HAFF Rapport du Comité
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CINQUANTIÈME RAPPORT
Le Comité dépose ce rapport conformément à l’ordre de renvoi de la Chambre des communes en date du 7 février 2002 :
Que l'accusation portée contre le ministre de la Défense nationale pour avoir induit la Chambre en erreur soit renvoyée au Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre.
En commençant son examen de la question visée par l’ordre de renvoi, le Comité a convenu d’entendre les témoins suivants, par ordre de comparution : Brian Pallister, député de Portage-Lisgar, qui a soulevé la question de privilège à la Chambre et proposé la motion renvoyant l’affaire au Comité; William Corbett, Greffier de la Chambre des communes, et Rob Walsh, légiste et conseiller parlementaire de la Chambre des communes; l’honorable Art Eggleton, C.P., député, ministre de la Défense nationale; le vice-amiral G.R. Maddison, vice-chef d’état-major de la défense; Jim Judd, sous-ministre de la Défense nationale; le général Raymond Henault, chef de l’état-major de la défense; Richard B. Fadden, sous-greffier du Conseil privé, conseiller juridique et coordonnateur de la sécurité; Mel Cappe, Greffier du Conseil privé et secrétaire du Cabinet; James R. Wright, sous-ministre adjoint, Politique mondiale et Sécurité, ministère des Affaires étrangères et du Commerce international; et J.P. Maingot, c.r., ancien légiste et conseiller parlementaire et auteur du Privilège parlementaire au Canada. En outre, les membres du Comité ont été invités à poser par écrit des questions au commodore Jean-Pierre Thiffault, commandant, Force opérationnelle interarmées canadienne en Asie du Sud-Ouest. Le 20 février 2002, 80 questions ont été envoyées au commodore Thiffault qui y a répondu le 26 février 2002. Il a, dans une lettre datée du 28 février 2002, clarifié l’une de ses réponses. Le Comité apprécie grandement l’aide et la coopération des témoins, qui sont tous des personnes extrêmement occupées ayant d’importantes responsabilités.
Un certain nombre de témoins ont été priés de fournir des renseignements et des documents au Comité. En outre, le Comité a adopté une motion proposée par Jay Hill, député de Prince-George-Peace River, portant production de 17 documents. Ces documents ─ sauf un et certains éléments d’autres, pour lesquels la confidentialité a été invoquée ─ nous ont été remis.
Cet ordre de renvoi découle de la question de privilège que M. Pallister a soulevée à la Chambre des communes le jeudi 31 janvier 2002. M. Pallister soutenait que le ministre de la Défense nationale avait délibérément induit la Chambre en erreur quant au moment où il a appris que des prisonniers capturés par les troupes canadiennes en Afghanistan avaient été remis aux Américains. À l’appui de cette accusation, il a cité les réponses données par le ministre pendant la période de questions du mardi 29 janvier 2002 et celle du mercredi 30 janvier 2002 et fait état d’un certain nombre de ses déclarations aux médias. Après l’intervention de plusieurs députés, le Président a pris l’affaire en délibéré.
Le Président a statué sur la question de privilège le lendemain vendredi 1er février 2002. Il a noté que les ouvrages faisant autorité sont unanimes sur le besoin de clarté dans les délibérations de la Chambre ainsi que sur la nécessité d’assurer l’intégrité de l’information que le gouvernement fournit à la Chambre. Il a également noté que, dans le cas présent, l’intégrité de l’information est d’une importance capitale du fait qu’elle vise directement les règles d’engagement des troupes canadiennes affectées au conflit en Afghanistan, un principe qui est au cœur même de la participation du Canada à la guerre contre le terrorisme. Il a indiqué qu’il ne semblait y avoir aucun désaccord quant aux faits puisque tant le ministre que les autres députés reconnaissent que deux versions des événements ont été présentées à la Chambre. Il a déclaré qu’il était « prêt, comme je me dois de l’être, à accepter l’affirmation du ministre portant qu’il n’avait pas l’intention d’induire la Chambre en erreur. »
Citant La procédure et les usages de la Chambre des communes, page 67, le Président a noté que la Chambre revendique le droit de punir au même titre que l’outrage tout acte qui, sans porter atteinte à un privilège précis, nuit ou fait obstacle à la Chambre, à un député ou à un haut fonctionnaire de la Chambre dans l’exercice de ses fonctions ou qui offense la dignité et l’autorité du Parlement.
Le Président a conclu :
En me fondant sur les arguments présentés par les honorables députés et compte tenu de la gravité de la question, j’en arrive à la conclusion que la situation qui nous occupe, dans laquelle la Chambre a reçu deux versions des mêmes faits, mérite que le comité compétent en fasse une étude plus approfondie, ne serait-ce que pour tirer les choses au clair.
Par conséquent, M. Pallister a proposé que cette affaire soit renvoyée au Comité. Après un long débat et plusieurs ajournements, la motion a été adoptée par la Chambre des communes le jeudi 7 février 2002.
Avant de passer aux faits de la cause, il est utile d’examiner la nature du privilège parlementaire, notamment en ce qui a trait aux déclarations trompeuses. À cet égard, le Comité apprécie grandement les avis et l’aide du Greffier de la Chambre M. Corbett.
La définition classique du privilège parlementaire se trouve dans Erskine May :
Le privilège parlementaire est la somme des droits particuliers dont jouit chaque Chambre collectivement, dont jouissent aussi les membres de chaque Chambre individuellement et faute desquels il leur serait impossible de s'acquitter de leurs fonctions. Aucun autre organisme, ni citoyen, n'a de droits équivalents. Ainsi le privilège, bien qu'il fasse partie des lois du pays, n'en constitue-t-il pas moins, en quelque sorte, une dérogation au droit ordinaire.
Bien que les privilèges de la Chambre et des députés puissent être énumérés, certains outrages à l’autorité et à la dignité du Parlement ne se rapportent pas nécessairement à l’un ou l’autre d’entre eux. Contrairement aux privilèges, les outrages ne peuvent pas être énumérés exhaustivement. Leur gravité peut varier grandement : les petits manquements au décorum aussi bien que les attaques graves contre l’autorité du Parlement peuvent être considérés comme des outrages.
La Chambre jouit d’une grande latitude pour maintenir son autorité et sa dignité grâce à son pouvoir d’enquête et à son pouvoir de punir les outrages. Au même titre que les tribunaux, la Chambre revendique le droit de punir au même titre que l’outrage tout acte qui, sans porter atteinte à un privilège précis, nuit ou fait obstacle à la Chambre, à un député ou à un haut fonctionnaire de la Chambre dans l’exercice de ses fonctions ou qui offense la dignité et l’autorité de la Chambre, par exemple, la désobéissance à ses ordres légitimes ou des propos diffamatoires à son endroit ou à l’endroit de ses membres ou hauts fonctionnaires. Dans Odger’s Australian Senate Practice, l’auteur explique que le fondement du pouvoir de punir les outrages, qu’il s’agisse d’un outrage au tribunal ou aux chambres, est que les tribunaux et les chambres doivent pouvoir se prémunir contre les actes qui entravent directement ou indirectement l’exercice de leurs fonctions.
Il n’y a jamais eu à la Chambre des communes du Canada de cas où un député ait été trouvé coupable d’outrage à la Chambre pour avoir délibérément induit la Chambre en erreur. Dans sa décision, le Président Milliken cite la 22e édition d’Erskine May au sujet des conséquences d’une déclaration délibérément trompeuse faite à la Chambre : «Lorsqu'une déclaration trompeuse est faite délibérément, les Communes peuvent agir comme s'il s'agissait d'un outrage.» Ce passage fait référence au scandale Profumo qui a éclaté au Royaume-Uni en 1963 : le ministre John Profumo a fait une déclaration à la Chambre au sujet de son implication dans un scandale pour admettre par après à la Chambre qu’il l’avait délibérément induite en erreur. Il a remis sa démission de ministre et de député. Comme on a estimé qu’on ne pouvait pas laisser passer cet affront à la Chambre sans un blâme en bonne et due forme, la Chambre des communes britannique a débattu et adopté une motion déclarant M. Profumo coupable d’outrage grave à la Chambre. Dans Parliamentary Privilege in Canada, M. Maingot note à la page 240 qu’un député qui admet avoir délibérément induit la Chambre en erreur ferait probablement sans tarder l’objet d’une motion d’outrage. Ce passage est basé sur l’affaire Profumo.
En l’absence d’un précédent canadien, M. Corbett a renvoyé le Comité à Parliamentary Practice in New Zealand de David McGee, Greffier de la Chambre des représentants de Nouvelle-Zélande. À la page 491, l’auteur indique que deux éléments doivent être présents lorsqu'on accuse un député d'outrage pour avoir délibérément induit la Chambre en erreur :
la déclaration doit être effectivement trompeuse, et
il faut établir que le député savait, au moment de faire la déclaration, qu'elle était inexacte et qu'en la faisant, il avait l'intention d'induire la Chambre en erreur.
Comme l’a expliqué M. Corbett au Comité, il n’est pas rare que des déclarations inexactes soient faites dans le cadre d’un débat ou de la période de questions à la Chambre. Le tout est de savoir si elles l’ont été délibérément, c'est-à-dire dans l’intention d’induire la Chambre ou ses membres en erreur. Dans le cas du député qui avoue par la suite qu’il a sciemment fourni des renseignements faux, comme dans l’affaire Profumo, la question d’intention est claire. En l’absence d’un tel aveu, cependant, il incombe au Comité d’examiner toutes les circonstances et de déterminer si la preuve corrobore l’intention d’induire en erreur.
Concernant la norme de preuve dans les affaires de ce genre, le Comité note que le Report of the United Kingdom Joint Committee on Parliamentary Privilege, Session 1998-1999, déclare à la page 75 (paragraphes 280-1) :
Les procédures d’instruction et d’arbitrage des plaintes devraient répondre à des normes contemporaines en matière d’équité.
L’équité est essentielle à toute procédure disciplinaire, mais plus les conséquences sont sérieuses, plus les sauvegardes doivent être rigoureuses. Certaines allégations d’outrage sont plus graves que d’autres. (…)Pour déterminer la culpabilité ou l’innocence du député, la norme de preuve appliquée à toutes les étapes devrait être au moins que l’allégation soit prouvée à la prépondérance des probabilités. Dans les affaires plus graves, une norme de preuve supérieure peut être de mise.
Bien que les faits essentiels de cette affaire soient relativement simples, son contexte et les circonstances qui l’entourent sont complexes. Conformément aux résolutions des Nations Unies et de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN), le Canada fait partie d’une force multinationale déployée en Afghanistan pour combattre le terrorisme. À la fin de février 2002, environ 2 500 membres des Forces canadiennes étaient en poste dans l’Asie du Sud-Ouest pour assurer à la coalition un soutien naval, aérien et terrestre. Le déploiement de forces conventionnelles dans cette campagne se fait dans le cadre de l’opération APOLLO. Le commodore Thiffault est le commandant des Forces canadiennes au quartier général de l’Alliance à Tampa en Floride. À la fin de janvier 2002, peu avant les événements en cause, des membres de la Princess Patricia’s Canadian Light Infantry, stationnée à Edmonton, s’embarquaient pour l’Afghanistan dans le cadre de ces forces conventionnelles.
En plus des forces conventionnelles, la Force opérationnelle interarmées 2 ou FOI 2, qui font partie des forces spéciales du Canada, a été déployée en Afghanistan dans le cadre de la contribution du Canada à la fin de 2001. Cette unité dispose d’une capacité unique et hautement spécialisée de répondre aux menaces terroristes contre la sécurité nationale au pays et à l’étranger. C’est la première fois que la FOI 2 est déployée à l’étranger en mission de combat.
Des règles d’engagement sont élaborées et approuvées pour chaque unité envoyée à l’étranger. Elles concernent, entre autres, le traitement des prisonniers. Dans le cas de la FOI 2, elles ont été arrêtées au moment du déploiement initial. Il était également essentiel de prendre des mesures pour protéger la sécurité des membres de la FOI 2 et de leurs familles, empêcher des adversaires de gagner un avantage opérationnel sur la FOI 2 et réduire au minimum le risque de promettre la sécurité des opérations de la coalition. Le Comité a entendu un témoignage à l’effet que c’est pour ces raisons qu’une chaîne de communication très précise a été mise au point pour la mission de la FOI 2 en Afghanistan. Il était prévu que le commandant de l’élément de la FOI 2 déployé en Afghanistan ferait directement rapport au vice-chef d’état-major de la défense, lequel ferait rapport au chef de l’état-major de défense, lequel à son tour ferait rapport au ministre de la Défense nationale, seul civil de la chaîne de communication. C’est au ministre qu’il incombe d’informer le premier ministre s’il y a quelque chose qui sort de l’ordinaire ou s’il y a dérogation à la politique approuvée par le gouvernement. Ainsi, le premier ministre et le Bureau du Conseil privé ne font pas partie exprès de la chaîne de communication de la FOI 2 contrairement à la chaîne de communication des forces conventionnelles. Le côté civil du ministère de la Défense nationale, qui est représenté par le sous-ministre, ne fait pas lui non plus partie de la chaîne tandis que, du côté militaire, le nombre des personnes impliquées est strictement limitée.
Le ministre de la Défense nationale est quotidiennement mis au courant des opérations militaires le plus souvent par le chef de l’état-major de défense ou, en son absence, le vice-chef de l’état-major de défense. Cette séance d’information porte sur toutes les opérations militaires en cours au Canada et à l’étranger, y compris l’Afghanistan et 12 autres missions de par le monde. Étant donné l’urgence de la situation en Afghanistan, toutefois, il est évident que c’est elle qui a la priorité depuis plusieurs mois.
Le lundi 21 janvier 2002, le ministre de la Défense nationale se trouvait en visite officielle à Mexico. Il s’est rendu vers midi à l’ambassade du Canada, où l’on avait installé une ligne téléphonique sécurisée, pour recevoir des autorités militaires sa mise au point quotidienne. En l’absence du chef de l’état-major de défense, elle a été menée par le vice-amiral Maddison, vice-chef de l’état-major de défense, qui était à Ottawa.
La séance d’information semble avoir duré environ 20 minutes et porté sur un éventail de sujets. Il y a eu aussi une mise à jour sur les activités de la FOI 2, laquelle a duré, autant que s’en souvienne le vice-amiral Maddison, environ cinq minutes. Le ministre a été informé que la FOI 2 avait participé à une opération multinationale dans le cadre de laquelle des prisonniers avaient été faits. La FOI 2 avait déjà participé à des missions dans le cadre desquelles des prisonniers avaient été faits, mais c’était la première fois que des militaires canadiens avaient pris possession de prisonniers. Le vice-amiral Maddison a témoigné qu’il avait cru comprendre que le ministre était satisfait des renseignements qu’il avait reçus et qu’il les avait compris. Dans son témoignage devant le Comité, M. Eggleton a indiqué qu’il avait avant tout cherché à confirmer d’abord que les militaires étaient sains et saufs, ensuite que la mission avait réussi et enfin que la mission avait été conduite conformément à la politique du gouvernement et aux règles d’engagement établies par le gouvernement. Et d’ajouter :
Le vice-amiral m'a rassuré sur ce point et je n'ai donc pas essayé d'en savoir plus long à ce moment-là. Je n'ai pas non plus téléphoné au premier ministre pour lui dire que l'on avait pris des prisonniers vu que nos militaires ne s'étaient pas écartés de la politique du gouvernement ni des règles d'engagement. Monsieur le président, l'appréhension des personnes soupçonnées de terrorisme est le résultat normal et prévu du type d'opérations pour lesquelles nos militaires ont été envoyés en Afghanistan.
Après le voyage au Mexique, M. Eggleton s’est rendu au quartier général du commandement central américain à Tampa, en Floride, le mercredi 23 janvier 2002, où il a été mis au courant de la campagne d’Afghanistan par le commodore Thiffault et d’autres. Ces séances d’information auraient porté seulement sur les forces conventionnelles. M. Eggleton est rentré à Toronto le soir même et à Ottawa dans la soirée du 24 janvier 2002. Le vendredi 25 janvier 2002, il a assisté à une réunion du Cabinet ─ une «retraite du Cabinet». Il est retourné à son bureau du ministère de la Défense nationale à la fin de l’après-midi, où il a été informé que la question des prisonniers figurait à l’ordre du jour de la réunion du Cabinet du mardi suivant.
M. Eggleton a témoigné que, ce même vendredi après-midi, il avait vu pour la première fois la photographie qui a fait la une du Globe and Mail le mardi précédent, soit le 22 janvier. Elle montrait trois détenus qu'escortaient trois soldats avec en arrière-plan un aéronef américain et une légende disant qu'il s'agissait de soldats américains. Notant que leur uniforme de combat était de couleur vert forêt, toutefois, l’adjoint exécutif de M. Eggleton a dit qu’il croyait que c’étaient des soldats de la FOI 2. M. Eggleton a parlé au vice-amiral Maddison, qui a confirmé que les soldats de la photo étaient des Canadiens et qu’il s’agissait donc d’un grave manquement à la sécurité. Comme l’a déclaré M. Eggleton au Comité : «Monsieur le président, j'avais pu constater moi-même qu'une image en dit plus long que de longs discours. C'est la première fois que je pouvais voir à quel point les militaires canadiens avaient participé à cette opération.» Le vice-amiral Maddison a confirmé avoir dit au ministre, le 25 janvier 2002, que la photographie avait trait à la séance d'information qu'il avait donnée le 21 janvier 2002. Convaincu que tout s’était déroulé conformément à la politique du gouvernement et aux règles d’engagement, M. Eggleton s’est mis à se préparer pour la réunion du Cabinet.
La Chambre des communes a repris ses travaux après le congé de Noël et de janvier le lundi 28 janvier 2002. Ce soir-là, il y a eu un débat exploratoire sur le déploiement de membres des Forces canadiennes en Afghanistan.
La question du traitement des prisonniers par les États-Unis devenait de plus en plus controversée. Après le transfert de certains prisonniers à la base américaine de la baie de Guantanamo, à Cuba, il s’est élevé un débat public sur leur statut et l’éventuelle applicabilité des conventions de Genève. Le débat sur les prisonniers a pris de l’ampleur après qu’on eut appris qu’il y avait des divergences de vues au sein du cabinet américain. Plusieurs membres du gouvernement canadien avaient activement saisi les autorités américaines dans les dernières semaines de janvier de la question des prisonniers dans le but d’obtenir des précisions non seulement sur leur traitement, mais sur la façon dont leur statut serait déterminé.
C’est le lundi 28 janvier 2002 que, interrogé par les médias au sujet des prisonniers, le premier ministre a qualifié la question d’«hypothétique». Selon une transcription partielle de cet échange, la réponse semble avoir été donnée par rapport aux membres de la Princess Patricia’s Canadian Light Infantry alors en partance pour l’Afghanistan. Le premier ministre ne savait pas à ce moment-là que des membres de la FOI 2 avaient fait des prisonniers la semaine précédente. Lorsqu’il a pris connaissance de la déclaration du premier ministre, M. Eggleton a indiqué qu’il regrettait ne pas le lui avoir dit plus tôt; il a par la suite présenté ses excuses au premier ministre.
Comme prévu, la question des prisonniers a été discutée à la réunion du Cabinet du mardi matin 29 janvier 2002. À la fin de la présentation, M. Eggleton a informé ses collègues que des membres des Forces canadiennes avaient fait des prisonniers et a parlé de la photographie parue dans le Globe and Mail. Après la réunion, M. Eggleton a tenu un point de presse au cours duquel il a mentionné la photographie.
Pendant la période de questions, Gilles Duceppe, député de Laurier-Sainte-Marie, chef du Bloc Québécois, a demandé à M. Eggleton quand il avait appris que des Canadiens avaient fait des prisonniers et les avaient remis aux Américains. M. Eggleton a répondu :
J’ai été informé pour la première fois de cette possibilité vendredi. J'ai dû examiner la question plus à fond pour savoir si les Canadiens étaient effectivement impliqués. J'en ai informé le premier ministre et mes collègues du Cabinet ce matin.
De retour au ministère de la Défense nationale le même après-midi, M. Eggleton s’est réuni avec le général Henault et le vice-amiral Maddison. À propos de la réponse qu’il avait donnée pendant la période de questions, on lui a rappelé qu’il avait été mis au courant de l’affaire le 21 janvier 2002. Prié de décrire la réaction du ministre, le vice-amiral Maddison a déclaré : «En utilisant un langage visuel, je dirais qu’il y a eu un déclic. Il a dit d’accord, vous avez raison, c’est ainsi que ça s’est passé… Je crois qu’il l’a reconnu : "Je crois que j’ai fait une erreur."»
M. Eggleton a indiqué que, après s’être rendu compte qu’il n’avait pas fait le lien entre les deux mises au courant, il a rétabli les faits le lendemain mercredi 30 janvier 2002. Pendant la période de questions, il a répondu à une question d’Elsie Wayne, députée de Saint John, en ces termes :
Monsieur le Président, j'ai effectivement été informé de la détention de prisonniers et de la mission dans les 24 heures. Toutefois, je me trouvais à Mexico en voyage d'affaires à ce moment-là. J'ai attendu d'être rentré pour pouvoir m'informer plus à fond sur ce que cette mission impliquait.
Après avoir obtenu tous les renseignements pertinents, et surtout après avoir vu pour la première fois la photo qui était reliée à la mission, vendredi dernier, j'en ai informé le premier ministre et le Cabinet mardi matin.
Lorsque M. Pallister a soulevé la question de privilège le jeudi 31 janvier 2002, M. Eggleton a expliqué la réponse qu’il avait donnée le 29 janvier 2002 comme suit :
Monsieur le Président, permettez-moi d'abord de dire que je n'ai jamais voulu induire la Chambre en erreur. J'éprouve pour elle et ses députés le plus grand respect et j'ai toujours été très direct.
Je répète que je n'ai jamais eu l'intention de tromper la Chambre. J'ai répondu en me fondant sur des informations qui me semblaient correctes, et c'est la conduite que je continuerai d'observer à la Chambre.
Lorsqu’il est venu témoigner devant le Comité, M. Eggleton a répété son explication et s’est excusé :
Je tiens à bien souligner que je n'ai jamais eu l'intention d'induire la Chambre des communes en erreur. Si c'est ce que certains députés ont conclu, je le regrette beaucoup et je présente toutes mes excuses à la Chambre et à tous les députés pour avoir dit quelque chose qui ait créé une telle impression.
Les deux déclarations que M. Eggleton a faites à la Chambre des communes ─ le mardi 29 janvier 2002 et le mercredi 30 janvier 2002 ─ au sujet du moment où il a appris que la FOI 2 avait fait des prisonniers sont clairement contradictoires. La question est de savoir si la première déclaration erronée a été faite délibérément dans l’intention d’induire la Chambre ou ses membres en erreur. Nous ne nous intéressons pas ici à la performance du ministre ni à la chaîne de commandement ou aux voies de communication au sein des Forces canadiennes, du ministère de la Défense nationale ou du gouvernement.
Le ministre de la Défense nationale est tous les jours mis au courant tant de vive voix que par écrit d’un nombre énorme de questions relatives aux opérations militaires et à l’éventail complexe des activités de son ministère. Depuis le 11 septembre 2001, il est clair que la quantité d’information a augmenté de façon exponentielle.
Lorsque le vice-amiral Maddison l’a mis au courant de la situation le lundi 21 janvier 2002, M. Eggleton se trouvait à Mexico dans le cadre d’une visite officielle comportant de nombreux engagements. Il a été informé par téléphone sur une ligne sécurisée. Ces séances d’information ne sont jamais aussi satisfaisantes que lorsqu’elles se déroulent en tête-à-tête, mais elles sont rendues nécessaires par les circonstances. Il est possible que l’information et son importance n’aient pas été entièrement saisies sur le moment. M. Eggleton a indiqué que ce qu’on lui avait dit était devenu beaucoup plus clair le vendredi 25 janvier 2002 lorsqu’il a vu la photographie du Globe and Mail et qu’il s’est entretenu en chair et en os de la question avec le vice-amiral Maddison.
M. Eggleton a présenté ses excuses lors de sa comparution devant le Comité. Il a expliqué de façon détaillée comment la méprise s’était produite. Il est à noter que c’est lui-même et nul autre qui a mis les choses au point le 30 janvier.
Le Comité est d’avis que M. Eggleton a fait une erreur. C’est regrettable.
L’intention est toujours quelque chose de difficile à établir en l’absence d’un aveu ou d’une confession. Il faut soigneusement examiner le contexte de l’incident en question et tenter de tirer des conclusions fondées sur la nature des circonstances. Toutes les constatations doivent cependant être fondées sur des faits et avoir un fondement probatoire. Les comités parlementaires chargés d’examiner les questions de privilège doivent faire preuve de prudence et agir de façon responsable au moment de tirer des conclusions. Ils doivent veiller à ne pas laisser l’esprit de parti colorer leur jugement. Le pouvoir de punir les outrages ne doit pas être exercé à la légère. Il existe pour les rares occasions où l’aptitude du Parlement à fonctionner est entravée ou compromise.
Les déclarations erronées à la Chambre des communes ne sauraient être tolérées. Il est essentiel que les députés obtiennent en temps utile des renseignements exacts et que l’intégrité de l’information fournie par le gouvernement à la Chambre soit assurée. Des erreurs se commettent à l’occasion et elles doivent être corrigées promptement. Seule une déclaration délibérément inexacte cadre avec la définition d’un outrage au Parlement. Selon Parliamentary Practice in New Zealand : «Il faut établir que le député savait, au moment de faire la déclaration, qu'elle était inexacte et qu'en la faisant, il avait l'intention d'induire la Chambre en erreur.»
Après un examen approfondi de toutes les circonstances, le Comité est venu à la conclusion que le ministre a fait une erreur, mais qu’il l’a fait sans l’intention d’embrouiller les choses ou d’induire en erreur.
Le Comité constate que rien ne prouve que M. Eggleton a délibérément induit la Chambre en erreur lors des deux déclarations qu’il a faites à la Chambre des communes le 29 janvier 2002 et le 30 janvier 2002 au sujet du moment où il a appris que des prisonniers faits par des membres de la FOI 2 avaient été remis aux États-Unis. Par conséquent, le Comité conclut que M. Eggleton ne s’est pas rendu coupable d’outrage à la Chambre.
Un exemplaire des procès-verbaux pertinents (réunions nos 43 à 55) est déposé.
Respectueusement soumis,
Le président,
PETER ADAMS, député