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ETHI Rapport du Comité

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CHAPITRE DEUX — CE QUE LE COMITÉ A ENTENDU

Au cours de son étude, le Comité a tenu une série de réunions pour colliger des informations auprès de tous les hauts fonctionnaires du Parlement, d’universitaires de ce champs d’expertise et de représentants du Secrétariat du Conseil du Trésor, qui oriente le conseil de gestion du gouvernement, le Conseil du Trésor. Soulignons qu’en marge de nos travaux se tiennent des consultations entre le Secrétariat du Conseil du Trésor et les hauts fonctionnaires du Parlement en vue d’élaborer, puis de tester un nouveau mécanisme de financement pour leurs bureaux. Ces consultations se poursuivront sans doute après la publication du présent rapport.

On reproche notamment à l’actuel mécanisme de financement de ne pas accorder suffisamment de fonds, d’être lent, de manquer de transparence et de ne pas suivre l’évolution des besoins financiers au même rythme que les progrès technologiques, l’élargissement des mandats et la sollicitation croissante des services des hauts fonctionnaires du Parlement.

INDÉPENDANCE DU GOUVERNEMENT MAIS NON DU PARLEMENT

Les hauts fonctionnaires du Parlement ont exprimé leur malaise face à un mécanisme qui les oblige à demander des fonds à l’entité même dont ils sont censés examiner le rendement, c’est-à-dire le gouvernement. Comme l’a décrit John Reid, commissaire à l’information :

Sauf tout le respect que je vous dois, il est très difficile pour le gouvernement de jouer les deux rôles, celui de bailleur de fonds et celui d'objet d'enquête. Je pense qu'en pareille situation il doit y avoir une certaine friction. Voilà pourquoi, à tout prendre, je préfère que ce soit les députés qui assument la responsabilité du financement au lieu que cela soit aux mains du gouvernement. (10 février 2005)

La possibilité que le gouvernement se retrouve en conflit d’intérêts parce qu’il serait à la fois source de financement et objet d’enquête s’applique à l’ensemble des hauts fonctionnaires du Parlement couverts par notre étude, à l’exception de deux d’entre eux. Comme nous l’avons expliqué au Chapitre Un, le bureau du commissaire à l’éthique est déjà financé selon un mécanisme géré par le Parlement. Quant au directeur général des élections, le gros de son budget lui est accordé selon des paramètres rigoureusement prescrits par la Loi électorale du Canada. Seuls les salaires de son personnel permanent proviennent d’un crédit annuel inscrit au processus budgétaire.

Contrairement à la plupart des autres hauts fonctionnaires du Parlement, le directeur général des élections ne joue pas le rôle d’ombudsman. Il veille plutôt à l’application de deux droits démocratiques fondamentaux : le droit de voter et le droit de se porter candidat à une élection. Le mécanisme de financement qui régit son bureau, mais plus encore les processus de nomination et de renvoi, en garantissent l’indépendance politique. De plus, le directeur général des élections fait rapport publiquement et comparaît une fois l’an devant le Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre pour faire examiner son budget. Jean-Pierre Kingsley, directeur général des élections, explique ainsi les deux sources de financement de son bureau, et en particulier son obligation d’obtenir une autorisation législative :

Deux autorisations budgétaires du Parlement financent les activités du bureau du directeur général des élections : une autorisation législative et un crédit annuel. Ces autorisations permettent toutes deux d'engager des dépenses et sont conformes au principe constitutionnel selon lequel on ne peut utiliser les deniers publics sans l'approbation du Parlement. … Sans autorisation législative, il serait impossible de remplir les tâches liées à la conduite des élections de façon efficace, efficiente, indépendante et impartiale. En effet, comme la date d'une élection n'est pas connue d'avance, un crédit annuel ne serait pas adéquat. En outre, l'efficacité, l'équité et l'impartialité du processus électoral reposent toutes sur un financement non régi par l'exécutif et libre de toute ingérence politique. (15 février 2005)

Pour le commissaire à l’éthique et le directeur général des élections, les mécanismes en place contribuent déjà, sans doute, à préserver dans une certaine mesure leur indépendance du gouvernement. Pour les autres hauts fonctionnaires du Parlement, il conviendrait d’intensifier le rôle des parlementaires dans l’établissement de leurs budgets afin d’éviter l’apparence de conflit d’intérêts qui pourrait survenir lorsqu’un ministère est à la fois bailleur de fonds et objet d’enquête. Dyane Adam, commissaire aux langues officielles, a évoqué la délicatesse de la situation dans laquelle elle se trouve du fait qu’elle est obligée de demander une approbation budgétaire à la même entité qu’elle est chargée de critiquer. Sheila Fraser, vérificatrice générale du Canada, estime également que tout nouveau mécanisme de financement devrait inclure une forte participation des parlementaires. 

Craig Forcese, professeur à l’Université d’Ottawa, avance qu’il existe aussi un fondement juridique à la nécessité d’indépendance des hauts fonctionnaires du Parlement. Comme en témoigne l’affaire Rowat9, pour que le commissaire à l’information puisse exercer validement ses pouvoirs d’enquête et de sanction pour outrage en vertu de la Loi sur l’accès à l’information, il doit être indépendant du gouvernement. M. Forcese applique cet argument à l’ensemble des hauts fonctionnaires du Parlement.

[A]u moins cinq hauts fonctionnaires du Parlement sont tenus de respecter des normes d’indépendance similaires à celle des tribunaux. Ces cinq hauts fonctionnaires — les commissaires à l’information, à la protection de la vie privée, aux langues officielles et à l’éthique et le vérificateur général — possèdent les pouvoirs d’une cour d’archives, ce qui leur permet d’obliger les témoins à comparaître et à témoigner devant eux. Ils ont donc le pouvoir de sanction pour outrage au tribunal lorsqu’il est commis devant eux. Parce qu’ils possèdent ce pouvoir, la Constitution exige que ces hauts fonctionnaires soient suffisamment indépendants du gouvernement. (8 mars 2005)

Dans un mémoire présenté à notre comité, Paul Thomas, professeur à l’Université du Manitoba, a aussi insisté sur le caractère essentiel de l’indépendance des hauts fonctionnaires du Parlement face au gouvernement. Il soutient que le processus d’établissement des budgets devrait tenir compte de la primauté de leur lien avec le Parlement. Il a également rapporté qu’en tant que fonctionnaires chargés d’aider le Parlement à s’acquitter de ses fonctions d’examen et de reddition des comptes, ces hauts fonctionnaires indépendants ne devraient pas être sujets à un contrôle exécutif unilatéral de leurs budgets et de leurs effectifs. M. Thomas reconnaît toutefois que leurs bureaux ne sauraient être entièrement à l'abri des réalités financières pangouvernementales de l'heure et qu’ils devaient par ailleurs être tenus responsables «  de la gestion économe, de l'efficience et de l'efficacité de leurs dépenses10  ».

Les recommandations que nous formulons ici tiennent compte de l’importance de protéger les hauts fonctionnaires du Parlement contre tout conflit pouvant résulter, d’une part, de leur rôle de «  gendarme  » chargé d’examiner le rendement du gouvernement à l’égard de diverses obligations législatives et, d’autre part, de leur dépendance financière face à ce même gouvernement. L’insuffisance de fonds menace de saper la capacité des hauts fonctionnaires à faire respecter ces obligations créées pour eux par le Parlement. Comme l’a toutefois souligné la vérificatrice générale Sheila Fraser, les préoccupations des hauts fonctionnaires vont bien au-delà des questions d’argent.

Nous ne demandons pas plus d'argent. Ce que nous demandons, c'est un examen approfondi du bureau, ce qui en fait pourrait même faire économiser de l'argent, ainsi qu'un processus qui ne nous obligerait pas à négocier avec un analyste du Secrétariat du Conseil du Trésor, lequel nous forcerait à présenter une demande que le Secrétariat refuserait de présenter au Conseil du Trésor. À mon avis, c'est totalement inacceptable. Je ne peux pas faire du lobbying auprès d'un ministre et lui dire : «  Nous avons cette demande et vos fonctionnaires sont en train de la bloquer  », et ensuite voir mon budget réduit de 15 p. 100. C'est quasiment ce qui s'est produit l'année dernière. Je ne demande pas plus d'argent. Je demande un processus qui nous permettrait de remplir une fonction d’analyse critique qui soit indépendante et stimulante et nous rendrait responsables envers le Parlement, puisque c'est bien de lui que nous relevons. (24 février 2005)

AUTRES OBJECTIFS

En plus d’insister sur l’importance de maintenir l’indépendance des hauts fonctionnaires du Parlement, les témoins ont exhorté le Comité à envisager d’autres critères dans l’élaboration d’un nouveau mécanisme de financement. Ce mécanisme devrait par exemple comprendre des éléments du processus gouvernemental d’élaboration et d’approbation des budgets, afin qu’on rende compte à la population de la façon dont on dépense les deniers publics. Pour l’instant, ces éléments se retrouvent principalement dans la fonction d’analyse critique qu’exerce le Secrétariat du Conseil du Trésor. Stephen Wallace, sous-secrétaire adjoint intérimaire au Secteur des opérations gouvernementales (Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada), soutient que le meilleur mécanisme de financement présenterait avant tout «  un juste équilibre entre l'indépendance des mandataires, le rôle essentiel du Parlement et la responsabilité du gouvernement sur le plan de la saine intendance des ressources  ». (17 février 2005)

Le Secrétariat du Conseil du Trésor met en question les hauts fonctionnaires du Parlement ainsi que l’ensemble des autres ministères, organismes et sociétés de la Couronne, pour veiller à ce que les conséquences de leurs propositions de programmes soient soigneusement analysées dans le contexte des priorités et du haut fonctionnaire, et du gouvernement en poste. En outre, leurs propositions de programmes doivent être examinées à la lumière des politiques du Conseil du Trésor s’y appliquant. En général, il faut obtenir l’approbation du gouvernement avant de mettre de nouvelles politiques ou mesures en œuvre.

Le personnel du Secrétariat du Conseil du Trésor examine les propositions budgétaires des hauts fonctionnaires et formulent ensuite des recommandations à l’endroit des ministres du Conseil du Trésor en vue de les faire approuver, refuser ou approuver avec conditions. Une fois que le Secrétariat du Conseil du Trésor a reçu la demande de financement par reconduction d’un haut fonctionnaire, il doit veiller à ce que les nouvelles dépenses soient assorties d’une source de financement : budget, cadre financier ou réaffectation interne, par exemple. Une fois la source de financement établie, un analyste des programmes examine la demande en se fondant sur les critères suivants :

Autorisations — La proposition est-elle conforme à la législation, à la réglementation, au mandat du ministère et aux autorisations découlant de la politique en vigueur?
Priorités — Comment la proposition affecte-t-elle les priorités plus larges du gouvernement?
Abordabilité — Quels sont les coûts de la proposition, et qui devraient les payer?
Efficacité — La proposition permettra-t-elle de réaliser les objectifs souhaités de la politique?
Exécution des programmes — Pourrait-on mieux réaliser la proposition en procédant différemment?
Prudence, probité et équité — A-t-on prévu des mesures appropriées pour protéger les fonds publics?
Mesure du rendement — A-t-on bien compris les résultats à obtenir, et est-on à même de mesurer ou d'évaluer le succès de la proposition?

Au-delà des critères financiers appliqués par le Secrétariat du Conseil du Trésor, les décisions relatives au financement des hauts fonctionnaires du Parlement pourraient aussi reposer sur des avis techniques et professionnels externes. Dans certains cas, les hauts fonctionnaires du Parlement ont avancé que les spécialistes pouvaient apporter un éclairage profitable sur les progrès — technologiques ou autres — entraînant l’élargissement de leur champ d’action, ce qui aidait les décideurs à évaluer les demandes d’ajustement des dépenses. La vérificatrice générale et la commissaire à la vie privée ont toutes deux souligné l’utilité de ces intervenants externes, ce dont témoignent leurs recommandations sur le remaniement du mécanisme de financement. 

Lors de sa comparution devant notre comité, Sheila Fraser a souligné à quel point il était essentiel que les activités de son bureau soient remises en question par des experts connaissant bien le fonctionnement des organismes de vérification. (24 février 2005) La commissaire à la vie privée, Jennifer Stoddart, a de son côté précisé que la circulation globale des renseignements personnels et les progrès technologiques s’y rattachant exigeaient, selon elle, l’opinion d’experts capables d’évaluer correctement ses demandes de budget. (10 février 2005)

Les témoins ont aussi discuté de la pertinence pour les comités permanents de la Chambre des communes desquels les hauts fonctionnaires relèvent actuellement de participer davantage aux décisions d’ordre financier qui les concernent. Si certains hauts fonctionnaires, comme la commissaire aux langues officielles, soutiennent que leurs compétences les rendent aptes à participer au processus d’établissement des budgets, d’autres estiment qu’ils devraient se limiter à examiner, à superviser et à appuyer le travail de «  leurs  » hauts fonctionnaires du Parlement et laisser les finances à un autre organe parlementaire. Des comités parlementaires spécialisés continueraient de recevoir les rapports des hauts fonctionnaires du Parlement, d’écouter leurs doléances et de traiter leurs budgets.

De nombreux témoins ont par ailleurs recommandé d’allonger la période couverte par le processus de financement afin que les ressources soient allouées sur une plus longue période. Le processus budgétaire annuel lui-même consomme beaucoup de ressources et il serait plus efficace d’en allonger la période d’application, comme le préconise le professeur Forcese :

Un système plus efficient qui tiendrait compte des préoccupations en matière d’indépendance pourrait consister en un régime de financement pluriannuel fondé sur une formule de financement établie à l’avance qui déterminerait l’augmentation à verser en fonction d’un repère objectif comme l’inflation, la taille du gouvernement, le nombre de plaintes reçues par le haut fonctionnaire ou un autre critère similaire. Évidemment, même dans ce système, il faudrait procéder à une forme d’examen pour établir le budget initial du bureau de chaque haut fonctionnaire. De plus, il faudrait s’assurer par des mises à jour périodiques que le mécanisme fonctionne comme il convient. Toutefois, l’examen du budget des hauts fonctionnaires par le Parlement, le gouvernement ou un groupe d’experts devrait avoir lieu assez rarement pour minimiser la perception que les hauts fonctionnaires sont redevables à un de ces groupes. (8 mars 2005)

Divers témoins nous ont confirmé, nous le répétons, qu’il y avait déjà un bon bout de temps qu’on tentait de mettre en place un nouveau mécanisme de financement et qu’il conviendrait de l’instaurer, du moins à titre d’essai, d’ici le prochain cycle financier. La vérificatrice générale, par exemple, soutient qu’il serait grand temps d’en finir avec l’étape des études et des examens et d’aller de l’avant.

En 2001, une décision du Conseil du Trésor précisait qu'un mécanisme devait être établi avant décembre 2002. Or, nous sommes actuellement en février 2005, et on en discute encore. Je peux comprendre que ce ne soit pas la première des priorités du Secrétariat, mais il reste qu'on a vraiment fait très peu de progrès et on a obtenu très peu de réaction de la part des fonctionnaires à cet égard. … Cela fait toujours l'objet de discussions. Des études de tous les modèles possibles ont été réalisées, et ils commencent maintenant à dire qu'ils voudraient refaire ces études. À mon avis, des études, on en a assez eu. (24 février 2005)



9Rowat c. Canada (commissaire à l’information) [2000] C.F.J. no 832 (C.F.S.P.I.).
10Paul G. Thomas, Notes pour un mémoire au Comité permanent de l’accès à l’information, de la protection des renseignements personnels et de l’éthique de la Chambre des communes sur le mécanisme de financement des hauts fonctionnaires du Parlement, 5 mars 2005, page 1.