SIFS Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
Pour faire une recherche avancée, utilisez l’outil Rechercher dans les publications.
Si vous avez des questions ou commentaires concernant l'accessibilité à cette publication, veuillez communiquer avec nous à accessible@parl.gc.ca.
SUB-COMMITTEE ON INTERNATIONAL FINANCIAL REPORTING GUIDELINES AND STANDARDS FOR THE PUBLIC SECTOR OF THE STANDING COMMITTEE ON PUBLIC ACCOUNTS
SOUS-COMITÉ DES LIGNES DIRECTRICES ET NORMES INTERNATIONALES RELATIVEMENT AUX ÉTATS FINANCIERS DU SECTEUR PUBLIC DU COMITÉ PERMANENT DES COMPTES PUBLICS
TÉMOIGNAGES
[Enregistrement électronique]
Le mercredi 23 février 2000
Le président (M. John Williams (St. Albert, Réf.)): Bon après- midi, mesdames et messieurs. Nous sommes le Sous-comité des lignes directrices et normes internationales relatives aux états financiers du secteur public du Comité permanent des comptes publics.
L'ordre du jour du comité est le suivant: conformément à son mandat en date du mardi 7 décembre 1999, étude de questions relatives aux lignes directrices et normes internationales pour le secteur public.
Nous accueillons aujourd'hui M. Jean-Pierre Boisclair, de la Fondation canadienne pour la vérification intégrée, et M. Tim Plumptre, directeur de l'Institut sur la gouvernance.
Je crois que M. Plumptre a un autre engagement vers 16 h 30. C'est bien exact, monsieur Plumptre?
M. Timothy G. Plumptre (directeur, Institut sur la gouvernance): Je peux rester jusqu'à 16 h 45.
Le président: Bon.
Comme je le disais, M. Plumptre est directeur de l'Institut sur la gouvernance, dont les activités s'inscrivent dans quatre grands domaines: l'engagement des citoyens, la gouvernance autochtone, la capacité d'élaborer des politiques et la responsabilité et la mesure du rendement.
M. Boisclair appartient à la FCVI, dont les objectifs sont l'information de gouverne, les rapports sur la performance, les vérifications complètes et la reddition de comptes et la présentation d'informations au public.
Nous avons demandé à ces deux personnes de venir nous rencontrer aujourd'hui pour nous donner leur point de vue sur la question. Notre sous-comité s'informe sue les pratiques d'information financière et de comptabilité financière qui lui semblent les meilleures. Comme vous le savez, nous passons à une stratégie d'information financière, à une comptabilité d'exercice, et nous essayons donc de recueillir les meilleures informations possibles pour pousser éventuellement le gouvernement canadien à adopter ces démarches.
Nous souhaitons aussi diffuser ces informations à d'autres pays et institutions qui ont désespérément besoin de structures fondamentales de comptabilité et de présentation de rapports, car nous sommes bien conscients de la gravité du problème de la corruption partout dans le monde. Notre comité souhaite vivement faire tout ce qu'il peut pour lutter contre la corruption. Si l'on veut réussir un jour à éradiquer la corruption, quelque chose d'aussi simple que la présentation d'états financiers adéquats, corrects, vérifiés, et opportuns, ce qui est parfaitement élémentaire dans notre région du monde, devra constituer la pierre angulaire des régimes qui seront mis en place pour rendre des comptes.
Nous allons laisser la parole à M. Boisclair, qui a une déclaration d'ouverture et nous entendrons ensuite M. Plumptre. Ensuite, nous passerons aux questions et réponses.
Monsieur Boisclair.
M. Jean-Pierre Boisclair (président, Fondation canadienne pour la vérification intégrée): Merci beaucoup, monsieur le président et monsieur Harb. Je suis très heureux de vous rencontrer. Je vous remercie de cette invitation, et j'espère que mon témoignage vous sera utile.
Je vais peut-être vous parler dans une perspective un peu différente de celle qu'ont suivie les autres personnes que vous avez entendues, et qui représentaient plus la comptabilité financière et le point de vue de la vérification. Je vous parlerai dans l'optique d'une organisation qui s'efforce d'accumuler des connaissances dans un objectif de bonne gouvernance et d'améliorer la reddition de comptes, en se concentrant surtout sur les informations non financières et aussi sur le lien entre informations non financières et informations financières. C'est un véritable défi depuis plus de 20 ans aussi bien ici que dans la plupart des pays occidentaux industrialisés.
J'ai apporté aujourd'hui divers documents que j'ai remis au greffier et qui pourront être utiles à votre comité, pour éviter de me perdre dans toutes les ramifications de tout ce que nous avons accompli. En gros, nous vous avons remis un ensemble des principes qui, à notre avis, s'ils sont appliqués, attestent de la bonne gouvernance d'une organisation.
Nous avons élaboré et veillé à la mise en application concrète de cadres de rapport sur la performance non financière qui tiennent compte de l'impact des programmes, de leur pertinence et d'un certain nombre d'autres facteurs qui contribuent à constituer un ensemble de règles ou tout au moins une compréhension ou un corps de connaissances permettant aux responsables du secteur public qui veulent témoigner de leur performance et en rendre des comptes de le faire de manière réaliste et raisonnable.
Enfin, nous avons véritablement commencé...
Le président: Si vous me permettez de vous interrompre, monsieur Boisclair, vous parlez de votre livre intitulé Information en matière de gouverne, stratégies de réussite?
M. Jean-Pierre Boisclair: Oui.
Le président: Et vous parlez aussi de Rapport sur la performance publique: Programme de recherche et de développement de la CCAF-FCVI, et vous nous avez donné une trousse qui contient ces documents.
M. Jean-Pierre Boisclair: C'est exact.
Le président: Je voulais simplement que cela figure au compte rendu. Merci.
M. Jean-Pierre Boisclair: Bien.
Le troisième domaine rejoint nos remarques d'introduction, qui concernent la vérification. Quand des gens essaient de présenter le bilan de leur performance, peut-on avoir confiance dans ce qu'ils racontent?
Ce sont les trois domaines auxquels nous nous sommes intéressés. Il y a eu de gros investissements du secteur public, aussi bien au niveau fédéral que provincial, et du secteur privé, qui intervient aussi dans ce genre de recherche. Grâce à ces investissements, nous avons pu en 20 ans élaborer des cadres, des lignes directrices, toutes sortes de choses utiles.
Il y a 20 ans, si vous aviez commencé à discuter du rapport sur la performance, un grand nombre de personnes, des cadres de très haut niveau du secteur public, pas seulement au niveau fédéral, mais aussi au niveau provincial et ailleurs, vous auraient répondu: «Je n'en ai pas les moyens. Trouvez-moi le moyen de le faire et revenez en discuter avec moi». Nous avons donc passé 20 ans à essayer de trouver ces moyens. Et comme c'est le cas en général, quand on veut que quelque chose se réalise et qu'on en a les moyens, on peut y arriver.
La véritable question est donc de savoir pourquoi, même en disposant des règles, des lignes directrices ou de la capacité technique, on ne fait pas ce travail. Ou pourquoi on ne le fait pas de manière à donner à la personne qui en examinera les résultats l'assurance et la conviction que tout a été fait de façon correcte et satisfaisante. Nous avons donc axé récemment nos recherches et nos investissements sur ce que nous appelons la dynamique humaine qui sous-tend les rapports sur la performance publique. J'espère que mes remarques à ce sujet seront pertinentes dans le cadre de vos délibérations.
Si je pouvais revenir en arrière et décider maintenant de l'organisation de notre temps et de nos efforts pour essayer d'améliorer la qualité du rapport sur la performance au Canada, je dirais que dès le premier jour je ferais les choses différemment, et que je consacrerais la moitié de mon temps aux investissements et aux ressources dans le domaine humain de l'équation et la moitié à l'élaboration de solutions techniques, au lieu de tout axer sur l'aspect technique, en imaginant un peu naïvement qu'une fois trouvée la solution dans ce domaine, tout le reste se mettra en place. En fait, c'est une erreur.
• 1550
Nous avons récemment centré nos recherches sur diverses
questions qui sont à notre avis au coeur de la dynamique humaine du
rapport sur la performance publique. Cette remarque est vraie non
seulement dans le contexte du rapport sur la performance non
financière, mais aussi dans le contexte du rapport financier. Ces
questions concernent la gestion du risque et la façon dont les
représentants élus, les cadres supérieurs, les fonctionnaires et
les professionnels qui font des vérifications partagent le risque,
évaluent le risque, traitent les uns avec les autres, leurs
rapports, leurs attentes raisonnables, la place qu'occupe le
processus de rapport dans leur façon de penser, et aussi la mesure
dans laquelle ils envisagent de faire rapport sur quelque chose
après coup ou ils commencent au contraire à intégrer cette notion
beaucoup plus tôt dans leur réflexion, au stade de l'élaboration
des politiques et des programmes.
Ces recherches ont aussi porté sur les principes qui représentent dans l'esprit de toutes ces personnes le pragmatisme au sens le plus positif de ce terme. Il faut en quelque sorte que ces règles du jeu soient en place si l'on veut que les gens soient motivés et se sentent à l'aise pour aller de l'avant.
Cela dit, et je ne vais pas entrer dans le détail de tout cela, l'un des éléments essentiels qui s'est dégagé par-dessus tout, c'est le leadership. Le leadership est indispensable si l'on veut avoir un rapport sérieux sur la performance, qu'elle soit financière ou autre. Nous avons donc essayé de déterminer les caractéristiques de ce leadership. Il ne s'agit pas de rédiger un ouvrage sur le leadership et la gestion dans le secteur public, l'objectif est simplement de nous concentrer sur les caractéristiques essentielles de leadership qui sont requises si l'on veut pouvoir présenter des rapports qui se tiennent.
J'aimerais vous parler de ces caractéristiques, qui ne sont pas présentées dans la documentation que vous avez reçue, car nous n'avons pas encore terminé ce travail et nous ne l'avons pas encore publié. J'espère que ce sera chose faite d'ici un mois ou deux. J'ai néanmoins pensé qu'il serait utile de vous en parler aujourd'hui.
La première idée, c'est que le leadership doit être ciblé si l'on veut progresser dans ce domaine. Il faut qu'il soit axé sur un objectif, qu'il vise à réaliser quelque chose et à présenter un rapport sur un ensemble gérable de résultats critiques, qu'ils soient financiers ou autres.
L'une des leçons que nous avons tirées de nos travaux, c'est que si l'on essaie d'axer ce leadership uniquement sur la comptabilité, on ne réussit pas. Les dirigeants qui vont examiner cette question dans le contexte des objectifs, des résultats, des politiques et des valeurs de leur organisation vont avoir une vision plus claire et être mieux armés pour mener à bien l'entreprise de présentation de rapports au sein de leurs services publics.
Ce leadership consiste manifestement à passer de ce que beaucoup appelleraient une culture du secret à une culture de la description des risques. Ce n'est pas facile, et cela veut dire que ce leadership doit être inspiré par les instances dirigeantes et imprégner tout le système, et qu'il doit pouvoir compter sur l'appui des politiciens et de l'administration.
Cela dit, dans une perspective internationale, l'une de nos grandes joies au cours des 20 dernières années a été d'avoir la possibilité de former ici au Canada environ 150 cadres supérieurs des bureaux des vérificateurs généraux de pays en développement dans le monde entier et de leur faire expérimenter nos programmes. Le constat que nous avons tiré de cette expérience, c'est qu'il est fondamental d'établir au départ ce seuil d'éthique et de valeurs si l'on veut que la vérification et les techniques de présentation de rapports soient appliquées avec succès dans ces pays.
L'autre dimension du leadership, c'est sa dimension véritablement concrète. Le leadership n'est pas une abstraction. Il doit se traduire en quelque chose de concret, de palpable. Il doit se manifester dans les décisions, pas seulement dans les décisions faciles mais aussi dans les décisions difficiles, il doit être au coeur de la formulation des politiques et des programmes, ainsi que de leur contrôle. Il doit se traduire par des régimes d'incitation et d'autres pratiques qui encouragent la volonté et la capacité de présenter des rapports sur la performance.
• 1555
Tout ceci pour dire que seuls les plus hautes instances d'une
organisation sont en mesure d'actionner ces leviers, et qu'il n'a
pas été facile d'en convaincre les dirigeants du Canada sur ce
genre de questions. Nous vivons dans un pays qui chérit la paix,
l'ordre et le bon gouvernement. En revanche, quand on se penche sur
ce genre de choses dans des pays qui ne sont peut-être pas aussi
avancés, il ne suffit pas de proposer un ensemble de règles qui
nous paraîtraient appropriées et raisonnables. Il faut mettre en
place un ensemble de motivations plus élevées. Il faut
véritablement proposer des stimulants et des motivations pour que
les gens se décident à rechercher et à atteindre ces objectifs.
Une des grandes idées qui ressortent aussi de notre travail, c'est que la notion de leadership doit s'inscrire dans la durée. La présentation de rapports sur la performance publique, que ce soit dans le domaine financier ou non, est quelque chose de risqué pour les organisations du secteur public, soit parce qu'on risque de commettre une erreur et de se faire critiquer à cause de cela, soit parce qu'on va présenter le bilan d'une performance de façon correcte, exacte et juste, mais que les destinataires de ce bilan ne vont pas être contents de ce qu'ils vont lire et vont là aussi vous critiquer. Dans ces conditions, il faut qu'il y ait à la tête des organisations des dirigeants prêts à surmonter la vague et à s'inscrire dans la durée. Nous avons constaté que c'était un défi particulièrement ardu dans les pays en développement pour lesquels nous avons formé des vérificateurs. Au fond, c'est la notion de ténacité.
Il y a une autre dimension du leadership, une dimension fondamentale dans notre réflexion, c'est le fait que le leadership doit reposer sur des valeurs. Ces valeurs doivent aller bien au- delà des valeurs et de l'éthique axées sur les considérations juridiques et de probité clairement énoncées que l'on associe aux entreprises publiques. Il faut qu'il y ait un ensemble de valeurs et de principes moraux qui s'étendent aux répercussions de ce que font les organisations du secteur public sur leurs utilisateurs ou sur les citoyens dans leur domaine. C'est peut-être un défi encore plus grand. C'est un défi extrême pour de nombreuses organisations, et c'est pourtant un aspect essentiel de la dynamique humaine du leadership lié à la présentation de rapports sur la performance publique.
En dernier lieu, je voudrais souligner que ce leadership doit être épaulé. C'est toujours un plaisir de voir des dirigeants du secteur public embrasser en théorie les principes conduisant à de meilleurs rapports sur la performance financière ou non financière, mais cela ne se fait pas tout seul dans la pratique. Il faut qu'il y ait en même temps un engagement à investir sur le plan humain et financier pour confirmer l'adhésion à ces notions.
Quand on travaille à élaborer des modes beaucoup plus sophistiqués de rapport sur la performance non financière et qu'on envisage des régimes de rapports financiers plus rigoureux pour les organisations du secteur public, on se rend compte que cela implique des jugements professionnels extrêmement difficiles. C'est quelque chose qui va exercer une pression extrême sur les organisations du secteur public, c'est-à-dire sur le genre d'individus qui y travaillent et la façon dont ces organisations gèrent ces personnes pour réussir.
• 1600
J'ai choisi de me concentrer sur certains des aspects du
leadership, parce que c'est vraiment la clé le tout. Il faut
élaborer des règles du jeu sérieuses qui permettent de présenter
des rapports financiers et non financiers et de relier ces rapports
financiers et non financiers. Il faut élaborer des règles du jeu
sérieuses liées à la dynamique humaine du système, et en
particulier au type de leadership qui sera manifesté par les
dirigeants et par les cadres de tous les niveaux des organisations
du secteur public dans ce domaine.
Je vais m'arrêter ici, monsieur le président et je me ferai un plaisir de répondre à vos questions.
Le président: Merci, monsieur Boisclair.
Avant de poursuivre, je précise que M. Boisclair nous a aussi laissé un petit livret intitulé Vérification intégrée: Introduction, qui a l'air aussi d'être très instructif.
Nous allons maintenant écouter les remarques liminaires de M. Plumptre, qui nous a aussi remis un dossier contenant des informations sur l'Institut sur la gouvernance.
Vous pouvez faire vos remarques d'introduction, monsieur Plumptre.
M. Timothy Plumptre: Monsieur le président, comme l'a dit M. Boisclair, c'est un plaisir de vous rencontrer. Je suis honoré de comparaître devant votre comité.
C'est aussi un plaisir d'avoir l'occasion de discuter avec mon ancien député, M. Harb. J'ai déménagé, mais pas lui.
M. Mac Harb (Ottawa-Centre, Lib.): Désolé de vous avoir perdu. Vous étiez dans le Glebe, n'est-ce pas?
M. Timothy Plumptre: En effet, dans le Glebe.
M. Mac Harb: Vous voyez? Je savais exactement où il vivait.
Des voix: Oh, oh!
M. Timothy Plumptre: On ne peut pas lui échapper.
Quoi qu'il en soit, c'est aussi un plaisir pour moi d'être ici avec mon ami Jean-Pierre Boisclair, que je n'avais pas vu depuis très longtemps. Il est toujours remarquablement éloquent et mieux préparé que moi, et je me sens donc un peu en retrait par rapport à lui. Évidemment, Jean-Pierre est arrivé avec un exposé bien préparé, ce qui n'est pas mon cas. Mais puisque je passe en second, cela m'a donné le temps d'organiser un peu mes pensées, et je vais donc pouvoir peut-être faire une petite introduction.
Franchement, en examinant les documents qui m'avaient été envoyés avant cette réunion, j'ai eu un peu de mal à définir exactement le mandat et les objectifs du comité et à saisir ce qui pouvait le motiver à s'intéresser à ce sujet. J'ai donc pensé que, plutôt que de vous parler de ce qui pouvait vous intéresser à mon avis, j'allais vous parler de façon plus générale de notre Institut et du travail que nous avons fait dans le domaine de la mesure de la performance, et ensuite vous proposer de me poser des questions. Je me suis dit que ce serait une façon de procéder plus productive pour vous.
Je vais donc vous dire quelques mots sur l'Institut. Nous sommes un organisme à but non lucratif. Nous existons depuis 1990. Nous avons deux bureaux, un à Kuala Lumpur et un à Ottawa, et un personnel de 17 personnes. Nous n'avons aucun financement de base. Pratiquement toutes nos activités sont financées par l'adjudication de contrats. En substance, ce que nous faisons, c'est que nous inventons des choses qui nous sembleraient intéressantes à réaliser, et nous essayons ensuite de trouver des gens assez fous pour financer ces projets. Nous réussissons bien depuis 10 ans, mais nous ne nous reposons pas sur nos lauriers pour l'avenir.
Nous faisons trois choses. Nous faisons de la recherche; nous faisons beaucoup de formation, nous organisons des conférences, des colloques et ce que nous appelons des activités de partage, des activités d'apprentissage et de partage de connaissances; nous faisons aussi un peu de travail d'expert-conseil, qui consiste à appliquer les connaissances que nous avons dans des situations concrètes.
Nos recettes proviennent environ pour moitié du travail que nous faisons dans le cadre d'institutions ici au Canada, et environ pour moitié de notre travail dans le cadre d'institutions à l'étranger, un travail financé en partie par l'ACDI, en partie par la Banque mondiale, en partie par le PNUD et dans une moindre mesure par d'autres organisations.
Nous avons travaillé dans le monde entier. Récemment, nous avons travaillé dans des endroits aussi divers que la Lettonie, la Jamaïque, le Liban—où la famille de M. Harb a ses racines—, l'Égypte, tous les pays d'Asie du Sud-Est et le nord-est de l'Afrique. Nous avons donc des activités très diverses dans un vaste éventail de pays.
Pourquoi cela? J'ai fondé cet institut, et je l'ai fait pour trois raisons. Premièrement, je pensais qu'il serait utile d'avoir une organisation qui nous permettrait de faire partager l'expérience du secteur public canadien à d'autres pays. Je pensais qu'en dépit de notre tendance canadienne à nous critiquer, nous ne sommes pas si mauvais que cela au fond en matière de gestion du secteur public. En dépit de ce qui se passe actuellement au Parlement, dans l'ensemble nous faisons tout de même du bon boulot.
M. Mac Harb: Vous pourriez répéter cela, s'il vous plaît?
Des voix: Oh, oh!
M. Timothy Plumptre: Ceci n'est absolument pas une annonce politique payée.
Des voix: Oh, oh!
M. Timothy Plumptre: Nous avons une expérience utile à partager en matière de gestion d'organisations publiques, du Parlement et des vérificateurs généraux aux organismes de supervision et aux ministères, etc. Cela a donc été l'un des éléments qui m'ont motivé à fonder cet institut.
En second lieu, j'estimais qu'il était avantageux pour le Canada d'essayer d'importer des idées intéressantes de l'étranger. Nous avons essayé à notre échelle modeste de contribuer à importer des idées intéressantes de l'étranger et à les diffuser au Canada.
Et troisièmement, mais ceci est un aspect beaucoup plus mineur de notre rôle tel que nous le concevons, nous essayons de temps à autre de prendre de petites initiatives dans l'intérêt de ce que nous considérons être de la bonne gouvernance. Parfois, par exemple, la fonction publique a de la difficulté à se prononcer sur des choses qui nous semblent importantes, alors nous prenons position sur la question. Mais dans l'ensemble, nous ne sommes pas un organisme militant, et si nous faisons la promotion de quelque chose, c'est, comme je le disais, dans l'optique de la bonne gouvernance.
Pourquoi faisons-nous cela? Nous le faisons parce que nous sommes convaincus que la bonne gouvernance est étroitement liée au développement économique et social. Il existe une documentation de plus en plus abondante, aussi bien dans le domaine des Premières nations que sur le plan international, qui montre que les facteurs institutionnels et en particulier la bonne gouvernance sont des aspects extrêmement importants du développement économique et social, et qu'en leur absence, on a tendance à ne pas avoir de croissance économique ni de progrès des conditions sociales.
Nous faisons donc cela non pas parce que nous considérons la gouvernance comme une notion abstraite, mais parce que nous sommes convaincus au contraire qu'elle est directement liée à quelque chose d'important pour la société.
Si vous voulez, je pourrais poursuivre là-dessus, mais je ne vais pas le faire maintenant. Si vous le souhaitez, je pourrais vous parler un peu de la gouvernance, vous dire en quoi elle diffère du gouvernement et pourquoi elle est importante, et je pourrais vous parler un peu de bonne gouvernance. Mais dans un souci de brièveté, je laisserai cela de côté pour l'instant et je vous dirai simplement quelques mots sur les rapports sur la performance.
Nous avons été un peu étonnés d'être invités à comparaître devant un comité qui examine les normes de rapports financiers internationaux, car nous n'avions pas l'impression d'y connaître grand-chose. En revanche, nous pensons avoir notre mot à dire sur la question du rapport sur la performance dans le secteur public en général. J'ai donc quatre ou cinq petites choses que je voudrais vous mentionner à ce sujet.
Premièrement, je pense que les membres du comité connaissent bien les distinctions entre probité, efficience et efficacité. Sinon, il est très important de le comprendre. C'est le fondement absolu de l'évaluation et de la vérification dans le secteur public.
Si vous avez été exposé à ce cadre conceptuel assez simple et élémentaire, vous savez peut-être qu'on a fait énormément de travail au sein des fonctions publiques, que ce soit ici ou ailleurs dans le monde, sur l'amélioration des rapports sur la performance. Si vous n'avez pas contacté le Secrétariat du Conseil du Trésor, vous pourriez peut-être les inviter à venir vous parler du travail qu'ils ont accompli en matière de rapports sur la performance dans divers secteurs de compétence. C'est une organisation beaucoup plus grosse que la nôtre, et je crois qu'ils ont un programme de recherche dans ce domaine.
Il y a aussi un universitaire, Paul Thomas, qui a travaillé dans ce domaine. Peut-être serait-il utile de l'inviter à venir vous rencontrer.
En ce qui concerne le rapport sur la performance et les efforts des fonctionnaires pour élaborer des mesures de plus en plus efficaces... Nous avions dans le passé ce que l'on appelait la Partie III du Budget au Canada. Cela n'existe plus, et il y a maintenant de nouvelles normes de rapports sur les aspects non financiers des travaux du gouvernement. Le problème, c'est qu'il n'y a pas beaucoup de demande pour ce genre de choses. Il y a une petite demande, j'imagine que les parlementaires aiment bien avoir ce genre d'information, mais dans l'ensemble, pour ce qui est des rapports approfondis, réfléchis et de longue haleine sur la performance des organisations du gouvernement, personne n'a vraiment le temps d'examiner en profondeur cet aspect de la question.
En nous interrogeant sur les raisons de cet état de choses, nous avons constaté qu'il remontait à la structure fondamentale de notre Parlement. Les députés et sénateurs ne peuvent pas exercer beaucoup de contrôle sur la façon dont on dépense l'argent. Les travaux du Parlement sont conçus de manière telle que, même si les membres du Parlement ont le temps et l'occasion d'analyser ce genre d'information très complexe, ils ne peuvent pas y faire grand-chose de toute façon.
C'est pourquoi, dans nos travaux sur le rapport sur la performance, nous avons eu tendance à insister sur le lien entre la réforme institutionnelle qui donnerait plus de pouvoir aux représentants élus des citoyens et la disponibilité de l'information.
Je ne suis pas sûr que la disponibilité de l'information soit en elle-même très importante, car on constate que les efforts bien intentionnés accomplis au sein de la fonction publique ont tendance à se diluer au bout de quelque temps parce que personne ne les exploite vraiment. On produit des kilos et des kilos de documents qui font, comme le disait quelqu'un à propos d'un rapport gouvernemental dont je me souviens, de bons arrêtoirs de portes, mais qui ne servent pas à grand-chose d'autre.
• 1610
Toutefois, si vous vous intéressez plus à ce qui se passe dans
d'autres pays, je vous encourage à en discuter avec les gens du
Conseil du Trésor et peut-être avec M. Thomas.
Je pourrais peut-être vous signaler deux autres choses, à propos de la fourniture d'une meilleure information sur la performance des organismes publics. J'ai connaissance de trois initiatives qui tranchent de manière très intéressante avec les méthodes traditionnelles de mesure de la performance. Ce sont les initiatives dites de «ville durable» intitulées «Sustainable Seattle», «Sustainable Calgary» et «Sustainable Penang».
Je crois que Seattle a été la première. En gros, il s'agissait d'une initiative d'un groupe de citoyens qui se sont réunis pour essayer de dégager ce qui était important pour eux dans leur ville, de faire participer leurs concitoyens à l'identification de ces éléments importants et à l'invention de moyens de mesurer ces éléments intangibles mais très importants de la qualité de la vie des citoyens au sein d'une ville.
Lors de ce genre d'entreprise, les citoyens vont par exemple dire que ce qui est vraiment important, c'est la culture et le patrimoine, ou encore les possibilités de trouver du travail, ou encore l'état de l'environnement naturel, des choses comme cela. Les citoyens se réunissent ensuite en groupes dirigés par des animateurs pour essayer de trouver des moyens de mesurer ces éléments. Si l'élan se maintient, ils vont suivre la situation et au bout d'un certain temps ils vont commencer à avoir des indicateurs leur permettant de savoir si elle s'améliore ou empire.
Notre Institut a participé à l'initiative «Sustainable Penang» en Asie du Sud-Est, et je pourrais vous en parler un peu plus ou vous laisser des documents à ce sujet. Il existe aussi des sites Web sur «Sustainable Calgary» et «Sustainable Seattle». C'est donc une façon très différente de concevoir la manière d'obtenir l'information et de déterminer qui en est le responsable.
C'est une vision introspective qui n'est pas particulièrement axée sur la performance du gouvernement, mais plus simplement sur la qualité de vie d'une collectivité, et c'est donc très différent de l'optique traditionnelle en matière d'examen de la performance, qui consiste à se pencher sur un secteur ou un ministère du gouvernement et à voir s'il fait du bon travail.
J'aimerais enfin vous signaler que nous sommes partie prenante à deux études en ce moment. Je ne sais pas exactement où nous en sommes à ce sujet actuellement. Je sais qu'une des deux études est en cours, et que l'autre est peut-être en attente. Ce sont deux études réalisées pour le compte de la Banque mondiale.
La première concerne l'impact des interventions de la Banque mondiale sur les institutions responsables de la reddition de comptes. La Banque mondiale s'intéresse de très près à la corruption. Elle a financé divers efforts à travers le monde pour lutter contre la corruption. L'un des outils dont elle se sert pour s'attaquer à ce problème, ce sont ce que l'on appelle les institutions de reddition de comptes, qui peuvent être des choses comme des bureaux directeurs de la vérification, des commissions des droits de la personne, des ombudsmans, etc.
La Banque mondiale a décidé de lancer une étude pour voir si ces organisations avaient un effet quelconque, et en particulier si leur travail avait un impact sur la corruption, qu'il soit dit en passant est définie de façon très précise comme étant un délit d'action personnel, l'abus de pouvoir d'une fonction publique pour réaliser un gain personnel. La corruption ne désigne donc pas nécessairement la simple gabegie administrative d'un ministère. Ce qui intéresse surtout la Banque mondiale, ce sont les gens qui essaient de détourner de l'argent et des biens à des fins personnelles. Mais je pense que l'étude aura des ramifications plus vastes.
Nous participons actuellement à la phase d'élaboration de cette étude. Je n'ai pas de documents à vous donner, car j'ai cru comprendre que votre comité voulait avoir des documents dans les deux langues officielles, et les documents de travail que nous avons sont uniquement en anglais, donc je ne peux pas les déposer pour l'instant au comité. Toutefois, cette étude est actuellement en cours, et le gros du travail va commencer le 1er juillet. Nous préparons actuellement le cadre conceptuel et la méthodologie.
L'autre étude, qui est un peu plus floue dans mon esprit, mais qui pourrait être intéressante si elle se concrétise, viserait à déterminer comment les assemblées législatives demandent des comptes aux directions exécutives dans une vingtaine de pays du monde. Ce sera une analyse comparative de ces modes de reddition de comptes dans un groupe de pays différents.
• 1615
Sur ce, je pense en avoir déjà trop dit, mais j'espère que
cela vous a été utile.
Le président: Merci pour ces remarques, monsieur Plumptre.
Nous allons passer à M. Harb.
M. Mac Harb: Tout d'abord, je vous remercie tous les deux de ces excellents exposés. Vous tombez à pic, vos interventions cadrent à la perfection avec le travail que nous sommes en train de faire.
À mon avis, nous essayons d'accomplir deux choses.
Premièrement, nous voulons établir ou faire établir des lignes directrices et normes internationales à l'intention de tous les gouvernements du monde pour que ces gouvernements publient des états financiers annuels en se fondant sur des principes semblables. De cette manière, si un homme d'affaires ou un gouvernement ou une organisation, une société d'État, etc. veut examiner ces états financiers, ils pourront les lire en comprenant à quoi correspond chaque rubrique. Si des entreprises ou des sociétés veulent aller investir dans un pays donné, elles pourront savoir si elles peuvent le faire en examinant le bilan du gouvernement. C'est un des éléments de notre recherche, et c'est cet aspect de la recherche qui m'intéresse.
Le deuxième élément, comme mon collègue le suggérait, le deuxième jumeau est encore dans le ventre de sa mère. Ce qui l'intéresse, c'est toute la question de la corruption et de la bonne gouvernance. J'imagine qu'on pourrait faire d'une pierre deux coups, car si l'on met en place une norme internationale et un bon système de présentation des états financiers partout, en s'appuyant sur les mêmes principes fondamentaux, les choses seront transparentes, elles seront claires, et il y aura moins de corruption parce que n'importe quel citoyen de ces pays pourra aller examiner ce qu'il est advenu de tel ou tel projet, voir combien il a coûté, combien on a dépensé et où est passé le reste de l'argent.
Par conséquent, de ce point de vue, vos deux exposés coïncident parfaitement avec ce que nous faisons.
Je voudrais demander au greffier s'il serait possible, lorsque nous rédigerons notre rapport final, d'y intégrer certains des commentaires ou recommandations qui figurent dans les documents que les témoins nous ont remis, avec leur permission, même si ces commentaires ou recommandations n'ont pas été officiellement notés au compte rendu. Est-ce qu'il serait possible d'ajouter cela comme information de référence?
Le président: Puisque les documents ont été déposés dans les deux langues officielles, le comité pourrait, sauf objection de la part de M. Boisclair, les plagier, si j'ose utiliser ce terme.
M. Jean-Pierre Boisclair: Utilisez-les comme bon vous semble.
M. Mac Harb: Je suis tellement en accord avec vous que je crois que je n'ai même pas une seule question à vous poser, sauf peut-être une petite.
Dans le secteur public, on veut parfois mesurer la performance, mais comment peut-on s'y prendre si par exemple le ministère de la Santé lance un projet dans la communauté, un projet d'action communautaire, pour inciter les femmes enceintes à se nourrir correctement, à faire de l'exercice, ce genre de choses? Dans ce genre de cas, comment peut-on mesurer la performance?
Je voudrais que vous me disiez juste ce que vous en pensez, parce que c'est une question que je me pose depuis un certain temps et que le vérificateur général fait souvent allusion à l'efficacité des programmes gouvernementaux. J'aimerais bien avoir votre avis là-dessus à tous les deux.
Le président: Au fait, vous avez remarqué que la cloche sonne.
M. Mac Harb: Nous avons 15 minutes ou une demi-heure?
Le président: Nous avons une demi-heure, donc comme nous devons nous rendre à la Chambre, nous lèverons la séance à 16 h 35. Je vais donc vous demander d'essayer d'être brefs et concis.
Monsieur Boisclair, vous avez un commentaire? Ensuite nous passerons à M. Plumptre.
M. Jean-Pierre Boisclair: Oui.
Le fond de tout ceci, et on le constate aussi dans les rapports financiers, c'est qu'on utilise le terme «mesure», et dès l'instant où l'on parle de mesure, on associe cela à la notion de précision, à un degré poussé de précision. La réalité, c'est qu'il y a des aspects des programmes du secteur public, et des aspects des entreprises du secteur privé, qui sont difficiles à mesurer. Si tout va bien, avec des techniques d'analyse et de recherche créatives, on peut commencer à parler de performance; on peut peut- être commencer à en avoir une idée approximative. Mais il restera tout de même un degré important d'incertitude.
• 1620
Deux choses nous préoccupent dans les rapports sur la
performance publique. D'une part, on s'attend à ce que chaque
dollar investi soit investi sans le moindre risque, et par
conséquent à ce que le niveau de performance soit de 100 p. 100.
Cela n'est pas réaliste et cela ne correspond pas au contexte dans
lequel fonctionne le secteur public. Cette attente ne prend pas en
compte les risques que prend le secteur public dans ses programmes,
pas plus qu'elle n'est conforme à la façon de fonctionner du
secteur privé.
Par conséquent, en premier lieu, on va essayer de mesurer quelque chose, mais pour pouvoir en déterminer la performance ou en tirer des conclusions, il va falloir comparer cela à autre chose, et cette autre chose, c'est ce que l'on attendait de cette entreprise. On ne prend pas le temps de bien définir cela, et l'on se contente d'utiliser toute une gamme de techniques analytiques, proposées par des comptables, par des experts en sciences sociales, par des représentants de toutes les disciplines possibles et imaginables, pour recueillir des preuves de ce qui s'est fait. Mais on ne se rend pas bien compte que parfois ces éléments de preuve sont assez loin ou même parfois très loin d'être parfaits ou même convaincants.
M. Timothy Plumptre: Je suis entièrement d'accord avec ce que Jean-Pierre vient de dire, et je vais simplement ajouter une ou deux choses.
Plus on s'écarte du domaine de la probité, qui est liée à la notion de clarté et au mode de présentation des états financiers, pour s'attaquer à des domaines tels que l'efficience et l'efficacité, plus on s'écarte du domaine des faits pour entrer dans le domaine des jugements.
Quand la Loi sur le vérificateur général a été modifiée au Canada en 1978, je crois, les membres du comité qui avaient été nommés pour examiner le mandat du vérificateur général à l'époque ont abondamment débattu de la question de savoir si le vérificateur général pouvait présenter des rapports sur l'efficacité. En fin de compte, ce comité a décidé, et ses recommandations ont été adoptées par le gouvernement, que le vérificateur général du Canada ne devait pas présenter de rapport sur l'efficacité, parce que la notion d'efficacité est très ambiguë, très liée à des jugements de valeurs.
Je pense que le vérificateur général a trouvé un moyen de contourner ce problème dans l'exercice de ses fonctions. Dans de nombreux autres États ou secteurs, et Jean-Pierre connaît certainement mieux cette question que moi, les organismes de vérification tels que le Bureau du vérificateur général sont effectivement mandatés pour faire rapport sur l'efficacité.
Pour vous montrer à quel point une telle notion peut être sujette à interprétation, si je prends l'exemple des mères qui obtiennent un complément alimentaire, je pourrais dire que c'est un excellent programme parce que cela permet à des personnes qui étaient mal nourries de se nourrir correctement. Mais quelqu'un d'autre va dire: «C'est un programme scandaleux, parce que ces mères devraient travailler et gagner de l'argent. Pourquoi l'État les nourrit-elles? C'est un bon exemple de la corruption et de la décadence de notre société. Ces mères comptent sur l'État pour faire des choses qu'elles devraient faire elles-mêmes». Donc, le verre est à moitié plein ou à moitié vide selon le système de valeurs qu'on utilise pour examiner un programme donné.
Il faut bien comprendre qu'une bonne partie des discussions sur l'efficacité dans le secteur public s'articulent sur le système de valeurs qu'on a choisi.
J'ajouterais une autre remarque à propos de la compréhension de la performance des programmes gouvernementaux. Je ne le fais plus beaucoup ces jours-ci, mais naguère je faisais assez souvent du travail d'évaluation des programmes gouvernementaux. Et systématiquement, je m'apercevais qu'on n'avait pas énoncé de façon claire les motifs de base et les objectifs fondamentaux du programme.
Jean-Pierre a dit que l'une des conditions essentielles pour pouvoir évaluer la performance, c'était de la comparer à autre chose, et il a raison, mais il y a un autre moyen d'évaluer la performance, c'est de faire des comparaisons historiques. Qu'en était-il avant, et qu'en est-il maintenant par rapport à avant? Mais si l'on n'a jamais vraiment précisé les raisons d'être du programme—et les politiciens ont souvent tendance à éviter de le faire, parce qu'ils aiment bien que les choses restent un peu incertaines...
Le président: «Floues», je pense que ce serait le mot.
M. Timothy Plumptre: Ambiguës, il faut avoir une marge de manoeuvre...
Le président: Je crois que nous avons opté pour le mot «floues».
M. Timothy Plumptre: ... pour pouvoir éventuellement exercer une certaine influence politique là où c'est nécessaire, ou ne pas le faire. Il y a toutes sortes de variations.
Quoi qu'il en soit, très souvent ces raisons d'être des programmes ne sont pas clairement énoncées, ce qui fait que quand on veut en évaluer la performance, on s'aperçoit qu'on ne sait pas pourquoi ils avaient été mis sur pied au départ, et qu'on a des points de vue divergents.
• 1625
Toute cette histoire d'évaluation de la performance, c'est un
art, pas une science.
M. Mac Harb: Merci, monsieur Plumptre.
Le président: Merci.
Vous nous avez parlé tous les deux de présentation de rapports, et j'ai été très intéressé de vous entendre dire, monsieur Boisclair, que si vous deviez recommencer, vous consacreriez la moitié de vos ressources à l'aspect humain de l'équation. J'ai bien réfléchi à la question de la reddition de comptes et je me suis aperçu que des choses comme le rapport du vérificateur général sur la performance n'intervenait qu'après coup.
À mon avis, la responsabilité, ou reddition de comptes, si je me reporte à la définition, ce sont des forces échappant à votre contrôle qui vous incitent à agir et à penser d'une certaine manière, en principe de manière honnête et efficace, etc. Ce sont donc des facteurs de motivation plutôt que la menace du bâton qui va s'abattre sur vous. Plus on peut mettre en évidence ces motivations, de sorte que les gens savent exactement ce que l'on attend d'eux, savent que l'on reconnaît et que l'on récompense ceux qui atteignent leur objectif ou qui font mieux que leur objectif, ou que l'on sanctionne ceux qui n'ont pas atteint cet objectif...
Je me demande comment on peut passer d'un contexte où ce genre de choses n'existent pas à un contexte où l'on part du principe que c'est comme cela que les choses doivent se faire.
Nous n'avons pas et nous n'aurons jamais un système parfait. Il ne s'agit pas de mesurer la perfection. La mesure est simplement un élément de sanction qui permet de dire: «Ah! Nous constatons que vous n'avez pas atteint vos objectifs. Par conséquent, il a une sanction pour cet échec dont vous êtes responsable, et vous devez en subir les conséquences».
J'essaie d'imaginer comment nous pourrions faire cette transition. Nous avons une bonne idée de l'utopie, ou de ce qui nous semble être les meilleures pratiques. Nous n'en sommes pas encore là, et dans bien des pays du monde, la situation laisse tragiquement à désirer. J'ai entendu parler de cas où le rapport du vérificateur général a 10 ans de retard et n'est pas près d'être présenté, de cas où aucun état financier n'a été présenté depuis 15 ans, etc.
Il y a donc une transition à faire. Comment peut-on amener un pays dont la situation actuelle est lamentable ou laisse quelque peu à désirer—tout le monde a ses imperfections—à s'orienter vers des principes de gestion corrects?
Ce sera la dernière question, car nous devons aller voter.
Jean-Pierre.
M. Jean-Pierre Boisclair: Vous allez peut-être trouver cela d'une banalité à pleurer, mais je crois que ce qu'il faudrait, c'est que ces gouvernements soient tenus de respecter ces valeurs et ces normes pour pouvoir avoir des activités à l'échelle mondiale et obtenir un financement ou une aide internationale quand ils en ont besoin.
Le président: Autrement dit, vous dites qu'il faut mettre en place les incitatifs, les éléments qui vont les motiver à évoluer.
M. Jean-Pierre Boisclair: En effet. Il faut que cela fasse partie de l'entente.
Le président: Bon.
Monsieur Plumptre.
M. Timothy Plumptre: Vous mettez le doigt sur le point crucial, les stimulants. Le problème de l'évolution institutionnelle des pays en développement est d'une complexité extrême.
Le président: Pas seulement là-bas, ici aussi.
M. Timothy Plumptre: Ici aussi.
Quand vous essayez de comprendre pourquoi l'évolution ne se fait pas, vous trouvez souvent une foule de facteurs historiques et contextuels, etc., mais fondamentalement tout cela se ramène à la question des stimulants. S'il n'y a pas de stimulants pour les faire évoluer, les gens ne changent pas.
Jean-Pierre a aussi mis le doigt sur quelque chose dont il est bon de se souvenir, le fait que le leadership vient généralement du secteur privé. Il est beaucoup plus difficile de mesurer la performance des organismes gouvernementaux que des entreprises, mais si l'on peut améliorer les normes de présentation de rapports sur la gouvernance dans le secteur privé, on amène progressivement le gouvernement à améliorer lui aussi sa performance. Et les investisseurs aiment bien investir dans des pays où il existe de bonnes normes de reddition de comptes publics et où les choses sont prévisibles.
Tous ces éléments se renforcent mutuellement. Si les entreprises améliorent leur performance, elles poussent par contrecoup le secteur public à améliorer la sienne.
Le président: Il nous a fallu un bon bout de temps pour passer de l'imposition de la comptabilité d'exercice dans le secteur privé à son adoption par le secteur public.
Une voix: Nous progressons.
Le président: Oui, nous progressons.
Je vous comprends bien, et cela me fait penser à une expression et à un proverbe. La première, c'est: Si ça marche, on n'y touche pas. L'autre, c'est: «Nécessité est mère de l'invention». Parfois, nous nous laissons aller à la complaisance. Nous nous disons que cela marche bien. Nous pensons qu'un régime qui n'est pas ouvert à l'examen public, par exemple, peut continuer à fonctionner de cette façon, que c'est acceptable. Mais la responsabilité, la reddition de comptes, cela veut dire qu'il y a des sanctions si les choses ne sont pas faites de façon satisfaisantes.
L'autre aspect, ce sont les stimulants dont vous avez parlé. Il faut essayer de voir comment on peut mettre en place ces stimulants.
Quoi qu'il en soit, messieurs, nous devons mettre fin à cette séance car nous sommes attendus. La séance est levée.