SSLR Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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37e LÉGISLATURE, 2e SESSION
Sous-comité de l'examen des lois sur le racolage du Comité permanent de la justice et des droits de la personne
TÉMOIGNAGES
TABLE DES MATIÈRES
Le mardi 7 octobre 2003
º | 1600 |
La présidente (L'hon. Hedy Fry (Vancouver-Centre, Lib.)) |
La présidente |
Mme Libby Davies (Vancouver-Est, NPD) |
La présidente |
Mme Libby Davies |
La présidente |
M. Réal Ménard (Hochelaga—Maisonneuve, BQ) |
La présidente |
M. Richard Mosley (sous-ministre adjoint, Division des politiques en matière de droit pénal, ministère de la Justice) |
º | 1605 |
º | 1610 |
La présidente |
M. Richard Mosley |
La présidente |
Mme Lucie Angers (avocate-conseil, Section de la politique en matière de droit pénal, ministère de la Justice) |
º | 1615 |
º | 1620 |
º | 1625 |
La présidente |
M. Chuck Cadman (Surrey-Nord, Alliance canadienne) |
M. Richard Mosley |
Mme Lucie Angers |
M. Chuck Cadman |
º | 1630 |
Mme Lucie Angers |
M. Richard Mosley |
La présidente |
M. Richard Marceau (Charlesbourg—Jacques-Cartier, BQ) |
M. Richard Mosley |
º | 1635 |
M. Richard Marceau |
M. Richard Mosley |
M. Richard Marceau |
M. Richard Mosley |
M. Richard Marceau |
M. Richard Mosley |
M. Réal Ménard |
Mme Lucie Angers |
M. Richard Marceau |
º | 1640 |
Mme Lucie Angers |
La présidente |
M. Inky Mark (Dauphin—Swan River, PC) |
M. Richard Mosley |
M. Inky Mark |
M. Richard Mosley |
M. Inky Mark |
M. Richard Mosley |
M. Inky Mark |
M. Richard Mosley |
La présidente |
Mme Libby Davies |
º | 1645 |
M. Richard Mosley |
Mme Libby Davies |
M. Richard Mosley |
º | 1650 |
Mme Libby Davies |
M. Richard Mosley |
Mme Lucie Angers |
Mme Libby Davies |
Mme Lucie Angers |
Mme Libby Davies |
La présidente |
Mme Libby Davies |
Mme Lucie Angers |
º | 1655 |
Mme Libby Davies |
Mme Lucie Angers |
La présidente |
Mme Paddy Torsney (Burlington, Lib.) |
La présidente |
Mme Paddy Torsney |
La présidente |
Mme Paddy Torsney |
La présidente |
Mme Lucie Angers |
La présidente |
M. Réal Ménard |
» | 1700 |
M. Richard Mosley |
M. Réal Ménard |
La présidente |
M. Richard Mosley |
La présidente |
Mme Lucie Angers |
La présidente |
M. Chuck Cadman |
M. Richard Mosley |
» | 1705 |
M. Chuck Cadman |
La présidente |
Mme Paddy Torsney |
M. Richard Mosley |
La présidente |
Mme Libby Davies |
M. Richard Mosley |
Mme Libby Davies |
» | 1710 |
Mme Lucie Angers |
Mme Libby Davies |
Mme Lucie Angers |
La présidente |
Mme Paddy Torsney |
La présidente |
CANADA
Sous-comité de l'examen des lois sur le racolage du Comité permanent de la justice et des droits de la personne |
|
l |
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l |
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TÉMOIGNAGES
Le mardi 7 octobre 2003
[Enregistrement électronique]
º (1600)
[Traduction]
La présidente (L'hon. Hedy Fry (Vancouver-Centre, Lib.)): La séance est ouverte.
Comme vous le savez, nous recevons aujourd'hui des témoins du ministère de la Justice, mais avant de leur donner la parole, nous avons quelques petites questions administratives à régler.
Nous devons parler du temps de parole que nous désirons accorder aux témoins. Normalement on leur donne 10 minutes. Donc, nous devons décider aujourd'hui ce que nous comptons faire pour la période des questions, combien de temps doivent durer les tours des questions, quelle sera la procédure, etc. Peut-être que nous pourrions rapidement régler ces détails.
D'abord, nous pourrions nous entendre pour suivre la procédure normale, c'est-à-dire d'accorder 10 minutes à chaque témoin. Cela vous convient-il? Bon. Très bien. On dirait que nous sommes d'accord.
Et de combien de temps devrait disposer chaque député pour interroger le témoin? Avez-vous des propositions à faire?
Une voix: Les députés ont normalement droit à combien de temps?
La présidente: Eh bien, cela varie d'un comité à l'autre. Je sais que je m'embrouille des fois, étant donné que pour un comité j'ai droit à sept minutes, alors que pour un autre, je n'ai droit qu'à cinq minutes, mettons.
Au Comité principal de la justice, je crois savoir que les membres de l'opposition ont droit à sept minutes au départ—c'est-à-dire que pour le premier tour de questions, ils ont droit à sept minutes, mais pour les tours suivants, ils ont droit à seulement trois minutes. Est-ce que cette formule vous conviendrait?
Mme Libby Davies (Vancouver-Est, NPD): Nous sommes un plus petit comité.
La présidente: Oui, justement. Il faut en parler.
Mme Libby Davies: Comme nous sommes un plus petit comité et que nous souhaitons—du moins je l'espère—vraiment approfondir cette question, je serais tout à fait d'accord pour prévoir que chaque membre ait plus de temps pour poser ses questions, si cela ne pose pas de problème par rapport au nombre de témoins que nous comptons recevoir.
Si chaque partie avait droit à sept minutes pour le premier tour de questions... je ne sais pas. J'essaie de me rappeler ce que nous avons fait au Comité sur la consommation non médicale des drogues, car d'après mon souvenir, le système que nous y avions adopté a très bien marché. Je ne me rappelle pas d'avoir eu l'impression qu'on ne nous donnait pas suffisamment de temps pour nous exprimer ou poser des questions.
Je ne sais pas si d'autres se souviennent de la formule que nous avions adoptée au sein de ce comité. Peut-être que Réal s'en souvient.
La présidente: Je pense que Réal a même beaucoup participé à la définition de cette formule.
[Français]
M. Réal Ménard (Hochelaga—Maisonneuve, BQ): Est-ce que ce n'était pas dix la première fois et cinq la deuxième fois? Je préférerais que ce soit dix minutes pour le premier tour et cinq pour le deuxième si on a assez temps. On n'est pas nombreux, mais est-ce qu'il y aura plusieurs libéraux? On ne le sait pas. Au Comité sur la consommation non médicale de drogues ou médicaments, cela avait bien fonctionné.
[Traduction]
La présidente: Un libéral.
Inky, je ne sais pas si vous ne préféreriez pas vous asseoir là-bas. C'est plus facile. Vous aurez plus de place. Il n'est pas obligatoire que nous soyons toujours assis les uns en face des autres, surtout que Paddy est la seule personne qui va s'asseoir là-bas.
Donc, est-ce que tout le monde est d'accord? Il a été proposé que nous options pour un premier tour de 10 minutes, et d'un deuxième tour de cinq minutes. Très bien. Tout le monde semble être d'accord.
Nous allons donc commencer à entendre nos témoins, qui vont passer en revue avec nous les lois sur le racolage. Nous recevons cet après-midi deux témoins du ministère de la Justice, soit Richard Mosley, sous-ministre adjoint, Division des politiques en matière de droit pénal, et Lucie Angers, avocate-conseil, Section de la politique en matière de droit pénal.
Monsieur Mosley, voulez-vous commencer?
M. Richard Mosley (sous-ministre adjoint, Division des politiques en matière de droit pénal, ministère de la Justice): Merci, madame la présidente.
Quand nous avons été invités à comparaître devant le comité cet après-midi, nous avons consulté au préalable votre greffier pour savoir de quelle documentation les membres du comité pourraient éventuellement avoir besoin en prévision de cet examen. Il nous a été suggéré que nous fassions un peu l'historique de notre cadre législatif en expliquant comment nous en sommes arrivés à la législation actuelle.
Si j'ai bien compris, même si l'ordre de renvoi de la Chambre concerne plus précisément le racolage, vous vous intéressez à des questions générales concernant la prostitution. Comme il est difficile de séparer le racolage dans la rue de ces autres questions, nous allons essayer d'élargir un peu la discussion pour englober ces aspects plus généraux.
J'ai passé beaucoup de temps pendant les années 80 à examiner cette question, et ma collègue, Me Angers, examine, elle aussi, cette question depuis les années 90. Donc, nous avons pensé répartir entre nous deux l'exposé de cet après-midi. Pour ma part, je vais remonter loin en vous présentant les premières lois traitant de la question, alors que le Me Angers vous mettra au courant de ce qui s'est produit plus récemment.
Nous avons fait circuler un document d'information, qui présente en premier lieu une sorte de truisme, que vous allez peut-être considérer comme une observation assez banale, puisque vous l'aurez déjà entendue, à savoir que la prostitution proprement dite n'est pas illégale au Canada, bien que le Code criminel prévoit trois catégories d'activités se rapportant à la prostitution. Il s'agit, respectivement, de la tenue ou de l'habitation d'une maison de débauche, cette infraction étant prévue à l'article 210 du Code criminel; du proxénétisme ou du fait de vivre des produits de la prostitution, infractions inscrites à l'article 212 du Code; et enfin, de l'infraction qui a sans doute posé le plus problème au cours des 20 dernières années, soit le fait de communiquer dans un endroit public dans le but de se livrer à la prostitution, cette infraction étant inscrite à l'article 213 du Code.
Pour ce qui est maintenant de l'historique de la législation, avant 1972, le Canada avait une infraction liée au vagabondage qui faisait partie intégrante du Code criminel, et qui visait différentes situations. Une de ces situations concernait les femmes qui étaient trouvées dans un endroit public et n'étaient pas en mesure de justifier leur présence dans ce lieu. Cette infraction permettait de régler le cas de ce qu'on appelait les filles publiques ou coureuses de nuit, et elle autorisait la police et ce qu'on appelait à l'époque les magistrats à enlever—puisque cette disposition ne concernait que les femmes—des rues et à leur imposer des amendes pour avoir mené leurs activités dans des endroits publics.
Bien sûr, il s'agit d'une mesure archaïque établie au tout début du siècle et qui découlait des vieilles lois anglaises visant à maintenir l'ordre public. Cette disposition a été abrogée en 1972 et remplacée par une infraction qui ne concernait pas le statut ou la situation de l'individu proprement dit, mais plutôt la conduite de cette personne dans un endroit public. Il s'agissait donc de criminaliser l'acte consistant à solliciter une personne dans un endroit public pour les fins de la prostitution.
Ce changement se voulait une réforme en 1972, l'idée étant d'actualiser la législation. Or cette modification a donné lieu à toutes sortes de problèmes, puisque son interprétation a fait l'objet de maints désaccords au cours des années qui ont suivi. La question de savoir en quoi consistait la « sollicitation » a suscité énormément de questions devant les tribunaux. S'agissait-il d'un clin d'oeil, d'un signe de la tête, ou d'une conversation entamée spontanément? Est-ce que c'était cela la sollicitation? Quel degré d'importunité ou de persuasion devait être présent pour qu'il y ait « racolage »? On se demandait aussi si cela s'appliquait aux clients—c'est-à-dire aux clients qui auraient pu racoler quelqu'un d'autre pour les mêmes fins dans un endroit public. Est-ce que cette infraction s'appliquait également aux clients des prostituées? Eh bien, plusieurs décisions judiciaires contradictoires ont été rendues sur la question. Ce en quoi consistait un endroit public suscitait beaucoup de questions, et on se demandait aussi si la loi s'appliquait également à quelqu'un qui faisait du racolage à partir d'un véhicule à moteur dans un endroit public.
º (1605)
Donc, disons que la mise en application de la loi de 1972 n'a pas été facile, mais la situation n'est devenue critique qu'à la suite de la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Hutt en 1978. La Cour a statué que pour que l'acte de racolage réponde aux critères de l'acte criminel défini par le Code, il fallait qu'il y ait à la fois pression et insistance. Lors d'une décision ultérieure, dans l'affaire Whitter et Galjot, en 1981, la Cour a statué que l'acte de racolage devait concerner un seul client et ne pouvait correspondre à une série d'avances faites à différents clients potentiels. Dans cette décision, la Cour répondait à une tentative de la part des polices et de la Couronne de respecter la norme établie dans l'arrêt Hutt en prouvant, au moyen de diverses preuves, que l'accusé avait en l'occurrence abordé toute une série de clients potentiels. La Couronne prétendait que cette conduite était caractérisée par une pression et une forte insistance, mais malheureusement, cet argument n'a pas été retenu par la Cour.
Au cours de cette période, soit de 1978 à 1984, les provinces, à l'occasion de réunions fédérales-provinciales de ministres de la Justice, les municipalités, et certainement les différentes forces policières, ont exhorté le gouvernement à modifier la législation pour qu'elle soit plus efficace et qu'elle s'attaque directement aux problèmes recensés par les tribunaux, notamment en réaction à l'arrêt Hutt.
À l'époque, le gouvernement du Canada préférait—du moins telle était l'opinion du ministre de la Justice de l'époque—laisser le soin aux municipalités d'adopter des règlements à ce sujet. Les autorités fédérales prétendaient que les municipalités seraient plus à même de s'attaquer à cette difficulté dans l'optique du contrôle de leurs propres espaces publics, et qu'il n'était donc pas nécessaire d'inscrire ces infractions dans le code pénal. Voilà justement l'opinion exprimée à maintes reprises par le ministre de la Justice de l'époque aux réunions dont je viens de vous parler.
Malheureusement, les efforts déployés par les municipalités en vue de réagir à l'invitation du fédéral d'intervenir ont, encore une fois, donné lieu à une décision de la Cour suprême du Canada, cette fois-ci dans l'arrêt Westendorp en 1983. Cette décision concernait une tentative faite par la Ville de Calgary pour faire respecter un règlement municipal qu'elle avait adopté pour régler une situation qu'elle qualifiait de nuisance publique dans les rues de la ville. Dans l'arrêt Westendorp, la Cour suprême a dit ceci : « Désolée, mais cette affaire relève du droit pénal. Vous avez empiété sur un domaine de compétence qui ne relève pas de votre responsabilité. »
Voilà donc qui a intensifié les pressions sur le gouvernement du Canada pour intervenir. Comme vous le savez, en 1983, le gouvernement de l'époque arrivait à la fin de son mandat et devait donc déclencher des élections générales. Le ministre de la Justice de l'époque, l'honorable Mark MacGuigan, a donc décidé de créer un comité spécial présidé par M. Paul Fraser de Vancouver; il s'agissait du Comité spécial d'étude de la pornographie et de la prostitution nommé en 1983.
Ce comité n'a présenté son rapport qu'en 1985, au moment où M. Crosbie était alors ministre de la Justice. Comme nous vous l'avons fait remarquer dans notre document d'information, le comité était d'avis que la prostitution constituait un problème social nécessitant des réformes à la fois juridiques et sociales. Autrement dit, si la prostitution était légale, il s'agissait de savoir où et à quels moments cette activité pouvait ou non se dérouler. L'une des recommandations plus importantes du comité—et celle qui a certainement attiré le plus d'attention—laissait prévoir la possibilité qu'une ou deux prostituées puissent travailler à partir d'habitations privées; autrement dit, si cela était permis, il serait possible de répondre au moins aux préoccupations de certains concernant la prostitution dans les rues.
Juste avant 1984, le Comité sur les infractions sexuelles à l'égard des enfants et des jeunes, appelé le Comité Badgley...
º (1610)
La présidente: Il vous reste moins de deux minutes—une minute, pour être précise.
M. Richard Mosley: Dans ce cas, je ne vais pas passer tout ce document en revue avec vous. Vous pourrez le lire quand cela vous conviendra.
Pour résumer, nous avons continué à travailler pendant toutes les années 80. Ainsi il y a eu la loi déposée par M. Crosbie, c'est-à-dire la loi actuelle; l'examen effectué par le Comité permanent de la justice et du solliciteur général, comme il se nommait à l'époque; un rapport en 1989; une autre décision de la Cour suprême du Canada en 1990; la réaction du gouvernement en 1991; un groupe de travail fédéral-provincial-territorial sur la prostitution créé en 1992, qui a fait rapport en 1998 en présentant un certain nombre de recommandations; et ensuite d'autres réunions où il a été question de considérations liées à la protection des enfants, toujours dans le contexte des prostitués enfants.
Je vais en rester là. Vu la situation, je ne vais pas demander à ma collègue de continuer, à moins que vous n'ayez envie d'entendre davantage.
La présidente: C'est-à-dire qu'on avait l'intention d'accorder 10 minutes à Mme Angers pour qu'elle fasse son exposé.
Merci beaucoup, monsieur Mosley.
[Français]
Mme Lucie Angers (avocate-conseil, Section de la politique en matière de droit pénal, ministère de la Justice): Merci, madame la présidente.
Je vais commencer à la page 9 puisque, comme M. Mosley l'a mentionné, plusieurs événements se sont passés après les années 1990. Il y a eu principalement la création du Groupe de travail fédéral-provincial-territorial sur la prostitution, qui a fait de nombreuses recherches et de nombreuses consultations, et qui a présenté en 1995 un rapport intérimaire contenant plusieurs recommandations, dont certaines ont été suivies par le gouvernement. Cependant, ayant discuté avec votre recherchiste, je crois que vous vous intéressez davantage aux recommandations que le Groupe de travail fédéral-provincial-territorial sur la prostitution a faites en 1998.
Le but principal du groupe de travail était de s'attarder à deux questions principales: la question des jeunes impliqués dans la prostitution et celle de la sollicitation de rue. À la suite des travaux de notre comité, il a été décidé que nous devions aussi nous pencher sur la question qui a fait en sorte que vos travaux ont débuté, c'est-à-dire la question de la violence contre les prostituées, qui se retrouve tant du côté des jeunes impliqués dans la prostitution que de celui de la sollicitation de rue.
Je ne sais pas si vous voulez que je vous parle un peu plus en profondeur de la question de la violence, qui intéresse particulièrement Mme Davies. C'est une question qui est soulevée tout au long du rapport du comité à cause de la prévalence de la violence au niveau de la sollicitation de rue. Le Groupe de travail fédéral-provincial-territorial sur la prostitution s'est fondé sur plusieurs consultations et aussi sur de la recherche qui a démontré qu'il y avait une relation très étroite entre la violence contre les prostituées et l'endroit où les prostituées exerçaient leur métier. L'anonymat, l'isolation et les autos dans lesquelles la prostitution est souvent exercée, tous ces facteurs contribuaient à faire en sorte que les prostituées de rue étaient davantage victimes de violence que les prostituées qui travaillaient à l'intérieur, dans des maisons, par exemple.
Le Groupe de travail fédéral-provincial-territorial a aussi constaté qu'au niveau de l'application de la loi, il y avait une différence marquée entre l'application de l'article 213, qui vise la communication dans un lieu public pour des fins de prostitution, et l'application de l'article 210, qui porte sur les maisons de débauche ou les bordels. Le groupe de travail a constaté qu'il y avait beaucoup moins d'inculpations en vertu de l'article 210 qu'en vertu de l'article 213, cela en raison d'un besoin et d'une demande de la population, des municipalités et des provinces de faire en sorte que la prostitution de rue ne soit pas exercée dans des quartiers résidentiels. Tout cela a amené la prostitution à se déplacer. Une des conclusions du groupe de travail a été que l'article 213 n'avait sans doute pas réussi à résoudre le problème de la prostitution de rue, mais avait certainement réussi à déplacer le problème d'un endroit à l'autre.
Nous pourrions partager avec vos recherchistes certaines statistiques qui tendent à démontrer que l'article 213 a eu un certain impact, mais peut-être pas un impact aussi important que le gouvernement de l'époque l'aurait voulu.
C'est l'une des problématiques qui, je le croyais, vous intéresseraient davantage. La question de la violence est aussi reliée à la question des jeunes impliqués dans la prostitution.
º (1615)
Contrairement aux recommandations sur la sollicitation de rue, les recommandations concernant les jeunes impliqués dans la prostitution ont fait l'objet d'un consensus quasi unanime chez les membres du Groupe de travail fédéral-provincial-territorial sur la prostitution. Les jeunes étant davantage victimisés et les intervenants ayant un meilleur espoir de les « réhabiliter » ou de les sortir d'un milieu inadéquat pour eux, les principales conclusions du groupe de travail ont porté sur l'aspect de l'intervention sociale plutôt que sur l'aspect de la criminalisation de ces jeunes.
Comme vous le savez, il y a plusieurs moyens de traiter les jeunes en difficulté, et il y a eu plusieurs tentatives au niveau des provinces et à celui du gouvernement fédéral pour faire en sorte qu'on traite les jeunes de façon un peu plus appropriée, tant sur plan de la discrétion policière--le policier peut dire au jeune qu'il va aller le conduire chez lui et parler à ses parents pour essayer de briser le cercle dans lequel le jeune pourrait s'enliser--, que sur le plan, par exemple, des directives à la Couronne pour faire en sorte de ne pas inculper le jeune qui se trouve dans cette situation. Tout le raisonnement qui sous-tendait le traitement des jeunes impliqués dans la prostitution visait la victimisation des jeunes par rapport à une décision qu'ils auraient eux-mêmes prise et qui ferait en sorte qu'ils se retrouveraient dans ce milieu.
Il y a aussi toute la question de l'application des lois provinciales relatives au bien-être de l'enfant, par exemple en Alberta--on va y faire allusion un peu plus tard--et celle des mesures alternatives applicables aux jeunes et aux adolescents qui existent en vertu de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents. Je ne m'y attarderai pas, mais vous pourrez me demander de revenir sur ces questions si vous le voulez.
Donc, la deuxième tranche du rapport du Groupe de travail fédéral-provincial-territorial sur la prostitution portait sur la violence reliée aux jeunes impliqués dans la prostitution. Finalement, le groupe de travail a parlé de toute la question de la sollicitation de rue et de la façon de traiter de cet important problème.
Entre autres, le groupe de travail a recommandé qu'on fasse en sorte que les municipalités, les provinces et le gouvernement fédéral se parlent afin de discuter de l'opportunité de créer des red-light districts ou des zones de tolérance dans lesquelles la prostitution de rue pourrait être exercée, et aussi de voir s'il n'y aurait pas lieu d'avoir des maisons closes dans certains districts.
Comme M. Ménard me le rappelait, il y a un projet de loi d'initiative parlementaire qui existe et qui est présentement devant la Chambre, le projet de loi C-480. Beaucoup d'autres d'initiatives semblables ont été prises au cours des années pour décriminaliser la prostitution de rue en modifiant l'article 213, ou encore en décriminalisant ou en réglementant les maisons closes par l'intermédiaire de modifications à l'article 210 du Code criminel.
Évidemment, il y a des avantages et des désavantages dans le fait de décriminaliser ou de réglementer les maisons closes. Il y a eu beaucoup de discussion au sujet de la décriminalisation par opposition à la réglementation. C'était le troisième volet du rapport du Groupe de travail fédéral-provincial-territorial sur la prostitution.
Il y a eu beaucoup d'initiatives après le dépôt du rapport du Groupe de travail fédéral-provincial-territorial sur la prostitution étant donné que ce rapport avait mis l'accent sur les jeunes impliqués dans la prostitution. Il y a eu l'établissement d'un autre groupe de travail qui existe présentement, qui est le Groupe de travail fédéral-provincial-territorial sur l'exploitation sexuelle des enfants et des jeunes à des fins commerciales, qui s'occupe principalement du trafic des jeunes entre les provinces et aussi de la question de savoir comment les nouvelles technologies peuvent contribuer à résoudre des problèmes mais aussi créer d'autres problèmes.
Après le dépôt du Groupe de travail fédéral-provincial-territorial sur la prostitution, plusieurs projets de loi gouvernementaux ont aussi été déposés afin de simplifier les procédures pour qu'on puisse s'attaquer à la prostitution de rue chez les jeunes et pour favoriser, comme Mme Fry le sait très bien, la poursuite des Canadiens qui vont à l'étranger pour commettre des crimes de tourisme sexuel, par exemple.
º (1620)
Sur les dernières diapositives, on parle des réactions des provinces à la prostitution. Un exemple intéressant, et j'y ai fait allusion, est celui de ce qui s'est passé au Manitoba et en Alberta.
La dernière diapositive concerne ce qui se passe au niveau international. En ce moment, il y a un courant, surtout au niveau de l'Union européenne, qui fait en sorte qu'il y a de plus en plus de décriminalisation de la prostitution, surtout au niveau des maisons closes, permettant ainsi aux prostituées d'avoir une couverture sociale et d'exercer leur métier dans des conditions plus sécuritaires que lorsqu'elles le pratiquaient dans la rue.
Voilà, c'était ma présentation. Merci.
º (1625)
[Traduction]
La présidente: Merci, madame Angers.
Monsieur Cadman.
M. Chuck Cadman (Surrey-Nord, Alliance canadienne): Je voudrais tout d'abord remercier nos témoins. Je suis très content de vous revoir.
J'ai plusieurs questions à vous poser. D'abord comme vous l'avez dit vous-même, plusieurs modifications ont été apportées à la loi ces dernières années pour aborder directement la question de l'exploitation des jeunes. Pourriez-vous nous indiquer brièvement en quoi ont consisté ces changements, et s'ils ont donné lieu à des améliorations marquées dans le sens de favoriser les victimes? À mon avis, c'est ça qui doit être notre priorité—les victimes—parce que c'est de ça qu'il s'agit. Les enfants qui sont travailleurs du sexe sont des victimes. Je voudrais donc savoir si les modifications apportées à la législation depuis une dizaine d'années ont donné lieu à des améliorations tangibles et mesurables à cet égard?
M. Richard Mosley: Nous allons tous les deux essayer de répondre à votre question.
Je ne sais pas dans quelle mesure on peut dire qu'il y a eu des résultats mesurables dans ce domaine. Comme vous le savez, il y a eu plusieurs mesures législatives, si on remonte au projet de loi C-15 et au projet de loi C-51, si je ne me trompe pas—je ne me rappelle pas du numéro exact—vers la fin des années 80, et les efforts se sont poursuivis jusqu'au dépôt du projet de loi C-20, dont la Chambre est actuellement saisie.
Il va sans dire que les efforts législatifs déployés jusqu'à présent ont surtout visé à éliminer d'éventuelles échappatoires qui auraient permis l'exploitation sexuelle des enfants. Beaucoup de temps et d'efforts ont donc été consacrés à cette question. Il y a eu les deux rapports du Comité Badgley. Les groupes de travail fédéraux-provinciaux se sont également penchés sur la question.
J'avoue que nous n'avons pas fait les recherches nécessaires pour être à même de répondre à cette question précise aujourd'hui, mais nous serions très heureux de vous faire un exposé complet de tout ce qui a été fait jusqu'à présent et de consulter nos collègues des provinces et des autres ministères fédéraux pour savoir dans quelle mesure ils auraient eu des indications que cette législation porte ses fruits.
Voulez-vous ajouter quelque chose?
Mme Lucie Angers: Oui.
Comme vous l'expliquait M. Mosley, rédiger des mesures législatives sur la prostitution n'est pas tâche facile. Il est même très difficile de savoir combien de prostituées, surtout combien de jeunes prostituées, font ce travail à l'heure actuelle. Comme vous le savez, une bonne partie de cette activité est cachée ou clandestine, comme elle est illégale aux termes du Code criminel.
L'une des mesures prises par le gouvernement en 1997 et 1999 consistait à faciliter l'application de la disposition concernant l'obtention des services sexuelles d'un enfant. Les forces policières étaient très critiques à l'époque, puisqu'elles disaient qui leur était impossible de faire respecter cette disposition, puisque la meilleure façon d'attraper les gens serait d'utiliser des agents de diversion, alors qu'elles ne pouvaient absolument pas avoir recours à des agents âgés de moins de 18 ans, puisque ce serait contraire à la moralité, etc. Donc, le gouvernement a modifié cette disposition pour s'assurer qu'elle serait applicable. D'après les discussions qui se sont tenues, du moins au sein de tous les groupes de travail, ce changement semblait avoir donné de bons résultats jusqu'à un certain point—en tout cas la disposition était plus facile à appliquer.
Que cela ait permis ou non d'empêcher que les enfants continuent de mener de telles activités dans la rue, ça c'est une toute autre question. Comme vous le savez, cette activité est tellement liée à la violence, à l'utilisation des drogues, et à tous ces autres éléments qui font croire à un enfant qu'il peut vivre convenablement dans la rue. Mais nous pourrons certainement y revenir à un autre moment.
De plus, les dispositions concernant le tourisme sexuel impliquant les enfants ont certainement aidé à communiquer le message aux Canadiens qu'il est inadmissible de compromettre le bien-être des enfants, non seulement au Canada, mais à l'étranger. Je crois que cette mesure a permis de communiquer un message beaucoup plus clair à la population.
M. Chuck Cadman: Dans ce même ordre d'idées, le gouvernement fédéral a-t-il cherché à travailler de concert avec ses homologues provinciaux, soit pour réunir des statistiques, soit pour établir des indicateurs d'évaluation ou de mesures—peu importe le terme—afin d'essayer de se faire une idée précise de l'ampleur du problème? Je sais que dans certaines régions—évidemment dans les circonscriptions de Libby et de Hedy qui sont du côté est du centre-ville, et dans ma propre circonscription de Surrey—cette activité est extrêmement visible dans les rues. On peut prendre certaines mesures pour essayer de la contrôler un peu, mais c'est difficile, comme vous l'avez avoué vous-même. J'aimerais donc savoir si les différentes administrations ont cherché à conjuguer leurs efforts pour être en mesure de connaître l'ampleur du problème?
º (1630)
Mme Lucie Angers: Voilà justement l'un des problèmes auxquels s'est heurté le groupe de travail, parce que lorsque nous avons entamé ce travail en 1992, les données n'étaient pas encore désagrégées. Donc, toutes les accusations ou dossiers se rapportant aux articles 213 et 212 portaient un même numéro, et ça s'arrêtait là. Or nous voulions savoir combien de cas il y avait eu de chaque infraction, à savoir, le proxénétisme, le fait de vivre des produits de la prostitution, ou le fait d'obtenir des services sexuels d'un enfant. Par exemple, l'article 212 concerne l'infraction du proxénétisme, mais elle comprend également la disposition relative à l'obtention des services sexuels d'un enfant, et nous n'avions aucune idée du nombre de personnes accusées en vertu de cet article, par opposition à l'activité consistant à racoler un adulte en vue d'avoir des rapports sexuels illicites avec lui ou avec elle.
Donc, on s'est attaqué directement à ce problème et la situation a été rectifiée. Les données de certaines provinces ne sont toujours pas incluses; pour le moment, la Colombie-Britannique, le Manitoba, le Nouveau-Brunswick et le Nunavut sont exclus. Mais nous faisons notre possible pour réunir toutes les données dans le cadre d'un sondage mené chaque année par le Centre canadien de la statistique juridique auprès des tribunaux de juridiction criminelle pour adultes. Donc, nous faisons des progrès pour ce qui est d'obtenir des données plus fiables à ce sujet.
M. Richard Mosley: Si je peux me permettre d'ajouter quelque chose, tous ont également reconnu que nous avons tendance à travailler chacun en vase clos. Nous entretenons normalement des contacts avec nos collègues des ministères provinciaux de la Justice, et dans ce cas, il fallait absolument un effort horizontal. On a donc essayé d'entamer des discussions avec les ministres de la Protection sociale et de la Justice sur cette problématique.
Merci, madame la présidente.
La présidente: Merci. C'était excellent; il vous restait quatre minutes.
Monsieur Marceau.
[Français]
M. Richard Marceau (Charlesbourg—Jacques-Cartier, BQ): Merci, madame la présidente.
Je vous remercie d'être venus nous rencontrer aujourd'hui. Vous savez que vous êtes nos premiers témoins. Vous serez donc un peu nos cobayes.
Lorsqu'une loi est adoptée, il y a un objectif derrière cela. La première question, qui peut paraître banale, mais qui ne l'est pas vraiment, est celle-ci. Quels sont les objectifs poursuivis par les articles 210, 212 et 213 du Code criminel? Qu'est-ce qu'on cherche précisément à faire par ces articles?
[Traduction]
M. Richard Mosley: Je vais m'y attaquer en premier… et ma collègue ajoutera ses commentaires par la suite.
Certaines de ces dispositions du Code criminel existent depuis de nombreuses années, si bien qu'il nous est difficile de savoir quel était au départ l'objectif poursuivi.
Cette notion de tenue ou d'habitation d'une maison de débauche remonte très loin—sans doute au XIXe siècle. Il s'agissait sans doute d'une tentative pour éliminer la nuisance publique ou sociale qu'on pouvait associer aux maisons de tolérance, ou du moins pour donner à la police les moyens nécessaires de contrôler leur prolifération.
Pour ce qui est des infractions relatives au proxénétisme ou au fait de vivre des produits de la prostitution, ces dernières visaient de toute évidence à contrôler ce qu'on appelait autrefois la « traite des blanches », c'est-à-dire le fait de tirer des revenus de la prostitution des femmes.
En ce qui concerne l'infraction consistant à communiquer dans un endroit public à des fins de prostitution, il était clair en 1985 que le gouvernement fédéral se sentait obligé à réagir face aux pressions exercées par les collectivités en vue de régler le problème des grands nombres de prostituées qui se tenaient dans les centres-villes des grands centres urbains—quelque chose qui constituait une nuisance sociale à leurs yeux.
Comme je vous l'indiquais tout à l'heure, le Comité Fraser a fait une recommandation à ce sujet que le gouvernement a décidé de ne pas retenir. Je peux vous dire que c'est surtout en raison du manque de consensus à l'époque chez les gouvernements provinciaux, et surtout parmi les municipalités. L'un des problèmes auxquels nous avons été confrontés au fil des ans est le fait que même lorsque des recommandations sont faites de bonne foi, ces dernières sont rarement mises en application, parce qu'il est rare qu'un consensus intervienne sur les modalités d'application. Voilà donc qui était clair en 1985.
M. Crosbie, le ministre de la Justice de l'époque, a donc décidé de s'attaquer au problème qui constituait la plus grande pomme de discorde à ce moment-là sur le plan des relations fédérales-provinciales, à savoir le racolage dans les rues. Il n'a pas pu obtenir l'accord des provinces pour aller plus loin, et il a donc décidé de prendre des mesures pour régler ce problème en particulier.
º (1635)
[Français]
M. Richard Marceau: Cela, c'est l'article 213.
[Traduction]
M. Richard Mosley: Oui.
[Français]
M. Richard Marceau: La question suivante va de soi. Est-ce que cela a fonctionné? Est-ce que l'objectif poursuivi par l'article 213, c'est-à-dire d'éviter la sollicitation publique, a été atteint, selon vous?
[Traduction]
M. Richard Mosley: C'est difficile à dire; les avis sont partagés à ce sujet. Si vous en parlez avec certains chercheurs, ils vous diront : « Non, cela n'a rien donné; cette mesure a simplement déplacé le problème vers d'autres quartiers. » Donc, au lieu que ce problème soit bien visible sur la rue Ste-Catherine à Montréal, par exemple, il a surgi dans d'autres quartiers de la ville où il était moins visible. En 1985, les gens se livraient librement et visiblement à la prostitution dans la rue Ste-Catherine et dans des terrains de stationnement avoisinant la rue Ste-Catherine.
À Halifax, Regina ou Vancouver, où dans n'importe lequel des grands hôtels du centre-ville, en sortant de la porte d'entrée de l'hôtel, vous auriez vu une longue file de prostituées entre la porte d'entrée de l'hôtel et le coin de rue le plus proche. C'est donc ce problème social qui a été à l'origine des fortes pressions exercées pour modifier la loi à l'époque. Et le ministre Crosbie a dit tout à fait ouvertement, si je ne m'abuse, qu'il n'était pas en mesure de faire disparaître tous les maux de la société, et avait donc décidé de s'attaquer à ce problème-là.
[Français]
M. Richard Marceau: Donc, si je comprends bien la présentation historique que vous nous avez faite, la prostitution elle-même n'est pas illégale. On cherchait à ne pas troubler l'ordre public, et une des choses qui troublaient l'ordre public était la sollicitation en public. C'est ce à quoi s'attaquait l'article 213. Vous venez de me dire que de façon générale, cela n'a pas fonctionné. Donc, on a un problème en ce qui a trait à l'objectif et également en ce qui a trait au moyen qui a été pris pour atteindre cet objectif. On ne voulait pas que l'ordre public soit troublé, mais l'article 213 ne règle pas ce problème.
Vous êtes deux experts, deux juristes éminents. Avez-vous des suggestions à faire?
Plusieurs personnes de ce comité se sont penchées sur ce problème, entre autres Libby Davies et Réal Ménard de notre côté. On s'est rendu compte que la situation actuelle ne pouvait pas durer. Vous avez fait ce constat avec nous. Avez-vous des suggestions pour régler ce problème qui est assez présent? On vous demande de faire un peu d'analyse et un peu de prospection.
[Traduction]
M. Richard Mosley: Malheureusement, comme fonctionnaires, nous sommes dans une situation un peu difficile, puisque notre rôle consiste à conseiller le gouvernement et le ministre de la Justice.
Je suis sûr que les autres témoins que vous convoquerez devant le comité auront beaucoup de bonnes suggestions à vous faire. À mon avis, il ne serait pas approprié que nous indiquions quelles seraient d'éventuelles solutions à envisager.
M. Réal Ménard: Dans ce cas, vous ne pouvez pas parler du point de vue du client.
[Français]
Mme Lucie Angers: Nous pouvons cependant dire que lors des discussions du Groupe de travail fédéral-provincial-territorial sur la prostitution, nous avons tout entendu. Il y a eu beaucoup de consultations. Comme on vous l'a dit, on a fait beaucoup de recherche. Le groupe de travail a travaillé pendant six ans, a produit un rapport intérimaire et a déposé son rapport final en 1998, mais on n'a pas réussi à obtenir le consensus. Oui, il y a eu beaucoup de suggestions, et je vous invite à lire le rapport du groupe de travail, mais le problème est d'obtenir un consensus sur ces suggestions. Vous allez voir que la société est très divisée. C'est toujours le principe du « pas dans ma cours ». Les gens peuvent être d'accord sur la légalisation de la prostitution, mais quand on leur demande où et de quelle façon la prostitution doit s'exercer, ils disent que cela ne doit pas se faire trop près de chez eux. C'est le problème auquel a fait face Mme Davies. Quand on tient ce raisonnement, la prostitution s'exerce dans des zones de plus en plus éloignées et il y a de la violence contre les prostituées.
M. Richard Marceau: Maître Angers, dois-je comprendre que vous dites qu'il semble y avoir un certain consensus sur une décriminalisation ou une légalisation de la prostitution, et que le seul problème que vous avez identifié est celui de l'endroit? Est-ce bien ce que vous me dites?
º (1640)
Mme Lucie Angers: Non, on ne peut même pas dire cela, parce qu'on n'a même pas réussi à faire le consensus au sujet de cette approche. Un des principaux problèmes est de savoir où cela va s'exercer, mais quelles municipalités vont vouloir adopter des règlements comme ceux de la ville d'Amsterdam, par exemple, pour faire en sorte que certaines zones soient des zones de maisons closes et que d'autres zones soient des zones où on peut faire de la prostitution de rue? On en s'est même pas rendu jusque-là. Le groupe de travail, comme tous les groupes de travail fédéraux-provinciaux- territoriaux, aurait certainement aimé avoir un consensus sur toutes ces recommandations, mais cela n'a pas été possible, parce que c'est une question trop difficile à résoudre sans entraîner d'autres problèmes.
[Traduction]
La présidente: Merci, monsieur Marceau.
Monsieur Mark.
M. Inky Mark (Dauphin—Swan River, PC): Merci, madame la présidente.
Je voudrais remercier nos témoins pour leur présence aujourd'hui.
La commission Fraser a porté son jugement sur cette même question il y a une vingtaine d'années. À votre avis, quel progrès avons-nous réalisé au chapitre de la décriminalisation?
M. Richard Mosley: Nous n'avons pas vraiment cherché à décriminaliser ces actes-là, et ce en bonne partie à cause des décisions de la Cour suprême du début des années 80, qui ont plus ou moins exclu cette possibilité. C'est une possibilité qui intéressait bien des gens.
À mon avis, le gouvernement de l'époque aurait préféré que ce problème se règle au niveau municipal. Malheureusement, pour que ce soit possible, les municipalités doivent être investies des compétences législatives nécessaires pour adopter les mesures qui s'imposent. Or comme la Cour a plus ou moins éliminé cette possibilité-là, il s'agissait par la suite de voir quelles options faisant intervenir le droit criminel pourraient éventuellement être examinées.
M. Inky Mark: Il y a finalement des similitudes entre cette question et celle de l'utilisation de la marijuana, en ce sens que même quand on décriminalise certaines activités, elle continue de constituer des infractions. Peut-être pourriez-vous m'expliquer la différence—si différence il y a—entre le fait de décriminaliser une activité—c'est-à-dire de le supprimer du Code criminel—et de la légaliser. Y a-t-il une différence, ou parlons-nous de la même chose?
M. Richard Mosley: Il y a effectivement une différence entre les deux, à mon avis.
M. Inky Mark: Existe-t-il quelque chose de précis à ce sujet?
M. Richard Mosley: Oui, absolument. L'extrait que je vais vous lire maintenant est tiré du rapport du Groupe de travail fédéral-provincial-territorial sur la prostitution, publié en décembre 1998. L'extrait que je vous cite se trouve à la page 64 :
Le terme « décriminalisation » désigne l'abrogation pure et simple d'un article visant une infraction se rattachant à la prostitution, comme les articles 210 et 213 du Code criminel; le terme « Réglementation » (légalisation ou décriminalisation partielle) désigne un cadre dans lequel certains éléments d'infractions se rattachant à la prostitution seraient légalisés à certaines conditions prévues au Code criminel, à ces conditions, l'activité ne serait pas poursuivable malgré que les dispositions du Code criminel interdisant ladite activité demeureraient en vigueur quant aux autres parties du pays où on n'aurait pas rempli ces conditions. |
Je pense que c'est là que voulait en venir la Commission Fraser, c'est-à-dire qu'il ne s'agirait pas de supprimer toutes les dispositions du Code; le cadre de base resterait intact. Par contre, certaines activités de prostitution seraient autorisées, et plus précisément lorsqu'il s'agissait d'une ou de deux personnes qui mènent leurs activités dans une maison.
M. Inky Mark: Ne croyez-vous pas que cela correspondrait à communiquer le mauvais message aux citoyens—autrement dit, que cette activité n'a rien de répréhensible si certaines conditions sont remplies, mais lorsque ces conditions ne sont pas remplies, ça ne va plus du tout?
M. Richard Mosley: Vous devrez analyser vous-même le travail de la Commission. À mon avis, cette dernière essayait de tenir compte des réalités pratiques de la situation. Elle a essayé d'élaborer une solution pratique qui permettrait de régler le problème en question.
La présidente: Madame Davies.
Mme Libby Davies: Merci beaucoup.
Je suis très contente qu'on ait l'occasion de tenir cette discussion. Merci d'être venus nous faire l'historique du travail qui s'est fait jusqu'à présent.
Je me rappelle du Comité Fraser. J'étais membre du Conseil municipal de Vancouver à l'époque, et j'étais donc dans l'autre camp, en ce sens que j'avais une connaissance directe du problème des municipalités qui étaient extrêmement stressées et inquiètes en raison du problème causé par la prostitution de rue. En fait, je n'ai jamais vraiment été en faveur des recommandations du Comité Fraser. C'est-à-dire que oui, j'ai soutenu le travail du Comité Fraser, mais les changements qui ont suivi, et qui ont pris la forme d'un resserrement important de la législation, me semblaient tout à fait inadéquats pour régler le problème. Mais je tiens à vous remercier de nous avons fait l'historique de la situation.
Ce qui m'a frappée, c'est que nous sommes encore confrontés à la même problématique, 18 ans après les travaux du Comité Fraser. Ce dernier avait bien compris qu'il s'agissait surtout d'un problème social, d'une part, et d'autre part, que notre législation était terriblement contradictoire, en ce sens que la prostitution n'est pas illégale, mais en même temps, tout ce qui permet à la prostitution de se pratiquer l'est—c'est-à-dire les communications, et les endroits où cela se pratique. Il me semble que le Comité Fraser avait bien reconnu cette réalité-là. Ce qui est tragique, entre autres, c'est que 18 ans plus tard, nous soyons obligés de nous demander si les lois actuelles ont permis d'obtenir les résultats escomptés ou non.
Nous savons maintenant, d'après ce que j'ai pu comprendre, que des centaines de femmes, d'un bout à l'autre du Canada, ont disparu ou sont mortes. À Vancouver, il y en a 61. À Edmonton, il y en a 22. Il y en a un certain nombre à Winnipeg, et davantage encore à Montréal—je ne sais pas combien au fond… peut-être que Réal pourrait nous le dire. Donc, l'une des premières questions que je voudrais vous poser est celle-ci : est-ce que quelqu'un au ministère de la Justice fait le suivi du nombre de femmes qui, d'après ce que nous savons, sont portées disparues ou sont décédées du fait d'avoir travaillé dans l'industrie du sexe.
À mon avis—et vous ne serez peut-être pas d'accord avec moi à ce sujet—le Code criminel aggrave à présent les risques dont elles font l'objet, parce que la loi relative aux communications prévoit essentiellement que vous devez, si vous êtes prostituées, entrer dans une voiture, et accepter que la porte soit fermée à clé, qu'on vous emmène ailleurs pour faire ce que vous avez à faire, et là, évidemment, personne ne vous voit plus. Ça c'est la première question. Est-ce que le ministère tient des statistiques à ce sujet? Avez-vous une idée de la situation globale d'un bout à l'autre du Canada? Je suis convaincu que s'il s'agissait de membres d'un autre groupe, les gens protesteraient, mais ce groupe-là est presque invisible.
Deuxièmement, peut-on en conclure—et je sais que vous ne voulez pas vous exprimer sur les options que nous devrions éventuellement explorer, mais le fait est que tous deux vous travaillez dans ce domaine depuis longtemps—que les gens s'accordent pour dire que la législation a été un échec? Si l'objectif était de protéger les collectivités, on peut dire que cela n'a pas marché. Si l'objectif consistait à protéger les femmes dans les rues contre la prostitution, on peut dire que ça n'a pas marché. Peut-on au moins commencer notre analyse à partir de cette information—c'est-à-dire ce que ces articles devaient nous permettre de réaliser au départ? Il me semble que même l'examen effectué en 1990 et le rapport du Groupe de travail fédéral-provincial-territorial de 1998 reconnaissent que l'instrument actuel—c'est-à-dire le Code criminel—qu'on a retenu pour régler ce problème a été un échec.
Peut-être pourriez-vous commencer par répondre à ces deux questions.
º (1645)
M. Richard Mosley: À mon avis, on ne peut pas tirer la même conclusion que vous, tout simplement parce que tout dépend de la question qu'on pose et de la personne à qui on l'adresse. Il est clair que les responsables fédéraux-provinciaux qui ont fait ce travail au cours des 10 dernières années ont reconnu que du point de vue de la réduction de la prostitution et de la sollicitation de rue, la législation actuelle n'a pas eu l'effet escompté. Par contre, cette dernière a eu pour résultat de disperser ou de déplacer les activités qu'on peut associer à la prostitution de rue.
Certains considéreront d'ores et déjà qu'il s'agit d'un succès. Si vous habitiez l'une des collectivités les plus directement touchées par tout cela, vous auriez peut-être tendance à dire que oui, la loi a été bénéfique pour ce qui est de diminuer l'élément nuisance sociale dans votre quartiers.
Mme Libby Davies: Sauf que cette activité se renouvelle dans un autre quartier. Voilà justement ce que nous avons observé à Vancouver.
M. Richard Mosley: Justement, c'est ça le problème.
Autrefois, cette question était systématiquement portée à l'ordre du jour de chaque réunion que nous tenions avec les forces policières, ou avec les procureurs généraux-provinciaux. À mon avis, ces derniers vous diraient sans doute qu'au chapitre de la répression, la législation actuelle a permis d'atteindre l'objectif fixé par le gouvernement qui était au pouvoir en 1985, soit de redonner à la police un instrument qui lui permettrait d'intervenir efficacement aux points chauds. La police n'a pas à réprimer la prostitution et à appliquer constamment les lois sur le racolage, mais elle s'efforce de les appliquer lorsqu'il y a des plaintes qui visent un quartier en particulier. À ce moment-là, elle y envoie les agents de diversion, etc., en vue de s'attaquer directement au problème. Donc, en ce qui concerne la police, la législation a sans doute permis d'atteindre les objectifs fixés en 1985.
Mais vous avez parfaitement raison; il y a d'autres opinions sur la question de savoir dans quelle mesure la législation a été un succès ou non.
Pour ce qui est de la première partie de votre question, je crains de l'avoir oubliée…
º (1650)
Mme Libby Davies: J'aimerais savoir le ministère de la Justice possède des données sur ce qui s'est passé jusqu'à présent, et même en remontant jusqu'à 1985? Combien de femmes ont été portées disparues et, d'après ce que l'on sait, combien ont été assassinées? Je conclus de tout cela que le Code favorise ce genre de choses. D'autres ne sont peut-être pas d'accord. Je pense qu'il y a des arguments très solides à faire valoir de part et d'autre. Mais à votre avis, y a-t-il quelqu'un qui suit de près tout cela?
M. Richard Mosley: Il n'y a pas de données à ce sujet, à ma connaissance.
Êtes-vous au courant de quelque chose, Lucie?
Mme Lucie Angers: Nous avons fait des analyses avant de déposer le rapport du Groupe de travail fédéral-provincial-territorial sur la prostitution. Vous verrez aux pages 8 et 9 que nous faisons justement allusion au problème de la violence faite aux prostituées, avec chiffres à l'appui, mais évidemment, ces chiffres sont maintenant dépassés.
Le Centre canadien de la statistique juridique continue à recueillir des données, surtout sur la violence faite aux femmes. Ce dernier a récemment publié des statistiques sur la question. Je pense que vous y trouverez des renseignements précis sur la question, mais si vous voulez, je pourrais moi aussi faire cette vérification.
L'une des études que nous avons commandées concernait le fait de savoir s'il y avait un lien entre l'application—c'est-à-dire la façon dont l'article 213 de la loi était appliqué—et la violence faite aux prostituées. Bien que des études soient effectuées dans les six grands centres urbains—soit Halifax, Montréal, Toronto, Calgary, Winnipeg et Vancouver—la conclusion a été que l'atmosphère dans les rues était plus tendue. Ils n'ont pas réussi à établir un lien de causalité entre l'application de la loi et les décès de prostituées en tant que tels. Cependant, l'étude de Vancouver a permis de constater que les prostituées étaient obligées de travailler dans des quartiers et régions plus éloignés, et qu'elles avaient des rapports avec la police qui étaient davantage caractérisés par la confrontation et le conflit. À Calgary, les constatations ont été très semblables. À Montréal, on a également observé l'utilisation de la drogue. Donc, il y avait plusieurs facteurs, mais le lien de causalité n'a pas été clairement démontré. Mais nous sommes certainement très conscients de cette réalité.
Mme Libby Davies: Madame la présidente, peut-être pourrions-nous obtenir les statistiques pertinentes.
Qu'est-ce que vous avez dit déjà? C'était le Centre de la statistique…
Mme Lucie Angers: Oui, cette information a été recueillie par le Centre canadien de la statistique juridique. Ce dernier a récemment publié un rapport—et M. Mosley se souviendra peut-être du titre. Je crois qu'il s'intitulait « La violence faite aux femmes au Canada », ou quelque chose du genre, mais je vais certainement en fournir une copie au greffier ou à l'attaché de recherche du comité.
Mme Libby Davies: Me reste-t-il du temps?
La présidente: Ce groupe-là est un de nos témoins potentiels.
Il vous reste deux minutes, à la fois pour les questions et les réponses.
Mme Libby Davies: En ce qui concerne le Groupe de travail fédéral-provincial-territorial, vous avez dit que le travail de ce dernier se déroulait sur six ans. Encore une fois, il me semble, d'après l'information que j'ai lue, qu'on se doutait déjà que le statu quo constituait un échec. Je voudrais donc savoir pourquoi ce groupe n'a pas recommandé que l'article 213 soit modifié, ou qu'il n'ait pas au moins soulevé cette possibilité ou laissé entendre que la loi relative aux communications n'aidait pas vraiment les localités. En tout cas, il est certain que cette dernière n'aide pas du tout les personnes qui sont à risque dans la rue. Êtes-vous en mesure de nous renseigner à ce sujet?
Mme Lucie Angers: Oui, certainement. Nous avons fait plusieurs recommandations, que vous trouverez à la fin du document—soit 16 recommandations en tout. Comme je vous l'ai dit tout à l'heure, bon nombre de ces recommandations concernaient les enfants, mais il y en avait aussi un certain nombre sur la sollicitation de rue.
Le problème auquel nous nous sommes heurtés, comme je l'expliquais à M. Marceau, était celui du manque de consensus, puisque nous agissions tous, évidemment, en notre qualité d'experts; nous n'étions pas là pour représenter des différents courants politiques. Mais même en tant qu'experts, nous avons trouvé ça extrêmement difficile à cause de ce que nous avons entendu pendant les consultations. Nous avons tenu beaucoup de consultations, ce qui explique le temps que tout cela a pris, et comme nous n'avions pas suffisamment de ressources, les consultations avaient été organisées dans chaque administration quand cette dernière était en mesure de le faire.
Vous verrez que les recommandations qui prennent le plus de place dans la documentation sont celles qui concerne les articles 213 et 210, car il était impossible de parvenir à un consensus à ce sujet, étant donné qu'il y a le pour et le contre; oui, la décriminalisation de l'activité proprement dite serait peut-être intéressante, étant donné que cela aiderait les prostituées qui auraient la possibilité de bien gagner leur vie, de profiter d'une bonne protection sociale, etc., mais par contre cette option risquerait de nous attirer des ennuis en favorisant le crime organisé ou encore le proxénétisme gouvernemental. Vous êtes certainement au courant des arguments qu'on a fait valoir concernant le proxénétisme perpétré par l'État...
º (1655)
Mme Libby Davies: Mais c'est déjà le cas dans les agences de rencontre.
Mme Lucie Angers: Oui, et c'est justement l'un des avantages d'une telle formule, puisqu'elle nous permettrait d'éliminer l'hypocrisie qui caractérise la loi actuelle en ce sens que les services des agences de rencontre et les studios de massage sont autorisés. Si vous êtes plus riche, vous pourrez obtenir des services sexuels en les payant. Mais ce n'est pas pareil si vous devez aller dans la rue. Le Groupe de travail a certainement reconnu cette réalité, mais comme je vous le disais tout à l'heure, le problème était un manque de consensus. Par contre, tous étaient d'accord pour reconnaître que le gouvernement fédéral, les provinces, et les municipalités devaient dialoguer à ce sujet, étant donné que ce n'est pas le genre de problème que le gouvernement fédéral ou les provinces peuvent régler eux-mêmes.
La présidente: Merci.
Madame Torsney, voulez-vous poser une question?
Mme Paddy Torsney (Burlington, Lib.): Non. Excusez-moi mon retard. Je pense que je devrais sans doute essayer de passer inaperçu pour le moment.
Ce que j'espère, c'est que nous pourrons consulter le sénateur Pearson au sujet du travail qu'elle a effectué sur la question de la prostitution des jeunes, car à mon avis, il suffirait d'effectuer certains changements pour améliorer la situation et diminuer ainsi le nombre de jeunes qui se livrent à cette activité-là. Donc, je tiens à ce que nous lui demandions ses observations sur la question.
Je ne sais pas si vous avez des commentaires à faire sur cette question précise ou si quelqu'un aurait déjà soulevé la question. Il est possible que vous en ayez déjà discuté.
La présidente: Monsieur Ménard, voulez-vous poser une question? Après vous, ce sera le tour de M. Cadman.
Mme Paddy Torsney: Excusez-moi, mais pourriez-vous permettre à Lucie de me répondre?
La présidente: Pardon?
Mme Paddy Torsney: Je crois que Mme Angers voudrait me répondre à ce sujet.
La présidente: Ah, oui; excusez-moi.
Ensuite ce sera le tour de M. Cadman, qui sera suivi de M. Ménard.
Mme Lucie Angers: Oui, nous travaillons de près avec le sénateur Pearson dans plusieurs dossiers. Comme vous le savez, elle a joué un rôle capital dans l'organisation du Sommet mondial sur l'exploitation sexuelle des enfants pour des fins commerciales. Nous collaborons avec elle sur les négociations touchant le protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l'enfant, concernant la vente d'enfants, la prostitution des enfants et la pornographie impliquant des enfants, et nous la tenons au courant de tous les progrès accomplis.
Le sénateur Pearson a dirigé une excellente réunion organisée par des jeunes sur la prostitution—il y a trois ans, si je ne m'abuse. Je sais que vous y avez participé aussi. Elle a été extrêmement active, et a même défendu dernièrement les différentes dispositions... soit le travail réalisé par le gouvernement au sein du Comité sur les droits de l'enfant. Elle serait donc un excellent témoin.
La présidente: Merci.
M. Cadman a gentiment offert à M. Ménard de lui laisser poser sa question maintenant.
[Français]
M. Réal Ménard: Chez moi, chaque été et chaque printemps, il y a à peu près 150 travailleuses du sexe qui opèrent. Évidemment, même si on n'a pas de préjugés à l'égard de ce travail, dans le meilleur des cas, cela dérange les communautés. On est donc à la recherche de solutions qui nous permettront d'atteindre deux objectifs: prévenir la violence faite aux filles et assurer la paix dans les communautés.
La prostitution n'est pas une question d'être sur la rue. La prostitution n'est pas une question de classes sociales. J'espère qu'on invitera une chercheure de l'Université Concordia, Mme Shaver, qui, depuis des années, suit cette question. Il ne faut pas oublier que, même s'il y a peut-être un lien entre la toxicomanie et la pauvreté, il y a des situations de vie et des gens qui se prostituent qui n'ont à rien à voir avec l'héroïne.
Comme j'aurai l'occasion de le faire valoir tout au long de nos travaux, je pense que le cadre actuel est complètement inapte à nous faire atteindre les objectifs dont on parlait, mais on a tout de même des références. Par exemple, à Montréal, comme à Vancouver et dans d'autres villes, il y a des saunas. Il y a des gens qui, d'une certaine manière, assimilent les saunas à la prostitution. Les gens le font de manière consensuelle. Il n'est pas censé y avoir de relations sexuelles dans un sauna, mais on sait qu'il y en a.
Parlez-nous du statut légal des saunas selon le Code criminel. Des saunas, il y en a, par exemple sur la rue Sainte-Catherine, et les gens vivent avec cette réalité. Pour moi, la ligne de démarcation est la prostitution juvénile. Je pense qu'il y a un courant de fond dans l'opinion publique qui n'acceptera jamais que des adultes payent de jeunes femmes pour avoir des relations sexuelles, mais qu'il y a aussi un courant qui existe, qui dit que si deux adultes consentants décident d'avoir des relations sexuelles et que cela ne se fait pas sur la place publique, le législateur ne doit pas continuer à interdire cela.
Donc, j'ai deux questions. Premièrement, considérez-vous que les saunas, en vertu du Code criminel, sont illégaux même s'ils ont des permis de la ville? Deuxièmement, pour les escortes, il n'y a pas de poursuites criminelles. Les escortes sont un monde assez fascinant. J'ai des amis qui sont escortes. Ces gens sont des universitaires, qui gagnent très bien leur vie et qui le font pour toutes sortes de motifs. Le milieu des escortes est très fascinant en tant que phénomène social. Considérez-vous que c'est également interdit en vertu du Code criminel? Avez-vous de l'information sur les différents niveaux de prostitution, d'un point de vue académique, évidemment? Je pars du principe que personne ici ne peut parler en tant que consommateur, que tous en parlent d'un point de vue extérieur.
» (1700)
[Traduction]
M. Richard Mosley: Dans les circonstances actuelles, il nous est difficile de répondre. Le fait est qu'il y a une différence entre ce que dit la loi et la façon dont elle est appliquée.
Au début de notre exposé, nous avons fait allusion aux dispositions du Code criminel, et notamment aux infractions prévues à l'article 210, concernant le fait de tenir une maison de débauche, et à l'article 212, concernant le proxénétisme et le fait de vivre des produits de la prostitution. Il ne serait pas très difficile de trouver le moyen d'appliquer ces dispositions à la tenue d'un local où se pratiquent des actes sexuels moyennant rétribution—sans doute dans une maison de débauche, conformément aux dispositions du Code criminel—ou à l'acte consistant à fournir des escortes moyennant rétribution. Ce genre d'activités serait sans doute visé par l'une des infractions prévues à l'article 212.
[Français]
M. Réal Ménard: Même si dans une municipalité comme Montréal, il n'y a pas d'accusations de portées dans des saunas--il y a déjà eu des descentes dans les années 1980, mais il n'y en a pas en ce moment--, vous diriez que, selon votre compréhension, même s'ils ont des permis de la ville, les saunas qu'il y a dans les grandes villes devraient être couverts par l'article 210.
[Traduction]
La présidente: Il vous reste une minute, monsieur Ménard.
M. Richard Mosley: Je dois faire attention, parce que notre rôle ne consiste pas à dispenser des conseils juridiques à la police. Cette dernière se fait conseiller par ses propres avocats. Pour une raison ou une autre, la police peut décider de ne pas appliquer les dispositions actuelles de la loi dans une municipalité donnée. Elle peut exercer son pouvoir discrétionnaire.
Mais si vous parlez d'une situation où deux personnes décident ensemble de pratiquer de tels actes, et que la question de la rétribution ne se pose pas, il est possible que ce genre de situation soit en dehors de la stricte application de la disposition relative à une maison de débauche. Généralement, les autorités ne sont pas tellement intéressées à appliquer ces dispositions-là si elles n'ont reçu aucune plainte.
La présidente: Merci.
Madame Angers, voulez-vous ajouter quelque chose?
[Français]
Mme Lucie Angers: Pour compléter ce qu'a dit M. Mosley, j'ajouterai qu'il est certain que certaines dispositions du Code criminel pourraient s'appliquer s'il y avait des actions indécentes ou si les personnes se retrouvent vraiment dans ce qui est défini dans le Code criminel comme une maison de débauche. La Cour suprême a même eu à se pencher assez récemment, dans des causes de lap dancing, sur la question de ce qui était une action indécente quand deux adultes consentants échangent de l'argent pour des fins sexuelles. Est-ce couvert par « action indécente »? Est-ce couvert par « maison de débauche »?
Comme M. Mosley le dit, cela dépend de la façon dont on décide d'appliquer la loi. Elle peut s'appliquer dans certains cas et ne pas s'appliquer dans certains autres cas. Les salons de massage et les agences d'escortes ne sont pas couverts comme tels dans le Code criminel, à moins que les actes n'aient lieu dans une maison de débauche ou ne constituent des actions indécentes. On revient toujours à la question de l'application dans les faits de l'espèce.
[Traduction]
La présidente: Monsieur Cadman.
M. Chuck Cadman: Je me demandais si vous pourriez nous expliquer dans quelle mesure les bandes liées au crime organisé sont impliquées dans la prostitution—et j'entends par là les bandes qui se trouvent au Canada ainsi que les regroupements internationaux—et si possible, j'aimerais que vous me donniez une estimation de l'importance des revenus que la prostitution rapporte à de tels regroupements.
M. Richard Mosley: Pour ce qui est de l'ampleur de leur participation, non, nous ne sommes pas en mesure de vous donner des chiffres approximatifs. Je pense que vous pourriez obtenir ce genre d'information en vous adressant au Comité national de coordination sur le crime organisé, qui est un groupe fédéral-provincial composé de responsables du Service canadien des renseignements criminels qui pourrait vous parler des conclusions de diverses études ou des efforts déployés pour réprimer les bandes de criminels organisés. Par exemple, on suppose qu'une bonne partie des activités de prostitution au Québec rural, mettons, est dirigée par les bandes de motards, et il en va de même pour le trafic des drogues.
Il y a eu un problème dans le sud de l'Ontario il y a quelques années, parce qu'on a découvert qu'une bande liée au crime organisé en Europe de l'Est aurait fait venir des femmes de l'Europe de l'Est—c'est-à-dire de Russie et d'autres pays de l'ancien bloc soviétique—pour qu'elles se livrent à la prostitution.
Des problèmes de ce genre surgissent de temps à autre, et les renseignements à ce sujet sont fournis dans les rapports annuels des organismes qui sont directement concernés par la problématique du crime organisé.
» (1705)
M. Chuck Cadman: Merci, madame la présidente.
La présidente: Merci.
Madame Torsney.
Mme Paddy Torsney: Sur le dernier acétate que vous avez présenté, il était question de l'obligation de payer des impôts sur le revenu. Au Canada, quiconque réalise des gains grâce à la prostitution est également censé payer des impôts. Avons-nous des statistiques sur le nombre de prostituées...? J'ai occupé un poste de commise dans un bureau de Revenu Canada après avoir terminé mes études secondaires, et je me rappelle que des gens arrivaient dans nos bureaux des fois, et que c'était tout un événement. Tout le monde savait que telle personne se présenterait tel jour. Donc, avons-nous des statistiques sur le nombre de personnes qui vivent...?
M. Richard Mosley: Je ne sais pas dans quelle mesure l'ADRC pourrait réunir de telles informations. On peut certainement lui poser la question. Mais dans nos discussions avec l'Agence ces dernières années, cette dernière nous a toujours tenu le même discours—c'est-à-dire que oui, certaines personnes reconnaissent avoir comme source de revenu la prostitution. Mais je ne suis pas sûre que tout le monde le fasse.
La présidente: Madame Davies.
Mme Libby Davies: Je voulais explorer un peu plus avec vous la question qu'on a abordée tout à l'heure, étant donné que vous avez dit que l'application est un peu fonction des plaintes qui sont déposées. Pour moi, c'est la preuve d'une contradiction très importante, en ce qui concerne ce qui est arrivé jusqu'à présent. Si ces lois prévoient que la prostitution est immorale... Disons que nous nous permettons de fermer les yeux sur certaines situations. De toute évidence, c'est la prostitution pratiquée dans la rue qui donne lieu à des plaintes, parce que c'est là que les prostituées sont les plus visibles, et c'est aussi pour cela que les citoyens font pression sur les polices locales pour agir; c'est justement à ce moment-là que le problème se déplace d'un quartier à l'autre.
Je me demande donc si le ministère de la Justice aurait fait une étude de l'application de la législation, en cherchant à savoir dans quelle ville ou localité la loi est appliquée par rapport à celle où elle ne l'est pas, et quelles en seraient les conséquences? Quels sont les effets négatifs, d'une part, d'une volonté apparente de permettre que le racolage et la prostitution se pratiquent, et donc de permettre dans la pratique l'existence des maisons de débauche, mais, d'autre part, de ne pas être tout à fait disposé à accepter cette disposition? Quels sont les effets négatifs qu'on peut rattacher à l'un ou à l'autre des scénarios? Avez-vous cherché à examiner ça au fil des ans?
M. Richard Mosley: Je vais demander à ma collègue de compléter ma réponse, mais d'après mon souvenir, les recherches menées en vue de l'examen effectué par le comité permanent vers la fin des années 80 visaient davantage à déterminer contre qui on appliquait la loi, plutôt que de déterminer dans quelles localités la loi était mieux appliquée. La grande question à l'époque était celle de savoir si la police pratiquait la discrimination en s'attaquant seulement aux prostituées. Nous voulions surtout savoir dans quelle mesure les forces policières étaient justes envers les deux parties, en ce sens qu'elles sanctionnaient non seulement les prostituées mais les clients. Donc, on a recueilli certaines données à ce sujet, mais si votre question porte sur les quartiers...
Mme Libby Davies: Je me demande même dans quelle mesure on a cherché à savoir quelles activités précises de l'industrie étaient sanctionnées—c'est-à-dire les agences offrant des services d'escorte, par rapport aux studios de massage.
Voyez-vous, l'une des difficultés que nous rencontrons dans ce domaine, c'est qu'on a toujours mis l'accent sur ce qui se fait dans la rue, et c'est là que les autorités ont concentré leurs efforts de répression. Par le passé, 90 p. 100 des mesures de répression visaient les prostituées, si bien que les clients s'en sortaient à bon compte. Ça c'est quelque chose qui a changé au fil des ans. La manière d'appliquer la loi a changé à cet égard. Je me demande donc si on aurait cherché à analyser les éventuelles conséquences de ce changement de méthode d'application dans certaines régions, par rapport à d'autres—peut-être en fonction des quartiers, mais aussi en fonction des différents types de services qui étaient offerts—toujours dans le but de voir quels en étaient les effets négatifs.
J'ai l'impression que nous... Dans l'analyse qui est faite, on ne sait pas trop sur quoi on se fonde pour tirer certaines conclusions. Qui cherche à savoir dans quelle mesure les lois actuelles portent leurs fruits?
Ce qui me dérange, c'est que les cadavres s'accumulent. Vous ne croyez pas que ça pose problème? Ne s'agit-il pas là d'un grave problème qui devrait nous amener à nous dire que cette législation est un échec? Je ne comprends vraiment pas pourquoi personne, ni même le ministère semble reconnaître cette réalité.
» (1710)
Mme Lucie Angers: Comme je vous l'ai déjà dit, nous avons déjà reconnu au niveau fédéral-provincial-territorial que cette situation est préoccupante. C'était d'ailleurs quelque chose qui préoccupait de plus en plus de gens, parce qu'à l'époque, il n'y en avait pas beaucoup. Entre 1991 et 1995, 18 prostituées ont été... Non, excusez-moi, mes statistiques ne sont pas exactes. Je peux, cependant, vous indiquer des sources à consulter.
Mais le problème que vous soulevez en ce qui concerne l'application, et surtout l'application sélective de la loi—c'est un problème parmi d'autres—c'est que peu de plaintes sont déposées à propos des maisons de débauche, les studios de massage ou les agences de rencontre, parce que personne ne sait nécessairement ce qui s'y passe, et cela ne semble intéresser personne; par conséquent, nous ne savons pas quelles activités y sont pratiquées. De plus, si la police fait enquête, le coût est très élevé, comme vous pouvez vous en douter, parce qu'il faut à ce moment-là avoir recours à toutes sortes de ressources—c'est-à-dire aux agents de diversion, etc.
La difficulté que présente la sollicitation de rue est surtout celle de sa visibilité. Nous recevons des plaintes à ce sujet, ce qui donne nécessairement lieu à une application plus rigoureuse de la loi. Et le problème de la violence faite aux prostituées concerne surtout celles qui sont dans la rue, et qui sont sans doute celles qui sont assassinées, parce qu'elles courent un plus grand risque d'être victimisées.
Donc, à cet égard, les bonnes corrélations sont faite et la loi sur la sollicitation de rue est appliquée de façon plus rigoureuse. Disons que l'application de l'article 213, par rapport à l'article 210, est plus rigoureuse. C'est utile dans un sens, mais à part la question des enquêtes qui sont menées sur ces assassinats et le moyen de faire disparaître ce problème, pour moi, nous sommes confrontés à une question beaucoup plus vaste. Au fond, ce n'est pas l'application de la loi qui est en cause. Si des mesures de répression sont prises en vertu de l'article 213, c'est à la suite du dépôt de plaintes. Mais comment régler ce problème dans les régions éloignées? Si vous vous trouvez dans un endroit éloigné, vous êtes moins bien protégée, et donc un type peut vous emmener quelque part en voiture et vous assassinez après.
Mme Libby Davies: Oui, justement.
Mme Lucie Angers: Voilà un problème auquel il faut s'attaquer. Mais en l'occurrence, c'est surtout l'aspect social du problème qui prime—c'est-à-dire, pourquoi êtes-vous dans la rue, au lieu d'être dans une maison? Au fond, ce n'est pas vraiment un problème d'application, à mon avis.
La présidente: Merci, madame Davies. Nous n'avons plus de temps. À mon avis, nous devons nous-mêmes en comité faire une analyse importante de la question.
Madame Torsney, avez-vous eu l'impression d'avoir bien profité de l'occasion qui se présentait en posant votre question?
Mme Paddy Torsney: Nos témoins ont soulevé toutes une série de questions—entre autres, celle des régions éloignées ou des zones industrielles qui sont utilisées et qui sont beaucoup moins sûres que les rues de nos villes. Dans notre région, nous avons constaté que les personnes qui n'avaient pas de statut étaient manipulées par les gros méchants—et on s'est demandé comment on pourrait s'attaquer avec vigueur à ce problème. Les gens ont l'impression de ne pouvoir en parler et craignent de faire l'objet d'actes vraiment violents.
À mon avis, ce sont ces groupes-là que nous devons décider d'inviter à comparaître devant le comité, et peut-être devrions-nous aussi inviter nos témoins du ministère de la Justice à revenir à définir des théories.
La présidente: Merci infiniment. La discussion a été extrêmement intéressante. Merci.
Je voudrais donc suspendre les travaux du comité pendant deux minutes; nous pourrons ensuite décider si nous voulons nous réunir à huis clos pour discuter de questions internes.
[Les travaux du comité se poursuivent à huis clos.]