FEWO Rapport du Comité
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CHAPITRE UN : APERÇU DE L’ANALYSE COMPARATIVE
ENTRE LES SEXES
A. Qu’est-ce que l’analyse comparative entre les sexes?
Selon une croyance répandue au Canada, les femmes auraient atteint l’égalité avec les hommes. Pourtant, malgré les progrès accomplis au cours des dernières décennies, les femmes canadiennes gagnent toujours moins que les hommes, sont plus pauvres et sont beaucoup plus exposées à la violence conjugale. Ces inégalités sont encore plus importantes dans certains groupes, chez les Autochtones notamment.
Il faut, pour rectifier la situation, privilégier une approche double : élaborer des politiques, des programmes et des lois s’adressant spécifiquement aux femmes et s’assurer que les lois, les programmes et les politiques qui ne sont pas spécifiquement destinés aux femmes ne maintiennent pas ou n’exacerbent pas les inégalités par mégarde. C’est ce qu’on appelle l’analyse comparative entre les sexes (ACS), ou intégration de la dimension de genre, que le Conseil économique et social des Nations Unies (CESONU) définit comme suit :
l’évaluation des incidences pour les femmes et pour les hommes de toute action envisagée, notamment dans la législation, les politiques et les programmes, et ce, dans tous les secteurs et à tous les niveaux. Il s’agit d’une stratégie visant à intégrer les préoccupations et les expériences des femmes et des hommes dans l’élaboration, la mise en œuvre, le contrôle et l’évaluation des politiques et des programmes, et ce, dans toutes les sphères politiques, économiques et sociales, de manière à ce que les femmes et les hommes bénéficient d’avantages égaux et que l’inégalité actuelle ne soit pas perpétuée. Le but ultime est d’atteindre l’égalité entre les sexes1.
L’analyse comparative entre les sexes reconnaît aussi qu’il existe des différences entre les femmes. Par conséquent, elle examine l’incidence des politiques et programmes sur différents groupes de femmes et d’hommes.
Nous ne faisons pas uniquement une analyse selon le sexe, homme ou femme, mais nous disons aussi que tous les hommes et toutes les femmes ne sont pas les mêmes. Il y a des différences entre les groupes de femmes et il y a des différences entre les groupes d'hommes, et il faut tenir compte de ces aspects également. Mme Sandra Harder (directrice, Analyse comparative entre les sexes, Direction générale de la politique stratégique et partenariats, ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration) |
Il y a dix ans, lors de la 4e Conférence mondiale des Nations Unies pour la femme tenue à Beijing, les pays ont préparé une déclaration politique et un programme d’action ambitieux où ils identifiaient les objectifs à atteindre et les actions à entreprendre pour assurer une plus grande égalité entre les femmes et les hommes. En adoptant le Plan d’action de Beijing, les gouvernements de partout dans le monde s’engageaient à intégrer la dimension de genre à leurs activités, à leurs politiques, à la planification et à la prise de décisions. Les gouvernements se sont également engagés à évaluer les effets sexospécifiques de leurs projets de loi et de leurs décisions politiques avant de les mettre en application.
Au Canada, le gouvernement fédéral a mis en place deux plans quinquennaux sur l’égalité entre les sexes : le Plan fédéral pour l’égalité entre les sexes (1995-2000) et le Programme d’action pour l’égalité entre les sexes (2000-2005). L’analyse comparative entre les sexes est un élément clé de ces deux plans d’action. Dans son plan d’action de 1995 pour la mise en œuvre du Plan d’action de Beijing, soit le Plan fédéral pour l’égalité entre les sexes, le gouvernement canadien a adopté une politique exigeant que les ministères et les organismes fédéraux examinent leurs politiques et leurs lois à la lumière de l’analyse comparative entre les sexes. Bien que chaque ministère doive effectuer ses propres analyses comparatives entre les sexes, il revient à Condition féminine Canada, l’organisme responsable de l’égalité entre les sexes, d’offrir de l’aide et de la formation aux ministères.
Toutefois, l’analyse comparative entre les sexes n’a pas été appliquée de façon uniforme par les ministères. Si certains ont mis en place avec succès des unités pour l’égalité entre les sexes ou des unités d’ACS, d’autres n’en ont aucune. De plus, Condition féminine Canada révèle que l’absence d’obligation, la résistance interne et l’absence de responsabilités partagées ont entraîné, au fil du temps, une réduction de la capacité des ministères à assurer l’égalité entre les sexes2.
Le Comité permanent de la condition féminine a pris la décision d’étudier l’ACS après avoir rencontré, à l’automne 2004, plusieurs organismes revendiquant l’égalité, dans le but d’identifier les enjeux cruciaux des Canadiennes. Plusieurs groupes ont signifié au Comité que des modifications apportées aux programmes et aux politiques au cours des 10 dernières années avaient eu des répercussions négatives inattendues sur les femmes. Ils ont, par exemple, souligné les changements apportés aux arrangements fiscaux entre le fédéral et les provinces et territoires, en vertu de la Loi d’exécution du budget 1995, et les coupures dans les programmes d’aide sociale qui en ont découlé dans certaines provinces. Étant donné que les témoignages des représentantes des organismes revendiquant l’égalité et des groupes de femmes ont amené le Comité à se pencher sur la question de l’analyse comparative entre les sexes, le présent rapport comprend certains points de vues exprimés lors des tables rondes.
Dans le cadre de cette étude sur l’analyse comparative entre les sexes, le Comité s’est penché sur :
• | la façon dont l’analyse comparative entre les sexes est implantée dans les ministères fédéraux; |
• | les défis actuels et nouveaux de l’implantation de l’analyse comparative entre les sexes; |
• | la justesse des mécanismes actuels de reddition de comptes en matière d’analyse comparative entre les sexes. |
Pour ce faire, le Comité permanent de la condition féminine a invité les ministères qui avaient réussi à établir des programmes d’ACS, de même que ceux qui disposaient de ressources minimales, à s’exprimer sur les défis que représente l’intégration de l’ACS dans les programmes, les politiques et les mesures législatives. Le Comité a également invité des personnes qui pouvaient donner des exemples de mécanismes actuels au sein du gouvernement fédéral pour coordonner des objectifs de politique horizontale, comme l’équité en matière d’emploi, susceptibles de servir de guide pour l’ACS.
Le Comité reconnaît que l’ACS n’est qu’un outil permettant d’atteindre l’égalité entre les femmes et les hommes, et non une fin en soi. En s’attaquant à cette étude, les membres du Comité ont précisé qu’ils voulaient que l’analyse comparative entre les sexes se traduise par une amélioration de la vie des femmes et que les changements dans les façons de faire du gouvernement entraînent, en bout de ligne, des résultats concrets. Le Comité espère que l’application de ses recommandations mènera à l’élaboration de politiques plus appropriées qui, à leur tour, permettront d’éliminer les inégalités à tout jamais.
Le fait qu'on effectue une analyse sexospécifique ne signifie pas nécessairement que cette analyse sera reflétée dans la politique adoptée par le gouvernement. En effet, il y a toute la question du poids qui est accordé à cette analyse. En outre, lorsqu'il existe des enjeux contradictoires, il s'agit de déterminer quels sont les motifs qui ont donné lieu à une décision. Souvent, ce sont les politiciens ou les bureaucrates qui prennent de telles decisions. Mme Karen Green (directrice exécutive par intérim, Services ministériels, ministère de la Justice) |
D. Pourquoi l’ACS est-elle importante?
Certaines des différences entre les femmes et les hommes tiennent de la biologie, alors que d’autres découlent des attentes précises que chaque société entretient à l’égard des femmes et des hommes. Les femmes canadiennes, par exemple, assument bénévolement la majeure partie des soins de santé à domicile. Ce phénomène n’est pas déterminé biologiquement; il s’explique plutôt par les comportements sociaux attendus des femmes et des hommes au Canada.
Les rapports sociaux entre les sexes désignent l'ensemble des caractéristiques propres à une culture, qui déterminent le comportement social des femmes et des hommes, les rapports entre eux et la façon dont ces rapports sont établis par la société. Comme il s'agit d'une expression relationnelle, la notion doit inclure les femmes et les hommes3.
Il est facilement concevable que les politiques et les programmes s’adressant aux aidants naturels aient un impact direct sur les femmes. Ce qui l’est moins, c’est de reconnaître les répercussions que peuvent entraîner des programmes et des politiques d’application générale sur la situation des femmes en tenant compte des répercussions du rôle joué principalement par les femmes dans les soins de santé à domicile. L’analyse comparative entre les sexes devient alors un outil important. Bien sûr, l’élaboration de programmes et de politiques qui tiennent compte des répercussions du rôle des aidants naturels profite aussi aux hommes qui en sont de sorte que l’analyse comparative entre les sexes ne consiste pas uniquement à améliorer le sort des femmes.
En ce qui concerne le congé parental, certaines des leçons apprises sont assez remarquables. Voici quelques statistiques. Après les changements apportés en 2000, nous avons calculé qu'en 2000-2001, environ 180 000 personnes ont pris un congé parental. Le nombre a augmenté après les changements pour passer à 211 000 en 2001-2002, ce qui représente une hausse d'environ 18 p. 100. Près de 90 p. 100 des nouvelles demandes parentales provenaient de femmes. Le fait le plus remarquable est que les demandes présentées par des hommes ont augmenté de près de 80 p. 100 pendant la même période, passant de 13 000 à plus de 23 000 l'année suivante. Cette nouvelle orientation a permis aux hommes d'assumer plus de responsabilités dans les soins à donner aux enfants dans la première année de leur vie. D'après ce que nous entendons dire à l'échelle internationale, c'est un pas dans la bonne direction. M. Les Linklater (directeur général, Stratégie et relations intergouvernementales, ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences) |
Lorsqu’il est question d’élaborer des lois, des politiques et des programmes, certains a priori existent quant à leurs répercussions possibles sur les hommes et les femmes. Les politiques sans discrimination de genre partent du principe que chacun est affecté de la même manière par les politiques, les programmes et les lois, sans égard au sexe. Les politiques sexospécifiques sont élaborées spécialement pour un genre, généralement en réponse à des inégalités existantes.
Le but de l’analyse comparative entre les sexes est l’élaboration de politiques intégrant les deux sexes, avec la prise en compte de leurs implications à toutes les étapes de leur élaboration et la création de programmes et de politiques qui tiennent compte des réalités particulières vécues par les femmes et les hommes.
Le sexe et les maladies cardiovasculaires Traditionnellement, on a omis de la recherche sur la plupart des maladies toute considération sur le sexe biologique et le sexe social. Cette omission a eu de profondes répercussions sur l'exactitude du diagnostic, l'efficacité du traitement et la prévention des maladies cardio-vasculaires (MCV) chez les femmes. Appliquer des normes masculines aux maladies cardio-vasculaires parsème le diagnostic et le traitement de nombreuses embûches potentiellement fatales (Legato 1998). Il faut une recherche fondée sur des renseignements exacts pour comprendre et intégrer les facteurs importants liés au sexe biologique et au sexe social dont les effets réunis menacent la santé cardiovasculaire. Par exemple, nous apprenons que les facteurs fondés sur le sexe biologique influent sur la manifestation des symptômes des infarctus du myocarde. Les facteurs liés au sexe social interviennent lorsque les femmes et les hommes veulent se faire soigner, et ils influent sur les réactions des professionnels de la santé lorsque les malades présentent des symptômes cardiaques. Les effets réunis du sexe biologique et du sexe social, entrant en interaction avec les autres déterminants de la santé, influent sur l'état de santé, les réactions du système de santé et les résultats possibles pour la santé. |
Lors d’une analyse comparative entre les sexes, on pose des questions telles que :
• | Le bien-être des femmes et des hommes est-il amélioré par cette politique, ce programme ou cette tendance? |
• | De quelles ressources doit disposer une personne pour bénéficier de cette politique, de ce programme ou de cette tendance? Les femmes et les hommes ont-ils également accès aux ressources nécessaires pour en bénéficier? |
• | Quel est le niveau et la forme de participation ou la qualité de la participation des femmes et des hommes à la politique, au programme ou à la tendance? La situation a-t-elle évolué au fil du temps? |
• | Qui contrôle les décisions relativement à cette politique, ce programme ou cette tendance? |
• | Qui contrôle ou possède les ressources liées à cette politique, ce programme ou cette tendance? |
• | Est-ce que cette politique, ce programme ou cette tendance a des effets néfastes imprévus sur les femmes ou les hommes? |
• | Est-ce que les hommes profitent davantage de cette politique, de ce programme ou de cette tendance que les femmes (ou vice versa)? Dans l’affirmative, pourquoi4? |
Pour reprendre les paroles de la coordonnatrice de Condition féminine Canada :
Le point de départ [de l’analyse comparative entre les sexes] est une politique ou un programme non sexiste dans le cadre duquel les réalités socioéconomiques différentes des hommes et des femmes sont occultées. Voilà où, selon nous, l’analyse comparative entre les sexes a une valeur ajoutée5.
L’Agence canadienne de développement international (ACDI) a fourni des exemples de décisions novatrices dans le cadre de projets, décisions qui ont surgi à la suite de l’analyse comparative entre les sexes d’initiatives de financement apparemment sans discrimination de genre, mais qui ont finalement mis en lumière des répercussions différentes sur les hommes et les femmes. L’exemple suivant d’ACS, fourni par l’ACDI6, illustre bien ce genre de situation.
Exemple d’ACS Au Bangladesh, où l’ACDI a démarré un projet de construction de routes, les veuves sont parmi les plus pauvres. À partir de l’analyse de ce que vivent généralement les veuves bangladaises dans le besoin, il a été décidé d’embaucher uniquement des veuves dans le besoin pour la construction des routes. Parallèlement à cela, une formation sur le démarrage de petites entreprises a été offerte. Donc les femmes avaient non seulement construit les routes et obtenu un revenu mais elles avaient également reçu une formation sur les microentreprises. |
Le Comité s’est rendu compte des possibilités considérables que représente l’analyse comparative entre les sexes pour l’amélioration du processus d’élaboration de politiques dans des domaines qui ne sont généralement pas considérés comme des questions « relatives aux femmes », comme le budget, les politiques fiscales, le commerce et la défense. Toutefois, comme nous le verrons dans le chapitre 3, l’analyse comparative entre les sexes dans les domaines de politiques sans discrimination de genre est peu implantée actuellement au sein des ministères et organismes fédéraux.
1 | E/1997/L. 3O, par. 4; adopté par le CESONU le 17 juillet 1997. |
2 | Comité permanent de la condition féminine (FEWO), Témoignages, Florence Ievers, 10 février 2005, 1535. |
3 | Canada, Condition féminine Canada, Analyse comparative entre les sexes : guide d'élaboration de politiques (nouvelle édition, 1998), http://www.cfc-swc.gc.ca/pubs/gbaguide/gbaguide_f.html. |
4 | Cette liste de questions est tirée de la trousse d’information suivante : Canada, Condition féminine Canada, « Qu’est-ce que l’ACS? », Une approche intégrée à l’analyse comparative entre les sexes. |
5 | FEWO, Témoignages, Florence Ievers, 10 février 2005, 1535. |
6 | FEWO, Témoignages, Julie Delahanty, 22 février 2005, 1615. |