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FOPO Rapport du Comité

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Opinion dissidente de l’alliance canadienne

La Loi sur les océans a-elle été efficace―

Le Canada a besoin d’une loi qui reconnaît le ministère des Pêches et des Océans (MPO) comme le principal organisme responsable de la politique sur les océans. Une telle loi confirmerait la priorité particulière de la pêche publique et la nécessité de protéger l’habitat du poisson.

La Loi sur les océans ne constitue pas une telle loi.

On l’a adoptée pour donner suite aux possibilités offertes par la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer, et il devait s’agir d’une étape importante vers la ratification de la Convention par le Canada.

La Convention sur le droit de la mer n’a jamais été ratifiée1.

La Loi devait renforcer le rôle du ministre des Pêches quant à la gestion des océans et reconnaître le MPO en tant que principal organisme responsable de la politique sur les océans. Cela ne s’est pas produit.

Non seulement la Loi sur les océans n’a pas confirmé le MPO comme principal organisme responsable de la politique sur les océans, mais elle a compromis le rôle constitutionnel unique du ministre des Pêches pour ce qui est de la protection de la pêche et de l’habitat du poisson.

Lorsque des décisions clés sont prises en ce qui concerne l’océan, le poisson et son habitat, le ministre et son ministère sont absents, ils sont disparus des écrans-radar.

On doit se demander pourquoi la Loi sur les océans n’a pas réalisé son but premier qui était de reconnaître le ministère des Pêches et des Océans comme principal organisme responsable de la politique sur les océans―

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Affaiblissement du rôle principal du MPO : Patrimoine canadien

Depuis l’adoption de la Loi sur les océans, de sérieuses questions se posent quant à savoir si le gouvernement veut laisser le MPO assumer le rôle principal à l’égard de la politique sur les océans.

Le gouvernement a présenté le projet de loi C-10, Loi concernant les aires marines nationales de conservation du Canada, qui placerait de vastes parties — encore non définies — des eaux côtières sous la responsabilité du ministre du Patrimoine canadien, en tant qu’aires marines de conservation. La Loi sur les océans confie déjà au ministre des Pêches un pouvoir concurrent d’établir des zones de protection marine.

Compte tenu de l’objectif de la Loi sur les océans d’établir le MPO comme point de convergence de la politique sur les océans, on devrait modifier cette loi afin d’y intégrer les objectifs du projet de loi C-10. La gestion intégrée des océans serait grandement facilitée s’il n’y avait qu’un ministre responsable plutôt que deux bureaucraties en concurrence.

Les pêcheurs et les autres parties prenantes sont dans la confusion la plus totale à cause du nombre de processus concurrentiels qui sont censés « planifier » l’environnement océanique; il n’y a aucune stratégie intégrée et il n’y en aura pas tant et aussi longtemps qu’un trop grand nombre de personnes et d’organismes seront en rivalité pour les différents morceaux du même gâteau.

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Affaiblissement du rôle principal du MPO : Environnement

Le ministère de l’Environnement a publié pour consultation publique un important document d’orientation intitulé Politique de conformité et d'observation visant les dispositions de la Loi sur les pêches pour la protection de l’habitat et la prévention de la pollution.

Dans ce document, le ministère de l’Environnement prétend que c’est lui, et non Pêches et Océans, qui est chargé d’administrer et d’appliquer les articles de la Loi sur les pêches qui portent sur le dépôt de substances délétères dans les eaux fréquentées par le poisson (habitat du poisson). Le ministre des Pêches et des Océans aurait dû occuper la première place à cet égard, et les pêcheurs auraient dû participer à chaque étape.

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Affaiblissement du rôle principal du MPO : Ressources naturelles

Sur la côte Est, le gouvernement a permis au ministre des Ressources naturelles de prendre des décisions quant au lieu et au moment d’activités d’exploration et de forage pétroliers, même si de telles décisions ont une incidence directe sur le poisson et son habitat.

Lorsqu’on a tenu une enquête afin d’examiner l’incidence de l’exploration et du forage pétroliers dans la région adjacente au Cap-Breton, c’est le ministre des Ressources naturelles qui était responsable au premier chef, même si la pêche était le seul secteur sur lequel l’exploration pouvait avoir des répercussions directes.

Le MPO ne s’est pas imposé efficacement dans le processus menant aux décisions clés sur l’exploration pétrolière.

Priorité constitutionnelle à l’égard de la pêche publique

En vertu de l’article 91 de la Constitution, le gouvernement fédéral a la compétence exclusive en ce qui concerne la conservation et la protection des ressources halieutiques canadiennes, qu’elles soient côtières ou dans les eaux intérieures.

Dans le jugement relatif au renvoi constitutionnel de 1913 sur les pêches en Colombie-Britannique, on disait que le droit de pêcher étant un droit public, tout ce qui pouvait être fait pour en réglementer l’exercice relevait du Parlement du Dominion, détenteur du pouvoir exclusif de réglementation à cet égard. La haute cour énonçait un point constitutionnel fondamental en matière de pêche, c’est-à-dire que le Parlement fédéral a la responsabilité exclusive de réglementer la pêche publique.

Dans Agawa, un arrêt plus récent, la cour a clairement résumé la responsabilité du gouvernement fédéral et du ministre des Pêches en disant que l’objet de la Loi sur les pêches et de ses règlements d’application, même si tous y sont assujettis, n’est pas d’abolir le droit de pêcher pour tous, mais de surveiller et de réglementer la pêche afin qu’il y ait, maintenant et dans l’avenir, une réserve adéquate de poisson.

En 1996, dans l’arrêt Gladstone, la Cour suprême a réitéré la primauté du « droit de pêcher ». Ce droit, a-t-elle dit, « ne peut être aboli que par l’édiction de textes législatifs constitutionnels ». Il est établi sans conteste depuis la Grande Charte qu’aucune nouvelle pêche exclusive ne peut être créée par la Couronne et qu’aucun droit du public de pêcher ne peut être retiré sans texte législatif constitutionnel.

Bref, la responsabilité et le mandat constitutionnels premiers du ministre des Pêches et des Océans consistent à réglementer et à protéger la pêche publique. La véritable question doit être de déterminer si la Loi sur les océans respecte la responsabilité première du ministre― En d’autres termes, est-ce qu’elle favorise ou compromet ses responsabilités constitutionnelles fondamentales―

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Gérer des intérêts concurrentiels

Malheureusement, la Loi sur les océans a créé un conflit entre, d’une part, la fonction première du ministre qui consiste à protéger la pêche et l’habitat du poisson, d’autre part, sa responsabilité de gérer les activités industrielles du secteur océanique.

Par exemple, le 15 mai 2001, le ministre a déclaré devant le Comité des pêches que, compte tenu de la Loi sur les océans, il considère maintenant que son rôle consiste à gérer les activités et intérêts concurrentiels dans nos eaux côtières : « Aujourd'hui, les activités traditionnelles, comme la pêche […], se déroulent parallèlement à des initiatives nouvelles et en expansion, comme l'exploitation pétrolière et gazière, le tourisme et l'aquaculture. Tous les utilisateurs des océans […] ont le droit de se prononcer sur la façon dont nos océans sont gérés à long terme. La gestion de cette croissance ― et de ces intérêts concurrentiels ― exige une d―marche cohérente et intégrée. Cette démarche est inscrite dans la Loi sur les océans. »

La Loi sur les océans n’oblige pas le ministre à faire fi de sa responsabilité première, qui est de gérer le droit de pêcher du public et ainsi de protéger la pêche et l’habitat du poisson, mais elle lui a donné ainsi qu’à son ministère une excuse pour passer outre à la primauté de la pêche et de l’habitat du poisson.

La pêche n’est pas une quelconque activité d’exploitation de l’océan comme l’aquaculture ou l’exploration et le forage pétroliers. Sur le plan constitutionnel, il y a une différence car il existe un droit de pêcher alors qu’il n’y a aucun droit comparable de mener des activités d’aquaculture ou de faire de l’exploration et du forage pétroliers. Du point de vue de l’environnement, la pêche est une activité différente de l’aquaculture ainsi que de l’exploration et du forage pétroliers. Les organismes marins étrangers et d’autres polluants, une fois libérés dans l’environnement, ne peuvent être récupérés. Les dommages causés peuvent être permanents.

Le problème fondamental de la Loi sur les océans est qu’elle ne tient pas compte de la situation unique de la pêche. À cause de cette lacune, on peut comprendre que le ministre considère que son travail consiste simplement à mettre en équilibre, selon une priorité égale, les demandes des nombreux utilisateurs potentiels du milieu océanique.

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Établir les priorités

La Loi sur les océans est une loi à la recherche d’une politique.

En effet, plutôt de préciser dans cette loi la politique et les priorités du pays, le Parlement a demandé au ministre d’élaborer une politique et de l’appliquer ensuite.

Malheureusement, le Parlement a abdiqué son rôle de législateur au profit du ministre et il ne lui reste plus que quelques critères pour juger si la Loi fonctionne comme prévu. Malheureusement, le ministre est lui aussi à la dérive puisqu’il n’a pas établi d’objectifs et de lignes directrices clairs. Dès le départ, le Parlement aurait dû énoncer de manière précise la responsabilité première du ministre concernant le poisson et l’habitat de ce dernier. Il a oublié que la pêche est un droit et non un privilège.

Sur ce point, il est démoralisant que le rapport du Comité des pêches répète la même erreur au point 3.23 : « Le Comité croit également comprendre que les droits de permis de pêche commerciale sont payés pour obtenir l’avantage d’accéder à une ressource halieutique … » Dans une pêche publique, le gouvernement n’est pas le propriétaire de la ressource. Le terme « publique » dans l’expression « pêche publique » réfère au droit public d’accéder à une ressource commune plutôt qu’à une ressource appartenant au gouvernement. Pour simplifier, disons qu’il existe un droit de pêcher dans les eaux publiques et que la pêche est un droit et non un privilège ou un avantage.

Comme la Loi ne reconnaît pas le droit de pêcher dans les eaux publiques, elle ne parvient pas non plus à différencier efficacement la pêche des autres activités d’exploitation menées dans les océans comme l’aquaculture et les forages pétroliers et gaziers. Sans une superstructure établie de manière solide, la Loi sur les océans a la forme et la texture d’une méduse.

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Reconnaître le rôle des pêcheurs

Étant donné que la Loi ne reconnaît pas que le droit public de pêcher constitue une priorité, elle ne reconnaît pas non plus que les pêcheurs constituent le premier groupe touché par l’établissement des zones de protection marine. Cela est particulièrement malheureux puisque ce sont les pêcheurs et leurs familles qui souffriraient le plus de la création de ces zones.

Il faut se souvenir que la Loi sur les pêches prévoit déjà un outil efficace pour protéger et favoriser la pêche : la création de refuges ou de zones à ne pas exploiter. Le ministre a le pouvoir de fermer la pêche dans une zone s’il le juge nécessaire. Malheureusement, il a souvent renoncé à le faire. La création de zones de protection marine ne peut remplacer une gestion efficace de la pêche.

Les pêcheurs doivent participer au processus de création des zones de protection dans les cas relativement rares où ces zones constituent un outil plus efficace pour protéger la pêche que les fermetures décrétées en vertu de la Loi sur les pêches.

Lors de la création de chaque zone de protection, les pêcheurs devront être informés des objectifs spécifiques de cette zone et des activités spécifiques qui peuvent y être interdites. Il faudrait démontrer clairement que les pêcheurs constituent la cause de problèmes précis de conservation et que des mesures de conservation moins draconiennes comme les restrictions sur les engins ou les fermetures ne permettront pas de régler ces problèmes de conservation. Tout règlement empêchant l’exploitation des ressources devrait être spécifique, prévoir des critères mesurables permettant de déterminer l’avantage à établir une zone à ne pas exploiter sur le plan de la conservation des stocks de poissons visés, et prévoir un réexamen périodique de la nécessité de maintenir la zone à ne pas exploiter.

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Responsabilité première du ministre

La Partie III de la Loi sur les océans ne précise nulle part les pouvoirs et fonctions du ministre des Pêches et des Océans, pas plus qu’elle ne mentionne que la responsabilité première du ministre est la protection de la pêche publique et de l’habitat du poisson. La Loi ajoute plutôt une nouvelle série de fonctions et responsabilités qui ne concordent pas avec la protection de la pêche publique et de l’habitat du poisson.

Cet oubli pourrait être facilement corrigé en proposant simplement un amendement indiquant que la première responsabilité du ministre est la protection de la pêche publique et de l’habitat du poisson.

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Réviser la Loi sur les océans

La Loi sur les océans pourrait établir de manière plus efficace que le ministère des Pêches et des Océans est l’organisme responsable de la gestion des océans si elle reconnaissait la priorité constitutionnelle de la pêche et de la protection de l’habitat du poisson. Ce faisant, on doterait cette loi d’une forme et d’une structure qui lui ont manqué jusqu’à maintenant.

Le gouvernement devrait réexaminer le transfert de la responsabilité des zones de protection marine au ministère du Patrimoine canadien, de la protection de l’habitat du poisson à l’Environnement et de toutes les décisions concernant l’exploitation des gisements pétroliers et gaziers dans les eaux côtières aux Ressources naturelles. Le ministère des Pêches et des Océans doit être le principal responsable de ces dossiers et non y jouer un rôle de second violon.

La Loi devrait non seulement reconnaître la priorité de la pêche, mais aussi le rôle spécial à réserver aux pêcheurs et les faire participer le plus possible à la création et à la gestion des zones de protection marine.

En jetant les fondements d’une véritable politique sur les océans, le MPO se dotera d’un cadre qui lui permettra de gérer et de réglementer les grands exploitants industriels de l’environnement marin comme les entreprises s’occupant d’aquaculture ou d’exploration et de forage pétroliers et gaziers. Sans ce cadre, ces industries sont plus souvent qu’autrement considérées comme des menaces pour l’environnement marin. Il est temps de leur donner une place légitime autour de la table.

Enfin, les fonctions et responsabilités du ministre des Pêches et des Océans doivent être priorisées de manière à ce qu’il puisse s’acquitter des ses responsabilités constitutionnelles à l’égard de la pêche et de l’habitat du poisson. En redonnant à ces fonctions la place qui leur revient, on éliminera une grande partie de la confusion qui existait à ce sujet.

Les défis que pose la politique sur les océans ne sont pas insurmontables si nous disposons d’une carte claire nous traçant le chemin à suivre et cette carte doit être la Loi sur les océans.

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1. Si le Canada devait ratifier la Convention, il pourrait être autorisé à établir officiellement les limites extérieures du plateau continental au-delà des 200  milles marins aux fins de la Convention.