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NDDN Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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38e LÉGISLATURE, 1re SESSION

Comité permanent de la défense nationale et des anciens combattants


TÉMOIGNAGES

TABLE DES MATIÈRES

Le jeudi 3 novembre 2005




À 1005
V         Le président (M. John Cannis (Scarborough-Centre, Lib.))
V         L'hon. Keith Martin (Esquimalt—Juan de Fuca, Lib.)
V         Le président
V         M. Claude Bachand (Saint-Jean, BQ)
V         Le président
V         M. Claude Bachand
V         Le président
V         M. Claude Bachand
V         Le président
V         M. Gordon O'Connor (Carleton—Mississippi Mills, PCC)

À 1010
V         Le président
V         L'hon. Bill Blaikie (Elmwood—Transcona, NPD)
V         Le président
V         L'hon. Keith Martin

À 1015
V         Le président
V         M. Gordon O'Connor
V         Le président
V         M. Gilles-A. Perron (Rivière-des-Mille-Îles, BQ)
V         Le président
V         Mme Cheryl Gallant (Renfrew—Nipissing—Pembroke, PCC)
V         Le président
V         Le président
V         M. Rick Casson (Lethbridge, PCC)
V         Le président
V         M. Rick Casson
V         Le président
V         M. Rick Casson
V         Le président

À 1020
V         M. Rick Casson
V         Le président
V         M. Rick Casson
V         Le président
V         M. A. John Watson (président et directeur général, CARE Canada)

À 1025

À 1030

À 1035
V         Le président
V         M. Gerry Barr (président et directeur général, Conseil canadien pour la coopération internationale)

À 1040
V         Le président
V         M. Gerry Barr
V         Le président
V         M. Gerry Barr

À 1045
V         Le président
V         Le président
V         M. Tetsuo Itani (gestionnaire, Unité d'intervention d'urgence, Croix-Rouge canadienne)

Á 1100

Á 1105
V         Le président
V         M. Rick Casson
V         Le président

Á 1110
V         M. Tetsuo Itani
V         Le président
V         M. Rick Casson
V         M. A. John Watson

Á 1115
V         Le président
V         M. Claude Bachand

Á 1120
V         Le président
V         M. A. John Watson
V         Le président
V         M. A. John Watson

Á 1125
V         Le président
V         M. A. John Watson
V         Le président
V         M. Gerry Barr
V         M. A. John Watson
V         Le président
V         M. A. John Watson
V         Le président
V         M. A. John Watson
V         Le président
V         M. Gerry Barr
V         Le président
V         L'hon. Bill Blaikie

Á 1130
V         Le président
V         M. A. John Watson
V         L'hon. Bill Blaikie

Á 1135
V         M. A. John Watson
V         Le président
V         M. Gerry Barr
V         Le président
V         M. Tetsuo Itani
V         Le président
V         M. Wajid Khan (Mississauga—Streetsville, Lib.)

Á 1140
V         M. Gerry Barr
V         M. Tetsuo Itani
V         M. Wajid Khan
V         Le président
V         M. Wajid Khan
V         M. A. John Watson
V         Le président

Á 1145
V         M. Wajid Khan
V         M. Gerry Barr
V         M. Wajid Khan
V         M. Gerry Barr
V         M. Wajid Khan
V         Le président
V         M. Tetsuo Itani
V         Le président
V         M. Gordon O'Connor
V         M. Gerry Barr

Á 1150
V         M. Tetsuo Itani
V         Le président
V         M. A. John Watson
V         Le président
V         M. Tetsuo Itani
V         Le président
V         M. Tetsuo Itani
V         Le président

Á 1155
V         L'hon. Larry Bagnell (Yukon, Lib.)
V         M. Tetsuo Itani
V         L'hon. Larry Bagnell
V         M. Tetsuo Itani
V         L'hon. Larry Bagnell
V         M. Tetsuo Itani
V         L'hon. Larry Bagnell

 1200
V         Le président
V         L'hon. Larry Bagnell
V         M. Gerry Barr
V         L'hon. Larry Bagnell
V         Le président
V         M. Gilles-A. Perron

 1205
V         Le président
V         M. A. John Watson
V         Le président
V         M. Tetsuo Itani

 1210
V         Le président
V         Mme Cheryl Gallant
V         M. A. John Watson
V         Mme Cheryl Gallant
V         M. A. John Watson
V         M. Tetsuo Itani
V         Le président
V         M. Gordon O'Connor

 1215
V         M. Gerry Barr
V         Le président
V         L'hon. Keith Martin
V         Le président
V         L'hon. Keith Martin
V         M. Gilles-A. Perron
V         Le président

 1220
V         Mr. Claude Bachand
V         Le président
V         M. Gilles-A. Perron
V         L'hon. Keith Martin
V         Le président
V         M. Wajid Khan
V         Le président
V         L'hon. Keith Martin
V         M. Gerry Barr
V         L'hon. Keith Martin
V         M. Gerry Barr
V         Le président
V         M. Gilles-A. Perron
V         Le président
V         M. Gerry Barr
V         Le président
V         M. A. John Watson

 1225
V         Le président
V         M. Claude Bachand
V         M. A. John Watson
V         M. Claude Bachand
V         M. A. John Watson
V         M. Claude Bachand
V         M. Gerry Barr
V         M. A. John Watson

 1230
V         M. Claude Bachand
V         M. A. John Watson
V         Le président
V         M. Tetsuo Itani
V         M. Claude Bachand
V         M. Gerry Barr
V         M. Claude Bachand
V         M. Gerry Barr
V         M. Claude Bachand
V         Le président
V         M. A. John Watson
V         Le président
V         M. Wajid Khan

 1235
V         M. A. John Watson
V         Le président
V         L'hon. Keith Martin
V         M. Tetsuo Itani
V         M. Wajid Khan

 1240
V         M. Tetsuo Itani
V         Le président
V         L'hon. Keith Martin
V         M. A. John Watson
V         L'hon. Keith Martin
V         M. A. John Watson
V         L'hon. Keith Martin
V         M. A. John Watson
V         L'hon. Keith Martin
V         M. A. John Watson
V         L'hon. Keith Martin
V         M. A. John Watson
V         L'hon. Keith Martin

 1245
V         M. A. John Watson
V         L'hon. Keith Martin
V         M. A. John Watson
V         L'hon. Keith Martin
V         Le président
V         M. Claude Bachand
V         Le président










CANADA

Comité permanent de la défense nationale et des anciens combattants


NUMÉRO 056 
l
1re SESSION 
l
38e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le jeudi 3 novembre 2005

[Enregistrement électronique]

*   *   *

À  +(1005)  

[Traduction]

+

    Le président (M. John Cannis (Scarborough-Centre, Lib.)): La séance est ouverte.

    Si vous le permettez, j'aimerais que nous traitions rapidement de la motion qui a été déposée l'autre jour. Nous pourrons ensuite entamer nos travaux, si tout le monde est d'accord.

    Une motion a été déposée par le vice-président, M. Rick Casson, le mardi 1er novembre 2005, et je vous la lis:

Que le comité tienne une séance la semaine du 14 novembre pour discuter de l'enquête en cours au sujet de l'usage de l'agent Orange et d'autres défoliants sur les bases des Forces armées canadiennes.

    Avez-vous des observations à faire?

    Monsieur Martin.

+-

    L'hon. Keith Martin (Esquimalt—Juan de Fuca, Lib.): L'idée de présenter cette motion pour traiter de cette question est bonne, mais je pense toutefois que nous devons tenir compte du fait que nous nous sommes réunis et que nous avons décidé de finir le travail que nous avons entrepris. Si nous continuons d'ajouter tout le temps des sujets d'étude, nous allons réduire le temps dont nous disposons vraiment pour terminer ce travail. Ce qui me préoccupe, c'est que cette étude aura demandé du temps et beaucoup de deniers publics, et que si nous continuons d'ajouter des questions à examiner et accaparons le temps précieux qu'a le comité pour s'occuper de son objectif premier, sur lequel nous nous sommes tous entendus, nous n'aurons alors pas mené à bien la tâche première qu'on nous a confiée.

    La question de l'agent Orange, vous le savez, a été examinée par le ministère et les gens concernés, et si le comité veut se pencher là-dessus et l'examiner et convoquer des témoins, c'est bien. Je dirais tout simplement que nous devrions attendre d'avoir fini le travail en cours pour que nous puissions nous occuper d'autres questions que le comité voudrait examiner une fois que nous aurons terminé notre tâche première et atteindre notre objectif premier, soit terminer l'étude en cours.

+-

    Le président: Nous allons donner la parole à M. Bachand.

[Français]

+-

    M. Claude Bachand (Saint-Jean, BQ): Monsieur le président, le Bloc québécois appuiera cette motion parce que jusqu'à maintenant, la position du ministère de la Défense nationale et des Forces canadiennes est difficilement défendable.

    L'autre jour, Mme Ellis nous a présenté ses conclusions, ce qui a suscité encore plus de doutes en moi. J'ai l'impression que nous ne sommes pas au bout de nos surprises au sujet de l'agent orange. Je crois qu'il est important de prendre une journée pour aller au fond de la question. De la même façon, on veut prendre une journée pour discuter de la question des sous-marins, comme l'avait suggéré à l'époque mon collègue du NPD. En effet, on avait prévu la possibilité d'y revenir.

    Je ne veux pas, moi non plus, être complètement accaparé par la politique de défense. On peut ouvrir une parenthèse une fois de temps en temps et régler des problèmes plus spécifiques.

    J'ai parlé et le public m'a entendu, mais cette discussion ne devrait-elle pas se dérouler à huis clos, monsieur le président? Je vois qu'il y a une diffusion publique.

[Traduction]

+-

    Le président: Je vous prie de m'excuser, j'ai oublié de demander si l'on souhaitait siéger à huis clos.

[Français]

+-

    M. Claude Bachand: Je ne tiens pas à ce que cela demeure secret, je peux m'exprimer publiquement sans problème.

[Traduction]

+-

    Le président: C'est à vous d'en décider, et je vous prie de m'excuser.

    Monsieur Bachand, poursuivez, je ne voulais pas vous interrompre.

[Français]

+-

    M. Claude Bachand: J'ai résumé ma pensée.

    À des moments précis, il faut pouvoir ouvrir une parenthèse d'une journée ou deux pour s'attarder à des problèmes tels que ceux du sous-marin NCSM Chicoutimi, de l'agent orange ou à tout autre sujet. Ce serait utile et intelligent.

    Je vous rappelle, monsieur le président, que je doute encore beaucoup de la qualité de l'écoute du gouvernement à l'endroit du Comité permanent de la défense nationale et des anciens combattants lorsqu'il s'agit de la politique de défense nationale. En effet, j'ai l'impression qu'il a déjà son idée. Néanmoins, je suis prêt à continuer le travail.

    Cependant, quand surviendront des événements exceptionnels, comme l'agent orange ou l'affaire du sous-marin Chicoutimi, il faudra s'arrêter le temps nécessaire pour approfondir ces dossiers, afin de ne pas être accaparés uniquement par la politique de défense.

[Traduction]

+-

    Le président: Monsieur O'Connor.

+-

    M. Gordon O'Connor (Carleton—Mississippi Mills, PCC): Merci, monsieur le président.

    Je suis d'accord sur ce que M. Bachand vient tout juste de dire. Je sais que nous examinons la politique de défense et que c'est le mandat que nous a confié le Parlement, mais le fait est que pas un seul mot de ce document ne sera changé. Tout est dit. Le gouvernement en a fait sa politique.

    Alors nous siégeons réunion après réunion, écoutons témoin après témoin. Ce sera intéressant. Cela nous éclaire sur ce qui se passe, mais dans les faits cela ne change rien à la politique. Je pense donc que nous devrions traiter des questions qui surgissent et qui doivent être examinées quand elles se présentent. La politique de défense c'est bien, mais l'agent Orange ou le désastre du Chicoutimi et d'autres questions doivent être examinées quand elles se présentent, et j'appuie l'idée d'intercaler ici et là ces questions dans le cadre de l'examen de la politique de défense.

    Je ne sais même pas si nous avons un échéancier pour cet examen de la politique de défense. Nous a-t-on donné un mandat? Devons-nous terminer cet examen d'ici une certaine date? Je ne le pense pas.

    De toute façon, c'est ce que je pense.

À  +-(1010)  

+-

    Le président: Monsieur Blaikie.

+-

    L'hon. Bill Blaikie (Elmwood—Transcona, NPD): Monsieur le président, je veux simplement dire que j'appuie la motion. Je ne pense pas que ces deux choses soient contradictoires. Franchement, je pense que la possibilité que nous la terminions vraiment est presque inexistante — l'étude ou peu importe.

    Entre-temps, nous pouvons faire quelque chose d'utile et dissiper au moins en partie la confusion qui existe. Je reçois encore des messages de gens au sujet de l'agent Orange. Ils semblent ne pas saisir ce que le gouvernement fait. Je ne sais pas ce que le gouvernement fait. Ce serait très utile, je pense, d'avoir quelqu'un qui vienne nous expliquer exactement ce qui se passe. La première séance d'information que nous avons tous eue il y a longtemps... Bien des choses se sont produites et bien des choses ont été révélées depuis, et tout cela n'est pas parfaitement clair. Je pense qu'il serait très utile d'adopter cette motion puis d'avoir au moins une séance — et peut-être même deux, ce que nous déciderons de faire, mais d'avoir une séance d'information sur cette question.

+-

    Le président: Avez-vous des observations?

    Si je peux parler de l'échéancier, au sujet duquel on a posé des questions plus tôt, je pense que lors de notre séance de planification nous en avions discuté, et en consultation avec les attachés de recherche et le greffier, étant donné le calendrier, étant donné les témoins que nous avions demandés, nous visions le début février pour la présentation d'un rapport provisoire. Je crois que c'est la décision que nous avions prise. Je crois ainsi répondre à l'une des questions que vous m'avez posées.

    De plus, nous allons mettre la question aux voix dans une minute.

    J'aimerais simplement que vous sachiez que quand j'entends dire, par exemple, que l'énoncé de politique de défense est là et qu'il n'y a rien que nous puissions y changer... J'aimerais remonter dans le temps et rappeler pourquoi nous sommes tous venus ici. Peut-être qu'à une époque de nos vies nous étions à l'écart de cette tribune et nous disions que, il n'y avait rien que nous pouvions faire. Eh bien, j'ai constaté, chers collègues — et je le dis sincèrement — depuis les 12 années que je suis ici, que bien sûr, quoi qu'il en soit, même d'une façon bien modeste, nous pouvons faire une différence; nous pouvons changer les choses, si modestes ou si importantes qu'elles soient. Je pense que l'effort doit être fait.

    Je comprends ce qu'a dit M. O'Connor. Je respecte ce qu'il a dit. Il y a probablement un fondement à ce qu'il dit, mais je crois qu'en tant que représentants élus nous avons l'obligation envers nos contribuables, d'abord, de leur montrer qu'effectivement nous faisons notre part et tout ce que nous pouvons pour modifier, changer cet énoncé de politique de défense ou présenter des recommandations en ce sens.

    Je crois que d'après ce que nous avons entendu jusqu'à maintenant, surtout sur l'acquisition — et je suis sûr que vous serez tous d'accord avec moi —, que nous allons être en mesure à un moment donné de présenter notre propre énoncé. Quant à savoir si le gouvernement décidera d'en tenir compte, c'est une autre histoire, mais les faits seront connus. Les gens seront au courant, et nous serons capables de faire valoir notre point de vue clairement à l'avenir.

    Avez-vous des commentaires à faire pour terminer?

    Monsieur Martin.

+-

    L'hon. Keith Martin: Je voulais simplement dire, monsieur le président, à M. O'Connor et à M. Bachand, que je sais que cela semble parfois frustrant, et que le document de l'énoncé de politique de défense ne sera pas modifié, mais si l'on remonte dans l'histoire — et M. O'Connor le sait très bien, pour avoir été général — l'étude sur la qualité de vie que l'ancien comité de la défense a effectuée a eu un effet marquant sur la vie des membres des Forces canadiennes. Si nous venions au comité jour après jour en croyant simplement que ce que nous faisons est inutile et ne mène à rien, nous ferions tout aussi bien de rentrer chez nous.

    Nous sommes ici pour changer les choses. Nous utilisons les deniers publics pour changer les choses. Nous allons changer les choses, et l'importance des changements que nous apportons ne dépend que de nos capacités et du temps et des efforts que nous consacrons à ce que nous essayons de faire pour les membres des Forces canadiennes.

    Tout en voulant préciser que je pense que l'examen de la question de l'agent Orange et d'autres questions encore est important, comme l'a mentionné M. Blaikie, ce que je souhaite c'est que nous ne nous interrompions pas pour utiliser le temps précieux du comité, quand le temps presse, parce que cela risque de nous détourner de notre objectif premier, qui est de terminer cette étude, de la mener à bien et de faire un excellent travail qui va servir à nos Forces canadiennes.

À  +-(1015)  

+-

    Le président: Monsieur O'Connor.

+-

    M. Gordon O'Connor: Pour que les choses soient bien claires, je ne dis pas que le comité fait un travail tout à fait inutile. Ce n'est pas ce que je dis. Ce que je dis, c'est que la politique de défense ne va pas changer. Nous allons entendre de 30 à 40 témoins, et cela va nous éclairer personnellement sur tous ces différents aspects et domaines de spécialité, et c'est bien, mais cela ne va pas changer la politique.

    L'exemple que vous donnez au sujet de la qualité de vie, qui était un exercice qui en valait la peine — il y a probablement d'autres exercices qui en vaudraient la peine, et peut-être que l'enquête sur les sous-marins était un exercice qui en valait la peine. Ces types d'enquêtes ou d'études apportent effectivement un changement parce que le gouvernement y réagit. Nous nous livrons à cet exercice que pour passer le temps, semaine après semaine, sur une politique de défense qui ne va pas être modifiée.

+-

    Le président: La parole est maintenant à M. Perron.

[Français]

+-

    M. Gilles-A. Perron (Rivière-des-Mille-Îles, BQ): Monsieur le président, au risque qu'on m'accuse de faire de la petite politique, je crois que notre comité, qui procède à l'étude des nouvelles politiques de défense, a peut-être une chance d'être plus écouté, puisque le gouvernement est minoritaire.

    En ce qui a trait à la motion, je crois, comme le dit une expression québécoise, qu'on peut marcher et mâcher de la gomme en même temps. Nous devrions donc nous réserver du temps et nous obliger à interrompre notre étude sur la politique, afin de nous concentrer sur des sujets importants comme l'agent orange ou les sous-marins. On pourrait aussi en ajouter d'autres. Je ne crois pas que notre mandat soit si rigide que nous devions nous restreindre à la politique de défense nationale.

[Traduction]

+-

    Le président: Madame Gallant.

+-

    Mme Cheryl Gallant (Renfrew—Nipissing—Pembroke, PCC): Sauf le respect que je vous dois, le travail que fait le comité, que notre examen soit terminé en février ou mars, ne va rien changer à ce que font les forces armées. Ils poursuivent leur transformation, mais cela fera une différence dans la vie des gens qui ont été touchés par l'agent Orange, et pour cette raison, nous devrions leur accorder le temps voulu.

+-

    Le président: Je suis tout à fait d'accord là-dessus, mais surtout j'aime vraiment la façon dont M. Perron a présenté les choses. Il a tout à fait raison.

    Nous avons parlé d'un échéancier, et je suis heureux que M. O'Connor en ait parlé, parce que cela m'a donné l'occasion de rappeler à tous que c'est une échéance sur laquelle nous nous étions tous entendus, en consultation avec le personnel. Donc, maintenant que nous sommes saisis de cette motion, nous devons tenir compte du fait que, parce que nous avons fixé un échéancier pour la présentation d'un rapport préliminaire, c'est le calendrier que nous nous sommes donné. En ajoutant l'examen de questions importantes, comme on le suggère par cette motion, cela va nous détourner dans une certaine mesure de notre objectif, nous devons le comprendre.

    Je pense que l'occasion nous est offerte, comme M. Perron l'a si justement dit. Je pense que la clé c'est que nous sommes dans une situation de gouvernement minoritaire, et l'avantage en est que cela nous donne l'occasion d'exercer une influence. Je pense que nous en avons eu des exemples tout récemment.

    Je m'en tiendrai à cela, à moins qu'il y ait d'autres observations, et la motion sera mise aux voix.

    (La motion est adoptée.)

+-

    Le président: Monsieur Casson, je crois que vous m'avez mentionné hier — et je vous en remercie — au sujet des témoins que vous en étiez à la planification, et s'il y a déjà des témoins nous pourrions planifier leur comparution.

+-

    M. Rick Casson (Lethbridge, PCC): Oui, je pense que nous avons commandé le...

+-

    Le président: La présentation a été faite?

+-

    M. Rick Casson: Oui.

+-

    Le président: D'accord.

    L'autre question que vous aviez concernait les coûts, et le personnel va examiner cette question, si je me souviens bien. Est-ce fait aussi?

+-

    M. Rick Casson: C'est fait.

+-

    Le président: Bien. Nous allons passer à autre chose et considérer cela comme réglé.

À  +-(1020)  

+-

    M. Rick Casson: Il y a simplement une autre question qui concerne le comité. La salle que nous occupons maintenant n'est manifestement pas assez grande.

+-

    Le président: Je suis heureux de vous l'entendre dire. Ce matin nous avons été prévenus, et j'ai aussitôt posé la question. Si on a changé de salle, c'est parce que nous avons demandé de prolonger notre séance d'une heure. Cette demande a eu des répercussions sur les salles disponibles, et c'est pourquoi nous avons été relogés ici. J'ai demandé que nous retournions siéger là où nous nous réunissons normalement.

+-

    M. Rick Casson: Merci.

+-

    Le président: Autre chose avant de continuer?

    Très bien. Nous allons reprendre nos travaux courants. J'aimerais tout d'abord m'excuser auprès de nos invités pour ce retard, mais nous devions régler cette question immédiatement.

    Je voudrais souhaiter la bienvenue à notre groupe d'experts ici au Comité permanent de la défense nationale et des anciens combattants dans le cadre de notre examen de la politique de défense.

    Chers collègues, nous accueillons aujourd'hui M. John Watson, président et directeur général de CARE Canada, M. Gerry Barr, président et directeur général du Conseil canadien pour la coopération internationale, et M. Tetsuo Itani, gestionnaire de l'Unité d'intervention d'urgence de la Croix-Rouge canadienne.

    Bienvenue messieurs. Merci de votre patience. Comme vous venez de l'entendre, notre temps est limité. Je vous demanderai donc de présenter vos exposés en moins de 10 minutes. Je ne sais pas s'il y a un ordre particulier. Peut-être pouvons-nous commencer avec CARE Canada, qui est la première organisation sur notre liste?

    Ensuite, nous aurons une première série de questions et réponses, où chaque membre aura sept minutes, puis une deuxième série de questions et réponses de cinq minutes, puis une troisième série de cinq minutes.

    Monsieur Watson, vous avez la parole.

+-

    M. A. John Watson (président et directeur général, CARE Canada): Pour ce qui est de respecter mon temps de parole, je vais lire mon exposé. J'ai des photos qui ont été prises sur le terrain. Peut-être que le comité voudra les voir au cours de la période des questions.

    Merci de m'avoir invité ici aujourd'hui.

    Depuis la fin de la guerre froide, et surtout depuis le 11 septembre 2001, beaucoup d'observateurs ont fait remarquer que nous vivions dans un monde plus dangereux et moins prévisible qu'auparavant. Malheureusement, le diagnostic du mal présenté dans l'énoncé de politique internationale, ainsi que le remède proposé, sont tout à fait inadéquats.

    Selon moi, même si c'est un peu simpliste, l'énoncé de politique internationale peut se résumer de la façon suivante: l'énoncé estime que le principal mal dont souffre la communauté internationale aujourd'hui, c'est l'émergence d'un certain nombre d'États fragiles et non viables, c'est-à-dire des États qui ne protègent pas leurs citoyens, des États qui sont à l'origine d'un flux important de réfugiés, des États qui servent de refuges aux terroristes. À l'ère des armes de destruction massive, ces États non viables représentent une menace considérable pour nous tous.

    Pour régler ce problème, l'énoncé propose de déployer dans les cas les plus extrêmes des interventions menées par l'armée afin de stabiliser les États fragiles et non viables suffisamment pour que des élections puissent se tenir. Les citoyens, une fois qu'ils auraient reconnu les avantages de la démocratie, pourraient activement appuyer la reconstitution de leur pays pour qu'il devienne un État viable. Cet État renouvelé rejoindrait alors la communauté des nations et respecterait les règles du droit international. Je pense que cette analyse est la mauvaise pour deux raisons.

    Tout d'abord, elle ne prend pas en compte les circonstances géopolitiques particulières qui ont existé au cours des 50 ans de guerre froide. Ces circonstances uniques ont donné naissance à un monde bipolaire composé d'États nations plus ou moins viables un peu partout. Cependant, cet environnement géopolitique était exceptionnel, et il y a peu de chance qu'il réapparaisse. De plus, d'entreprendre des interventions militaires auprès d'États non viables peut avoir des conséquences à long terme que nous ne sommes pas en mesure de comprendre ou de prévoir. Je fais référence ici à un phénomène récurrent: lorsque l'Occident accorde une aide militaire pour régler un problème immédiat, cela se retourne contre nous et nous devons faire face à des problèmes encore plus graves qu'auparavant. Prenez, par exemple, l'appui donné par les Israéliens au Hamas pour miner l'OLP, ou l'appui donné par les Américains à Saddam Hussein au cours de la guerre Iran-Irak, ou encore, l'aide des Américains aux moudjahidins afin de contrer l'Union soviétique après son invasion de l'Afghanistan. Toutes ces interventions répondaient à un objectif raisonnable à court terme, mais à long terme, elles n'ont fait que créer des problèmes plus graves.

    Étant donné ces leçons apprises à nos dépens, nous devrions y réfléchir à deux fois avant de prescrire des interventions militaires auprès d'États non viables. Effectivement, les effets secondaires sont souvent beaucoup plus graves que le mal initial.

    Deuxièmement, je pense que l'on surestime le rôle que peut jouer la tenue d'élections dans des États non viables afin de rétablir la stabilité. L'expérience nous montre que la priorité pour les citoyens ordinaires d'États fragiles ou non viables, c'est l'économie plutôt que la démocratie politique. La grande majorité de ces États ont des économies qui se caractérisent par un marché dominé par une ethnie, et un vaste secteur informel où les droits de propriété des pauvres ne sont pas reconnus par les institutions de l'État. Lorsqu'on tient des élections dans ces conditions, très souvent on ne fait qu'accroître l'instabilité dans la mesure où la majorité des électeurs sont exclus de l'économie et de ce fait votent afin de confisquer la propriété de la minorité qui domine l'économie.

    Je voudrais maintenant discuter avec vous de deux métaphores: la guerre en trois volets, et le tabouret à trois pieds. Cela nous permettra de comprendre en détail ce qui se passe.

    Dans l'énoncé de politique internationale, on peut lire:

L'image qui résume la situation opérationnelle actuelle des Forces canadiennes est celle d'une « guerre en trois volets ». De plus en plus, il y a chevauchement des tâches dans les missions que l'on demande au personnel d'accomplir. Il arrive que, dans une même ville, des militaires se battent contre des milices bien armées dans un quartier, mènent des opérations de stabilisation dans le quartier voisin, et apportent des secours humanitaires et une aide à la reconstruction deux pâtés de maison plus loin.

    Il y a beaucoup de choses à dire à propos de cette métaphore. Elle reconnaît que la culture militaire du temps de la guerre froide, lorsque la principale préoccupation des chefs militaires était la possibilité d'une guerre nucléaire ou de batailles de chars d'assaut dans les plaines de l'Europe du Nord, doit changer pour pouvoir faire face à l'environnement plus complexe des États non viables. Cette métaphore représente un retours à une ancienne pratique militaire, que l'on retrouve par exemple dans le Small Wars Manual publié par le Marine Corps américain dans les années 30. Cependant, le fait de penser que cette métaphore puisse représenter une politique étrangère coordonnée pour le Canada est une erreur.

À  +-(1025)  

    Bien entendu, il serait bon d'avoir une approche coordonnée à trois D, où la défense, le développement, et la diplomatie iraient dans le même sens. Mais dire que l'EPR à Kandahar est un exemple de cette approche n'est pas juste et ne reflète pas la réalité.

    J'aime avoir recours à l'image du tabouret à trois pieds pour décrire ce qu'est une intervention humanitaire équilibrée dans un État non viable. Les trois pieds représentent les trois intervenants nécessaires à toute intervention efficace: les Nations Unies et ses agences; les forces armées; et les organisations humanitaires professionnelles. Si les trois pieds sont adéquats, l'intervention sera efficace. Si l'un des pieds est nettement plus faible que les autres, alors l'intervention vacillera et s'effondrera.

    Aujourd'hui, au Canada, c'est la communauté humanitaire qui est le pied faible du tabouret en matière d'affectation de fonds. Le rôle des agences humanitaires est de fournir une aide efficace et économique pour alléger les souffrances des principales victimes de catastrophes humanitaires. Nous sommes très compétents en la matière, non pas parce que nous sommes des âmes charitables, mais parce que nous avons une certaine discipline de marché.

    Les agences de l'ONU et les forces armées, par définition, sont des monopoles. Il n'est donc pas étonnant que le principal problème de gestion de ces institutions soit la bureaucratie et les tracasseries administratives. Il n'est pas non plus surprenant que le principal problème de gestion des organisations humanitaires soit de coordonner l'action de nombreux intervenants.

    Cependant, il n'y a pas autant d'intervenants qu'on pourrait le penser. Il y a la Croix-Rouge, CARE, Médecins Sans Frontières, World Vision, Oxfam, Save the Children, et les autres organisations qui possèdent une culture d'entreprise qui s'est développée par le biais des efforts déployés pour aider les victimes en temps de conflit, et ce, depuis la guerre de Crimée. Cette culture se retrouve dans les principes d'humanité, d'indépendance, de neutralité, et d'impartialité. Toutes les organisations que j'ai mentionnées sont attachées à ces principes. On retrouve également cette culture dans le droit international.

    J'aimerais dire deux mots à propos de la différence entre le travail humanitaire et la charité. Malheureusement, l'approche canadienne actuelle en matière d'interventions auxquelles participe l'armée confond le rôle de l'armée et des organisations humanitaires. L'armée a un rôle essentiel à jouer en permettant l'accès aux zones sinistrées grâce à sa capacité de transport et en imposant la sécurité. En revanche, lorsqu'il s'agit de fournir de l'aide humanitaire, l'armée n'a pas de bons résultats en matière de coût, d'adéquation, et de capacité de respecter les principes humanitaires.

    Lorsqu'on ne reconnaît pas ces inconvénients, on confond l'aspect charitable d'une stratégie efficace de guerre à petite échelle avec le travail humanitaire professionnel. Il est important de respecter les principes humanitaires, non seulement pour des raisons d'éthique, mais également parce que ces principes, fondés sur l'expérience des organisations humanitaires professionnelles, représentent la meilleure façon d'avoir les résultats souhaités.

    Lorsqu'on examine la question de la sécurité, la différence entre le travail humanitaire et l'approche charitable devient évidente. CARE Canada prend la sécurité très au sérieux, mais on retrouve les stratégies de sécurité sur un spectre continu qui va de la protection à la dissuasion à l'acceptation.

    La stratégie militaire en matière de sécurité de son personnel se concentre sur la protection des forces. Cela se trouve à une extrémité du spectre continu dont j'ai parlé. Ce concept de sécurité ne peut pas s'appliquer dans le cadre d'une opération humanitaire avec des travailleurs éparpillés dans une vaste région et qui repose sur un grand nombre de travailleurs locaux afin de pouvoir aider encore plus de personnes sinistrées.

    Nous dépendons donc d'une stratégie fondée sur l'acceptation. Par « acceptation » nous entendons la transparence de nos opérations. Nous travaillons étroitement avec les collectivités et les autorités locales dans l'élaboration des lignes directrices afin de savoir qui obtiendra de l'aide ou non. En résumé, pour déterminer ceux qui ont le plus besoin d'aide. Il ne suffit pas de faire la bonne chose. Il faut que toutes les parties au conflit aient le sentiment que nous faisons la bonne chose, il faut qu'ils comprennent ce que nous faisons et qu'ils l'acceptent.

    Lorsqu'on applique cette approche correctement, ce sont les collectivités elles-mêmes qui font respecter l'ordre aux points de distribution. Lorsque cette approche n'est pas appliquée correctement, les émeutes aux points de distribution deviennent monnaie courante, et l'aide va à ceux qui en ont le moins besoin, à savoir les plus puissants.

À  +-(1030)  

    L'efficacité de l'intervention humanitaire dépend de la capacité d'identifier les victimes les plus nécessiteuses et de leur faire parvenir le peu d'assistance disponible, quelles que soient leurs vues sur le conflit en cause. Par contre, le travail sur le coeur et les esprits a un autre objectif, celui de gagner les personnes à l'une des factions au conflit, de les convaincre que nos gens sont les bons, qu'ils vont les aider, par opposition aux méchants qui ne s'intéressent qu'à prolonger leurs souffrances.

    Je ne prétends pas que le travail sur les coeurs et les esprits ne soit pas important du point de vue militaire. Je demande simplement qu'il soit reconnu comme tel et qu'on ne le confonde pas avec le travail humanitaire, comme le fait l'énoncé de politique internationale. Faire cela, c'est mettre en véritable et grand danger notre personnel sur le terrain, et c'est pourquoi aucune agence humanitaire professionnelle ne veut travailler en étroite collaboration avec les militaires sur le terrain. C'est également pourquoi nous ne sommes pas favorables au concept de la guerre à trois volets et que nous ne considérons pas l'EPR comme une expérience positive.

    Nous nous rendons compte, à CARE Canada, que la communauté internationale doit engager un long combat pour lutter contre la pauvreté, rétablir l'ordre et remettre sur pied les États en déroute, combat qui va nous occuper pendant des décennies. Actuellement, dans chacune des zones de conflit de la planète, les agences humanitaires sont à pied d'oeuvre avant que les forces militaires étrangères soient déployées et elles poursuivront leurs interventions longtemps après que les déploiements militaires auront pris fin. À CARE Canada, l'expérience pratique nous a enseigné que, s'il est bien mené, notre travail a le pouvoir d'amoindrir le conflit et d'aider à rétablir les structures d'un État fonctionnel. L'énoncé de politique internationale ne reconnaît pas cela adéquatement.

    Pour résumer, permettez-moi de dire trois choses.

    Premièrement, je reconnais que l'armée joue un rôle critique pour résoudre les crises dans les États en déroute. Ce rôle consiste principalement à assurer la sécurité, et plus particulièrement à former une armée et une force policière locale ainsi qu'à offrir des capacités de transport d'urgence dans les cas où l'accès aux lieux et l'un des principaux obstacles à l'acheminement de l'aide. Toutefois, l'armée ne devrait pas s'occuper d'aide humanitaire, parce qu'elle effectue ce travail vital de façon coûteuse et inappropriée, confondant la nécessité de gagner les coeurs et les esprits avec le travail humanitaire et mettant à risque nos propres travailleurs humanitaires.

    Deuxièmement, le système canadien d'aide humanitaire a gravement besoin de réforme. Les agences canadiennes d'aide humanitaire devraient bénéficier d'un financement de programmes plutôt que de devoir faire face, comme maintenant, à la précipitation improvisée pour chaque crise. L'ACDI sait que l'approche que nous préconisons est logique et elle a d'ailleurs traité les propositions ponctuelles du lendemain du tremblement de terre au Pakistan plus rapidement que lors des urgences antérieures. Toutefois, l'ACDI a reçu des propositions d'au moins trois grandes agences humanitaires, concernant le financement de programmes à long terme dont je parle. D'après ce que j'en sais, ces propositions ne sont pas traitées par l'ACDI aussi rapidement qu'elles devraient l'être.

    Troisièmement, outre la réforme gouvernementale du système d'aide humanitaire canadien, les organismes humanitaires canadiens doivent donner plus d'ampleur aux efforts actuels visant à mettre au point un processus unifié de financement et d'évaluation transparente. C'est un processus qui existe dans de nombreux pays, mais pas encore au Canada. Il permettrait d'assurer que les donateurs, qu'il s'agisse d'organismes ou de particuliers, que leur argent est utilisé de la façon la plus efficace possible. Ensemble, ces trois réformes nous mèneraient vers une approche véritablement intégrée de l'aide humanitaire, conforme aux trois D dont fait état l'énoncé de politique internationale.

    Merci, monsieur le président.

À  +-(1035)  

+-

    Le président: Merci, monsieur Watson.

    Monsieur Barr, vous avez la parole.

+-

    M. Gerry Barr (président et directeur général, Conseil canadien pour la coopération internationale): Je tiens à remercier les députés ici présents de l'occasion qui m'est offerte de les rencontrer et de parler un peu de certains des problèmes et des défis du travail de l'aide humanitaire dans le contexte d'approches gouvernementales intégrées.

    Permettez-moi d'abord de citer un de mes bons collègues, Larry Minear, qui est actuellement à l'Université Tufts. Il a une très longue expérience et c'est un analyste de premier ordre. Voici ce qu'il dit:

    La subordination foncière de l'action humanitaire aux stratégies politiques liées à la guerre planétaire livrée au terrorisme et l'instrumentalisation de l'aide internationale aux fins des objectifs de politique étrangère de la seule superpuissance restée en lice et de ses alliés n'augurent rien de bon pour les principes humanitaires.

    Voilà donc l'invite à la prudence que je voulais vous faire.

    Voici les principaux messages que je voudrais vous transmettre aujourd'hui: l'intervention humanitaire doit être indépendante de l'intervention militaire; le droit des personnes affectées par les conflits armés et la protection des civils doivent avoir préséance dans les interventions internationales en cas de conflits; et, en dernier lieu, les fonds pour le développement doivent servir à aider les plus démunis de la terre et, à cette fin, de façon à appuyer leur rôle comme citoyens et détenteurs de droits.

    Les programmes d'aide du Canada doivent viser à éradiquer la pauvreté mondiale. Les gouvernements donateurs, y compris le Canada, préconisent de plus en plus des approches axées sur les trois D ou des approches gouvernementales intégrées pour les situations de conflits et d'après conflits. Ces approches se fondent sur la nécessité d'une intervention plus coordonnée pour l'ensemble du gouvernement et témoignent de la complexité des conflits modernes. L'approche trois D du Canada est actuellement mise à l'essai en Haïti, au Soudan et en Afghanistan. La République démocratique du Congo fait partie des autres candidats possibles pour ce type d'intervention.

    Accroître la coordination et la cohérence en matière de politique étrangère est une bonne chose, mais, dans le contexte actuel, l'approche trois D soulève des questions. Quelles sont-elles? Il existe en particulier des préoccupations quant à la mesure dans laquelle la coordination et la communication entre les trois D deviennent de l'intégration et les objectifs communs. À cet égard, l'énoncé de politique internationale va manifestement trop loin, en proposant que l'intégration plutôt que la coordination soit l'objectif des interventions de type trois D.

    Ce que je veux faire ici, aujourd'hui, c'est essayer d'appuyer le principe de la coordination et rejeter l'idée de l'amalgame. La demande d'intégration représente un appel manifeste à des liens plus étroits entre les réactions politiques à des crises et les réactions humanitaires et de reconstruction. S'il est vrai qu'une meilleure coordination peut améliorer la situation, l'intégration des trois D met les civils en danger en effaçant les lignes de démarcation entre l'aide humanitaire et l'intervention militaire et en amalgamant le développement autodéterminé des populations locales et les opérations de conquête des coeurs et des esprits.

    La sécurité des travailleurs humanitaires et des personnes qu'ils servent dépendent d'une entente entre les factions au conflit d'une part et les organismes humanitaires d'autre part. Les aidants humanitaires visent à atténuer la souffrance causée par les conflits, mais ne visent pas à modifier le cours du conflit. Lorsque les travailleurs humanitaires sont liés ou sont perçus comme étant liés au programme politique d'une des factions au conflit, l'entente est rompue.

À  +-(1040)  

+-

    Le président: Pardon, mais on vient de me remettre ce document et il n'existe qu'en anglais. A-t-il été distribué en français?

[Français]

+-

    M. Gerry Barr: On a des copies françaises du sommaire de cette présentation.

[Traduction]

+-

    Le président: Merci.

    C'était une simple observation. Désolé.

+-

    M. Gerry Barr: Le fait de nous associer à des intentions politiques peut être le résultat d'une intégration trop poussée de nos interventions et des activités militaires, que ce soit en situation de guerre, d'instauration de la paix ou même de maintien de la paix. Cela amène à une diminution de l'aide vitale aux populations souffrantes. Il ne s'agit pas de défendre des chasses gardées ni de faire des distinctions théoriques. Il s'agit d'assurer l'efficacité de l'aide vitale aux populations dans le besoin. Rien ne saurait être moins théorique.

    En matière de développement et d'instauration de la paix, l'intégration des trois D met à mal l'efficacité et la durabilité à long terme des interventions. Le rôle des programmes de développement et d'instauration de la paix est d'appuyer un changement social positif conforme aux priorités des populations locales. Toutefois, lorsqu'on intègre — je reviens donc à ce terme clé — le développement aux activités militaires et de politique étrangère, on finit par donner la préséance aux projets et aux intérêts du Canada, non aux projets et aux intérêts des populations locales.

    Cinquante années de prestation d'aide humanitaire nous ont appris que l'élément clé pour assurer l'efficacité de l'aide, c'est la responsabilisation locale, pas des processus de développement centrés sur le Canada, mais bien la responsabilisation locale. L'approche trois D du gouvernement sera axée sur deux nouveaux mécanismes gouvernementaux annoncés dans le pays, soit le Groupe de travail sur la stabilisation et la reconstruction, le GTSR, et le fonds pour la paix et la sécurité dans le monde, mécanismes conçus pour accroître et coordonner l'ensemble de nos réactions à la fragilité des États. Pour assurer que l'approche trois D renforce plutôt qu'affaiblisse notre efficacité d'intervention dans les conflits violents, le gouvernement doit clairement déclarer ses intentions et dire par quels moyens il entend protéger les droits humains, l'aide humanitaire, l'instauration de la paix et les principes de développement aux moyens de ces nouvelles initiatives.

    Voici tout d'abord quelques principes des droits humains qui devraient être jugés essentiels dans toute approche trois D.

    Notre principale responsabilité, en tant qu'État aidant, est de faire respecter les droits de la personne et d'en assurer la protection et la promotion. Cette obligation, compte tenu de sa signification pour l'ensemble de notre rôle international, devrait guider nos interventions dans les situations de conflits violents et de défaillance de la gouvernance. En outre, la surveillance de l'état de respect des droits de la personne devrait être au coeur de toute analyse de conflit ou de mise en état d'alerte avancée. À cet égard, il est évident qu'il faut des liens étroits entre le GTSR et les mécanismes onusiens de protection des droits humains en cours d'évolution.

    Dans le domaine des principes humanitaires, les principes d'une donation d'aide humanitaire utile, dont le Canada a été l'un des progéniteurs nationaux, devraient animer tant le GTSR que l'ensemble de l'approche gouvernementale en matière d'intervention humanitaire. Plus particulièrement, cela signifie que la distinction entre l'aide humanitaire et l'intervention militaire et politique doit être établie avec vigilance. En matière de prestation d'aide humanitaire, confier des rôles aux militaires devrait être l'exception plutôt que la règle. Je ne suis pas le seul à le dire. Les conventions de Genève demandent que l'aide humanitaire soit assurée par des organismes humanitaires impartiaux. Les principes de donation humanitaire que je viens d'évoquer le répètent et le code de conduite de 1994 de la Croix-Rouge internationale et du mouvement du Croissant-Rouge pour l'aide en cas de catastrophe énonce ces principes avec une clarté absolue.

    Un deuxième principe essentiel de l'aide humanitaire, c'est le financement en fonction des besoins. Le GTSR va présumément concentrer les ressources canadiennes d'intervention pour la paix dans un petit nombre de pays clés, mais les fonds humanitaires doivent être dépensés en fonction des besoins. Pratiquement, cela signifie que le Canada fait des évaluations systématiques des besoins et affecte les ressources humanitaires en se fondant sur les résultats de ces évaluations. Cela est d'une importance vitale, tant à l'intérieur d'une crise particulière — pour choisir, par exemple, entre l'eau et l'hygiène ou l'hébergement — que pour le choix entre diverses crises humanitaires, comme décider combien d'argent l'on donne à la crise X et combien à la crise Y.

À  +-(1045)  

    Le dernier point que j'aimerais aborder avec vous aujourd'hui concerne les principes de consolidation de la paix et du développement. Tout d'abord, il faut développer davantage les systèmes d'alerte avancée et les capacités d'action préventive. L'action doit se fonder sur une analyse solide du contexte, et les agents locaux du changement, ainsi que les organisations de la société civile, doivent jouer un rôle central dans la détermination des stratégies et dans la mise en place des programmes. Enfin l'enveloppe consacrée au développement est limitée: elle devrait être consacrée à la réduction de la pauvreté alimentée par les conflits.

    J'ai une proposition à faire au comité. Pour garantir l'ouverture du dialogue et une analyse des nouvelles approches trois D, le gouvernement devrait mettre sur pied un mécanisme de participation effective de la société civile dans la gestion du GTSR et du FPSM par le biais d'un conseil consultatif externe composé d'universitaires et d'ONG. Ce conseil pourrait se réunir tous les trois mois pour contribuer aux idées qui sous-tendent ces deux nouveaux programmes importants. Voilà ma proposition.

    Je voudrais de nouveau vous remercier de m'avoir donné l'occasion de vous rencontrer, et de discuter avec vous de ces questions importantes.

+-

    Le président: Merci, monsieur Barr.

    Nous vous remercions tous d'être parmi nous aujourd'hui.

    Avant de passer à M. Itani, je vais suspendre la séance quelques minutes, car on nous a demandé d'installer de l'équipement.

    Pourrait-on faire cela aussi rapidement que possible?

À  +-(1045)  


À  +-(1055)  

+-

    Le président: Chers collègues, nous reprenons la séance.

    Il semblerait que nous ayons des problèmes techniques.

    Monsieur Itani, je vous propose de faire de votre mieux avec les moyens disponibles. Apparemment le matériel ne fonctionne pas.

+-

    M. Tetsuo Itani (gestionnaire, Unité d'intervention d'urgence, Croix-Rouge canadienne): Merci, monsieur le président.

    Je voudrais pour commencer vous dire que je suis un ancien combattant, ayant passé 37 ans dans l'armée, dont j'ai été malheureusement expulsé en 1993 pour cause de discrimination. La discrimination est une chose terrible, particulièrement quand elle porte sur l'âge.

    Après avoir quitté l'armée, j'ai fait une troisième carrière au Comité international de la Croix-Rouge, de 1996 à 1997, à l'étude sur les mines antipersonnel qui a débouché sur le Traité d'Ottawa interdisant ce genre de mines; ensuite, j'ai eu une affectation sur le terrain en Asie centrale auprès de la délégation régionale du Comité international de la Croix-Rouge, particulièrement au Kazakhstan, au Kirghizistan, au Tadjikistan, au Turkménistan et en Ouzbékistan, ce que je me plais à appeler cinq des 11 « stans » de la région.

    Deux ans et demi plus tard, soit en 2002, j'ai été réaffecté à l'administration centrale au projet des personnes disparues et à la fin de ce projet, j'ai été de nouveau rappelé à l'administration centrale de 2003 à 2004 en tant que conseiller en droit humanitaire international et en diplomatie humanitaire.

    En février 2004, je suis revenu au Canada pour faire du bénévolat à la Croix-Rouge canadienne, où j'ai travaillé quotidiennement de février au 26 décembre. On connaît la suite, comme on dit. Je fais maintenant partie du personnel à plein temps chargé de gérer l'unité d'intervention d'urgence de la Croix-Rouge canadienne.

    J'aimerais dire tout d'abord que la défense, la diplomatie et le développement ont une incidence considérable sur la famille de la Croix-Rouge. La Croix-Rouge et le Croissant-Rouge, qui forment les réseaux humanitaires les plus étendus et les plus anciens, regroupent des centaines de sociétés nationales ainsi que 192 États qui ont adhéré aux conventions de Genève.

    À des degrés divers, tous les organismes sont concernés lorsqu'une intervention militaire politique impose des tâches humanitaires à des forces armées, ce qui nous oblige à travailler dans un environnement où l'humanitaire occupe de moins en moins de place, au détriment des populations vulnérables.

    Les sociétés nationales ont été créées à l'instigation de Jean Henri Dunant. C'est le fondateur du Comité international de la Croix-Rouge. Au cours des dix années qui ont suivi son action créatrice de 1863, quelque 22 sociétés nationales ont été constituées. Le Comité international de la Croix-Rouge, ou CICR, répond aux besoins de l'humanité depuis 142 ans. Il existe actuellement 182 sociétés nationales de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, et 192 pays ont signé la Convention de Genève, comme je l'ai indiqué; c'est un pays de plus que le total des pays membres de l'Organisation des Nations Unies.

    La première convention de Genève comptait 10 articles; aujourd'hui, les quatre conventions et les deux protocoles supplémentaires en comptent quelque 600.

    Quel est notre mandat? Il s'agit, tout simplement, de sauver des vies et de protéger la dignité humaine, c'est-à-dire protéger des prisonniers de guerre, des détenus et des personnes privées de leur liberté, ainsi que de restaurer les liens familiaux.

    Il est parfois difficile de restaurer ces liens. Par exemple, un prisonnier de la guerre Iran-Irak, qui s'est terminée en 1988, a été libéré. Mais nous n'avons appris que les autorités iraniennes avaient détenu ce prisonnier il y a moins de deux ans, et nous n'avons donc pas pu lui rendre visite. Il est revenu à Bagdad âgé de 45 ans. Il n'avait pas vu sa femme depuis 20 ans et voulait reprendre contact avec elle, mais dans l'intervalle, elle avait émigré aux États-Unis et s'était remariée. Comment peut-on reconstituer deux vies lorsqu'on a de tels défis à relever? Voilà le genre d'épreuves auxquelles sont confrontés des millions de personnes dans le monde.

    Nous faisons également la promotion du respect du droit humanitaire international. Nous remportons parfois de grandes victoires, mais nous connaissons souvent la défaite.

    Nous offrons de l'assistance sous forme d'interventions médicales qui permettent de sauver des vies, sous forme de services médicaux, de dons, de denrées alimentaires, de vêtements et d'abris; ce sont essentiellement les activités auxquelles se consacrent mes collègues de CARE Canada et de divers autres organismes non gouvernementaux très efficaces au plan international.

    Nous appliquons les principes de l'impartialité, de l'indépendance et de la neutralité: neutralité à l'égard des causes de la guerre, neutralité dans nos relations avec les belligérants, mais pas à l'égard de la souffrance humaine, bien au contraire.

Á  +-(1100)  

    Pour ceux qui, comme nous, font de l'aide humanitaire, une mort est toujours une mort de trop et une vie sauvée ne suffit jamais. Il est toujours question de vraies vies et de vraies personnes.

    Nous avons besoin de liberté d'accès. Nous devons nous rapprocher physiquement de nos bénéficiaires, car c'est uniquement grâce à cette proximité et à cette intimité physiques que nous parvenons à comprendre véritablement leurs besoins. On ne peut pas se contenter de rester confortablement au Canada et d'envoyer de l'aide sans connaître les besoins prioritaires. Nous sommes sur le terrain, où nous partageons les privations et les dangers auxquels sont exposés nos bénéficiaires.

    Notre mode de fonctionnement est transparent. Comme vous le savez, lors d'un conflit, en plus des adversaires notoires, un élément criminel très important se manifeste pour profiter de l'anarchie causée par les situations de conflit. Nous devons effectivement traiter aussi avec ces criminels, mais de façon tout à fait transparente. Dans nos activités quotidiennes, nous sommes informés de choses qui pourraient être utiles à un camp ou à l'autre et nous veillons donc soigneusement à ne divulguer aucune information qui puisse favoriser ou défavoriser qui que ce soit.

    Les opérations de soutien de la paix prévues au chapitre 6 sont sans doute les meilleures auxquelles puissent s'attendre les humanitaires, car elles mettent en place un environnement sûr et stable qui nous permet de déployer nos programmes humanitaires à leur pleine capacité.

    Je voudrais également dire que les organismes humanitaires ne sont pas tous égaux. Dans une situation donnée, on trouve parfois 200 organismes humanitaires présents dans la zone de conflit avec des degrés d'engagement, des compétences et des mandats différents. Le chapitre 6 confère des rôles importants aux autorités politiques, aux diplomates, aux journalistes, à l'ONU, à la police civile et à d'autres entités pour prévenir les conflits et pour participer à la reconstruction des États en ruines. Dans l'immédiat, ils donnent aux humanitaires l'occasion de continuer à s'occuper du monde indépendamment de ce qui se passe au plan politique.

    Aux termes du chapitre 7, dans les situations de conflit où sont présents des militaires canadiens ou autres, les forces armées ont droit à la même protection juridique que les groupes paramilitaires, les mouvements de libération nationale et autres. Chacun est tenu de respecter le droit découlant des traités et le droit humanitaire international coutumier. Le droit humanitaire international n'est pas réciproque dans la mesure où il n'exige pas un comportement identique de la part de la partie adverse avant de lier les deux parties. L'obligation est unilatérale. On ne peut davantage appliquer ce droit humanitaire à la carte en sélectionnant certains éléments auxquels on entend se conformer, à l'exclusion de tous les autres.

    De notre point de vue, tout ce qui peut estomper la délimitation entre l'intervention militaire et l'intervention humanitaire a pour effet de faire courir de grands dangers à nos bénéficiaires, d'imposer de sérieuses limites à l'action humanitaire, notamment à l'accès aux bénéficiaires, et de saper la confiance des belligérants envers les travailleurs humanitaires. Pour les belligérants comme pour les bénéficiaires, une délimitation nette entre les forces armées et les organismes humanitaires est indispensable. Les bénéficiaires ne veulent pas obtenir de l'aide ou de la protection d'une partie dont ils ne reconnaissent pas la légitimité. Qualifier d'opérations humanitaires des opérations militaires comportant une dimension de sécurité humaine ne peut qu'accentuer la confusion. Je souhaiterais qu'on cesse d'utiliser cette formule.

    Les travailleurs humanitaires sont prêts à intervenir dans toutes les situations d'urgence humanitaires, mais reste à savoir s'il en va de même pour la politique dite trois D. Rappelons-nous que l'intervention humanitaire, qu'elle soit menée par des civils ou par des militaires, ne saurait remplacer une solution politique. Un environnement sûr et stable est indispensable pour répondre aux besoins des plus vulnérables. La sécurité des bénéficiaires et des humanitaires exige une meilleure protection des forces armées.

Á  +-(1105)  

    L'annonce de toute intervention militaire politique favorise notre sécurité et, dans un souci de sécurité opérationnelle, elle permet aux humanitaires de prendre des précautions, par exemple, en déplaçant des bénéficiaires, en retirant le personnel non essentiel, en stockant des produits indispensables ou en déléguant davantage de responsabilités au personnel local.

    De façon générale, nous sommes favorables à la formule trois D, sous certaines réserves. Il importe de considérer que des éléments de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge sont présents sur le théâtre des opérations avant, pendant et après le conflit. Tout stigmate infligé au mouvement de la Croix-Rouge par la politique des trois D va perdurer bien après le départ des troupes; c'est un héritage très lourd à supporter.

    Tout ce qui peut estomper la ligne de démarcation entre le militaire et l'humanitaire met les plus vulnérables en danger. C'est là un point essentiel. Par conséquent, si le troisième D est mis en oeuvre, nous préférons qu'il le soit par des organismes impartiaux, neutres et indépendants. Une action de développement bien orientée et menée par des organismes indépendants aura de bonnes chances d'éliminer certaines des causes du conflit.

    Le monde de l'aide humanitaire reste collectivement la voix de tous les plus vulnérables du monde qui ne peuvent s'exprimer autrement.

    Merci, monsieur le président.

+-

    Le président: Merci, monsieur Itani. Vous avez parfaitement respecté les délais et j'aimerais aborder ce sujet avant de donner la parole aux membres du comité.

    Chers collègues, le temps nous est compté et les sept minutes accordées à chaque député doivent englober la question et la réponse. Je le dis pour la première fois, je vais appliquer strictement les limites de temps de façon que nous puissions progresser. Jusqu'à présent, tout se passe bien.

    C'est M. Casson qui va commencer.

+-

    M. Rick Casson: Merci, monsieur le président.

    Je vous remercie, messieurs, de vos exposés. Nous apprécions beaucoup ce que vous faites en période de difficulté. À voir le monde dans lequel nous vivons actuellement, ces difficultés ne disparaîtront pas de sitôt.

    Vous avez dit tous les trois qu'il fallait que vos organismes participent au processus décisionnel. Lors des grands désastres que le monde a connus récemment, on a vu que leur activité, l'orientation, l'ampleur et l'efficacité des réactions humanitaires ont préoccupé toute la population.

    Je sais que dès qu'il se passe quoi que ce soit dans le monde, nos téléphones commencent à sonner et chacun s'attend à des mesures immédiates. Chacun veut savoir pourquoi notre pays ne réagit pas et pourquoi personne ne vient en aide aux victimes.

    Vous avez parlé tous les trois, je crois, de la nécessité d'établir des lignes directrices. Monsieur Watson, vous avez dit qu'il faudrait un organisme consultatif extérieur au gouvernement. J'aimerais que vous nous donniez tous les trois des précisions à ce sujet, en indiquant notamment qui devrait en faire partie, ce qu'il faudrait faire pour que l'organisme puisse fonctionner, le genre d'information qu'il fournirait au gouvernement et la façon dont le gouvernement devrait y réagir. Parfois, une fois l'information transmise, il n'y a aucun suivi; aucune indication n'est donnée.

    Pourriez-vous donc nous donner quelques précisions sur des lignes directrices et sur l'organisme qui devrait fixer les paramètres de la réponse du gouvernement?

+-

    Le président: Monsieur Itani, voulez-vous commencer, s'il vous plaît?

Á  +-(1110)  

+-

    M. Tetsuo Itani: Merci, monsieur le président.

    Indépendamment des conseils que nous pouvons donner sur l'élaboration des politiques, nous aimerions être informés à l'avance des mesures qu'on envisage d'adopter, ce qui nous permettrait de fournir des renseignements supplémentaires sur les conséquences imprévues qu'elles pourraient avoir sur le terrain. De telles mesures pourraient ne pas être adoptées si les décisionnaires étaient informés de leurs conséquences. Il faut donc un dialogue continu et permanent entre les décisionnaires et le monde de l'aide humanitaire. Peu importe la forme que prendra ce dialogue. Il pourrait s'agir d'une séance de comité comme celle-ci, qui se tiendrait à intervalles réguliers.

    Chaque fois qu'on envisage une mesure de politique étrangère comportant une dimension humanitaire, nous devrions être consultés, car nous avons l'expérience du terrain. Nous nous occupons quotidiennement des plus vulnérables. Nous connaissons leurs préoccupations, leurs craintes, leurs espoirs et leurs aspirations. Ces connaissances devraient aider le gouvernement à adopter des mesures mieux adaptées aux besoins réels des populations les plus vulnérables auxquelles il entend venir en aide.

+-

    Le président: Monsieur Casson, voulez-vous intervenir?

+-

    M. Rick Casson: Peut-être que M. Watson pourrait intercéder.

+-

    M. A. John Watson: Il est facile d'imputer ses difficultés à quelqu'un d'autre, et les ONG le font plus souvent qu'à leur tour. La coopération entre organismes humanitaires canadiens est sans doute ce qui fait le plus défaut au Canada. Nous sommes plus ou moins en concurrence sur le terrain, et c'est du reste pour cela, à mon sens, que nous sommes plus efficaces que le gouvernement ou les militaires.

    Depuis le tsunami, nous mettons tout en oeuvre pour que l'on procède à des appels unifiés lorsqu'un désastre se produit. La formule a donné de très bons résultats dans d'autres pays, notamment au Royaume-Uni. Du point de vue du donateur privé, s'il réagit à un appel unifié en donnant de l'argent, il a l'engagement de tous les organismes en cause qu'ils vont en faire le meilleur usage.

    Lorsque survient une situation d'urgence, les principaux organismes humanitaires se réunissent brièvement pour décider si la catastrophe justifie qu'on lance un appel.

    Je suis très sensible à la situation des personnalités politiques, car il me semble qu'à chaque nouveau désastre, elles ont la délicate obligation de ne pas décevoir la population par leur réaction. Celle-ci est parfois très positive, parfois, elle ne l'est pas. Personne ne sait exactement ce qui déclenche ces vagues de sympathie ou d'antipathie.

    Actuellement, la classe politique est dans la ligne de mire. S'il était possible de lancer un appel unifié, on pourrait s'adresser aux experts, à ceux dont M. Itani a dit qu'ils se trouvent sur la ligne de front, et leur demander pourquoi ils ne lancent pas un appel unifié pour telle ou telle cause.

    La notion de financement des programmes est une autre idée très importante. Après des décennies de travail humanitaire, on a du mal à croire que la Croix-Rouge soit le seul organisme professionnel qui reçoive du financement de programme pour la capacité d'intervention. Pour l'essentiel, lorsqu'une situation d'urgence apparaît soudainement, tous les autres organismes canadiens du domaine humanitaire doivent analyser ce qui se passe sur le terrain, préparer un plan, soumettre une proposition à l'ACDI, et ce n'est que plusieurs semaines plus tard qu'ils vont recevoir une réponse leur indiquant si on leur accorde de l'argent pour faire le travail.

    Rien ne justifie le maintien d'une telle situation. Les meilleurs organismes humanitaires devraient recevoir du financement de programme. Au moins trois d'entre eux, à savoir Vision mondiale, Médecins sans frontières et nous-mêmes, l'ont demandé, mais rien ne se produit.

    Cela signifie que pendant la période initiale, nous dépendons du soutien que nous accordent de très généreux donateurs, comme Jean Coutu au Québec, pour envoyer sur le terrain des équipes d'intervention d'urgence qui vont analyser la situation et organiser une réaction immédiate. Rien ne justifie qu'il en soit ainsi.

    Finalement, je voudrais dire que dans la mesure où il est important de mobiliser la population lors de crises comme celle du tsunami, il est également important de savoir que nous intervenons dans de nombreuses autres crises dont les journaux ne parlent pas. Nous gérons des camps pour les réfugiés soudanais dans l'est du Chad, mais personne n'en entendra jamais parler. Nous faisons du counselling phychosocial en Tchétchénie et en Ingushie, mais personne n'en entend parler.

    Si l'on pouvait lancer un appel unifié, il serait beaucoup plus facile pour les organismes humanitaires d'éduquer la population. En cas de situation d'urgence de grande ampleur, on pourrait lancer un appel, en réservant 5 p. 100 des fonds reçus pour des situations d'urgence qui passent inaperçues, et dont nous pourrions également faire état par la suite.

    Finalement, en ce qui concerne la transparence à l'égard des donateurs et l'évaluation de notre mode de fonctionnement, si nous lançons un appel unifié, une tierce partie pourra faire une évaluation de toutes les interventions humanitaires. C'est intéressant, tout d'abord, parce que les donateurs sauront exactement comment l'argent a été dépensé et naturellement, on apprend toujours de ses erreurs. Il n'y a pas de honte à faire une erreur de fonctionnement, mais lorsqu'il existe une façon novatrice de fonctionner, il est essentiel qu'elle soit communiquée en tant que saine pratique aux autres organismes.

Á  +-(1115)  

    Je dirais donc qu'une campagne de financement unifiée représente la meilleure approche et offre les meilleures perspectives pour le type d'organisme dont nous parlons.

[Français]

+-

    Le président: Merci, monsieur Watson.

    Monsieur Bachand, s'il vous plaît.

+-

    M. Claude Bachand: D'abord, je vous remercie de votre présentation parce que j'aime qu'une présentation provoque un tremblement de terre en moi.

    Votre témoignage de ce matin diffère beaucoup de ce que nous disent les généraux, les hauts fonctionnaires, etc. Pour moi, ce tremblement de terre est aussi la source d'un désespoir que j'aimerais vous voir apaiser.

    Lorsque vous dites que les initiatives de développement sont arrêtées, vous parlez des politiciens et de l'armée, car l'armée relève des autorités civiles. Toutefois, quand vous parlez de la conquête des coeurs et des esprits, vous parlez de votre groupe. Vous parlez aussi d'objectifs communs qui ne peuvent pas être conciliables. C'est tout à fait contraire à ce je pense.

    Quel est l'objectif commun dans les cas de conflits et d'États délinquants? Essayer d'aider les pauvres populations à s'en sortir. Avez-vous déjà accompagné les forces de paix ou les forces de stabilisation? Je suis allé en Bosnie et en Érythrée. Il n'est pas vrai que les soldats ne sont pas capables de conquérir les coeurs et les esprits. J'ai vu les enfants bosniaques et les enfants érythréens envoyer des baisers aux soldats. J'ai vu des soldats arrêter leurs tanks et leurs véhicules blindés pour en descendre et donner du chocolat à ces enfants. Ils étaient tout autour d'eux. Il y avait une relation émotionnelle importante, non pas parce que les soldats s'arrêtaient, mais parce qu'ils reconnaissaient leur petit groupe. Le capitaine faisait arrêter le véhicule et demandait à tous de descendre.

    Vous ne me ferez pas croire que vous avez l'exclusivité de la conquête des coeurs et des esprits. Je ne peux pas et ne veux pas être d'accord avec vous à cet égard, ce n'est pas mon rêve.

    Dans mon rêve, lorsqu'un pays a besoin d'aide, les militaires doivent s'y rendre. Les diplomates et les gens du développement économique doivent y aller, et vous devez aussi y aller.

    Vous nous dites qu'il y a une dichotomie et que vous ne pouvez pas vraiment vous coller à nous de peur que cela soit mal perçu. Je veux vous rappeler que certains politiciens et certains militaires ont de bonnes intentions. Ils veulent régler les problèmes et aider les gens. À partir du moment où l'objectif commun est d'aider les gens, on ne peut exclure personne. J'aimerais que vous me rassuriez à ce sujet. Dans votre présentation, je lis que la séparation du politique et de l'humanitaire est indispensable à la survie même de l'aide humanitaire.

    C'est écrit dans vos textes, et vous avez mentionné tous les trois que l'aide internationale est tributaire d'une séparation sans équivoque entre la politique et l'humanitaire.

    Que signifient ces propos? Nous dites-vous que nous sommes une bande de sans-coeur et que nous sommes incapables d'émotions?

    Je suis allé en Bosnie et en Érythrée avec les soldats et j'ai fait la conquête de coeurs et d'esprits. Je n'ai pas dit que j'avais entrepris de charmer les femmes! Ce n'est pas ce que je dis. Je parle de charmer les esprits et les coeurs des enfants et de la population.

    Je vous demande de me rassurer parce que je suis très inquiet.

    Je vous remercie d'avoir provoqué ce tremblement de coeur, et non pas un tremblement de terre.

Á  +-(1120)  

[Traduction]

+-

    Le président: C'était une déclaration très généreuse.

    Monsieur Watson, à vous.

[Français]

+-

    M. A. John Watson: Ce serait terrible si les agents humanitaires causaient de tels tremblements de terre. Il faut répondre à cela.

[Traduction]

    Je voudrais vous montrer des photos prises sur le terrain, afin que vous ayez une idée de la situation. L'essentiel de mon propos n'est pas que le travail de conquête des coeurs et des esprits n'est pas important pour les militaires et qu'ils ne le font pas et qu'ils n'obtiennent pas de réaction. Au contraire, c'est important, ils le font, et il est approprié que les militaires le fassent. Toutefois, la conquête des coeurs et des esprits n'est pas de l'aide humanitaire.

    Si je vous montre comment cela se manifeste sur le terrain, je crois pouvoir vous donner des exemples plus positifs de la façon dont les deux fonctionnent. Voici un exemple de votre humble serviteur sur les lieux d'un de nos projets en Bosnie.

+-

    Le président: C'est vous, le bel homme qu'on voit là-bas?

+-

    M. A. John Watson: Non, malheureusement. Il s'agit de notre directeur pour le pays, en Bosnie, et cette autre personne, c'est l'un des militaires canadiens envoyés sur le terrain.

    Il en est au même point que nous parce qu'il s'agit d'une région de la Bosnie d'où les Serbes ont tous été évacués. Il s'agit d'une région croate. Nous avons travaillé très fort à la réintégration en Bosnie. Nous nous y sommes employés avec ardeur, au moyen de visites à domicile, mais cela n'a pas fonctionné. On peut ramener quelqu'un voir sa maison, mais si cette personne vient d'une région dominée par les Serbes et qu'elle est musulmane, il y a déjà un autre Serbe qui est installé chez elle et qui a été évacué d'une région dominée par les musulmans. Personne ne peut donc réintégrer son domicile. Nous cherchons toujours des moyens de ramener les gens chez eux.

    Si les troupes canadiennes sont sur les lieux, c'est parce que cette personne est le président de la République serbe, c'est-à-dire de l'entité serbe en Bosnie. On peut se demander ce qu'il fait dans une région dominée par les Croates, une région dont les Serbes ont été évacués. Je précise que c'est pour cela que les militaires l'accompagnent. Ils craignent qu'il soit attaqué, ce qui causerait une crise politique énorme. Il s'agit d'une utilisation tout à fait appropriée des militaires canadiens. Le président est là pour inaugurer cette usine de portes et fenêtres, qui va fabriquer des choses pour la reconstruction de la Bosnie.

    Qu'avons-nous à voir avec cette usine? C'est un grand complexe. On y emploie des centaines de personnes. Nous avons décidé d'installer un établissement d'impact rapide, un établissement d'investissement, au lendemain de la guerre. Il a servi à deux choses. Premièrement, il a permis le lancement d'entreprises rapidement après la guerre. Nous offrions 10 p. 100 de l'investissement nécessaire à ces entreprises naissantes, et il n'y avait qu'une seule exigence, c'est que le milieu de travail soit à l'image de la composition ethnique antérieure de la localité où l'entreprise s'installait. Dans ce cas-ci, l'usine devait embaucher à peu près 30 Serbes, dans une zone croate. Dès que nous avons fait cela, les Serbes sont revenus. Ils sont revenus pour des emplois et il y a eu réintégration au sein de la collectivité. Le président de la République serbe s'est rendu dans une région croate pour dire qu'il trouvait que c'était une très bonne chose à faire. Voilà donc les choses que l'armée ne peut pas faire. Elle fait ce qui est approprié, c'est-à-dire assurer le maintien de la paix et l'ordre, pendant que d'autres travaillent au remaillage de ces collectivités.

    Voici une boulangerie dans la même région. Ce qui ne saute pas aux yeux, c'est que l'une des personnes est un Croate qui n'a jamais quitté, et que l'autre est un Serbe. Là encore, nous avons avancé un investissement de 10 p. 100. La boulangerie veut bien avoir un personnel des deux ethnies parce que le Croate sert les Croates et le Serbe sert les Serbes.

    En Afghanistan, pendant que les talibans étaient au pouvoir, nous avons maintenu nos opérations. Nous avons pu rester sur place en ne prenant pas parti. Nous sommes restés ouverts en passant par la gymnastique qui consistait à séparer notre personnel masculin de notre personnel féminin. Vous avez entendu dire que les talibans ont expulsé toutes les filles hors des écoles en Afghanistan. Eh bien, nous avons gardé 20 000 filles à l'école pendant le régime des talibans en travaillant avec les populations locales et en obtenant d'elles qu'elles présentent des pétitions au gouvernement.

    C'est un travail d'une importance cruciale. Au lendemain d'un conflit, après l'invasion de l'Afghanistan, par exemple, nous avons réussi à maintenir l'approvisionnement municipal en eau potable. Quatre cent mille personnes ont obtenu de l'eau sous conduite et 300 000 autres ont reçu leur eau au moyen de camions exploités par CARE.

    J'estime que si vous n'avez pas ce type d'intervention — et en Iraq cela ne se produit justement pas à la même échelle — vous allez avoir plus de problèmes du point de vue militaire.

Á  +-(1125)  

+-

    Le président: Je sais que vous allez revenir.

+-

    M. A. John Watson: Il y a une chose que je veux vous montrer, qui est extrêmement importante. Voici une image du programme des veuves en Afghanistan. En raison d'un taux de mortalité guerrière plus élevé que dans tout autre pays au monde, il y a un nombre énorme de veuves. Leurs maris étaient des héros de guerre. Toutefois, comme il s'agit d'une société musulmane conservatrice, ces veuves ne bénéficient d'aucun soutien.

    Le gouvernement canadien a soutenu un excellent programme, même pendant les années des talibans, contrairement aux autres donateurs, pour donner à ces femmes de quoi se nourrir. Cela s'est fait parce que nous avons su écouter, rester neutres et diviser notre personnel. Nous avons aidé 50 000 personnes. Nous continuons de les aider, mais il semble que l'ACDI s'apprête à mettre fin à ce programme. Pourquoi? Parce que nous concentrons tous nos efforts sur l'EPR à Kandahar.

    Voici le type de distribution qu'il faut faire. Il s'agit d'une entreprise professionnelle. On ne confie pas plus ce type de distribution à des militaires qu'on ne confie à des ONG la responsabilité de diriger une colonne de véhicules blindés.

+-

    Le président: Monsieur Barr, vous voulez ajouter quelque chose?

+-

    M. Gerry Barr: Oui.

+-

    M. A. John Watson: Mais voici le plus important.

+-

    Le président: Ah, très bien.

+-

    M. A. John Watson: La personne qui dirige le programme est une Canadienne. C'est une directrice très tenace et on l'avait kidnappée. Lorsqu'elle a été enlevée, des centaines de ces veuves ont recouvert d'affiches les murs de Kaboul, elles sont passées à la télé, elles sont allées à la radio, et elles ont déployé leurs antennes.

    Le type de renseignement que nous avons obtenu — et je suis bien placé pour en parler, parce que les militaires canadiens sont venus m'en parler — était beaucoup plus raffiné que ce que les militaires ont obtenu sur l'endroit où elle était détenue, l'identité de ses ravisseurs, etc. Cela dit, ce sont des renseignements que nous devons tenir secrets, faute de quoi nous ne les obtiendrions pas.

    C'est ainsi que les choses se passent sur le terrain, et cela peut donc fonctionner. Le rôle des militaires est important, mais, franchement, confier l'aide humanitaire à des militaires relève d'une époque où nous avions des budgets militaires réduits et où nous cherchions une façon bon marché de faire de la publicité pour nos soldats. Il faut mettre fin à cela.

+-

    Le président: Qu'est-il advenu de la directrice?

+-

    M. A. John Watson: Elle a été libérée.

+-

    Le président: Monsieur Barr, vous pouvez faire une brève observation.

[Français]

+-

    M. Gerry Barr: Les divers acteurs ont un rôle important à jouer, mais les rôles sont différents. Ils sont spécifiques, et on peut voir une relation entre les diplomates, les militaires et les agents humanitaires. Il est important de dire que la coordination est fantastique, importante et impérative. Mais l'intégration n'est pas souhaitable, parce qu'elle crée de la précarité et des pièges. C'est pour éviter ces pièges que nous sommes ici aujourd'hui.

[Traduction]

+-

    Le président: Nous passons maintenant à M. Blaikie.

    Monsieur Blaikie, à vous.

+-

    L'hon. Bill Blaikie: Merci, monsieur le président.

    Je tiens à remercier les témoins de leurs exposés.

    D'une certaine façon, je trouve que nous sommes face à une situation difficile. D'une part, il est certainement vrai que beaucoup de gens ont encouragé le gouvernement à chercher à intégrer le développement à sa politique étrangère d'ensemble. Pourtant, dans ce contexte-ci en particulier, cela entraîne des problèmes, pour d'excellentes raisons qui nous ont été présentées.

    Je voudrais poser quelques questions directes au sujet d'une chose qui n'a pas été mentionnée, mais qui, dans les faits, fait constamment les manchettes. Bien sûr, il s'agit de l'initiative DART, et de l'utilisation actuelle de cette équipe du fait des événements récents. Pourriez-vous nous dire si vous considérez les utilisations actuelles de la DART comme un exemple du type de militarisation de l'aide humanitaire à laquelle vous vous opposez ou s'il s'agit d'une chose distincte? J'aimerais savoir ce que vous pensez de la DART. Lorsque l'on songe à l'intégration de l'activité militaire et de l'aide humanitaire, j'imagine que cette équipe est la première chose qui vient à l'esprit de la plupart des Canadiens. Il me semble que nous pourrions donc commencer en nous demandant quoi faire de cela.

Á  +-(1130)  

+-

    Le président: Monsieur Barr ou monsieur Watson, qui veut être le premier?

    Monsieur Watson, à vous la parole.

+-

    M. A. John Watson: Je tiens à préciser que j'ai déjà critiqué l'équipe d'intervention en cas de catastrophe, la DART, et que chaque fois que cette équipe est déployée, je me fais un devoir de ne pas en parler à la presse, car cela serait de mauvais aloi, à mon avis.

    À mon sens, cette équipe d'intervention a été formée à une époque où le budget des forces armées était tombé à des niveaux ridiculement bas, et elle a été conçue de façon à ce qu'elle ne coûte presque rien tout en ayant un maximum d'impact en fait de propagande. Mais c'est une idée qui a fait son temps, et l'équipe devrait être démantelée.

    Si je dis cela, c'est pour deux raisons. En premier lieu, c'est parce que l'on confond le travail des forces armées et le travail des humanitaires. Vous tous êtes des députés et vous devriez donc tous avoir à coeur la façon de dépenser l'argent des contribuables. Or, les services qu'offre l'équipe DART sont scandaleusement surfacturés et ils ne conviennent pas.

    Voici le projet de purification d'eau de l'équipe DART. Regardons un peu la façon dont fonctionne l'équipe DART dans le cadre de son programme de purification d'eau. DART garde en attente à Petawawa un système très haut de gamme de purification d'eau et consacre plusieurs millions de dollars à déplacer par avion ce système qui lui permettra de produire de l'eau de très grande qualité à un endroit donné, au beau milieu d'une zone de catastrophe.

    La difficulté, c'est que lorsqu'il y a catastrophe, c'est souvent l'accès qui est problématique. Prenons le cas du tsunami: cette bouteille d'une solution d'hypochlorite de sodium sur laquelle sont inscrites de simples instructions coûte 0,37 $ à produire en Indonésie, c'est-à-dire localement. Dans l'île de Sumatra, cette solution en bouteille permettrait de produire 400 litres d'eau potable. Mais le plus intéressant dans tout cela, c'est que vous avez le choix entre envoyer par avion 400 litres d'eau embouteillée ou envoyer par avion cette petite solution en bouteille. Mais dans un contexte d'immédiateté, en cas de catastrophe, là où cela se corse, c'est quand il faut faire parvenir à destination l'outil. En supposant que l'on choisisse la petite bouteille de solution, on opte alors pour les seaux qui s'emboîtent les uns dans les autres plutôt que les jerry cans, car ils se transportent mieux en hélicoptère. DART vous permet donc de produire autant de litres d'eau embouteillée que vous le souhaitez, mais cela ne sert à rien, à moins que vous ayez la capacité de transport vous permettant d'envoyer tout cela sur place.

    Mais attardons-nous maintenant au long terme. Pour que la population commence à utiliser l'eau embouteillée, il faut avoir fait d'abord un peu d'éducation en santé publique. La population doit prendre part à une activité liée de près à son retour à la vie normale. Elle doit pouvoir filtrer l'eau avec un bout de tissu, puis ajouter la solution. On sait qu'il est extrêmement bénéfique pour les victimes d'une catastrophe d'agir et de ne plus être passifs devant la catastrophe. Ensuite, la population constatera rapidement que les enfants cessent de souffrir de la diarrhée dès qu'ils consomment de l'eau saine à 0,37 $ la bouteille.

    Je suis sûr que si vous retournez dans cinq ans dans les zones qui ont été frappées par le tsunami, que vous découvrirez de nouveaux produits sur les étagères des épiceries rurales. Il s'agira de ces bouteilles-ci qui, comme vous le constatez, continueront à servir après notre départ.

    Il y a également un autre aspect à l'utilisation de l'équipe DART: il est très rare que l'on ne puisse trouver dans les zones de catastrophe de l'eau embouteillée au pays même, c'est-à-dire de l'eau locale. Autrement dit, est-il logique d'envoyer par avion une installation qui parvient des antipodes pour produire essentiellement une bouteille d'eau à 4 $ alors qu'il est possible d'en produire localement à 40 ou 50 sous la bouteille? Autrement dit, la DART ne fait que saper le marché pour les entreprises locales et ne les aide en rien à long terme.

    Vous voyez que c'est une tout autre façon de voir les choses.

    Bien sûr, les interventions de la DART font la une et la population canadienne voit bien qu'il est bon que les troupes canadiennes répandent le bien. Mais le plus important comme fonction pour nos troupes, c'est d'avoir une grande capacité militaire pour qu'elles se concentrent sur la sécurité et pour qu'elles puissent se doter d'une bonne capacité de transport. Car c'est vraiment de ce côté-là que nos forces armées font pitié. Mais nous avons constaté du changement et, à mon sens, nous allons lentement dans la bonne direction.

+-

    L'hon. Bill Blaikie: Pour revenir à ce que disait M. Barr, vous avez mentionné la capacité de transport, ce que je voulais aborder en second lieu. Les deux autres témoins voudront peut-être répondre. Donc, si j'avais pu poser une deuxième question, je vous aurais demandé si, à votre avis, il était important pour les Forces canadiennes de se doter pour diverses raisons — dont certaines peuvent être des raisons humanitaires — d'une plus grande capacité de transport stratégique que celle dont elles sont dotées actuellement.

    Allez-y, vous pouvez répondre.

Á  +-(1135)  

+-

    M. A. John Watson: Voici ce qui est utile. Ceci, c'est la zone de tsunami, et sur cette photo-ci, vous voyez un terrain de soccer au beau milieu de Banda Aceh, à partir duquel décollent les hélicoptères américains, puisque les routes du bord de mer ont disparu. Voilà le genre de choses très utiles. Ici, vous avez les forces armées australiennes qui n'ont pas une capacité aussi grande de transport par hélicoptère, mais qui jouent un rôle très important puisqu'ils déplacent le personnel et les systèmes d'eau potable.

    Vous avez ici les forces armées américaines et malaisiennes. Je répète que c'est cela qui est utile. Voici ici les forces armées indonésiennes qui pouvaient courir jusqu'à la rive à partir d'un engin de débarquement.

    Et voici des hélicoptères américains pilotés par des Pakistanais et qui expédiaient des tentes hivérisées qui ont servi dans la crise actuelle.

    Voilà le genre de transport très utile et approprié.

+-

    Le président: M. Barr voudrait ajouter quelque chose.

+-

    M. Gerry Barr: Très brièvement, j'ajouterais que M. Watson s'est déjà exprimé à quelques occasions sur la question de l'équipe DART. Il serait utile et bon que vous sachiez que notre conseil souscrit sans réserve au point de vue dont il vous a fait part aujourd'hui.

+-

    Le président: Merci.

    Monsieur Itani, vous voulez ajouter quelque chose?

+-

    M. Tetsuo Itani: Il ne fait aucun doute que lorsque l'on choisit de demander aux forces armées d'accomplir des tâches humanitaires, c'est la solution qui coûte le plus cher. Il faut aussi se demander pourquoi c'est ce que nous choisissons? Est-ce par manque d'agences humanitaires?

    Je ne me suis jamais trouvé dans une situation d'urgence où il n'y ait eu aucune agence humanitaire. Mais lorsque c'est le cas, surtout lorsqu'il y a des besoins extrêmes lors des premiers jours d'une situation d'urgence, les forces armées peuvent être extrêmement polyvalentes. Elles peuvent faire tout ce que font les agences humanitaires — peut-être pas aussi bien, puisqu'elles ne sont pas entraînées à faire cela, mais elles peuvent servir de mesure provisoire pendant l'arrivée des agences civiles.

    Pour la famille de la Croix-Rouge, le recours à l'équipe DART ne pose aucun problème, puisque l'expérience de toutes ces années nous a appris que les denrées sont requises dès le début d'une situation d'urgence. Nous avons accumulé des stocks dans diverses régions du monde à partir desquels nous pouvons prélever des réserves, ce qui explique que le transport aérien stratégique ne nous pose aucun problème particulier. Pour avoir passé 25 ans en Afghanistan, je sais que nous avons toujours gardé une ligne d'hélicoptères qui nous sont réservés et qui peuvent facilement être transférés d'un théâtre d'opération à un autre. Ce n'est donc pas un problème pour nous.

    Tout est dans la planification préalable. Pour pouvoir parvenir à faire ce que je viens de vous décrire, nous devons nous fier à des gens ordinaires qui démontrent leur grande générosité en nous donnant les ressources voulues pour accumuler ces stocks et faire la formation voulue, pour mettre en place les réseaux et pour développer la capacité locale.

+-

    Le président: Merci.

    Nous passons maintenant à M. Khan.

+-

    M. Wajid Khan (Mississauga—Streetsville, Lib.): Merci, monsieur le président.

    Merci d'être venu, monsieur. C'est fort instructif. Moi-même, j'ai été prisonnier de guerre. La Croix-Rouge a fait de l'excellent travail. Je n'ai pas reçu de visite mais on m'a donné des papiers. J'ai eu la vôtre, par contre.

    Après les événements récents au Pakistan, les premiers dons venant d'amis et de membres de la famille sont allés à la Croix-Rouge puis à tous les autres. Je suis certain que vous faites du bon travail, cela ne fait pas de doute.

    En revanche, je ne partage pas votre avis à propos de la DART. Ils ne s'occupent pas d'eau. Ils s'occupent de questions médicales, d'eau et de génie et je me réjouis de savoir que la Croix-Rouge n'a pas de problème. L'eau en bouteille que vous nous avez montrée n'est pas la solution dans toutes les régions, surtout dans la situation actuelle. Je connais comme le revers de ma main la région du Pakistan où le sinistre a eu lieu parce que j'en suis originaire. Ce procédé n'est pas applicable dans toutes les régions.

    J'ai une question plus générale à vous poser. Les exigences opérationnelles de maintien de paix ont beaucoup évolué depuis la chute du mur de Berlin en 1989, depuis la fin de l'URSS en 1991 et l'apparition de conflits internes. Ils sont encore plus épineux que les conflits conventionnels: la Somalie, le Rwanda, la Yougoslavie, les États défaillants et en déroute. Leurs gouvernements sont essentiellement impuissants. D'après les rapports de l'ONU, 3,6 millions de gens sont morts.

    L'époque du béret bleu est bien révolue. Il y a plus de démarcation ni de « no-man's land ». Il faut désormais des militaires qui protègent la population locale. C'est l'approche sur trois pâtés de maisons, l'approche trois D.

    Y a-t-il pour vous une façon de collaborer avec l'armée parce que, à eux seuls, le secteur public, la société civile, les ONG ne peuvent faire face à toutes les urgences qui surviennent dans le monde? Seriez-vous prêt à le faire? Avez-vous des conseils ou des suggestions pour que cela se fasse?

Á  +-(1140)  

+-

    M. Gerry Barr: Je vais essayer le premier de répondre. Oui, tout à fait, nous pouvons et nous devons coopérer avec l'armée. Ce que nous présentons ici aujourd'hui, ce n'est pas un réquisitoire contre la collaboration. Elle est importante et parfois indispensable si l'on veut réussir mais trois ou quatre autres considérations doivent jouer simultanément. Coopérer, cela ne signifie pas et ne doit pas signifier, car cela peut être mortel, l'intégration. C'est cela le principal message.

    Préconiser l'autonomie des ONG ce n'est pas militer contre la coopération. M. Itani en a parlé avec beaucoup de prudence et il a raison. Il nous la faut mais l'intégration doit être carrément rajoutée. Il y a donc une erreur dans l'énoncé de politique internationale. C'est une mauvaise idée.

    L'intégration est une mauvaise chose tandis que la coopération est essentielle.

    Je vais m'en tenir à cela.

+-

    M. Tetsuo Itani: Je dirais d'abord que le Comité international de la Croix-Rouge est né sur le champ de bataille; il a été créé pour les soldats. Par extension, les sociétés nationales existent aussi pour servir les soldats. Il est très rare de nos jours que l'on fasse appel à nous pour cela, je m'en réjouis. Toutefois, il doit toujours être possible de se consulter et parfois de se coordonner parce qu'en situation d'urgence, en absence de gens civils, l'armée peut rétablir l'eau, l'électricité, les services de pompiers, de police ou d'ambulance. Au plus fort d'une catastrophe, il est absurde de concentrer les militaires et les agences humanitaires dans un port ou un aéroport congestionné pour s'accaparer des installations.

    Il y a donc un degré de consultation et de coordination, mais non pas de l'intégration. C'est essentiel et cela se fait lorsque les militaires et les humanitaires sont conscients du mandat de chacun et le respectent. Pour les humanitaires, la présence militaire vient sécuriser et stabiliser l'environnement, ce qui nous ouvre la porte et ouvre l'espace humanitaire que nous défendons si jalousement.

+-

    M. Wajid Khan: Ce n'est pas l'intégration qui m'intéresse mais plutôt d'avoir un cadre efficace qui permette d'obtenir la collaboration optimale entre les militaires, les autorités civiles et les ONG.

    Cela dit, j'aimerais que vous nous en disiez davantage sur ce que vous avez vécu dernièrement au Pakistan. Sans l'aide de l'armée, certaines régions seraient inaccessibles. Tous les hélicoptères et autres moyens de transport appartiennent aux militaires. Les routes étaient bloquées. Les ingénieurs étaient sur place.

    J'ai beaucoup de respect pour les ONG et c'est pourquoi je vous en parle. Pour moi, il faut absolument avoir un cadre qui nous permet de travailler séparément, mais de coordonner nos efforts.

    Je reviens à la DART. J'ai ici des photos que j'ai prises et que vous pouvez voir. On y voit CARE Canada qui obtient de l'eau de la DART après le tsunami. Cela illustre toute l'utilité et la valeur de la collaboration et de la coopération.

    Des voix: Oh, oh!

+-

    Le président: Avez-vous fini de poser votre question, monsieur Khan, avant de donner la parole au groupe? Vous étiez en train de poursuivre.

+-

    M. Wajid Khan: J'allais poursuivre, monsieur le président. M. Watson veut-il répondre à ma première question?

+-

    M. A. John Watson: Regardez la photo. Ce sont des tentes hivérisées de notre opération en Afghanistan qu'un hélicoptère militaire emporte dans les montagnes à l'intention des victimes du séisme. Il y a donc beaucoup de coopération.

    Là où je veux en venir, c'est que les Forces canadiennes ont des petits budgets depuis si longtemps que contrairement aux armées des autres pays, elles ne peuvent pas offrir ce genre de service essentiel sur le terrain.

    Vous avez tout à fait raison. Les systèmes d'approvisionnement en eau salubre conviennent tout particulièrement à certaines situations: dans les régions éloignées difficiles d'accès, ce qui est le cas au Pakistan. C'était aussi le problème à Sumatra.

    La DART convient parfaitement aux problèmes d'eau de la réserve indienne du nord de l'Ontario. Ce n'est pas le genre de situation que nous rencontrons sur le terrain et je vous dirais que si la DART fournit de l'eau d'excellente qualité — que nous consommons parce qu'elle nous est offerte gratuitement sur le terrain — la norme devrait être celle que nous utilisons. Quatre dollars le litre pour de l'eau, ce n'est pas à mon avis utiliser à bon escient l'argent des contribuables.

+-

    Le président: Monsieur Khan.

Á  +-(1145)  

+-

    M. Wajid Khan: La discussion pourrait s'éterniser et peut-être un jour vous et moi pourrions-nous en discuter seul à seul.

    Mon autre question est la suivante. Si cela est possible, comment envisageriez-vous l'intégration de l'approche trois D et le concept de la guerre sur trois pâtés de maisons... ou est-ce quelque chose dont vous ne voulez pas parler?

+-

    M. Gerry Barr: Qu'on le sache bien: je l'envisage avec horreur. L'idée d'intégration... c'est un mot à bannir.

+-

    M. Wajid Khan: Disons plutôt coopération.

+-

    M. Gerry Barr: Absolument, collaborons et coopérons.

    Monsieur Khan, je trouve extraordinaire que vous ayez fait cette erreur parce que cela représente en fait une immense erreur dans la politique du gouvernement. Il y a effectivement une dérive de la coopération et de la collaboration vers l'intégration. Il survient un phénomène étrange quand on lance une initiative pangouvernementale. Cela ressemble à l'émission Survivor. Un après l'autre, les dossiers sont expulsés de l'île et vous finissez avec un seul dossier qui régente tout. Ce n'est plus une initiative pangouvernementale et il n'y a plus qu'une seule considération qui domine la politique du gouvernement dans un domaine particulier et c'est ce qu'il faut éviter. Dans des démarches pangouvernementales comme celles-là, il faut maintenir l'intégrité des éléments qui sont différents et qui doivent être considérés de cette manière pour obtenir le résultat optimal. Il faut absolument que cela soit ainsi.

    Le fait que vous ayez employé ce mot, c'est une bénédiction pour ce débat. Bannissons-le. L'intégration n'a pas sa place ici.

+-

    M. Wajid Khan: D'accord.

+-

    Le président: Vous voulez intervenir, monsieur Tetsuo?

+-

    M. Tetsuo Itani: Oui.

    Parfois, sur le plan politique, il est malvenu de faire une intervention humanitaire mais si l'on assure l'indépendance des humanitaires, ils vont intervenir de toute façon, hors du cadre politique. Vous, vous ne pouvez pas intervenir dans tous les cas; nous, les humanitaires, nous le pouvons.

+-

    Le président: Voilà qui met fin au premier tour, mesdames et messieurs.

    Nous allons entreprendre le deuxième tour. Nous avons su aménager la durée des interventions, comme vous pouvez le constater, et nous continuerons de la même manière.

    C'est M. O'Connor qui commencera le deuxième tour.

+-

    M. Gordon O'Connor: Merci, monsieur le président.

    J'ai écouté les échanges et on a fait l'amalgame entre deux cas de figure. Le maintien de la paix et les catastrophes naturelles. Ce sont deux cas différents mais on les mélange.

    Ce n'est peut-être pas le cas de vous tous, mais deux d'entre vous au moins s'élèvent contre le fait que l'on estompe la distinction entre les militaires et les ONG dans une intervention humanitaire. Êtes-vous contre surtout dans le cadre des opérations de maintien ou d'imposition de la paix ou trouvez-vous que l'armée n'a pas à intervenir en cas de catastrophes?

+-

    M. Gerry Barr: Je vais essayer de faire vite parce que d'autres personnes ont plus d'expérience que moi.

    Nous ne sommes pas contre le fait que l'armée intervienne en cas de catastrophes mais nous sommes contre le flou autour des rôles. Le problème n'est pas seulement d'ordre pratique — ça l'est pourtant dans les conflits de faible intensité où une erreur d'identification peut coûter cher aux humanitaires — c'est aussi illégal. En vertu des conventions de Genève, l'assistance humanitaire doit être fournie par des agents humanitaires indépendants à l'abri de toute directive politique, j'insiste sur ce dernier point. Ce n'est que de cette façon que nous pouvons espérer réussir dans notre travail, surtout en zones de conflit.

    Il y a toutefois des circonstances humanitaires non ambiguës où il est très utile de pouvoir bénéficier de l'appui des militaires.

Á  +-(1150)  

+-

    M. Tetsuo Itani: J'aimerais si vous me le permettez passer d'une situation dénuée de danger à une autre qui l'est moins: celle d'une catastrophe naturelle qui survient dans une zone qui n'a pas été déchirée par un conflit.

    Assurément, il y a un rôle pour l'armée parce que dans les jours qui suivent les besoins sont énormes. Le bénéficiaire acceptera de l'aide, d'où qu'elle vienne.

    La situation est un peu plus complexe en cas de catastrophes dans une zone de conflit. L'espace humanitaire est alors réduit. Du coup, il faut bien préciser que l'intervention militaire aura une durée fixe, sur un territoire donné car comment peut-on priver d'aide une population qui mourra si elle en est privée?

    L'espace humanitaire se réduit encore davantage sous le régime du chapitre 6 de l'ONU à l'occasion des opérations de soutien à la paix. Néanmoins, l'atmosphère est là tout au long pour la consultation, parfois la coordination, parfois la coopération. Dans les opérations montées en vertu du chapitre 7, en situation de guerre, l'espace humanitaire est minime. En pareille situation, la distinction est cruciale pour les populations vulnérables et les agents humanitaires.

+-

    Le président: Monsieur Watson.

+-

    M. A. John Watson: Que ce soit bien clair. Contrairement à beaucoup d'ONG au fil des ans, parce que nous travaillons dans ces zones de guerre, j'ai appuyé les augmentations du budget de l'armée canadienne. Je pense que l'armée a été terriblement sous-financée.

    Si je l'ai fait, c'est qu'elle a un rôle crucial à jouer. Il faut que l'armée canadienne ait une capacité d'emport. Il lui faut des moyens de débarquement amphibie. Il faut qu'elle puisse se battre. Il faut qu'elle puisse conduire des programmes de désarmement d'armes légères et former la police et l'armée locales. Ce sont des rôles essentiels. Pour moi, la DART ne joue pas un rôle essentiel et présente des inconvénients pour les agences humanitaires en coût et en visibilité.

    Je ne suis pas un antimilitariste. L'armée a un rôle crucial à jouer. Il est honteux de lui avoir coupé les vivres. Il faut continuer de la financer de manière décente pour qu'elle puisse obtenir une partie du matériel qu'ont les autres armées et qui sert en cas de catastrophes humanitaires.

+-

    Le président: Nous venons d'entendre la sonnerie.

    Avant de donner la parole à M. Bagnell, on a essayé tout à l'heure de se servir de PowerPoint à la demande de M. Itani. On me dit que le matériel est maintenant en état de marche. Comme il a bien géré son temps, je vais demander aux membres du comité s'ils veulent bien regarder brièvement la présentation PowerPoint. S'ils ne le veulent pas, je vais redonner la parole aux députés.

    Les membres du comité ont-ils des objections?

    Combien de temps dure-t-elle, monsieur? Avez-vous une idée?

+-

    M. Tetsuo Itani: Elle dure environ neuf minutes.

+-

    Le président: Neuf minutes.

+-

    M. Tetsuo Itani: Je pense que l'on peut faire beaucoup plus vite.

+-

    Le président: Allons-y.

    Monsieur Bagnell.

Á  +-(1155)  

+-

    L'hon. Larry Bagnell (Yukon, Lib.): C'est au représentant de la Croix-Rouge que je vais adresser ma principale question, qui porte sur un sujet que nous n'avons pas encore abordé aujourd'hui. Permettez-moi d'exprimer certains de mes partis pris, puisque M. Bachand l'a fait.

    Je pense que tout le monde comprend l'importance de la gouvernance. Bien des gens estiment qu'avant de pouvoir régler n'importe quel autre problème, il faut instaurer un bon système de gouvernance.

    Je conviens avec vous que la Croix-Rouge doit être séparée de la structure militaire et être perçue comme telle afin de pouvoir assurer la protection des populations. J'espère que les organismes humanitaires continueront à faire tout ce qu'ils peuvent pour éviter une intervention militaire. Vous devez être une entité distincte de la structure militaire, en collaborant avec elle, bien entendu, comme vous l'avez indiqué.

    Toutefois, j'estime aussi que le gouvernement canadien doit s'attaquer aux causes profondes des conflits, notamment en combattant la pauvreté, en éliminant l'intolérance religieuse et en favorisant l'éducation. Il y a donc un rapport car nos objectifs humanitaires constituent notre politique étrangère. C'est un rapport important, car notre politique étrangère consiste à protéger les droits de la personne, à combattre la pauvreté, à améliorer la gouvernance et à favoriser l'éducation, entre autres. Nous n'avons pas une attitude de neutralité face aux causes de la guerre parce que des phénomènes comme la pauvreté et l'intolérance religieuse sont parmi les causes profondes des guerres. L'aide que nous offrons vise à combattre ces causes.

    Par ailleurs, il me semble injustifié et presque diffamatoire de sous-entendre que l'Équipe d'intervention en cas de catastrophes, la DART, est un coup de publicité, d'autant plus que tous les Canadiens qui m'ont contacté nous ont demandé d'envoyer l'équipe DART à temps. Tant qu'on en fera la demande, nous continuerons à le faire. Je suis d'accord avec ceux qui estiment que l'équipe DART doit être envoyée lorsque personne d'autre ne peut aider les populations touchées. Voilà pourquoi on ne pourrait donner un autre nom à la « guerre sur trois pâtés de maisons ». Je n'aime pas le mot « intégration », mais il s'agit de moderniser profondément notre rôle.

    J'ai rendu visite à l'Équipe provinciale de reconstruction en Afghanistan. Je trouve extraordinaire l'aide que nous apportons à des gens dont la vie serait perdue, aux fillettes qui n'iraient pas à l'école ou à ceux qui ne recevraient pas de vivres dans les situations de crises où personne d'autre ne peut intervenir. Ensuite, ils pourront faire autre chose. C'est un progrès énorme.

    Voici la question que j'adresse aux représentants de la Croix-Rouge. Je vous appuie sans réserve et je continuerai à le faire de même qu'à diriger vers la Croix-Rouge les gens qui me demandent à qui ils peuvent faire un don lorsque surviennent de telles situations d'urgence. Il y a un excellent bureau de cet organisme dans ma circonscription au Yukon, si bien que je peux diriger les gens et au bureau local et au siège social national, et je continuerai à le faire.

    J'ai besoin de précisions sur une question tout à fait mineure. Il y a environ trois semaines, pendant que je faisais du porte à porte dans ma circonscription, une dame m'a rapporté quelque chose qu'elle avait entendue aux nouvelles et que moi-même je n'avais pas entendu. On avait dit que l'aide de la Croix-Rouge ne se rendait pas à ses destinataires; que l'argent donné servait à payer les frais administratifs ou à financer la construction à long terme de... Je ne sais pas exactement ce qu'on a dit aux actualités, mais vous en avez sans doute eu des échos. C'était probablement sans fondement, mais j'aimerais avoir ce renseignement pour pouvoir le transmettre à la dame qui m'a signalé ce fait. J'espère que vous savez à quoi je fais allusion, parce que moi-même, je n'ai pas tous les détails.

+-

    M. Tetsuo Itani: Je ne sais absolument rien à ce sujet. Assurément, nous prenons très au sérieux toutes les allégations d'utilisation inappropriée de nos fonds et nous faisons enquête dans tous les cas, mais je ne suis pas au courant du cas que vous évoquez. J'imagine que l'affaire a été réglée au niveau local.

+-

    L'hon. Larry Bagnell: Vous pourriez peut-être me transmettre ces renseignements plus tard, car cela a été dit aux actualités nationales.

+-

    M. Tetsuo Itani: J'aurais besoin de renseignements plus précis au sujet de la nature des allégations.

+-

    L'hon. Larry Bagnell: C'est une information qui a été donnée voilà quelques semaines aux actualités nationales, mais je ne veux pas que nous passions trop de temps là-dessus aujourd'hui.

+-

    M. Tetsuo Itani: Je veux bien, vous comprendrez que je ne peux pas aller à la pêche aux rumeurs ni demander à mes employés de le faire.

+-

    L'hon. Larry Bagnell: Je suis étonné qu'une information au sujet de votre organisation diffusée aux actualités nationales n'ait pas été portée à votre attention.

    J'ai cependant une autre question.

  +-(1200)  

+-

    Le président: Le greffier lui remettra l'information pertinente.

    Je vous signale que le temps court même si vous traitez d'une question personnelle.

+-

    L'hon. Larry Bagnell: Monsieur Barr, vous avez suggéré une idée que je trouve tout à fait excellente. Comme vous l'avez évoqué très brièvement, je vous demanderais de nous donner plus de détails. Il s'agissait de prévention, de genre d'enquête comparable à une « alerte rapide » qui pourrait prévenir certains de ces conflits. Pourriez-vous nous préciser comment le système fonctionnerait, quel organisme du Canada pourrait s'en charger et comment on pourrait l'instaurer? Il s'agit d'une excellente idée, mais je ne crois pas que vous ayez le temps de donner beaucoup de détails.

    Je m'excuse d'avance car dès que vous aurez répondu, je dois partir car je suis censé prendre la parole devant la Chambre des communes.

+-

    M. Gerry Barr: Pour résumer très brièvement, nous proposons des principes relativement au maintien de la paix et au développement. Nous proposons en premier lieu la mise en place d'un système d'alerte rapide et de ressources permettant des interventions préventives. Il s'agit, comme vous le savez, de la dimension première de la responsabilité de protéger, ce qui doit être fait avant l'engagement actif: une analyse solide et détaillée du contexte. Nous devons avoir la capacité de le faire.

    Dans notre approche vis-à-vis des zones de conflit latent, où il y a de l'instabilité, nous devons tenir compte du fait que les agents locaux de changement, les organisations de la société civile, jouent un rôle important, aussi bien dans le maintien de la paix et dans la prévention que dans la reconstruction, après le conflit.

    Nous devons canaliser l'aide financière reçue vers la réduction de la pauvreté dans ces régions instables. Voilà les principes que je propose.

    À entendre le préambule à votre question, je pensais que vous alliez mentionner l'idée d'un groupe consultatif pour le GTSR et pour le fonds de stabilité régionale. Il serait extrêmement utile à mon avis que ces deux importants projets entièrement nouveaux, qui s'harmonisent si bien à l'idée d'une approche pangouvernementale, puissent se référer à un groupe d'experts pour décrire le rôle que ces deux institutions seront appelées à jouer. Si le comité le juge bon, je pense qu'il y a lieu d'encourager cette idée tout à fait excellente.

+-

    L'hon. Larry Bagnell: Merci.

    Excusez-moi, je dois me rendre à la Chambre.

[Français]

+-

    Le président: Monsieur Perron.

+-

    M. Gilles-A. Perron: Monsieur le président, j'aimerais que vous ne teniez pas compte des quelques minutes que je prendrai avant de commencer mon intervention, puisque je ferai votre travail. Après la réunion, pourriez-vous remettre au greffier les documents officiels qui ont été soumis au comité plus tôt, afin qu'il les fasse traduire et qu'on nous en donne une copie en français?

    Cela dit, j'ai cinq questions à poser. Je les poserai toutes, une à la suite de l'autre, et les intervenants pourront prendre cinq minutes chacun pour y répondre.

    J'adopte personnellement la position du Bloc québécois, selon laquelle la participation de l'armée à des conflits sur le terrain doit se faire seulement sous l'égide de l'OTAN et/ou de l'ONU.

    À partir de cette exigence, quels sont vos critères décisionnels afin de participer à une mission?

    Il semble y avoir des conflits entre les ONG. Afin de mieux les éviter et d'améliorer votre efficacité sur le terrain, envisagez-vous la possibilité de vous placer sous une même protection lors d'un conflit?

    D'autre part, quelles sont vos relations avec les hauts commandements de l'armée militaire en général, et non pas seulement canadienne? Voyez-vous la possibilité que vos relations puissent avoir une portée décisionnelle? Autrement dit, pensez-vous pouvoir prendre part aux décisions de l'armée à propos de conflits?

    De plus, comment protégez-vous vos bénévoles sur le terrain lors de conflits? De quelle façon pourriez-vous améliorer cette protection?

    Ma dernière question pourrait susciter une très longue discussion. Nous exigeons toujours de vous que vous fassiez mieux et à moindre coût. Mis à part DART, j'aimerais que vous m'expliquiez comment vous pouvez faire mieux à moindre coût.

  +-(1205)  

[Traduction]

+-

    Le président: M. Watson, M. Barr, M. Itani — qui veut répondre?

+-

    M. A. John Watson: En ce qui concerne nos relations ou notre coopération avec l'armée, nous tenons beaucoup de séances pour traiter de cette question. Nous parlons aux militaires. À Kandahar, lorsque l'EPR était encore à l'état de projet, j'ai présenté un exposé lors de la conférence où l'on examinait la meilleure façon de faire les choses. Je précise également que je m'oppose au concept d'une EPR. J'ai donné les meilleurs conseils sur la façon de faire les choses sur le terrain. Nous avons des relations avec les militaires en ce qui concerne les étapes de la carrière. Une grande partie de notre travail de sécurité est effectuée par des gens qui étaient antérieurement dans le renseignement militaire canadien et qui sont maintenant des civils. Nous les embauchons à contrat. Le dernier secrétaire général de CARE International était Guy Tousignant, un ancien général canadien. Il y a donc beaucoup d'aller-retour entre nous et l'armée.

    En ce qui concerne l'organisation et la collaboration, je crois qu'il est important de maintenir une certaine concurrence afin de nous contraindre à l'efficacité. Le problème de la concurrence entre les ONG, selon moi, ne se produit pas tellement sur le terrain. Face à une catastrophe, il y a toujours un mécanisme de coordination. Habituellement, si l'intervention est parrainée par l'ONU, cet organisme s'occupe de coordonner les activités des agences. Je sais que le problème de la collaboration est plus grave au Canada. Pour chaque catastrophe qui survient, on voit apparaître douze affiches provenant de douze organismes différents. Selon moi, cela est nuisible et nous travaillons à mettre fin à cette situation en établissant une structure de campagne de financement unifiée.

    En ce qui concerne la sécurité, j'espère avoir dit les choses clairement. Les militaires canadiens ne protègent pas directement notre personnel sur le terrain. Il serait impossible de le faire, compte tenu de l'éparpillement de nos opérations et de la mesure dans laquelle nous devons entrer en contact avec les populations et les gouvernements locaux. Si nos agents sont perçus comme des personnes inféodées ou militaires, cela nous plonge dans des situations très difficiles. Nous sommes en Afghanistan sans interruption depuis les années 60. Nous ne voulons pas miner notre position en Afghanistan en nous rapprochant beaucoup trop d'une faction ou d'une autre ni en nous rapprochant des militaires pendant un certain temps pour ensuite constater que les membres de notre organisation sont en danger.

    Par exemple, si Clementina Cantoni avait été proche des militaires, je ne crois pas qu'elle en serait sortie vivante. Mais elle avait gardé ses distances. On a entièrement reconnu en elle une travailleuse humanitaire qui faisait du bon travail auprès de ces femmes. Notre sécurité dépend donc de l'acceptation de notre présence, et non d'une protection imposée ni de la protection de notre personnel par des moyens militaires.

+-

    Le président: Monsieur Itani.

+-

    M. Tetsuo Itani: La famille de la Croix-Rouge agit de façon indépendante depuis très longtemps et adopte des principes de protection passive. Cela ne veut toutefois pas dire qu'il n'y a pas de possibilité de consultation. À titre d'exemple, rappelons qu'un peu plus tôt cette année, le CICR, à Genève, et le grand quartier général des puissances alliées en Europe, y compris le commandement allié Transformation, qui est basé à Norfolk, en Virginie, ont signé un nouveau protocole d'entente. Ce protocole prévoit que les deux parties doivent se consulter et que, dans notre cas, nous devons aider à former et à instruire les troupes de l'OTAN, les officiers, ainsi que divers établissements d'enseignement, afin qu'ils sachent quel rôle le CICR joue sur les champs de bataille et dans le domaine du droit humanitaire international.

    En outre, au siège social, à Genève, nous avons un service qu'on appelle le centre du dialogue humanitaire, qui traite à l'échelle politique avec l'ensemble de la communauté internationale, mais plus particulièrement avec ce que nous appelons les pays en transition ou ce que l'on peut, par euphémisme, appeler les démocraties émergentes du monde. Il y a également un service distinct à Genève qui s'occupe exclusivement de l'établissement et du maintien des relations avec les forces armées de nombreuses régions du monde, habituellement dans 35 ou 40 zones de conflits du monde entier, et cela nous permet de maintenir le contact avec ces militaires, de sorte qu'en cas d'urgence, nous ayons un réseau auquel nous pouvons faire appel pour négocier une voie de passage afin de faire notre travail. En même temps, si cette relation est assez mûre, elle nous donne souvent l'occasion de renforcer la mise en application du droit humanitaire international dans les pays concernés.

    Maintenant, pour nous rapprocher d'ici, précisons que la Croix-Rouge canadienne a signé un protocole d'entente avec le centre Pearson pour la formation en maintien de la paix. Il s'agit d'un engagement à nous appuyer l'un l'autre et nous préparons actuellement un projet de protocole d'entente entre la Croix-Rouge canadienne et le ministère de la Défense nationale. Nous espérons ainsi donner une idée des expériences réelles aux militaires en formation destinés à des affectations outre-mer, que ce soit pour le maintien de la paix ou pour un conflit actif — nous ne faisons pas la distinction entre les deux — sous le parapluie du droit humanitaire international.

    Nous entretenons donc des relations très cordiales. Pour vous donner un exemple, en vertu de l'article 36 du premier protocole, les pays ont l'obligation d'avoir instauré un mécanisme avant que de nouvelles armes soient introduites. Cette tâche dépassait les capacités des ministères de la Défense nationale et des Affaires étrangères du Canada. Par conséquent, la Croix-Rouge canadienne s'est chargée d'organiser une conférence internationale afin d'avoir un point de départ pour élaborer une politique pour la Défense nationale. Ce processus s'est très bien déroulé, et le ministère de la Défense nationale s'apprête à publier une politique en conformité de l'article 36 du premier protocole.

  +-(1210)  

+-

    Le président: Merci de votre réponse. Vous avez dépassé le temps imparti.

    La parole est maintenant à Mme Gallant.

+-

    Mme Cheryl Gallant: Merci, monsieur le président. Si je n'utilise pas tout mon temps d'intervention, je céderai le reste à M. O'Connor.

    Pour commencer, je serais blâmable de ne pas vous demander des éclaircissements sur ce qui se passe avec le chlore par opposition aux installations de purification et sur le degré de pureté de l'eau obtenue avec celle-ci... Le chlore ne peut rien contre la giardia et le cryptosporidium, pas plus contre le virus de la typhoïde, ce qui fait qu'en l'occurrence, lorsqu'on parle des deux, on compare des pommes à des oranges.

    Ma question portera sur ce que vous avez dit au sujet des équipes provinciales de reconstruction. Vous ai-je bien compris, avez-vous bien dit que nos militaires déployés à Kandahar n'avaient pas de rôle à jouer dans le cadre de ces équipes provinciales de reconstruction?

+-

    M. A. John Watson: Nous réfutons absolument ce concept des EPR qui veut que les militaires assurent la sécurité et le maintien de celle-ci, le maintien de la paix ainsi que l'intervention humanitaire conjointement à une EPR. Il est essentiel que les militaires soient déployés pour assurer la sécurité, pour former les corps policiers locaux, pour assurer le désarmement et ainsi de suite, mais lorsqu'ils commencent aussi à faire du travail humanitaire et qu'ils appellent ainsi ce genre de travail, cela nous met en danger, oui.

+-

    Mme Cheryl Gallant: Je vous remercie.

+-

    M. A. John Watson: Pour revenir au problème de l'eau, je ne prétends pas que nous ayons trouvé une solution miracle à tous les problèmes d'eau potable du monde, mais dans ce cas-ci, ce n'est pas quelque chose que CARE aurait inventé. C'est plutôt l'invention des Centers for Disease Control and Prevention d'Atlanta, et c'est la meilleure façon de venir en aide aux populations isolées en manque d'eau potable qui habitent dans des régions où on trouve des eaux de surface non contaminées, par exemple, par le vecteur de la giardia.

    C'est une question de coût.

+-

    M. Tetsuo Itani: Je voudrais insister sur quelque chose que j'ai déjà dit, en l'occurrence que les opérations militaires menées là où il y a un problème de sécurité humaine ne devraient pas être qualifiées d'opérations humanitaires. Il ne s'agit manifestement pas de cela, et le fait de mélanger les deux ne fait qu'ajouter à la confusion et rendre floue la ligne de démarcation entre les opérations militaires et le travail humanitaire.

+-

    Le président: Comme nous l'a dit Mme Gallant, ce qui lui reste de temps va aller à M. O'Connor.

+-

    M. Gordon O'Connor: En effet, j'aurais une petite question à poser.

    Il y a quelques instants, c'est M. Watson je crois, à moins que ce n'ait été M. Barr, qui nous avait dit penser que quelques-unes des grandes ONG devraient être financées, en partie, par l'État. J'ignorais que la Croix-Rouge était financée par l'État.

    J'imagine que je vais prendre le contre-pied de cette thèse: pourquoi l'État devrait-il financer des organismes privés? Au bout du compte, cela voudrait dire que lorsque l'État le fait, il finit par avoir son mot à dire dans leur organisation. Peu importe ce qu'on pourra en dire, l'État commence alors à manipuler ces organismes.

    Quoi qu'il en soit, c'est à vous.

  +-(1215)  

+-

    M. Gerry Barr: Je vais très rapidement céder le micro.

    La réponse à cela, c'est un financement adéquat et en temps voulu. Raison pour laquelle le Canada devrait ainsi mettre des fonds de côté ou encore offrir des financements de base que les organismes humanitaires pourraient utiliser à leur discrétion en cas de catastrophe naturelle de manière à ne pas demeurer impuissantes faute de ressources mais de pouvoir plutôt agir rapidement, en temps voulu et intervenir de façon efficace.

    C'est cela qui devrait être possible pour les principaux intervenants en cas d'urgence, pas uniquement au Canada — il s'agirait d'une politique incroyablement progressiste si elle venait d'être mise en oeuvre — mais cela devrait également être le cas sur le plan international lorsque les principaux intervenants en cas d'urgence, qui ont eux aussi le même problème en ce sens qu'ils ne peuvent intervenir qu'après examen et analyse de leur financement, ce qui est immanquablement postérieur à la catastrophe.

    S'agissant d'autonomie, je pense que vous faites valoir quelque chose d'important. Mais l'idée que l'État collabore avec les intervenants non gouvernementaux, surtout en matière humanitaire, procède d'une relation de longue date et éprouvée par le temps. Il est clair, je crois, que dans ce genre de circonstance les ONG ont pu conserver leur autonomie. Cela ne veut pas dire pour autant qu'il n'y a pas de difficultés, j'en conviens parfaitement.

+-

    Le président: Merci, monsieur O'Connor.

    Nous allons maintenant entendre M. Martin, puis M. Bachand, avant de commencer le troisième tour.

    Nous en sommes encore au second tour.

+-

    L'hon. Keith Martin: Je vous remercie et je vous présente mes excuses. J'ai dû me rendre à une réunion d'urgence du caucus de la Colombie-Britannique. Je vous prie d'excuser mon retard.

    Merci à tous nos témoins.

+-

    Le président: Avez-vous dit du Parti conservateur?

+-

    L'hon. Keith Martin: Non, de la Colombie-Britannique. J'ai un peu de difficulté à m'exprimer.

    Même mes proches ne me comprennent pas, mais quand le président parle, nous écoutons.

    Merci à tous d'être venus nous rencontrer aujourd'hui.

    Nous sommes tous passionnés par les questions dont vous avez parlé. Mais vous m'excuserez, John, je ne suis pas d'accord avec certaines de vos observations.

    Il y en a deux plus particulièrement. Vous avez parlé de trois piliers. Les Nations Unies, les Forces armées et les ONG. Bien que nous souhaiterions idéalement que les Nations Unies fassent tout ce qu'elles devraient, nous savons que ce n'est pas le cas. Permettez-moi d'attirer votre attention sur un exemple précis, illustrant l'importance des forces militaires pour sauver des vies. C'est l'exemple des forces britanniques en Sierra Leone.

    Vous connaissez ce conflit. Un quart de millions de personnes ont été tuées. Des centaines de milliers d'autres ont été horriblement mutilées. Les forces britanniques y ont envoyé 786 soldats et ont mis fin au carnage. Cet exemple illustre l'importance de l'intervention militaire pour sauver des vies. D'après ce que j'ai vu moi-même, la fonction de l'armée, ce que nous définissons comme l'approche trois D, est absolument essentielle.

    Dans certaines régions, les gens sur le terrain sont en danger. Nos gens ne peuvent pas se rendre dans certaines zones, comme c'est le cas actuellement au Pakistan. Les soldats, eux, le peuvent. La capacité des forces armées de se rendre sur place et de sauver des vies est absolument essentielle, que ce soit en usant de la force, en fournissant de l'eau potable ou en construisant des routes comme notre force DART peut le faire grâce à ses ressources en génie...

[Français]

+-

    M. Gilles-A. Perron: Monsieur le président, je veux faire un rappel au Règlement. En fait, on n'a pas de temps à perdre, puisqu'on a déjà discuté de ces faits ici, autour de la table. Alors, que M. Martin soit ici pendant toute la réunion, c'est bien, mais on fait perdre du temps à ces gens ainsi qu'à moi-même.

[Traduction]

+-

    Le président: Je comprends ce que vous dites, monsieur Perron, et je le respecte. Mais nous connaissons tous les privilèges des membres au sein du comité. Les députés ont tous l'occasion de poser leurs questions et de faire leurs observations, même si je prévois du temps pour les réponses, comme je le fais dans ce cas.

    J'utiliserai l'exemple de M. Bachand, un peu plus tôt. M. Bachand voulait faire une déclaration et poser ses questions, et c'est son privilège. Je ne peux pas l'en priver.

  +-(1220)  

+-

    Mr. Claude Bachand: Ma première intervention sera-t-elle inscrite au compte rendu?

+-

    Le président: Je crois que oui.

[Français]

+-

    M. Gilles-A. Perron: En fait, ces questions ont déjà été posées, et on y a répondu. Alors, il ne sert à rien de les poser à nouveau.

[Traduction]

+-

    L'hon. Keith Martin: Monsieur le président, j'espère que tout cela n'est pas déduit de mon temps.

+-

    Le président: Écoutons M. Khan.

+-

    M. Wajid Khan: Je disais simplement que nous devrions continuer les questions. Nous perdons du temps. Nous discutons entre nous.

+-

    Le président: Monsieur Martin, vous avez la parole.

+-

    L'hon. Keith Martin: J'attire simplement votre attention sur deux observations que vous avez faites, l'une de vous, Gerry, l'autre de John.

    Gerry, vous avez dit que les intervenants des services humanitaires n'ont pas pour but de modifier le déroulement du conflit; leur rôle consiste à alléger les souffrances. Je comprends, mais reconnaissez-vous néanmoins qu'il est d'abord essentiel de prévenir le conflit ou d'y mettre fin pour alléger les souffrances? Le conflit durera longtemps si tout ce que l'on fait c'est s'occuper des morts et des blessés sans essayer d'empêcher que les gens soient tués, blessés, violés et torturés.

    La question que je vous pose à tous les deux est donc la suivante. Ne croyez-vous pas que dans certains cas, les forces armées peuvent être en mesure de sauver des vies, de mettre fin aux conflits ou de les prévenir, ainsi que d'offrir un soutien vital aux humains qui souffrent ou qui sont opprimés lorsque les circonstances vous en empêchent?

+-

    M. Gerry Barr: Je dirais qu'i y a manifestement, et encore plus que cela, des circonstances dans lesquelles les forces armées sont obligées de faire ce genre de chose, de sorte que, c'est certain, il y a là un rôle important à jouer.

    À l'heure actuelle pour nous, la question la plus pointue, si vous me passez le terme, n'est pas de savoir s'il y a ou non un rôle pour les forces armées. Pour moi, c'est tout à fait limpide, il y a pour les forces armées un rôle important et utile à la fois, selon les circonstances en cause. Mais la question cruciale que la plupart d'entre nous essaient, je crois, de faire valoir ici aujourd'hui, c'est la question des dangers associés à un mélange du rôle des forces armées et des intervenants humanitaires, et en particulier les problèmes associés à la direction politique de l'intervention humanitaire et les problèmes associés à la compénétration d'un style de travail qui appelle le coeur et l'esprit et d'un travail de développement et de reconstruction, un travail qui doit s'effectuer avec un ancrage plus autonome si vous me permettez l'expression.

+-

    L'hon. Keith Martin: Les principes fondamentaux en ce qui concerne notre position...

+-

    M. Gerry Barr: Il y a une permutation, un terrain un peu poreux, un genre de zone intertidale, et c'est précisément la raison pour laquelle il faut...

+-

    Le président: M. Perron invoque le Règlement et je dois lui donner la parole.

    Monsieur Perron.

[Français]

+-

    M. Gilles-A. Perron: Monsieur le président, je tiens à m'excuser auprès des gens ici, mais ils ont déjà répondu à toutes ces questions, et j'ai autre chose de plus important à faire. Donc, je quitte la séance.

    Excusez-moi, monsieur le président.

[Traduction]

+-

    Le président: Merci, monsieur Perron.

+-

    M. Gerry Barr: Je voulais simplement dire pour conclure que c'est précisément à cause de l'existence de cette zone intertidale qu'il est essentiel de faire intervenir énormément de latitude et de jugement pour établir cette distinction entre les rôles.

+-

    Le président: Monsieur Watson, une réponse rapide puisque, vous l'avez entendu, la minuterie s'est arrêtée.

+-

    M. A. John Watson: Le déploiement en Sierra Leone est l'exemple parfait de ce que je viens de dire. Il s'agissait d'une opération de rétablissement de la sécurité dans un pays où toutes sortes de choses horribles s'étaient produites et qu'il était impossible d'arrêter sans un recours à la force. Je pense que dans ce cas-là, c'était tout à fait approprié. C'est la raison pour laquelle nous étions favorables à un déploiement pour les mêmes raisons dans la partie orientale du Zaïre après la crise au Rwanda.

    Pour moi, le problème c'est que je sais fort bien qu'il y a énormément de changements qui sont en train de se produire dans les forces armées et que celles-ci vont devoir apprendre comment mieux faire les choses, par exemple lorsqu'il s'agit de former les forces de sécurité locales, les armées nationales et ainsi de suite. À mon avis, c'est là-dessus que les militaires devraient travailler actuellement. À une époque où nous nous éloignons de plus en plus de la doctrine militaire de la guerre froide pour affronter un monde nouveau et plus confus. Ça va être tout un boulot d'arriver à déterminer comment reconfigurer les forces armées pour qu'elles puissent mieux faire ce genre de choses. C'est un problème qui nous interpelle du côté humanitaire de l'équation.

    En ce qui concerne la DART, ce n'est pas que je sois contre les militaires, mais je pense que ce n'est pas cela que les militaires devraient faire.

    Pour ce qui est de l'argent des contribuables, et pour répondre à M. O'Connor, lorsqu'on intervient après ce genre de catastrophes, il est impossible de le faire avec l'envergure nécessaire si on ne peut compter que sur les dons des particuliers. Lorsqu'il y a famine, par exemple, il arrive que nous devions dépenser 80 millions de dollars par an pour nourrir une population d'un million d'âmes. Aucun bailleur d'aide privé ne va pouvoir avancer ce genre de somme.

    À mon avis, si on veut que l'État y mette du sien, c'est à vous autres députés de faire en sorte qu'il en ait pour son argent. Dans cette perspective, vous ne le faites pas en passant par les militaires. Ce ne sont pas les militaires qui sont censés offrir des services à rabais; c'est plutôt une question de vie et de mort.

    Je ne pense pas que l'argent soit le problème lorsqu'on songe à la question du transport aérien, de l'équipement et ce genre de choses. Le problème se pose lorsqu'il y a d'autres moyens d'offrir les services nécessaires de façon plus appropriée et à moindre coût, et lorsque ces moyens ne masquent pas la ligne de démarcation entre les deux rôles.

  +-(1225)  

+-

    Le président: Très bien.

    Passons à présent à M. Bachand. Il pourra se servir de son temps comme bon lui semble. C'est sa prérogative.

    Monsieur Bachand, vous êtes aux commandes maintenant.

[Français]

+-

    M. Claude Bachand: Monsieur le président, je vais d'abord poser une question concernant la santé. Tout à l'heure, M. Barr a remarqué que j'avais bu un peu de ce liquide. Alors, je voudrais savoir si ma santé en est en danger au moment où on se parle.

+-

    M. A. John Watson:

    Ce n'est pas une bonne idée, car cette eau contient du chlore.

+-

    M. Claude Bachand: Cette eau sent la javel, n'est-ce pas?

+-

    M. A. John Watson: Exactement.

+-

    M. Claude Bachand: J'ai compris la différence entre « coopération » et « intégration ». Cependant, il me semble qu'il soit important qu'il y ait un plan intégré. Or, un plan intégré n'est pas une intégration. Lorsqu'on arrive sur un théâtre d'opérations et que tout le monde se côtoie, il me semble qu'il serait important de s'asseoir ensemble et que chacun dise ce qu'il a l'intention de faire et se pose la question à savoir s'il peut modifier des choses. J'espère que cela se passe ainsi, principalement pour ceux qui sont à un haut niveau.

    Est-ce que les ONG ont des contacts avec les hautes autorités militaires ici, au Canada, avec le ministère des Affaires étrangères, avec des diplomates ainsi qu'avec l'ACDI au sujet du développement? J'espère que les hauts dirigeants des ONG ici, au Canada, se parlent, à plus forte raison dans un théâtre d'opérations. Il me semble que c'est très important.

    Pourriez-vous nous donner une idée de vos relations avec les hautes instances, autant ici, au Canada, que dans un théâtre d'opérations? Nous ne voulons pas avoir quatre mémoires différents de votre part. Nous voulons savoir si vous coopérez ensemble. À mon avis, c'est très important qu'on le sache.

+-

    M. Gerry Barr: En fait, il n'y a pas de problème s'il s'agit d'un plan comme une single table, pour un cadre unitaire. La question est de préserver la distinction entre les différents rôles, afin d'être efficaces sur le terrain.

    John ou Ted pourraient peut-être répondre aux questions concernant les éléments réels sur le terrain.

[Traduction]

+-

    M. A. John Watson: Sur le terrain, on collabore. D'habitude, l'ONU préside un groupe composé de tous les intervenants humanitaires présents sur le terrain. D'habitude, ce groupe comprend un agent de liaison militaire qui pourrait donner le point de vue militaire sur les questions de sécurité en cas de difficulté, pour permettre aux organismes humanitaires d'éviter ces zones. Et inversement, si les organismes humanitaires ont un problème d'accès en raison d'un conflit, ils peuvent en informer les forces armées pour qu'elles s'en occupent.

  +-(1230)  

+-

    M. Claude Bachand: Qu'en est-il des Affaires étrangères et de l'ACDI?

+-

    M. A. John Watson: Nous avons affaire avec les Affaires étrangères et l'ACDI tout le temps. L'une des raisons pour lesquelles je vous parle, c'est que nous avons du mal à faire comprendre à l'ACDI que c'est très important.

    Nous recevons des fonds publics. Qu'on ne s'y trompe pas; ils appuient nos interventions dans le cadre d'urgences précises. Le problème, c'est qu'il est impossible de prévoir de façon souple et cohérente une capacité de réserve si le financement public prend la forme de contrats d'une durée de six mois pour telle urgence, pour telle autre urgence, etc.

    La Croix-Rouge procède de façon beaucoup plus cohérente, grâce à un financement permanent qui appuie le genre de travail qu'elle fait en droit international, en constituant des réserves d'urgence, etc.

    Tout ce que nous disons, c'est que cela devrait se répandre — non pas qu'on devrait accroître le financement public, mais qu'on devrait l'accorder de façon cohérente.

+-

    Le président: Vous avez encore du temps, une autre minute.

    Je crois que M. Itani désire répondre à votre question.

+-

    M. Tetsuo Itani: Nous avons un arrangement permanent avec les Affaires étrangères et l'ACDI en vertu duquel nous faisons partie d'un réseau d'alerte et nous nous informons des éventuelles catastrophes émergentes dans le monde entier, pour permettre de prendre une décision prévue très rapidement.

    Pour revenir au tsunami du 26 décembre, le soir même les Affaires étrangères, l'ACDI et la Croix-Rouge canadienne avaient déjà décidé que les produits qualifiés de besoins urgents par la Croix-Rouge pakistanaise seraient envoyés — non pas en quantité demandée, puisque, bien entendu, nos réserves sont limitées, mais nous avions des comprimés pour purifier l'eau, des jerry cans repliables et des abris montables. Une décision conjointe, prise encore une fois par les Affaires étrangères et le MDN, nous a permis de chercher un Airbus et de décoller deux jours plus tard. Il s'agit d'un arrangement permanent.

[Français]

+-

    M. Claude Bachand: Selon vous, est-ce que la politique des 3D pourrait devenir la politique des 3D et des ONG? Seriez-vous satisfait de cela à l'intérieur de la politique des affaires étrangères et de la défense? On n'ajouterait pas un D, parce qu'on ne peut pas dire que vous êtes un D; vous faites partie des ONG.

    Pouvons-nous penser que vous pourriez avoir, à l'intérieur du groupe duquel vous vous rapprochez le plus, l'ACDI, une division pour mieux intervenir officiellement dans le type de débat que nous avons aujourd'hui? Ou préférez-vous conserver votre autonomie complète et entière par rapport au gouvernement, aux militaires et à l'ACDI? Est-ce là une idée loufoque? Y avez-vous songé?

+-

    M. Gerry Barr: Je vais passer à l'anglais pour vous répondre.

[Traduction]

    L'idée des trois D est très intéressante. Elle est très utile et c'est une façon importante d'aborder les questions. Mais c'est très important de ne pas avoir deux D majuscule et un d minuscule. Il est important que les pieds du tabouret dont M. Watson parlait soient tout aussi solides les uns que les autres.

+-

    M. Claude Bachand: Y ajouteriez-vous un quatrième pied — votre pied?

+-

    M. Gerry Barr: Non, je crois que nous sommes là, dans le cadre du dossier du développement, entièrement.

+-

    M. Claude Bachand: D'accord.

+-

    Le président: Monsieur Watson.

+-

    M. A. John Watson: Je vais vous donner un bon exemple qui vous montrera en quoi le Canada n'est pas organisé comme d'autres pays et pourquoi, comme le disait Gerry, le troisième D majuscule est un fait un d minuscule. Si vous regardez la façon dont les ONG sont financées par l'ACDI, la plus grande partie du financement provient de la Direction du partenariat canadien de l'ACDI. Depuis sa création, cette direction du partenariat exclut le financement d'activités humanitaires. Par conséquent, il n'y a jamais eu d'appui comparable à celui qu'obtiennent des organismes comme le CUSO et le CECI ou encore les universités pour faire du travail de développement à long terme sur le plan humanitaire.

    Nous fonctionnons très bien à partir d'Ottawa, mais l'essentiel et de loin du financement que nous recevons ne vient pas de l'État canadien, et ce, malgré le fait que nous sommes un organisme canadien.

+-

    Le président: Je vous remercie.

    Voilà qui nous amène à M. Khan.

+-

    M. Wajid Khan: Merci, monsieur le président. Je serai très bref.

    Je pense que M. Watson et moi serions d'accord pour dire que nous ne sommes pas d'accord, mais en ce qui concerne la DART et tout le reste, je suis pas mal d'accord avec lui à bien des égards.

    Avant de quitter la question de la DART, je voudrais faire valoir quelque chose. Cette équipe a assuré au Pakistan des services médicaux et un approvisionnement en eau potable, en plus de stabiliser les services locaux et d'aider à remettre en état le réseau de distribution d'eau dans les régions touchées. Jusqu'à présent, DART a produit plus de 620 000 litres d'eau potable et traité plus de 2 200 malades.

    Pour en revenir à vous, monsieur, ce qui m'interpelle surtout d'après ce que je peux voir ici, c'est qu'il ne semble pas y avoir beaucoup de coordination, de coopération ou d'interventions conjointes entre vos différents organismes. Comme vous venez de le dire, monsieur Watson, il faudrait davantage d'interventions conjointes, à moins que je ne me trompe.

    Les ONG aiment beaucoup utiliser ce que leur donnent les militaires, et pourtant j'ai l'impression qu'elles ne veulent pas conférer avec eux, que ce soit avant un déploiement ou sur le terrain. Pouvez-vous me donner un exemple précis de ce genre de chose?

    La question plus précise que je vous pose à tous, messieurs, concerne l'un des éléments qui a été identifié comme impératif après la catastrophe au Pakistan, en l'occurrence les vaccins antitétaniques. Y a-t-il été donné suite dans une certaine mesure?

  +-(1235)  

+-

    M. A. John Watson: Encore une fois, le problème de la DART est que cette équipe n'a pas vraiment produit beaucoup d'eau consommable ni offert beaucoup de consultations médicales; c'est un problème de coût. Lorsqu'on fait la ventilation de ce que DART coûte, je pense que de votre point de vue à vous, les représentants des contribuables, il faut se demander si ce genre de services n'aurait pas pu être assuré à bien meilleur marché. Et la réponse à cette question est très clairement oui.

    Il y a pour les militaires un rôle très clair. Laissez-moi vous donner un exemple. Pendant la crise au Timor oriental, l'état des routes était horrible dans ce pays. Tout le pays était détruit. Il a fallu reconstruire les maisons et reconstruire ou remettre en service les puits de l'autre côté de l'île et cela a représenté un très gros problème logistique. Le NCSM Provider était ancré dans la baie, et nous nous sommes rendus à bord en chaloupe pour parler à son capitaine et nous lui avons dit ceci: « Écoutez, vous avez à votre bord des pénichettes. Est-ce que vous ne pourriez pas embarquer des matériaux de construction et les débarquer sur la plage à Suai en utilisant ces péniches? » Quarante-huit heures plus tard, c'était chose faite. C'est de ce genre de chose que nous avons besoin. Mais comme ONG, nous ne pouvons pas le faire.

+-

    Le président: Vous avez un rappel au Règlement?

+-

    L'hon. Keith Martin: Non, mais M. Inani voudrait répondre à la question.

+-

    M. Tetsuo Itani: Le mouvement de la Croix-Rouge utilise un processus éprouvé pour le faire: pour commencer, l'implantation d'une délégation régionale de la fédération à Islamabad, de même que la délégation du CICR à Islamabad, la délégation du CICR à la Nouvelle-Dehli, et tout ce qui est fourni pour ce que nous appelons une table de mobilisation. Ces produits sont identifiés par la Société pakistanaise du Croissant-Rouge.

    Les sociétés nationales, 182 au total, sont appelées à contribuer. La plupart préfèrent donner de l'argent parce qu'il est plus facile d'acheter les produits nécessaires sur place que de les expédier parfois très loin par camion. S'il manque de fournitures médicales, par exemple, effectivement nous avons recours aux fournisseurs classiques, mais nous avons également accès aux entrepôts de la fédération et du CICR.

    En ce qui concerne la coordination, l'agence qui est aux commandes dans la hiérarchie est le Comité international de la Croix-Rouge qui consulte à la fois la Société pakistanaise du Croissant-Rouge et la Société indienne du Croissant-Rouge. Rien n'est fait d'une façon unilatérale. Aucune société nationale n'intervient sur le terrain sans y avoir été expressément invitée par les Sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge des deux pays.

    Bien avant l'arrivée du premier avion, c'est une de ces sociétés qui nous dit ce qu'elle attend de nous et nous sommes obligés, par le Traité, la Charte ou la Loi, de répondre du mieux possible.

+-

    M. Wajid Khan: Si je pose la question, c'est tout simplement parce que chaque jour, on m'appelle du Pakistan pour me dire qu'on aurait pu éviter énormément d'amputations s'il y avait eu suffisamment de vaccins antitétaniques... C'est pour cela que je vous ai posé cette question-là. Mais encore une fois, je n'ai pas entendu la réponse que j'attendais.

    Vous arrive-t-il de conférer avec vos partenaires militaires avant d'aller sur le terrain? Y a-t-il une quelconque planification préalable?

    Et laissez-moi vous dire quelque chose très clairement. Je ne mets pas du tout votre travail en doute. J'essaie simplement de voir comment nous pourrions vous rendre plus efficaces tout en vous permettant de conserver votre indépendance.

  +-(1240)  

+-

    M. Tetsuo Itani: Pour nous, la difficulté consistait à parvenir sur les lieux, quitte à employer des hélicoptères, afin de pouvoir secourir les blessés à temps. Quatre semaines sont passées, et pour certains d'entre eux il était manifestement trop tard. Des ressources limitées, des difficultés d'accès en raison des conditions météorologiques et d'un terrain difficile, voilà autant de facteurs qui nous ont empêchés de secourir à temps les plus vulnérables.

+-

    Le président: Nous allons maintenant entendre M. Martin.

+-

    L'hon. Keith Martin: Monsieur Watson, CARE aurait-elle pu faire ce que DART a réussi à faire au Pakistan sur le plan des travaux de génie, des secours médicaux et de la purification de l'eau?

+-

    M. A. John Watson: Absolument pas.

+-

    L'hon. Keith Martin: Mais en raison de l'intervention de DART sur le terrain, on a pu sauver des vies.

+-

    M. A. John Watson: Tout à fait.

+-

    L'hon. Keith Martin: Par conséquent, cela ne revient-il pas à ce que vous disiez... et je commencerais par dire que les membres de l'équipe DART sont polyvalents. Vous le savez bien, ils ne restent pas les bras croisés en attendant d'être déployés. Ils font toutes sortes de choses, et ils ont des activités multiples au sein des forces armées.

    Vous avez dit lors de votre intervention que c'était une question de coût. Savez-vous combien l'envoi de l'équipe DART au Pakistan a coûté aux contribuables canadiens?

+-

    M. A. John Watson: Est-ce que vous voulez poser toutes vos questions en une seule fois avant que je vous réponde?

+-

    L'hon. Keith Martin: Ma seconde question concerne les frais généraux des ONG comme CARE ou l'UNICEF. Savez-vous à combien ils se chiffrent?

+-

    M. A. John Watson: Je suis injustement privilégié parce que je sais que M. Martin a travaillé avec MSF, même s'il est ministre au gouvernement, et je pense donc...

+-

    L'hon. Keith Martin: Je ne suis qu'au purgatoire en étant au conseil des ministres.

+-

    M. A. John Watson: Il faudrait que vous vous en preniez après moi au sujet de la DART.

    Mais vous savez tout comme moi que ce n'est pas CARE qui pose problème. Le problème, c'est la coexistence entre les organismes humanitaires spécialisés et les militaires qui offrent une aide de type humanitaire.

    Je serais très heureux, lorsque tout sera terminé, d'apprendre combien a coûté le déploiement de la DART au Pakistan. Ce serait très utile.

    Pour ce qui est du déploiement au Sri Lanka, quelqu'un a rendu public le total des coûts de l'opération, et également le genre d'élément dont nous a parlé M. Khan au sujet du nombre phénoménal de litres d'eau potable qui ont été produits, etc. Mais lorsqu'on divise les deux, on arrive à quelque chose comme 4 $ le litre d'eau, 10 $ par passage sur le pont qui a été construit et 800 $ pour une visite de médecin. Vous qui avez travaillé avec MSF, vous savez qu'une ONG n'a pas ce genre de structure de coût.

    En ce qui concerne le commentaire de l'ACDI au sujet de DART, il y a eu la semaine passée un article au sujet d'une note de service qui disait que, selon l'ACDI, lorsque les militaires assurent ce genre de service, cela coûte au moins dix fois plus cher que lorsque c'est... Je ne veux pas dire pour autant que les militaires ne sont pas à leur place et qu'ils n'ont pas un rôle à jouer, ce que je veux dire, c'est que c'est à l'époque noire où on avait sabré dans les budgets de la défense qu'on avait créé l'équipe DART, et que si on l'avait créée, c'est pour donner bonne figure à l'armée sans avoir à dépenser de l'argent pour elle.

    Cette époque est maintenant révolue, et il faudrait maintenant rééquilibrer cette tâche très difficile qui appelle les forces armées en leur donnant la formation et l'infrastructure dont elles ont besoin pour pouvoir faire face à ces urgences complexes. À mon sens, DART n'est pas leur meilleur atout à cet égard.

+-

    L'hon. Keith Martin: Je voudrais vraiment pouvoir mettre la main sur les documents dont vous parlez parce qu'il serait fort intéressant d'avoir une ventilation de ces dépenses.

  -(1245)  

+-

    M. A. John Watson: Si vous y parvenez, pouvez-vous m'en faire parvenir copie?

+-

    L'hon. Keith Martin: Vous avez parlé d'une analyse qui faisait la ventilation de ce qu'avaient coûté les opérations au Sri Lanka. C'est tout à fait autre chose...

+-

    M. A. John Watson: C'était uniquement un calcul à la volée qui avait été fait à partir des chiffres rendus publics par le gouvernement en ce qui concernait les dépenses totales et les services offerts.

    Lorsque vous parlez de polyvalence, il ne faut pas oublier que bien souvent — l'équipe DART étant une énorme entreprise qui fait intervenir 220 personnes — cette polyvalence signifie que les gens qui sont envoyés là-bas font du travail manuel. Pourquoi alors dépenser autant d'argent?

+-

    L'hon. Keith Martin: En parlant de polyvalence, monsieur Watson, ce que je voulais dire c'est que les militaires font toutes sortes de choses différentes. Le coût dont je parlais lorsque vous avez évoqué la chose dans le cas du Sri Lanka, s'il s'agissait bien d'un calcul effectué à la volée... parce que le chiffre dont vous parlez ne correspond absolument pas au chiffre que j'ai moi-même pu voir, de sorte qu'il faudrait que nous discutions...

+-

    Le président: C'est cela la beauté de la démocratie: nous sommes d'accord sur le fait que nous ne sommes pas d'accord. Nous discutons entre nous, nous utilisons le temps qui nous est donné, nous posons des questions, nous affirmons des choses.

+-

    M. Claude Bachand: Et on n'arrête pas le temps qui passe.

-

    Le président: Exactement.

    Mais ce que je dirais pour conclure, comme plus personne ne semble vouloir demander à intervenir, et je sais aussi que mon bon ami M. Perron n'est pas ici, mais je suis d'accord jusqu'à un certain point avec ce qu'il disait. Nous sommes ici pour entendre votre avis et pour vous poser des questions. Mais je pense également que les membres d'un comité, les membres du comité en l'occurrence, ont également le droit d'exprimer leur avis ou leur point de vue. Tout comme vous comparaissez devant le comité ou devant un autre comité en votre qualité de témoin afin de nous influencer, si vous me permettez de la dire, par vos propositions, je pense que nous avons de ce côté-ci la même prérogative.

    Je pense que les temps d'intervention ont été prodigués à tous et à toutes avec générosité et cela continuera à être le cas. Si vous avez d'autres informations ou renseignements à nous communiquer, vous voudrez bien le faire par l'entremise du greffier.

    Cela étant dit, je voudrais remercier MM. Itani, Barr et Watson — je commence par ma gauche, mais cela ne veut rien dire, politiquement parlant, d'avoir pris le temps de venir et également pour ce que vous nous avez appris. Nous vous remercions très sincèrement. Au nom de tout le comité, je vous remercie pour votre participation à l'examen auquel nous nous livrons.

    Chers collègues, vous avez reçu la liste des témoins que nous demandons à faire comparaître aux prochaines réunions. Cette liste a été envoyée à vos bureaux. Elle correspond à ce dont nous avons discuté et à ce dont nous sommes convenus, prenez donc connaissance du calendrier puisque nous avons parlé de la motion en début de matinée. J'espère que la prochaine fois, c'est-à-dire mardi prochain, nous pourrons consacrer cinq minutes à un tour de table pour entendre vos commentaires à ce sujet.

    Encore une fois, merci messieurs. Sur ces mots, je lève maintenant la séance.