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SNUD Rapport du Comité

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CHAPITRE 7: LES TRAITÉS INTERNATIONAUX ET LA RÉFORME LÉGISLATIVE

Un débat approfondi sur la politique antidrogue conduit inévitablement à une discussion sur la justification (ou le manque de justification) du recours au droit pénal comme principale méthode de répression ou de contrôle social de la consommation non médicale de substances psychoactives. La Commission Le Dain a très bien formulé la question en 1973 :

La loi constitue l’instrument privilégié de toute politique sociale et détermine le cadre des autres mesures. Le recours à la législation pour restreindre l’usage des stupéfiants pose non seulement la question des principes, mais aussi celle des moyens. Autrement dit, quelle sera l’efficacité des mesures judiciaires, compte tenu des conséquences néfastes qu’elles peuvent avoir pour les particuliers et pour la société253.

Le Comité a entendu des réponses très divergentes à ces questions ainsi qu’une foule de recommandations, certaines proposant même de légaliser la possession et la consommation de presque toutes les substances, d’autres, à l’opposé de ce point de vue, préconisant plutôt d’affecter des ressources supplémentaires et de mettre plus de zèle à la mise en application des interdictions existantes. Le présent chapitre examine les obligations nées de traités internationaux dans le contexte de ces recommandations.

Presque tous les témoins conviennent que la politique du Canada en matière d’usage nocif de substances psychoactives laisse à désirer et doit être réformée. Certains estiment qu’il faut, entre autres, apporter des modifications au cadre législatif. Nombre de ceux qui maintiennent que l’interdiction et(ou) la criminalisation causent plus de tort que les substances elles-mêmes favorisent la suppression des sanctions pénales au moins pour la possession et la consommation254. D’autre part, certains de ceux qui favorisent l’assouplissement de la législation font des distinctions entre les substances et soutiennent, par exemple, que la légalisation de l’héroïne n’est probablement pas une bonne idée255. Mis à part les effets négatifs du recours au système de justice pénal, beaucoup soutiennent que l’interdiction contribue à la marginalisation des consommateurs de substances qui peuvent de ce fait avoir du mal à obtenir les soins de santé et les services sociaux dont ils ont grand besoin256.

Ceux qui soutiennent l’opposé de ces opinions craignent pour leur part que l’assouplissement de la législation n’entraîne une forte augmentation de la consommation. Ils ne sont généralement pas disposés à reconnaître l’échec du système, estimant que « les lois actuelles du Canada ont réussi à réduire les méfaits causés par la consommation de substances illicites » et que, par conséquent, « nous devons renforcer une approche équilibrée apte à assortir les crimes graves de conséquences significatives et proportionnelles combinées à des mesures de renforcement des comportements souhaités auprès de nos jeunes »257. Ceux qui sont favorables au statu quo législatif croient généralement que la prohibition a un large effet dissuasif et qu’elle pourrait être plus efficace si la répression était renforcée.

1. TRAITÉS INTERNATIONAUX

Le Canada est partie aux trois conventions internationales négociées sous les auspices des Nations Unies. Ces traités forment un cadre à l’intérieur duquel les propositions de modification de la prohibition actuelle doivent être examinées.

a) La Convention unique sur les stupéfiants (1961)

La convention de 1961 est dite unique parce qu’elle remplace plusieurs conventions internationales259. Elle a été modifiée en 1972 par le Protocole portant amendement de la Convention unique sur les stupéfiants de 1961. Le préambule de la Convention reconnaît que l’usage médical des stupéfiants « demeure indispensable pour soulager la douleur » tout en précisant que « la toxicomanie est un fléau pour l’individu et constitue un danger économique et social pour l’humanité ». La Convention a pour principal objectif de limiter la production et le commerce de ces substances à la quantité nécessaire pour répondre aux besoins médicaux et scientifiques des États parties260.

Quel est l’effet de ce traité sur la législation canadienne? Selon un avocat du ministère de la Justice, « la Convention unique exige la criminalisation de certaines activités, notamment de la culture, la production, la fabrication, l’extraction, la préparation, la possession, la mise en vente, la vente, l’achat, l’importation et l’exportation des stupéfiants »261. Les substances visées sont réparties entre les tableaux joints à la Convention suivant le niveau de contrôle auquel elles sont assujetties. La morphine, la cocaïne, le cannabis et la résine de cannabis figurent au tableau I. Certaines dispositions s’appliquent expressément à la culture des plantes dont on extrait l’opium, la cocaïne et le cannabis. Les parties sont tenues de produire un rapport annuel sur l’application de la Convention sur leur territoire et de fournir « le texte des lois et règlements adoptés pour donner effet à celle-ci »262. Le rapport doit être présenté au Secrétaire général et renfermer tous les renseignements pouvant être demandés par la Commission des stupéfiants du Conseil économique et social des Nations Unies.

b) La Convention sur les substances psychotropes (1971)

En 1971, la Convention sur les substances psychotropes a complété la Convention unique en frappant de mesures aussi rigoureuses un certain nombre de substances non visées par la Convention unique. Il s’agit principalement de préparations synthétiques de stimulants (amphétamines), de dépresseurs (tels que benzodiazépines et barbituriques) et d’hallucinogènes (tels que psilocybine, LSD). Là encore, le préambule reconnaît la valeur « scientifique et médicale » de ces substances et la nécessité d’en limiter l’usage à ces fins légitimes. Là encore, les parties sont tenues de remettre au Secrétaire général un rapport annuel sur l’application de la Convention sur leur territoire et sur « les modifications importantes apportées à leurs lois et règlements relatifs aux substances psychotropes»264.

c) La Convention contre le trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes (1988)

Le préambule de cette convention adoptée en 1988 mentionne « les liens entre le trafic illicite et d’autres activités criminelles organisées connexes qui minent les économies légitimes et menacent la stabilité, la sécurité et la souveraineté des États ». L’article 3 exige que chaque partie « adopte les mesures nécessaires pour conférer le caractère d’infraction pénale conformément à son droit interne » à la fabrication, à la fabrication, à la distribution, à l’importation, à l’exportation, à la vente, etc., de stupéfiants et de substances psychotropes en violation des dispositions des conventions de 1961 ou de 1971266. Les parties sont tenues d’en faire autant pour « la possession, l’achat ou la culture de stupéfiants ou de substances psychotropes destinés à la consommation personnelle » en violation des dispositions des conventions de 1961 ou de 1971, mais « sous réserve de ses principes constitutionnels et des principes fondamentaux de son système juridique »267.

2. LÉGISLATION CANADIENNE

Étant donné les obligations du Canada aux termes de ces trois traités, la question se pose de savoir si les parties peuvent modifier les interdictions ou les sanctions nationales relatives aux stupéfiants et aux substances psychoactives sans contrevenir aux conventions, ou, le cas échéant, dans quelle mesure elles peuvent le faire. Les avis quant aux limites qu’imposent ces obligations varient grandement, notamment en ce qui concerne les produits du cannabis. Par exemple, certains soutiennent que, l’intention sous-jacente à l’interdiction de détention (possession) de cette substance, prévue par l’article 36 de la Convention unique, « se limitait à la détention en vue du trafic »268. À l’inverse, la Commission Le Dain a exprimé l’avis que l’article 36 oblige le Canada à traiter comme étant une infraction aux lois pénales la possession « de cannabis, de cannabine (résine de cannabis) et d’extraits et de teintures de cannabis »269. Néanmoins, il appert que certains signataires européens des trois conventions ont trouvé moyen d’atténuer la portée de leur législation sur les drogues sans lever les interdictions. On peut le constater en consultant l’aperçu comparatif du traitement réservé au cannabis dans sixpays européens, présenté dans une étude menée pour The Independent Inquiry on the Misuse of Drugs Act, 1971270.

Les parties contreviendraient peut-être aux conventions des Nations Unies en légalisant (ou en cessant d’interdire) les substances qu’elles visent. Cela dit, l’incidence qu’aurait une modification de moindre importance ou une modification marginale est beaucoup moins claire. Par exemple, un fonctionnaire du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international a déclaré au Comité que « les avocats du ministère des Affaires étrangères estiment en général qu’il ne serait pas possible de décriminaliser le cannabis sans contrevenir aux trois conventions ». Il a cependant ajouté que « les parties jouissent d’une certaine latitude pour déterminer les sanctions qu’elles imposent pour se plier aux conventions » et que l’obligation de criminaliser certaines activités « ne limite pas les seuils auxquels il faut les criminaliser, d’où la possibilité d’établir certains seuils ».271 Le Comité infère de ces observations que le Canada jouit d’une certaine latitude aux termes des conventions pour modifier la nature des conséquences juridiques des infractions aux lois nationales comme la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, et(ou) le seuil d’application des diverses sanctions. De toute évidence, il faudrait que toutes les mesures tendant à légaliser ou à décriminaliser les substances interdites par la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, ou à modifier les sanctions qu’elle prévoit, soient examinées dans le contexte des obligations internationales du Canada.

Le Comité reconnaît que la mise en application des interdictions visant les substances psychoactives peut avoir de graves répercussions sur la vie des personnes qui en dépendent et que, dans certains cas, ces répercussions dépassent peut-être les méfaits que causent les substances. En revanche, il croit que l’interdiction de certaines substances découragent probablement une bonne partie de la population d’en consommer. De plus, tant que la communauté internationale, y compris les voisins et les partenaires commerciaux du Canada, s’en tiendra à un régime d’interdiction, nul ne saurait prévoir les répercussions juridiques, sanitaires et sociales qu’entraînerait un changement de politique radical de la part d’un seul pays. Par conséquent, le Comité n’est pas convaincu pour le moment que tout avantage qu’il pourrait y avoir à légaliser en masse les substances illicites, ou même leur possession à des fins d’usage personnel, compenserait les conséquences éventuellement néfastes d’une telle mesure. Quoiqu’il en soit, il n’y a pas consensus parmi les membres du Comité sur l’opportunité d’abroger l’une ou l’autre des interdictions prévues par la Loi réglementant certaines drogues et autres substances.


253Rapport final de la Commission d’enquête sur l’usage des drogues à des fins non médicales, Information Canada, Ottawa, 1973, p. 45.
254Diane Riley, Fondation canadienne pour une politique sur les drogues et Association internationale pour la réduction des méfaits des drogues, mémoire au Comité, 18 février 2002, p. 7.
255Robert Adamec, professeur, témoignage devant le Comité, 16 avril 2002.
256Lindsay Lyster, Association des libertés civiles de la Colombie-Britannique, mémoire au Comité, 5 décembre 2001, p. 5.
257Détective Glen Hayden, Association canadienne des policiers, témoignage devant le Comité, 8 mai 2002.
258Le texte intégral de la Convention unique sur les stupéfiants de 1961 est accessible au site Web de l’Organe international de contrôle des stupéfiants à l’adresse suivante : www.incb.org/e/.
259Daniel Dupras, Les obligations internationales du Canada en vertu des principales conventions internationales sur le contrôle des drogues, Bibliothèque du Parlement, 20 octobre 1998, p. 40.
260Ibid.
261Paul Saint-Denis, avocat-conseil, Section de la politique en matière de droit pénal, ministère de la Justice, témoignage devant le Comité, 1er octobre 2001.
262Nations Unies, Convention unique sur les stupéfiants de 1961, article 18.
263Le texte intégral de la Convention sur les substances psychoactives est accessible au site Web de l’Organe international de contrôle des stupéfiants à l’adresse suivante : www.incb.org/e/.
264Convention sur les substances psychoactives, article 16.
265Le texte intégral de la Convention contre le trafic illicite de stupéfiants et de substances psychoactives est accessible au site Web de l’Organe international de contrôle des stupéfiants à l’adresse suivante : www.incb.org/e/.
266Convention contre le trafic illicite de stupéfiants et de substances psychoactives, paragraphe 3(1)(a).
267Convention contre le trafic illicite de stupéfiants et de substances psychoactives, paragraphe 3(2).
268Dupras, p. 22.
269Le cannabis : Rapport de la Commission d’enquête sur l’usage des drogues à des fins non médicales, Information Canada, Ottawa, 1972, p. 212.
270Nicholas Dorn, Alison Jamieson, Room for Manœuvre, Drugscope, Londres, mars 2000.
271Terry Cormier, directeur, Direction du crime international, ministère des Affaires étrangères et du Commerce international, témoignage devant le Comité, 27 août 2002.