvernements provinciaux en état de subordination par rapport à une autorité centrale, mais de créer un gouvernement fédéral dans lequel elles seraient toutes représentées et auxquelles serait confiée d'une façon exclusive l'administration des affaires dans lesquelles elles avaient un intérêt commun, chaque province conservant son indépendance et son autonomie.

Monsieur le président, rappelons-nous que c'est le Conseil privé de Londres qui souligne cette chose dans un avis rendu public en 1892. Le Conseil privé disait:

    Le gouvernement du Dominion devait recevoir les pouvoirs, biens et revenus nécessaires à l'exercice complet de ses attributions constitutionnelles, et les provinces conserver le résidu pour les besoins de l'administration provinciale. Toutefois, pour ce qui est des matières que l'article 92 réserve spécialement à la législation provinciale, la province reste libre de contrôle fédéral et sa souveraineté est la même qu'avant l'adoption de la loi.

Cette affirmation du Conseil privé, monsieur le président, ne devait pas empêcher le gouvernement fédéral d'intervenir dans les champs de compétence des provinces. C'est pourquoi on a assisté à une quête d'égalité et d'affirmation.

Depuis 1867, l'importance du Québec comme point d'appui de la nation canadienne-française n'a cessé de croître, puisque, au milieu du XXe siècle, c'est encore plus de 80 p. 100 de cette nation qui s'y trouve concentrée.

Après 1960, au cours de la période de la Révolution tranquille, le Québec a démontré une volonté incessante de prise en charge des secteurs déterminants pour son développement culturel, social et économique. En outre, cette volonté d'affirmation du Québec se manifeste sur le plan international avec la croissance d'un réseau de délégations à l'étranger et une politique d'action internationale directe suscitée par Paul Gérin-Lajoie, ministre de l'Éducation sous le gouvernement de Jean Lesage. En expliquant cette politique, M. Gérin-Lajoie déclarait:

    Le Québec n'est pas souverain dans tous les domaines: il est membre d'une fédération. Mais il forme, au point de vue politique, un État. Il en possède tous les éléments: territoire, population, gouvernement autonome.

C'est ce que nous dit M. Gérin-Lajoie, qui vit encore et qui est très lucide. J'ai eu l'occasion de le rencontrer le printemps dernier et de discuter avec lui. J'ai pu me rendre compte qu'il était encore et avant tout un grand nationaliste québécois.

    Il est, en outre, l'expression politique d'un peuple qui se distingue, à nombre d'égards, des communautés anglophones habitant l'Amérique du Nord.

    Le Québec a sur, ce continent, sa vocation propre. La plus nombreuse des communautés francophones hors de France, le Canada français, appartient à un univers culturel dont l'axe est en Europe et non en Amérique. De ce fait, le Québec est plus qu'un simple État fédéré parmi d'autres. Il est l'instrument politique d'un groupe culturel distinct et unique dans la grande Amérique du Nord.

Durant les années 1960, une commission royale d'enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme reçut le mandat d'étudier la question de l'égalité des peuples fondateurs. Cette commission soulignait dans son rapport, dont je vous cite une déclaration qui se trouve à la page 179:

    Depuis le début, nous croyons que c'est là l'idée-force de notre mandat. En effet, on ne nous propose pas seulement la reconnaissance de deux langues et de deux cultures principales auxquelles pourraient être reconnus des droits singulièrement différents. On nous demande d'examiner comment la Confédération canadienne peut se développer à partir du principe d'égalité.

• 1510

La Confédération de 1867 s'avérait un cadre qui n'avait pas assuré l'égalité de ses peuples. Au Québec, ce constat ainsi que la volonté d'une plus grande autonomie politique contribuèrent à l'émergence de revendications pour des changements constitutionnels profonds impliquant la réforme du statut du Québec.

Monsieur le président, j'aimerais maintenant vous citer un extrait du discours prononcé par le premier ministre du Québec Jean Lesage devant le Canadian Club de Calgary le 22 septembre 1965. Jean Lesage, à ce que je sache, monsieur le président, n'était pas un premier ministre séparatiste; il n'était pas indépendantiste, mais c'était un nationaliste québécois. Écoutez ce qu'il disait:

    Souvent, j'ai dit ce que le Québec, comme point d'appui du groupement canadien d'expression française, désire. Nous voulons l'égalité des deux groupes ethniques qui ont fondé ce pays, nous voulons nous affirmer de la façon qui convient à notre culture et à nos aspirations, nous voulons dans le Canada de l'avenir un statut qui respecte nos caractères particuliers.

Monsieur le président, je vous soumets respectueusement que la motion qui est déposée devant nous par M. Alcock, secrétaire parlementaire du ministre des Affaires intergouvernementales, M. Stéphane Dion, est antidémocratique et ne respecte nullement les caractères particuliers des Québécois et des Québécoises. C'est pourquoi, monsieur le président, nous nous devons de dénoncer cette motion que nous qualifions d'antidémocratique, tout comme le projet de loi C-20 déposé par Stéphane Dion, d'ailleurs.

Monsieur le président, la campagne électorale de 1966 se fit, par le parti qui devait être porté au pouvoir, autour du slogan «Égalité ou indépendance», qui en vint à symboliser cette quête d'égalité. Daniel Johnson père, lequel allait devenir le premier ministre du Québec, résumait cette campagne électorale en ces termes:

    [Une nouvelle] Constitution devrait [...] être conçue de telle façon que le Canada ne soit pas uniquement une fédération de dix provinces, mais une fédération de deux nations égales en droit et en fait.

M. Johnson père disait:

    Fédération, États-associés, confédération, statut particulier, république, quoi qu'il en soit, le nouveau régime constitutionnel devra donner à la nation canadienne-française tous les pouvoirs qui lui sont nécessaires pour assumer son propre destin.

M. Johnson nous disait:

    Après trois siècles de labeur, notre nation a bien mérité de vivre librement. Tant mieux si elle peut se sentir chez elle d'un océan à l'autre. Ce qui implique qu'on lui reconnaisse l'égalité complète.

Monsieur le président, je vous soumets que le projet de loi qui est déposé devant nous, qui stipule que chacun des votes dans un référendum au Québec ne pourrait comporter la même valeur, le même poids démographique, vient complètement à l'encontre de cette reconnaissance de l'égalité complète.

J'ajoute que la motion que le gouvernement veut nous imposer, de nous bâillonner et de terminer les travaux à la vapeur, à la hâte, en cachette et en pleine nuit est totalement inacceptable et antidémocratique. C'est pour cela, monsieur le président, qu'il me fait plaisir de prendre la parole sur cette motion.

Je continue. Au moment de la Révolution tranquille et dans les années qui suivirent, alors que se formaient à travers le monde plusieurs mouvements d'émancipation nationale à la faveur de la décolonisation amorcée sous le signe du droit à l'autodétermination des peuples, la nation canadienne-française, de plus en plus concentrée au Québec, complétait l'intégration de cet aspect territorial à sa réflexion sur le devenir collectif des Canadiens français. Minoritaires au sein du Canada, ils sont cependant majoritaires au Québec, où ils se sentent davantage capables de réaliser leur émancipation et de bâtir une société à leur image, si bien qu'ils en vinrent peu à peu à se concevoir différemment.

• 1515

En janvier 1979, la Commission sur l'unité canadienne déclarait ceci dans ses observations et recommandations, à la page 25:

    [...] au cours des quelques dernières années. Ils sont de plus en plus nombreux à ne se vouloir et à ne s'appeler que Québécois, se définissant mieux ainsi comme majorité, comme peuple.

Encore une fois, c'est un organisme fédéral, la Commission Pepin-Robarts sur l'unité canadienne, qui parlait comme cela en janvier 1979. Ce n'est pas la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal qui a dit cela.

Cependant, monsieur le président, toutes les propositions visant à refléter la réalité nationale québécoise dans la Constitution ont échoué ou ont été laissées sans suite. Ce fut notamment le cas du statut particulier recherché au cours des années 1960 et du fédéralisme asymétrique proposé par la Commission sur l'unité canadienne, la Commission Pepin-Robarts de la fin des années 1970 dont je parlais tout à l'heure. Il en sera de même du concept de société distincte recherché au cours des années 1980 jusqu'en 1992.

Portant un regard sur le débat constitutionnel durant la période de 1960 à 1976, l'historien Jean-Louis Roy écrivait:

    Le fait le plus décisif intervenu depuis 1960 dans les relations du Québec et du Canada est constitué par l'acceptation générale par une majorité de Québécois, du statut de nation pour leur collectivité. Le refus du Canada anglais, tout au moins de ses porte-parole au niveau fédéral et à celui des provinces anglophones, de reconnaître ce fait a précipité la rupture psychologique du Canada. Ce refus explique sans doute qu'aucun projet de nouvelle constitution susceptible de susciter l'adhésion des Québécois n'est venu du Canada anglais.

L'historien Jean-Louis Roy poursuit en disant:

    Le refus du Canada anglais de reconnaître le statut de nation à la collectivité québécoise après plus de dix années de négociations constitutionnelles demeure le motif essentiel de la fragmentation du Canada.

Nous allons maintenant étudier, monsieur le président, la remise en question du cadre fédéral et l'égalité des peuples par la souveraineté-association.

En 1976, le débat prend une dimension nouvelle avec l'arrivée au Québec du gouvernement de René Lévesque, qui proposera, lors d'un référendum, la recherche, en dehors du cadre fédéral, d'une nouvelle entente Québec-Canada: la souveraineté-association.

L'Assemblée nationale du Québec procédera d'abord à l'adoption, en 1978, de la Loi sur la consultation populaire, loi-cadre établissant un processus référendaire québécois. L'une des caractéristiques de ce processus est son système de comités parapluies, appelés comités nationaux, au sein desquels se regroupent les partisans des différentes options. Ce système joue notamment un rôle démocratique important dans le contrôle des dépenses référendaires. C'est sous le régime de cette Loi sur la consultation populaire que se tiendront les différents référendums sur l'avenir politique du Québec. Le premier de ces référendums fut tenu le 20 mai 1980 par le gouvernement Lévesque, sur la question de la souveraineté-association. À cette occasion, des membres du gouvernement fédéral et certains premiers ministres provinciaux ont participé activement à la campagne du Non.

Monsieur le président, ici, on entend souvent les ténors fédéralistes dire qu'en 1980, la question n'était pas claire, que la question était ambiguë, que le processus était vicié, que ce n'était pas démocratique. Pourtant, cela n'a pas empêché les élus libéraux fédéraux du Québec d'accepter d'entrer dans le processus référendaire. Même des premiers ministres provinciaux se sont mêlés de la question référendaire et sont venus au Québec faire campagne pour le camp du Non. Si le processus était si vicié, pourquoi avoir accepté d'y participer le 20 mai 1980? À cette occasion, des membres du gouvernement fédéral ont participé au camp du Non, comme je le mentionnais.

• 1520

En 1992, le député libéral Brian Tobin, qu'on appelle «Capitaine Canada», est allé aux Nations Unies, avec des petites morues et des petits turbots qu'il a achetés quelque part, pourchasser, tel un pirate, les méchants Espagnols qui venaient pêcher sur les bancs de Terre-Neuve. Mais qu'a-t-il dit, le Capitaine Canada, alors qu'il était député libéral? À l'instar du gouvernement de l'époque et de tous les députés siégeant dans cette enceinte, il a alors participé à la campagne référendaire au Québec sous les auspices d'un organisme cadre dont on avait prévu de limiter les dépenses. C'est la réalité. C'est ce qu'on a fait dans le cadre du dernier référendum.

Joe Clark, à l'époque chef de l'opposition officielle au Parlement fédéral, déclarait que sa participation à la campagne référendaire de 1980 sous-entendait la reconnaissance de la légitimité de l'exercice. Le premier ministre fédéral d'alors, Pierre Elliott Trudeau, prenait pour sa part, peu avant la tenue du scrutin, l'engagement solennel de renouveler le fédéralisme canadien si le Non l'emportait lors du référendum. On se rappelle l'engagement solennel du premier ministre Trudeau.

Les résultats du référendum du 20 mai 1980 sont en faveur du Non à 59,56 p. 100, alors que le Oui recueille 40,44 p. 100 du vote. Le premier ministre du Québec, René Lévesque, tirera les conclusions suivantes après ce premier exercice référendaire conduit par les institutions québécoises. M. Lévesque disait:

    La reconnaissance manifeste [du droit à l'autodétermination] est l'acquis le plus précieux du référendum québécois. Quel qu'en ait été le résultat, il est maintenant incontesté et incontestable que le Québec constitue une communauté nationale distincte qui peut choisir elle-même, sans intervention extérieure, son statut constitutionnel. Les Québécois peuvent décider de rester dans le fédéralisme canadien, comme ils peuvent décider démocratiquement d'en sortir s'ils jugent que ce système ne correspond plus à leurs aspirations et à leurs besoins. Ce droit de contrôler soi-même son destin national est le droit le plus fondamental que possède la collectivité québécoise.

Examinons maintenant, monsieur le président, comment s'est opérée la rupture de 1982, parce qu'il est clair que, malgré la promesse du premier ministre Trudeau de renouveler le fédéralisme, au lendemain du référendum de 1980, il y a eu le rapatriement unilatéral de la Constitution en 1982.

De nouvelles négociations constitutionnelles ont été amorcées dans les semaines suivant le référendum sur la souveraineté-association. Comme je le disais tout à l'heure, malgré l'engagement du premier ministre fédéral afin d'obtenir le rejet par la population du projet du gouvernement Lévesque, ces négociations se sont soldées par l'imposition, au Québec, des plus importants changements constitutionnels depuis la naissance de la fédération canadienne.

Durant les années 1960 et suivantes, l'une des priorités du gouvernement fédéral en matière de réforme constitutionnelle était d'effectuer le rapatriement de la Constitution canadienne. Cela impliquait d'introduire dans la Constitution une procédure permettant sa modification par les pouvoirs politiques canadiens et la fin du recours obligatoire au Parlement de Londres en cette matière.

Parallèlement à la question du rapatriement, les discussions constitutionnelles ont porté sur plusieurs sujets de réforme. De façon générale, la question du statut du Québec et de ses compétences constitutionnelles fut la priorité québécoise dans ces échanges auxquels plusieurs gouvernements du Québec ont participé activement.

Toutefois, les négociations sur la réforme constitutionnelle tenues à la suite du référendum ont mené à l'isolement du Québec le 5 novembre 1981, alors qu'il fut le seul à ne pas adhérer aux modifications constitutionnelles projetées par Ottawa et les autres provinces, compte tenu du fait que ces modifications avaient pour effet de diminuer ses pouvoirs en matière de langue et d'éducation et de ne pas lui reconnaître un droit de veto ou un droit de retrait avec compensation adéquate en matière de modification constitutionnelle.

• 1525

C'est d'ailleurs en vain que le Québec exprima son veto à ce projet de rapatriement puisqu'en décembre 1982, la Cour suprême du Canada refusa de voir, dans les conventions constitutionnelles canadiennes, l'existence d'un droit de veto pour le Québec et ce, même si le Québec avait déjà exercé un tel veto à diverses reprises.

Le 5 novembre 1981, le premier ministre René Lévesque exprima la détermination du Québec à refuser la fragilisation de sa position au sein de la fédération canadienne. L'Assemblée nationale du Québec, pour sa part, face à la modification sans le consentement du Québec de l'entente intervenue 114 ans plus tôt, adopta, le 1er décembre 1981, une résolution fixant les conditions nécessaires pour que le Québec consente à adhérer au rapatriement constitutionnel. Cette résolution, dont voici un extrait, demande expressément que soient reconnus dans la Constitution l'égalité des deux peuples qui ont fondé le Canada, ainsi que le Québec en tant que société distincte qui possède tous les attributs d'une communauté nationale distincte.

Cette résolution se lisait comme suit:

    L'Assemblée nationale du Québec,

    rappelant le droit du peuple québécois à disposer de lui-même,

    et exerçant son droit historique à être partie prenante et à consentir à tout changement dans la constitution du Canada qui pourrait affecter les droits et les pouvoirs du Québec,

    déclare qu'elle ne peut accepter le projet de rapatriement de la constitution sauf si celui-ci respecte les conditions suivantes:

    1. on devra reconnaître que les deux peuples qui ont fondé le Canada sont foncièrement égaux et que le Québec forme à l'intérieur de l'ensemble fédéral canadien une société distincte par la langue, la culture, les institutions et qui possède tous les attributs d'une communauté nationale distincte; [...].

Le gouvernement fédéral devait toutefois opposer une fin de non-recevoir à cette résolution de l'Assemblée nationale du Québec et, par le fait même, maintenir entière l'impasse constitutionnelle entre le Québec et le reste du Canada. Au cours de ces événements, le Québec s'est retrouvé, sur le plan constitutionnel, acculé au statu quo. Comme le politologue Donald Smiley le faisait observer:

    [...] une entreprise de révision et de réformes constitutionnelles dont les objectifs présumés étaient de susciter des relations plus harmonieuses entre le Québec et la communauté canadienne s'est soldée par la trahison de l'électorat québécois, la violation d'une convention constitutionnelle fondamentale, la recrudescence du nationalisme québécois et par le défi, encore plus sérieux qu'auparavant, que le Québec pose à la légitimité de l'ordre constitutionnel canadien.

Monsieur le président, celui qui a dit cela n'est pas nécessairement un souverainiste. Il s'appelle Donald Smiley. Il a écrit cela dans un texte intitulé A Dangerous Deed: The Constitution Act, 1982.

Il dit que cela s'est soldé par la trahison de l'électorat québécois. J'espère, monsieur le président, que vous vous rendez compte du sérieux des mots. On parle de trahison de l'électorat québécois, de la violation d'une convention constitutionnelle fondamentale, de la recrudescence du nationalisme québécois, dont il fait la constatation. J'espère que vous vous rendez compte que le projet de loi C-20, que l'on a devant nous, n'est ni plus ni moins que la représentation de cette trahison de l'électorat québécois dans sa version de février 2000. Il y avait encore des gens qui croyaient à l'honnêteté de ce gouvernement. Il y en a encore parmi nos concitoyens. Je pense que la motion qui a été déposée devant nous, qui vise à restreindre les discussions sur le débat, en est une illustration flagrante, pour ne pas dire éloquente, pour ne pas dire frappante.

Monsieur le président, l'adoption unilatérale de la Loi constitutionnelle de 1982, qui consacre le rejet par le gouvernement fédéral de la notion des deux peuples fondateurs pour la remplacer par le concept de «un État, une nation», a marqué fortement le paysage constitutionnel canadien.

• 1530

Loin de reconnaître le peuple québécois, la Loi constitutionnelle de 1982 amène une nouvelle vision constitutionnelle où la dualité et la spécificité du Québec sont restées sans reconnaissance:

    La Loi de 1982 a [...] constitutionnalisé le principe du maintien et de la valorisation du patrimoine multiculturel des Canadiens, imposant par là au Québec une vision constitutionnelle qui ne reflétait pas nécessairement sa réalité au sein de l'ensemble canadien: le Canada se trouvait défini comme une société multiculturelle, sans reconnaissance constitutionnelle du principe de la «dualité canadienne» et de la spécificité du Québec. Étant très majoritairement anglophone, la société multiculturelle canadienne peut devenir dans les faits indifférente à l'identité distincte du Québec et à sa situation linguistique et culturelle unique au Canada.

    [D']une constitution fondée sur un compromis politique qui avait suscité en 1867 l'adhésion des représentants du peuple canadiens-français—les Canayens, comme on les appelait dans ce temps-là—, le Canada est passé en 1982 à une constitution adoptée malgré l'opposition de la province qui regroupe près de 90 p. 100 des francophones canadiens et qui représente plus du quart de la population.

Regardons maintenant, monsieur le président, un autre chapitre pour bien comprendre comment la motion qui a été présentée par M. Alcock, le secrétaire parlementaire du ministre des Affaires intergouvernementales, M. Dion, est antidémocratique. Penchons-nous sur les tentatives de réparation en vue de corriger l'affront et la trahison du rapatriement unilatéral de la Constitution en 1982 par Trudeau, alors qu'il s'était engagé au soir du référendum du 20 mai 1980, il y a bientôt 20 ans, à essayer d'obtenir l'assentiment du Québec à son projet de rapatriement de la Constitution.

Le président: Monsieur Guimond, je regrette de vous interrompre, mais il est maintenant 15 h 30 et nous devons commencer à entendre les témoins qui doivent comparaître cet après-midi. Vous pourrez continuer votre intervention après que nous aurons entendu les témoins, vers 17 h 30. Ça va?

M. Michel Guimond: Non, je ne le crois pas, monsieur le président. J'ai l'intention de continuer. On entendra les témoins par la suite.

Le président: Oui, mais...

M. Michel Guimond: Je crois qu'en vertu de l'article 116 du Règlement, monsieur le président, vous ne pouvez m'empêcher de parler sur la motion qui a été présentée. Je n'ai pas l'intention d'arrêter de parler. On reprendra l'audition des témoins lorsque j'aurai fini mon exposé, monsieur le président.

Le président: Monsieur Guimond, notre comité a adopté une motion qui stipule que nous ne débattrons pas de motions relatives aux affaires du comité lorsque les témoins que nous avons convoqués seront ici. Puisque nous avions prévu d'entendre des témoins à 15 h 30, je dois interrompe votre discours, que vous pourrez reprendre plus tard.

M. Michel Guimond: Monsieur le président, j'aimerais juste comprendre le sens de votre décision. Est-ce que vous reconnaissez qu'en vertu de l'article 116 de notre Règlement, j'ai le droit de parler au sujet de la motion qui a été déposée par le secrétaire parlementaire? Est-ce que vous êtes d'accord avec moi que j'exerce ce droit actuellement?

Le président: Oui.

M. Michel Guimond: Oui? Alors, pourquoi voulez-vous m'empêcher de continuer à l'exercer? Je suis en train de parler au sujet de cette motion. Je crois que vous avez reconnu la pertinence de mon propos, monsieur le président. Avec respect, je vous demanderais de retarder l'audition des témoins.

Le président: Non. Dès le début de ses travaux, le comité avait adopté une motion qui prévoyait que nous entendrions les témoins à l'heure à laquelle nous les avions convoqués, peu importe la motion dont nous débattrions à ce moment-là.

• 1535

Elle stipule:

    Chaque motion ainsi présentée (conformément au paragraphe a)) peut être présentée et débattue seulement à la fin de la présentation des témoins.

Les témoins sont arrivés et nous pourrons poursuivre ce débat après que nous les aurons entendus. Vous pourrez alors continuer vos remarques.

M. Michel Guimond: Monsieur le président, permettez-moi d'insister. Je veux juste comprendre. C'est exactement ce qui est arrivé ce matin. Ce midi, à la fin de l'audition de notre dernier témoin de la FTQ, le secrétaire parlementaire du ministre des Affaires intergouvernementales a déposé sa motion et nous avons entamé le débat.

Je crois que mon discours à l'heure actuelle respecte en tous points la motion qui avait été adoptée. Sachez que je respecte la motion.

Le président: Oui, oui.

M. Michel Guimond: La motion n'indique pas que lorsqu'un député débat d'une motion à la fin de l'audition des témoins, il doit cesser son discours pour que le comité reprenne l'audition des prochains témoins. Avec respect, monsieur le président, la motion ne dit pas ça.

Le président: À mon avis, c'est ce qu'elle signifie. C'était le but de cette motion. Lorsque nous en avions débattu lundi dernier, j'avais posé cette même question et nous avions convenu que nous débattrions de toute motion relative aux affaires du comité entre les présentations des témoins.

Je crois me souvenir que nous en avions discuté avec votre collègue M. Turp, lorsqu'il avait donné l'avis de motion la semaine passée. Je veux que nos débats continuent de se dérouler de cette façon. Nous avions prévu d'entendre trois ou quatre témoins cet après-midi et je crois que nous devrions les entendre. Nous pourrons continuer à débattre de cette motion après avoir entendu les témoins.

M. Stéphane Bergeron (Verchères—Les-Patriotes, BQ): Monsieur le président, j'aimerais seulement soulever une question. Je vous soumets respectueusement, monsieur le président, que j'étais présent lundi et qu'à aucun moment nous n'avions précisé que lorsque nous entreprendrions l'étude d'une motion, il faudrait l'interrompre pour entendre des témoins.

La seule chose que dit cette motion, c'est qu'on peut entreprendre l'étude des motions présentées après un avis de 24 heures, après audition des témoins. Une fois que le débat est entrepris, aucune disposition, ni dans ce qu'on a adopté ni dans le Règlement, monsieur le président, ne vous permet d'interrompre le débat sur la motion et de passer à l'audition de témoins. Cette motion ne dit pas cela et le Règlement ne vous permet pas cela, monsieur le président.

La motion dit simplement qu'après audition de témoins, on peut entreprendre l'étude d'une motion, ce que nous avons fait. La motion ne vous permet d'aucune façon d'interrompre l'étude de la motion pour reprendre l'audition de témoins. Ce n'est pas ce que dit la motion, monsieur le président.

Ayant assisté lundi à la discussion, je sais pertinemment qu'il n'a jamais été question que cette motion veuille dire qu'en plein milieu d'un débat sur une motion, nous pourrions interrompre le débat sur la motion pour entendre de nouveaux témoins. Cette motion dit simplement qu'une fois qu'on aura entendu les témoins, on pourra débattre de la motion, mais à aucun moment cette motion même et le Règlement ne vous permettent d'interrompre le débat sur la motion pour entendre de nouveaux témoins.

Si c'est le cas, dites-moi à quel endroit du paragraphe c) on dit que vous avez l'autorité d'interrompre un débat sur une motion entrepris après la présentation de témoins pour entendre de nouveaux témoins. Ce n'est pas indiqué dans la motion, monsieur le président.

Le président: Monsieur Bachand.

M. André Bachand: Monsieur le président, je comprends la stratégie à laquelle ont recours les députés du Bloc, mais j'en appelle au Bloc, nonobstant la résolution qui a été adoptée, pour faire une trêve par respect pour les témoins.

D'ailleurs, nous mettrons aux voix ce soir une motion visant justement à nous permettre de voyager qu'appuient tous les partis de l'opposition. Mais par respect pour les gens qui se sont déplacés aujourd'hui, j'en appellerais à mes collègues pour qu'on suspende ce cours d'histoire fort intéressant qu'on reçoit de M. Guimond et qu'il pourrait poursuivre entre l'audition des témoins. J'en appelle à la logique du Bloc, s'il y en a une, pour qu'il cesse afin qu'on puisse commencer à entendre les témoins immédiatement.

Le président: Monsieur Alcock.

• 1540

[Traduction]

M. Reg Alcock: Au sujet du même appel au Règlement, monsieur le président, j'ai deux ou trois choses à dire.

Premièrement, les comités peuvent fixer leurs propres règles. Nonobstant le Règlement, les comités peuvent fixer leurs propres règles de fonctionnement, comme nous l'avons fait. Nous avons agi ainsi par respect pour les témoins, et le débat a été assez long.

De temps en temps, le Bloc a exprimé ses préoccupations au sujet des témoins. Rien dans la motion n'empêche M. Guimond de poursuivre la discussion qu'il veut avoir, mais l'intention de la motion, qui a reçu l'approbation des partis, était de permettre aux témoins, à leur comparution, d'avoir suffisamment de temps pour témoigner, avant que nous revenions aux travaux de la Chambre. Nous nous sommes entendus là-dessus. M. Bachand le confirme, comme d'autres le feront sans doute.

Le président: Monsieur Blaikie.

M. Bill Blaikie: Monsieur le président, je voulais simplement dire que c'est ce que j'avais compris à ce moment-là. Il ne faudrait toutefois pas exagérer en présentant les choses sous un jour trop favorable. Nous n'avons pas pris cette décision uniquement par respect pour les témoins. Nous savions que le gouvernement avait l'intention de limiter le temps consacré à ce projet de loi et nous voulions entendre nos témoins. Comme nous nous attendions à être saisis de questions de procédure comme celle-ci, c'était la seule façon de s'assurer que certains témoins seraient entendus, ou du moins, un nombre acceptable d'entre eux.

Mais c'est bien ce qui était convenu, et je crois donc, monsieur le président, qu'il faut continuer à écouter les témoins.

Le président: Monsieur Hill.

M. Grant Hill: Je confirme que j'avais aussi compris que nous interromprions toutes procédures afin que les témoins n'aient pas à se déplacer de loin pour être renvoyés chez eux. En fait, si nous refusions d'entendre ces témoins, qui sont à mon avis très importants, ce serait à mon avis antidémocratique et tout à fait inconvenant.

[Français]

Le président: Monsieur Guimond, très brièvement.

M. Michel Guimond: Monsieur le président, vous me permettrez de diverger d'opinion avec vous. Je demeure profondément convaincu qu'il ne s'agit pas du sens de la motion. Avant d'en appeler de votre décision, monsieur le président, j'aimerais que vous précisiez l'ordre des débats et que vous confirmiez que je pourrai reprendre mon discours après l'audition des témoins. Est-ce que vous pourriez expliquer votre décision de façon plus explicite?

Le président: Oui, je peux l'indiquer à nouveau à l'honorable député. Il aura la parole lorsque nous aurons terminé l'audition des témoins et il pourra alors continuer son intervention. C'est aussi simple que cela.

Je rendrai maintenant ma décision au sujet de l'appel au Règlement. La motion adoptée lundi passé indique qu'on ne reprendra le débat et l'étude de motions comme celle-ci qu'à la fin de la présentation des témoins et avant que les prochains témoins ne commencent leurs présentations.

M. Stéphane Bergeron: Monsieur le président...

Le président: C'est ce dont nous avions convenu. Tous les autres membres du comité ont indiqué qu'ils ont compris exactement la même chose, à savoir que nous avions décidé de ne tenir de tels débats qu'à la fin de la présentation des témoins.

Les témoignages devraient prendre fin à 17 h 30 ou à 18 heures, après quoi nous pourrons reprendre le débat plus tard ce soir. Comme je l'ai indiqué, monsieur Bergeron, je ne veux entendre aucun autre argument sur ce point. Telle est la décision de la présidence à ce moment-ci. Puisque notre ordre du jour indique clairement que nous avions prévu trois périodes de témoignages pendant la journée, nous ne pouvons pas avoir un tel débat, à moins de le tenir entre les différentes comparutions. C'est ma décision.

Oui, monsieur Bergeron.

M. Stéphane Bergeron: Je fais rappel au Règlement. Si vous ne voulez pas m'entendre sur cette question-là, je n'aurai d'autre choix que de contester votre décision, mais je ne voudrais pas en arriver là. Monsieur le président, vous interprétez l'intention des gens qui étaient là, alors que le texte de la motion lui-même ne dit pas ce que vous voudriez qu'il dise.

Le président: C'est mon interprétation des mots qui y figurent.

M. Stéphane Bergeron: Mais les mots ne disent pas, monsieur le président, avant l'audition de nouveaux témoins. Il n'y a absolument rien dans cette motion-là qui vous permet d'interrompre le débat sur une motion.

Le président: Je le ferai. À mon avis, c'est ce que veulent dire ces mots.

[Traduction]

Et c'est ma décision. Si vous voulez faire appel, allez-y. Autrement, nous continuerons à écouter nos témoins.

• 1545

[Français]

M. Michel Guimond: À ce compte-là, quand un parti d'opposition ou un membre du comité législatif pourrait-il s'opposer à une motion de clôture ou à un bâillon de la part de la majorité gouvernementale?

Le président: En tout temps, lorsqu'il n'y a pas de témoins devant le comité.

La motion peut faire l'objet d'un débat et nous poursuivrons ce débat après avoir entendu les témoins. J'ai déjà indiqué à l'honorable député qu'il pourra continuer plus tard cet après-midi. Alors, commençons.

[Traduction]

Le premier témoin cet après-midi...

[Français]

M. Stéphane Bergeron: Monsieur le président, je vous signale que nous sommes toujours à la cinquième séance et que la sixième séance n'a pas débuté. Nous en sommes toujours à la fin de la cinquième séance et, conformément au paragraphe a) que nous avons adopté, chaque motion ainsi présentée peut être débattue seulement à la fin de la présentation des témoins.

Nous sommes toujours à la séance 5.

[Traduction]

Le président: À l'ordre, s'il vous plaît. J'ai déjà rendu ma décision. J'ai dit que M. Guimond pourrait poursuivre son discours après que les témoins nous auront quittés. Je ne suis pas en réflexion. C'est une autre séance. Nous recevons un autre groupe de témoins, et c'est ce que nous allons faire maintenant.

[Français]

M. Daniel Turp: J'invoque le Règlement, monsieur le président.

[Traduction]

Le président: Si c'est sur la même question, je ne veux pas vous entendre.

[Français]

M. Daniel Turp: On doit respecter notre volonté de faire appel au Règlement. J'aimerais que vous nous expliquiez en quoi cette cinquième séance a pris fin. J'aimerais être éclairé par le président et par le greffier du comité à ce sujet. Il est important que vous nous donniez une réponse claire à cette question afin que nous puissions déterminer si le paragraphe que vous interprétez de cette façon peut être ainsi interprété.

Le président: Comme le greffier l'indiquait lundi dernier, on attribuera un nouveau numéro à chaque séance et on dressera un ordre du jour distinct pour chacune des trois séances prévues pour la journée où l'on indiquera le nom des témoins.

[Traduction]

Nous continuons notre séance d'aujourd'hui. Nous n'avons pas levé la séance. Nous n'avons pas non plus suspendu la séance. Nous allons simplement accueillir d'autres témoins, et dès qu'ils seront partis, nous reviendrons à ce que nous faisions avant leur arrivée.

[Français]

Des voix: Nous invoquons le Règlement.

[Traduction]

Le président: Je vous préviens, je ne vous écouterai pas éternellement. Je veux passer...

[Français]

M. Daniel Turp: Comment peut-on commencer la sixième séance?

Le président: C'est la même séance.

M. Daniel Turp: Non, ce n'est pas la même séance parce qu'il y a un ordre du jour distinct, une convocation différente pour les témoins qui sont là. Comment peut-on commencer une sixième séance alors que la cinquième séance n'est pas terminée? Il faut que vous nous expliquiez cela. La cinquième séance n'est pas terminée et vous voulez commencer la sixième.

Le président: Oui, et je la commence immédiatement.

M. Daniel Turp: Vous ne pouvez pas interpréter le Règlement ici.

Le président: Professeur Guy Lachapelle, je vous invite à prendre votre place et à commencer votre présentation.

J'ai l'obligation, en ma qualité de président, de faire en sorte que le comité poursuive ses travaux. Je ne peux pas continuellement permettre des rappels au Règlement qui visent à empêcher le comité de faire son travail.

M. Stéphane Bergeron: Monsieur le président, en vertu de quel article du Règlement m'empêchez-vous de faire appel au Règlement?

Le président: Tout comme c'est le cas à la Chambre, le président a toujours l'obligation de voir à ce que les travaux puissent se poursuivre. On ne peut pas soulever des appels au Règlement jusqu'à la fin de la journée ou jusqu'à n'importe quelle heure. Nous avons déjà entendu cinq ou sept rappels au Règlement portant sur le même point.

À mon avis, le comité a adopté une méthode de travail. J'ai rendu une décision sur ce point et c'est fini. Nous pourrons continuer le débat plus tard, mais nos témoins sont ici maintenant, ils sont prêts et je voudrais les entendre sans plus tarder.

M. Stéphane Bergeron: Monsieur le président, je veux bien qu'on s'entende et je voudrais bien comprendre. Je veux savoir en vertu de quel article du Règlement vous m'empêchez de faire un nouvel appel au Règlement.

Le président: C'est la décision qu'a rendue un président et elle vise à faire en sorte qu'un comité ou la Chambre puisse, comme il en a le droit, poursuivre ses travaux. C'est ce que je fais maintenant.

M. Michel Guimond: Si le secrétaire parlementaire avait déposé sa motion immédiatement après qu'on ait entendu l'autre témoin, j'aurais pu disposer d'une minute pour parler entre deux témoins.

Le président: Vous aurez plusieurs autres occasions de le faire plus tard ce soir. Nous pourrons continuer le débat pendant toute la soirée si nous le voulons.

• 1550

Le professeur Guy Lachapelle est ici et il présentera ses opinions. Monsieur Lachapelle, bienvenue au comité. Vous avez 10 minutes pour votre présentation et ensuite il y aura 35 minutes pour des questions des députés. Vous avez la parole.

M. Guy Lachapelle (professeur au département de science politique et l'Université Concordia; témoigne à titre personnel): Monsieur le président du comité, membres du comité, mesdames et messieurs, le projet de loi C-20 que vous avez sous les yeux constitue une atteinte aux libertés démocratiques et est, à plus d'un égard, le pain de faussaires de l'esprit. Au lendemain du référendum de 1995, le premier ministre Chrétien affirmait sur les ondes de la CBC, dans le cadre de l'émission The National, qu'il avait l'intention d'utiliser l'article 91 de la Constitution pour faire «des lois pour la paix, l'ordre et le bon gouvernement au Canada» afin de déterminer la question lors du prochain référendum au Québec. Le projet de loi C-20 semble bien être sa réponse, et peut-être même une première étape vers d'autres actions.

Plus encore, ce projet de loi dit «de la clarté» affirme que la Chambre des communes a la responsabilité de se prononcer sur la clarté d'une question et d'une majorité référendaires avant de déterminer si le gouvernement du Canada a l'obligation d'entreprendre la négociation d'une éventuelle sécession. En d'autres termes, le gouvernement fédéral a décidé de nier la légitimité de l'Assemblée nationale du Québec. Le projet de loi fédéral pose problème car le gouvernement fédéral n'a nul besoin d'une loi pour faire ce qu'il a toujours fait depuis 50 ans, soit intervenir dans des domaines qui ne sont pas de sa juridiction. Les élections et les référendums dans les provinces ne relèvent pas de son autorité. À notre avis, le projet de loi C-20 est même anticonstitutionnel.

Le gouvernement fédéral cherche donc à édicter certains critères qui seront en vigueur après que l'Assemblée nationale du Québec aura décidé du moment et de la question référendaire. Ces trois critères sont: premièrement, la question du prochain référendum au Québec devra être claire pour le gouvernement fédéral, c'est-à-dire porter uniquement sur la sécession; deuxièmement, la majorité devra être claire; et troisièmement, une question qui ferait allusion à des notions d'association ou d'offre de partenariat avec le Canada ne pourrait mener à aucune négociation.

Pourquoi le projet de loi se limite-t-il à la formulation de la question et de la majorité requise, alors que dans un référendum, il existe d'autres enjeux beaucoup plus importants? Le financement des comités parapluies, le rôle de la télévision et le temps d'antenne, les activités gouvernementales et le vote obligatoire sont autant de règles sur lesquelles le gouvernement fédéral aurait pu aussi légiférer. De fait, le projet de loi C-20 ressemble beaucoup à toutes les clauses cachées à l'endos d'un contrat qu'un vendeur non moins scrupuleux évite de vous lire. Y aura-t-il d'autres clauses à ce contrat Québec-Canada qui n'ont pas été mentionnées et que les Québécois devraient connaître?

Nos observations d'aujourd'hui seront essentiellement de nature technique, bien que le projet de loi ait surtout des visées politiques, soit de dissuader bon nombre de Québécois de faire l'indépendance. Nous chercherons à mieux comprendre ce que les concepts de «question claire» et de «majorité claire» signifient de manière pratique et non théorique. Nous questionnons aussi la logique du projet de loi C-20. Pourquoi les Québécois ne pourraient-ils pas proposer une offre de partenariat qui pourrait être faite au reste du Canada? À ce chapitre, le renvoi de la Cour suprême du Canada ne mentionnait nullement que le gouvernement du Québec ne pouvait pas consulter sa population au cours des étapes de la négociation. De toute manière, ce jugement n'était qu'une opinion, et non un jugement exécutoire, comme l'a si bien rappelé le juge Antonio Lamer. Donc, pourquoi légiférer quand il n'y a pas nécessité? Sans doute pour des raisons électoralistes. En conclusion, nous ferons quelques recommandations.

Tout d'abord, qu'est-ce qu'une question claire? Il faut se demander ce que cela signifie. Le projet de loi C-20 est muet et décevant à ce propos. Selon C-20, la Chambre des communes déterminera si la question permet au peuple québécois d'exprimer clairement son intention de ne plus faire partie du Canada et de devenir un État indépendant. La question du prochain référendum ne pourrait porter sur un mandat de négocier sur une offre de partenariat ou, en particulier, sur un accord politique et économique. Dans ces deux cas, il y aurait absence, selon C-20, d'expression claire de volonté.

Mais si les Québécois expriment une volonté claire de faire une offre de partenariat au Canada avant la déclaration d'indépendance, le projet de loi ne peut les en empêcher, à moins que le gouvernement fédéral ne décide, comme en 1995, de soutenir qu'il n'a pas l'intention de négocier.

• 1555

Il faut mentionner que les enquêtes d'opinion récentes au Québec démontrent que les Québécois pensent de plus en plus qu'une entente politique n'est pas viable, mais qu'un accord économique est souhaitable. De fait, on peut se demander si le projet de loi C-20 n'est pas le moyen détourné que le gouvernement fédéral a choisi pour se soustraire à son obligation de négocier.

Prenons quelques exemples historiques, d'abord celui de Terre-Neuve, le 22 juillet 1948. Historiquement, le gouvernement fédéral n'a jamais pu dire clairement ce qui était une question claire. Lorsque Terre-Neuve a voulu entrer dans la Confédération canadienne, le Haut commissaire du Canada avait qualifié la question d'ambiguë et d'équivoque, car elle ne faisait pas mention des conditions d'union qu'offrait le Canada. Le Haut commissaire du Canada était inquiet quant au déroulement de la campagne référendaire car, selon lui, et je le cite:

    La Confédération entrait dans la lutte fort désavantagée et, même si elle devait l'emporter avec la majorité des voix, il faudrait tout probablement réexaminer les bases de l'union.

Ce qui est intéressant dans ces propos est qu'il importe que les citoyens sachent quelles seront les bases de la future union ou du futur partenariat avant un référendum. L'électeur veut savoir sur quelle base se fera la négociation, aussi bien dans un cas d'union que de sécession. Le droit à l'information est aussi un principe fondamental.

Nous pensons que le gouvernement erre lorsqu'il affirme que «pour mener à la négociation d'une sécession, il faille une question claire sur la sécession». Même avec une question ambiguë qui n'expliquait pas les termes de l'union, Terre-Neuve est devenue une province canadienne. Suivant les critères établis par le projet de loi C-20, les Terre-Neuviens pourraient sans doute affirmer que l'entrée de Terre-Neuve à la Confédération s'est réalisée de manière ambiguë.

Examinons maintenant le cas de la sécession de l'Australie occidentale le 8 avril 1933. Le premier ministre Sir James Mitchell avait déposé une loi au Parlement en vue de la tenue d'un référendum qui devait avoir lieu en même temps que les élections générales de 1933. Le Bill du référendum précisait que deux questions seraient soumises aux électeurs, l'une portant sur la sécession et l'autre portant sur la constitution d'une assemblée à laquelle tous les États seraient également représentés. Les électeurs devaient ainsi répondre à deux questions inscrites sur des bulletins de vote séparés, qui se lisaient comme suit:

    1. Êtes-vous d'accord que l'État d'Australie occidentale se retire du Commonwealth fédéral établi en vertu du Commonwealth of Australia Constitution Act?

    2. Êtes-vous en faveur de la convocation d'une assemblée composée d'un nombre égal de représentants de chacun des États d'Australie, qui aurait pour mandat de proposer les modifications à la Constitution du Commonwealth que cette assemblée jugerait nécessaires?

L'électorat se prononça en faveur de la sécession à 66,2 p. 100, mais rejeta la proposition relative à la convocation d'une assemblée à 57,4 p. 100. Le taux de participation fut de près de 90 p. 100. De fait, ce fut le premier ministre fédéral Lyons qui proposa aux États de former une autre assemblée dans laquelle le Commonwealth serait représenté sur un pied d'égalité avec l'ensemble des États.

Ces exemples démontrent qu'il y a bien des façons de tenir des référendums. Le projet de loi C-20 n'offre à ce chapitre aucune règle claire. Est-ce qu'il serait possible, en vertu de C-20, que le gouvernement du Québec puisse tenir un référendum en même temps qu'une élection? Est-ce que la question suivante serait assez claire: «Êtes-vous d'accord pour que le Québec se retire du Canada?» Le gouvernement du Québec peut-il poser une question à deux volets, l'une portant sur l'offre de partenariat et l'autre sur l'indépendance? Peut-il offrir, comme lors du référendum de Terre-Neuve, deux options, l'indépendance ou un fédéralisme renouvelé?

Pour les politologues comme moi, une telle discussion demeure fort banale puisque dans les faits, il a été démontré que la question n'avait que peu d'influence sur les résultats d'un référendum. Au cours d'une réunion tenue en 1980, un groupe de spécialistes des référendums cherchèrent à établir certaines règles devant guider les référendums et publièrent un document intitulé «Referendums: Guidelines for the Future», qui poursuivait presque le même mandat que ce comité. Le professeur David Butler, l'un des spécialistes des référendums, concluait ce qui suit à partir de l'analyse du référendum québécois de 1980:

[Traduction]

    En fait, des Québécois pourraient le nier, mais les préoccupations relatives au libellé sont exagérées. Les gens ne lisent pas le bulletin de scrutin avant de se faire une idée. Ils vont au bureau de scrutin pour voter oui ou non, et leur décision est fondée sur les grandes questions et la façon dont on a présenté les choses pendant la campagne. Si la question est chargée de sens, on en aura parlé dans le cadre des débats; une question biaisée pourrait se retourner contre ses rédacteurs. Il reste que pour avoir des référendums justes, il faut une question aussi équilibrée et nette que possible.

• 1600

[Français]

L'analyse du professeur Butler démontre que tout le débat sur la clarté de la question n'est pas une question juridique, mais uniquement une question de stratégie électorale. Le seul élément central est que la campagne référendaire soit un lieu de débat des véritables enjeux et que la question en soit un reflet. Le gouvernement canadien a pu d'ailleurs dénoncer à loisir autant la conduite du référendum de 1949 à Terre-Neuve que les référendums du Québec en 1980 et 1995.

Si les questions de 1980 et de 1995 n'étaient pas claires, alors que dire des nombreux électeurs québécois qui ont voté non, pensant qu'ils votaient à chacun de ces référendums pour un fédéralisme renouvelé ou décentralisé? Ont-ils été floués par la question référendaire ou par la promesse des acteurs politiques? Si le Québec a été exclu de la fédération canadienne en 1982, ce n'est certes pas à cause de la question de 1980. La légitimité du rapatriement a d'ailleurs été mise en cause récemment par le juge Antonio Lamer. Si le fédéralisme canadien est aujourd'hui en crise, ce n'est pas seulement à cause des souverainistes.

Deuxièmement, qu'est-ce qu'une majorité claire? Le projet de loi C-20 nous laisse dans la plus grande expectative. Il affirme qu'en vue de déterminer si une majorité claire de la population de la province a déclaré clairement qu'elle voulait que celle-ci cesse de faire partie du Canada, la Chambre des communes prend en considération: a) l'importance de la majorité des voix validement exprimées en faveur de la proposition de sécession; b) le pourcentage des électeurs admissibles ayant voté au référendum; c) tous autres facteurs ou circonstances qu'elle estime pertinents.

Le projet de loi C-20 ressemble à bien des égards à la loi d'avril 1990 du président Gorbatchev, dont l'objectif était de dissuader les peuples baltes de faire sécession. Il avait modifié la règle de la majorité simple pour les cas de sécession en faveur de la règle des deux tiers.

Ces nouvelles règles vont à l'encontre des principes universellement établis. De fait, surtout à l'alinéa b), le gouvernement fédéral semble d'accord sur l'idée de prendre comme assise la majorité absolue des électeurs inscrits sur la liste électorale plutôt que la majorité absolue de 50 p. 100 plus un. Dans le cas du référendum de 1995, cela signifie que la majorité requise pour le Oui aurait été de 54,5 p. 100, compte tenu du taux de participation de 94 p. 100. Si tel est le cas, pourquoi ne pas l'indiquer clairement? Le gouvernement fédéral a pourtant participé activement aux référendums québécois de 1980 et de 1995 sans remettre en cause les résultats de ces deux exercices démocratiques.

Ce fut aussi le cas lors du référendum du 22 juillet 1948, où les Terre-Neuviens choisirent à 52,34 p. 100 la Confédération. Le Canada était alors une confédération. Quelques comtés votèrent en faveur du gouvernement responsable. À l'époque, les opinions étaient fort partagées quant à ce qui constituerait une majorité suffisante, mais le gouvernement britannique affirma clairement, et je cite, «qu'il se sentirait lié par tout vote majoritaire en faveur de la Confédération et qu'il serait prêt à prendre les mesures nécessaires pour réaliser l'union.»

Le Parlement britannique avait d'ailleurs laissé...

Le président: Pardon, monsieur Lachapelle. Votre présentation a déjà duré plus de 10 minutes. Est-ce qu'elle est presque terminée?

M. Guy Lachapelle: Oui, elle est presque terminée, monsieur le président.

Le président: Très bien.

M. Guy Lachapelle: Le Parlement britannique avait d'ailleurs laissé au gouvernement du Canada l'entière responsabilité de décider ce qui devrait être une majorité acceptable pour que Terre-Neuve puisse joindre la Confédération. Le 19 juillet, le premier ministre du Canada William Lyon Mackenzie King consulta Louis Saint-Laurent, qui déclara:

    Je suis d'accord qu'à moins d'obtenir plus qu'une faible majorité, le Canada ne devrait pas accepter la province dans la Confédération. J'ai dit qu'il était nécessaire d'attendre et de voir ce qui se passerait si la majorité était faible.

Même si plusieurs Terre-Neuviens furent particulièrement déçus du résultat, en particulier la Responsible Government League, le gouvernement canadien décida malgré tout de considérer la majorité comme suffisamment grande pour justifier l'adoption des mesures requises pour obtenir l'assentiment du Parlement à l'entrée de Terre-Neuve dans la Confédération. On a entrepris par la suite de négocier les conditions finales de l'union. Le 31 mars 1949, Terre-Neuve entrait officiellement dans la Confédération.

Depuis 1995, un tour de vol rapide des opinions indique d'ailleurs que de nombreux politiciens intellectuels du Canada favorisent la règle de 50 p. 100 plus un, considérant que l'égalité du droit de vote est un principe démocratique fondamental. Permettez-moi de citer ici l'ancien premier ministre du Canada Pierre Elliott Trudeau, qui écrivait:

    La démocratie prouve vraiment sa foi dans l'homme en se laissant ainsi guider par la règle du cinquante-et-un pour cent. Car si tous les hommes sont égaux, et si chacun est le siège d'une dignité suréminente, il suit inévitablement que le bonheur de 51 personnes est plus important que celui de 49: il est donc normal que ceteris paribus et compte tenu des droits inviolables de la minorité, les décisions voulues par les 51 l'emportent.

• 1605

Plusieurs juristes et politologues ont d'ailleurs émis l'opinion qu'en utilisant l'expression «majorité claire», la Cour suprême du Canada n'a pas nécessairement voulu dire «majorité qualifiée». Le professeur Henri Brun est d'opinion que la Cour suprême ne parlait que d'une majorité qualitative établie en fonction du déroulement du référendum.

Mais ce qu'il est plus important de retenir, c'est qu'aucune démocratie occidentale digne de ce nom ne prévoit une majorité qualifiée lors d'un référendum. La règle du fair-play constitue aussi une règle fondamentale dans tout exercice démocratique. La remettre en cause, c'est miner les fondements d'une société. Ce principe devrait d'ailleurs être inscrit dans le projet de loi C-20.

Le président: Il y a 15 minutes d'écoulées et je crois que...

M. Guy Lachapelle: Si vous me le permettez, monsieur le président, je voudrais juste conclure.

Le président: Vous aurez l'occasion de dire autre chose en réponse aux questions des membres du comité.

M. Guy Lachapelle: Donnez-moi une minute et je termine.

Le président: Combien?

M. Guy Lachapelle: Une minute.

Le président: Est-ce le désir du comité que le témoin poursuive pendant deux minutes?

Des voix: D'accord.

M. Guy Lachapelle: Vous pourrez lire la troisième partie sur le partenariat.

Donc, nous partageons finalement le point de vue selon lequel la transition devrait se faire harmonieusement, sans perturber les services aux citoyens dans le cas d'un vote pour l'indépendance. Il ne faut ni bouleversement ni vide juridique.

Nous ne pensons pas que ce projet de loi apporte quoi que ce soit de constructif au débat et qu'il devrait carrément être abandonné. Il est l'oeuvre d'un faussaire de l'esprit. Il n'est pas du ressort du gouvernement fédéral de légiférer pour les Québécois alors qu'ils souffrent d'un déficit démocratique évident au Québec. Il faudra que les Nations Unies soient partie prenante au prochain référendum au Québec afin de valider son déroulement. Le projet de loi C-20 n'a d'ailleurs aucune légitimité internationale.

Si le gouvernement fédéral persiste dans ses intentions, nous pensons que le projet de loi C-20 devrait à tout le moins établir certains principes fondamentaux, qui furent d'ailleurs élaborés par le gouvernement américain alors qu'il critiquait l'action du gouvernement Gorbatchev.

Ces principes sont les suivants, et je termine là-dessus: 1) si le Québec vote clairement pour l'indépendance, que le gouvernement fédéral entreprenne de bonne foi des négociations avec le gouvernement du Québec afin de minimiser les effets négatifs de la transition; 2) qu'il rejette toute violence et intimidation, sanctions économiques ou autres, comme moyens de stopper la volonté démocratique du peuple québécois; 3) qu'il cherche à mettre en place, de concert avec le gouvernement du Québec, après un vote majoritaire des Québécois pour l'indépendance, des mécanismes flexibles de négociation; 4) qu'il accepte que le prochain référendum du Québec ait lieu sous la supervision des Nations Unies; 5) qu'un groupe d'experts internationaux soit mandaté pour surveiller le déroulement du prochain référendum.

La souveraineté du Québec exige un grand sens des responsabilités, autant pour les souverainistes que pour le gouvernement fédéral. Je vous remercie de votre patience et de votre attention.

Le président: Très bien.

Monsieur Hill.

M. Grant Hill: M.rci de votre témoignage. Vous avez dit que le projet de loi C-20 était anticonstitutionnel. Ai-je bien compris?

M. Guy Lachapelle: Tout à fait.

M. Grant Hill: Par quel article spécifiquement, s'il vous plaît?

M. Guy Lachapelle: Le gouvernement fédéral pourrait utiliser l'article 91, comme M. Chrétien aimerait le faire, pour établir une loi référendaire. Cependant, dans le cas des lois portant sur les questions afférentes, le jugement Libman a bien dit, comme on a pu le voir, qu'il relevait des provinces et en particulier de la Loi électorale du Québec de légiférer en matière de référendum ou d'élection. Selon la Constitution, à mon avis et d'un point de vue tout à fait légaliste, je dirais que cette loi va à l'encontre de ce principe de la responsabilité des provinces de légiférer en matière électorale.

M. Grant Hill: C'est donc toute la loi dans son ensemble et non pas un article spécifique.

M. Guy Lachapelle: C'est la loi dans son ensemble.

M. Grant Hill: Serait-il nécessaire d'aller en cour pour éviter la mise en vigueur de cette loi?

M. Guy Lachapelle: Vous me demandez si le gouvernement du Québec devrait s'adresser à la Cour suprême pour contester la légalité de la loi?

M. Grant Hill: Oui.

M. Guy Lachapelle: Si le gouvernement du Québec par le passé n'a pas jugé bon dans d'autres cas... Je pense qu'il est du ressort autant du gouvernement du Québec que des gouvernements des autres provinces de décider s'ils estiment que le projet de loi va à l'encontre de leurs prérogatives et de leur légitimité.

À mon avis, le gouvernement du Québec pourrait le faire dans certains cas, mais évidemment le processus est coûteux et je pense qu'on ne s'attend pas actuellement à rouvrir un débat sur les lois référendaires. Il faut dire que le gouvernement fédéral a déjà affirmé que la loi québécoise sur le référendum et la Loi électorale pourraient peut-être aussi être contestées devant les tribunaux. C'est une décision politique et non pas juridique.

• 1610

M. Grant Hill: Pour vous, la question de 1995 était-elle exempte d'ambiguïté ou de confusion?

M. Guy Lachapelle: Oui, elle était exempte de confusion. Il faut bien se rappeler que la question apparaissait sur le bulletin de vote. Les gens ont voté sur une question.

Votre question porte davantage sur ce qu'on appelle dans notre jargon les électeurs stratégiques. Comment les citoyens ont-ils interprété la question de façon générale ou quel sens ont-ils voulu donner à leur vote? Je pense que c'est ce qui est le plus important. Comment interprétons-nous le résultat final du référendum?

Mon point de vue, c'est que la question était claire. Je vous dirai que même si le gouvernement avait accepté la motion du Parti libéral, qui voulait ajouter à la question les mots «un pays indépendant», le résultat du référendum n'en aurait pas été changé. Il y avait au Québec une volonté importante de changement, et je pense que tout le monde a bien compris le sens et la portée de la question.

Je n'ai pas eu le temps de parler du référendum sur l'intégration de la Grande-Bretagne à la CEE, mais dans ce cas, il y avait des questions du même type que celle qui portait sur le partenariat au Québec. Un de mes collègues, après avoir comparé un ensemble de questions, a affirmé dans un avis que la question du Québec était tout à fait comparable à d'autres questions.

On peut aussi regarder le cas de l'Australie. C'est pour cela que je vous en donné le libellé. On peut prendre toute la liste des questions et on voit que, dans l'ensemble, il y a concordance quant aux termes employés.

M. Grant Hill: M. Claude Castonguay, qui est bien connu au Québec, a dit clairement devant ce comité que la question était très confuse et très ambiguë. Que répondez-vous à ce Québécois bien connu, qui a adopté une position très forte?

M. Guy Lachapelle: Sans vouloir interpréter les propos de M. Castonguay, je pense que son intervention se prêtait à une double interprétation. Tout d'abord, est-ce que les gens savaient sur quoi ils votaient en 1995? La réponse est oui. Quant à la question, je suis du même avis que M. Castonguay, en ce sens que j'aimerais beaucoup, la prochaine fois, que nous ayons deux questions comme celles de l'Australie, l'une portant sur l'indépendance et l'autre portant sur le partenariat.

Cela n'empêche pas les Québécois d'avoir ce type de question. On pourrait, comme ailleurs, diviser la question en deux parties. Mais, à mon avis, il n'y a pas eu d'ambiguïté quant au vote, quant aux résultats du vote ou quant à l'interprétation que les citoyens ont donnée au vote.

D'un point de vue de politologue, je vous dirai que, comme on l'a vu dans l'ensemble des référendums, la question n'a que très peu d'importance sur le résultat d'un référendum. Toute la recherche empirique le démontre. Je ne crois pas qu'il y ait de données fédérales sur le dernier référendum ou même sur Charlottetown. On se rappellera que la question du référendum de Charlottetown était aussi très ambiguë et longue. On pourrait aussi donner les exemples de référendums qui ont eu lieu sur les territoires, sur les autochtones, des référendums qui ont eu lieu ici, au Québec, dont les questions étaient aussi très longues.

La question n'est pas fondamentale. Ce qui est important dans tout référendum, c'est la façon dont le débat s'anime autour d'une campagne électorale, quelle que soit la question, et la façon dont on discute des enjeux. C'est à la fin du débat qu'on peut affirmer que la conclusion du référendum est tout à fait claire.

Le président: Monsieur Turp.

M. Daniel Turp: Je vous remercie d'être ici parmi nous. J'ai un commentaire et une question, puis j'aurai ensuite une deuxième question sur l'Écosse. En effet, vous connaissez très bien le cas écossais. Je crois que vous êtes un des spécialistes de la situation en Écosse.

D'abord, ce que dit votre mémoire et ce que vous avez dit en commentaire sur l'article 91 me permettent de dire que la source des compétences que l'on veut conférer à la Chambre des communes pour déterminer la clarté d'une question ou d'une majorité n'est pas claire. L'allégation que cette loi est adoptée au titre du paragraphe introductif de l'article 91 n'est certainement pas évidente et est contestable. J'aimerais vous entendre sur ce point.

J'aimerais savoir si vous êtes en mesure d'identifier la source de la compétence constitutionnelle que le Parlement fédéral utilise pour adopter cette loi. Est-ce qu'on trouve quelque part dans la Constitution, dans une convention constitutionnelle ou dans un principe évoqué par la Cour suprême dans son avis sur la sécession la source d'une compétence pour adopter une loi dont on dit qu'elle mettra en oeuvre l'obligation de négocier du fédéral? C'est ma première question.

• 1615

C'est la première fois qu'on évoque ceci devant le comité. Pourtant, il y a sans doute un problème réel de constitutionnalité de cette loi parce qu'il est très difficile, sinon impossible, d'identifier une source de compétence constitutionnelle qui autoriserait le Parlement fédéral à adopter cette loi.

Voici ma deuxième question. Vous qui connaissez l'Écosse, n'est-il pas vrai qu'il y a au Royaume-Uni un consensus réel autour de la règle applicable, dans l'hypothèse où le peuple écossais voudrait accéder à l'indépendance, qui serait celle du 50 p. 100 plus un?

M. Guy Lachapelle: Pour répondre à votre première question, et c'est un peu ce qui m'a torturé en relisant le jugement de la Cour suprême, surtout à la suite des commentaires du juge Antonio Lamer, je vous dirai qu'il semble bien qu'il n'y ait pas de base juridique pour proposer ce genre de loi. Il n'y a ni convention portant sur les lois électorales qui relèveraient du Parlement fédéral, ni surtout, dans le cas qui nous intéresse, de convention portant sur la définition des termes.

C'est pour cela que, dans mon mémoire, j'insiste beaucoup pour dire que si on avait voulu légiférer de manière précise... L'Angleterre l'a fait avec un Livre blanc qui portait sur l'ensemble des modalités visant à réglementer un référendum. Ceci est important. Il ne s'agit pas de jouer avec la démocratie et de discuter du financement des partis, de l'allocation des ressources ou du temps d'antenne à la télévision. Tout cela se fait dans la mesure où on a une majorité claire en bout de course, un résultat convaincant, et contribue aussi à le déterminer.

J'ai examiné la question sur le plan international. Lorsqu'il y a eu des cas de sécession, il n'y a pas eu de règles précises d'établies. On n'a fait que demander, aux Nations Unies la plupart du temps, de valider certains règlements et certains critères visant l'indépendance.

Dans le cas canadien, pour répondre à votre première question, non, il n'y a pas de convention ou de loi précise, à part l'article 91 qui pourrait toujours être utilisé, qui pourrait valider un exercice comme celui-là. Encore une fois, à mon avis, ce projet de loi est une atteinte non seulement aux droits du Québec, mais aussi à ceux de l'ensemble des provinces canadiennes et des citoyens canadiens.

Quant à la deuxième question, lors du débat sur le Livre blanc, il y a eu une grande discussion sur la majorité et sur la majorité qualifiable, en termes de participation qualitative. En Angleterre, on a toujours été sensible au taux de participation. Je vous rappellerai qu'en Écosse et au pays de Galles, lors des cas de dévolution, les taux de participation étaient d'à peine 51 p. 100 et les majorités, très faibles. Dans le cas du pays de Galles, elle a été d'à peine 50 p. 100. Donc, on a toujours respecté la règle du Livre blanc, qui est le 50 p. 100 plus un. Donc, sur le plan international, dans les démocraties comparables, les démocraties parlementaires, c'est la règle du 50 p. 100 plus un que les parlements ont adoptée.

Pourquoi ici, au Canada, devrait-on adopter une loi différente? C'est pour cela que je me suis surtout limité aux cas de transition, comme celui de Terre-Neuve vers l'union, ou à des cas reliés au contexte canadien. J'ai exclu de mon mémoire les cas comme celui de la République tchèque ou d'autres cas de sécession réussie qui auraient pu être mentionnés.

M. Daniel Turp: Pour être plus précis, monsieur Lachapelle, est-ce que les partis politiques britanniques représentés à la Chambre des communes britannique acceptent la règle du 50 p. 100 plus un dans l'hypothèse d'un référendum sur l'accession à l'indépendance de l'Écosse?

M. Guy Lachapelle: La réponse est oui. Un autre principe important, c'est que la Chambre des communes a toujours reconnu la nation écossaisse. Comme elle avait reconnu que les peuples ont droit à l'autodétermination et que toute nation a droit à l'autodétermination, les Écossais avaient ce droit inaliénable de voter avec une majorité de 50 p. 100 plus un pour leur indépendance.

Le président: Très bien. Monsieur Blaikie.

[Traduction]

M. Bill Blaikie: Monsieur le président, pour commencer, je tiens à dire que l'Écosse n'a pas eu à être reconnue comme nation par la Chambre des communes. Ce n'est pas pour rien qu'on parle du Royaume-Uni. Il s'agit de la réunion de royaumes. C'était déjà une nation.

Parlons encore de l'exemple écossais. Ma collègue voulait plutôt parler de majorité, ce qui est édifiant. N'est-il pas vrai, toutefois, que dans le cas des référendums en Écosse et au pays de Galles, le gouvernement du Royaume-Uni, soit le Parlement de Westminster, a participé à la rédaction de la question? On n'a pas confié la rédaction de la question uniquement aux nationalistes écossais, n'est-ce pas?

• 1620

M. Guy Lachapelle: Ce n'est pas vraiment le cas, puisque beaucoup de députés qui étaient à la Chambre des communes ont aussi discuté avec des députés de l'Assemblée du pays de Galles et de la future assemblée du pays de Galles, entre autres. J'ai parlé de ce processus avec le président du Plaid Cymru, qui y avait participé activement, comme son parti. Autrement dit, si on veut appliquer le modèle gallois au Québec, alors le Parti québécois devrait être à la Chambre des communes pour en discuter avec le gouvernement fédéral. C'est ainsi que cela fonctionnerait.

M. Bill Blaikie: C'est dans la Chambre des communes, d'une façon ou d'une autre.

M. Guy Lachapelle: Non.

M. Bill Blaikie: Des députés du Parlement de Westminster, de l'Écosse et du pays de Galles, étaient considérés comme des participants légitimes au débat sur la question, n'est-ce pas? Vous venez de dire qu'à titre de députés du Parlement de Westminster, qu'ils soient du pays de Galles ou de l'Écosse, ils ont participé à l'élaboration de la question.

M. Guy Lachapelle: Ils y ont participé, mais...

M. Bill Blaikie: On ne considérait pas qu'il fallait les mettre de côté, ne pas les laisser s'en mêler.

M. Guy Lachapelle: Comme au Canada, je présume. Jusqu'ici, c'est ici le même processus.

M. Bill Blaikie: M.rci. En ce cas, les députés fédéraux devraient aussi avoir un rôle à jouer dans la rédaction de la question.

M. Guy Lachapelle: Comme ils l'ont fait en 1995 et en 1980, ainsi qu'à Terre-Neuve, en discutant de la qualité des questions. Ils doivent participer ainsi, c'est leur responsabilité.

M. Bill Blaikie: M.rci.

[Français]

Le président: Monsieur Bachand.

M. André Bachand: Un point qui revient souvent, professeur Lachapelle, c'est la divisibilité du territoire québécois, en prenant en considération deux éléments: les groupes autochtones et les groupes non autochtones. Pour les autochtones, on ne parle jamais de partition; on parle de partition pour les groupes non autochtones qui désireraient demeurer au Canada. On fait une distinction. J'aimerais vous entendre là-dessus.

À propos, si vous pouvez trouver des liens avec l'opinion de la Cour suprême, tant mieux, mais la Cour suprême, entre vous et moi, a été extrêmement silencieuse sur la divisibilité du territoire. J'aimerais vous entendre là-dessus.

M. Guy Lachapelle: Ma lecture de la décision de la Cour suprême est fort simple. C'est que, dans l'éventualité d'un vote pour l'indépendance, les deux parties, le gouvernement fédéral et le gouvernement du Québec, devraient aussi envisager les liens futurs avec les communautés autochtones et les minorités au Québec.

Je pense que la transition relève à la fois de la responsabilité du gouvernement du Québec et de celle du gouvernement fédéral. Je pense à un débat en particulier, celui sur la citoyenneté. Dans le cas des Québécois qui voudraient garder leur citoyenneté canadienne, il serait peut-être de bon aloi que des mécanismes de transition soient mis en place. Pour qu'il y ait une transition harmonieuse et respectueuse des droits des peuples, il faut que le processus se fasse de la façon la plus équitable possible.

Je vais devancer votre question en vous disant que oui, les autochtones ont droit à l'autodétermination. Ils sont des nations, et les 10 nations autochtones ont été reconnues en tant que telles par le gouvernement du Québec en 1984-1985. En vertu de ce principe, toute nation a droit à l'indépendance. Le Québec, comme nation, a aussi droit à l'indépendance. Ce principe est inaliénable. Cela relève de ce que John Rawls, pour les philosophes, appelle simplement la justice des peuples. Cette justice des peuples doit exister et elle existera toujours.

Dans le cas des non-nations ou des groupes minoritaires, il devient très difficile de juger de la façon dont on définit une minorité. Mon problème avec la partition, c'est que je n'en comprends pas les critères. Je relisais encore une fois le Livre rouge du Parti libéral du Canada. Il parle d'inclure une loi sur la partition, mais il parle strictement de la partition et non des critères.

Les critères de l'indépendance et de la sécession sont une chose, mais les critères tels que le vote électoral ou un vote référendaire pour diviser des territoires me semblent tout à fait farfelus. Si on appliquait cette idée au dernier référendum du Québec, à mon avis, déjà la moitié du Québec serait indépendant et l'autre ne le serait pas. Cela tombe dans ce que j'appelle des visions tout à fait fausses d'une réalité politique. La minorité, il faudra la définir. En cas de sécession et pour la période de transition, la Cour suprême parle bien de groupes dûment constitués. Il faudra que le gouvernement du Québec et le gouvernement fédéral s'entendent pour déterminer qui pourra se présenter à la table des négociations et quels seront les mécanismes de la négociation. Ça, on n'en parle ni dans le projet de loi C-20 ni dans l'avis de la Cour suprême.

• 1625

M. André Bachand: En fin de semaine, monsieur Lachapelle, j'ai parlé avec quelques personnes, et l'une d'entre elles a fait plusieurs commentaires. On en a parlé un peu au début. Elle disait entre autres que le projet de loi C-20 devrait normalement aider davantage le mouvement souverainiste à éclaircir le trou noir dont parlait M. Charest. L'un des interlocuteurs a ajouté que ce projet de loi allait même plus loin puisque c'était la première fois qu'un projet de loi fédéral reconnaissait la divisibilité d'un territoire donné, soit une province. Il disait que, même si au paragraphe 3(2), on reconnaît l'aspect territorial des peuples autochtones, les souverainistes du Québec devraient être contents, parce que c'est la première fois que le fédéral s'engage à reconnaître la divisibilité d'une entité géopolitique reconnue. Qu'est-ce que vous en pensez?

M. Guy Lachapelle: Quand on parle de sécession, il y a un grand principe qui s'applique et dont on n'a jamais discuté, à savoir qu'on ne doit ni encourager la sécession ni la provoquer. Il s'agit d'un principe universel qui a toujours été respecté. Selon l'interprétation que vous en faites, le projet de loi C-20 cherche à amener les Québécois à voter pour l'indépendance. À mon avis, et c'est là un critère fondamental, on doit d'abord s'interroger sur les raisons de la souveraineté. Si le projet de loi C-20 veut parler de clarté, soyons clairs. Soyons clairs sur la présence ou non de négociations, sur les principes de la transition, sur la façon de reconstituer nos États. L'idée de reconstitution des États signifie que les Canadiens et les Québécois auront à récrire leur Constitution. Et ce principe de reconstitution des États n'en est pas un de colonisation ou de modernisation. Le principe de reconstitution qui a été appliqué dans le cas de la République tchèque signifie que les nations doivent récrire leur constitution. Si le Canada veut s'engager à récrire sa constitution, il devra le préciser. Ce qui est important, c'est de savoir quels seront les mécanismes.

Pour répondre à votre question, à savoir si le projet de loi aide ou nuit à quelqu'un, je vous avoue que cela m'importe peu. Ce qui m'importe, c'est que les citoyens du Canada et les citoyens du Québec puissent, après l'indépendance, continuer à travailler ensemble. Cette transition-là reste importante, et c'est la responsabilité des acteurs politiques que de faire en sorte que la transition se fasse de manière harmonieuse et civilisée, sans violence. Je pense que la Cour suprême l'a répété à satiété depuis fort longtemps; il s'agit d'un principe fondamental.

Le président: La parole est à vous, monsieur Bonin.

M. Raymond Bonin: M.rci, monsieur le président.

Monsieur Lachapelle, dans votre présentation, vous avez fait allusion aux pays baltes en disant que le projet de loi C-20 nous rappelle ce que l'Union soviétique a mis en place pour empêcher les pays baltes de se séparer. Mais j'ai des faits dont vous n'avez pas fait mention sur ce qui s'est passé aux pays baltes.

En Estonie, la question était: «Voulez-vous le rétablissement de la souveraineté et de l'indépendance de la République d'Estonie?» Ça a passé à 78 p. 100. En Lettonie, la question était celle-ci: «Êtes-vous d'accord pour que la Lettonie devienne une république démocratique et indépendante?» C'était clair et cela a passé à 75 p. 100. Et en Lituanie, la question était: «Êtes-vous en faveur d'une république indépendante et démocratique de Lituanie?» Ça a passé à 93 p. 100.

Je pense que les faits sont importants à ce sujet. M. Lucien Bouchard a décrit le projet de partenariat comme un squelette. Mario Dumont, l'un des trois signataires de l'entente du 12 juin 1995, a dit, au mois de janvier, qu'il n'avait jamais été souverainiste. Il n'a pas dit qu'il n'était plus souverainiste. Il a dit qu'il ne l'avait jamais été.

Est-ce que vous pensez qu'une question sur le partenariat est possible, avec un partenariat qui n'est rien d'autre qu'un squelette et un chef souverainiste qui n'a jamais été souverainiste?

M. Guy Lachapelle: Au sujet des pays baltes, que vous avez mentionnés, il est clair, à mon avis—et la jurisprudence le démontre—que la règle de la majorité était de 50 p. 100 plus un.

• 1630

Ici, le débat est de savoir si 50 p. 100 plus un suffit pour permettre à un gouvernement provincial de faire la sécession dans la légitimité. Dans le cas des pays baltes, la réponse était oui: 50 p. 100 plus un constituait une majorité claire selon les lois soviétiques de l'époque. Cela, vous devez le mentionner.

M. Raymond Bonin: Voulez-vous dire 50 p. 100 plus un de ceux qui ont le droit de vote?

M. Guy Lachapelle: Parmi ceux qui ont le droit de vote. Ce que vous devez mentionner aussi...

M. Raymond Bonin: Il faut le dire.

M. Guy Lachapelle: Ce que vous devez mentionner, c'est que M. Gorbatchev aussi a passé un référendum sur le fédéralisme renouvelé. Sa loi référendaire, qui était une loi fédérale, donnait à chaque région l'autorité de modifier la question référendaire. Cela, personne ne le mentionne jamais. Au Canada, la question aurait été modifiée par chacune des provinces.

En appliquant ce modèle, on pourrait avoir une question dictée par le fédéral, dans un projet de loi comme celui à l'étude par exemple, et chacune des provinces pourrait utiliser une autre question. Il y a un précédent, le cas Gorbatchev. Il a même modifié la majorité, comme je vous le disais, pour la porter aux deux tiers. Donc, il faut être clair.

Sur les propos de M. Bouchard et de M. Dumont, on pourra faire beaucoup de citations. Mon point de vue a toujours été le même: le partenariat est souhaitable entre le Québec et le Canada, quel que soit le statut. Vous me direz que nous avons déjà un partenariat; je vous répondrai que le partenariat actuel n'est pas faisable. Les ententes de M.ech et de Charlottetown ont bien démontré qu'il n'était pas viable.

Donc, ce qu'il reste à faire, c'est un nouveau partenariat. Il peut être fait après l'indépendance ou avant l'indépendance—choisissez le temps que vous voulez—, mais ce qu'il est important de retenir, c'est que le partenariat du référendum de 1995 constituait une offre formelle, faite de bonne foi aux Canadiens par les Québécois, pour arriver à un nouveau partage et à une nouvelle gestion des responsabilités.

Je vous rappellerai que dans la loi québécoise, les négociations pour ce partenariat devaient durer un an. Les deux parties avaient un an pour s'entendre. Il y a d'autres exemples qu'on pourrait citer: l'unification des deux Allemagnes a pris un an. Je pense qu'il va falloir, tôt ou tard, donner les faits, et non pas tomber dans des clichés issus de la méconnaissance de la réalité politique de chacun des États mentionnés jusqu'à présent.

Le président: Monsieur Patry, c'est à vous.

M. Bernard Patry: Monsieur Lachapelle, bienvenue.

J'aimerais apporter quelques précisions et vous poser une simple question. Vous avez parlé de l'Écosse. J'aimerais souligner que selon la loi britannique, le Parlement écossais n'a pas le droit de tenir un référendum sur la séparation. Ce pouvoir appartient à Londres. Cela, vous ne l'avez pas dit dans votre énoncé, et nous sommes traités de soviétiques.

Répondant à une question relativement à une majorité claire, un des dirigeants du bureau de direction du parti indépendantiste écossais, M. Paul Scott, qui est membre du SNP, le parti de l'opposition officielle au parlement d'Édimbourg depuis le printemps dernier, répondait ceci: «Oui, nous voulons un résultat absolument clair.»

Et la question suivante était: «Où se situe le seuil nécessaire, d'après vous?»

Et M. Scott de répondre:

    Ça dépend de la situation. Si la campagne était un peu difficile, que beaucoup de gens ont opposé, que le résultat est un peu douteux, dans ce cas on doit admettre que ce n'est pas un résultat absolument clair.

C'était mon commentaire.

Vous nous avez dit, dans l'une de vos conclusions, qu'un prochain référendum devrait être tenu sous les auspices des Nations Unies. Est-ce que cela veut dire qu'au Québec, toutes tendances confondues, tous partis confondus, on n'est pas capables de faire un référendum nous-mêmes?

M. Guy Lachapelle: Ce que cela signifie, concrètement, c'est que la dynamique politique actuelle au Canada—le projet de loi C-20 le confirme—ne permet pas qu'il y ait une entente entre le gouvernement fédéral et le gouvernement du Québec sur une prochaine question référendaire. Soyons réalistes et responsables. Je vous dirai, à titre de politologue, que dans une telle situation, c'est la seule proposition valable.

D'ailleurs, cette proposition nous a été faite par notre collègue Alan Cairns de l'Université de Vancouver, qui a déjà élaboré sur la possibilité que, tôt ou tard, il y y ait un comité d'experts indépendants pour juger de la qualité de la question et de la majorité requise, parce qu'on ne peut pas laisser ces questions à des parlements s'il n'y a pas d'entente.

Je suis ici depuis 13 heures et je vois que vous êtes d'accord avec moi: il y a difficilement cohésion et entente sur des principes et des choses qui me semblent clairs. Je vous répète que l'objectif n'est jamais d'encourager ou de décourager la sécession. Ce qui est important, dans un processus démocratique, c'est de s'assurer que le processus en soi respecte les droits des citoyens à une information de qualité et que tous les enjeux soient mis sur la table.

• 1635

À mon avis, ni le Parlement fédéral ni l'Assemblée nationale du Québec n'ont toute l'autorité pour juger des qualités requises, des critères ou des principes pour la mise en place des règles qui devront guider le prochain référendum au Québec.

Le président: C'est à vous, monsieur Turp.

M. Daniel Turp: M.rci, monsieur le président. Vous voulez que je sois bref. Je le serai.

J'aimerais faire un petit commentaire en rapport avec la réponse que vous avez donnée à M. Blaikie sur le référendum tenu en Écosse sur la dévolution. Vous vous rappellerez qu'il n'y avait, à cette époque, ni Parlement écossais ni Assemblée nationale galloise comme il y en a maintenant. Alors, les règles du jeu sont différentes et les cadres tout à fait différents maintenant qu'il y a aussi des élus écossais et des élus gallois qui siègent à la Chambre des communes à Westminster, et non plus seulement des élus gallois-écossais.

Je ne sais pas si vous avez aussi vu, mais en faisant des recherches sur l'Écosse, j'ai trouvé tout à fait intéressant qu'un Britannique, membre du Labour Party, ait suggéré, pour que l'Écosse puisse accéder à l'indépendance, et je le cite:

[Traduction]

    Pour que l'Écosse se sépare légitimement de l'Angleterre, le SNP devrait gagner une élection générale à Westminster.

[Français]

Si cette règle avait été applicable ici, on aurait pu faire la souveraineté du Québec parce que le Bloc a fait élire deux fois de suite un nombre majoritaire de députés à la Chambre des communes. Donc, les Écossais évoluent, de même que les Britanniques. Il semble que les Britanniques, eux, soient disposés à accepter la règle des 50 p. 100 plus un. Pourquoi, selon vous, ne veut-on pas accepter la règle des 50 p. 100 plus un de ce côté-là de la Chambre? Vous êtes politologue. Vous suivez les débats. Donnez-nous votre opinion.

M. Guy Lachapelle: Ce n'est peut-être pas si étonnant quand on regarde l'histoire. C'est pour cela que je suis remonté jusqu'à Terre-Neuve. Même là, on n'avait pas reconnu le 50 p. 100 plus un. Historiquement, le gouvernement fédéral n'a jamais reconnu le 50 p. 100 plus un comme règle avant la tenue d'un référendum. Ce fut un enjeu du débat en 1995, et ce fut un enjeu du débat en 1980. La question était de savoir si 50 p. 100 plus un constituait une majorité valable.

Toutefois, une fois le résultat connu, on a accepté le résultat. Il me semble y avoir deux poids, deux mesures. Si on veut établir des critères, qu'on les établisse clairement pour ne pas tomber dans la confusion. Je vous le demande par respect pour vos concitoyens et électeurs qui, eux, comprennent très bien les enjeux d'un référendum et veulent voter de façon éclairée sur le sujet, peu importe la situation.

Vous pourriez aussi avoir un bulletin de vote à la danoise, avec rien d'autre que «oui ou non», sans aucune question. Ce fut le cas au Danemark pour décider de son intégration à la CEE. Tout le débat s'est fait pendant la campagne référendaire. Si c'est l'exemple que vous voulez suivre, parfait: il n'y aurait pas de question sur le bulletin de vote. Pourrait-on être plus clair que cela?

Au-delà des volontés partisanes, il faut bien savoir qu'un référendum n'est pas un exercice futile, que ce n'est pas un exercice qui doit être pris à la légère. Dans ce sens, mes propositions et mes recommandations s'appliquent toujours, car je pense que cette responsabilité relève de l'ensemble des nations et des peuples qui doivent juger du processus. Je vous dirai même que si j'étais Canadien, j'aurais parfois honte de voir comment le débat se déroule depuis quelques années. Regardons ce qui s'est fait en Angleterre, pour la CEE entre autres. Je pense qu'il faut revoir un peu nos critères de société lorsqu'il s'agit de défendre les intérêts des citoyens.

M. Daniel Turp: M.rci.

[Traduction]

Le président: Monsieur Cotler, une seule question.

[Français]

M. Irwin Cotler: Monsieur Lachapelle, vous dites que ce projet de loi est une négation des pouvoirs de l'Assemblée nationale du Québec.

• 1640

Je suis d'accord avec vous que c'est la prérogative de l'Assemblée nationale de que formuler et de choisir la question référendaire. On doit respecter pleinement les prérogatives de l'Assemblée nationale. Cependant, la question référendaire doit aussi respecter le critère de clarté énoncé par la Cour suprême; elle doit être une question claire sur la sécession.

En résumé, les droits constitutionnels supposent des responsabilités constitutionnelles. C'est là, à mon avis, la différence de notre processus référendaire, sur laquelle ce projet de loi se base. Vous avez parlé de la décision de la Cour suprême et nous avez donné des exemples dans d'autres pays.

Premièrement, on parle ici d'un projet de loi qui s'inspire de l'avis de la Cour suprême.

Deuxièmement, l'avis de la Cour suprême du Canada a tenu compte de l'histoire référendaire du Canada. Il s'agit d'une autre différence par rapport aux processus référendaires d'autres pays.

[Traduction]

Voici pour répondre à la question de M. Turp: d'où le gouvernement fédéral tient-il son pouvoir de légiférer en la matière? Entre autres choses, de deux sources principales. Premièrement, ce projet de loi vise la mise en oeuvre nationale de principes énoncés par la Cour suprême du Canada. Mais même sans tenir compte de la décision rendue par la Cour suprême du Canada, quand on parle de démembrer le pays...

Vous avez parlé de questions internationales. Ce n'est pas seulement une question d'intérêt national. Comme le montre toute l'histoire du droit international, il s'agit ici d'une question d'intérêt international. Il doit y avoir compétence fédérale pour les questions d'intérêt national, et encore plus pour celles d'intérêt international.

Qu'en pensez-vous?

[Français]

M. Guy Lachapelle: En réponse à votre première question, je ne pense pas que le projet de loi C-20 soit un reflet de l'avis de la Cour suprême. C'est d'ailleurs exactement ce que mon mémoire a essayé de démontrer. La Cour suprême a soulevé une foule d'éléments dont je n'ai malheureusement pas eu le temps de débattre, y compris au sujet du partenariat et de la négociation.

Il est faux de prétendre, comme le projet de loi l'indique, qu'il est impossible de poser une question sur le partenariat. Il n'y a absolument rien dans l'avis de la Cour suprême qui indique qu'un gouvernement n'aurait pas le droit de poser une question portant sur le partenariat, ce qui ne veut pas dire qu'il ne doit pas y avoir une question sur l'indépendance. Il s'agit d'un autre débat.

Il ne faut pas interpréter l'avis de la Cour suprême. Comme le disait si bien le juge Lamer, la Cour suprême a donné un avis. Comme politologue, je puis vous dire que c'est un débat politique et non pas juridique. Les critères devraient donc être politiques, et non pas simplement basés sur l'avis de la Cour suprême. Vous pouvez invoquer la décision de la Cour suprême ou vous cacher derrière la Cour suprême, mais il y a des principes fondamentaux qui ne peuvent pas être mis en veilleuse à cause d'elle, y compris le droit d'expression.

Je suis d'accord avec vous sur le plan international. C'est pour cette raison que je réclame qu'on constitue un comité international d'experts. Le président des États-Unis devrait peut-être lui-même, puisque ce serait dans son intérêt propre, examiner et surveiller les règles internationales de transition. Le récipiendaire du prix Nobel d'économie Gary Becker affirmait que la transition du Québec serait possible dans un délai de cinq ans. Même George Bush disait qu'il faudrait cinq ans aux États lituaniens pour effectuer cette transition.

On a donc déjà établi des critères au niveau international qui nous permettront de nous assurer que cette sécession soit faite dans le respect. Le président Bush avait forcé M. Gorbatchev à reconnaître que la transition devait être faite de manière pacifique et dans le respect des droits de tous et chacun.

Ce principe devrait être inclus dans la loi C-20. Pourquoi n'y figure-t-il pas? Il me semble que la Cour suprême disait la même chose. Si c'est un principe fondamental que tout le monde appuie, pourquoi ne pas simplement l'y inscrire? Il s'agit d'une question d'interprétation.

Je crois que le débat devrait aller beaucoup plus loin que le projet de loi C-20 parce que ce que vous faites et ce que vous avez l'intention de faire relève de l'ensemble de la démocratie, et non pas seulement du Québec et même du Canada. Ce projet de loi viole des principes fondamentaux et il me semble contraire à l'éthique politique que nous avons eue jusqu'à présent.

Le président: M.rci beaucoup, monsieur Lachapelle. Nous avons été heureux de vous entendre ici cet après-midi. Je suis certain que vos opinions ont été très utiles aux membres du comité. M.rci.

M. Guy Lachapelle: Je l'espère vivement. M.rci, monsieur le président.

Le président: Le prochain témoin est M. Claude Ryan. Je l'invite à venir à la table pour nous présenter ses remarques.

• 1645

Monsieur Ryan, j'ai le plaisir de vous accueillir cet après-midi au comité. Je voudrais vous remercier de votre aide.

Je vous accorde 10 minutes pour votre présentation, après quoi suivra une période de questions d'une durée de 35 minutes. Je vous souhaite la bienvenue et je vous cède la parole.

M. Claude Ryan (témoigne à titre personnel): Je veux d'abord vous remercier, monsieur le président, de votre hospitalité et vous assurer que je suis venu ici sans autre souci que d'être utile à la cause de l'unité canadienne bien comprise.

Pour ceux qui ne me connaîtraient pas, je suis un Québécois fédéraliste. Je crois avoir toujours eu à coeur la défense et la promotion des intérêts du Québec, la bonne marche du fédéralisme canadien et le respect des principes démocratiques. C'est parce que le projet de loi C-20 m'interpelle à ce triple sujet que je suis devant vous aujourd'hui.

Je reconnais d'abord que le service de l'unité est une responsabilité majeure du pouvoir central dans tout système fédéral de gouvernement. Si j'ai des critiques à formuler au sujet du projet de loi C-20, ce n'est pas par conséquent parce que je nie toute responsabilité au gouvernement fédéral en rapport avec la sécession possible du Québec. C'est plutôt parce que l'économie générale du projet de loi procède d'une attitude de méfiance et de crainte qui ne reflète pas, à mon avis, ce qu'il y a de meilleur dans l'esprit canadien. Cette attitude se traduit dans le projet de loi en des propositions dont certaines sont hautement contestables à la lumière du principe fédéral et du principe démocratique, et sont de nature à envenimer les rapports entre le Canada et une partie importante de la population du Québec.

En ce qui touche l'exigence de clarté relative à la question référendaire, l'article 1 du projet de loi m'apparaît contraire au principe fédéral. Sous notre régime, chaque ordre de gouvernement est réputé souverain dans sa sphère. Cela signifie généralement que chacun, dans la mesure où il agit dans son champ de compétence, ne doit pas avoir à subir l'ingérence de l'autre.

Dans le troisième attendu du projet de loi, le gouvernement fédéral, en conformité avec ce principe, reconnaît que «le gouvernement d'une province est en droit de consulter sa population par référendum sur quelque sujet que ce soit et de décider du texte de la question». Mais il contredit cette affirmation quand il insère dans le projet de loi une disposition conférant au Parlement fédéral un pouvoir direct d'intervention dans le processus référendaire à un stade où ce processus relève, de l'aveu même du gouvernement fédéral, de la compétence de l'Assemblée nationale.

Si l'Assemblée nationale a le droit de consulter sa population sur un projet de sécession, elle doit pouvoir le faire à l'abri de toute contrainte et de toute ingérence en provenance d'un autre parlement. Or, le pouvoir de jugement sur la clarté de la question qui serait attribué au Parlement fédéral entraînerait une intrusion évidente de celui-ci dans une campagne référendaire en cours. Cette intervention serait d'autant plus abusive qu'elle risquerait de se traduire, avant même la tenue du scrutin, avant même que le peuple ne se soit prononcé, en un ordre formel que le Parlement aurait donné au gouvernement fédéral de n'engager aucune négociation sur le résultat, quel qu'il soit, d'un éventuel référendum.

Le projet de loi indique entre autres certains critères, y compris deux en particulier dont devrait s'inspirer le Parlement pour formuler son jugement sur la clarté de la question. En écrivant ces critères dans une loi, le Parlement et le gouvernement fédéral s'ingéreraient, à tout le moins indirectement, dans la rédaction même de la question. Il s'agit là non plus d'un véritable fédéralisme mais d'un régime de tutelle.

Sous l'angle des principes démocratiques, l'article 1 présente une autre difficulté majeure. Il se pourrait très bien, en effet, qu'une résolution de la Chambre des communes déclarant la question insuffisamment claire soit adoptée par une majorité composée de députés extérieurs au Québec, tandis qu'une majorité des députés du Québec seraient d'avis contraire. Avant même la tenue du référendum, le gouvernement fédéral se verrait ainsi interdire par une majorité de députés extérieure au Québec d'entamer quelque négociation que ce soit avec le gouvernement du Québec au lendemain d'une consultation populaire favorable à la souveraineté. Indéfendable en regard des principes démocratiques, la situation ainsi créée risquerait d'être intenable au plan politique. Elle pourrait même contribuer à orienter l'opinion québécoise dans un sens contraire à celui que le gouvernement ou le Parlement fédéral aurait cherché à favoriser.

• 1650

Toujours au plan politique, il serait irréaliste et dangereux que le gouvernement fédéral ait les mains liées à l'avance par une résolution du Parlement quant à la conduite à tenir au lendemain d'un référendum favorable à la sécession. Nul ne peut en effet prédire avec précision le genre de situation qui existerait alors. Au lieu d'avoir les mains liées par des contraintes définies dans un tout autre contexte, le gouvernement fédéral devrait pouvoir disposer d'une marge de manoeuvre importante pour établir sa ligne de conduite en pareille situation.

L'article 2 ouvre également la porte à un déni de démocratie. Cet article attribue au Parlement le pouvoir de se prononcer, au lendemain d'un référendum favorable à la souveraineté, sur la validité du résultat, ce contre quoi je n'ai aucune objection. Le projet de loi précise cependant que le Parlement devrait alors prendre en considération l'importance de la majorité des voix validement exprimées, le pourcentage des électeurs admissibles ayant voté et tous autres facteurs ou circonstances qu'il estime pertinents.

Le premier critère va de soi. Les deux autres pourraient toutefois permettre au Parlement d'interpréter le résultat d'une manière qui annulerait ou affaiblirait la portée d'un résultat majoritaire en faveur de la sécession. Sans le dire explicitement dans le projet de loi, le gouvernement fédéral soutient, nous le savons tous, qu'une majorité de 50 p. 100 des voix plus une en faveur de la sécession ne serait pas suffisante pour qu'il juge le résultat acceptable. Cette position n'est pas déraisonnable en soi. Déjà, en effet, la règle de l'égalité arithmétique du vote souffre au Canada de nombreuses exceptions qui ne sont pas considérées comme des viols de la démocratie. Pour ne citer qu'un exemple, le Parti québécois détient présentement une majorité absolue de sièges à l'Assemblée nationale alors qu'il a obtenu seulement 43 p. 100 des voix à l'élection de 1998. Le découpage de la carte électorale donne lieu, lui aussi, à de nombreuses distorsions par rapport au principe de l'égalité arithmétique du vote. Si cette distorsion ne crée aucun déchirement majeur, c'est parce qu'il existe parmi la population et les principaux acteurs un consensus voulant que les avantages pratiques attribués à notre mode très imparfait de représentation soient supérieurs à certaines contradictions qu'il engendre.

Dans le cas présent, il est cependant question d'un référendum, et non d'élection. Or, sauf erreur, la règle de 50 p. 100 plus un a toujours présidé à l'interprétation des résultats des référendums tenus jusqu'à maintenant. On peut soutenir avec vraisemblance, en vertu de ce que je viens de dire, qu'il y aurait lieu de la réviser dans le cas d'un référendum portant sur la sécession. Le Parlement fédéral serait toutefois malvenu de vouloir imposer unilatéralement sa manière de voir à ce sujet avant la tenue d'un référendum. Aussi longtemps qu'elle agit dans son champ de compétence, c'est en effet à l'Assemblée nationale du Québec qu'il appartient de prendre une telle décision. C'est à ce niveau qu'il faut agir, soit par voie de négociation, soit par l'action sur l'opinion publique, si l'on veut modifier cette règle du jeu particulière. Il serait non moins malvenu que le Parlement et le gouvernement fédéral s'arrogent le pouvoir de modifier unilatéralement la règle du vote après que le référendum aurait eu lieu. S'il ne veut pas le faire avant, à plus forte raison, il ne devrait pas le faire après pour des raisons évidentes: on aurait deux règles du jeu différentes, à deux étapes différentes de l'exercice, ce qui est absolument contradictoire en soi. Or, c'est précisément ce que laisse entrevoir le projet de loi.

En conclusion, je souhaite que soit éliminée du projet de loi toute disposition pouvant donner lieu à une ingérence indue du Parlement fédéral dans le processus référendaire et à l'imposition unilatérale d'une règle inédite d'interprétation du résultat d'un référendum. Je trouverais toutefois normal que le Parlement fasse obligation au gouvernement fédéral, par loi s'il le veut, de convoquer sans délai, dans l'hypothèse d'un vote référendaire favorable à la souveraineté, les membres du Parlement, les premiers ministres des provinces et des territoires et les dirigeants des peuples autochtones afin d'examiner avec eux la ligne de conduite à tenir.

• 1655

Enfin, à mon humble avis, au lieu de multiplier les affrontements qui éloignent les parties au lieu de les rapprocher et qui contribuent à répandre une fausse image de la démocratie au Québec, il serait plus constructif que le gouvernement fédéral et le Parlement profitent de l'accalmie relative que nous connaissons présentement pour remettre à l'ordre du jour le renouvellement du fédéralisme canadien en accord avec les attentes maintes fois formulées par le Québec et les autres partenaires de la fédération. M.rci.

Le président: M.rci beaucoup. Passons maintenant à la période des questions.

Monsieur Hill.

M. Grant Hill: M.rci, monsieur Ryan, de votre témoignage. Selon vous, est-ce que le plan A est meilleur que le plan B?

Des voix: Ah, ah!

M. Grant Hill: La question du plan A serait l'objet d'un débat pendant de nombreuses années, tandis que le plan B s'avérerait difficile.

Selon vous, la question qu'on a posée lors du référendum de 1995 était-elle claire, sans ambiguïté et sans confusion au Québec?

M. Claude Ryan: Elle n'était pas claire. Si vous me demandez mon opinion, je vous dirai qu'elle n'était pas claire.

M. Grant Hill: Une autre fois?

M. Claude Ryan: Pardon?

M. Grant Hill: J'ai posé la question une autre fois.

Une voix: Il a répondu que ce n'était pas clair.

M. Grant Hill: Ce n'est pas clair.

M. Claude Ryan: Dans la même question, on demandait à la population de dire oui à quatre choses différentes.

M. Grant Hill: Selon vous, quelle méthode nous permettrait d'avoir une question claire?

M. Claude Ryan: La méthode, c'est la méthode parlementaire appliquée en conformité avec les principes de notre système fédéral de gouvernement. Cela veut dire que lorsqu'on discute de la question, c'est à l'opposition, aux différents secteurs de la société civile et aux forces politiques de faire valoir leur opinion. La décision doit être prise à l'Assemblée nationale et, une fois qu'elle a été prise, elle doit s'exécuter sans ingérence.

Mais, à supposer qu'un gouvernement ait arbitrairement fait adopter une question qui n'était pas suffisamment claire et dans l'hypothèse d'un résultat favorable, là le gouvernement fédéral serait saisi d'une situation, et c'est à ce moment qu'il devrait inviter le Parlement à se prononcer lui-même. Il n'y a rien qui empêche les acteurs politiques, autant du Québec que des autres parties du Canada, d'exprimer leur opinion à n'importe quel moment.

Dans les deux campagnes référendaires auxquelles j'ai participé, les acteurs politiques fédéraux ont participé pleinement. Le premier ministre du Canada a participé aux deux campagnes, et cela est normal.

Mais si vous êtes en régime fédéral, le Parlement fédéral ne peut pas faire n'importe quoi pour contrecarrer l'action d'une législature provinciale tant qu'elle agit dans son domaine de compétence. S'il veut emprunter le recours normal, ce sera le recours aux tribunaux une fois qu'une loi aura été adoptée. Dans un référendum, il ne doit surtout pas le faire avant que la population ne se soit prononcée. Il y a une contradiction fondamentale ici qui met en cause le principe fédéral lui-même, à mon point de vue.

M. Grant Hill: Les Canadiens qui vivent à l'extérieur du Québec désirent que la question soit absolument claire. Pourquoi est-il si difficile pour un Québécois de comprendre cela?

M. Claude Ryan: Je ne voudrais pas entrer dans un cours de psychologie politique. Je ne suis pas venu ici pour ça. La question est de savoir si l'Assemblée nationale a le droit de poser une question qu'elle juge opportune ou non. On peut débattre ailleurs de toutes les questions que vous voulez soulever, et je n'ai pas de problème avec ça, mais je ne pense pas être en mesure de vous expliquer en deux minutes la position du gouvernement du Parti québécois, dont je n'ai jamais fait partie d'ailleurs.

J'ai toujours été opposé personnellement à ce qu'on pose une question en deux, trois ou quatre volets, et je le demeure. Mon canal pour exprimer mon opinion sur le régime fédéral dont nous faisons partie est celui que j'ai indiqué. Je pense que vous devez y penser comme il le faut.

• 1700

M. Grant Hill: Avez-vous une question claire à poser aux Québécois?

M. Claude Ryan: Je vais vous dire une chose: je ne ferai pas cela ici. Je ne viendrai pas donner des conseils au gouvernement du Québec en passant par le Parlement d'Ottawa. Je vous donne une information qui peut vous intéresser. J'ai écrit une étude assez élaborée pour l'Institut C.D. Howe sur les suites qu'il importe de donner à l'avis de la Cour suprême: comment nous devons envisager la situation à partir de maintenant. Je pense que M. Monahan, qui doit me suivre ici, en a écrit une, lui aussi. Il a eu la chance qu'elle paraisse avant la mienne, mais ce n'est pas grave; ce sont des incidents de parcours. Là-dedans, je parle du gouvernement du Québec également, des responsabilités de tous les acteurs politiques, y compris ceux du Québec. Mais c'est là que je vais répondre à cette question et pas ici, cela pour des raisons que vous comprendrez facilement.

M. Daniel Turp: Monsieur Ryan, je vous souhaite la bienvenue au nom de mes collègues du Bloc québécois.

Ici, à la Chambre des communes, nous ne sommes pas d'accord sur le fond des choses, mais nous respectons beaucoup la personnalité politique que vous êtes, les débats intéressants, les débats de fond que nous avons avec quelqu'un qui respecte les souverainistes. C'est ce que nous avons toujours apprécié de vous. J'espère que nos collègues qui sont d'accord sur ce projet de loi constateront que les arguments qui sont présentés par le Bloc québécois ne sont pas seulement des arguments du Bloc québécois. M. Ryan a dit et répété dans son mémoire un certain nombre d'objections que nous avons formulées. Nous sommes souverainistes, nous avons la démocratie à coeur et nous croyons que cette espèce de droit de désaveu, cette loi déraisonnable, comme M. Ryan le dit parfois, en est une qui ne mérite peut-être pas d'être au programme du Parlement. C'est l'objet de ma première question, monsieur Ryan. Vous dites qu'il y a plusieurs dispositions qui devraient être éliminées. Je crois comprendre qu'il y en a plusieurs. Est-ce que vous croyez que ce projet de loi a sa raison d'être? Est-ce qu'il doit y avoir un projet de loi sur cette question?

M. Claude Ryan: Il y a beaucoup d'arguments qu'on peut considérer. Personnellement, je ne pense pas que le projet de loi soit nécessaire à l'heure actuelle, parce qu'il n'y a pas suffisamment de matière à y mettre dans le respect des principes constitutionnels qui m'apparaissent fondamentaux. Mais s'il devait s'agir d'un projet de loi par lequel le Parlement obtiendrait la garantie qu'au lendemain d'un référendum favorable à la sécession, le gouvernement serait tenu d'être convoqué dans les plus brefs délais, de convoquer également les premiers ministres des provinces pour examiner avec eux la situation et établir la ligne de conduite, je ne pourrais pas m'y objecter. Je trouve que ce serait tout à fait compréhensible et justifiable.

M. Daniel Turp: Donc, si je comprends bien, vous ne croyez pas qu'un projet de loi soit nécessaire, ou même utile, avant qu'un événement comme celui-là ne se produise.

M. Claude Ryan: Non, vous ne m'avez pas compris.

M. Daniel Turp: D'accord.

M. Claude Ryan: Si le Parlement jugeait opportun—c'est sa prérogative inaliénable, que je respecte entièrement—d'adopter un projet de loi dans lequel il dirait au gouvernement fédéral: ordre vous est donné, si jamais il arrive tel résultat, de convoquer le Parlement immédiatement avant de faire quoi que ce soit, je n'aurais pas d'objection à cela. Ce ne serait pas mauvais que ce soit inscrit quelque part.

M. Daniel Turp: Mais tel n'est pas le cas. Tel n'est pas l'objet du projet de loi que nous avons devant nous maintenant.

M. Claude Ryan: Oui, dans l'article 2, il y a une partie de cela tout de même, par exemple quand ils disent qu'au lendemain d'un référendum favorable, il faudrait convoquer le Parlement pour examiner le résultat. Il y a des parties de cet article qui pourraient rester.

M. Daniel Turp: D'accord. Sur la question de la question, vous avez déjà dit, dans un autre forum, que pour adopter une question à l'Assemblée nationale, par exemple, un consensus devait être adopté ou qu'il devait y avoir une règle de majorité qualifiée. D'ailleurs, le ministre me l'a rappelé au lendemain de votre entrevue, dans une réponse à une question qui vous concernait. Si jamais le projet de loi était accepté ou débattu, croyez-vous que les déterminations sur la clarté d'une question ou d'une majorité devraient être adoptées avec une majorité qualifiée à la Chambre des communes?

M. Claude Ryan: Voulez-vous dire à la Chambre de communes ou à l'Assemblée nationale?

• 1705

M. Daniel Turp: Eh bien, à la Chambre des communes. Par exemple, le projet de loi actuel dit qu'il faut que la Chambre des communes détermine si la question est claire ou pas et si la majorité est claire ou pas. Est-ce que cela devrait être déterminé par une majorité qualifiée de députés? Vous laissez entendre que c'est une majorité qualifiée de députés qui devrait, à l'Assemblée nationale, accepter l'idée que la question est claire ou non.

M. Claude Ryan: Sur la première partie de la question, soit le vote à l'Assemblée nationale, j'ai déjà émis l'hypothèse qu'on pourrait envisager une majorité des deux tiers, mais j'ai changé d'opinion depuis. C'est une hypothèse que j'avais émise. Je ne l'avais d'ailleurs pas formulée à l'état de proposition.

Par respect pour le principe majoritaire, justement, j'aimerais avoir cette garantie, mais je pense que c'est abusif. On ne peut pas appliquer à un exercice comme celui-là la règle d'une majorité des deux tiers qu'on peut appliquer pour la désignation des membres de la Commission des droits de la personne, par exemple, ou la nomination du vérificateur général ou du directeur des élections. Ce sont là des actes très particuliers qui sont supposés se faire par-delà les considérations de politique partisane. Un référendum nous plonge en plein dans les options fondamentales des partis, et je ne serais pas prêt à donner à l'opposition un droit de veto sur la question. Je trouve que ce serait abuser du respect des minorités, pour être franc avec vous.

D'ailleurs, une autre raison qui m'a fait changer d'opinion, c'est qu'il pourrait très bien arriver qu'un parti, le Parti québécois, ait les deux tiers des voix à l'Assemblée nationale. À ce moment-là, il pourrait voguer à pleines voiles sans aucune difficulté. Je ne suis pas prêt à consentir à cela non plus.

M. Daniel Turp: M.rci beaucoup.

[Traduction]

Le président: Monsieur Blaikie.

M. Bill Blaikie: M.rci, monsieur le président.

C'est pour moi tout un honneur et un privilège d'interroger quelqu'un qui a la stature de M. Ryan. Je suis ravi de pouvoir le faire.

J'aimerais que vous nous aidiez à comprendre certaines choses au sujet des derniers référendums, puisqu'il semble y avoir des affirmations contradictoires. Pour commencer, de mémoire, en 1980 et en 1995, on considérait que 50 p. 100 plus un était un chiffre gagnant. Les gens ont été soulagés lorsqu'il n'y a pas eu au-delà de 50 p. 100 plus une voix pour le oui, puisque dans cette situation, on aurait certainement considéré que c'était une victoire. Pour les conséquences que cela aurait eu, c'est une toute autre histoire, mais c'est ce chiffre qui était, si on veut, l'objectif.

Pourtant, j'ai entendu un certain nombre de députés du parti ministériel, des libéraux, déclarer plusieurs fois que la règle du 50 p. 100 plus un n'a jamais été acceptée, que M. Trudeau a dit, en 1980: «Vous pouvez frapper à la porte de la souveraineté, mais il pourrait bien n'y avoir personne de l'autre côté.» C'est ce qu'a répété un témoin ce matin. Et à plusieurs reprises, j'ai entendu des gens du parti ministériel—probablement pour défendre le projet de loi sur la clarté et ce qu'il implique, parce qu'il n'y est pas dit explicitement qu'une majorité de 50 p. 100 plus un ne suffirait pas—dire que lors des référendum de 1980 et de 1995, la règle du 50 p. 100 plus un ne s'appliquait pas.

Pourriez-vous nous faire part de vos commentaires là-dessus parce que c'est un sujet très important, à mon avis. S'il ne l'était pas, alors nous ne changerions pas les règles du jeu, ou le gouvernement ne serait pas en train d'essayer de les changer. Mais si la question a de l'importance, alors le gouvernement tente effectivement de modifier les règles du jeu.

M. Claude Ryan: Si je me souviens bien, lors du référendum de 1980, M. Trudeau et les acteurs fédéraux sur le plan politique n'ont jamais soulevé la question de la règle de la majorité. Elle était généralement acceptée. Ce à quoi M. Trudeau s'opposait, c'était la proposition faite par le camp souverainiste. Il a déclaré: «Elle est tellement ambiguë que je ne négocierais jamais à ce sujet.» C'est ce qu'il a dit durant la campagne. Mais il n'a jamais remis en question la règle de la majorité.

Dans le cas du référendum de 1995, les choses ont été légèrement différentes. À quelques reprises, M. Chrétien a mis en doute la validité de la règle de la majorité simple. Il n'est jamais allé plus loin. Il n'y a jamais eu de discussion entre les différents acteurs du camp du non à ce sujet. Et je peux vous assurer que, du côté du Parti libéral du Québec, on ne s'est jamais demandé s'il fallait suivre cette règle ou pas. C'était la règle.

M. Bill Blaikie: À un moment donné, vous avez parlé du besoin de faire autre chose qu'un projet de loi sur la clarté. Fondamentalement, vous parliez du besoin de renouveler le fédéralisme, plutôt que d'anticiper son échec. Je suis certainement d'accord avec vous. J'aimerais beaucoup mieux faire partie d'un comité étudiant un plan A que de me retrouver du côté des opposants dans un comité étudiant le plan B.

• 1710

Mais étant donné la situation politique actuelle—et je n'aime pas avoir à le dire—, je me demande si l'on peut espérer avoir un véritable plan A, du moins à court et à moyen termes, c'est-à-dire un plan A qui irait au-delà des réformes administratives pour accorder une reconnaissance symbolique constitutionnelle et importante de la spécificité du Québec au sein de la Confédération. Il y a déjà eu des tentatives dans ce sens, mais elles ont toutes échoué.

Étant donné le contexte politique actuel, ne sommes-nous pas dans une position où les partis les plus susceptibles d'approuver un plan A correspondant à ce que je viens de décrire sont les partis qui sont les plus faibles, du point de vue fédéral, et où les partis qui sont les moins susceptibles de produire ce genre de plan sont les plus forts, et luttent les uns contre les autres pour arriver au pouvoir? Si c'est ainsi, à court terme, il est inutile de penser à renouveler le fédéralisme d'une manière qui ressemble un peu à ce dont nous avons parlé dans le passé.

M. Claude Ryan: Si vous me le permettez, j'aimerais commencer par une remarque sur la situation actuelle, la situation qui provient de l'opinion exprimée par la Cour suprême.

Cette opinion a considérablement renforcé la position du gouvernement fédéral, parce qu'elle interprétait la Constitution d'une façon qui signifiait que le Québec ne pouvait se séparer légalement du Canada, à moins qu'il ne le fasse par des procédures d'amendement prévues par la Constitution. Cela reviendrait alors à une modification de la Constitution. Ce sera une bataille très difficile à gagner pour Québec, s'il veut surmonter cet obstacle considérable. Mais l'obstacle est bien là.

Le fédéral a donc remporté une victoire considérable, de ce point de vue strictement légal, et vouloir renforcer encore sa position avec ce genre de loi est véritablement excessif, d'après moi. Je dois exprimer mon opinion à cet égard de la façon la plus claire possible.

En ce qui a trait à la deuxième partie de votre intervention, je reconnais qu'il existe aujourd'hui des difficultés à entreprendre un renouvellement sérieux du fédéralisme, surtout quand on songe aux aspects constitutionnels de la question, que le gouvernement du Québec a refusé catégoriquement de discuter. Ce n'est pas là une excuse pour le gouvernement fédéral pour ne rien proposer de concret, parce que ce gouvernement ne s'adresse pas seulement au gouvernement du Québec; il y a toute la population du Québec.

Nous savons tous—tous les sondages le montrent, comme ils l'ont fait au cours des 15 dernières années—que la majorité des Québécois, plus de 60 p. 100 d'entre eux, veulent sincèrement un fédéralisme renouvelé. C'est parce que rien ne leur a été proposé dans ce sens, ou parce que le peu qui leur a été proposé l'a été de façon si mesquine, que beaucoup d'entre eux ont été attirés par l'autre proposition au cours du dernier référendum.

Ma position a toujours été que vous devriez présenter des idées innovatrices et progressives pour améliorer les choses, en essayant de tenir compte du cheminement du Québec depuis, disons, trois ou quatre décennies.

À propos de la difficulté que vous soulevez, j'aimerais vous répondre ceci. Si un parti qui est faible veut devenir plus fort, il doit tout d'abord adopter des idées qui vont sembler impopulaires. Il devra ensuite se battre pour elles avec courage et détermination, comme l'a fait votre parti un certain nombre de fois au cours des dernières années, et il finira bien par exercer une certaine influence, s'il n'obtient pas nécessairement le pouvoir.

[Français]

Le président: Monsieur Bachand.

M. André Bachand: Monsieur Ryan, merci beaucoup d'être ici sur un avis aussi court.

Une des difficulté pour ceux qui remettent en question plusieurs points du projet de loi C-20 se pose souvent à l'extérieur du Québec, dans ce qu'on appelle communément le reste du Canada, bien que je n'aime pas cette appellation. Pour beaucoup de Canadiens de l'extérieur du Québec, le projet de loi crée une zone de confort, de sécurité, sans qu'ils l'aient lu et sans qu'on puisse leur expliquer ce qu'il en est parce que le gouvernement a décidé qu'on ne voyagerait pas.

• 1715

Selon vous, quel message peut-on adresser aux gens du reste du pays? Beaucoup d'entre eux s'imaginent que ce projet de loi règle tout, que la vertu y est imprimée et que tout est sous contrôle.

M. Claude Ryan: Je dirai deux choses bien simples. Tout d'abord, faites confiance à la démocratie québécoise. Je suis heureux d'avoir la chance de dire ici que la démocratie québécoise est plus avancée, à mon point de vue, que la démocratie dans toute autre province du Canada. Nous sommes la seule province du Canada qui s'est donnée une loi pour contrôler les dépenses et les revenus des partis politiques, une loi qui, en plus, est appliquée de manière très générale. C'est une garantie de démocratie très forte. Regardez ce qui se passe dans les pays d'Europe actuellement qui n'ont pas de mesures ou qui ont des lois qu'ils n'ont pas observées. Cela conduit à des situations scandaleuses et abusives. On n'a pas cela au Québec. On a une démocratie propre, tout compte fait.

Deuxièmement, vous me posez une question qui m'embarrasse parce que j'ai peut-être répété cela 200 fois dans ma carrière publique. Tant qu'on ne sera pas allé au fond des choses, tant qu'on n'aura pas accepté de discuter franchement avec le Québec à partir de ce qu'il est, il va rester des malentendus et les choses seront toujours faites de travers.

Le dernier exemple est celui de l'entente sur l'Union sociale. C'était tout beau et tout le monde y était favorable. À un moment donné, vous regardez cela de très près et vous comprenez pourquoi le Québec n'a pas pu embarquer. Je pense même qu'un gouvernement libéral n'aurait pas accepté l'Union sociale dans les termes où elle est définie. Eh bien, qu'on se mette à table et qu'on se dise que, si on veut avoir un pays qui marche avec le Québec, il faut que le Québec soit partie aux décisions et non pas à l'extérieur. On l'a laissé en dehors à plusieurs reprises ces dernières années.

M. André Bachand: J'ai deux dernières questions, monsieur le président.

En 1980, vous aviez la chance ou l'occasion d'être président du comité du Non. Je ne sais pas si c'était une chance, mais vous avez fait un travail très louable. Si, aujourd'hui, on était en 1980, que le gouvernement introduisait le projet de loi C-20 à cette période de l'année et qu'un référendum était prévu pour mai de cette année, en tant que président du comité du Non, quel accueil lui réserveriez-vous?

M. Claude Ryan: Je vais vous dire bien franchement...

M. André Bachand: C'est hypothétique, monsieur Ryan, et j'en conviens.

M. Claude Ryan: Oui, oui. Je vais vous dire bien franchement qu'il y aurait une chicane dans mon caucus. La moitié voudrait qu'on se mette à genoux devant la loi fédérale et l'autre moitié voudrait qu'on défende le Québec. Si j'étais le chef, je dirais que le Québec vient d'abord dans ce cas-là.

M. André Bachand: M.rci, monsieur Ryan.

Le président: Monsieur Patry.

M. Bernard Patry: M.rci, monsieur Ryan, de votre visite. Vous êtes sûrement un des interlocuteurs avisés sur le sujet.

J'aimerais revenir sur les référendums de 1980 et de 1995. En 1980 et 1995, l'Assemblée nationale du Québec a posé une question, et les deux fois cette question a été adoptée par l'Assemblée nationale, mais pas de façon unanime.

Le 30 septembre 1995, la question référendaire a été adoptée sans amendement par 75 voix contre 44, avec une abstention.

Il faut se rappeler qu'à ce moment-là, l'opposition officielle avait proposé un amendement qui était d'ajouter les deux mots «un pays» après le mot «devienne». Le libellé de la question aurait alors été, au début: «Acceptez-vous que le Québec devienne un pays souverain», etc. Cet amendement a aussi été rejeté par 74 voix contre 44.

On peut donc facilement tirer la conclusion que le gouvernement du Québec a imposé sa question sans tenir compte de l'opposition qui, par son amendement, ajoutait à la clarté de la question.

Dans le cas d'un futur référendum, si l'opposition officielle à Québec vote encore une fois contre la question et voit ses amendements rejetés, et si le premier ministre du Canada fait savoir que lui aussi ne juge pas la question claire, que se passera-t-il si le Oui l'emporte par une très faible majorité? Que se passera-t-il si le gouvernement fédéral refuse de négocier par la suite? Ne courez-vous pas le risque que la population se sente lésée par le gouvernement fédéral parce qu'il n'est pas dans l'intérêt de tous de savoir à l'avance ce qu'en pensent le gouvernement fédéral et l'opposition officielle à l'Assemblée nationale, comme le prévoit le projet de loi C-20?

M. Claude Ryan: Là, on se pose des questions d'appréciation politique, n'est-ce pas?

M. Bernard Patry: Oui.

M. Claude Ryan: On est dans des questions d'appréciation politique. Supposons que vos craintes soient justifiées, et il se pourrait qu'elles le soient, est-ce que cela justifie le Parlement fédéral de légiférer à une étape où cela relève de la compétence de l'Assemblée nationale? C'est là qu'est la question. Moi, je dis non avec fermeté.

• 1720

Il peut intervenir une fois le résultat acquis. Les acteurs fédéraux sont intervenus dans la campagne. Quand la question a été adoptée en 1980, on a dit aux électeurs que cette question n'était pas claire, qu'on voulait essayer de leur passer un Québec—excusez l'expression. Il n'y a rien qu'on n'a pas dit. Vous le savez, car vous avez fait campagne avec nous dans le temps. Nous avons gagné et ça a réglé tout le problème.

La deuxième fois, les circonstances étaient différentes. Le camp du Non a gagné quand même. Je me dis qu'il faut faire confiance à la démocratie. Faisons les choses que je recommandais tantôt, apportons ces améliorations. Il y en a un certain nombre qui ont été faites, et je le reconnais. On pourrait pousser plus loin. On va aller à la bataille et on va la gagner. Mais si on prend des moyens comme ceux-là, on risque d'avoir le résultat contraire. Les gens vont se dire qu'on veut leur en imposer. Or, vous savez comment sont les Québécois. Rappelez-vous Mutt and Jeff; quand Jeff voulait agir trop fort, Mutt disait: ça suffit, il faut lui donner une petite leçon. On le sait, nous, en politique, parce qu'on se fait parfois renvoyer chez nous au moment où on s'y attend le moins.

Il se pourrait très bien que ce projet de loi produise un résultat contraire et, à mon point de vue, ce serait extrêmement déplorable. J'offre un conseil de prudence et de sagesse politique: on a livré des batailles, on a préservé le pays jusqu'à maintenant et il est possible de le préserver encore, mais pas avec des mesures comme celle-là.

Ailleurs au pays, le projet de loi contribue à noircir l'image de la démocratie au Québec. C'est très regrettable, parce que c'est contraire à la réalité.

M. Bernard Patry: Monsieur Ryan, vous avez répondu à une question de mon collègue du Bloc québécois concernant la majorité qualifiée. Pour vous, quelle serait la majorité claire à l'Assemblée nationale? Êtes-vous capable de nous donner un chiffre qui constituerait une majorité claire à une question claire?

M. Claude Ryan: Vous voulez dire à l'Assemblée nationale?

M. Bernard Patry: Oui.

M. Claude Ryan: À l'Assemblée nationale, c'est la majorité des députés, comme au Parlement ici. Je ne connais pas d'autres règles, sauf pour des cas très précis comme ceux dont j'ai parlé: la nomination du directeur général des élections; la nomination du vérificateur général; la nomination des membres de la Commission des droits de la personne. Je pense que ce sont les trois cas les plus patents. Pour le reste, c'est toujours la majorité simple.

Pour le référendum, je serais prêt à soutenir que l'Assemblée nationale devrait se demander si ça ne donnerait pas une garantie de sécurité plus grande à la population que de dire que ça sera la majorité des électeurs inscrits. On ne brimerait pas les droits de personne en faisant cela. On arriverait peut-être, selon les calculs de politologues, à 52 p. 100, 53 p. 100 ou 54 p. 100. Ça donne déjà des gages d'une clarté plus grande.

Je ne sais pas si le Parti Québécois serait prêt à accepter cela, mais je suis prêt à soutenir publiquement que ce serait une mesure de prudence qui aiderait à mettre un peu plus de pondération dans l'exercice. Il faut savoir comment les politiciens des deux camps font parfois leurs calculs—je n'en attaque pas l'un plus que l'autre—: ce sont des calculs étroits et électoralistes, souvent basés sur l'intérêt immédiat de chacun des partis. Dans ce cas-là, si les acteurs sont d'accord, une règle un peu plus exigeante ne violerait pas la démocratie et la population serait très contente.

M. Bernard Patry: M.rci.

Le président: Nous continuons avec M. Turp.

M. Daniel Turp: Justement, monsieur Ryan, j'ai une question à vous poser sur la majorité des inscrits. Si effectivement ça peut faire l'objet d'un débat—je sais que des collègues, des «politistes», Louis Massicotte et d'autres, ont été tentés de proposer cette règle—, vous êtes bien conscient que son application, lors du référendum de 1995, n'aurait permis à aucune des deux options d'obtenir plus de 50 p. 100 des voix plus une.

On a fait les calculs. Ça nous intriguait un peu de savoir quel résultat cela aurait donné pour le référendum de 1995. Or, en tenant compte des abstentions et ainsi de suite, aucune option n'aurait obtenu plus de 50 p. 100 des voix plus une.

L'objection fondamentale à une règle comme celle-là, finalement, c'est que ceux qui s'abstiennent, ceux qui ne votent pas comptent dans un processus où la démocratie donne la liberté de voter ou de ne pas voter. Alors, il y a des objections à une règle comme celle-là. Peut-être y a-t-il lieu de changer d'idée sur cette règle-là aussi.

M. Claude Ryan: Évidemment, il y a des choses sur lesquelles on peut changer d'idée. Cependant, les arguments que vous m'apportez ne suffisent pas à me convaincre. Il y a beaucoup de gens qui ne vont pas voter le jour du référendum, ou le dimanche qui précède, parce qu'ils ont des raisons sérieuses: ils ont des problèmes de maladie; ils peuvent difficilement se déplacer. Quand une personne doit s'occuper de ses enfants ou de ses parents, il y a parfois des circonstances familiales qui l'empêchent de se déplacer facilement. Ces gens ne sont pas nécessairement désintéressés, ni des paresseux politiques. Alors, je serais prêt à faire un plaidoyer pour les compter pour une occasion aussi importante, car eux aussi devront vivre avec les conséquences.

• 1725

Si le résultat du référendum donnait, par exemple, un résultat de 49 p. 100 contre 48 p. 100, cela veut dire que le statu quo continuerait. C'est clair. Il n'y a pas de problème là. Ce n'est pas nécessaire qu'il y ait 50,1 p. 100. Ce qui est nécessaire, c'est qu'il y ait une majorité claire en faveur du changement.

M. Daniel Turp: Au sujet de la majorité claire, on laisse entendre que la Cour suprême a, par l'emploi du mot «clarté», rejeté la règle du 50 p. 100 plus un ou du 50 p. 100 plus un des inscrits. Est-ce que c'est votre interprétation de l'avis de la Cour suprême?

M. Claude Ryan: Il y a un attendu dans le projet de loi—je pense que c'est le cinquième—qui est formulé d'une manière abusive. On dit:

    Attendu que la Cour suprême a déclaré que le principe de la démocratie signifie davantage que la simple règle de la majorité...

C'est faux. La Cour suprême n'a jamais déclaré cela dans son avis. Elle a déclaré que pour avoir une décision politique légitime en matière de changement constitutionnel aussi radical, il fallait une application harmonisée des quatre principes qu'elle a invoqués. Le principe démocratique ne peut pas être appliqué à l'exclusion du principe constitutionnel, du principe du fédéralisme, du principe du respect des droits des minorités. Elle n'a jamais dit que la démocratie signifiait plus que la règle de la majorité. Si elle l'avait dit, j'aurais été le premier à le contester.

Je pense que cet attendu est formulé d'une manière abusive et qu'il ne correspond pas à ce que la Cour suprême a véritablement dit. Je soumets cela aux membres du gouvernement, et je vous dirai que j'en ai discuté avec des experts. Mais je ne m'attendais pas à ce que cette question soit soulevée ici.

M. Daniel Turp: M.rci, monsieur Ryan.

Le président: Monsieur Drouin, vous avez la parole.

M. Claude Drouin: C'est à mon tour, monsieur Ryan, de vous souhaiter la bienvenue et de vous remercier pour votre présence et pour votre témoignage.

Dans une lettre que vous aviez écrite à La Presse en 1997, vous mentionniez:

    D'une part, une responsabilité indéniable incombe au Parlement et au gouvernement du Canada pour le maintien de l'unité du pays.

Par la suite, vous mentionniez de façon très opportune:

    [...] le gouvernement fédéral se sentira tenu—comme il le fit d'ailleurs en 1980 et 1995 sans que cela ait été suffisamment noté—de refuser de s'engager à l'avance à reconnaître un résultat qui aurait été obtenu à l'aide d'une question équivoque.

Ce matin, Mme Lajoie, professeure à la Faculté de droit de l'Université de Montréal, disait qu'il y avait quatre interprétations différentes de la question de 1995. Vous y avez fait allusion vous-même en mentionnant qu'il y avait quatre questions en une. Si le résultat de 1995 avait été inversé et qu'une majorité avait répondu oui à la question, le mandat aurait-il été donné aux Québécois et aux Québécoises de négocier avec le gouvernement du Canada?

Vous insistez beaucoup sur le sens démocratique des Québécois, et je suis parfaitement d'accord avec vous, monsieur Ryan, mais en démocratie, est-ce qu'un parti au pouvoir ne peut pas travailler de façon à mêler les choses pour que les gens s'y perdent?

Dans un sondage, 61 p. 100 des 4 992 Québécois interrogés ont répondu qu'ils croyaient que le Québec allait demeurer dans le Canada lorsqu'ils ont répondu oui, J'aimerais vous entendre commenter cet aspect de la démocratie, monsieur Ryan.

M. Claude Ryan: Comme je le dis depuis le début de mon intervention, au lendemain d'un référendum qui donnerait un oui en réponse à une question obscure ou ambiguë, le gouvernement et le Parlement fédéral devraient assumer leurs responsabilités.

Supposons, par exemple, que le premier ministre du Canada ait fait campagne pendant le référendum pour souligner que la question n'était pas claire. Comme chef du gouvernement du pays, il aurait de gros problèmes advenant un résultat ambigu. Il serait bien placé, après le référendum, pour prendre ses responsabilités avec l'ensemble du Parlement. Il aurait entièrement la responsabilité d'agir à ce moment-là. Personne ne peut lui nier cela.

• 1730

Ce que je trouve inacceptable, c'est qu'on aille essayer de régler ça d'avance, en établissant le genre de directives que le Parlement donnerait au gouvernement du Canada. C'est ce que je trouve contraire à l'esprit fédéral et à l'esprit canadien, et peu susceptible de donner des résultats pratiques.

M. Claude Drouin: Monsieur Ryan, vous dites que le gouvernement canadien, à ce moment-là, sera légitimé de prendre action. Mais quelle sera la situation au Québec, où les gens auront dit répondu oui de façon majoritaire, quand le gouvernement canadien, parce que la question est ambiguë ou équivoque, prendra ses responsabilités? La situation pourrait être difficile et avoir des impacts majeurs sur tous les Canadiens et Canadiennes.

M. Claude Ryan: Ils devront se réunir et ils seront obligés de discuter sérieusement, pour le vrai. Ce ne sera pas un exercice comme celui qu'on fait ici aujourd'hui. Ils vont être obligés de se poser la question: Qu'est-ce qu'on fait? À ce moment-là, toutes les hypothèses vont devoir être mises sur la table, pas seulement une. Ils vont être obligés d'agir avec la sagesse que leur donnera leur expérience et tenir compte des conseils des députés et de l'opinion publique.

On ne peut pas transformer un problème essentiellement politique en un problème purement juridique. C'est ça qu'il ne faut pas oublier. On peut l'encadrer le mieux possible, mais il faut que ce soit fait en conformité avec les principes de notre système de gouvernement.

M. Claude Drouin: Mais pour encadrer ce problème, ne vaudrait-il pas mieux qu'il y ait un certain cadre—parce qu'on reconnaît, dans le projet de loi C-20, que c'est le gouvernement du Québec qui doit poser la question et émettre les règles—plutôt que d'en décider après, alors que la situation sera ambiguë et que tout le monde devra tout mettre sur la table sans savoir les résultats? Il me semble que pour une question qui touche l'avenir du pays, c'est un peu dangereux de décider ensuite ce qui va se passer. Il vaut mieux le faire avant qu'après.

M. Claude Ryan: Si vous commencez à vous mettre le nez dans la formulation de la question, comme vous y invite ce projet de loi, vous n'êtes pas au bout de vos peines. Vous n'avez probablement pas participé à la rédaction d'une question référendaire. Les avocats vont se mettre là-dedans, les juristes vont commencer à finasser et il y en a un qui sera assez intelligent pour trouver le moyen de passer à côté et s'arranger pour que les tribunaux ne puissent pas le contredire. Ou encore, ça donnera lieu à des contestations qui n'en finiront pas. Je ne vois pas du tout en quoi ça peut nous donner plus de stabilité et de clarté dans la procédure.

Le Parlement va se grandir s'il agit de manière à pouvoir dire fièrement, sans crainte d'être contredit par des gens sérieux et impartiaux, qu'il agit en parfaite conformité des principes du fédéralisme et des principes démocratiques. S'il respecte ces deux principes, je pense qu'il va savoir ce qu'il a à faire. Mais s'il veut gagner le prochain référendum à tout prix, il va se mêler dans ses propres cartes. Il va nous amener des produits comme celui que vous avez devant vous. La clarté et la transparence valent pour tous les acteurs. Plus on est haut placé, plus le devoir est grand.

[Traduction]

Le président: Très bien, encore une question, monsieur Hill, et ce sera tout.

M. Grant Hill: Monsieur Ryan, la question de la divisibilité du Canada a été acceptée par la plupart d'entre nous. Le Québec exprime sa volonté clairement et simplement. La Cour suprême et le présent projet de loi soulèvent la question des frontières du Québec. Pouvez-vous nous dire ce que ces mots signifient pour vous, «les frontières du Québec»?

M. Claude Ryan: Essentiellement, il s'agit des frontières actuelles. Il peut bien y avoir quelques litiges, ici et là, à propos de problèmes très marginaux, mais fondamentalement, cela signifie les frontières telles qu'elles existent.

Dans le projet de loi, on fait référence à des modifications potentielles des frontières du Québec. Je serais plus satisfait si on disait uniquement que les frontières du Québec feraient l'objet de négociations à l'issue d'un référendum où la population se déclarerait en faveur de la séparation. Laisser entendre que des changements auraient probablement lieu est une position plutôt dangereuse, à l'heure actuelle, car elle pourrait justifier l'opinion de certaines personnes qui seraient prêtes à diviser le territoire du Québec selon des intérêts hautement douteux. La formulation, ici, devrait donc être très prudente.

• 1735

Je ne peux affirmer que c'est une question que l'on ne peut mettre sur le tapis. Il faudrait en discuter à l'issue d'un référendum. Toute personne réaliste sera d'accord avec moi. Mais dire que des changements s'imposeraient, c'est une toute autre chose.

[Français]

Le président: Monsieur Ryan, nous avons beaucoup apprécié votre comparution devant le comité aujourd'hui. Ce fut un plaisir de vous accueillir et vous avez beaucoup aidé le comité dans son travail.

Passons au prochain témoin.

[Traduction]

Faisons maintenant une courte pause.

• 1736




• 1740

[Français]

Le président: Avant que nous entendions notre prochain témoin, j'ai quelques annonces à faire.

À l'ordre, s'il vous plaît.

[Traduction]

Ce soir, lorsque nous aurons fini d'entendre le présent témoin, il y aura la sonnerie pour nous convoquer à un vote à la Chambre des communes. Puis-je suggérer que nous suspendions les travaux du comité une fois que nous aurons posé nos questions au témoin, et que nous reprenions à 19 h 30, c'est-à-dire à l'heure prévue pour le témoin suivant? Êtes-vous d'accord? Sans oublier, bien sûr,

[Français]

monsieur Guimond, votre droit de continuer vos propos après que nous aurons entendus les témoins ce soir.

[Traduction]

Sommes-nous d'accord?

Des voix: D'accord.

Le président: Le dîner est prévu pour 19 heures, ici même. Donc, après le vote, les députés peuvent revenir ici et manger, et nous ne reprendrons pas avant 19 h 30. Vous pourrez donc prendre votre repas et profiter d'une demi-heure pour réfléchir à vos questions.

À ce propos, notre témoin de 19 h 30 sera M. Scott Reid. Il s'agit d'un changement par rapport à la liste de ce matin. Ensuite, à 20 h 15,

[Français]

le professeur Yves-Marie Morissette témoignera. Ce sera tout pour ce soir.

Après le témoignage de M. Morissette, monsieur Guimond, vous aurez la parole, sauf s'il y a un autre changement de l'accord unanime du comité.

Nous sommes prêts à entendre M. Patrick Monahan, professeur au Osgoode Hall Law School à Toronto.

[Traduction]

Bienvenue parmi nous, monsieur Monahan. Nous vous remercions de prendre le temps de comparaître devant le comité. Nous avons bien hâte de vous entendre. Nous vous laissons la parole pour les dix prochaines minutes, et par la suite, pendant 35 minutes, les députés vous poseront des questions.

M. Patrick Monahan (professeur, Osgoode Hall Law School; témoignage à titre personnel): Je vous remercie, monsieur le président. C'est un grand honneur pour moi de pouvoir m'adresser à votre comité, de même que c'est un honneur de pouvoir parler à la suite de M. Ryan. J'ai trouvé ses remarques très utiles et intéressantes. D'ailleurs, j'aimerais faire quelques commentaires sur certains des points qu'il a soulevés, car je pense qu'il s'agit de questions de principe importantes.

Je n'ai pas de mémoire écrit, monsieur le président, mais l'Institut C.D. Howe a publié une étude que j'ai préparée sur le projet de loi sur la clarté référendaire, et j'en ai fait des copies que j'ai remises au greffier du comité à l'intention des députés qui en voudraient une.

Je ne reprendrai pas l'analyse contenue dans l'étude, car je n'ai que 10 minutes. Je veux simplement traiter de la question de principe soulevée par M. Ryan, de même que par le Pr Lachapelle, dans son mémoire, c'est-à-dire: est-ce que le principe derrière le projet de loi C-20, soit le principe que la Chambre des communes devrait se prononcer sur la clarté de la question et sur la majorité obtenue à un référendum, est approprié dans une société fédérale?

Le Professeur Lachapelle et M. Ryan ont dit que c'était contraire au principe fédéral, parce que la question d'un référendum au Québec sur la souveraineté relève exclusivement de la compétence de la province, et il n'est pas approprié pour le gouvernement fédéral de se mêler de ce genre de question. Par conséquent, le présent projet de loi contrevient au principe fédéral.

Permettez-moi de dire que si la question référendaire portait sur un sujet relevant exclusivement de la compétence de la province, j'accepterais sans réserve ce qu'ont dit le Pr Lachapelle et M. Ryan. Autrement dit, si la province de Québec désire tenir un référendum sur une question relevant exclusivement de sa compétence, par exemple l'augmentation ou la réduction des impôts provinciaux du Québec, ou l'amalgamation de certaines municipalités au sein de la province, alors la Chambre des communes, d'après moi, n'a aucun droit de se prononcer sur la clarté de telles questions. C'est à l'Assemblée nationale du Québec de se prononcer là-dessus.

• 1745

Ce qu'il faut se demander, cependant, monsieur le président et mesdames et messieurs les membres du comité, c'est si une question portant sur la sécession d'une province du Canada relève exclusivement des provinces, en vertu de la Constitution. Selon moi, monsieur le président, la réponse à cette question est non.

La réponse à cette question est non, comme la Cour suprême du Canada l'a clairement indiqué dans sa décision au sujet de la sécession du Québec. Ce que la Cour suprême a dit, c'est que cette sécession met en jeu les intérêts de tous les Canadiens, les intérêts du gouvernement du Canada et les intérêts des autres provinces, qui sont des partenaires égaux du Québec au sein de la Confédération. Elle met également en jeu les intérêts des peuples autochtones, qui bénéficient de droits protégés par la Constitution.

Par conséquent, il ne s'agit pas d'une question relevant exclusivement de compétence provinciale. De fait, il s'agit d'une question intéressant le Canada dans son ensemble, de même que les autres provinces, et il est tout à fait indiqué, dans ces circonstances—et même, comme l'a dit la Cour suprême du Canada, il est nécessaire—que les acteurs politiques fédéraux, y compris la Chambre des communes et le gouvernement du Canada, se prononcent sur des questions comme la clarté de la question référendaire et la présence d'une majorité claire.

D'ailleurs, si l'on regarde la décision de la Cour suprême du Canada, on voit qu'elle est très explicite à ce sujet. Elle dit qu'il existe une obligation, de la part des acteurs politiques, et elle définit ces acteurs politiques comme n'étant pas uniquement la province de Québec. Elle parle des provinces et du gouvernement fédéral, et de leur participation à des négociations éventuelles. Elle déclare qu'il existe une obligation, pour ces acteurs politiques, de décider si la question est claire et si la majorité l'est également.

La Cour suprême du Canada déclare qu'il s'agit de quelque chose qui doit être décidé sur le plan politique, et non sur le plan juridique. Elle ne déclare pas qu'il s'agit de questions qui ne relèvent que d'un acteur politique, soit la province de Québec. Selon elle, il s'agit d'une question sur laquelle doivent se pencher de nombreux acteurs politiques, ceux du Canada dans son ensemble.

D'ailleurs, il me semble, monsieur le président, avec tout le respect que je dois à M. Ryan, que dans ses propres remarques, aujourd'hui, il a confirmé que cette question ne relevait pas exclusivement de compétence provinciale. En effet, il a déclaré qu'après un référendum, il conviendrait que le gouvernement du Canada détermine si la question et la majorité étaient claires. Il ne peut en être ainsi que parce qu'il ne s'agit pas là d'un sujet relevant exclusivement de compétence provinciale.

Revenons à notre exemple de l'augmentation ou de la baisse de l'impôt sur le revenu au Québec. Ni avant ni après un référendum portant sur cette question, le gouvernement du Canada n'aurait d'affaire à se prononcer sur la clarté de la question, parce qu'il s'agit d'une question de compétence exclusive des provinces. Par conséquent, l'argument qu'a fait valoir M. Ryan un peu plus tôt, là encore, avec tout le respect que je lui dois, semble confirmer, à mes yeux, le contraire de la proposition qu'il a mise de l'avant, à savoir qu'il ne s'agit pas d'une question relevant exclusivement de la compétence des provinces. Il s'agit plutôt d'une question intéressant le Canada dans son ensemble.

Qu'en est-il, alors, de cet argument voulant que même s'il convient que la Chambre des communes se prononce sur une question et sur la majorité nécessaire, elle ne pourrait le faire qu'après un référendum? Il me semble, monsieur le président, que là encore, cette proposition ne résiste pas à un examen attentif.

Tout d'abord, si la Chambre des communes et le gouvernement du Canada, étant des acteurs politiques, ont le droit de se prononcer de façon indépendante au sujet de la clarté de la question et de la majorité, alors, ils ont sûrement la latitude nécessaire pour déterminer le moment où ils vont se prononcer. C'est au gouvernement du Canada et à la Chambre des communes de décider s'ils vont le faire avant ou après un référendum éventuel. Comme la Cour suprême l'a dit, il leur appartient d'exercer un jugement indépendant.

En d'autres termes, une fois que l'on reconnaît qu'il existe un pouvoir de décision indépendant que peut exercer la Chambre des communes, le moment où se prendra cette décision—c'est-à-dire, le moment où la Chambre des communes décidera de se prononcer—relève entièrement de la Chambre des communes. Elle ne doit pas obligatoirement se prononcer après les événements.

Enfin, il me semble entièrement approprié que la Chambre des communes se prononce à cet égard, parce que cette façon de faire permettrait aux partis d'opposition, de même qu'aux autres députés de la Chambre, de prendre part à un débat sur la clarté de la question. Il ne s'agit pas là d'un sujet que le gouvernement peut trancher seul dans le secret d'une rencontre du Cabinet. Il faut qu'un débat ait lieu au Parlement au sujet de la clarté de la question, tout comme il y en aura un à l'Assemblée nationale du Québec, et tout comme l'Assemblée nationale du Québec se prononcera sur la question.

• 1750

Encore une fois, nous n'avons pas besoin d'attendre après le référendum pour déterminer si la question était claire ou pas, parce que le libellé de la question sera connu. En 1980 comme en 1995, l'opposition, à l'Assemblée nationale du Québec, trouvait que la question n'était pas claire.

Il me semble, monsieur le président, que le présent projet de loi respecte entièrement le principe fédéral. C'est une tentative de bonne foi, selon moi, de traduire en gestes le jugement de la Cour suprême du Canada.

Je propose dans l'étude de l'Institut C. D. Howe que j'ai mentionnée tout à l'heure, quelques modifications que le comité voudra peut-être étudier. Si les députés désirent discuter de ces modifications, je serai heureux de les examiner plus en détails avec eux. De façon générale, cependant, je pense que le présent projet de loi est approprié, et même, nécessaire. Selon moi, il est bon pour la démocratie, de déterminer avant un référendum si la question est claire, plutôt que d'attendre après les événements.

En d'autres termes, si le premier ministre, le gouvernement et les députés de la Chambre des communes ont une opinion, avant un référendum, sur la clarté de la question qui y sera posée, dans l'intérêt de la démocratie, cette opinion devrait être communiquée aux électeurs du Québec, qui auront l'occasion de mieux comprendre l'opinion des autres participants du Canada sur ce sujet important.

Je vous remercie, monsieur le président.

Le président suppléant (M. Andy Scott): Je vous remercie beaucoup, monsieur Monahan.

Monsieur Hill.

M. Grant Hill: Je vous remercie également, monsieur Monahan.

Pourriez-vous maintenant parler de la question de la majorité et nous dire ce que vous en pensez?

M. Patrick Monahan: À ce propos, je crois qu'il y a une lacune dans le projet de loi, car on n'y précise pas la majorité qui serait requise avant qu'on puisse entamer des négociations. Je crois que le gouvernement et la Chambre devraient le faire, tout comme ils seraient appelés à déterminer à l'avance si la question est claire. J'aimerais bien que le projet de loi précise ce qui constitue un seuil pour une majorité claire, comme condition pour entamer des négociations.

Selon moi, ce seuil devrait être une majorité des personnes ayant le droit de voter, plutôt que 50 p. 100 plus un des voix exprimées. J'en discute dans mon étude de l'Institut C. D. Howe. C'est un changement par rapport à ce que j'ai déjà proposé. Dans une étude remontant à quelques années, j'ai proposé que la majorité devrait s'établir à 50 p. 100 plus un des voix exprimées.

J'ai changé d'avis, monsieur Hill, à la lumière de la décision de la Cour suprême du Canada, selon laquelle il me semblait clairement s'ensuivre que la Cour laissait entendre qu'une majorité de ceux qui votaient—c'est-à-dire, 50 p. 100 plus un des votes—ne constituait pas une majorité claire. D'ailleurs, il y a des passages, dans le jugement, où la Cour déclare que la démocratie ne signifie pas simplement la règle de la majorité, ou simplement le principe de la règle de la majorité, soit 50 p. 100 plus un des voix.

Là-dessus, par conséquent, je suis d'accord avec M. Ryan. D'ailleurs, je pense que M. Ryan a déjà proposé cette façon de faire dans des déclarations publiques antérieures. Je propose la règle du 50 p. 100 plus un des personnes ayant le droit de voter parce qu'il me semble qu'elle constitue un seuil raisonnable. Il ne s'agit pas d'un seuil qui diminue la valeur des votes pour le oui, mais en même temps il rend nécessaire un certain consensus au sein d'une société en faveur du oui, avant que des changements aussi fondamentaux que ceux qu'on propose puissent être étudiés par les autres parties de la Confédération.

M. Grant Hill: Reconnaissez-vous qu'il s'agit d'une légère hausse de la barre comparativement aux deux référendums précédents?

• 1755

M. Patrick Monahan: C'est sans doute vrai, mais je dois dire que le gouvernement du Canada n'a jamais pris de position claire à ce sujet, et qu'il a fait preuve d'une certaine ambiguïté.

Je pense cependant qu'on présumait de façon générale que 50 p. 100 plus un des voix exprimées constituait le seuil. D'ailleurs, dans l'étude que j'ai effectuée antérieurement, je disais que c'était la raison pour laquelle on devrait adopter la règle du 50 p. 100 plus un des voix exprimées. Comme je l'ai dit, en lisant la décision de la Cour suprême du Canada à ce sujet, j'en suis venu à la conclusion que 50 p. 100 plus un des personnes ayant droit de vote serait un seuil plus approprié.

M. Grant Hill: J'ai maintenant entendu du Québec des échos au sujet de la clarté de la question référendaire selon lesquels ce débat nous éviterait plus tard une question qui n'est pas claire et qui est ambiguë. Pensez-vous que le débat que nous avons entamé a réussi à mettre en évidence les préoccupations des Canadiens, à savoir que la question du dernier référendum n'était pas aussi claire qu'elle aurait pu l'être?

M. Patrick Monahan: Je penserais que oui.

Certes, il y a le débat engagé à la Chambre des communes et au sein de ce comité, mais il y a également le débat portant sur le renvoi à la Cour suprême du Canada et sur la possibilité d'aborder ces questions de façon systématique, non seulement dans le jugement de la Cour suprême, mais aussi dans la plaidoirie faite devant cette même instance, notamment par l'amicus curiae, maître Jolicoeur, du Québec—quoique le gouvernement du Québec n'ait pas participé—qui a très habilement exposé les arguments en faveur du droit du Québec de faire la sécession unilatéralement.

Autrement dit, je pense que ce débat a été très bénéfique pour les Canadiens. C'est pourquoi je répondrai oui à votre question.

M. Grant Hill: Qu'en est-il des autres améliorations que vous proposez au projet de loi...? Vous avez dit que vous en aviez d'autres.

M. Patrick Monahan: Je propose d'amender le paragraphe 1(4) portant sur la formulation de la question. Je pense que la disposition actuelle prévue dans le projet de loi est excessivement restrictive en ce qui concerne le type de questions que l'on pourrait poser. En guise d'amendement, je propose une formulation différente. Essentiellement, on pourrait dire que toute question faisant allusion à une association ou à des arrangements économiques ou politiques avec le Canada ne serait considérée comme ambiguë, que si elle rend ambiguë l'expression de la volonté des Québécois de devenir souverains.

En d'autres mots, j'admets qu'il y a certaines questions qui feraient allusion à un arrangement économique ou politique avec le Canada et qui ne rendraient pas obscur l'enjeu. Une allusion au libre-échange serait un exemple. Je peux imaginer une question où l'on demanderait aux Québécois s'ils désirent devenir souverains et conclure une entente de libre-échange avec le Canada. Il me semble que ce genre de question ne serait pas porteuse d'ambiguïté quant à la volonté des Québécois de former un pays indépendant. Cela dit, je n'exclurais pas la possibilité de jeter un regard au préalable sur la question, et c'est l'autre proposition que j'avais à faire.

Le président suppléant (M. Andy Scott): M.rci, monsieur Hill.

[Français]

Le président: Monsieur Turp, c'est à vous.

[Traduction]

M. Daniel Turp: M.rci, monsieur le président. J'ai quelques questions à poser à votre collègue.

Voici ma première question. Si je me souviens bien, en septembre vous avez écrit—et on vous a cité dans les journaux—que l'adoption d'une mesure législative n'était pas la meilleure façon de procéder dans ce cas-ci. Est-ce bien cela?

M. Patrick Monahan: Je n'ai pas écrit cela. J'avais rédigé une première version de ce qui est devenu cette étude, que je n'avais pas publiée. C'était une ébauche. Pour répondre à votre question, oui, je pensais à l'époque que nous ne devrions pas légiférer, mais que le gouvernement devait plutôt élaborer un livre blanc.

M. Daniel Turp: Si je me souviens bien, une des raisons sous-tendant votre choix est que cela donnerait à l'opposition trop de temps et d'occasions de contrecarrer ce projet de loi...

Des voix: Oh, oh!

M. Daniel Turp: ...et je dois admettre qu'avec ces nombreux recours à la clôture, nous avons de la difficulté à montrer la nécessité de consulter plus de personnes comme vous, qui pourraient témoigner devant le comité.

Mais revenons-en au coeur du problème. La question des personnes ayant le droit de voter fait l'objet d'un débat. M. Ryan et vous-même avez soulevé le débat devant le comité, débat qui a été soulevé ailleurs également. Le fait est que, contrairement à ce que vous dites, si l'on tient compte des personnes ayant le droit de voter qui ne votent pas, ces personnes seraient en réalité considérées comme des personnes ayant voté non. Si vous avez deux millions de personnes qui votent oui et 1 950 000 qui votent non, mais si 100 000 personnes s'abstiennent de voter, le camp du oui, qui aura gagné en réalité, se retrouvera perdant. Il y a donc un non-respect du principe de l'égalité quand il s'agit du vote.

• 1800

Je pense que nous pourrions en débattre pendant longtemps, mais vous dites que vous n'êtes pas satisfait de la formulation de cette disposition du projet de loi et que vous souhaiteriez que l'on y prévoit la règle clair du 50 p. 100 plus un des personnes ayant le droit de voter. Ai-je bien compris?

M. Patrick Monahan: Oui.

M. Daniel Turp: Très bien. Deuxième question, concernant le partenariat et l'autre disposition, dont vous dites je crois qu'elle est trop restrictive. Si j'ai bien compris votre propos, vous êtes d'avis que s'il est fait mention de partenariat dans la question référendaire, cela n'en ferait pas nécessairement une question qui n'est pas claire. Tout dépendra de la formulation de la question. Est-ce bien cela?

M. Patrick Monahan: Oui, n'empêche qu'il serait difficile d'imaginer qu'une quelconque allusion vague à un concept de partenariat serait claire. Ce que j'imaginerais en revanche, monsieur Turp, c'est qu'il faudra préciser ce dont on parle exactement...

M. Daniel Turp: Si elle implique que c'est entre des États souverains...

M. Patrick Monahan: Oui.

M. Daniel Turp: ...cela vous conviendrait.

M. Patrick Monahan: C'est bien cela. À mon avis, la question serait claire tant que tout le monde comprend que la question que l'on pose aux Québécois est de savoir s'ils désirent former un État souverain ou non.

La définition de la souveraineté que j'adopterais serait celle proposée par M. Parizeau dans le projet de loi de décembre 1994: le pouvoir exclusif de prélever des impôts, de voter des lois et de conclure des traités avec des États étrangers. Je crois que tout le monde s'entend sur la définition de la souveraineté. Tant qu'elle est à l'avant-plan de la question référendaire—c'est-à-dire que tout le monde comprend le sens de la question—, je n'ai pas d'objection à ce que l'on ajoute, si on le souhaite, d'autres éléments, pourvu qu'ils ne viennent pas rendre ambigu le message principal.

M. Daniel Turp: C'est intéressant. Au profit de ceux qui nous écoutent, la définition que M. Parizeau a proposée en 1994-1995 a été portée à l'attention des Québécois durant le référendum par le truchement de dépliants envoyés à tous les foyers, de la publicité et des différents médias, et ce, dans le but d'aider les gens à comprendre ce qu'était la souveraineté s'ils devaient la choisir.

Je voudrais vous poser une dernière question à ce sujet. Pour ce qui est de l'autre volet, le mandat de négocier, pensez-vous que c'est également quelque chose que l'on pourrait demander sans pour autant rendre la question référendaire ambiguë? De toute évidence, le gouvernement, au moyen du paragraphe 1(4), a exclu les deux types de questions qui ont été posées aux Québécois par le gouvernement du Québec en 1980 et en 1995. À ce chapitre, vous semblez être d'accord avec l'un de nos collègues, Alain Pellet. Vous citez son article dans l'étude que vous avez présentée à l'Institut C. D. Howe. Est-ce que vous partagez l'avis de M. Pellet au sujet de la clarté de la question...?

M. Patrick Monahan: Non, pas sur l'alinéa 1(4)a). Si je me souviens bien, M. Pellet n'insiste pas sur l'alinéa a). Laissez-moi tout simplement vous dire que l'alinéa 1(4)a) prévoit qu'une question serait jugée ambiguë si elle porte «essentiellement» sur le mandat. C'est le mot «essentiellement» qui est important, puisqu'il est également dit dans le projet de loi que si la question n'exige pas «de la population de la province qu'elle déclare sans détour si elle veut» faire sécession ou non, c'est trop... En d'autres mots, on ne s'oppose pas à ce que le gouvernement du Québec demande le mandat de négocier, tant que la question porte directement sur la volonté des Québécois de former un pays souverain.

Je n'ai donc pas d'objection à la première partie de cet alinéa.

Je voudrais ajouter ceci...

M. Daniel Turp: Si j'ai bien compris, vous croyez que...

Le président: Monsieur Turp...

M. Daniel Turp: ...il pourrait y avoir un mandat.

Le président: Nous dépassons un petit peu le temps prévu. Laissez-le répondre à la question.

• 1805

M. Patrick Monahan: Pour terminer ce que je disais, vous avez fait allusion à 1994. Évidemment, la question qui figurait dans le projet de loi de M. Parizeau, qui était claire dans l'article 1, n'était pas la question référendaire. S'il est vrai qu'on a envoyé des dépliants aux foyers et qu'on a tenu des audiences au début de 1995, il n'en demeure pas moins que la question référendaire a été changée. Dire que la question a été claire, à mon avis, c'est faire fi de tout ce qui s'est passé à la fin de 1995.

Le président: Monsieur Blaikie.

M. Bill Blaikie: Monsieur le président, j'ai une question brève à poser.

Ce qui nous dérange mon parti et moi-même dans ce projet de loi, ce sont les dispositions qui définissent les acteurs politiques dont les points de vue doivent être pris en considération par le gouvernement dans la détermination d'une majorité claire avant la tenue d'un référendum, et la formulation d'une question claire. Il nous semble que l'un des acteurs politiques a été exclu. Vous en avez parlé vous-même quand vous avez avancé que c'est précisément le champ où le gouvernement fédéral devrait intervenir et quand vous avez parlé du fait qu'un référendum au Québec et une éventuelle sécession auraient une incidence sur les droits des Autochtones.

J'aimerais savoir ce que vous penseriez d'inclure les chefs des collectivités autochtones d'une province engagée dans la voie de la sécession. Dans ce cas-ci, dans le cas du Québec, ce serait les Cris. Que penseriez-vous de les inclure à la liste des acteurs politiques dont il faudra tenir compte?

M. Patrick Monahan: Je dois avouer que je n'ai pas réfléchi à cette question en particulier, mais il me semble qu'il n'y a pas de raison pour ne pas tenir compte de leurs points de vue. Un amendement comme celui que vous avez proposé au paragraphe 1(5) me semble convenir tout à fait, notamment à la lumière du jugement de la Cour suprême du Canada, qui aborde nommément la position des Autochtones et recommande vivement, à mon sens, que leurs points de vue soient pris en considération lors des négociations. Il n'est peut-être pas nécessaire qu'ils aient un siège à la table des négociations, quoique même cela puisse être envisageable.

M. Bill Blaikie: Oui, cela ferait l'objet d'une autre disposition.

M. Patrick Monahan: Mais de toute évidence, au sein du gouvernement, à la Chambre des communes, la prise en considération des points de vue... Il me semble tout à fait approprié qu'un tel énoncé soit inclus. Je vous fais remarquer que le paragraphe 1(5) n'est pas exhaustif, puisqu'il prévoit «tout autre avis» que la Chambre estime pertinent. Mais là encore, je crois qu'il n'y aurait pas d'objection à ce que... En fait, ce que vous suggérez serait une amélioration au paragraphe 1(5).

M. Bill Blaikie: Je n'ai plus d'autres questions.

[Français]

Le président: M.rci beaucoup.

M. André Bachand: Je vous souhaite la bienvenue. Je vous lis depuis un bon bout de temps, professeur Monahan, sur les questions constitutionnelles.

Quels sont les passages du projet de loi C-20 qui sont basés sur l'avis de la Cour suprême? À quel endroit l'opinion émise par la Cour suprême justifie-t-elle que l'on se prononce sur la clarté de la question avant la fin du processus référendaire?

[Traduction]

M. Patrick Monahan: Le jugement de la Cour suprême du Canada n'aborde pas la question du moment de la décision des acteurs politiques au sujet de la clarté de la question référendaire. La Cour suprême reste muette à ce propos pour la raison évidente qu'elle estime que ce sont là des questions d'ordre politique que les acteurs politiques devront régler eux-mêmes. Étant donné qu'il s'agit des aspects politiques des négociations, il n'est pas surprenant que la Cour suprême n'ait pas dit s'il était plus approprié de se prononcer sur la question référendaire avant ou après. Les juges ont simplement dit que les acteurs politiques avaient l'obligation de régler ces questions, notamment la clarté de la question référendaire et la majorité requise.

Une fois qu'on aura établi que la Chambre des communes ou que le gouvernement doit intervenir, il s'ensuit inéluctablement que l'opportunité de toute détermination relève des acteurs politiques.

[Français]

M. André Bachand: Je suis en désaccord avec vous. Je vais vous trouver les paragraphes où la Cour suprême dit, justement, que c'est un tout. Si, a priori, la question peut ne pas paraître assez claire au goût de certains lors de la campagne référendaire, après une campagne référendaire, somme toute, la question deviendra peut-être beaucoup plus claire, ou vice-versa. C'est pour cette raison qu'elle dit aux acteurs politiques d'attendre après le processus, parce que beaucoup d'éléments entrent en ligne de compte.

• 1810

En ce qui concerne les acteurs politiques, professeur Monahan, où, dans le jugement, dit-on que le gouvernement fédéral doit seulement tenir compte des autres partenaires—take into account, comme on dit souvent dans l'avis—dans son analyse de la question claire et de la majorité claire? Selon l'esprit de l'opinion émise par la Cour suprême, ne pensez-vous pas que cela devrait se faire en collaboration avec les acteurs provinciaux et autres?

[Traduction]

M. Patrick Monahan: Cela serait certainement possible. La Cour suprême, là encore, ne dicte pas de méthode particulière que les acteurs politiques doivent suivre pour déterminer si la question est claire. Le gouvernement fédéral et les provinces pourraient décider ensemble de la clarté de la question, mais il n'y a rien qui les oblige à procéder de cette façon.

Manifestement, les autres provinces auraient le droit de participer aux négociations. La Cour suprême est claire là-dessus. Mais là encore, nous ne devrions pas nous tourner vers la Cour suprême pour savoir s'il appartient au gouvernement fédéral seul, ou de concert avec les autres provinces, de décider, puisque la cour estime qu'il s'agit là de questions d'ordre politique. Ce sont donc les aspects politiques des négociations.

S'il est vrai que le gouvernement fédéral et les provinces peuvent agir de concert à ce sujet, il reste que les autres provinces n'ont pas manifesté jusqu'à présent de désir ou d'intérêt. C'est pour cette raison qu'il a fallu que cette instance prenne l'initiative. Il me semble qu'on devrait féliciter M. Dion et le premier ministre pour avoir pris l'initiative de proposer ce projet de loi, quand on sait que les autres provinces n'auraient probablement jamais agi de leur propre chef.

[Français]

Le président: Soyez très bref.

M. André Bachand: Il y a des énormités, monsieur, dans ce que dit le professeur Monahan. Il a déjà changé d'idée deux fois; j'espère qu'il en changera une troisième fois sur ces questions importantes.

Vous semblez d'accord sur l'interprétation centraliste que le gouvernement fédéral a faite du jugement de la Cour suprême. Vous sortez du texte de la Cour suprême pour répondre aux questions. Si vous voulez sortir du texte, je vais vous demander quel est le rôle de la députation québécoise fédérale à la Chambre des communes dans l'analyse d'une question claire et d'une majorité claire, et quel est son rôle lors du processus de négociation.

[Traduction]

M. Patrick Monahan: Le rôle des députés du Québec à la Chambre des communes est de participer en tant que tels. Ils ne constituent pas un corps distinct, un acteur politique distinct, dans tout ce processus. Je ne pense pas du tout qu'il s'agit d'un point de vue centralisateur du fédéralisme, avec tout le respect que je vous dois, monsieur.

La Cour suprême du Canada a dit que cette question ne met pas en jeu uniquement les intérêts du Québec. Il n'appartient pas non plus exclusivement à une province de déterminer si elle peut faire sécession et dans quelles circonstances. Il est donc tout à fait approprié que le gouvernement du Canada et la Chambre des communes expriment leur point de vue, et que les autres provinces fassent de même. Les autres provinces ont le droit d'exprimer leur propre point de vue sur ces questions, et il se peut que ce point de vue soit différent de celui du gouvernement du Canada. Il n'y a rien dans ce projet de loi qui les empêche de prendre une position qui soit différente si elles le souhaitent.

Si l'Assemblée législative de l'Ontario souhaite prendre position, et j'espère qu'elle le ferait s'il y avait une question référendaire, elle peut le faire, et elle peut en plus dire qu'elle n'est pas d'accord avec la Chambre des communes. Ce sera à elle de décider. Mais de la même manière, il appartient à la Chambre des communes de prendre une décision quant à la clarté de la question référendaire et de la majorité requise.

Le président: Monsieur Cotler.

M. Irwin Cotler: Monsieur Monahan, je voudrais vous souhaiter la bienvenue, en tant que collègue et en tant qu'ami.

Vous avez raison quand vous dites que Claude Ryan a reconnu la constitutionnalité d'une intervention fédérale—je dirais même que c'est une remarque qui apporte une précision importante—, mais comme vous le dites, pour reprendre ses propres termes, l'intervention devrait se faire après le référendum et non avant. L'observation que vous faites, et qui est fort pertinente, est que dès lors qu'on admet que l'initiative fédérale est légitime, la question du moment de l'intervention devient une question de jugement indépendant. Le fait qu'on en parle avant le déclenchement du processus référendaire pourrait même améliorer les délibérations et l'exercice démocratique. Ceci étant dit, j'ai eu l'impression que Claude Ryan semblait dire que l'intervention devrait être politique plutôt que juridique—qu'elle devrait avoir lieu, par exemple, dans le cadre d'un débat parlementaire plutôt que d'une mesure législative.

• 1815

Aujourd'hui, vous avez dit que le projet de loi C-20 est non seulement un mécanisme raisonnable et approprié, comme vous l'avez écrit dans votre étude, mais aussi une réponse nécessaire au jugement de la Cour suprême. L'acteur politique qu'est le gouvernement fédéral, comme vous le dites, est obligé de déterminer si la question est claire ou si la majorité est claire. Serait-il juste de dire que le projet de loi C-20 est par conséquent non seulement un texte de loi approprié et raisonnable, mais aussi une réponse nécessaire si le gouvernement fédéral doit assumer son rôle d'acteur de façon sérieuse et responsable?

M. Patrick Monahan: Oui, et si vous le permettez, je voudrais répondre à la remarque faite par M. Turp plus tôt, à savoir pourquoi légiférer?

M. Daniel Turp: [Note de la rédaction: Inaudible]

M. Patrick Monahan: Oui. La question soulevée est la suivante: Pourquoi avons-nous besoin de cette mesure législative?

Si nous pouvions tout simplement dire que nous avons confiance que la Chambre des communes réagira avec célérité et qu'elle s'occupera efficacement des questions à régler, nous n'aurions pas besoin d'une telle mesure. Ce qui m'a persuadé de la nécessité d'avoir une loi, c'est la nécessité d'agir maintenant—et de ne pas attendre de le faire 30 jours avant le référendum ou encore au beau milieu du référendum. En fait, c'est un rôle tout indiqué, un rôle qui vise à préciser les choses. C'est un rôle approprié, absolument. Il sera assumé par la Chambre des communes, qui se prononcera sur la question... Ainsi, les acteurs politiques du Québec et des autres provinces sauront que cette décision doit être prise et qu'elle sera prise.

Le fait de le préciser dans une loi ne signifie pas que c'est une décision qui ne sera pas politique, puisqu'au bout du compte toutes les considérations qu'elle énonce commandent une décision politique. La décision politique sera prise par les députés de la Chambre des communes. Pour ma part, j'estime que cette mesure législative est nécessaire si nous voulons faire comprendre dès aujourd'hui que le référendum ait lieu dans cinq mois, dans cinq ans ou dans 20 ans—que ces décisions devront être prises, et qu'elles seront prises. C'est un message important que tous les Canadiens doivent comprendre à mesure que nous progressons dans ce débat.

M. Irwin Cotler: À titre de constitutionnaliste, diriez-vous que cette mesure constitue une application régulière de la loi constitutionnelle et qu'elle donne un préavis de la position qu'un acteur politique responsable entend prendre à cet égard?

M. Patrick Monahan: Oui, ou comme j'aime à qualifier ce genre de mesure, c'est une sorte de mesure de publicité-vérité. On dit qu'il faut poser une question claire et que la réponse doit être claire. C'est une norme qui est prescrite dans la Loi sur les pratiques de commerce. Dans les assemblées législatives provinciales, nous exigeons la clarté dans les transactions avec les consommateurs. Nous n'attendons pas qu'il soit trop tard, c'est-à-dire après la signature du contrat, pour décider s'il est applicable ou non. Nous nous prononçons à l'avance sur certains types de règles. On doit faire une offre claire, et celle-ci doit être acceptée de façon claire. C'est essentiellement ce que ce projet de loi vise.

M. Irwin Cotler: Dernière question, et je serai bref. Puisque vous avez parlé de notre collègue Daniel Turp, je me demandais si vous approuvez la déclaration qu'il a faite devant la Commission Bélanger-Campeau en octobre. Voici la déclaration et je cite:

    Pour ce qui est du droit à la sécession, le Québec ne peut prétendre que les Autochtones n'ont pas aussi le droit de faire sécession. Les mêmes règles s'appliquent tant aux Autochtones qu'aux Québécois.

M. Patrick Monahan: Eh bien, avec tout le respect que je dois à M. Turp, je ne veux pas trop m'engager dans un débat sur ce qu'il a pu dire ou ne pas dire. En revanche, je vous dirai tout simplement ce que je pense, à savoir que la Cour suprême du Canada a clairement dit que les Autochtones, leurs points de vue et leurs revendications territoriales doivent être pris en considération. L'article 3 de ce projet de loi reflète ce que la Cour suprême a dit à ce sujet.

• 1820

Le président: Monsieur Hill.

M. Grant Hill: Vous avez dit que la participation provinciale est un facteur relativement important dans ce contexte, et vous parlez des provinces autres que la province cherchant à faire sécession. Pensez-vous que les modalités de participation des provinces prévues dans le projet de loi constituent un mécanisme qui est suffisamment formel? Si je me souviens bien, on y prévoit que la Chambre des communes doit tenir compte des instances formulées officiellement par une province. Pensez-vous qu'une telle consultation auprès des provinces serait suffisante?

M. Patrick Monahan: Je ne vois pas comment cette mesure empêcherait la tenu de consultations informelles avec les provinces. Ce qu'elle prévoit c'est qu'il faut tenir compte du point de vue des provinces dans la seule mesure où celles-ci l'expriment au moyen d'une résolution ou d'une déclaration officielle d'un gouvernement ou d'une assemblée législative. Je pense que c'est un mécanisme qui convient bien, d'autant plus que la province saura exactement quel type de déclarations seront prises en considération. Je pense qu'il est tout indiqué également de prévoir une définition comme celle que l'on retrouve à l'article 1 du projet de loi. En fait, on retrouve la même chose à l'article 2.

Je n'ai pas d'objection à ce genre d'exigence, et je ne pense pas du tout que cela empêche la tenue d'autres consultations. Là encore, je pense qu'on prévoit que les autres provinces se prononceront sur la question référendaire, et on suppose en outre qu'une telle démarche serait appropriée de la part des provinces. Si une province préfère attendre de voir les résultats du référendum, il lui appartient de le faire. Inversement, si une province souhaite se prononcer sur la clarté de la question avant la tenue du référendum, elle peut le faire également en vertu de ce projet de loi, qui semble avoir été élaboré à la lumière de la décision de la Cour suprême du Canada.

M. Grant Hill: Croyez-vous qu'il serait utile de prévoir une participation importante des autres régions du pays dans une question comme celle-là?

M. Patrick Monahan: Oui, je crois effectivement qu'il serait important de prévoir une telle participation, mais je crois également que le projet de loi oblige la Chambre des communes à tenir compte des avis ainsi exprimés. Je n'ai aucune objection au projet de loi tel qu'il est formulé, et j'estime qu'il ne convient pas d'essayer de déterminer de façon plus précise le type de consultations informelles qui pourraient avoir lieu entre le gouvernement du Canada et les gouvernements des autres provinces.

M. Grant Hill: Enfin, il y a la question de la divisibilité du Québec. Qu'en pensez-vous? Si le Canada est divisible, et c'est quelque chose que nous acceptons, reconnaissez-vous que le Québec aussi peut être divisé?

M. Patrick Monahan: Absolument. C'est la position que je défends dans tout ce que j'ai écrit sur le sujet depuis 10 ans. Il me semble tout à fait logique de dire que, si le Québec peut diviser le Canada, le Québec n'a pas le droit de se séparer sans accepter qu'on puisse à tout le moins discuter de ses frontières. Le projet de loi ne dit pas que les frontières doivent être modifiées, mais simplement qu'il faut en discuter. Cette disposition va dans le sens de la décision de la Cour suprême du Canada. Fait intéressant, M. Ryan a semblé dire qu'il était acceptable de discuter des frontières tant et aussi longtemps qu'on n'exigeait pas de modifications à ces frontières. C'est ce que dit aussi le projet de loi. Le projet de loi prévoit exactement ce que proposait M. Ryan.

Je suis donc d'accord pour dire que la question des frontières doit être discutée et, s'il y a des régions importantes du Québec qui avoisinent le Canada, ce serait là un critère que j'imposerais. Il doit y avoir contiguïté géographique ou la possibilité d'accéder au territoire qui continuera à faire partie du Canada, que ce soit par voie terrestre ou par voie maritime. Dans la mesure où cette condition est respectée, les régions où on voterait pour continuer à faire partie du Canada devraient être autorisées à continuer à faire partie du Canada.

Voilà ma position sur la question de la divisibilité, position que j'ai énoncée dans des études antérieures. Le pays ne devrait pas être un assemblage de morceaux disparates à mon avis, si bien que j'imposerais le critère de la contiguïté géographique; j'entends par là la possibilité d'accéder directement au territoire par voie terrestre ou maritime.

Le président: Monsieur Scott.

M. Andy Scott: M.rci beaucoup, monsieur le président.

Je crois vous avoir entendu dire tout à l'heure que vous accepteriez l'idée que, s'il était établi dans la question que l'objet était d'obtenir le mandat de se séparer, il pourrait être fait mention d'un mandat de négocier une forme quelconque de partenariat à condition que cette mention ne rende pas ambiguë question fondamentale relative à la sécession. La question que je vous pose est simple. La question de 1980 ou celle de 1995 satisferait-elle à cette condition selon vous?

• 1825

M. Patrick Monahan: Non, je crois que ni l'une ni l'autre ne répondrait à ce critère. Pour ce qui est de la question de 1995, il est documenté par des sondages réalisés au Québec qu'une majorité importante des Québécois sont d'avis que la question de 1995 n'était pas claire. La question était très alambiquée. Non seulement elle proposait un partenariat, mais elle le faisait d'une façon très inhabituelle. Elle faisait mention d'une entente qui avait été conclue, si bien qu'elle était extrêmement ambiguë.

J'estime que, dans les deux cas, en 1980 et en 1995, la question était très peu claire et elle n'aurait pu être jugée suffisante pour confirmer l'octroi d'un mandat de négocier la sécession.

Le président: M.rci.

Monsieur Turp, pour une question.

M. Daniel Turp: M.rci.

J'ai une question à poser, mais je dois commencer par en poser une autre qui me permettra de déterminer si je vais la poser.

Avez-vous déjà dit ou écrit quelque part que, quand une question est rédigée et adoptée à par l'Assemblée nationale, elle devrait être adoptée par voie de consensus ou avec une majorité des deux tiers, par exemple?

M. Patrick Monahan: Oui, je fais effectivement remarquer dans l'étude C.D. Howe que l'Assemblée nationale du Québec s'impose la règle des deux tiers pour les questions d'importance fondamentale, comme la nomination du directeur général des élections ou de l'ombudsman—je ne suis pas sûr que ce soit là son titre officiel, mais il s'agit essentiellement de l'ombudsman.

[Français]

M. Daniel Turp: C'est le protecteur du citoyen.

M. Patrick Monahan: Oui, le protecteur du citoyen.

[Traduction]

M. Daniel Turp: Diriez-vous alors, pour être cohérent avec vous-même qu'il faudrait que le projet de loi soit modifié de manière, par exemple, à prévoir qu'une décision ou une détermination sur la clarté de la question ou de la majorité devrait être faite par voie de consensus à la Chambre des communes ou exigerait une majorité des deux tiers?

M. Patrick Monahan: Le problème, monsieur Turp, c'est que le gouvernement du Québec n'accepte pas le principe selon lequel la question devrait être déterminée par voie de consensus. Si le gouvernement du Québec acceptait que seule une question qui aurait recueilli l'appui des deux tiers des députés pourrait être posée dans un référendum... Il ne s'agit pas simplement des députés qui votent, car la loi québécoise exige l'appui des deux tiers des députés. Les abstentions—et cela nous ramène à la question des abstentions—sont comptées comme un non dans le cas du protecteur du citoyen; elles sont comptées comme un vote contre le candidat.

Si le gouvernement du Québec acceptait que la question doive avoir l'appui d'au moins les deux tiers des députés, il me semble qu'il pourrait alors être possible d'envisager d'exiger une majorité spéciale à la Chambre des communes pour décider de la clarté de la question. Or, le gouvernement du Québec refuse d'accepter ce principe si bien que je ne vois pas pourquoi vous proposeriez cette règle ici alors que vous ne la proposez pas pour l'Assemblée nationale.

M. Daniel Turp: En principe, d'après vous...

[Français]

Le président: À l'ordre. Nous pourrons continuer la discussion ailleurs, mais le temps est expiré et tout le monde doit aller à la Chambre.

M.rci, monsieur Monahan,

[Traduction]

pour votre présence ici aujourd'hui. Je suspends la séance jusqu'à 19 h 30.

Monsieur Guimond.

[Français]

M. Michel Guimond: Monsieur le président, je veux juste que vous réitériez la règle dont vous nous avez fait part tout à l'heure quant à mon droit de reprendre la parole sur la motion qui a été déposée par M. Alcock. Quelle est cette règle?

Le président: Nous aurons deux témoins à compter de 19 h 30, et après, monsieur Guimond, vous aurez la parole.

M. Michel Guimond: M.rci, monsieur le président.

Le président: À bientôt. La séance est suspendue.

• 1829




• 1936

Le président: Est-ce que tout le monde est prêt à commencer?

Des voix: Oui.

Le président: Quelques-uns mangent encore,

[Traduction]

mais je crois que nous pourrions commencer à entendre les témoignages. Nous reprenons donc nos travaux.

Le premier témoin que nous accueillons ce soir est M. Scott Reid, recherchiste et auteur qui témoigne en son nom personnel. Monsieur Reid, vous avez 10 minutes pour votre exposé, après quoi il aura une période de questions de 35 minutes. Vous avez la parole, monsieur.

M. Scott Reid (témoignage à titre personnel): Je vous remercie.

Monsieur le président, il y a maintenant près de 25 ans depuis que l'élection du premier gouvernement péquiste, sous René Lévesque, a fait de la sécession, qui n'était jusqu'alors qu'une question théorique, une possibilité réelle. Depuis cette date, il est devenu clair qu'il y a deux stratégies que les fédéralistes peuvent adopter pour contrer cette menace. Je veux parler ici des stratégies, non pas pour améliorer la fédération afin d'éliminer les facteurs sous-jacents qui incitent certains Québécois à vouloir former un pays indépendant, mais bien pour contrer la sécession.

Autrement dit, même si ce qu'on en est venu à appeler le plan A pourrait prendre bien des formes différentes, il n'y a vraiment que deux stratégies possibles dans le cadre du plan B. La première consiste à réduire autant que possible le coût de la sécession. La seconde consiste à hausser autant que possible le coût de la sécession.

Le raisonnement qui sous-tend la première, celle qui consiste à réduire le coût autant que possible, est que la sécession est une éventualité réaliste et qu'il est donc logique de chercher autant que possible à en réduire le coût. Dans le cadre de cette stratégie, le rôle du gouvernement fédéral consiste à repérer les facteurs liés à la sécession qui pourraient être les plus dangereux et peut-être les plus coûteux et de tenir compte de considérations pratiques et commerciales pour mettre au point des lois et des institutions en conséquence.

Cette stratégie aurait pour avantage de réduire autant que faire se peut le coût de la sécession pour toutes les parties en cause, pour le cas où cette éventualité se réaliserait. Elle aurait l'inconvénient de rendre impossible l'application de la seconde stratégie, et certains diraient—à tort selon moi—qu'elle rendrait aussi la séparation trop peu douloureuse, et donc plus possible.

Je voudrais que l'on indique dans le compte rendu que je suis un partisan de la stratégie des coûts moindres. À l'instar de la plupart des partisans de cette stratégie, je crois que la meilleure façon, sinon la seule, de garder le Québec au sein de la fédération est de lui offrir un plan A qui soit suffisamment attrayant pour qu'il n'y ait plus à l'avenir une occasion ou une majorité de Québécois qui seraient convaincus de la nécessité de quitter le Canada.

La logique sous-tendant la deuxième stratégie ou la stratégie des coûts maximums est évidente. Plus les obstacles à la sécession seront de taille, plus les coûts seront élevés. Ainsi, les Québécois auront peur et voteront contre tout référendum futur sur l'indépendance. L'expression la plus radicale de cette stratégie, que l'on retrouve par exemple dans le livre paru en 1980 et intitulé Partition: The Price of Quebec's Independence (Partition: Le Prix de l'indépendance du Québec), est celle de ceux qui proposent de dépouiller un Québec indépendant de la majeure partie de son territoire, de la moitié de sa population ou plus et de l'essentiel de sa richesse dans la mesure du possible.

Bien que la stratégie de la maximisation des coûts est un attrait manifeste pour bien des fédéralistes, ce n'est pas une position facile à adopter si vous êtes le représentant d'un parti qui a l'intention de gagner des sièges au Québec lors de prochaines élections fédérales, puisque les Québécois ont la possibilité de faire élire un autre parti—le Bloc Québécois—qui promet de représenter loyalement les intérêts de la province dans toutes les circonstances, et non jusqu'au jour où on votera oui lors d'un référendum.

• 1940

Une version modifiée de la stratégie de la maximisation des coûts a été adoptée par ces fédéralistes qui la trouvent attrayante. En vertu de cette stratégie modifiée, le gouvernement fédéral se contente de cerner les dangers et les coûts associés à la séparation et essaie de les rendre aussi terrifiants et insolubles que possible. Le but de cette stratégie serait donc de faire de questions pratiques liées à la sécession, comme le partage de la dette, le passeport, le commerce et les droits découlant des traités ainsi que l'intégrité territoriale, une sorte d'épouvantail pour effrayer les Québécois et les empêcher de voter en faveur de la sécession lors d'un futur référendum.

Toujours en vertu de cette stratégie, la sécession est décrite comme étant un gouffre de désespoir—un trou noir, pour utiliser l'expression inventée par Jean Charest durant les élections de 1997. Les partisans de cette stratégie prétendent que leur rôle est de mettre en lumière ces dangers, mais n'essaient jamais de les régler. En effet, dans la mesure du possible, ils nous font croire qu'il n'y a pas de solutions aux problèmes associés à la sécession. Étant donné qu'il refuse de s'attaquer aux véritables enjeux, le gouvernement fédéral peut ainsi, discrètement, augmenter les coûts associés à la sécession.

Pour illustrer ce que je dis, permettez-moi de vous citer un essai de Robert Young, un politologue de l'Université de Western Ontario.Les chefs fédéralistes prévoient:

    ...que les coûts variables de la souveraineté seront élevés. Ils avancent que les négociations seront longues, dures et amères, que des questions fondamentales comme les frontières et les droits des minorités devront être négociées, et que le bouleversement temporaire de l'économie et l'érection d'un obstacle permanent au commerce sont des conséquences très probables.

    ...

    Mais si les Québécois finissaient par rejeter du revers de la main cette menace et optaient pour l'indépendance, la stratégie fédéraliste aurait alors entraîné une hausse des coûts de cette décision. Cela est dû au fait que toute l'incertitude entourant l'avenir constitutionnel et économique frappera de plein fouet le Québec et le reste du pays au lendemain d'un référendum. En fait, il est difficile d'imaginer une façon plus efficace de maximiser les coûts que de refuser d'envisager une façon de composer avec la souveraineté jusqu'à ce qu'elle se réalise.

Au cours des six dernières années, le gouvernement libéral actuel a été un fervent partisan de la version modifiée du plan de maximisation des coûts. Je ne vise pas M. Chrétien comme étant le seul responsable d'une désapprobation en particulier—ou d'une approbation, selon le point de vue. La stratégie du trou noir qu'il a adoptée ne diffère pas vraiment de celle adoptée avant lui par Mulroney, Clark ou Trudeau.

En fait, il faut dire, à son honneur, qu'il s'est démarqué de ses prédécesseurs sur une question vitale. Depuis 1996, son gouvernement a constamment fait tout ce qu'il pouvait pour clarifier une question liée à la sécession, à savoir qu'une déclaration unilatérale d'indépendance n'est pas une option. Cependant, je vous fais remarquer que son rejet catégorique de la déclaration unilatérale d'indépendance ne signifie pas qu'il rejette la stratégie du trou noir, stratégie qu'il a adoptée précisément parce que c'est là que la clarté augmente, sans équivoque, les obstacles à la sécession.

Je n'ai pas assez de temps pour revoir les preuves montrant avec quelle cohérence le gouvernement actuel a suivi la stratégie du trou noir. Cependant, une liste des gestes du gouvernement par ordre chronologique se trouve sous l'onglet 1 du dossier que le greffier vous a distribué. Je pense que le greffier a distribué ce document.

La question qui nous préoccupe aujourd'hui consiste à savoir si le projet de loi C-20 représente un passage fondamental de la stratégie du trou noir à son opposé. À première vue, on en a sûrement l'impression. Lorsqu'il s'est adressé au comité, mercredi dernier, le ministre des Affaires intergouvernementales a déclaré:

    La sécession demeure un trou noir. Le projet de loi sur la clarté nous donne le seul rayon de lumière qui nous permette de sonder ce trou. Mais en y regardant bien, on constate que, bien que le gouvernement soit prêt à projeter un rayon de lumière sur les croque-mitaines qui sont censés habiter le trou noir, il n'est pas prêt à les en tirer, à leur administrer une bonne correction, et à en faire l'objet d'une loi réparatrice.

Il est bon de remarquer que, dans une certaine mesure, le projet de loi sur la clarté est une simple fiche de blanchisserie, qui répète les points énoncés par la Cour suprême dans son jugement comme devant être pris en ligne de compte lors des négociations relatives à la sécession, mais qui évite soigneusement de discuter tout mécanisme qui permettrait de répondre aux préoccupations de la cour de façon sérieuse.

Un examen de ces dispositions me convainc que l'objectif réel poursuivi par le projet de loi est de rendre le chemin menant d'un vote en faveur de la sécession à une séparation réelle aussi tortueux que possible, nonobstant le fait que la Cour suprême a décrété que si une majorité claire de Québécois votaient en faveur de la sécession, en réponse à une question claire lors d'un référendum, le gouvernement fédéral serait obligé d'entamer des négociations relatives à la sécession. Le présent projet de loi jette les bases de négociations post-référendaires aussi longues et inefficaces que possible.

• 1945

On semble avoir adopté cette stratégie pour permettre à Ottawa de clamer qu'il se conforme à l'injonction de la Cour suprême de négocier de bonne foi, tout en s'assurant que les négociations soient interminables et confuses, et qu'elles se poursuivront jusqu'à ce que les séparatistes tombent d'épuisement. Si cette stratégie fonctionne, les séparatistes vont se retrouver devant un noeud gordien qu'ils ne pourront pas trancher, sinon par une déclaration unilatérale d'indépendance, que la cour a déclaré illégale en vertu du droit international et inconstitutionnelle en vertu du droit canadien.

Pour rendre la chose plus évidente, j'attire l'attention des membres du comité sur le texte qui, selon moi, constitue une loi sur la clarté référendaire bien supérieure, et qui se retrouve sous le second onglet de vos documents. Il s'agit de la loi adoptée par le canton suisse de Berne en 1970 pour prévoir la sécession en bon ordre d'une des régions du canton et l'établissement de cette région en tant que canton indépendant au sein de la confédération suisse.

Un examen des questions soulevées par le problème de la sécession montre à quel point ce projet de loi sur la clarté n'offre justement que peu de clarté. Dans son jugement de 1998, la Cour suprême déclare qu'une série de questions pratiques, dont elle donnait la liste dans sa décision, devraient faire l'objet de négociations pour qu'une province puisse quitter la fédération. Toutefois, la cour a ajouté que c'était aux acteurs politiques de définir exactement comment chaque question serait traitée. L'objectif apparent du présent projet de loi était justement d'apporter ces définitions.

Cependant, au lieu de préciser la position du gouvernement sur chaque question, le projet de loi sur la clarté dit simplement:

    Aucun ministre ne peut proposer de modification constitutionnelle portant sécession d'une province du Canada, à moins que le gouvernement du Canada n'ait traité, dans le cadre de négociations, [...] la répartition de l'actif et du passif, toute modification des frontières de la province, les droits, intérêts et revendications territoriales des peuples autochtones du Canada et la protection des droits des minorités.

Il s'agit d'une reprise pure et simple de ce qu'a dit la Cour suprême, plutôt que d'une tentative de le préciser.

[Français]

Le président: Il y a un peu de bruit dans la salle et il est difficile d'entendre le témoin.

[Traduction]

Un peu de silence, je vous prie. Laissons le témoin...

[Français]

Une voix: [Note de la rédaction: Inaudible].

Le président: Il est possible que ce soit à cause de cela.

Une voix: C'est à cause de M. Alcock.

[Traduction]

Le président: Je suis désolé d'avoir dû vous interrompre.

M. Scott Reid: Il n'y a pas de quoi.

Le projet de loi n'offre aucune indication sur la formule qui permettrait de régler ces questions controversées et, ainsi, de réduire les coûts pour tous les intéressés.

Aucune de ces questions n'est complexe au point d'être impossible à régler. Aux troisième, quatrième et cinquième onglets du cahier, les membres du comité trouveront respectivement un article que j'ai publié en 1998 et traitant de la façon de diviser la dette fédérale de façon ordonnée tout en minimisant les coûts pour tous; un article paru en 1997 dans lequel je résume bon nombre des propositions qui ont été formulées sur la façon de délimiter les frontières du Québec de façon à réduire le nombre de loyaux Canadiens forcés soit de quitter leur foyer, soit de perdre leur citoyenneté; et enfin, un chapitre tiré d'un livre de 1992 dans lequel je propose une méthode permettant au législateur fédéral de garantir le respect des droits et revendications des peuples autochtones du Québec en cas de crise découlant de la sécession.

À l'opposé, conformément à la procédure byzantine de négociation prévue par le projet de loi C-20, les dettes, les frontières et ces autres questions ne feraient l'objet de discussions que bien après un éventuel référendum sur la sécession et à une période où la bonne foi sera, de part et d'autre, à son minimum. Ces questions feraient alors l'objet d'un ensemble complexe de négociations multilatérales auxquelles participeraient, comme le stipule le paragraphe 3(1), «notamment les gouvernements de l'ensemble des provinces et du Canada». Le projet de loi ne dit nullement comment il faudrait structurer ces négociations afin d'éviter qu'elles ne s'embourbent. Tous les participants seront-ils égaux? Les questions non pertinentes seront-elles exclues? En l'absence de paramètres stricts, on est en droit de tenir pour acquis que ces négociations ne prendront jamais fin.

Toutefois, les négociations multilatérales n'interviendraient qu'en deuxième lieu dans le cadre de la stratégie dilatoire du gouvernement fédéral. Il y aurait d'abord, après une majorité de oui à un référendum, un débat à la Chambre des communes pour déterminer si la majorité est claire. Cette imprécision délibérée laisse entendre qu'Ottawa déclarera après le fait que la majorité, quelle qu'elle soit, est insuffisante.

Mais il y a mieux: la Chambre des communes pourrait faire perdurer les discussions sur cette question à un point tel que les véritables négociations sur la sécession ne s'amorceraient jamais. Les audiences des Communes prévues par le projet de loi de clarification semblent en effet avoir été conçues de façon à être aussi lentes et lourdes que possible. La Chambre est tenue de prendre en compte les vues de tous les partis du Québec, mais aussi d'accepter les mémoires de tous les territoires et provinces sur la clarté de la majorité.

Par conséquent, et manifestement, pour déterminer ce que constitue une majorité claire, il serait préférable d'établir cette majorité, avant tout référendum, dans le texte de la loi fédérale. À ce sujet, je renvoie les députés à l'onglet 6 de leur cahier, où ils trouveront le projet de loi C-341, une initiative parlementaire de Stephen Harper, déposé pendant la dernière législature. Vous y trouverez aussi deux articles traitant de ce projet de loi et proposant des façons d'inclure ces principaux éléments dans toute mesure législative future.

• 1950

J'attire aussi votre attention sur l'article figurant à l'onglet 7, qui décrit pourquoi toute tentative en vue d'établir la majorité claire à un niveau trop élevé se retournerait contre les fédéralistes.

Une dernière chose...

Le président: Monsieur Reid, nous accusons du retard; j'espère que vous en viendrez bientôt à votre conclusion.

M. Scott Reid: D'accord. J'en venais à la partie de mon exposé qui est positive à l'endroit du gouvernement; vous voudrez sans doute...

Le président: Je ne m'inquiétais pas de savoir qui vous alliez féliciter; je m'inquiétais plutôt de voir le temps filer.

Des voix: Oh, oh!

M. Scott Reid: Il y a une exception honorable au ton obscur de cette loi: la façon dont il traite de la déclaration de la Cour suprême selon laquelle aucun référendum ne sera valide à moins que les électeurs ne se soient prononcés sur une question claire.

Le paragraphe 1(4) du projet de loi de clarification stipule sans équivoque les conditions qui feront d'une question une question invalide. Les questions portant essentiellement sur un mandat de négocier ne peuvent être considérées comme traduisant un mandat clair de faire sécession; de même, toute question offrant «en plus de la sécession de la province du Canada, d'autres possibilités, notamment un accord politique ou économique avec le Canada» sera jugée nulle.

C'est une règle simple et pratique qui clarifie véritablement la situation et, du coup, réduit la probabilité que la sécession entraîne des souffrances inutiles pour tous les Canadiens. J'estime donc tout à fait déplorable que le reste du projet de loi C-20 ne soit pas dans la même veine.

Le président: M.rci beaucoup.

Monsieur Hill.

M. Grant Hill: M.rci, monsieur le président.

Monsieur Reid, j'ai cru vous avoir entendu dire que ce projet de loi pourrait s'accompagner ou être précédé de certaines améliorations à la fédération. Vous ai-je bien compris?

M. Scott Reid: Je n'ai pas dit cela précisément, mais je crois en effet qu'une forme ou une autre de ce qu'on a appelé le plan A, qui comprend une série d'améliorations à la fédération, serait indiquée. On pourrait examiner toutes sortes de choses.

Certaines choses me paraissent évidentes et n'exigeraient aucun effort à mon avis. Pour en revenir à une question qui a été soulevée pendant le débat sur l'accord du lac M.ech—vous vous en souvenez sans doute—il y a par exemple la constitutionnalisation des trois juges de la Cour suprême provenant du Québec. À l'heure actuelle, c'est une convention qui pourrait être constitutionnalisée.

On pourrait aussi supprimer officiellement toute une gamme de pouvoirs fédéraux qui, de l'avis de tous, devraient être supprimés, mais qui ne le sont pas, pour une raison ou pour une autre. Je pense plus précisément au pouvoir déclaratoire et au pouvoir de désaveu. On pourrait aussi donner officiellement aux provinces un rôle dans le choix des juges à la Cour suprême. On pourrait également améliorer le Sénat de sorte qu'il représente véritablement les provinces, ce qui n'est pas le cas actuellement, même si c'était l'intention d'origine. Je pourrais vous donner bien d'autres exemples.

M. Grant Hill: Vous avez dit que la majorité claire n'était pas prévue par le projet de loi et que c'était une erreur. Selon vous, où se situerait cette majorité claire?

M. Scott Reid: Dans l'un des articles que j'ai inclus dans les documents, je mentionne mes propres suggestions. Deux options m'apparaissent réalistes. Dans les deux cas, c'est 50 p. 100 plus une voix d'un nombre supérieur au nombre de voix exprimées.

Ainsi, avec une majorité de 50 p. 100 plus une voix de toutes les voix exprimées, on s'assure que tous les bulletins de vote gâtés comptent pour des voix non exprimées. On fait ainsi en sorte que les voix pour le non ne soient pas délibérément comptées comme des voix gâtées, ce qui s'est produit dans trois circonscriptions au dernier référendum. C'est important, surtout compte tenu du fait que ceux qui l'ont fait la dernière fois n'ont pas fait l'objet d'accusation. En pratique, on encourage ainsi le personnel chargé des élections à participer à ce genre de fraude. Il faut prévoir un mécanisme quelconque contre ce genre de pratique.

Sinon, si l'on veut être un peu plus strict, on pourrait établir la majorité à 50 p. 100 plus une voix de toutes les voix admissibles. Certains parlent de 50 p. 100 plus un de tous les électeurs inscrits. Cela se fonde sur l'hypothèse que nous inscrivons les électeurs au Canada, ce que nous ne faisons pas.

J'hésite à proposer une majorité plus importante. Si l'on établit le seuil à, disons, 55 p. 100 ou 60 p. 100, ou même à un pourcentage supérieur, on risque de faire face au vote stratégique—ce que feront ceux qui ne veulent pas que le Québec se sépare, mais qui veulent exercer des pressions sur le gouvernement fédéral pour obtenir des changements et qui estiment que la seule façon de forcer le gouvernement à agir, c'est de lui faire peur. Je crois qu'il a été prouvé que cela s'est produit dans une certaine mesure aux dernières élections.

• 1955

En fixant la barre plus haut, on ne freinerait pas nécessairement la sécession si 52 p. 100 ou 53 p. 100 de la population votait pour. Je crois que cela mettrait la machine en marche.

À preuve, l'État du Maine, qui s'est séparé de l'État du Massachusetts en 1819 après sept référendums distincts. On avait obtenu une majorité à l'un de ces référendums, mais elle n'atteignait pas le seuil établi par le gouvernement de l'État du Massachusetts. Résultat: l'appui à la sécession n'a fait que s'accroître au référendum suivant. Dans les faits, le processus de sécession a tout simplement été ralenti et a été plus coûteux et douloureux qu'il ne l'aurait été autrement.

M. Grant Hill: Si vous étiez député à ma place, voteriez-vous pour ce projet de loi sous prétexte qu'il constitue une amélioration par rapport à la situation actuelle, ou le rejetteriez-vous tout simplement?

M. Scott Reid: Je suis déchiré, car je crois sincèrement que la disposition portant sur la clarté de la question améliore grandement la situation. Toutefois, tout le reste ne fait rien pour clarifier la situation.

N'oubliez pas ma perspective: je souhaite que la sécession coûte le moins possible. Ce n'est pas parce que je préconise la sécession, mais plutôt parce que j'estime que c'est une possibilité très réaliste. Si l'on préconise ce point de vue, c'est la meilleure façon de voir les choses.

Si vous voulez accroître les obstacles à la sécession, les coûts de la sécession plus particulièrement, vous devriez appuyer ce projet de loi. Cela dépend donc de votre philosophie.

M. Grant Hill: M.rci.

Le président: Monsieur Turp.

[Français]

M. Daniel Turp: Ce dernier commentaire est assez intéressant. Si je comprends votre point de vue, un projet de loi comme celui-là augmenterait les coûts de la sécession, et parce qu'il augmenterait les coûts de la sécession, il pourrait procurer un avantage, je l'imagine, à la partie qui l'adopte et qui veut imposer des règles qui, en règle générale, vous paraissent tout à fait excessives. Est-ce que je vous comprends?

[Traduction]

M. Scott Reid: Ce que je voulais dire, c'est que lorsqu'on tente de trouver le juste milieu—j'imagine que c'est naturel pour tout parti politique, bien que votre propre formation politique soit l'exception—entre faire en sorte que la sécession entraîne des coûts élevés et continuer de recueillir des votes en sa faveur au Québec, la chose logique à faire, c'est de brandir des menaces de coûts quelconques, de tenter de créer des coûts sans pour autant créer les institutions qui entraîneraient directement ces coûts.

Ainsi, rien n'empêche le gouvernement fédéral de déposer dès maintenant un projet de loi qui imposerait un pourcentage très élevé de la dette fédérale à toute province voulant quitter la Confédération. Toutefois, je présume qu'une mesure législative de cette nature n'améliorerait pas les perspectives du parti au pouvoir au Québec lors des prochaines élections fédérales, tout comme ce serait le cas de bien d'autres règles auxquelles nous pourrions penser.

En guise de solution, on laisse entendre qu'une catastrophe financière est imminente sans pour autant dire qui en est responsable, en prétendant simplement que c'est ainsi que ça marche, que lorsque les pays se séparent, c'est toujours un désastre. Vous vous souvenez sans doute de ce qu'a dit Paul Martin sur le million d'emplois qui disparaîtraient peu de temps avant le référendum d'il y a cinq ans.

[Français]

M. Daniel Turp: Trouviez-vous crédible le commentaire selon lequel il y aurait un million d'emplois de perdus?

[Traduction]

M. Scott Reid: Est-ce que les menaces du gouvernement fédéral m'apparaissent crédibles?

[Français]

M. Daniel Turp: Non. Le commentaire que M. Martin a fait pendant la campagne référendaire, le trouviez-vous crédible? C'est ce que vous avez laissé entendre.

[Traduction]

M. Scott Reid: Eh bien, je ne suis pas économiste, mais cela m'avait semblé un peu louche.

• 2000

[Français]

M. Daniel Turp: Vous semblez aussi remettre en question les parties du projet de loi qui traitent des coûts de sécession, et j'en prends acte.

J'aimerais vous poser une autre question. Vous avez beaucoup d'objections. Nous partageons certaines d'entre elles et, de toute évidence, nous ne sommes pas de la même famille politique. Est-ce qu'une autre objection ne serait pas que ce projet de loi manquera de légitimité quand il sera adopté puisqu'au moins 49 députés du Québec auront voté contre? Si les conservateurs du Québec votent contre, que les 44 députés du Bloc québécois votent contre, qu'un député indépendant vote contre, il y aura 60 p. 100 des députés québécois qui auront voté contre. Alors, que vaut un projet de loi comme celui-là, qui ne reçoit pas l'assentiment de 60 p. 100 des députés?

[Traduction]

M. Scott Reid: Je ne suis pas sûr d'appuyer votre raisonnement. Si cela était vrai, la Loi constitutionnelle de 1982 jouirait d'une grande légitimité, puisqu'elle a été appuyée par la grande majorité des députés du Québec.

M. Bill Blaikie: Soit 74 sur 75.

M. Scott Reid: C'est exact, et, si je ne m'abuse, le seul qui s'est opposé à cette loi était Warren Allmand, n'est-ce pas?

[Français]

M. Daniel Turp: Et un autre.

[Traduction]

M. Scott Reid: De toute façon, cela importe peu.

M. Daniel Turp: Ils ont perdu les élections suivantes. Vous en souvenez-vous? Et cela a été toute une défaite.

M. Scott Reid: Oui, mais je ne suis pas certain de vouloir fonder mon opposition au projet de loi sur ceux qui sont pour et ceux qui sont contre. Je ne crois pas que les Québécois ou qui que ce soit d'autre jugent les lois en fonction de ceux qui les ont appuyées

[Français]

Le président: Très bien. Monsieur Blaikie.

[Traduction]

M. Bill Blaikie: Je ne crois pas que c'était Warren Allmand.

M. Reg Alcock: Si, c'était lui.

M. Bill Blaikie: Ah oui? Je croyais que c'était un Conservateur. C'était un Conservateur. Je ne sais pourquoi, mais je croyais que c'était Roch LaSalle. De toute façon, ce n'était pas un Libéral.

Quoi qu'il en soit, monsieur le président, j'ai une question. Vous avez mentionné certaines initiatives qui pourraient être prises pour renouveler la fédération, et, comme je l'ai dit plus tôt, pour ma part je préférerais discuter du plan A plutôt que du plan B, surtout que le plan B comporte bien des lacunes au niveau du processus et du fond. Je ne veux pas lancer un débat sur le renouvellement du fédéralisme, mais il me semble que ce que vous avez mentionné ne va pas au coeur du plan A, ne renouvellerait pas le fédéralisme comme le souhaitent les fédéralistes du Québec. Je ne crois pas qu'il y ait un plan A qui satisfasse les séparatistes endurcis, mais j'ai toujours été convaincu qu'on pourrait dresser un plan A qui répondrait aux aspirations de ceux qu'on appelle les nationalistes mous, ou même des séparatistes qui aimeraient ne pas l'être ou ne pas avoir été forcés à le devenir, etc.

J'aimerais savoir ce que vous en pensez. Dans le passé, on a essayé certaines choses qui ont été rejetées, mais elles reflétaient une certaine asymétrie de notre fédération, que ce soit au niveau de la reconnaissance du Québec comme société distincte ou unique, comme le disait la déclaration de Calgary; ces aspects-là me semblent problématiques. Ce sont ces choses-là qui ont rendu si difficile le renouvellement du fédéralisme. Chaque fois qu'on a inclus l'un de ces aspects, on a connu des difficultés, que ce soit au Parti réformiste ou au Parti libéral.

Je me demande si ce n'est pas un peu comme siffler dans le vent, ou quelle que soit la métaphore indiquée, tant que ces deux traditions politiques, qui dominent à l'heure actuelle, s'opposeront radicalement à toute reconnaissance constitutionnelle de cette réalité. Ce n'est qu'alors qu'il pourra y avoir décentralisation et cession de pouvoirs, et ce genre de choses. Mais tant que cette dimension symbolique est absente, on ne va nulle part.

• 2005

M. Scott Reid: Bien sûr, il est beaucoup plus difficile de modifier la Constitution qu'une simple loi. Voilà pourquoi, des cinq points de l'accord du lac M.ech, j'ai parlé de celui qui était tout à fait non controversé. Je ne crois pas qu'il y ait eu de controverse sur l'idée de constitutionnaliser la convention selon laquelle trois juges doivent venir du Québec.

J'ai pris en note quelques questions qui, à mon sens, pourraient être réglées à l'extérieur du cadre constitutionnel, tout en étant réglées efficacement.

Un des points les plus évidents, et le plus important à mon avis, c'est l'usage que fait le gouvernement fédéral de son pouvoir de dépenser pour contrôler la façon dont les provinces dépensent leur propre argent dans leurs propres champs de compétence. C'est une question litigieuse pour bien des gouvernements provinciaux, et particulièrement pour le Québec. Il existe un droit de retrait dans certains programmes, mais ce retrait ne se fait qu'à de nombreuses conditions et, en pratique, ce droit ne permet pas à la province de se comporter comme un État souverain et indépendant dans ce champ de compétence, ce qui, après tout, est le but du fédéralisme.

En vertu du fédéralisme, chaque province—ou État ou canton—est un État distinct et indépendant dans ses propres champs de compétence, ou devrait l'être. Le pouvoir de dépenser viole cette règle. Ce n'est pas unique au Canada; les Américains ont une forme de pouvoir de dépenser qui est plus détaillée que la nôtre.

J'ai vécu en Australie; ils en ont aussi une version. Cela ne change rien au fait que c'est un problème constant qui pourrait avoir diverses solutions: un changement au régime des points d'impôt, par exemple, pour profiter au maximum des transferts fédéraux; rendre le système de péréquation moins arbitraire pourrait l'améliorer, à mon avis; les subventions à des groupes comme Alliance Québec sont perçues, encore une fois, comme une ingérence dans les affaires culturelles internes du Québec.

Il y a une autre chose que j'ai trouvée très intéressante. J'ai écrit un livre sur les politiques linguistiques et j'ai trouvé très intéressant de constater, dans le cadre de mes recherches, que le nombre d'emplois offerts à des francophones unilingues dans la fonction publique fédérale était en déclin constant, à cause de la mauvaise conception de la Loi sur les langues officielles du fédéral et de son application à la fonction publique fédérale. À mesure qu'on désigne de plus en plus d'emplois bilingues, on voit qu'un nombre disproportionné de ces emplois étaient autrefois ouverts pour les unilingues francophones, ce qui fait que de plus en plus, au fil du temps—et nous pouvons remonter jusqu'au milieu des années 70—la majorité des Québécois sont exclus de tout poste qui a un niveau de responsabilité élevé dans la fonction publique fédérale.

Il y a donc une série de mesures de ce genre qui pourraient être utiles, à mon avis.

Le président: Monsieur Bachand.

[Français]

M. André Bachand: Premièrement, merci beaucoup d'être ici.

Après votre présentation, je me demandais si vous étiez pour ou contre les questions déposées par le Dr Hill, et je me demande encore si vous êtes pour ou contre le projet de loi. Vous avez soulevé beaucoup d'éléments intéressants. D'ailleurs, pour qui vient du Québec et aime chialer après le gouvernement fédéral, les derniers éléments que vous avez soulevés sont extraordinaires. Mais nous, dans cette prison qu'est ce comité législatif, on reçoit, dans un délai très serré, des témoins pour nous aider à discuter de propositions d'amendements et peut-être aussi faire évoluer certaines idées. C'est pour cela qu'on reçoit des témoins. En ce qui vous concerne, j'aimerais que vous nous disiez, pour nous aider dans notre réflexion, quelles sont les raisons qui vous incitent à appuyer le projet de loi C-20 et quelles sont les raisons qui vous incitent à ne pas l'appuyer.

[Traduction]

M. Scott Reid: Je crois que la principale raison justifiant un appui au projet de loi C-20, c'est qu'on y fixe de bonnes règles au sujet de la clarté de la question à poser dans un référendum, ce qui n'est certes pas à négliger.

Parlons maintenant des raisons de s'y opposer. Il y a certainement une grande raison, soit l'omission de parler des véritables problèmes, quels qu'ils soient, sauf pour dire qu'il y aura des négociations après le fait. J'aurais préféré que la loi soit muette sur la question des frontières, de la répartition de l'actif et du passif, et ce genre de choses. Il est à mon avis ridicule qu'on ne cite pas de chiffres pour expliquer ce qu'on entend par une majorité claire. J'essaie de penser à d'autres raisons. Je pense que ce sont les principales. On peut continuer et donner des critiques plus détaillées, mais ce sont les principaux arguments présentés.

• 2010

[Français]

M. André Bachand: Selon vous, est-ce qu'on doit prendre l'opinion de la Cour suprême en considération? Est-ce qu'on doit vivre avec le projet de loi C-20 que le ministre nous a présenté comme étant le reflet de l'opinion de la Cour suprême sur le renvoi concernant le Québec, le suivi logique à lui donner? Croyez-vous que l'opinion de la Cour suprême doit être prise en considération? La Cour suprême est quand même assez claire au sujet de la question et de la majorité en reconnaissant la juridiction de l'Assemblée nationale ou de toute législature provinciale, bien que dans ce cas-ci, on parle plutôt du Québec. Où trouvez-vous votre justification juridique pour le faire?

Par ailleurs, si vous allez à l'encontre de l'opinion de la Cour suprême, certains pourront vous dire que vous allez à l'encontre d'une règle juridique. Il y en a qui disent que l'opinion a force de loi et d'autres qui disent le contraire, mais qu'importe. Quel est le fondement juridique sur lequel vous vous appuyez pour inclure une question claire et une majorité claire?

[Traduction]

M. Scott Reid: Je n'ai pas la décision de la Cour suprême sous les yeux, mais je suis convaincu que vous la connaissez assez bien. La Cour suprême dit bien qu'il y a des questions à régler, mais qu'elles sont de nature politique et que ce sont les instances politiques qui doivent en être saisies. Cela comprend les éléments mentionnés au dernier paragraphe de la loi, y compris les frontières, la répartition de l'actif et du passif, la protection des droits des minorités, etc.

Il y a aussi une définition de la «majorité claire». La cour aurait pu fixer un chiffre. Elle aurait bien pu le faire. Cela aurait été, je crois, de l'activisme judiciaire indu, et je félicite la cour de ne pas l'avoir fait, mais cela n'empêche pas d'autres personnes d'essayer de fixer un chiffre qui soit clair, compte tenu du consensus existant dans la société québécoise et dans l'ensemble de la société canadienne.

Par conséquent, je tiens à signaler que bon nombre de sondages effectués au Québec montrent que la majorité des citoyens ne considèrent pas qu'une majorité simple de 50 p. 100 plus un vote constitue une majorité légitime. Le terme «majorité claire» n'a pas été utilisé lorsque ces sondages ont été menés, si on remonte jusqu'en 1993-1994. Mais il est clair qu'un consensus est en train de se bâtir sur la nécessité de fixer un chiffre.

Ce qui est intéressant, c'est que ce chiffre consensuel est plus élevé que ceux que j'ai proposés. Si on prend 50 p. 100 plus un des bulletins valides, cela nous donne 53 p. 100 de l'ensemble des votes exprimés, pour une participation électorale de 93 p. 100. Si on choisit 50 p. 100 plus un de tous les votes qui auraient pu être exprimés, on va jusqu'à environ 56 p. 100, je crois. Or ce qui est intéressant, c'est que le chiffre qui a le plus approché du consensus était celui de 56 p. 100, en 1993, lorsqu'on a fait le premier de ces sondages.

J'estime que la meilleure façon de faire, pour les instances politiques, c'est d'essayer de trouver ce que le peuple veut et croit. Cela signifie que toutes les autorités, pas seulement fédérales, mais aussi provinciales, doivent participer à ce genre d'exercices.

Le président: Madame Redman.

Mme Karen Redman: M.rci, monsieur le président.

Monsieur Reid, vous dites qu'il est ridicule de ne pas fixer le chiffre de la majorité avant le vote, mais au paragraphe 153 la Cour suprême a déclaré:

    Toutefois, il reviendra aux acteurs politiques de déterminer en quoi consiste «une majorité claire en réponse à une question claire», suivant les circonstances dans lesquelles un futur référendum pourrait être tenu.

• 2015

Voici ma question: qui est ridicule, du Parlement ou de la cour, qui dit qu'on ne peut évaluer la clarté que dans ce contexte?

M. Scott Reid: Au sujet de l'interprétation que vous faites de ces mots, la cour n'a pas dit «après le fait», après un vote. Elle a parlé des circonstances d'un référendum.

Je ne vois rien de mal à essayer de prévoir quel pourrait être un chiffre raisonnable, surtout que nous avons déjà eu deux expériences de ce genre. Les choses pourraient être différentes la prochaine fois, mais nous savons que la dernière fois nous avions un premier ministre qui était prêt à aller de l'avant même s'il n'avait qu'une très petite majorité, ce qui ne constituerait pas du tout une majorité réelle, pour mettre en oeuvre quelque chose d'indéfini, mais peut-être une déclaration unilatérale d'indépendance, qui plongerait tout le pays dans le chaos. Je ne crois pas qu'un pinaillage après le fait sur ce qu'est ou n'est pas une majorité claire l'aurait empêché d'agir si on n'avait pas établi d'avance la légitimité de la position fédérale par une déclaration faite à l'avance, dans le contexte de discussions à grande échelle qui auraient fait participer autant de Québécois que possible, comme je le disais plus tôt.

Mme Karen Redman: Vous avez aussi exprimé des préoccupations au sujet des négociations avec le gouvernement fédéral. J'aimerais que vous me disiez qui sont, à votre avis, les acteurs politiques dont parle la cour et qui devraient participer à cette négociation. Vous me semblez préoccupé par l'équité de la procédure.

M. Scott Reid: Je ne suis pas sûr de bien vous comprendre. Au sujet de l'équité de la procédure...

Mme Karen Redman: Vous avez parlé de la longueur des négociations et du nombre d'organismes et de paliers de gouvernement en jeu, et vous estimiez que ce serait interminable. À votre avis, qui devrait y participer?

M. Scott Reid: J'envisagerais tous ceux que mentionne la cour, soit les provinces. Il n'y a pas d'acteur qui n'ait été mentionné dans le renvoi de la Cour suprême. Je disais simplement que ce genre de consultation devait être menée à l'avance.

Il y a un exemple manifeste de cela, et c'est mentionné à l'onglet un du document. Pendant les délibérations de la Cour suprême, à trois occasions, le procureur général fédéral s'est adressé à la cour en lui enjoignant de ne pas rendre de décision, qu'on ne lui avait pas demandé quelle formule d'amendement convenait pour permettre la sécession d'une province, alors que trois sont possibles.

D'emblée, il y a des choses que nous ignorons. Lorsque nous parlons de la participation des provinces, s'agit-il de sept provinces sur dix comptant 50 p. 100 de la population? Faut-il l'appui de toutes? Faut-il simplement un amendement constitutionnel bilatéral? Parlons-nous, par exemple, de l'approbation de certaines parties de l'accord de sécession en vertu de l'article 35 de la Constitution, qui enchâsse dans la Constitution certains droits autochtones issus de traités? Autrement dit, il faudrait demander aux peuples autochtones intéressés leur approbation pour ces éléments.

Nous ne savons rien de tout cela, parce que le gouvernement a demandé à la Cour suprême de ne pas l'envisager dans sa décision. Bien sincèrement, je crois que cela devrait faire l'objet d'un autre renvoi, ou qu'il aurait fallu permettre à la cour d'y réfléchir dans le cadre de ce renvoi.

Quoi qu'il en soit, ce que je veux dire, c'est que toutes ces choses doivent être décidées à l'avance; il faut fixer à l'avance quelles sont les parties, quels sont leurs rôles, plutôt que d'essayer de remettre cela à plus tard, après le vote, quand ce sera très difficile. En fait, si plusieurs années s'écoulent avant un référendum, tout va bien, nous avons le temps. Mais après, on sera en crise. Par exemple, les prêteurs ne consentiront pas de crédits à un Canada qui n'aura pas encore décidé de la répartition de ses dettes, s'ils ont aussi la possibilité de prêter à d'autres pays ou à des sociétés privées. Il n'en faut pas plus pour que tous les prêteurs nous boudent. Alors, nous ne pourrons rembourser les obligations d'épargne du Canada ni les autres instruments d'emprunt fédéraux, qui représentent l'élément principal de la plupart des REER. Je peux continuer comme ça, dans la même veine, mais là où je veux en venir, c'est que si on procède à l'avance, peu importe si ça traîne. Après le fait, ça change tout, car les coûts seront très élevés.

Mme Karen Redman: Ce que vous me dites, c'est que vous n'avez aucune objection au sujet des acteurs politiques cités dans la loi.

M. Scott Reid: Je n'ai rien à reprocher à la liste donnée. C'est la liste présentée par la Cour suprême.

• 2020

La seule exception, c'est la question de la majorité claire, en cas de vote positif. J'ai remarqué qu'on invite à participer non seulement les gouvernements provinciaux, mais aussi les gouvernements territoriaux. Bien entendu, ce n'est pas ainsi que je crois qu'il faut régler la question, après le fait, de toute façon. Mais je me suis dit: «Wow!» On va demander au gouvernement du Yukon de nous dire si 52 ou 53 p. 100, c'est une majorité claire.

Le président: Monsieur Jaffer.

M. Rahim Jaffer: M.rci, monsieur le président.

Monsieur Reid, vous avez parlé de la question des frontières. Je n'ai qu'une courte question. Si le Québec se sépare du Canada, ne pensez-vous pas, ou pensez-vous, plutôt, qu'il faudrait diviser le Québec, là où un vote majoritaire exprimerait le désir de rester au sein du Canada?

M. Scott Reid: J'ai publié un livre sur ce sujet, en 1992, intitulé: Canada Remapped: How the partition of Quebec will reshape the nation.

Pour ce genre de question, il y a un modèle sensé, celui utilisé dans le canton suisse de Berne, dans les années 70, pour une crise similaire. Il y avait dans une région du canton de Berne de l'agitation en faveur d'une sécession, et la sécession a été permise par une loi cantonale. Mais en même temps on a permis à des municipalités, ou des communes, comme on les appelle en Suisse, de tenir des référendums locaux sur leur volonté de rester dans le canton de Berne, ou de faire partie du nouveau canton du Jura.

Avant l'adoption de cette loi, il est intéressant de voir que la situation a été caractérisée par un degré de violence et de terrorisme résolu, mené par un groupe appelé le FLJ, qui avait pris pour modèle le FLQ, soit dit en passant. Après l'adoption de la loi, la question s'est réglée pacifiquement. Si cette méthode a marché là-bas, il est fort possible qu'elle marche ici aussi.

Il y a un autre niveau de complexité. C'est chose facile à dire pour les municipalités du sud du Québec. C'est un peu plus compliqué pour le nord du Québec, où l'utilisation des sols est multiple et fait l'objet de chevauchements. Ainsi, les Cris du nord du Québec ont des terres ancestrales qui englobent les barrages d'Hydro-Québec, construits dans les années 70, à grands frais pour tous les contribuables québécois. Il faudra trouver une entente à ce sujet, dans le cadre d'un autre mécanisme.

Dans le livre—en fait j'ai inclus cette partie dans mon document—je propose d'utiliser un modèle s'inspirant de la façon dont s'est faite la répartition du territoire de la zone du canal de Panama. Bien sûr, cette zone n'existe plus, mais je propose le modèle qui a régi la répartition de ce territoire pendant ses 80 années d'existence.

M. Grant Hill: Monsieur Reid, pourriez-vous nous présenter brièvement votre formule pour répartir la dette, en cas de sécession?

M. Scott Reid: Volontiers. En résumé, je ne pense pas qu'il soit fructueux d'entamer des discussions sur la part du Québec, qui serait de 25 p. 100, ou sa part de la population canadienne, ou 23 p. 100, soit sa part du PIB—mes chiffres sont peut-être désuets, mais vous comprenez ce que je veux dire—ou tout autre chiffre, qu'on se renverrait l'un à l'autre. Toute négociation face à face n'aurait aucun sens, en raison des coûts qui découleraient des disputes sur qui paierait quoi, du manque de confiance des créanciers, qui exigeraient des taux d'intérêt majorés avant de nous prêter de l'argent.

Il faut se rappeler que dans touts négociation, dans une certaine mesure, on arrive à ses fins en disant: «Si vous ne me donnez pas ce que je veux, je quitte la table des négociations.» Mais pour répartir le passif, on ne peut pas faire cela. On ne peut pas simplement quitter la table des négociations, puisqu'il faut continuer de trouver du financement pour la dette. Il faut continuer de rembourser ses créanciers.

Dans mon document, j'ai un texte sur le sujet, où je recommande la mise sur pied d'un comité de représentants des gouvernements des trois principaux pays créanciers, et je dis trois simplement parce que c'est un nombre impair. Ils pourront alors considérer l'offre finale présentée par le gouvernement du Canada et celle du gouvernement du Québec et choisir la plus raisonnable des deux. Les deux parties devront respecter ce choix.

• 2025

Comme vous le savez sans doute, dans les négociations syndicales, ce genre d'arbitrage sur les offres finales est une façon de forcer les deux parties à accepter un juste milieu, et chacune espère obtenir l'avantage mineur que lui conférera le fait que sa position ait été choisie.

Si on choisissait cette démarche, je soupçonne que le Québec se retrouverait avec une part de passif très semblable à sa part du PIB canadien, soit un peu moins de sa part de la population canadienne. Les deux gouvernements auraient donc un fardeau égal, et ce qui est plus important, c'est l'arrangement que choisiraient les créanciers dans leurs propres intérêts, puisqu'ils choisiraient ce qui à leurs yeux serait le plus favorable aux citoyens et à leurs institutions détentrices de la dette du gouvernement fédéral canadien, plutôt que ce qui vaudrait le mieux pour la population québécoise ou pour le Canada.

Le président: Monsieur Reid, je vous remercie pour ce témoignage. Nous apprécions beaucoup que vous ayez pris le temps de comparaître devant le comité, et je suis convaincu que tous les membres du comité voudraient comme moi vous remercier de l'aide que vous nous apportez aujourd'hui. M.rci.

Vous avez un rappel au Règlement, monsieur Blaikie.

M. Bill Blaikie: M. Reid a parlé d'un document. Je ne l'ai pas reçu.

Le président: Vous ne l'aurez que lorsqu'il sera traduit, monsieur Blaikie.

M. Bill Blaikie: Ah, c'est pour ça. Bien.

Le président: Vous connaissez les règles du comité.

[Français]

M. Daniel Turp: J'invoque le Règlement, monsieur le président.

Le président: Oui, monsieur Turp.

M. Daniel Turp: J'aimerais dire aux citoyens qui nous écoutent que la raison pour laquelle les documents ne sont pas distribués en français et en anglais me paraît assez évidente: les témoins arrivent ici sans avoir eu le temps de faire traduire leurs documents et le comité n'est pas en mesure de les faire traduire parce qu'il vient de les recevoir. Et, de toute évidence, beaucoup de documents ne nous parviendront même pas dans l'autre langue officielle avant la fin des travaux.

Il y a ici quelque chose qui permet de démontrer aux citoyens qui nous écoutent que les travaux de ce comité sont faits dans la précipitation, ce qui est inacceptable.

[Traduction]

Le président: Je ne pense pas qu'il s'agisse d'un rappel au Règlement. Au tout début, notre comité a choisi cette façon de procéder plutôt que toute autre. C'est ainsi. C'est le comité qui décide. Les députés peuvent demander une copie au témoin, directement, s'ils le veulent, mais le comité ne peut les distribuer à cause de la décision que nous avons prise au début.

[Français]

M. Daniel Turp: On voit le résultat de l'empressement.

Le président: C'est aussi simple que ça.

M. Daniel Turp: Oui, mais...

[Traduction]

Le président: Le témoin suivant est M. Yves-Marie Morissette,

[Français]

de la Faculté de droit de l'Université McGill.

Professeur Morissette, bienvenue au comité.

[Traduction]

Nous sommes ravis de vous accueillir et nous apprécions le temps que vous nous accordez. D'après les règles que nous avons adoptées, vous avez une dizaine de minutes pour présenter un exposé,

[Français]

et ensuite 35 minutes sont allouées pour les questions des députés.

Bienvenue. Vous avez la parole.

M. Yves-Marie Morissette (professeur à la Faculté de droit de l'Université McGill): Je vous remercie, monsieur le président.

Je vais parler en français mais, au besoin, si des questions sont posées en anglais, je pourrai y répondre en anglais.

Je suis ici ce soir essentiellement en qualité de juriste et je voudrais traiter de trois choses: de la portée du renvoi sur la sécession du Québec telle que je le comprends, et de deux aspects particuliers qui, évidemment, sont au centre de vos préoccupations, soit la question claire et la majorité claire. Je mettrai surtout l'accent sur la question claire.

Le point de départ de cette démarche qui vous réunit ces jours-ci, c'est ce renvoi sur la sécession du Québec. Je crois qu'il a été l'occasion, pour la première fois dans l'histoire de la jurisprudence constitutionnelle canadienne, de concilier deux valeurs, et je voudrais insister quelque peu là-dessus, dont on ne parle pas toujours en droit constitutionnel canadien: la légalité, évidemment, mais également la légitimité, qui est centrale dans ce renvoi et qui apparaît autant de fois que la notion de clarté. On parle 13 fois d'une question claire, je pense, mais on parle 21 fois de la légitimité.

Parlant de cela, la Cour suprême s'est abstenue d'entrer dans le champ du politique. Elle a posé une exigence de question claire, mais s'est abstenue de préciser quelles seraient les conditions spécifiques pour remplir cette exigence. Elle a parlé d'une majorité claire, mais sagement, à mon avis, elle s'est abstenue de préciser quelle serait cette majorité quantitative parmi celles qui sont d'usage de nos jours.

• 2030

Donc, il me semble qu'il faut tenir compte tout autant de ce que la Cour suprême n'a pas dit, du non-dit qui relève des politiques, que de ce qu'elle a dit. Parmi les idées qu'on peut dégager de cet avis, il y en a deux, à mon avis, qui sont particulièrement pertinentes pour vos fins.

La première, c'est que toutes choses étant égales, la légitimité d'un résultat référendaire est proportionnelle au pourcentage de votes clairement exprimés en faveur d'une option. C'est un principe qui transcende la légalité, de telle sorte que si, par exemple, on procède à un référendum suivant la règle qui a été observée au Québec en 1980 et en 1995, soit 50 p. 100 plus un, ce sera un référendum légal, sans doute, mais sa légitimité variera considérablement suivant que le résultat sera, disons, de 50 p. 100 plus un ou de 85 p. 100. Cette idée de légitimité est présente et elle explique, entre autres, ce que sera l'impact du référendum en droit international. La Cour suprême y fait allusion en toutes lettres.

Deuxièmement, la cour dit que la légalité, en règle générale, est porteuse d'une plus grande légitimité que l'illégalité: cela va de soi. Mais la légitimité n'est pas réductible à la légalité, de sorte qu'il peut arriver que la légalité fasse obstacle à la légitimité. Cette idée-là est également très importante. C'est le sens, je pense, de l'obligation de négocier qui apparaît dans cette décision. Cette obligation a fait beaucoup parler d'elle. On n'en avait pas entendu parler avant, ou enfin il en avait rarement été question, et maintenant, elle est entrée dans la jurisprudence constitutionnelle canadienne.

Ce faisant, la Cour suprême met le personnel politique en garde contre deux erreurs ou deux petites distorsions légalistes. La première, c'est celle qui consiste à dire que, et on l'a entendu avant le renvoi sur la sécession, quel que soit le nombre de voix exprimées au Québec, en dernière analyse, la procédure de modification de la Constitution, donc de sécession, sera toujours l'article 41 de la Loi constitutionnelle de 1982 et, dans les faits, il sera toujours possible de refuser à une province de reconnaître une majorité très forte en faveur de la sécession.

Cette distorsion légaliste est, je pense, condamnée par la Cour suprême dans le jugement.

La deuxième, en revanche, c'est celle selon laquelle il suffit d'obtenir une simple majorité pour que la légitimité suive. La cour dit, et je cite:

    Ce serait une grave erreur d'assimiler la légitimité à la seule «volonté souveraine» ou à la seule règle de la majorité, à l'exclusion d'autres valeurs constitutionnelles.

Devant cet arrière-fond sur la légitimité et la légalité, la Cour suprême nous dit qu'il va falloir regarder la clarté de la question référendaire et la clarté de la majorité obtenue.

Il y a eu, comme vous le savez, deux référendums au Québec: en 1980 et en 1995. Dans les deux cas, la question a été formulée par le parti politique qui formait le gouvernement. Dans les deux cas, la question n'a pas reçu l'approbation de l'opposition officielle, et dans les deux cas, semble-t-il selon les résultats des sondages, les questions posées charriaient un certain nombre d'ambiguïtés qui ne satisfaisaient peut-être pas à cette exigence de clarté.

Il paraît que si la Cour suprême est revenue constamment sur l'idée de clarté—elle l'a mentionnée 13 fois—, c'est afin de s'assurer que l'on élimine autant que faire se peut, ou que l'on minimise à tout le moins, les ambiguïtés susceptibles de se présenter dans une langue naturelle.

Je pense que si la pratique référendaire au Québec avait été pleinement conforme à ce précepte démocratique, la Cour suprême aurait moins insisté sur la chose.

En particulier, j'aimerais revenir sur un aspect de la question référendaire de 1995. Cette question, je vous le rappelle, se lisait comme ceci:

    Acceptez-vous que le Québec devienne souverain après avoir offert formellement au Canada un nouveau partenariat économique et politique dans le cadre du projet de Loi sur l'avenir du Québec et de l'entente signée le 12 juin 1995?

Si l'on fait une analyse, même superficielle, de cette question, on voit qu'elle comporte en réalité trois possibilités: la souveraineté pure et simple; un partenariat suivant l'entente proposée par les partis qui formaient la majorité au Québec; ou encore le statu quo, dans l'hypothèse d'un Non au référendum.

• 2035

Il me semble que, par une analogie évidente à mes yeux, la situation qui s'est présentée ici est semblable à celle qui a été analysée par le Conseil constitutionnel français en 1987, lorsqu'il a eu à examiner la question qui avait été posée dans le cas du référendum sur l'indépendance de la Nouvelle-Calédonie.

Il a annulé cette question en développant une doctrine de la double exigence de clarté et de loyauté dans le libellé de la question référendaire, et je pense que l'analyse qu'il a faite dans ce cas-là s'appliquerait à la question de 1995.

Comme vous le savez, en droit américain, il y a beaucoup d'exemples de référendums: Initiative and Referendum Acts. Dans plusieurs constitutions d'États américains, on retrouve des exigences qui visent à éliminer les questions à deux volets et à forcer la partie qui formule la question à s'en tenir à une seule idée dans la question référendaire. Je pense que la question de 1995 ne satisfaisait pas à cette exigence-là.

En ce qui concerne l'exigence de la majorité claire, là encore la Cour suprême revient plusieurs fois sur cette question, mais il me semble qu'a priori, elle n'écarte pas la possibilité d'une règle conventionnelle de majorité absolue: 50 p. 100 des voix plus une. Cela ne serait pas nécessairement contraire aux directives que formule la cour.

L'hypothèse d'un référendum qui serait administré de cette façon, à partir d'une question claire qui, par exemple, produirait une majorité supérieure à 50 p. 100 des voix plus une, pourrait satisfaire, suivant le reste du contexte, à ce que nous dit la Cour suprême dans son avis.

Néanmoins, je pense qu'on joue avec le feu lorsqu'on déclenche un processus référendaire dont le résultat s'annonce très serré; que l'on met aux voix une question qui, selon une part importante de l'électorat, est ambiguë; que l'on prétend légitimer la transformation radicale de l'ordre constitutionnel par une majorité à peine supérieure à 50 p. 100; et que le résultat du vote suscite de vives inquiétudes quant à la régularité des procédures de scrutin.

Or, c'est presque la situation qui s'est produite en 1995, à cette différence près, évidemment, que le résultat était inversé. Vous connaissez les chiffres comme moi: la majorité était de 54 000 voix et il y avait 85 000 bulletins rejetés. Il y avait également des éléments positifs: 93 p. 100 des électeurs inscrits ont voté, ce qui, évidemment, est un signe de santé démocratique. Mais avec une majorité si mince, si le résultat avait été en sens inverse, substantiellement, le critère de la Cour suprême n'aurait pas été satisfait.

S'ajoutent à cela la pratique des États au cours des 50 dernières années et en particulier—on vous les a présentés vendredi dernier—les cas des 13 derniers référendums qui ont été administrés depuis une quinzaine d'années.

Donc, le projet de loi C-20 me semble entièrement conforme au droit constitutionnel canadien actuel. Il me paraît rétablir un équilibre acceptable dans le débat sur la souveraineté entre souverainistes et fédéralistes québécois. Il empêche que la procédure référendaire ne devienne elle-même une condition gagnante ou qu'elle serve l'un des deux camps. Il garantit que le référendum servira de révélateur neutre et impartial des intentions des électeurs. Pour ces raisons-là, il me semble que vous devriez en reconnaître l'utilité, tel qu'il se présente.

Il me semble également qu'il ajoute ceci au débat: dans un cadre parlementaire, l'opposition souverainiste au Parlement canadien aura le loisir de défendre le point de vue souverainiste et, si elle le souhaite, de tenter de convaincre les électeurs québécois que les résistances du gouvernement fédéral devant la démarche souverainiste sont illégitimes au sens des principes de droit constitutionnel qu'identifie la Cour suprême.

Dans ces conditions-là, je m'explique plutôt mal qu'on puisse s'y opposer. Je vous remercie.

Le président: M.rci, monsieur Morissette. Nous passons à la première période de questions, avec M. Jaffer.

M. Rahim Jaffer: M.rci, monsieur le président.

Monsieur Morissette, je veux vous demander de clarifier votre position sur la majorité claire. Quand j'ai écouté votre discours, il m'a semblé que vous aviez peut-être des problèmes avec le pourcentage de 50 p. 100 plus un. Si c'est vrai, que peut faire le gouvernement pour clarifier cette question de la majorité claire? À partir de quelle base suggérez-vous que nous travaillions?

• 2040

M. Yves-Marie Morissette: C'est un problème qui peut se résoudre au plan juridique ou au plan politique. Je pense que dans la situation actuelle au Canada, il est devenu très difficile de le résoudre au plan juridique, parce qu'il n'y a pas de consensus sur ce que serait la majorité acceptable. Pour ma part, je pense qu'une majorité des électeurs inscrits constitue déjà un progrès par rapport à la majorité absolue telle que je l'ai décrite tout à l'heure.

Mais il me semble qu'il ne peut pas y avoir un consensus suffisant pour qu'une loi acceptable soit adoptée et que, par conséquent, elle risque de devenir elle-même le sujet d'une controverse qui serait malencontreuse. Donc, il faut tenter d'aborder le problème sur le plan politique et exhorter tous les intervenants, en particulier les acteurs politiques au Québec, à reconnaître qu'une sécession ou une déclaration unilatérale d'indépendance avec une majorité infime risquerait d'être catastrophique.

Voilà quel est mon sentiment. Mais je ne crois pas que la Cour suprême ait écarté la possibilité d'un référendum administré avec une majorité absolue, au sens technique du terme.

M. Rahim Jaffer: J'ai une question sur la divisibilité du Québec. Advenant qu'il y ait des municipalités ou des régions du Québec qui votent majoritairement pour rester au Canada, le Québec serait-il divisible? Quelle est votre opinion sur ce sujet?

M. Yves-Marie Morissette: Le renvoi sur la sécession du Québec est un renvoi sur la sécession du Québec. Les analogies avec les municipalités, les régions et les sous-ensembles me semblent toutes sujettes à caution. Cependant, je n'écarte pas la possibilité que certaines parties du territoire qui, par exemple, sont occupées par des populations qui ont une autonomie ethnique ou culturelle, puissent constituer, pour les fins d'une règle de sécession à la majorité, des sous-ensembles capables de se séparer du Québec ou de rester à l'intérieur du Canada après un référendum majoritaire en faveur de la sécession au Québec.

Je trouve peu plausible qu'on prolonge le raisonnement jusqu'à viser des municipalités ou des poches particulières de l'électorat qui ont eu tendance à voter de façon récurrente contre la souveraineté ou ses succédanés.

M. Rahim Jaffer: J'ai une dernière question pour vous. Beaucoup de gens ont identifié des problèmes et des faiblesses dans ce projet de loi. Que peut-on faire pour l'améliorer?

M. Yves-Marie Morissette: Je ne suis pas une personnalité politique. Je suis un simple juriste, professeur d'université. Il me semble qu'il est très bien comme ça. Il n'est pas parfait, mais le mieux est l'ennemi du bien, et c'est un progrès substantiel par rapport à la situation antérieure, où on ignorait quelle serait l'attitude à la fois du gouvernement et du Parlement canadiens devant une nouvelle démarche référendaire.

Subjectivement et personnellement, j'aurais souhaité qu'on s'entende sur une règle majoritaire autre que la majorité absolue. Tout à l'heure, j'ai mentionné la majorité des électeurs inscrits; peut-être même serait-il souhaitable d'exiger plus que cela. Mais là on verse dans l'arbitraire, à moins d'avoir un consensus. Comme je l'ai mentionné, je pense que cela risquerait d'entraîner des répercussions politiques négatives encore plus graves que le problème qu'on chercherait à résoudre.

Pour moi, c'est un projet de loi qui établit un compromis tout à fait acceptable. Je ne vois pas tellement comment je pourrais l'améliorer, à moins de changer l'interprétation du renvoi de la Cour suprême et la théorie sur la sécession ou la souveraineté du Québec.

Le président: Monsieur Turp.

M. Daniel Turp: Cher collègue, l'Université McGill est une grande institution du Québec que j'aime et que j'apprécie. D'abord, permettez-moi de suggérer une autre interprétation que la vôtre, et celle de plusieurs personnes, de la notion de simple majorité.

• 2045

Quand la cour parle de simple majorité dans son avis, je crois, comme d'autres, que ce qu'elle veut dire essentiellement, comme l'ensemble de son raisonnement le laisse entendre, c'est qu'un vote référendaire ne suffit pas pour permettre l'accession à la souveraineté, puisqu'il doit y avoir un amendement constitutionnel. C'est ce que je comprends du raisonnement de la Cour suprême. Quand elle parle de simple majorité, elle ne veut pas parler d'une majorité simple, absolue, qualifiée et ainsi de suite. Elle parle essentiellement du processus par lequel la souveraineté peut être faite dans le cadre constitutionnel canadien lorsqu'il y a un référendum. Le référendum ne suffit pas en soi, parce qu'il doit y avoir un processus d'amendement constitutionnel. J'aimerais bien vous entendre sur le processus d'amendement constitutionnel. L'avis, que vous connaissez bien, n'a pas évoqué la procédure applicable. L'article 3 du projet de loi, lui, évoque une procédure applicable. Sentez-vous qu'il y a une certaine clarté sur cette question-là, soit dans l'avis de la cour, soit dans le projet de loi?

M. Yves-Marie Morissette: Il y a deux aspects à votre question. Il y a l'aspect de la majorité et celui des procédures de modification.

Au sujet de l'aspect de la majorité, je pense que la Cour suprême s'est délibérément abstenue de préciser sa pensée. Elle ne parle de majorité qu'au sens qualitatif, et non pas au sens quantitatif. C'est la raison pour laquelle je dis qu'on n'écarte pas la possibilité d'une majorité absolue au sens technique: 50 p. 100 plus un. Toutefois, on a dit ailleurs qu'il ne fallait pas surévaluer le principe démocratique de la majorité absolue. Je pense que ce que l'on veut communiquer par ce fragment du jugement, c'est qu'on demeurera toujours hantés par le principe selon lequel la légitimité est proportionnelle au nombre de voix exprimées en faveur d'une option. Donc, s'engager dans une modification fondamentale de la Constitution avec une majorité de 50 p. 100 plus un risque d'être une démarche vouée à l'échec. Je parle de la question de la majorité.

M. Daniel Turp: Je prends acte de vos propos quand vous dites que, contrairement à ce qu'on entend souvent, la cour n'a pas exclu l'idée que la majorité claire soit de 50 p. 100 plus un et qu'on doit envisager de faire la distinction entre la majorité légale et la majorité suffisante au plan politique. Vous évoquez cette distinction: une majorité de 50 p. 100 plus un n'est peut-être pas politiquement suffisante pour mettre en oeuvre un projet d'accession à la souveraineté de cette importance, comme vous le dites, sur le plan de l'amendement constitutionnel.

M. Yves-Marie Morissette: Il vient un moment où la légitimité dépasse la légalité, et réciproquement. Pour répondre spécifiquement à ce que vous dites, je pense que la raison pour laquelle on n'a pas écrit en toutes lettres qu'une majorité absolue est inadéquate, c'est qu'on ne voulait pas écarter a priori la possibilité qu'un référendum soit tenu avec une règle de majorité absolue et qu'il produise une majorité suffisante pour provoquer un changement politique.

M. Daniel Turp: C'est très intéressant de vous entendre dire cela, parce qu'il y a beaucoup de gens qui ne veulent pas interpréter l'avis de cette façon et qui laissent entendre qu'une majorité de plus de 50 p. 100 plus un est nécessaire selon le diktat de l'avis de la Cour.

M. Yves-Marie Morissette: Ce n'est pas mon sentiment.

M. Daniel Turp: Vous n'êtes pas d'accord. M.rci.

M. Yves-Marie Morissette: Sur le second point, celui de la procédure de modification de la Constitution, je pense que tout se tient.

Si la Cour suprême était un démiurge dans la vie politique canadienne et qu'elle amenait le type de déroulement référendaire examiné dans l'avis et qu'une majorité substantielle, disons 64 p. 100 pour prendre un chiffre arbitraire, était obtenue en réponse à une question claire et à partir d'une procédure de majorité absolue, il devrait, si on lit attentivement la règle, s'engager un processus de négociation et de modification constitutionnelle qui transformerait, au bout du compte, la procédure de l'article 41 en une espèce de formalité. La majorité obtenue, toutes choses étant par ailleurs égales, serait alors revêtue d'une légitimité telle qu'elle recueillerait un consensus.

• 2050

M. Daniel Turp: Donc, vous êtes d'accord sur ce que Mme McLellan a dit à un certain moment, pendant l'avis de la cour. Vous vous rappelez ce qu'a dit Mme McLellan?

M. Yves-Marie Morissette: Je ne sais pas à quoi vous faites allusion.

M. Daniel Turp: Elle a dit qu'il nous fallait une nouvelle procédure d'amendement pour ces questions.

M. Yves-Marie Morissette: Cela devient un peu ce qu'on appelait, au collège, une concertation. Je pense que la cour elle-même dit que la sécession n'est pas envisagée dans la Constitution. Il existe des constitutions où c'est explicité, mais ce n'est pas le cas de la Constitution canadienne. Il faut faire avec, en tenant compte des exigences de la légitimité.

M. Daniel Turp: Puis-je poser une autre question, monsieur le président?

Le président: Votre temps est déjà écoulé.

Monsieur Blaikie, s'il vous plaît.

[Traduction]

M. Bill Blaikie: M.rci, monsieur le président. J'aimerais revenir sur certaines choses.

Tout d'abord, nous parlons d'amendement constitutionnel. Un témoin précédent a déclaré que le projet de loi ne disait pas clairement quelle formule d'amendement devrait être choisie pour procéder à un amendement constitutionnel relatif à la sécession. Avez-vous une opinion là-dessus? Croyez-vous que c'est une lacune du projet de loi? Savez-vous quelle formule d'amendement, soit celle de l'unanimité ou des deux tiers représentant 50 p. 100...? À votre avis, quelle formule devrait s'appliquer dans ce cas-ci?

M. Yves-Marie Morissette: Il y a quelques petites choses que je dois dire, en réponse à votre question.

D'abord, je crois que la Cour suprême, en rendant sa décision, n'a pas été peu claire, mais plutôt délibérément vague sur l'application de la formule d'amendement. Techniquement, il y a consensus au sujet de l'article 41, puisqu'on parle de changements si radicaux qu'ils signifieront nécessairement le recours à la forme de consentement la plus extrême.

Deuxièmement, je pense que l'une des grandes vertus de cette décision, c'est que les avocats ont transcendé la loi et se sont rendu compte que la clarté et les règles explicites pouvaient nuire à l'obtention d'un résultat politique légitime et souhaitable. Je parle des membres de la Cour suprême. J'ai dit «avocats»; ce sont des juges. Au lieu de dire qu'il faut que ce soit 50 p. 100 plus un, ou au lieu de dire que pour ceci ou cela, il faut appliquer l'article 41, que nous comprenons tous un peu, ils ont insisté à maintes reprises sur le fait qu'une réponse claire à une question claire mettrait en branle un processus qui nous mènerait, nous l'espérons, à une solution politiquement acceptable et que par conséquent l'amendement de la Constitution serait de moindre importance. Ce ne serait plus qu'une formalité. Je pense que c'est l'essentiel du jugement.

Alors de quelle formule d'amendement s'agit-il? Probablement de la plus exigeante. Mais quand nous y viendrons, si nous suivons les autres étapes, il ne devrait plus y avoir de problème.

M. Bill Blaikie: J'ai une autre question, monsieur le président.

Contrairement à d'autres témoins, vous avez dit, au sujet de la majorité claire dont a parlé la Cour suprême, que selon votre interprétation du renvoi une majorité claire n'excluait pas nécessairement 50 p. 100 plus un. Il pourrait s'agir de 50 p. 100 plus un pour une question claire, et dans certaines circonstances cela pourrait être une majorité claire. Est-ce bien ce que vous avez dit?

M. Yves-Marie Morissette: Je dirais certainement que 50 p. 100 plus un ne justifie pas qu'on rejette a priori un référendum qui n'a pas encore eu lieu. Quand on aura le résultat et qu'on considérera le contexte, on pourra constater que même si c'est la règle qui avait été adoptée, et que le seuil est respecté, il n'y a pas une majorité claire parce que, par exemple, il y a eu des irrégularités sous une forme ou une autre.

M. Bill Blaikie: Quel genre de libellé proposeriez-vous pour le projet de loi? Si nous insérions 50 p. 100 plus un dans le projet de loi, quel libellé faudrait-il pour permettre cette incertitude, prévoir le fait qu'un résultat de 50 p. 100 plus un pourrait ne pas répondre aux critères?

• 2055

M. Yves-Marie Morissette: Je n'inscrirais pas la norme de 50 p. 100 plus un dans le projet de loi. Il resterait tel quel, laissant aux acteurs politiques le soin de prendre position dans le contexte, le contexte pertinent, sur le fait qu'il s'agit ou non d'une majorité claire.

Je comprends qu'en quelque sorte, on court à la controverse, si les conditions du référendum sont semblables à celles du dernier référendum. Mais je crois que l'un des messages de la Cour suprême, c'est qu'il ne faut pas faire de référendum dans ces conditions. Il faut être plus prudent, poser des questions claires, adopter une procédure qui donnera des résultats plus clairs aussi. Si on respecte toutes les obligations fixées dans la décision, je crois qu'on pourra éviter les problèmes que vous avez décrits.

M. Bill Blaikie: La seule chose fixée dans la décision, avant qu'on entre dans un débat sur ce qui constitue une majorité claire...

M. Yves-Marie Morissette: C'est la clarté de la question.

M. Bill Blaikie: ...c'est la clarté de la question.

M. Yves-Marie Morissette: C'est tout de même important, je crois.

[Français]

Le président: Monsieur Bachand.

M. André Bachand: Je trouve tout cela vraiment intéressant. Je ne partage pas la conclusion de M. Morissette par rapport au projet de loi, bien sûr, mais il soulève des points très juridiques. Même une bonne bagarre politique ne pourrait faire changer d'idée qui que ce soit, mais on pensait, sans en être vraiment certains, que «majorité claire» était un terme qui ne se retrouvait nulle part. Il doit y avoir une base. Il faut dire que la base établie et reconnue d'une majorité claire est 50 p. 100 plus un, mais le vote va-t-il faire en sorte que la souveraineté ou la sécession va s'effectuer? C'est une autre question, et on verra en temps opportun.

Vous dites être satisfait du projet de loi. Ne pensez-vous pas que le projet de loi, à certains égards, va plus loin que l'opinion de la Cour suprême, alors qu'à d'autres égards, il va moins loin? Pour vous, quelles sont les grandes différences entre C-20 et ce qu'on retrouve dans l'opinion de la Cour suprême? Quels sont les manquements et les ajouts?

M. Yves-Marie Morissette: Vous pourrez peut-être m'éclairer parce que je ne trouve rien à vous répondre spontanément, mais il m'a semblé que le projet de loi collait de très, très près au jugement de la Cour suprême, utilisait la même terminologie et, d'une certaine manière, véhiculait le même degré de vague. Je ne peux pas parler des mêmes ambiguïtés parce que, pour moi, ce ne sont pas des ambiguïtés, mais un choix délibéré d'être vague. Le projet de loi ajoute essentiellement une procédure.

M. André Bachand: Ce n'est pas ma question.

M. Yves-Marie Morissette: À mon avis, ce qui est certainement très clair, c'est ce qu'on va faire. C'est une amélioration par rapport à ce qui existait, qui a été apportée entre l'avis de la Cour suprême et le dépôt du projet de loi. Quant au reste, il me semble que le projet de loi s'en tient de façon très méticuleuse à ce qui a été dit dans l'avis. Évidemment, on évoque certaines choses, comme la question des frontières, qui est sans doute de nature à faire grincer des dents, mais c'est dans le jugement de la Cour suprême, comme bien d'autres choses. Je pense que, dans la mesure où on respecte la lettre du jugement, on se trouve à l'opérationaliser. Si on l'avait laissé tel quel, on n'aurait pas cet avantage d'un débat à venir sur la clarté de la question et de la majorité, auquel tout le monde va participer puisque ce sera un débat public. Je pense que c'est une nette amélioration.

M. André Bachand: Pour vous, faut-il s'occuper de la question avant le vote, avant le processus référendaire au Québec, selon l'opinion de la Cour suprême?

M. Yves-Marie Morissette: Il me semble que oui. On peut certainement se prononcer sur la clarté avant le vote.

M. André Bachand: Certains disent que le fait de se prononcer avant ou durant le processus référendaire enlève en quelque sorte sa prérogative à la législature provinciale, ainsi nommée dans l'opinion. La Cour suprême dit que les partenaires de la Confédération ont le droit d'initier toute modification constitutionnelle, tant les très grandes, comme celle-ci, que les moins grandes, comme celle des écoles confessionnelles, à partir d'une motion. On parle de motions, n'est-ce pas? On parle aussi de référendums. Donc, la prérogative leur appartient, nonobstant l'importance de la modification constitutionnelle, parce que la Cour suprême traite vraiment cela comme une modification constitutionnelle.

• 2100

La Cour suprême est silencieuse. Elle dit même indirectement: «Ne touchez pas à cela, parce que si vous le faites pour cette question-là, le fédéral pourra alors être porté à s'ingérer dans d'autres domaines.» La cour semble assez claire là-dessus, professeur. Il est vrai que dans les affaires politiques, les provinces et le gouvernement fédéral ont un rôle à jouer et peuvent s'asseoir à une table et établir la liste d'épicerie, mais la prérogative de la modification constitutionnelle appartient quand même aux partenaires de la Confédération. Est-ce qu'aller à l'encontre de cela ne serait pas aller à l'encontre du principe constitutionnel même?

M. Yves-Marie Morissette: Je ne suis pas sûr qu'il s'agisse de la prérogative de modification constitutionnelle.

M. André Bachand: Je vous demande pardon. Je voulais plutôt parler de l'initiative.

M. Yves-Marie Morissette: Ce n'est pas tout à fait la même chose. À mon avis, cette prérogative n'est pas menacée. Ce que l'on change, c'est la façon dont le gouvernement fédéral, dans le sens le plus général—je ne parle pas de l'exécutif—, va s'exprimer sur la clarté de la question qu'on s'apprête à administrer dans une province. Rien n'empêche le gouvernement du Québec d'aller de l'avant...

M. André Bachand: Monsieur Morissette, excusez-moi de vous couper la parole.

M. Yves-Marie Morissette: Je veux juste donner..

Le président: Non, non.

M. Daniel Turp: C'est intéressant.

Le président: Oui, c'est toujours intéressant, mais le problème est que nous avons des limites. Ce ne serait pas juste pour les autres députés qui, comme vous, veulent poser des questions au deuxième tour, monsieur Turp.

Monsieur Patry.

M. Bernard Patry: Monsieur Morissette, merci de votre visite. Vous avez donné plus tôt l'exemple de la décision du Conseil constitutionnel français au sujet de la clarté de la question référendaire en Nouvelle-Calédonie. Pouvez-vous élaborer là-dessus et nous dire ce que le Conseil constitutionnel français avait à dire sur la clarté, ainsi que comment le rôle de ce conseil a été accueilli en France?

M. Yves-Marie Morissette: Comment a-t-il été accueilli? Je dois vous dire que j'en sais rien, car je n'ai pas eu le temps d'aller vérifier dans Le Monde de l'époque, mais je suis convaincu que la façon dont cela a été accueilli n'a rien changé au résultat. Cette loi a été annulée et ça s'est arrêté là.

J'ai un texte dans lequel je reprends les considérants. C'est une décision qui est très courte, à vrai dire. Elle fait cinq pages. Il y a là trois considérants qui sont particulièrement pertinents et qui, à mon sens, pourraient, par analogie, s'appliquer à une question comme celle qui a été utilisée en 1995. Si vous le voulez, je peux vous en faire lecture.

M. Bernard Patry: Si c'est une page, le président va me dire non.

M. Yves-Marie Morissette: Ce n'est pas une page, c'est 15 lignes.

M. Bernard Patry: D'accord.

M. André Bachand: Était-ce après la consultation ou avant?

M. Yves-Marie Morissette: C'était avant. Voici comment on énonce la chose:

    Considérant que la question posée aux populations intéressées doit satisfaire à la double exigence de loyauté et de clarté de la consultation; que, s'il est loisible aux pouvoirs publics, dans le cadre de leur compétence, d'indiquer aux populations intéressées les orientations envisagées, la question posée aux votants ne doit pas comporter d'équivoque, notamment en ce qui concerne la portée de ces indications;

    Considérant qu'il ressort des termes de l'article 1er de la loi que la question sur laquelle les populations intéressées de Nouvelle-Calédonie seraient appelées à se prononcer porte non seulement sur le choix en faveur de l'accession de ce territoire à l'indépendance ou de son maintien au sein de la République, mais également, dans cette dernière éventualité, sur un statut dont les éléments essentiels auraient été portés à la connaissance des intéressés;

    Considérant que cette rédaction est équivoque; qu'en effet, elle peut dans l'esprit des votants faire naître l'idée erronée que les éléments du statut sont d'ores et déjà fixés, alors que la détermination de ce statut relève [d'une loi qui reste à prendre]; qu'il suit de là que les dispositions de l'article 1er de la loi relatives aux éléments essentiels du statut ne satisfont pas à l'exigence constitutionnelle de clarté de la consultation;

Le conseil a déclaré la loi nulle.

On peut se livrer à un exercice d'analyse linguistique, mais je pense que la question de 1995 était vulnérable à ce genre de critique.

M. Bernard Patry: M.rci.

Monsieur Morissette, on nous accuse souvent d'être antidémocratiques et de faire un coup de force contre le Québec. Personne du Bloc québécois ou du Parti québécois ne nous parle du respect de la règle de droit. M. Facal, l'automne dernier, nous a dit que le gouvernement du Québec ne respecterait en rien l'avis de la Cour suprême du Canada, ce qui a été repris le mois suivant par le premier ministre du Québec.

• 2105

Ma question est très simple. Est-ce que la démocratie existe sans règle de droit?

M. Yves-Marie Morissette: Ma réponse sera simple. J'aime à penser par moments que les paroles de M. Facal ont peut-être dépassé sa pensée.

M. Bernard Patry: M.rci, monsieur le président.

Le président: Monsieur Cotler.

M. Irwin Cotler: Je voudrais souhaiter une chaleureuse bienvenue à mon collègue, qui est un ancien doyen et un juriste très distingué de notre province. Je voudrais poser une question sur la conclusion de votre présentation, qui s'ajoute à la question de M. Patry et aux témoignages que nous avons entendus.

Quelques témoins indépendantistes ont dénoncé ce projet de loi comme un rejet de la démocratie. Ils ont dit que c'était une loi «pour museler le Québec dans son droit à l'autodétermination». La conclusion de votre mémoire rejette cette accusation.

[Traduction]

Au fond, qu'est-ce qui justifie un rejet de cette accusation, compte tenu notamment de vos propres idées sur la légalité et la légitimité?

M. Yves-Marie Morissette: C'est une question difficile. Je ne veux pas parler d'herméneutique, de déconstruction et d'autres choses de ce genre. Dans une certaine mesure, je crois que c'est une question de point de vue.

Il me semble qu'à proprement parler rien ici n'a d'incidence sur les prérogatives de l'Assemblée nationale du Québec. Elle continue d'être libre de faire ce qu'elle veut, sauf que dans ce jeu qu'on ne peut jouer qu'à deux, l'une des parties à la négociation pourrait être mécontente de certains aspects de la procédure qui va commencer ou qui est déjà en cours.

Je ne crois pas qu'il s'agisse là d'une atteinte aux prérogatives dont vous avez parlé. Le débat peut tout de même avoir lieu, vous pouvez formuler la question à votre guise, vous pouvez tenir un référendum et vous pouvez, au bout du compte, être jugé par l'histoire.

[Français]

Le président: Monsieur Turp.

M. Daniel Turp: Ce sera M. Rocheleau.

Le président: Très bien. Monsieur Rocheleau.

M. Daniel Turp: Il l'a faite lui-même, sa question.

Des voix: Ah, ah!

M. Yves Rocheleau (Trois-Rivières, BQ): Monsieur Morissette, vous avez dit dans votre exposé qu'une question à deux volets était généralement plus ou moins acceptable.

Dans le cadre de votre argumentation, comment réagissez-vous à la question référendaire que s'apprête à poser, les 27 et 28 février prochains, le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien aux Montagnais du Lac-Saint-Jean, question qui comporte trois volets et à laquelle on devra répondre par un «oui» ou un «non»? Comment réagissez-vous à cette pratique qui, selon vous, est plus ou moins acceptable?

M. Yves-Marie Morissette: Étant donné les termes mêmes de la question que vous me posez, je serai obligé de vous dire que s'il y a plus d'un volet, c'est problématique. Cependant, j'ignore tout du contexte. Je ne cherche pas à me défiler; je dis simplement que vous me prenez au dépourvu. Vous ne m'avez pas envoyé d'avis sur l'article 403 du Code de procédure civil. Je ne savais pas que vous alliez soulever une question comme celle-là. Je crois que l'avis de la Cour suprême est une invitation à regarder le contexte et à dépasser les règles. Si j'avais le contexte, je nuancerais peut-être la réponse que je vous ai donnée superficiellement.

Je pense que l'idée qu'une question référendaire, comme une question de sondage en science sociale, doit autant que possible se limiter à une idée est généralement acceptée.

M. Yves Rocheleau: Pour vous consoler, monsieur Morissette, dites-vous que le ministre a été mis dans le même embarras quand on lui a posé cette question.

M. Daniel Turp: Monsieur le président, puis-je continuer? Nous reste-t-il un peu de temps?

Le président: Je voudrais aussi donner à M. Bachand la possibilité de poser une autre question.

M. André Bachand: Monsieur le président, merci beaucoup de votre grande générosité. J'aimerais poser une question qui sort un petit peu du contexte.

• 2110

Ceux qui condamnent le projet de loi C-20 vont chercher leurs arguments dans les quelque 150 paragraphes de l'avis de la Cour suprême. Soit dit en passant, monsieur le président, j'ai un petit garçon de quatre ans. Je parlais un jour au téléphone des quelque 150 paragraphes et il m'a dit: «Il y a aussi plus de 150 Pokémon.» Je ne sais pas s'il y a un lien entre le nombre de Pokémon et le nombre de paragraphes.

M. Daniel Turp: Pokémon C-20.

M. André Bachand: Au paragraphe 137, la Cour suprême se préoccupe des échecs de modification de la Constitution. Est-ce qu'un élément positif de modification de la Constitution devrait apparaître dans un projet de loi comme celui-ci pour que le message soit plus positif? Donc, au paragraphe 137, la Cour se préoccupe des multiples échecs de modification de la Constitution. Je ne veux pas citer cela hors contexte, bien sûr.

M. Yves-Marie Morissette: Voici la phrase que vous voulez citer:

    137. Les échecs persistants dans la recherche d'un accord sur la modification de la Constitution, dont il y a lieu de se préoccuper, n'équivalent pas à une négation du droit à l'autodétermination.

M. André Bachand: Est-ce que vous êtes en mesure d'imaginer une certaine avenue positive dans C-20?

M. Yves-Marie Morissette: Excusez-moi, mais je ne suis pas sûr de bien comprendre votre question. Je m'en fais le reproche. M. demandez-vous s'il y aurait lieu de faire entrer cette considération-ci dans les considérations qui apparaissent dans le projet de loi?

M. André Bachand: Un exemple avait été proposé. Est-ce qu'il va être maintenu? J'en doute. Une question claire et une majorité claire enclenchent un mécanisme de négociation à une modification constitutionnelle. Dans la Constitution actuelle, même si on reconnaît à un partenaire de la Confédération le droit d'initier des modifications, il n'y a pas d'obligation de négociation. Il n'y a pas d'obligation de résultat dans C-20. Verriez-vous d'un bon oeil, peut-être pour diluer les critiques sévères que certains font de C-20, qu'on inclue cette mécanique pour forcer une négociation, mais non pas un résultat, bien sûr?

M. Yves-Marie Morissette: Cette mécanique? Excusez-moi encore une fois...

M. André Bachand: L'Alberta a fait un référendum portant sur l'élection des sénateurs. Cela est resté lettre morte. Dans l'esprit de la Cour suprême, pour qu'il y ait une négociation sur l'amendement constitutionnel majeur que constituerait la sécession, n'y aurait-il pas lieu d'aller un peu plus loin et d'être plus positif? C'est ce qu'on appelle communément le plan A. Par exemple, si l'Alberta voulait que les sénateurs soient élus, ce qui serait une modification constitutionnelle, ne pourrait-on pas dire qu'à la suite d'un référendum où la question et le majorité auraient été claires, il y aurait une obligation pour les acteurs politiques de la fédération de négocier cette demande?

M. Yves-Marie Morissette: Je vais peut-être vous décevoir, mais à mon avis, cela ne devrait pas être le cas. Je pense que ce qui est envisagé par la Cour suprême dans le renvoi sur la sécession, c'est un remède de cheval. Cela coïncide avec une difficulté particulière, qui est le phénomène de la volonté sécessionniste, qui peut revenir de façon récurrente dans une fédération dotée d'une constitution qui ne prévoit pas de procédure dans cette hypothèse.

Si j'ai bien vu, on a invoqué cela dans le cas de l'hôpital Montfort, chez les autochtones et dans divers autres contextes. On s'est prévalu du renvoi sur la sécession pour essayer d'accréditer l'idée que toute volonté de changer quoi que ce soit à la Constitution devrait mettre en branle la même procédure. Cela m'apparaît, et je le dis en toute modestie, une interprétation réellement abusive de l'arrêt. L'arrêt est limité à ce qui en fait l'objet, c'est-à-dire la sécession.

M. André Bachand: M.rci, monsieur.

Le président: Monsieur Turp.

M. Daniel Turp: Ma question porte sur le processus d'amendement constitutionnel. Vous y avez fait allusion tout à l'heure. Je voudrais vous placer devant la situation où le Parlement fédéral détermine que la question est claire et que la majorité est claire, qu'il y a ensuite un référendum favorable et qu'il y a un processus d'amendement constitutionnel qui doit suivre. Lorsque ce processus doit être suivi, les provinces doivent y participer.

• 2115

Une province considère qu'il n'y a pas de majorité claire et pas de question claire, et elle s'oppose à l'adoption d'un amendement constitutionnel permettant la sécession du Québec. Je parle d'une province, mais il pourrait y en avoir trois, cinq ou sept. Disons qu'une le fait.

Le gouvernement fédéral, qui, lui, était disposé à adopter un amendement constitutionnel, doit participer à un processus où il va devoir s'opposer à une province et éventuellement participer à un référendum dans une province, l'Alberta, par exemple, ou la Colombie-Britannique, pour dire aux électeurs de cette province qu'ils doivent accepter l'amendement constitutionnel. Ne trouvez-vous pas qu'il y a quelque chose de très problématique dans l'idée d'un processus d'amendement constitutionnel qui impliquerait que le gouvernement fédéral doit participer à un référendum provincial pour dire aux électeurs d'accepter l'amendement constitutionnel que leur province leur demande de rejeter?

M. Yves-Marie Morissette: Premièrement, je dois vous dire, a priori, que je ne suis pas de ceux qui voient d'un bon oeil les modifications fréquentes à une constitution. Cela me dicte mon attitude. Cela imprègne le regard que je porte sur ces situations-là.

Deuxièmement, ce que vous décrivez d'une certaine manière s'est presque déjà produit dans un autre contexte, non pas dans un cas de sécession, mais lorsqu'il a été question de faire adopter d'autres réformes importantes à la Constitution. On a vu les inconvénients qui en résultaient.

Vous me demandez si je me sens mal à l'aise devant l'hypothèque que le gouvernement fédéral doive aller défendre... Eh bien, il me semble qu'il devrait être cohérent avec lui-même. S'il a jugé la question claire et la majorité claire, qu'il a entrepris de négocier et que cette négociation a donné un résultat qui le satisfait et qui satisfait mutuellement les parties, tout coule de source. À ce moment-là, il faut poursuivre sur la lancée et convaincre. Si on ne convainc pas et qu'il y a un obstacle légaliste du type auquel j'ai fait allusion au début, à la limite, ce sera le droit international qui jugera.

M. Daniel Turp: C'est très intéressant.

[Traduction]

Le président: Nous allons terminer là-dessus.

[Français]

Tout le monde a beaucoup de questions à poser ce soir. Professeur Morissette, merci de votre comparution. Elle a été bien appréciée. Vous avez quelque chose à distribuer, je crois.

[Traduction]

M. Yves-Marie Morissette: J'ai un texte, si vous le voulez.

[Français]

Le président: Excellent. Nous vous remercions de votre aide quant à ce projet de loi.

Nous reprenons maintenant le débat. Monsieur Guimond.

M. Michel Guimond: M.rci, monsieur le président.

Pour le bénéfice de mes collègues d'en face et de ceux et celles qui nous écoutent à la télévision dans le confort de leur foyer, je dirai que j'ai parlé sur cette motion de lundi de 14 h 30 jusqu'à 15 h 45. Quelle est-elle, cette motion? La motion qui est débattue a été proposée par le secrétaire parlementaire du ministre Stéphane Dion et elle se lit comme suit:

    Que le comité peut, si nécessaire afin d'accommoder encore plus la liste de témoins, continuer à écouter des témoins jusqu'à 17 h 30 jeudi, le 24 février 2000, à condition que le président mette aux voix toutes questions nécessaires pour disposer du projet de loi C-20 au plus tard le jeudi, 24 février 2000 à minuit.

Monsieur le président, nous, du Bloc québécois, sommes d'avis que cette motion est antidémocratique et donc inacceptable. Monsieur le président, je demeure convaincu que votre interprétation était inexacte, mais j'ai beaucoup de respect pour l'institution que vous représentez et pour vous en tant qu'individu, en tant que juriste reconnu et peut-être—qui sait?—en tant que Président de la 37e Législature. L'avenir le dira. On verra ce que le Président des 35e et 36e Législatures décidera de faire.

• 2120

Monsieur le président, étant donné qu'il me reste à peu près 12 heures et 10 minutes avant la comparution des prochains témoins, qui doivent venir mardi à 9 h 30, je tenterai d'expliquer pourquoi il est important d'entendre des témoins et pourquoi le bâillon est inacceptable dans le présent cas.

Monsieur le président, nous sommes opposés à cette motion parce que nous sommes d'avis qu'elle ne vise qu'à écourter le débat sur un projet de loi qui ne repose sur aucun consensus au Québec.

Monsieur le président, vous avez été très attentif, comme la plupart de mes collègues des deux côtés de la table, et je pense que tout le monde ici est en mesure de constater que ce projet de loi ne fait pas consensus au Québec.

Nous, du Bloc québécois, sommes d'avis que rien ne justifie l'empressement du gouvernement à adopter ce projet de loi après avoir tenu si peu d'audiences et entendu si peu de témoins. Monsieur le président, on parle d'un maximum de 45 témoins pour un projet de loi d'une telle importance.

Nous, du Bloc québécois, croyons qu'il faut prendre le temps d'entendre tous les citoyens et citoyennes qui désirent s'exprimer sur ce projet de loi. Ce n'est pas un projet de loi qui se règle en une nuit ou en une semaine. Il n'est pas question pour nous d'accommoder les témoins. Il est plutôt question de respecter le droit des citoyens d'être entendus, d'être écoutés par les parlementaires et par le gouvernement.

Monsieur le président, nous, du Bloc québécois, sommes d'avis que c'est un projet de loi très important qui remet en question les règles de l'exercice de la démocratie au Québec. Par conséquent, il est tout à fait normal, souhaitable, voire même rassurant de constater que des citoyens et des citoyennes veulent être entendus là-dessus.

Cette motion qui a été déposée par le secrétaire parlementaire du ministre Stéphane Dion n'est qu'une preuve additionnelle de l'arrogance du gouvernement, qui ne désire pas entendre ce que la population a à dire sur son projet de loi. Peut-être le gouvernement a-t-il peur d'être contredit?

Monsieur le président, nous croyons que cette motion n'est pas justifiée puisqu'il n'y a aucune urgence à adopter ce projet de loi dès maintenant. Nous, du Bloc québécois, estimons, et je suis persuadé que tous les démocrates seront d'accord avec nous, que les délais impartis au comité pour entendre des témoins sont antidémocratiques.

Moins de deux semaines se seront écoulées entre le début des travaux du comité et la fin de la période d'audition des témoins si cette motion est adoptée. Monsieur le président, nous croyons que c'est inacceptable et même indécent.

Monsieur le président, rien n'explique que le comité, dont la première séance a eu lieu le lundi 14 février en soirée, doive avoir terminé ses travaux neuf jours plus tard. D'ailleurs, à cause de la précipitation du gouvernement, il aura été impossible pour le comité d'entendre des témoins lors des séances prévues le jeudi 17 février en après-midi et en soirée, de même que lors de la séance du vendredi 18 février en matinée, puisqu'aucun témoin n'était prêt à comparaître dans des délais aussi courts.

Monsieur le président, encore une fois aujourd'hui, lundi 21 février, des témoins sont arrivés ici préparés. Je suis persuadé qu'ils ont peiné toute la fin de semaine pour produire devant ce comité un rapport qui se tient. Je ne veux pas féliciter uniquement les témoins qui ont été présentés par l'opposition. Tous les témoins qui sont venus ici ont tenté de nous présenter un mémoire de bonne foi. Je pense qu'on doit présumer de la bonne foi.

• 2125

Par contre, monsieur le président, le fait que la plupart des témoins n'ont pu soumettre leur mémoire dans les deux langues officielles du Canada illustre bien l'empressement qu'il y a eu au niveau de la convocation des témoins. Quand on impose un tel bâillon, on pénalise dans une certaine mesure les témoins.

Nous sommes d'avis, monsieur le président, que si le comité adopte cette motion, il n'aura tenu qu'un simulacre d'audiences. Le premier ministre lui-même affirmait la semaine dernière qu'il n'avait pas de temps à perdre avec ça, qu'il ne fallait pas passer la nuit là-dessus. Bel héritage, beau testament politique pour celui qui a été contre les Québécois pendant les 32 années de sa carrière politique!

Monsieur le président, nous croyons que les députés d'opposition ne considèrent pas qu'ils perdent leur temps en écoutant la population sur le projet de loi C-20. Il n'y a pas de menace souverainiste, comme le prétendent certains membres du gouvernement. Il y a plutôt, comme le soulignaient à juste titre les juges de la Cour suprême dans leur avis consultatif sur le renvoi sur la sécession du Québec, une volonté légitime pour les Québécoises et les Québécois de chercher à réaliser la souveraineté.

Monsieur le président, j'aimerais profiter de l'occasion pour poursuivre la chronologie que je vous faisais de l'histoire du Québec et, dans une certaine mesure, de l'histoire du Canada. Mon collègue Patry me souffle les mots. Cela fait différent, puisque mon collègue Patry, député libéral, s'est fait souffler ses questions pendant toute la journée par le sbire du ministre Stéphane Dion, qui est parti avec ses grosses valises et ses questions. C'est dommage que les députés libéraux ne puissent pas me poser de questions, monsieur le président, parce qu'ils seraient vraiment désarmés. C'est moi qui ai la parole. Ils serait désarmés. Comment les députés libéraux peuvent-ils me poser des questions? Ils n'ont plus le sbire de Stéphane Dion.

M. Bernard Patry: Je ne parlerai pas des maux de tête et des maux de dos que vous me donnez en me forçant à rester assis pour vous écouter.

M. Michel Guimond: Monsieur le président, le 1er juillet 1867, on a adopté l'Acte de l'Amérique du Nord britannique. On a vu se réunir les quatre provinces du Nouveau-Brunswick, ayant pour capitale Fredericton, de la Nouvelle-Écosse, ayant pour capitale Halifax, de l'Ontario, ayant pour capitale Toronto, et du Québec, ayant pour capitale nationale, notre seule capitale nationale à nous, les Québécois, la ville de Québec.

On a vu aussi la création du Sénat. L'article 93 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique prévoyait un système scolaire religieux plutôt que linguistique. Partout dans la province de Québec, ce 1er juillet 1867, on voyait flotter des drapeaux britanniques et on entendait chanter le God Save the Queen. Cela doit être doux aux oreilles de quelqu'un qui vient de Kingston et les Îles. Monsieur le président, cela doit être très mélodieux à vos oreilles. On sait comment les gens de Kingston et les Îles sont attachés à la mère patrie et à la Reine. Je suis persuadé que le God Save the Queen est chanté régulièrement dans Kingston et les Îles. On peut entendre chanter le God Save the Queen sur la baie de Gananoque et partout dans votre comté, monsieur le président. Mais, malheureusement, les francophones, en ce 1er juillet 1867, acceptent mal qu'on se mette à appeler les anglophones des «Canadians», car le mot «Canayens» était autrefois réservé aux francophones du Bas-Canada.

Rappelons, monsieur le président, que ce 1er juillet 1987, aucun référendum ne vint entériner cette décision. L'Acte de l'Amérique du Nord britannique est une loi anglaise, qui prit force de loi après avoir été votée uniquement par le Parlement britannique. En principe, malgré le Statut de Westminster, elle ne peut être amendée ou modifiée que par une loi anglaise. Précisons que, si l'on excepte ce qui s'est passé au Nouveau-Brunswick et à Terre-Neuve, avant la proclamation de la loi, aucune consultation populaire, aucun référendum, aucune élection n'ont été faits sur ce thème. Personne au Canada ne fut même élu avec le mandat de changer la Constitution.

Le 6 avril 1868, les opposants les plus farouches à la Confédération étaient certainement les Néo-Écossais. Monsieur le président, ils avaient même mis les drapeaux en berne le 1er juillet 1967.

• 2130

Monsieur le président, pour qu'on puisse mieux apprécier quel était l'état de la population en 1871, je vous dirai que le Québec avait 1 194 151 habitants, tandis que la population du Canada moins le Québec était de 2 497 741 personnes.

Le 2 mars 1878, Luc Letellier de St-Just, ministre libéral à Ottawa, est nommé lieutenant-gouverneur à Québec. Les relations entre lui et le premier ministre Charles Eugène Boucher de Boucherville sont si tendues qu'il le destitue. Il nomme, le 8 mars 1878, Henri Gustave Joly de Lotbinière, un autre libéral, premier ministre.

Le 1er septembre 1880, en vertu de l'Imperial Order-in-Council du 31 juillet 1880, tous les territoires et possessions britanniques en Amérique du Nord qui n'étaient pas encore intégrés au Canada et toutes les îles adjacentes à ces territoires et possessions, sauf la colonie de Terre-Neuve et ses dépendances, sont annexés au Canada.

Le 11 mai 1885, c'est le début de la bataille de Batoche, en Saskatchewan, à l'issue de laquelle la milice canadienne écrasera la nation Métis, dirigée par Louis Riel, lors de la seconde révolte du Nord-Ouest. Quoique francophone, il sera jugé par un jury unilingue anglophone. Il fut reconnu coupable et pendu le 16 novembre 1885 à Regina.

Le 16 novembre 1885, cette pendaison de Louis Riel a déclenché une vague de fond nationaliste canadienne-française. On prône l'idée d'un parti national qui unirait toutes les forces de la nation.

Le 16 décembre 1891, les partis fédéraux s'inquiètent de tous les égards dont bénéficie Honoré M.rcier, un nationaliste québécois capable de réussir à faire du Québec un État indépendant. Ils cherchent donc à tout prix à le faire tomber. Ils découvrent, le 16 décembre 1891, que la subvention versée par le gouvernement fédéral pour la construction du chemin de fer de la Baie des Chaleurs, et dont Honoré M.rcier était le bénéficiaire, avait été en partie détournée par Ernest Pacaud, le trésorier du parti de M.rcier. Le lieutenant-gouverneur Auguste-Réal Angers le destitue d'office. Traduit en justice sous une accusation de pot-de-vin dans un contrat de papeterie avec J.-A. Langlais, il est acquitté le 4 novembre 1892. Il a été réélu.

Monsieur le président, on a là une bonne démonstration de ce qui arrive lorsque... Monsieur le président, je ne sais pas si vous allez être d'accord avec moi, mais on dirait quasiment que l'histoire se répète dans une certaine mesure. On voit ce qui arrive au ministère du Développement des ressources humaines. L'opposition, depuis la reprise des travaux parlementaires le 7 février, dit qu'on a subi des pertes de 1 milliard de dollars, alors que le premier ministre nous dit qu'il ne s'agit que de 251,58 $. Où est la vérité entre 1 milliard de dollars et 251 $?

Donc, comme je le disais, Honoré M.rcier a été réélu dans Bonaventure en 1892. Il conserve son poste jusqu'à son décès, le 30 octobre 1894.

Le 23 juin 1896, Wilfrid Laurier, un libéral, est élu premier ministre. Wilfrid Laurier est un Canadien. Il croit au plus profond de lui-même que les deux peuples qui vivent dans ce pays ont tout intérêt à s'unir et à chercher ce qu'ils ont de semblable plutôt qu'à cultiver leurs différences.

Wilfrid Laurier veut que le Canada prenne ses distances face à la Grande-Bretagne et aux États-Unis. Lors de la campagne électorale, le droit à l'éducation en français au Manitoba refait surface. Wilfrid Laurier, politicien habile plus que défendeur convaincu de la minorité catholique, refuse de prendre position clairement. C'est drôle: quand la soupe devient chaude, on refuse d'y goûter.

Pourtant, Wilfrid Laurier, aidé du premier ministre manitobain Thomas Greenway, abolit les écoles francophones séparées du Manitoba. Il autorise toutefois l'enseignement religieux en français ou dans toute autre langue étrangère dans la dernière demi-heure de cours.

Le 12 octobre 1899, la Grande-Bretagne entre en guerre contre les Boers. Les Canadiens anglais veulent aider la mère patrie, tandis que les Canadiens français, les Canayens, qui se reconnaissent dans les Boers, refusent que le Canada se mêle d'une guerre qui ne les regarde pas.

• 2135

Henri Bourassa rejette l'impérialisme de la Grande-Bretagne. Wilfrid Laurier adopte un arrêté ministériel et met 8 300 soldats à la disposition de la Grande-Bretagne et lui octroie 3 millions de dollars. Cette solution de compromis lui évite la crise.

Monsieur le président, étant donné que je vois que mon collègue de Broadview—Greenwood, M. Mills, est très attentif à nos propos, je crois que je vais passer en quatrième vitesse et aller beaucoup plus lentement pendant les 11 heures et 55 minutes qu'il me reste. Je vais parler beaucoup plus lentement pour lui permettre, ainsi qu'à nos spécialistes de l'interprétation qui sont très compétents sur la Colline du Parlement,...

Le président: Et pour le président.

M. Michel Guimond: Et pour le président. Je vais donc parler un peu plus lentement. Cependant, monsieur le président, si vous voyez que je tombe endormi pendant que je parle, j'espère que vous serez assez vigilant pour me tenir éveillé.

M. Daniel Turp: Moi, je vais m'en occuper, Michel.

M. Michel Guimond: Il faut se rappeler que Wilfrid Laurier avait déjà clairement fait savoir au ministre anglais Joseph Chamberlain, à l'occasion du jubilé de diamant de la reine Victoria—tout le monde se souviendra que le jubilé de diamant de la reine Victoria a eu lieu en 1897—, que dans l'éventualité d'une guerre entre la Grande-Bretagne et les Boers, le Canada ne s'en mêlerait pas et ne mettrait aucunement l'armée canadienne à la disposition de l'Angleterre.

Quand la guerre des Boers éclate, Henri Bourassa rappelle à Wilfrid Laurier son engagement en ces termes:

    C'est parce que les circonstances sont difficiles que je vous demande de rester fidèle à votre parole. Gouverner, c'est avoir assez de coeur pour savoir, à un moment donné, risquer le pouvoir pour sauver un principe.

Voilà les paroles que prononçait Henri Bourassa en parlant à Wilfrid Laurier.

Au cours des débats en Chambre, Henri Bourassa s'oppose à ce que la solde payée aux soldats partis pour le Transvaal soit le taux canadien, qui était à ce moment-là plus élevé que le taux anglais. Il se fait huer par des députés anglophones. Quand il tente de s'expliquer en français, il se fait crier: Speak white.

Le 6 novembre 1900, Alphonse Desjardins, aidé de son épouse Dorimène et de quelques citoyens, fonde à Lévis la première caisse populaire. Je reconnais ici, à ma gauche, le député de Lévis, qui représente bien son comté. Je suis persuadé que le Mouvement Desjardins est, pour lui et pour tous les citoyens du beau comté de Lévis-et-Chutes-de-la-Chaudière, une source de fierté. L'idée d'Alphonse Desjardins à ce moment-là était d'organiser le crédit populaire sur la base de l'épargne populaire. Il entendait ainsi combattre l'usure, les prêts usuriers, et offrir un véritable instrument d'émancipation économique. Son initiative a connu un tel succès qu'aujourd'hui le Mouvement Desjardins compte 5 millions de membres et que ses actifs sont deux fois plus élevés que le budget du gouvernement québécois.

En fin de semaine, monsieur le président, on élisait le nouveau président du Mouvement Desjardins pour succéder à M. Claude Béland. Je voudrais en profiter pour féliciter M. Alban D'Amours de son élection à la tête du Mouvement Desjardins, au nom de tous les collègues du Bloc québécois et aussi, j'en suis persuadé, au nom des 301 députés de la Chambre des communes. Le Mouvement Desjardins fait certainement la fierté du mouvement coopératif, aussi bien au Québec qu'au Canada et n'importe où ailleurs dans le monde. Le Mouvement Desjardins est un bel exemple du caractère distinct du Québec.

En 1904, Henri Bourassa commence à plaider en faveur de l'utilisation du bilinguisme dans les institutions fédérales. Il appuie une motion d'Armand Lavergne, qui en avait fait la proposition. Cette motion ne récolte presque aucun appui. À partir de ce jour, il cherchera à faire accepter la présence des Canadiens français d'une mer à l'autre.

Les difficultés rencontrées par les francophones hors Québec sont légion. Wilfrid Laurier plaide en Chambre en faveur de donner aux deux nouvelles provinces de l'Alberta et de la Saskatchewan le même droit aux écoles que le Québec. Une écrasante majorité d'anglophones refuse de le suivre dans cette voie. Les francophones se retrouvent avec encore moins de droits qu'ils en ont au Manitoba.

• 2140

Et Henri Bourassa de conclure à l'occasion d'une assemblée publique:

      Chaque fois que je retourne dans ma province, je regrette d'y voir se développer le sentiment que le Canada n'est pas le Canada pour tous les Canadiens. Nous sommes forcés d'en venir à la conclusion que le Québec est notre seul pays parce que nous n'avons pas de liberté ailleurs.

Monsieur le président, Henri Bourassa a dit cela en 1904, avant même la fondation du Parti québécois, avant même celle du Bloc québécois, qui a eu lieu en mai 1990 lors du congrès de Sorel-Tracy.

Si Henri Bourassa disait en 1904 que le Québec est notre seul pays parce que nous n'avons pas de liberté ailleurs, cela illustre bien la fameuse question qu'on se fait toujours poser depuis que le mouvement souverainiste est né, il y a 40 ou 45 ans: «What does Quebec want?» Qu'est-ce que vous voulez? Qu'est-ce qui ne fait pas votre affaire?

Le 1er septembre 1905, monsieur le président, la Saskatchewan, ayant pour capitale Regina, et l'Alberta, ayant pour capitale Edmonton, deviennent les huitième et neuvième provinces canadiennes en vertu de l'Acte de la Saskatchewan et de l'Acte de l'Alberta. Elles sont constituées à même la superficie que formaient antérieurement les districts provisoires d'Assiniboia, d'Athabaska, d'Alberta et de Saskatchewan. La création de l'Alberta et de la Saskatchewan amène Wilfrid Laurier à prôner la solution retenue au Manitoba. Ce geste déterminant signe l'arrêt de mort d'un pays bilingue et d'un véritable dualisme culturel au Canada.

Monsieur le président, pour bien comprendre comment la situation évoluait au Québec en parallèle, j'aimerais vous citer un texte d'un écrivain autrichien qui s'appelle Stefan Zweig et qui avait écrit sur le Québec et la ville de Québec le 25 mars 1911. Pour qu'on se replace dans le contexte, je préciserai que cet écrivain était en voyage aux États-Unis et qu'il avait pris le train pour venir au Québec. Il nous disait:

    À Boston, le soir d'hiver avait été gris. Dans ces villes industrielles américaines, on ne sent pas le jour s'enfuir: le nuage gris de fumée moite, que des milliers de cheminées et de navires à vapeur ballonnent sans relâche, se fait toujours plus dense, toujours plus trouble, toujours plus oppressant. Puis tout d'un coup, les panneaux-réclame s'illuminent, des slogans criards gravissent les frontispices des édifices géants à une vitesse périlleuse, plongent tête première et les escaladent de plus belle. Alors on sait que le soir tombe: les réverbères s'éclairent le long des avenues, les masses tumultueuses s'immobilisent et tout plonge dans un gris métallique terne. Dans ces villes, l'hiver préfère passer en habits de brouillard.

    Puis, hors de cette ville oppressante, en route vers le nord!

Monsieur le président, il faut comprendre que cet écrivain autrichien est en direction de la ville de Québec, en route vers le nord.

    Ici, les trains ont un rythme plus vif, les jours gris dans ces villes fébriles vous coulent du plomb dans les membres, et on connaît un sommeil accablant, lourd, assouvi.

    Le matin, je m'éveille; en-dessous de moi, les roues tournent. Quelque chose m'a réveillé, plus sympathique que tout autre jour passé en Amérique jusqu'ici, quelque chose de clair, de resplendissant. Je lève le regard. Les rideaux sont fermés. Mais leur verre laisse percer une sorte de soleil méridional.

    Rideau! Et je dois fermer les yeux. Jamais je n'ai vu de neige si éclatante. Aussi loin que porte le regard, à perte de vue de toutes parts: une neige parfaitement lisse sur toute l'étendue des steppes canadiennes,...

Monsieur le président, pour bien comprendre sa perspective, il faut comprendre qu'en 1911, on parlait des steppes canadiennes. Le Canada et le Québec étaient un pays peu peuplé avec des steppes immenses.

    ...éblouissante de clarté dans les premiers rayons de soleil qui, rouge et rond, roule toujours plus haut à l'horizon. L'air est calme et clair: on peut voir à des milles à la ronde, et on ne se lasse pas de voir une neige d'hiver blanche, magnifiquement pure et paisible. Et tout au-dessus, le ciel devient, avec le jour naissant, toujours plus bleu; et toujours plus scintillant, toujours plus éblouissant dans le soleil incandescent ce blanc incomparable.

• 2145

    Et cela se poursuit des heures et des heures durant. D'une manière quelconque, il a fallu que la clarté pénètre mon corps par les yeux, les poumons: une vigueur magnifique vous envahit d'un coup. L'envie vous prend de bondir hors du train, de courir, de marcher dans cet air enivrant de clarté:...

Voilà qui est pertinent au projet de loi sur la clarté; il parle d'un air enivrant de clarté.

    ...une certaine sensation d'activité—semblable à celle qu'on perçoit aussi dans les villes américaines, toutefois moins nerveuse par ici et plus énergique—s'éveille en vous devant ce paysage déployé à l'infini sous vos yeux.

    Des heures durant dans la lumière blanche. À l'occasion le train traverse une forêt en sifflant: les arbres se sont débarrassés de la neige qu'ils portaient sur les bras, ils les tendent, libres, vers le bleu, les pieds toujours emprisonnés dans le sol blanc. Les maisons elles aussi—des maisons de bois, rouges et jaunes, accueillantes et simples—sont déjà animées et brillent par leurs fenêtres; là-haut le faîte en est encore coiffé d'un couvre-chef d'hiver blanc. Dans les gares on aperçoit les premiers Canadiens, des visages frais, hâlés, des statures élevées dans des chandails multicolores, ou des fourrures hirsutes. On entend pour la première fois le français singulier des gens. Tirés par de petits chevaux presque comme ceux de la Russie, des traîneaux aux clochettes tintantes déferlent sous nos yeux. À un moment, une troupe de jeunes filles à skis nous rattrape le long de la voie ferrée...

Il faut comprendre, monsieur le président, que le train était en pente descendante; il ne faudrait pas que vous pensiez qu'il était en pente montante.

    À un moment, une troupe de jeunes filles à skis nous rattrape le long de la voie ferrée et pendant cinq minutes maintient, dans une dénivellation, la même cadence que le gigantesque engin du Canadien Pacifique. Enfin elles disparaissent dans le lointain, et la route se poursuit dans la neige silencieuse.

Je peux vous dire, monsieur le président, que si le train avait été en pente montante, il aurait fallu que les filles aient de bonnes jambes et de bons mollets.

    Enfin Québec, la vieille capitale de la Nouvelle-France. Pour s'y rendre, il faut traverser le fleuve Saint-Laurent depuis Lévis. Et il est grandiose de voir cet immense fleuve gelé en un unique bloc de glace d'une rive à l'autre. De grands vapeurs sont tenus prisonniers dans la grande couverture verte, de plus petits voiliers sont enduits d'une croûte de glace jusqu'au mât bien haut, comme s'ils étaient enveloppés d'une couverture de verre. Le traversier, muni de son propre brise-glace, se fraie un passage; il fait la navette sans relâche. Au cours de cette demi-heure, l'eau a eu le temps de former une autre croûte: on entend un léger crépitement sous la quille comme si l'on cassait en deux du verre filé.

    Sur l'autre rive attend Québec. Je ne connais rien de plus touchant dans notre conception actuelle du monde que ces îlots linguistiques esseulés qui se sont maintenus loyalement à travers les siècles et qui maintenant s'effritent silencieusement, qui courent à la ruine, obstinés et pourtant impuissants. Toute la germanicité en Amérique est un tel îlot qui s'effondre, mais ce déclin est, pour le regard, moins tragique, moins manifeste que celui que connurent d'autres possession françaises.

    De l'Inde, que Dupleix jadis conquit, il ne reste rien que Pondichéry—encore une de ces petites villes touchantes à la tradition loyale—, du Canada, qui fut français sous trois rois, plus rien hormis ces quelques villes qui se défendent toujours courageusement contre le raz de marée anglais. Deux, trois cents soldats dépêchés de France au moment opportun auraient pu sauver l'Inde, le Canada contre les Anglais: tristement, ces derniers Français, les descendants des héros que Cooper, que Thackeray ont célébrés dans leurs romans, le répètent ici comme là-bas. Champlain et Dupleix, ces grands héros de la France—à qui seulement le succès durable, les ailes de leurs exploits, faisait défaut—sont les véritables ancêtres spirituels de Napoléon. Sans ces valeureux aventuriers, Napoléon échappe autant à la compréhension que Shakespeare sans les dramaturges préélisabéthains. Tous deux ont des tombeaux perdus, et il faut parcourir des livres rares ou des contrées lointaines pour connaître l'ampleur de leurs exploits.

• 2150

Monsieur le président, je vais faire un aparté. L'auteur nous dit que tous deux ont des tombeaux perdus. Il y a une polémique qui règne actuellement à Québec puisqu'un archéologue qui s'appelle René Lévesque—il n'a aucun lien de parenté avec l'autre René Lévesque—est à la recherche depuis plusieurs années du tombeau de Champlain.

    Ce Québec, qui fut naguère la plus importante ville d'Amérique, le lieu à partir duquel la France allait étendre sa domination sur les États jusqu'aux Grands Lacs,—cette ville, naguère pleine d'aventures romanesques d'Indiens—fait penser aujourd'hui à une gentille petite ville française de province. D'un coup...

On est en 1911, monsieur le président.

    ...on oublie qu'on est en Amérique. Les gens d'ici n'ont pas cette hâte irritante, ils sont polis et ravis quand un étranger s'adresse à eux en français. Pour la première fois depuis des semaines, j'ai entendu des rires véritables, libres et désinvoltes, j'ai perçu, dans des ruelles étroites, un sentiment de profond bien-être. À travers les ruelles, en bas dans le port, on entend crier les panneaux-réclame anglais. Les édifices américains en briques, sans valeur, pour lesquels on n'a pas sacrifié un cent de bon goût, s'avancent les uns devant les autres, mais les gens passent sans les considérer. On n'entend que du français dans les rues et sur toute l'étendue du plateau, et encore loin vers l'est.

    On ne doit pas tarir d'éloge sur la ténacité digne d'admiration dont ont fait preuve ces quelques milliers de Français pendant environ cent cinquante ans pour défendre leur langue. Il est vrai que six millions d'Allemands, sinon davantage, ont été absorbés en Amérique, presque sans laisser de traces. Ils n'ont pas assuré la sauvegarde de leur langue dans la moindre ville, la moindre province. Et là, ces quelques milliers de Français, sans renforts de la mère patrie, sans soutien de qui que ce soit, ont préservé la langue et la tradition. Voilà une épreuve des plus singulières d'une race soi-disant si décadente, presque sans pareil dans l'Histoire moderne.

    On en apprend un peu plus là-dessus par une promenade à travers la ville. À droite et à gauche dans les ruelles, on rencontre des religieuses et des prêtres.

Il faudrait se rappeler, monsieur le président, que nous avons au Québec une tradition judéo-chrétienne très importante.

    En fait, ce sont eux qui ont maintenu la résistance. Rien n'a protégé les races latines—les Français au Canada et les états faibles et corrompus espagnols d'Amérique centrale—de l'assimilation à l'anglais autant que l'attitude rébarbative du catholicisme qui voyait toujours chez l'Anglais l'hérétique et l'ennemi juré. Pendant que le protestantisme allemand se fondait rapidement dans l'Église libre américaine, que la plupart des pasteurs prêchaient bientôt en anglais plutôt qu'en allemand, les prêtres ici ont, dans leurs écoles, élevé les enfants en français au catholicisme. Omnia instaurare in Christo est ici la devise des journaux français (qui, soit dit en passant, ont conservé leur identité nationale tandis que la presse allemande singe le style journalistique des journaux américains). L'intransigeance du catholicisme, et puis la fameuse descendance abondante des Français canadiens constamment citée en exemple en France mais non mise en pratique, ont constitué ici un bastion qui, de nos jours, représente un monument d'énergie nationale sans pareil.

    À vrai dire, cette lutte héroïque contre une prépondérance infinie semble tirer à sa fin. Les Français ont déjà perdu Montréal à cause de la rapidité avec laquelle vient s'établir ici une population étrangère. Cette ville, qui dans les dernières décennies, s'est développée de manière gigantesque, est le point de convergence d'une invasion européenne croissante année après année.

Le président: M. Alcock voudrait faire appel au Règlement.

[Traduction]

M. Reg Alcock: Monsieur le président, y a-t-il quorum?

Le président: Non, il n'y a pas quorum.

[Français]

Le quorum exigé pour entendre les témoignages est de cinq membres, mais il est de huit membre en tout autre temps. Je regrette donc de vous dire qu'en l'absence de quorum, nous devons ajourner la séance.

M. Michel Guimond: Mais, monsieur le président, j'aimerais vérifier...

Le président: Je voudrais dire à l'honorable député que nous continuerons quand nous reprendrons le débat.

M. Michel Guimond: Excusez-moi, monsieur le président, mais je voudrais m'assurer que j'aurai la parole lorsque nous reprendrons les débats. Quand reprendront-ils?

Le président: Demain matin, après que nous aurons entendu les témoins. La séance débutera à 9 h 30.

• 2155

M. Michel Guimond: Le discours portera-t-il sur la motion déposée par le secrétaire parlementaire?

Le président: Oui.

M. Daniel Turp: Je fais appel au Règlement. Je voudrais bien comprendre...

Le président: Je ne veux pas qu'on fasse appel au Règlement alors qu'il n'y a pas quorum.

M. Daniel Turp: Mais j'aimerais bien comprendre quelque chose.

Le président: Vous pourrez me poser des questions après l'ajournement de la séance.

Je déclare que la séance est levée.