FAIT Rapport du Comité
Si vous avez des questions ou commentaires concernant l'accessibilité à cette publication, veuillez communiquer avec nous à accessible@parl.gc.ca.
Exporter dans l'intérêt du Canada :
Examen de la Loi sur l'expansion des exportations
Rapport minoritaire
des membres de l'opposition officielle du
Comité permanent des affaires étrangères et du commerce
international
Le 13 décembre 1999
Deepak Obhrai, député et porte-parole de l'opposition officielle
en matière de commerce international
Le Parti réformiste soutient que le gouvernement ne devrait pas faire concurrence au secteur privé1.
À la page 13 de son Rapport sur l'examen de la Loi sur l'expansion des exportations, ci-après le Rapport, Gowling, Strathey and Henderson, ci-après Gowlings, écrit :
La SEE est l'une des dernières institutions du gouvernement fédéral à concurrencer directement le secteur privé au Canada dans ses opérations quotidiennes. Ses principaux concurrents au Canada sont les compagnies d'assurance-crédit, les sociétés d'affacturage et les banques.
À différents endroits dans le Rapport, Gowlings fait observer que le statut de la SEE en tant que société d'État « constitue certainement un avantage concurrentiel par rapport au secteur privé2 ».
Aux audiences du Comité permanent tenues le 23 novembre à Ottawa, presque tous les témoins représentant l'industrie canadienne de l'assurance ont réclamé instamment que la SEE quitte le marché de l'assurance-crédit à court terme et le marché intérieur de l'assurance3.
M. Jules R. Quenneville a dit au Comité que dans tous les autres pays de l'OCDE, les organismes publics ne participaient plus au marché de l'assurance-crédit à court terme sauf pour certaines transactions à haut risque. Il a décrit à quel point le Canada était décalé par rapport au reste du monde :
La SEE est la seule à consacrer presque toutes ses ressources à des services que les banques et les assureurs fournissent depuis de nombreuses années dans d'autres pays4.
Ce point de vue est confirmé par les banques :
La SEE se trouve en concurrence directe avec les banques. Le secteur bancaire suggère que les transactions financées par la SEE soient permises seulement lorsqu'il y a absence de participation du secteur privé5.
En fait, les cinq plus grandes banques de l'Annexe V fournissent maintenant 9 $ en financement à moyen terme pour chaque dollar fourni par la SEE6. Hélas, une grande partie de ce travail se fait par l'entremise d'entreprises étrangères et en collaboration avec des organismes de crédit à l'exportation (OCE) étrangers, de préférence à la SEE, car ceux-ci offrent une garantie de remboursement à 85 p. 100 de la valeur du prêt. Au Canada, non seulement la SEE concurrence-t-elle directement les banques canadiennes, mais les ententes qu'elle conclut pour garantir les prêts bancaires à moyen terme qui sont liés à l'exportation désavantagent les banques canadiennes par rapport à leurs concurrents étrangers et compliquent les accords de syndication entre plusieurs pays7.
En fonction des témoignages entendus au Comité, des mémoires reçus par l'opposition officielle et du Rapport lui-même, où il est reconnu que la SEE concurrence directement les banques et les assureurs du Canada, il convient de se poser trois questions :
1. Pourquoi la SEE existe-t-elle?
2. Est-ce que cette concurrence entre le gouvernement et le secteur privé est dans l'intérêt national?
3. Devrait-on garder la SEE à long terme?
Pourquoi la SEE existe-t-elle?
La Société pour l'expansion des exportations vise « à soutenir et à développer le commerce entre le Canada et l'étranger ainsi que la capacité concurrentielle du pays sur le marché international8 ». Son mandat original consistait à fournir des services à l'exportation que le secteur privé ne pouvait pas offrir et à « protéger les exportateurs canadiens en réagissant à la concurrence des organismes étrangers bénéficiant du soutien de leur gouvernement9 ».
Ainsi, l'existence de la Société pour l'expansion des exportations repose dans une grande mesure sur le fait que la plupart sinon la totalité des autres pays exportateurs ont aussi un OCE. Partout dans le monde, les OCE fournissent de l'assurance à l'exportation à long terme ainsi que du financement d'exportation à moyen et long terme pour l'achat d'avions, de navires, de centrales nucléaires, de satellites et d'autres produits de prix élevé; le prêt est souvent fait à un gouvernement étranger souverain et sera remboursé sur une dizaine d'années ou plus. Comme le secteur privé n'est généralement pas tenté par de telles aventures, de nombreux pays jugent nécessaire d'avoir un OCE pour concurrencer les autres pays dans la vente de leurs produits très coûteux aux gouvernements étrangers.
La concurrence offerte par la SEE et opposant le gouvernement et le secteur privé est-elle dans l'intérêt national?
Dans le monde du crédit à l'exportation, la capacité des OCE soutenus par leurs gouvernements de subventionner inéquitablement les exportations, et par conséquent de fausser la concurrence, a donné lieu à la rédaction des règles du Consensus de l'OCDE en 1978. Celles-ci ont été « mises en oeuvre pour éviter le recours aux montages financiers déloyaux appuyés par les gouvernements et susceptibles de fausser le jeu des ventes de biens et de services10. »
Depuis l'adoption du Consensus en 1978, le financement abusivement subventionné (ou prédatoire) a permis aux OCE soutenus par leurs gouvernements de donner aux produits de leurs pays un avantage concurrentiel injuste, et a joué un rôle dans le récent différend entre le Canada et le Brésil concernant les jets régionaux et dans le long conflit entre Airbus et Boeing. Le besoin crucial de règles claires a été souligné en 1998 lorsque l'OCDE a tenté de nouveau de rédiger un accord pour que les pays se livrent concurrence sur la base de leurs produits et non de leur trésor national. Voici l'objectif premier de l'Arrangement relatif à des lignes directrices pour les crédits à l'exportation bénéficiant d'un soutien public de l'OCDE :
« Offrir un cadre institutionnel permettant d'instaurer un marché ordonné des crédits à l'exportation, c'est-à-dire d'éviter que les pays exportateurs ne se livrent à une surenchère sans frein où chacun cherche à offrir les conditions de financement les plus favorables plutôt que des produits de qualité au meilleur prix. L'Arrangement offre un cadre pour les crédits à l'exportation publics. Il assigne certaines limites aux conditions des crédits à l'exportation d'une durée égale ou supérieure à deux ans c'est-à-dire qui sont assurés, garantis, prorogés, refinancés ou subventionnés directement par les organismes de crédit à l'exportation ou par leur intermédiaire11. »
Dans un monde où le financement à l'exportation fait l'objet de différends commerciaux prolongés, la transparence devient importante pour prouver que le financement n'est pas subventionné. Elle permet aux tiers neutres de faire la différence entre un accord qu'un OCE finance parce que les conditions sont trop risquées pour le secteur privé et un autre où l'OCE se sert de ses fonds gouvernementaux pour offrir du financement attrayant pour les éventuels clients de ses exportateurs.
Ainsi, à la page 33 de son Rapport, Gowlings écrit :
« Certains membres de l'OCDE souhaitent que l'ensemble des activités des OCE se conforme à la discipline imposée par le Consensus. Ces pays remettent en question l'idée qu'un OCE puisse gérer son propre compte selon les modalités du marché et un compte public selon les exigences du Consensus. Ils soutiennent que le statut d'organisme public devrait automatiquement entraîner son adhésion aux lignes directrices du Consensus pour l'ensemble de ses opérations. Un tel argument n'est point convaincant par rapport à la SEE, laquelle est financièrement autonome depuis sa création, exception faite d'une année d'opérations. (notre soulignement)
Ainsi, le fait que la SEE est autonome est vu, du moins dans certains milieux, comme la preuve qu'elle ne peut pas offrir d'assurance ou de financement prédatoire. Ce point de vue a été rejeté complètement par Patricia Adams, directrice exécutive de Probe International, dans son témoignage du 16 novembre 1999 devant le Comité :
La SEE finance ses activités à des taux préférentiels alimentés par la bonne foi et le crédit des contribuables. Elle ne verse pas d'impôts au gouvernement ni de dividendes à des actionnaires et elle n'a pas à obtenir de réassurance ou à respecter les mêmes règles que celles qui régissent le secteur privé. Le rapport Gowlings reconnaissait que ces avantages financiers confèrent vraisemblablement à la SEE, grâce à son statut de société de la Couronne, « un avantage compétitif » sur ses concurrents du secteur privé. Le rapport Gowlings confirmait également que la SEE devait prospecter le secteur rentable des services financiers privés, tant les banques que les assurances, pour financer les projets commercialement non viables et à haut risque.
Gowlings reconnaît sans difficulté que c'est en faisant concurrence au secteur privé que la SEE gagne l'argent qui lui permet de financer les projets plus risqués tout en demeurant financièrement autonome :
L'obligation faite à la SEE d'être financièrement autonome et de fonctionner sans subvention ou infusion de capitaux de la part du gouvernement explique son appétit du risque ainsi que la concurrence qu'elle livre pour conclure des opérations de bonne qualité. En résumé, sans les opérations commerciales de qualité supérieure qui permettent de compenser ses opérations à risque plus élevé, la SEE devrait disposer de capitaux plus élevés et recevoir chaque année une allocation budgétaire du gouvernement12.
Ainsi, Gowlings semble favorable à ce que la SEE continue de faire concurrence au secteur privé :
Des représentants des institutions financières du secteur privé et d'autres personnes ont soutenu que la SEE devrait être un intervenant de dernier ressort dans les domaines où le secteur privé fournit des services. Toutefois, il semble clairement établi que la SEE ne pourrait pas continuer à être une organisation financièrement autonome si elle devait se replier sur elle-même de cette façon13.
En fait, si elle devait se replier, le secteur privé, qui paie des impôts et verse des dividendes et qui doit respecter la réglementation canadienne, fournirait de l'assurance à l'exportation à court terme et un certain financement des exportations à moyen terme. L'essentiel du financement et de l'assurance à moyen et à long terme (trop risqués pour le secteur privé) serait fourni par une SEE réduite ou directement par le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international. Le contribuable serait en bout de ligne responsable du capital de la SEE. En conséquence, les décisions que prend actuellement la SEE derrière des portes closes seraient sans doute examinées de plus près par le Parlement. En outre, les observateurs pourraient plus facilement distinguer entre les projets trop risqués pour le secteur privé et ceux pour lesquels le support du gouvernement sert à influer sur une opération, à la rendre possible ou à empêcher que les exportateurs d'un autre pays l'enlèvent.
Nous croyons que le rôle du gouvernement en matière d'assurance ou de financement des exportations devrait se limiter à fournir directement des services qui ne seraient pas viables dans le privé. Nous croyons aussi que les banques et les sociétés d'assurance devraient être traitées de façon à leur assurer des règles du jeu équitables par rapport aux institutions financières dans d'autres pays de l'OCDE qui ont des OCE.
Par conséquent, l'opposition officielle recommande :
I. Que l'assurance à court terme sur le marché national et à l'exportation revienne au secteur privé. En fin de compte, si une opération à court terme semble trop risquée pour le secteur privé, il n'y a pas de raison que le contribuable canadien souhaite y participer;
II. Que le gouvernement offre aux banques un programme rattaché au Compte du Canada qui fournirait des garanties pour les prêts assujettis aux règles du Consensus. Dans un tel scénario, le gouvernement garantirait une partie (jusqu'à 85 p. 100) du prêt moyennant un commission d'encours ou de garantie. Ainsi, les banques canadiennes auraient les mêmes chances que leurs concurrents étrangers, la SEE leur ferait une moindre concurrence et elles seraient encouragées à participer davantage aux contrats multipays qui exigent la syndication; et
III. Que le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international ou un organisme fédéral, comptable au Parlement, assume la responsabilité de tout autre service que le secteur privé ne peut fournir.
Faudrait-il maintenir un OCE à long terme?
Si les participants de l'OCDE prennent au sérieux leur Arrangement de 1998, le secteur privé pourrait bientôt fournir presque tout le financement et toute l'assurance à l'exportation. Le mode de fonctionnement pour les coûteux projets à long terme pourrait être le même que pour les achats d'automobiles. Pour le client, la décision d'acheter serait fondée sur les avantages concurrentiels du produit. Le financement (peut-être offert par un consortium multinational) serait fondé sur la cote de crédit de l'acheteur et sur la possibilité de prendre une participation dans le produit acheté.
De fort arguments circulent en faveur de l'abolition des OCE, de sorte que tout le financement des exportations soit fourni par le secteur privé à des conditions commerciales, mais, évidemment, aucun pays ne peut se permettre de supprimer ses OCE unilatéralement14.
Il est clair qu'aussi longtemps que nos concurrents auront un OCE appuyé par l'État, le Canada aura besoin d'un organisme pour offrir aux clients de nos exportateurs du financement et de l'assurance à des conditions qui n'intéresseraient peut-être pas le secteur privé, tout en demeurant « non prédatoire » du point de vue des OCE étrangers et du contribuable canadien. En même temps, le Canada doit faire pression pour des changements qui s'accordent avec la situation mondiale et les principes commerciaux en évolution.
Depuis la création, en 1944, de la Société d'assurance des crédits à l'exportation, nombre des entités du gouvernement souverain qui avaient été les principaux clients pour les aéronefs, les systèmes téléphoniques, les satellites, les navires et les centrales électriques ont été privatisées. Dans le monde entier, les transporteurs aériens sont maintenant passés au secteur privé, et les navires appartiennent à des pétrolières, des croisiéristes et des entreprises de cargos et de traversiers. Des sociétés privées lance des satellites privés pour des diffuseurs privés. Des consortiums privés construisent des aéroports, des tunnels, des routes, des chemins de fer de banlieue et des réseaux téléphoniques dont ils sont propriétaires et qu'ils exploitent. Même les banques privées de pays communistes comme la Chine financent les infrastructures et sont de plus en plus prêtes à participer au financement des exportations aux conditions du marché. Graduellement, l'acheteur « souverain » est remplacé par un acheteur privé, qui ne peut se servir de la souveraineté comme d'un bouclier pour éviter d'avoir à rembourser sa dette. Ces faits nouveaux et les engagements récents en faveur de « règles du jeu équitables », de l'« élimination des subventions » et de la « transparence » dans les accords commerciaux récents permettent d'envisager un monde où les OCE des années 1950 auront disparu.
Par conséquent, l'opposition officielle recommande :
IV. Que le Canada, conformément à l'esprit de l'Arrangement de 1998 de l'OCDE, utilise les cycles de négociation de l'OCDE et de l'OMC pour promouvoir la modification des règles du commerce international de façon à finir par rendre obsolètes tous les prêteurs bénéficiant d'un soutien public.
1 Feuillet bleu, Principes et politiques du Parti réformiste du Canada, 1999. Privatisation et sociétés d'État, p. 30.
2 Rapport, p. 61. Des commentaires semblables figurent aux pages 14, 18, 70 et 77.
3 Les témoins étaient M. Jules R. Quenneville (président et chef de la direction, The Guarantee Company of North America), M. Mark Perna (président, Accord Business Credit, et président de l'Association canadienne d'affacturage), M. Paul Kovacs (vice-président principal du Bureau d'assurance du Canada), M. Robert J. Labelle (vice-président principal et agent en chef, Euler American Credit Indemnity), M. Michael Teeter (directeur, The Industry Government Relations Group) et M. Clive Aston (président, Canadian Financial Insurance Brokers Ltd.)
4 Jules R. Quenneville, audiences du Comité, 23 novembre.
5 Page 2 de la lettre du 25 novembre du président et chef de la direction de l'Association des banquiers canadiens, Raymond Protti, au ministre du Commerce international, l'honorable Pierre Pettigrew.
6 Source, tables des ligues de 1998 fournies par la Banque de Nouvelle-Écosse et figurant à la page 73 du Rapport.
7 Rapport, p. 74-76 et lettre (note 5 ci-dessus), pp. 2-3.
8 Objet de la Loi sur l'expansion des exportations, S.R.C., E-20.
9 Rapport, citation de la loi de 1944 qui a créé la Société d'assurance-crédit à l'exportation, le prédécesseur de la SEE.
10 Rapport, p. 31. Le Consensus est un engagement d'honneur entre les participants et n'a pas de valeur juridique.
11 Préambule de l'Arrangement. Les participants étaient : l'Australie, le Canada, la Communauté européenne (qui comprend les pays suivants : Allemagne, Autriche, Belgique, Danemark, Finlande, France, Grèce, Irlande, Italie, Luxembourg, Pays-Bas, Portugal, Espagne, Suède et Royaume-Uni), le Japon, la Corée, la Nouvelle-Zélande, la Norvège, la Suisse et les États-Unis.
12 Rapport, p. 12.
13 Ibid.
14 Tim Plumptre, premier vice-président, financement du commerce et services des banques correspondantes, Banque de Nouvelle-Écosse, dans une réponse écrite du 7 décembre 1999 aux questions soumises par le bureau du leader de l'opposition.