ORIENTATION DU SYSTÈME
Chapitre 20 Conclusion
La seule constante en radiodiffusion, c'est le changement. L'invention de la radio par Reginal Fessenden en 1900 a été suivie d'une longue série d'inventions et d'améliorations qui ont permis à la radio et, plus tard, à la télévision de joindre presque tous les ménages du Canada. L'une des plus impressionnantes percées accomplies récemment est probablement l'instauration de services par satellite de radiodiffusion directe (SRD) dont la qualité et la portée sont les mêmes pour tous les abonnés, que ceux-ci se trouvent sur la côte du Labrador, dans la péninsule de l'Ungava, dans l'extrémité nord de l'île de Vancouver ou dans les grands centres comme Montréal, Toronto et Vancouver.
Toutefois, comme il est répété dans le rapport, la capacité d'offrir une vaste gamme de services de radiodiffusion à tous les Canadiens comporte de nouveaux défis. Par exemple, l'utilisation de nouvelles technologies ont marginalisé des services comme les services de télévision locale et communautaire. Ainsi, là où certains ont retiré des avantages, d'autres en ont perdu. C'est pourquoi il faut porter une attention minutieuse aux programmes de soutien et de réglementation qui se rattachent au système de radiodiffusion.
Malgré ces défis, les Canadiens jouissent incontestablement d'une vaste gamme de services de radiodiffusion de nos jours. De plus, le Comité est convaincu que les recommandations formulées dans le présent rapport contribueront à corriger les problèmes qui se posent dans certaines régions. Par exemple, même si les témoins ont soulevé des préoccupations fondées au sujet de la radio et de la télévision communautaires, le Comité est convaincu que ces questions peuvent être réglées en apportant les modifications qui s'imposent à la politique.
Il faut toutefois se rappeler qu'un grand nombre de nouveaux services actuellement offerts aux Canadiens multiplieront sans doute les difficultés que comportent la gestion et la réglementation de notre système de radiodiffusion. Cela ne veut pas dire qu'il n'est plus possible de gérer le système, au contraire. Le Comité voit la gestion comme un élément essentiel du système canadien de radiodiffusion et il signale qu'il existe un dénominateur commun des études précédentes et des nouvelles versions de la Loi sur la radiodiffusion, à savoir l'idée selon laquelle le gouvernement a un rôle important à jouer pour assurer que les Canadiens ont un choix varié d'émissions canadiennes.
Dans un certain sens, l'objectif relatif à l'augmentation des choix a été atteint. Les Canadiens ont plus de choix de programmation que jamais auparavant. Mais le choix, comme les améliorations de la technologie, est une épée à deux tranchants. Il est avantageux d'avoir un grand choix, par contre, il n'a jamais été aussi difficile d'attirer les auditeurs canadiens à des émissions canadiennes. Malgré tout, en dépit d'une concurrence féroce et d'une augmentation en apparence sans fin des choix offerts, les Canadiens continuent d'écouter une grand nombre d'émissions canadiennes de nouvelles, de sport et pour enfants.
Cela étant dit, en raison de facteurs qui ne peuvent être reproduits au Canada anglais, les producteurs d'émissions de langue française ont pu réaliser un large éventail d'émissions de télévision très attrayantes pour les auditoires de langue française et très populaires auprès d'eux. En conséquence, depuis plus de 10 ans, les 20 émissions de télévision les plus populaires au Canada français sont des émissions canadiennes. La situation ne peut et n'a jamais pu se produire au Canada anglais où les émissions ont toujours dû livrer concurrence à des émissions américaines. Nous avons toutefois instauré une série de règlements et de mesures de financement qui ont permis d'accroître la production et la diffusion d'émissions dramatiques et documentaires canadiennes. Par extension, ces mesures ont entraîné une augmentation modeste des auditoires d'émissions dramatiques de langue anglaise.
C'est peut-être là l'un des plus grands défis que doivent relever les décideurs, les organismes de réglementation et les contrôleurs du système canadien de radiodiffusion. La production de dramatiques est coûteuse et la concurrence sur le marché canadien de langue anglaise est vive et le sera toujours. Le Comité est toutefois convaincu qu'un financement adéquat, associé à un cadre de réglementation satisfaisant permettra d'assurer la production de dramatiques canadiennes de qualité qui attireront de nombreux auditeurs.
Le secteur de la production indépendante capable de produire des émissions de télévision de calibre international a connu une croissance extraordinaire depuis que des révisions ont été apportées à la Loi sur la radiodiffusion en 1991. Au cours des 10 dernières années, le secteur de la production indépendante a connu une croissance beaucoup plus rapide que celle de l'économie canadienne et il procure aujourd'hui des emplois directs et indirects à des milliers de personnes. La croissance de ce secteur est l'une des nombreuses histoires de réussite qu'il faut souligner. De plus, le Comité est convaincu que le secteur de la production indépendante sera essentiel au renforcement de la capacité du Canada de produire des émissions de télévision de calibre international.
Aux mesures de financement, aux règlements et à un solide secteur de la production indépendante doivent s'ajouter d'autres initiatives. Le succès que connaissent les émissions de télévision de langue française est dû en partie à la promotion dynamique des vedettes; il est donc difficile d'imaginer que les dramatiques de langue anglaise puissent connaître le même succès sans faire l'objet d'un appui et d'une promotion semblables.
La production d'émissions de télévision est une entreprise coûteuse, et la conjoncture nous oblige à le reconnaître. D'ailleurs, les multiples commissions royales, comités parlementaires et groupes de travail sur la radiodiffusion ont tous reconnu la chose. Déjà, en 1957, la Commission royale d'enquête sur la radio et la télévision, présidée par M. Robert Fowler, s'est servie d'une longue liste d'observations similaires sur cette question, notamment les suivantes :
La nation a évidemment intérêt à ce que la télévision au Canada soit essentiellement canadienne et qu'elle diffuse en forte proportion des émissions produites par des Canadiens. Il est hors de doute que cette formule sera plus coûteuse1.
Si nous voulons une nourriture culturelle plus abondante et de meilleure qualité, nous devons en payer le prix2.
Votre comité n'ignore pas que, du point de vue économique, il n'est pas facile de produire de bonnes émissions de télévision au Canada. Il n'ignore pas non plus que la distribution à l'échelle nationale de telles émissions dans notre pays coûte cher3.
Votre comité n'oublie pas l'importance de la télévision. [...] Toutefois, les témoignages recueillis par votre comité corroborent sa manière de voir : la télévision est un moyen de communication dispendieux et compliqué4.
Par la suite, la Commission a adopté « deux idées, sans ambiguïté ni réserve : les Canadiens veulent que la diffusion soit canadienne et ils sont prêts à en faire les frais »5. Cinquante ans d'expérience en radiodiffusion plus tard, le Comité abonde dans le même sens, tout en étant convaincu que la volonté de cerner les circonstances changeantes et de s'y adapter rapidement est nécessaire pour relever le défi.
Nous le répétons : la production d'émissions de télévision est onéreuse. En outre, plusieurs années s'écoulent avant qu'une nouvelle émission ne soit présentée au petit écran. Pour ces raisons, entre autres, le financement de ces productions n'est pas particulièrement compatible avec le système de planification financière annuelle du gouvernement du Canada. Même si le Comité accepte pleinement que le Parlement est l'institution suprême, il estime qu'il y aurait lieu de trouver des mécanismes pour assurer un financement stable et à long terme aux principaux organismes fédéraux qui appuient la production d'émissions de télévision (c.-à-d. la SRC, le FCT, Téléfilm Canada et l'ONF).
S'ils recevaient un financement stable et à long terme, ces organismes seraient mieux en mesure de remplir le mandat que leur a confié le Parlement. Toutefois, cela ne veut pas dire qu'ils rendraient moins souvent compte au Parlement. Au contraire, le Comité est convaincu que les mandats doivent être mieux définis et que les exigences en matière de reddition de comptes doivent être modifiées et améliorées considérablement.
De précédents comités et de précédentes commissions royales ont soulevé à maintes reprises les questions de financement stable, de mandats clairs et de présentation de rapports au Parlement. En soi, aucune de ces questions n'est particulièrement nouvelle et ne devrait d'ailleurs pas étonner. Elles sont toutefois plus importantes que jamais compte tenu des nouveaux enjeux du système canadien de radiodiffusion.
À long terme, le système devra faire face à des problèmes plus épineux. Certains de ces problèmes se rattachent à la gestion du passage de la technologie analogique à la technologie numérique. Il faudra faire preuve de détermination, de volonté à travailler avec des intervenants clés du système de radiodiffusion et d'une capacité de réagir rapidement, de faire des expériences, de tirer des leçons des erreurs et de s'adapter. Ce sera difficile, mais le Comité est convaincu que c'est possible.
Le Comité est peut-être davantage préoccupé par la gestion globale du système canadien de radiodiffusion. Même si le Canada a édifié d'ingénieux systèmes de soutien tels que la SRC, Téléfilm Canada, le FCT et un cadre de réglementation complexe, il n'a pas réussi à créer un système dont les différents éléments forment un tout harmonieux. Le Comité reconnaît que la situation ne résulte pas d'une mauvaise volonté ou d'une intention délibérée, mais plutôt de l'évolution particulière du système au fil du temps. Comme il est mentionné à plusieurs reprises dans le présent rapport, le système canadien de radiodiffusion analysé dans le cadre de l'étude n'a pas été conçu volontairement, mais il est plutôt le résultat de son évolution.
Nous pouvons et nous devrions saluer nos réussites. Toutefois, le Comité croit que la période de changement qui s'annonce sera plus exigeante et difficile que les précédentes et ce, pour deux raisons. Tout d'abord, nous avons déjà la capacité de distribuer encore plus d'émissions de radio et de télévision. Au début de l'étude, il était possible de s'abonner à plus de 100 canaux de télévision. Depuis, plus de 50 nouveaux services de télévision numérique ont été lancés. Aujourd'hui, il est possible de s'abonner à plus de 350 canaux. La prolifération de canaux entraînera une fragmentation encore plus grande de l'auditoire. Elle pourrait également contribuer à l'éventuelle disparition des réseaux conventionnels tels que nous les connaissons depuis 50 ans.
Deuxième sujet de préoccupation : de par sa structure actuelle, le gouvernement est mal outillé pour relever les défis qui se poseront dans un avenir prochain. Le système de radiodiffusion et toutes les entreprises et les personnes qui le composent sont simplement trop vastes et trop importants pour le Canada pour ne faire l'objet que d'une série de mesures spéciales. De plus, comme l'indique le présent rapport, la qualité et l'opportunité de l'information obtenue laissent grandement à désirer. En outre, la gestion du système et de chacune de ses composantes comporte de graves problèmes.
Le fait de régler un ou deux de ces problèmes ne permettra vraisemblablement pas d'arriver aux résultats que le Comité ou les Canadiens dans leur ensemble souhaitent obtenir ou auxquels ils s'attendent. C'est pourquoi le Comité a recommandé un examen et une réorganisation radicale de parties importantes de l'actuelle structure de gestion. En effet, le Comité est d'avis que, si nous acceptons le statu quo, nous risquons de dissiper les gains des 70 dernières années.
Il est douteux qu'un grand nombre de Canadiens soient intéressés par l'histoire de la politique de radiodiffusion, les subtilités de la réglementation ou la différence entre une entreprise de radiodiffusion et une entreprise de distribution de radiodiffusion. Il est aussi peu probable que le Canadien moyen s'intéresse aux antennes, au câble ou aux fibres optiques et aux principes physiques sous-jacents. Les règlements et la politique de radiodiffusion sont peut-être nécessaires et le matériel et les logiciels le sont assurément, mais en général, les gens s'intéressent à la programmation : musique, comédie, dramatiques, sport, variétés, dessins animés, nouvelles et météo.
Bien que les défis à relever soient de taille, le Comité est convaincu que les Canadiens ont l'énergie et le talent nécessaires pour y arriver. Le gouvernement devra jouer son rôle de concert avec les intervenants clés du système de radiodiffusion. Ainsi, même si les défis sont importants, le Comité partage le point de vue mis de l'avant par la Commission royale d'enquête sur la radio et la télévision en 1957 :
Nous avons un bon régime de radio-télévision. Réunir la propriété publique et la propriété privée dans un seul cadre convient au Canada et sert bien les Canadiens. Le régime a eu ses heures de confusion et ses querelles plutôt sottes. Mais, dans son essence, le concept est juste et il serait sage de le conserver tel qu'il est, en l'améliorant, en le raffermissant et en y mettant de l'ordre où c'est possible6.
Malgré tout, il faut se rappeler qu'il y a des limites à ce que le gouvernement peut faire. Les ressources ne sont jamais infinies et la réglementation ne peut résoudre tous les problèmes. Les émissions de télévision que regardent les Canadiens et qui font leur fierté sont conçues et produites par des gens talentueux qui travaillent en équipe. La tâche la plus importante consiste donc à organiser des mesures de soutien fédérales, de réglementation et d'aide financière de manière à appuyer l'ingéniosité et le talent des créateurs des émissions qui attireront et retiendront les auditeurs canadiens. Il faudra pour ce faire atteindre un fragile équilibre entre la réglementation et les programmes, entre la tradition et l'innovation, de même qu'entre la politique gouvernementale et la créativité de membres du secteur privé. Ce sera un processus permanent, un processus qui dépendra en dernière analyse de notre capacité de favoriser le développement de l'esprit créateur et de l'esprit d'entreprise et d'en faire profiter les Canadiens et le reste du monde.
Notes en fin de chapitre
1 | Rapport de la Commission royale d'enquête sur la radio et la télévision (Commission Fowler), Ottawa, Imprimeur de la Reine, 1957, p. 281. |
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