Passer au contenu
;

SINT Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

Pour faire une recherche avancée, utilisez l’outil Rechercher dans les publications.

Si vous avez des questions ou commentaires concernant l'accessibilité à cette publication, veuillez communiquer avec nous à accessible@parl.gc.ca.

Publication du jour précédent Publication du jour prochain
PDF

38e LÉGISLATURE, 1re SESSION

Sous-comité du commerce international, des différends commerciaux et des investissements internationaux du Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international


TÉMOIGNAGES

TABLE DES MATIÈRES

Le mardi 8 mars 2005




¹ 1540
V         Le président (M. John Cannis (Scarborough-Centre, Lib.))
V         M. Elliott Feldman (Baker, & Hostetler)

¹ 1545

¹ 1550
V         Le président
V         M. Lawrence L. Herman (conseiller juridique, Commerce international, Cassels, Brock, & Blackwell LLP)

¹ 1555
V         Le président

º 1600
V         M. Jon R. Johnson (Goodmans LLP)

º 1605
V         Le président
V         M. Donald McRae (titulaire de la chaire Hyman Soloway du droit des affaires et du commerce, Université d'Ottawa)

º 1610

º 1615

º 1620
V         Le président
V         M. Simon V. Potter (associé, McCarthy Tétrault LLP)

º 1625

º 1630

º 1635
V         Le président
V         Mme Belinda Stronach (Newmarket—Aurora, PCC)

º 1640
V         M. Simon V. Potter
V         M. Elliott Feldman

º 1645
V         Le vice-président (M. Ted Menzies (Macleod, PCC))
V         M. Lawrence L. Herman

º 1650
V         Le vice-président (M. Ted Menzies)
V         M. Pierre Paquette (Joliette, BQ)
V         Le vice-président (M. Ted Menzies)
V         M. Elliott Feldman

º 1655
V         Le vice-président (M. Ted Menzies)
V         M. Elliott Feldman
V         M. Pierre Paquette
V         M. Elliott Feldman
V         Le vice-président (M. Ted Menzies)
V         M. Simon V. Potter
V         M. Pierre Paquette
V         Le vice-président (M. Ted Menzies)
V         M. Elliott Feldman

» 1700
V         M. Ted Menzies
V         M. Jon R. Johnson
V         M. Pierre Paquette
V         M. Lawrence L. Herman
V         M. Pierre Paquette
V         M. Lawrence L. Herman
V         Le président
V         L'hon. Marlene Jennings (Notre-Dame-de-Grâce—Lachine, Lib.)

» 1705
V         Le président
V         M. Lawrence L. Herman
V         Le président
V         M. Simon V. Potter
V         L'hon. Marlene Jennings
V         M. Simon V. Potter
V         L'hon. Marlene Jennings
V         M. Simon V. Potter

» 1710
V         L'hon. Marlene Jennings
V         M. Simon V. Potter
V         Le président
V         M. Peter Julian (Burnaby—New Westminster, NPD)
V         M. Elliott Feldman
V         M. Jon R. Johnson

» 1715
V         M. Peter Julian
V         M. Jon R. Johnson
V         M. Peter Julian
V         M. Jon R. Johnson
V         M. Donald McRae
V         Le président
V         M. Donald McRae
V         Le président

» 1720
V         M. Donald McRae
V         Le président
V         M. Elliott Feldman
V         Le président
V         Dr. Elliott Feldman
V         Le président
V         M. Peter Julian
V         M. Lawrence L. Herman
V         M. Peter Julian
V         M. Donald McRae
V         Le président
V         L'hon. Mark Eyking (Sydney—Victoria, Lib.)
V         M. Ted Menzies
V         L'hon. Mark Eyking
V         M. Ted Menzies
V         M. Elliott Feldman

» 1725
V         Le président
V         L'hon. Mark Eyking
V         M. Elliott Feldman
V         M. Simon V. Potter
V         M. Jon R. Johnson
V         Le président
V         M. Lawrence L. Herman
V         M. Elliott Feldman
V         Le président










CANADA

Sous-comité du commerce international, des différends commerciaux et des investissements internationaux du Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international


NUMÉRO 014 
l
1re SESSION 
l
38e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le mardi 8 mars 2005

[Enregistrement électronique]

*   *   *

¹  +(1540)  

[Traduction]

+

    Le président (M. John Cannis (Scarborough-Centre, Lib.)): La séance est ouverte.

    Avant de présenter nos invités, j'aimerais demander quelque chose aux membres du comité. Comme vous le savez, plus tôt aujourd'hui, nous avons présenté notre budget au Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international. Je vous demanderais de bien vouloir prendre un moment, aujourd'hui ou demain, pour mettre les leaders à la Chambre de vos partis à jour à ce sujet. J'espère que nous pourrons régler la chose le plus rapidement possible, de façon à pouvoir commencer nos travaux à la grandeur du pays.

    Avant de présenter les invités, je vous signale la présence d'une personne spéciale parmi nous aujourd'hui. Gillian Prendergast est étudiante en science politique à l'Université McGill. Elle agira comme député fantôme. Nous sommes toujours heureux d'accueillir des étudiants.

    Gillian, je vous souhaite la bienvenue à Ottawa et à cette séance de travail. Je suis convaincu que vous y prendrez plaisir et vous verrez comment nous travaillons. Bienvenue parmi nous.

    Chers collègues, je voudrais maintenant vous présenter les témoins d'aujourd'hui. D'abord, M. Elliot Feldman de Baker & Hostetler LLP; M. Lawrence L. Herman, conseiller juridique en commerce international, Cassels Brock & Blackwell LLP; M. Jon Johnson de Goodmans LLP; M. Donald McRae, professeur en droit des affaires et du commerce à l'Université d'Ottawa; et M. Simon V. Potter, associé de McCarthy Tétrault LLP. Bienvenue parmi nous.

    Nous discuterons aujourd'hui des différends commerciaux canado-américains, plus particulièrement du Chapitre 19 de l'ALENA. Les témoins interviendront dans l'ordre où je les ai présentés. Chacun fera une intervention de 10 minutes suivie d'une ronde de questions.

    Monsieur Feldman, vous avez la parole.

+-

    M. Elliott Feldman (Baker, & Hostetler): Merci, monsieur le président. Merci beaucoup de m'avoir invité; c'est pour moi un honneur.

    Au milieu des années 80, le Canada a décidé de s'engager pleinement dans la négociation d'une entente de libre-échange avec les États-Unis, essentiellement parce que la Commission MacDonald avait conclu que l'avenir du Canada en dépendait.

    Le raisonnement était simple. La relation spéciale ayant apparemment pris en fin en août 1971, le Canada a tenté de diversifier ses marchés étrangers. En 1985, l'application de la troisième option s'est révélée être un échec retentissant, et la chimie du Sommet irlandais a permis au Canada d'obtenir un accès garanti au marché américain, comme possibilité optimale et peut-être unique.

    La prospérité du Canada dépend d'un accès garanti au marché américain. Allan Gotlieb a qualifié récemment la politique étrangère du Canada de conflit permanent entre romantisme et réalisme. Aucune politique étrangère canadienne, qu'elle soit romantique ou réaliste, ne peut faire fi des conclusions irréfutables de la Commission MacDonald.

    Le chapitre 19 constitue le coeur de l'accord de libre-échange et son aspect le plus novateur. Les autres caractéristiques de l'accord ne sont pas foncièrement différentes de ce que l'on peut trouver dans des ententes bilatérales que les États-Unis ont conclues avec d'autres partenaires. En appliquant le chapitre 19 au Mexique, cet arrangement se distingue de toute relation, traité, entente ou arrangement conclus par les États-Unis avec tout autre pays.

    Ainsi donc, le chapitre 19 est unique et d'une utilité unique pour le Canada. Les États-Unis ont refusé de négocier quoi que ce soit de similaire avec quelque autre partenaire, et regrettent de l'avoir négocié avec le Canada et appliqué au Mexique.

    La raison est simple. Le Canada a obtenu gain de cause dans la plupart des différends présentés aux groupes spéciaux institués aux termes du chapitre 19, et les compagnies privées américaines estiment qu'elles auraient pu obtenir davantage devant des tribunaux américains. Les États-Unis désirent donc éliminer le chapitre 19, ce qu'ils tentent de faire depuis dix ans.

    L'abolition du chapitre 19 signifie la fin de l'ALENA. L'ALENA est sans nul doute la source d'une prospérité économique au Canada dont le moteur est l'accès au marché américain garanti par le chapitre 19.

    Bien que le Canada ait des antécédents formidables en matière de négociations avec les États-Unis, il a aussi une longue histoire de rejets, alors qu'il pensait avoir obtenu satisfaction. Il suffit de penser à l'Accord sur les ressources halieutiques de la côte Est. L'équipe de négociateurs du Canada, sous la direction de Marcel Cadieux, a certainement obtenu un accord favorable au Canada. Trop favorable. La délégation de la Nouvelle-Angleterre au Sénat américain a voté unanimement contre. Les États-Unis ne perdront jamais de négociations avec le Canada, et ils prendront le temps nécessaire. Le chapitre 19, engageant les États-Unis à respecter la primauté du droit dans les transactions commerciales avec le Canada et à donner littéralement l'avantage aux tribunaux nationaux, a constitué une des façons par lesquelles le Canada a pu être traité équitablement, en tant que partenaire, dans ses relations bilatérales avec les États-Unis.

    Cette institution unique a permis de maintenir la souveraineté du Canada. Il y a à cela plusieurs raisons. En premier lieu, comme l'a fait remarquer la Commission MacDonald, pour être souverain, le Canada doit être économiquement indépendant, ce qui ne peut se réaliser que par la voie d'un accès garanti au marché américain après l'échec manifeste de la troisième option.

    En deuxième lieu, le chapitre 19 et les autres dispositions de l'ALENA permettent d'éviter une union douanière et une intégration politique, contrairement à l'évolution qui caractérise l'Europe, et de préserver ainsi l'indépendance du Canada. L'ALENA occupe l'espace politique et économique qui, autrement, serait occupé par la relation plus intégrée aux États-Unis que de nombreux Canadiens estiment aujourd'hui nécessaire, mais qui est peut-être impossible à obtenir.

    En troisième lieu, le Canada subit des pressions intenses et inévitables pour s'intégrer aux États-Unis de bien des façons, pour des raisons de sécurité. La frontière est une entreprise de plus en plus commune, tout comme la circulation des marchandises, des personnes et des services. Un périmètre de défense signifie nécessairement intégration, une évolution à laquelle on ne peut résister car il y va de la paix et de la prospérité de nos deux peuples.

    En quatrième lieu, les manifestations d'indépendance de certains stratèges de la politique étrangère canadienne qui continuent de privilégier un idéal romantique d'indépendance par le multilatéralisme produisent chez les Américains une réaction qui réduit encore plus l'influence et la stature du Canada, du fait même de notre faible population et du recul de notre influence internationale. Le seul mécanisme institutionnel qui soutient le profil d'indépendance du Canada est, ironiquement, la configuration institutionnelle de l'ALENA et surtout du chapitre 19.

¹  +-(1545)  

    Malgré l'importance énorme que le chapitre 19 revêt pour l'identité, la souveraineté et la prospérité du Canada, notre pays a eu tendance à en gaspiller les avantages, tout en négligeant des occasions présentées dans les autres chapitres de l'ALENA. Pour leur part, les États-Unis continue de saisir chaque occasion de diminuer l'indépendance économique et politique du Canada et comprennent bien les obstacles que le chapitre 19 représente. Les États-Unis ont érigé une offensive concertée tandis que le Canada n'a malheureusement réagi que de façon timorée.

    Au nom du Conseil des affaires canadiennes-américaines, nous avons rédigé un document que nous avons diffusé en juin dernier et fait déposer devant ce comité par M. Carl Grenier; ce document fait l'historique, en quelque sorte, du chapitre 19 et décrit par le menu la stratégie américaine visant à priver le Canada des avantages uniques que lui confère le chapitre 19. Et, même si nous estimons que l'analyse a attiré beaucoup d'attention, elle n'a pas donné lieu à des mesures concrètes. À cet égard, l'attentisme n'est pas en faveur du Canada.

    On m'a souvent demandé de proposer des mesures précises. La gestion et le maintien des dispositions du chapitre 19 sont un recul, mais tout n'est pas perdu. Nous pouvons fournir une liste détaillée des mesures à prendre, en commençant par donner de l'expansion aux secrétariats nationaux, les améliorer sur le plan professionnel, les protéger du contrôle physique, géographique et budgétaire des organismes qui témoignent devant eux et leur donner au moins autant de pouvoirs que n'en ont les greffiers des tribunaux. Il est difficile de comprendre pourquoi les secrétariats de l'ALENA n'ont absolument aucun pouvoir, même pas celui de résister aux instructions illégales et abusives que leur donnent parfois les gouvernements nationaux qui prétendent les contrôler.

    Les membres des groupes spéciaux doivent recevoir une rémunération raisonnable, mais surtout, ont droit au respect accordé aux juges et à la gratitude des gouvernements qu'ils servent, souvent au prix de sacrifices personnels. Il faut créer un mécanisme d'application des règles, de sorte que les gouvernements indisciplinés et contrôlants n'aient plus la possibilité de passer outre aux règles, ni de les enfreindre comme ils le font presque couramment. Si le Canada veut que les États-Unis assument leurs obligations juridiques, il doit, si ce n'est donner l'exemple, au moins respecter les mêmes règles.

    Nous avons laissé entendre que le moyen le plus prometteur de réparer le chapitre 19 est le chapitre 20. Le Canada a tendance à oublier que l'ALENA est quasiment inconnu du monde entier. Les États-Unis ne sont pas insensibles à leurs relations avec le Canada, même s'ils désirent, comme toujours, nous tenir pour acquis ou, comme c'est le cas actuellement, présenter sous un jour négatif l'ami des beaux jours.

    Les États-Unis s'affèrent à forger des ententes commerciales bilatérales avec d'autres partenaires. La toile de fond de ces négociations est la réussite présumée de l'ALENA, pierre angulaire de nos relations avec notre voisin le plus proche. Faire savoir au monde que les États-Unis n'honorent pas leurs obligations internationales envers le Canada—ils ne respectent pas les modalités des ententes—ferait réagir fortement Washington. Ce message serait envoyé, très clairement et de façon très véhémente, par une demande officielle de consultations, prévues au chapitre 20, pour remédier aux violations du chapitre 19. Les démarches prévues au chapitre 20 ne sont pas exécutoires, mais elles sont visibles et ont un pouvoir de persuasion.

    Le chapitre 19 n'est pas mort, mais il est mal en point. Le Canada devrait faire tout en son pouvoir, notamment mobiliser l'appui du Mexique, pour le ressusciter en insistant pour qu'il soit respecté et ses règles, suivies. C'est au gouvernement du Canada de prendre ces mesures et cela ne se fera pas du jour au lendemain.

    Entre temps, les entreprises canadiennes sont aux prises avec les structures d'un système en train de s'effondrer. La solution, à laquelle recourent déjà les Canadiens dans la guerre sur le bois d'oeuvre, est d'abandonner le chapitre 19 et d'en revenir aux tribunaux américains. Que les entreprises privées du Canada aient fait ce choix, avec l'accord du gouvernement du Canada, est un signe manifeste qu'il faut agir de toute urgence.

    Le gouvernement du Canada a les ressources nécessaires pour sauver le chapitre 19, mais les entreprises privées du pays n'ont pas toujours les ressources nécessaires pour survivre dans les limites de ce chapitre. Elles ont besoin d'aide financière, elles y ont droit, pour pouvoir défendre leurs intérêts et respecter la primauté du droit.

    J'ai été provocateur délibérément, car, faute de temps, je ne peux entrer dans de grandes explications, ni faire preuve de subtilité. Je serais ravi de répondre aux questions que vous pourriez me poser et d'expliquer les propos que je viens de tenir.

    Merci beaucoup.

¹  +-(1550)  

+-

    Le président: Merci beaucoup, monsieur Feldman.

    Nous passons maintenant à M. Herman.

+-

    M. Lawrence L. Herman (conseiller juridique, Commerce international, Cassels, Brock, & Blackwell LLP): Merci à vous, monsieur le président, et aux membres du comité.

    Je dois dire que je ne suis pas en désaccord avec M. Feldman. Voici comment je vais procéder. Je parlerai d'abord du chapitre 19 tel qu'il existe à l'heure actuelle, puis je proposerai des façons d'améliorer le fonctionnement du système—et je reviendrai sur certaines des observations qu'il a faites.

    Il faut reconnaître deux choses dans le cas du chapitre 19. Premièrement, il s'agit d'un mécanisme restreint qui autorise seulement l'examen judiciaire des décisions prises par des organismes responsables des questions commerciales. Comme le disait M. Feldman, c'est unique dans l'histoire des traités avec les États-Unis, mais il s'agit d'un processus limité, qui ne prend pas en compte les principes plus généraux du libre-échange. Voyons donc en quoi il consiste.

    Le chapitre 19 fonctionne raisonnablement bien en tant que processus restreint. Ceux d'entre nous qui ont pris part aux travaux concernant le chapitre 19 de l'ALENA pourront vous dire qu'il fonctionne très bien et offre des avantages par rapport aux recours aux tribunaux nationaux. Certains de ces avantages sont cependant diminués, voire perdus à cause des retards. Nous pourrons peut-être aborder cet aspect pendant la ronde des questions. Donc, le chapitre 19 fonctionne bien, mais il devra être amélioré.

    Le problème qui se pose dans le cas du différend sur le bois d'oeuvre, et je pense que M. Feldman y a fait allusion, c'est que les organismes américains ne tiennent aucun compte des décisions des groupes spéciaux de l'ALENA, et lorsqu'ils se conforment à des ordonnances de renvoi, c'est à contrecoeur. Tout cela porte atteinte au respect pour les procédures et processus du traité, aux États-Unis. Quand à savoir si le chapitre 19 est mal en point, nous pourrons en discuter. Toutefois, une chose est certaine, c'est que, aux États-Unis, on éprouve peu de respect pour les décisions des groupes spéciaux visés au chapitre 19 de l'ALENA et, lorsqu'on s'y conforme, c'est de mauvais gré. C'est certainement très préoccupant.

    L'une des principales lacunes de l'ALENA est l'absence d'un noyau institutionnel. Le chapitre 19, dans sa forme actuelle, reflète cette lacune. Il existe bien des organismes fictifs, comme la Commission du libre-échange. Cette commission possède certaines fonctions liées au traité, mais elle ne les exerce pas réellement. Je pense que le comité devrait se pencher sur la question. Les secrétariats de l'ALENA, au nombre de trois, sont eux aussi des organismes fictifs. En fait, ils sont plutôt des relais qui supervisent les systèmes nationaux de groupes spéciaux, sans plus.

    Les organismes principaux sont donc fictifs, aussi bien la commission, qui est censée être composée de représentants de niveau ministériel, que les secrétariats qui ne fonctionnent pas réellement. Pourtant, aux termes du traité, ils ont des pouvoirs étendus qu'ils pourraient exercer. Je pense qu'il faudrait en tenir compte.

    L'un des problèmes de l'ALENA, comme le disait M. Feldman, c'est l'absence de noyau institutionnel. La création d'une institution permanente contribuerait, du moins nous l'espérons, à établir la légitimité du traité aux yeux de certains de nos partenaires américains.

    Je pense qu'il faudrait aussi songer à institutionnaliser le système de groupes spéciaux. L'absence d'un système central de groupes spéciaux permanents pose également un problème. Les groupes spéciaux n'ont qu'un caractère ponctuel et ne sont constitués que pour s'occuper de cas particuliers relevant du chapitre 19. Ils sont composés des personnes qui se trouvent à être disponibles au moment voulu; or, il devient de plus en plus difficile de trouver des gens, en particulier des praticiens, qui acceptent de faire partie de ces groupes spéciaux.

¹  +-(1555)  

    L'une des caractéristiques des groupes spéciaux visés au chapitre 19 est qu'ils devaient être composés de spécialistes du droit commercial et être en mesure d'examiner des cas faisant l'objet d'un examen judiciaire. Il devient de plus en plus difficile de trouver des gens compétents; la rémunération est trop faible et les contraintes de temps trop lourdes, ce qui a pour effet de dissuader les intéressés de faire partie de ces groupes spéciaux. Les conflits liés au recrutement des gens constituent également un problème fondamental.

    Je pense également qu'il serait bon d'avoir des groupes spéciaux institutionnalisés. Nous pourrions aller plus loin. Nous pourrions avoir des groupes spéciaux ponctuels qui seraient saisis des différends en matière d'investissement. Il s'agit d'une question complexe, parce que les différends en matière d'investissement font intervenir d'autres dispositions. Ce type de différends, visés par le chapitre 20, et les différends sur des services financiers sont tous traités par des systèmes de groupes spéciaux différents. Il est donc possible d'imaginer que des groupes spéciaux permanents puissent s'occuper d'une gamme de différends. En ce qui concerne le chapitre 19, l'institutionnalisation des groupes spéciaux contribuerait à doter le système de l'ALENA du noyau qui lui fait défaut.

    Pour ce qui est d'améliorer le fonctionnement du système actuel, je terminerai par deux observations.

    Premièrement, les gens, à Washington, aiment les lois commerciales telles qu'elles sont. Ils ne sont pas particulièrement entichés du chapitre 19. Les administrations américaines, républicaines comme démocrates, quelle que soit la composition du Sénat ou de la Chambre des représentants, ne voudront vraisemblablement pas modifier les lois commerciales américaines. C'est pourquoi il faut tenir compte de la réalité politique, quelles que seront les recommandations qui soient faites.

    Par ailleurs, le Canada doit démontrer plus de fermeté, et je suis d'accord avec M. Feldman lorsqu'il dit que le gouvernement ne s'est pas montré suffisamment ferme jusqu'à maintenant. Autrement dit, lorsque les procédures et processus de l'ALENA ne fonctionnent pas, où lorsque les dispositions du traité ne sont pas entièrement respectées ou appliquées, le gouvernement du Canada devrait intervenir énergiquement. Cela rejoint le rôle de la commission, celui du secrétariat et le fonctionnement des instances de l'ALENA.

    Enfin, pour revenir à ce que je disais plus tôt, il serait possible de rendre le processus du chapitre 19 plus efficace—même en tenant compte des contraintes du système actuel—en réglant certains problèmes liés aux calendriers et aux nominations, et en donnant un caractère permanent au processus.

    Merci.

+-

    Le président: Merci, monsieur Herman.

    Monsieur Johnson, vous avez la parole.

º  +-(1600)  

+-

    M. Jon R. Johnson (Goodmans LLP): Merci beaucoup, monsieur le président.

    Je voudrais aborder deux questions résultant de l'actuel conflit sur le bois d'oeuvre qui, je crois, vont porter les choses à un point critique en ce qui concerne le chapitre 19, et obliger le Canada à s'affirmer.

    Le différend sur le bois d'oeuvre, comme vous le savez tous, est probablement le plus important différend que nous ayons jamais eu avec les États-Unis. Il est difficilement soluble en raison de la force du groupe de pression qui représente les intérêts des producteurs de bois d'oeuvre et des milliards de dollars qui sont en jeu. Le problème est d'ailleurs exacerbé par l'amendement Byrd, qui prévoit que cet argent sera versé aux membres de l'industrie; c'est dire que des pressions extrêmes seront exercées pour que les États-Unis aient finalement gain de cause.

    C'est ce qui rend ce différend commercial pratiquement insoluble. Ce genre de différend crée des pressions énormes sur les mécanismes de règlement des accords commerciaux car, en définitive, les États-Unis sont un pays souverain et s'ils choisissent de ne pas se conformer, tout ce que pourra faire le Canada, ce sera de leur retirer les avantages de l'ALENA. Nous ne pouvons pas obliger les Américains à se conformer.

    Les deux faits dont je veux parler sont, en un sens, extrêmement techniques, mais je vais tenter de vous les expliquer très rapidement et le plus simplement possible. Ces deux faits pourraient gravement nuire au chapitre 19 dans l'avenir, sinon le conduire à sa perte.

    Le premier fait est une décision rendue en vertu de l'article 129 de la Uruguay Round Agreements Act, la Loi américaine de mise en oeuvre de l'accord de l'OMC. Essentiellement, le gouvernement américain estime, à tort ou à raison en vertu de la loi américaine—mais probablement à tort—que cette nouvelle décision prévaut sur une décision rendue par un groupe spécial binational de l'ALENA.

    Deuxièmement, le gouvernement américain a décidé que les décisions rendues par les groupes spéciaux binationaux s'appliquent de façon prospective. Autrement dit, lorsqu'un groupe spécial rend une décision qui annule une ordonnance d'imposition de droits compensateurs, le montant des droits n'est pas remis à ceux qui les ont payés, contrairement à ce qui se passe lorsque des instances nationales tranchent la question.

    Permettez-moi de parler très rapidement de l'article 129 de l'Uruguay Round Agreements Act. Cet article a été adopté pour faire contrepoids à l'application de la décision du groupe spécial ou de l'organe d'appel de l'OMC, qui a statué que l'ordonnance d'imposition de droits antidumping ou compensateurs, ou de certains de leurs éléments, n'était pas conforme aux obligations découlant de l'OMC.

    Essentiellement, l'article 129 prévoit le renvoi de l'affaire à l'organisme en question—celle qui nous intéresse, en l'occurrence, est la Commission du commerce international—qui rend une nouvelle décision non contraire à celle du groupe spécial ou de l'organe d'appel.

    Or, dans le cas du différend sur le bois d'oeuvre, il existe toute une kyrielle d'amendements. Je ne parlerai que de l'un d'eux.

    La décision relative au préjudice a été renvoyée à la Commission internationale du commerce, qui a statué qu'il y avait menace de préjudice, ce qui était nécessaire pour justifier l'imposition de droits antidumping ou compensateurs. Si l'instance avait décidé qu'il n'y avait pas de préjudice ou de risque de préjudice, les droits n'auraient pu être imposés.

    Le Canada a utilisé les deux recours possibles. Premièrement, le gouvernement du Canada et l'industrie ont invoqué le droit d'exiger, en vertu du chapitre 19, un examen par un groupe spécial binational; et deuxièmement, ils ont entamé auprès de l'OMC des procédures de contestation de la décision de la CCI sur la menace de préjudice.

    Bien entendu, le groupe spécial binational applique la loi américaine. Or, il a statué que la décision confirmant l'existence d'une menace de préjudice n'était pas valable en vertu de la loi américaine. Après de nombreux amendements et renvois, la CCI a annulé sa décision.

    La décision du groupe spécial binational est contestée en vertu de la procédure de contestation extraordinaire, qui durera six mois. Si le Canada a gain de cause, la décision du groupe spécial binational sera confirmée, la dernière décision de la CCI sera maintenue et les droits, abolis.

º  +-(1605)  

    Le Canada a également eu gain de cause devant l'OMC. Le groupe spécial chargé d'appliquer les règles de l'OMC est parvenu, à peu près aux mêmes conclusions que le groupe spécial binational qui a interprété la loi américaine. L'affaire a été renvoyée à un groupe spécial visé à l'article 129, qui a rendu une décision positive, autrement dit il a statué qu'il y avait menace de préjudice. La position du gouvernement américain est qu'une décision affirmative a préséance sur une décision négative du groupe spécial binational de l'ALENA. Là encore, à tort ou à raison, c'est la position que semblent prendre les Américains. Cela créera un véritable problème à la fin du processus de contestation extraordinaire, si le Canada a gain de cause. Bien que les appels à l'OMC soient relativement peu fréquents en ce qui concerne les droits antidumping ou compensateurs imposés par les Américains à des biens canadiens, en définitive le Canada serait très peu enclin à avoir recours aux procédures de contestation si, en fin de compte, les États-Unis utilisent le processus pour se soustraire à une décision du groupe spécial binational.

    L'autre élément, probablement plus simple mais plus dangereux, c'est que le gouvernement américain a décidé que les décisions du groupe spécial binational ne s'appliquent que de façon prospective. Cela signifie que même si une décision vient invalider des droits antidumping ou compensateurs, le gouvernement gardera l'argent des droits ou remettra cette somme à l'industrie à titre de paiement en vertu de l'amendement Byrd, et les droits cesseront de s'appliquer à partir de ce moment. Le problème ne s'est pas vraiment posé jusqu'à maintenant, puisque le gouvernement américain remettait l'argent—il y mettait parfois un certain temps ou soulevait certains obstacles—; or, le gouvernement américain a maintenant décidé que l'argent ne serait pas remboursé en vertu de l'ALENA.

    En fait, les dispositions de la loi américaine relatives au remboursement des droits sont plutôt alambiquées. Quoi qu'il en soit, les choses se passent différemment, selon que vous utilisez les procédures nationales ou avez recours au groupe spécial binational. Si la décision américaine est maintenue—de sorte que vous ne récupéreriez pas votre argent si vous vous adressiez aux instances de l'ALENA, alors que vous le récupéreriez ou auriez une meilleure chance d'y arriver en ayant recours aux instances nationales américaines—personne n'utilisera jamais le chapitre 19. Il n'y aurait aucune incitation à le faire. Cette situation est donc tout au détriment du chapitre 19.

    Pour ce qui est des solutions possibles, M. Feldman a évoqué le chapitre 20. L'ALENA prévoit des recours. Il en existe un autre en vertu du chapitre 19. Les décisions prises par le gouvernement américain vont à l'encontre de l'ALENA. Aussi, le Canada pourrait avoir gain de cause s'il s'adressait aux instances de l'ALENA.

    Voici, fondamentalement, comment les choses devraient se passer. Les États-Unis devraient avoir un choix. Ils pourraient négocier avec le Canada et respecter le chapitre 19, ce qui permettrait au Canada d'obtenir ce qu'il a initialement négocié. Dans le cas contraire, le Canada aurait le droit d'utiliser de représailles en suspendant l'application d'autres dispositions de l'ALENA, ou du moins retirer aux États-Unis les avantages qu'ils en retirent. Les Américains devraient accorder au Canada la chose qu'il a initialement négocié et qui revêt pour lui une très grande importance—à savoir un chapitre 19 viable—, sinon ils perdraient les avantages de certaines dispositions de l'ALENA, auxquels ils accordent une très grande valeur.

    J'ai terminé.

+-

    Le président: Merci beaucoup, monsieur. Johnson.

    Nous passons maintenant à M. McRae.

+-

    M. Donald McRae (titulaire de la chaire Hyman Soloway du droit des affaires et du commerce, Université d'Ottawa): Merci, monsieur le président.

    J'aimerais revenir sur certaines observations qu'a faites Larry Herman, au début de son exposé, au sujet du chapitre 19. Il faut se rappeler qu'il s'agit d'une section modeste et limitée. Il faut garder à l'esprit ce que ce chapitre est censé faire, ce qu'on peut en tirer, et non pas lui imputer la responsabilité d'une bonne partie des différends commerciaux actuels entre le Canada et les États-Unis.

    Lorsqu'il a négocié l'Accord de libre-échange avec les États-Unis, le Canada voulait évidemment être soustrait aux dispositions législatives américaines sur les recours commerciaux. Il voulait un tribunal, mais il n'a pas obtenu grand-chose. On pourrait même dire qu'il a obtenu très peu, à savoir le chapitre 19. Sans aller jusqu'à en faire la pierre angulaire des relations canado-américaines, comme l'a fait Elliot Feldman, je pense que le chapitre 19, quoique de portée très limitée, constitue une institution utile et très précieuse.

    Il propose une approche novatrice des problèmes. Novatrice, dans la mesure où il n'est pas nécessaire d'appliquer les normes internationales; chaque pays applique équitablement ses propres lois. Le chapitre 19 a été adopté pour satisfaire aux attentes du Canada car, à l'époque, les entreprises canadiennes n'étaient pas traitées équitablement par les organismes des États-Unis, puis par les cours fédérales américaines.

    Le chapitre 19 a innové également en soustrayant le contrôle de l'application des lois nationales aux instances nationales. Au lieu de laisser les tribunaux contrôler l'application de la loi, le chapitre 19 a créé un rôle pour les groupes spéciaux binationaux. La décision n'appartenait plus aux cours fédérales, et les groupes spéciaux binationaux, comme on l'a dit, allaient être dotés non pas de juges généralistes mais de spécialistes du droit commercial. Évidemment, ils avaient un pouvoir limité, notamment le pouvoir de renvoyer une affaire à une instance nationale, laquelle devait rendre un décision qui n'aille pas à l'encontre des décisions des groupes spéciaux. Ces derniers n'ont pas le pouvoir de substituer leurs décisions à celles des organismes nationaux quoique, dans les faits, certains d'entre eux viennent tout près de le faire.

    Je pense que la création des groupes spéciaux a engendré des avantages modestes. Ces groupes ont notamment démontré l'efficacité de ce système. En effet, les Canadiens et Américains qui en font partie, généralement des spécialistes du droit commercial, quoique cela ait tendance à changer à certains égards, ont réussi à travailler efficacement ensemble, à interpréter efficacement les lois nationales de leurs homologues et à prendre des décisions collégiales. Ce processus décisionnel collégial, qui est quelque chose de différent et de nouveau, s'est révélé efficace.

    Je pense que l'autre grand bienfait, et les études tendent à le confirmer, c'est que les organismes nationaux ont modifié de façon perceptible leur façon de procéder en raison des décisions prises par les groupes spéciaux établis en vertu du chapitre 19. C'est particulièrement le cas du département du Commerce et de la Commission du commerce international. Ces deux organismes ont dû examiner leurs décisions. Ils ont dû les fonder sur des arguments raisonnés et sur des conjectures. Ils ne l'ont pas forcément toujours fait, mais ils ont dû revoir leurs décisions. Ils ne l'ont pas fait de bon gré. Ces organismes ont parfois eu des propos très durs à l'endroit des groupes spéciaux. Malgré cette acrimonie, les groupes spéciaux ont eu un effet perceptible sur le processus d'application, dans les trois pays, des dispositions législatives relatives aux droits antidumping et compensateurs.

    Compte tenu de ces modestes succès, en quoi le chapitre 19 a-t-il échoué? Curieusement, une étude effectuée pour le compte de l'Institut C.D.  Howe, en 2002, conclut que le chapitre 19 fonctionne très bien et est avantageux pour le Canada. Pourtant, une étude effectuée l'an dernier pour le Conseil des affaires canadiennes-américaines, dont parle plus tôt Elliot Feldman, arrive à la conclusion que le chapitre 19 comporte de graves lacunes et qu'il n'assure pas au Canada tous les avantages qu'il est en droit d'en attendre.

    Qu'est-ce qui a changé entre 2002 et 2004? Je pense que ce qui a vraiment changé, s'il s'agit effectivement d'un changement, peut être résumé en quelques mots : le bois d'oeuvre. Puisque les questions de recours commerciaux, dans l'Accord de libre-échange Canada-États-Unis, concernaient essentiellement le bois d'oeuvre, le chapitre 19 a été perçu, et dans une certaine mesure présenté, comme un moyen de prévenir de nouveaux différends sur le bois d'oeuvre. Ce n'est pas ce qui s'est passé en vertu de l'Accord de libre-échange Canada-États-Unis. Ça n'a pas non plus été le cas en vertu de l'ALENA.

    Je pense que pour que le chapitre 19 ait pu constituer le moyen de résoudre le différend sur le bois d'oeuvre, compte tenu des objectifs de ce chapitre, il aurait fallu que le différend porte exclusivement sur le respect ou le non-respect des lois américaines par les États-Unis. Évidemment, ce n'était pas là l'objet du différend, du moins en grande partie. C'est peut-être le cas partiellement, dans la mesure où il s'agit de voir si les États-Unis appliquent les lois dans le respect des obligations liées à l'OMC. La question a évidemment été renvoyée au groupe spécial de l'OMC.

º  +-(1610)  

    Il s'agit en grande partie d'une question politique qui est liée, et d'une part, comme on l'a dit, au pouvoir des groupes de pression à Washington, et d'autre part au fait que le système américain d'application des obligations internationales des États-Unis est dysfonctionnel. Je pense que la chose a été démontrée, notamment dans le cas du bois d'oeuvre, mais aussi en raison des difficultés qu'éprouvent les États-Unis à appliquer certaines décisions du groupe spécial de l'OMC. Aussi, le fait de modifier le chapitre 19 n'aurait aucun effet sur ce que j'appelle un processus national dysfonctionnel.

    Je ne tente pas d'écarter les préoccupations concernant les retards dans les nominations aux groupes spéciaux ou le fait que les décisions tardent à venir, ce dont ont parlé Elliot Feldman et Jon Johnson.

    En dépit de ces problèmes, qui à plusieurs égards sont liés au différend sur le bois d'oeuvre, le modèle du chapitre 19 concernant les organismes de contrôle demeure efficace. Les groupes spéciaux renvoient souvent tout ou partie des décisions. Une autre étude de l'Institut C. D. Howe révèle que sur 26 décisions du département du Commerce ayant fait l'objet d'examen, cinq seulement ont été retenues sans faire l'objet d'un renvoi. Toutes les autres ont fait l'objet de renvois, en partie ou en totalité. En général, les groupes spéciaux prennent des décisions unanimes, ou du moins sans dissidence, et c'est notamment le cas des groupes spéciaux chargés du dossier du bois d'oeuvre. La preuve en est dans le rapport du Conseil des affaires canadiennes-américaines, qui est très convainquant.

    Et même si on arrivait à la conclusion que les États-Unis appliquaient une stratégie visant à saper les décisions impartiales des groupes spéciaux, il faudrait reconnaître que ce n'est pas efficace.

    À la lumière de ce qui précède, je pense que nous avons avantage à conserver le chapitre 19. L'alternative, à savoir retourner à la Cour fédérale, n'est pas sérieusement envisageable. Ceux qui ont eu recours au chapitre 19 l'ont fait pour affirmer leur volonté. Ils continuent d'invoquer le chapitre 19, même s'il peut être en perte d'efficacité. Malgré les inconvénients du chapitre 19, on préfère l'utiliser que de s'adresser aux tribunaux.

    Peut-il être amélioré? J'aimerais m'attarder à un aspect du chapitre 19 qui pourrait être amélioré. Il s'agit d'un sujet qui n'a pas été abordé : la question de l'appel. Il n'existe aucune disposition permettant d'en appeler des décisions des groupes spéciaux visés au chapitre 19. Il n'y a que la procédure de contestation extraordinaire, dont parlait plus tôt Jon Johnson. Cette procédure comporte certains des pièges du processus d'appel, mais son application est limitée aux questions de faute grave ou aux cas de conflit d'intérêt ou d'allégations selon lesquelles un groupe spécial s'est écarté des règles de procédure fondamentales. Il faudrait aussi démontrer que le groupe spécial a manifestement excédé ses pouvoirs, par exemple en omettant d'appliquer la norme de contrôle appropriée. Il faudrait aussi démontrer que cela a entaché la décision du groupe spécial binational et menacé son intégrité. Ce sont des choses très difficiles à prouver.

    Il y a eu trois contestations extraordinaires en vertu de l'Accord de libre échange Canada-États-Unis. Jusqu'à maintenant, deux contestations en vertu de l'ALENA ont fait l'objet de décisions, et une autre est en cours d'examen. Le recours à ce processus a toujours été litigieux. Lorsque les États-Unis ont présenté une première contestation en vertu de l'Accord de libre-échange Canada-États-Unis, certains ont fait valoir que les Américains utilisaient le processus à mauvais escient, c'est-à-dire comme moyen détourné pour aller en appel. Le Comité de contestation extraordinaire, dans l'affaire de la décision du groupe spécial sur le préjudice relatif au bois d'oeuvre, en vertu de l'accord de libre échange Canada-États-Unis, n'a pas été bénéfique pour le processus. Le comité s'est scindé en fonction des nationalités, et un membre du comité, le juge Wilkey, s'est livré à une attaque sans retenue contre le chapitre 19. Je ne pense pas que le juge Wilkey ait beaucoup aidé sa propre cause en agissant de la sorte.

    Il semble toutefois que le recours au processus de contestation extraordinaire soit de nouveau en faveur. Les auteurs du rapport du Conseil des affaires canadiennes-américaines ont accusé les États-Unis de tenter de transformer le processus de contestation extraordinaire en appel. En fait, je pense que c'est effectivement ce que les parties devraient faire. À mon avis, le processus contribue peu à renforcer la confiance envers le chapitre 19 ou envers sa légitimité. Comme je le disais, les motifs sont limités. Les probabilités que le Comité de contestation extraordinaire se prononce en faveur d'un requérant sont minces. Il y a là quelque chose d'ironique, car si les comités accueillaient toujours les plaintes présentées contre un groupe spécial, je pense que le processus des groupes spéciaux perdrait en crédibilité. Si le comité de contestation rejetait toujours les plaintes, c'est le processus de contestation qui perdrait de sa crédibilité. Je crois que les deux contestations qui ont fait l'objet de décisions des instances de l'ALENA font ressortir le problème de la crédibilité.

º  +-(1615)  

    Dans le premier cas, celui du ciment Portland, le comité a rejeté la pétition même s'il a jugé que le membre dissident du groupe spécial avait raison. Dans le deuxième cas, celui du magnésium pur du Canada, le comité a jugé que le groupe spécial avait manifestement outrepassé ses pouvoirs. Le comité a ajouté que cela avait probablement eu une incidence sur la décision du groupe spécial, mais comme il n'y avait pas eu menace à l'intégrité du processus du groupe spécial, il a rejeté la pétition. Ainsi, dans les deux cas, les organismes ont dû accepter, après renvoi, des décisions que des organes d'examen indépendants ont qualifiées d'imparfaites à certains égards, et je ne crois pas que cela fasse quoi que ce soit pour favoriser le respect du processus par les organismes ou la confiance du public à l'égard du processus.

    Nous devrions envisager la possibilité d'un appel, s'éloigner de la contestation extraordinaire et ne pas limiter les appels aux cas d'inconduite ou d'erreur-type énorme, comme c'est le cas actuellement. Ces motifs devraient être maintenus, mais on devrait permettre un appel lorsque le groupe spécial a erré dans son interprétation de la loi nationale du pays dont la décision de l'agence est examinée, en ce sens que le comité ne devrait pas avoir à montrer qu'il y a eu menace à l'intégrité du processus du groupe spécial. À mon avis, une décision d'un groupe spécial qui a fait l'objet d'un appel risque d'avoir plus de crédibilité aux yeux d'un organisme national, et cela pourrait aider à éliminer une partie du va-et-vient qui se passe entre les groupes spéciaux et les organismes nationaux.

    Certaines exigences devraient être associées à un tel processus. Il faudrait que le tribunal soit indépendant et ait un certain degré de permanence. Certaines des suggestions faites par Larry Herman en ce qui a trait aux aspects institutionnels du processus des groupes spéciaux devraient être intégrées dans le processus d'appel. Le tribunal aurait besoin d'experts en droit commercial, et non seulement de juges de tribunaux nationaux comme c'est le cas actuellement pour le processus de contestation extraordinaire. Je crois que les groupes spéciaux d'appel devraient être composés de membres des trois pays parties à l'ALENA, même s'il semble ici qu'il serait avantageux d'envisager d'y inclure des personnes venant de pays qui ne sont pas parties à l'ALENA. Comme bon nombre des orateurs précédents l'ont mentionné, le secrétariat de l'ALENA devrait avoir un financement suffisant et être capable de jouer un rôle adéquat dans ce genre de processus.

    Si on avait un processus d'appel, on ne peut pas supposer que les appels seraient rares. L'expérience de l'organe d'appel de l'OMC a montré que les appels sont assez courants, du moins au début. Cela pourrait vouloir dire, bien sûr, une augmentation du nombre de litiges, ce qui aurait un impact sur le temps qu'il faut pour régler les différends, mais il me semble qu'il faudrait évaluer cet impact en fonction du fait que le processus prévu au chapitre 19 de l'ALENA aurait plus de crédibilité et de légitimité si les décisions des groupes spéciaux étaient soumises à un examen externe.

    Merci beaucoup, monsieur le président.

º  +-(1620)  

+-

    Le président: Merci beaucoup, monsieur McRae.

    Nous allons maintenant entendre notre dernier témoin, M. Potter. Monsieur Potter, la parole est à vous.

+-

    M. Simon V. Potter (associé, McCarthy Tétrault LLP): Merci beaucoup, monsieur le président.

[Français]

    Mes remarques seront livrées en anglais, mais bien sûr je serai tout à fait prêt à recevoir des questions en français.

[Traduction]

    Je dois dire, monsieur le président, que votre audience arrive à un moment particulièrement opportun, comme je l'expliquerai dans quelques minutes. Je crois que nous en arrivons à un point critique dans le dossier du commerce entre le Canada et les États-Unis. Il y a des décisions très difficiles à prendre, et je crois que votre audience arrive vraiment à point nommé.

    Tout d'abord, il convient à mon avis de soulever un point qui n'a pas encore été soulevé. C'est quelque chose d'évident, et je crois que nous devrions le dire de façon explicite. Le fait est que beaucoup de choses se passent très bien. Un bonne partie des échanges commerciaux entre les deux pays se font très facilement. Nous avons une frontière qui, pour reprendre l'expression de M. Feldman, même s'il lui a donné une signification légèrement différente, est une « entreprise commune ». C'est effectivement une entreprise commune. Chacun de nos deux pays est le plus important partenaire commercial de l'autre, et nous bénéficions tous deux de cette circulation facile dans les deux sens. Un pourcentage très élevé des échanges commerciaux entre nos deux pays se font pratiquement sans entrave, et nous devrions nous en réjouir.

    À propos du chapitre 19, je crois qu'il faut signaler aussi que non seulement le chapitre 19 a joué un rôle important dans la conclusion de l'accord de libre-échange à l'origine, mais aussi que c'était un compromis. Au départ, le Canada avait insisté pour qu'il n'y ait aucune mesure antidumping entre les deux pays et, en fait, a quitté la table de négociation parce qu'il ne pouvait pas obtenir cela. La solution du chapitre 19 était un compromis pour arranger les choses afin qu'un accord de libre-échange puisse être conclu.

    Je dis cela afin de montrer le caractère sérieux de notre examen du chapitre 19 pour voir s'il est bon ou non, car si nous en venons à la conclusion qu'il n'est pas bon et que nous devrions le laisser tomber, eh bien, dans le même esprit que nos négociateurs canadiens il y a plusieurs années, nous n'avons peut-être pas besoin de l'ALENA. La discussion que nous avons est donc très importante.

    Nous avons accepté ce compromis dans un effort en vue de contrer la perception, certainement du côté des entreprises canadiennes mais peut-être aussi du côté des entreprises américaines, selon laquelle les organismes d'administration des politiques commerciales des deux côtés de la frontière avaient parfois tendance à être partiaux, que les litiges prenaient beaucoup de temps et que le processus coûtait cher sans jamais régler quoi que ce soit. Nous espérions que le chapitre 19 rassurerait les dirigeants d'entreprise, accélérerait les choses et créerait un certain climat de certitude afin que les entreprises puissent faire des affaires, et nous avons réussi. Ce fut un énorme succès.

    Un nombre beaucoup plus grand d'entreprises ont eu recours au chapitre 19 que ce que nous avions vu avec le processus antérieur d'examen judiciaire interne. Auparavant, environ 20 p. 100 seulement des plaintes contre le Canada faisaient l'objet d'un examen judiciaire. Lorsque le chapitre 19 est entré en vigueur, cette proportion a grimpé à 50 p. 100, et non seulement cela, mais alors qu'un tiers des 20 p. 100 de plaintes étaient réglées en faveur du Canada auparavant, environ deux tiers des 50 p. 100 de plaintes soumises au nouveau processus se sont soldées par une décision en faveur du Canada, c'est-à-dire que les droits ont été soit réduits ou complètement éliminés.

    Ce que nous voyons maintenant, c'est que la perception de partialité et de lenteur du processus, dont nous croyions nous être débarrassés, refait surface. Nous n'avons plus les principales choses que nous pensions avoir avec le chapitre 19. Nous avons encore bon nombre d'effets positifs, dont certains ont été mentionnés, notamment le fait que nos organismes administratifs des deux côté de la frontière font un meilleur travail pour ce qui est d'expliquer ce qu'ils font et de faire preuve de transparence, mais ces problèmes importants, dont l'élimination était notre principal objectif, sont en train de réapparaître.

    Je connais très bien M. Feldman et je sais, comme il l'a dit, qu'il a tenu délibérément des propos provocateurs, et il n'y a rien de mal à cela. C'est bon dans une situation comme celle-ci, et je le ferai probablement moi-même dans les prochaines minutes. Cependant, à mon avis, c'est être un peu provocateur que de dire que le chapitre 19 est essentiel à la souveraineté du Canada. Je crois que c'est brosser un tableau assez sombre de la situation. Néanmoins, nous retirons certains avantages du chapitre 19 et de l'ALENA et nous devons examiner froidement comment préserver ces avantages pour le commerce, ce qui, incidemment, comme je l'ai dit, est dans l'intérêt des deux pays.

º  +-(1625)  

    Si on regarde le chapitre 19, je crois qu'il faut se rendre compte qu'il y a certains problèmes systémiques et que certains autres problèmes nous guettent, particulièrement dans le dossier du bois d'oeuvre.

    En ce qui concerne les problèmes systémiques, nous avons effectivement une série de situations qui, comme l'a signalé M. Feldman, semblent indiquer une sorte de tentative délibérée en vue d'enlever toute pertinence au chapitre 19. Nous voyons des efforts constants de la part des États-Unis en vue de rendre les groupes spéciaux tellement respectueux des organismes qu'ils n'osent pas renverser leurs décisions. Et je dois dire que c'est un peu ironique puisque ce sont les États-Unis qui ont insisté, lorsque l'ALENA est entré en vigueur, pour que le Canada modifie ses lois afin de rendre nos propres tribunaux moins respectueux. Ils voulaient moins de respect au Canada, mais ils font le contraire chez eux. C'est un peu fort.

    Nous avons également des problèmes avec le secrétariat. Le secrétariat américain est sous-financé, et le fait qu'il soit à trois endroits différents est insensé. Rien n'est considéré comme un précédent. Dans le cas du porc—j'oublie jusqu'où nous sommes allés, Elliot, vous me le rappellerez—je crois que nous nous sommes rendus à l'examen administratif numéro 17 ou 18, et chaque fois qu'un groupe spécial binational disait qu'une méthodologie quelconque n'était pas bonne, les États-Unis attendaient simplement le prochain examen administratif et faisaient encore la même chose, et il fallait contester de nouveau. C'était là un problème.

    Certains ont mentionné que nous aurions peut-être besoin de groupes spéciaux permanents. La suggestion d'une cour d'appel a été soulevée, non seulement pour ajouter de la crédibilité, mais aussi pour introduire un élément d'établissement de précédents dans le processus afin que les gens sachent quel genre de lois ils doivent suivre.

    Ce sont des problèmes généraux, et je crois que nous pouvons les régler si les parties font preuve de bonne foi des deux côtés de la frontière.

    Dans le cas du bois d'oeuvre—et je suis tout à fait d'accord avec le professeur McRae sur ce point—le problème n'a pas tellement à voir avec le chapitre 19. Il s'agit d'un dossier très politique et, dans ce cas, nous avons l'impression qu'il y a un manque de bonne foi. Nous nous posons des questions au sujet de la confiance, et ce que nous voyons parfois dans le dossier du bois d'oeuvre est ce qu'on peut seulement décrire, à mon avis, comme un refus catégorique de se conformer aux décisions des groupes spéciaux de l'ALENA.

    Comme Jon Johnson l'a expliqué, nous avons vu les organismes américains se servir d'une défaite des États-Unis à l'OMC pour produire une décision qui annulerait une défaite des États-Unis dans un différend lié à l'ALENA et donner au Canada une nouvelle raison de contester, de sorte qu'on doit tout recommencer. Pour bien des gens, cela ne semblait pas être une preuve de bonne foi.

    Les États-Unis font aussi valoir la position selon laquelle, comme les groupes spéciaux du chapitre 19 doivent respect aux organismes administratifs, aucun respect n'est dû aux groupes spéciaux du chapitre 19, qu'on peut donc insulter impunément. Et cela ne fait rien pour établir la crédibilité dont parle le professeur McRae.

    Et nous avons des exemples de ce qui semble être de la simple influence politique. Nous en sommes après tout à la quatrième ronde dans le dossier du bois d'oeuvre, après avoir eu un protocole d'entente, après avoir eu une entente sur le bois d'oeuvre. Il y a eu essentiellement six plaintes liées au bois d'oeuvre, et dans tous les autres cas, où les États-Unis ont perdu leur cause, nous avons vu des changements législatifs pour faire en sorte que ce soit plus facile pour les États-Unis de gagner la prochaine fois.

    Dans le dossier du bois d'oeuvre, je crois qu'il serait juste de dire que nous avons vu les États-Unis adopter une approche un peu sans scrupules. Si nous lisons les décisions de l'ALENA et de l'OMC dans le dossier du sirop de maïs à haute teneur en fructose—c'est un autre cas où il y a eu ce jeu réciproque de l'OMC et de l'ALENA—nous y voyons de nombreuses similarités. C'est un cas de menace de préjudice; c'est un cas où il fallait tenir compte de ce qui était dans le dossier et de ce qui n'y était pas; c'était un cas où il fallait s'assurer de rendre une décision fondée sur les preuves consignées au dossier; c'était un cas lié à la difficulté de prouver la menace de préjudice à l'avenir si on a des preuves qu'il n'y a aucun préjudice actuellement. Il y a eu de nombreux cas semblables. Ce qui était différent, c'est que les États-Unis étaient de l'autre côté de la clôture et, dans ce cas, ils ont fait valoir presque tous les arguments que le Canada a fait valoir dans le cas du bois d'oeuvre. Et tout cela se passait plus ou moins simultanément, ce qui a amené certains observateurs à se demander dans quelle mesure ce comportement était fondé sur des principes.

º  +-(1630)  

    Je crois que la goutte qui fait déborder le vase est ce que Jon Johnson a mentionné. Ce que nous avons maintenant, c'est l'administration américaine qui dit que, parce que nous sommes un partenaire privilégié de l'ALENA, nous serons moins bien traités que si nous étions la Corée. Si nous étions la Corée et que nous gagnions une contestation devant nos tribunaux nationaux, les États-Unis nous rendraient l'argent. Cependant, parce que nous sommes un partenaire privilégié de l'ALENA, les États-Unis vont non seulement garder notre argent, mais ils vont le donner à nos concurrents. Cela ne semble pas être une attitude fondée sur des principes, et j'essaie de ne pas être provocateur ici, comme vous pouvez le voir.

    La question qu'il faut se poser est : que devons-nous faire à ce sujet? Vous avez entendu quelques suggestions de la part des personnes qui sont ici. Beaucoup de gens ont dit qu'il nous fallait être fermes, et je suis d'accord. Soyons fermes, mais nous devons le faire d'une façon qui soit ciblée et qui soit fondée sur des principes. Nous devons continuer le genre de procédures que nous avons entreprises. Nous devons maintenir notre position.

    À ce sujet, je dois dire qu'Elliot Feldman a tout à fait raison. On ne peut pas demander à l'industrie d'assumer le coût de ces démarches—qui, après tout, sont dans l'intérêt de tous les exportateurs canadiens—et lui dire qu'elle n'aura pas d'aide du gouvernement. L'industrie canadienne du bois d'oeuvre s'est fait promettre à maintes reprises une aide financière à cet égard. Ces promesses n'ont pas encore été tenues, et elles devraient l'être.

    Au sujet des représailles, oui, il devrait y avoir des représailles. Lorsque les États-Unis ne respectent pas les jugements rendus et que les traités prévoient des représailles, il devrait alors y avoir des mesures de représailles bien choisies. Le jour où le Canada décidera qu'il a trop peur d'user de représailles parce qu'il craint de nuire à la relation, les États-Unis sauront alors qu'ils peuvent faire tout ce qu'ils veulent.

    On a mentionné que nous devrions trouver les avantages que présente l'ALENA pour les États-Unis. Bien sûr qu'il y en a, et nous devrions commencer à en parler. Sans entrer dans des détails qui pourraient sembler trop provocateurs, le fait est qu'il existe dans cet accord des dispositions portant sur le traitement équitable à différents égards. Nous pouvons parler de ces dispositions.

    Il y a aussi, je crois, une autre question très importante qui a déjà été soulevée. L'ALENA est un modèle utilisé par les États-Unis pour négocier non seulement l'accord de la Zone de libre-échange des Amériques, mais aussi d'autres traités bilatéraux. Si nous commençons à demander à quoi cela sert de conclure de tels traités si on n'en respecte pas non seulement la lettre mais aussi l'esprit, je crois que c'est là quelque chose que les États-Unis préféreraient que nous n'ébruitions pas trop.

    Cependant, je suis venu ici aussi pour porter un message au sujet de ce que nous ne devons pas faire par crainte de perdre l'ALENA, parce que c'est là le point critique où nous en sommes. Si votre ministre du Commerce international est engagé dans des discussions sur un règlement possible et qu'il le fait d'une manière qui semble assez accélérée sans le genre de consultation transparente que nous avons vue auparavant, c'est à cause de la gravité de la situation. C'est parce que c'est difficile d'imaginer ce qui arrivera si nous gagnons toutes ces causes contre les États-Unis et qu'ils ne respectent pas les jugements rendus. C'est un scénario difficile à imaginer. Que ferait le Canada si nous gagnions la contestation extraordinaire, si nous gagnions toutes les procédures entreprises en vertu de l'ALENA, si nous gagnions à l'OMC, et si les États-Unis prenaient quand même notre argent et le donnaient à nos concurrents? Que ferions-nous alors? C'est une mauvaise situation.

    Mon message, c'est que nous ne devons pas céder. Nous devons accepter un règlement s'il est raisonnable, juste et sensé, mais nous ne devons pas accepter n'importe quel règlement seulement pour éviter ce scénario. Si nous faisons cela, le message que nous enverrons aux États-Unis sera que nous avons déjà renoncé à tous les avantages de l'ALENA et que nous n'en gardons que les inconvénients.

    Merci.

º  +-(1635)  

+-

    Le président: Merci beaucoup, monsieur Potter. Je ne crois pas que vous ayez été très provocateur.

    Nous allons passer aux questions. Nous ferons des rondes de dix minutes, en commençant par Mme Stronach.

+-

    Mme Belinda Stronach (Newmarket—Aurora, PCC): Merci d'avoir été aussi provocateurs. Vous avez pour la plupart dit que vous ne vouliez pas être provocateurs, mais vous l'avez été, et c'est quelque chose que j'apprécie.

    C'est un sujet très complexe, et je suppose que si c'était facile, la question du bois d'oeuvre serait déjà réglée, et ce n'est pas le cas.

    Je vais d'abord faire quelques observations et j'enchaînerai ensuite avec une question.

    Le Canada veut renforcer le chapitre 19 et le processus binational, et j'ai apprécié vos diverses remarques au sujet de la modification du processus de contestation extraordinaire pour créer un cadre d'appel plus large et aussi au sujet de l'institutionnalisation du processus des groupes spéciaux bilatéraux. Ce sont tous là de très bons points qui contribueraient à renforcer le processus.

    Si on faisait cela, serait-on plus porté à utiliser le processus en ce qui a trait à son résultat? Cela explique-t-il pourquoi le processus n'est pas respecté actuellement? C'est là une question.

    Pour ce qui est de renforcer le chapitre 19, comment obtenir l'assentiment des États-Unis à ce sujet? Le thème sous-jacent ici est qu'ils ne veulent pas le faire parce qu'ils n'ont pas l'impression que cela sert leurs intérêts nationaux. Vous avez parlé de l'aspect dysfonctionnel du système relativement à la façon dont fonctionne leur gouvernement. Comment amener les États-Unis à accepter cela? Je sais que c'est une question difficile, mais j'aimerais savoir ce que notre gouvernement peut faire.

    Deuxièmement, sur la question du bois d'oeuvre, c'est un problème complexe qui dure depuis des années. Ce différend commercial compromet-il l'ALENA lui-même? Pouvons nous trouver une solution et, dans l'affirmative, pouvons-nous le faire avant d'en arriver à ce point critique? Le temps est-il venu de laisser la place à une intervention politique ou à une solution politique? Suffit-il d'user de représailles? M. Potter a dit que nous ne devions pas céder, et il a posé une très bonne question : qu'arriverait-il si nous gagnions la contestation extraordinaire et que les États-Unis ne voulaient toujours pas respecter le jugement rendu? Je suppose que l'ALENA serait alors compromis. Que ferions-nous si cela arrivait?

    Ce sont là mes deux questions. Si vous pouvez y répondre, je dormirai mieux la nuit.

º  +-(1640)  

+-

    M. Simon V. Potter: Permettez-moi d'intervenir tout de suite, sinon je vais oublier mes réponses.

    Au sujet de la première question, je suis d'accord avec vous pour dire que ce serait trop demander que de s'attendre à pouvoir dire aux États-Unis que le chapitre 19 ne fonctionne pas très bien, que le différend du bois d'oeuvre nous fait mal, que nous voulons restructurer le processus pour qu'il soit encore plus favorable au Canada à l'avenir, que nous aimerions l'institutionnaliser et que nous voudrions que ce soient des juges canadiens qui règlent toutes ces questions. Nous devrions nous efforcer d'être raisonnables.

    Une chose que nous pourrions faire relativement au chapitre 11, c'est insister pour trouver une façon pour que la décision rendue dans au moins un cas devienne un précédent. Si nous parlons de porc ou de bois d'oeuvre, que la décision d'un groupe spécial binational à l'égard d'un produit serve de précédent par rapport à la décision d'un autre groupe spécial binational à l'égard du même produit. Il faudrait que nous obtenions au moins cela. Je dirais qu'il faut viser bas.

    Au sujet de votre deuxième question, c'est peut-être ma faute si j'ai été provocateur, mais je ne voulais pas dire qu'il faut absolument lutter jusqu'au bout. Vous avez raison, cela pourrait entraîner une situation difficile, et je dirais que le ministre du Commerce international et son sous-ministre ont tout à fait raison de chercher des façons d'éviter cela. On a déjà commencé à intervenir au niveau politique pour essayer de trouver une solution à ce conflit. Je suis d'accord pour dire que nous devrions nous efforcer de trouver une solution raisonnable et réaliste qui soit fondée sur des principes.

    Lorsque je dis qu'il ne faut pas céder, je veux dire, par exemple, qu'il ne faut pas accepter d'imposer n'importe quelle taxe à l'exportation à la frontière et examiner ensuite quel genre de politiques forestières provinciales devront être modifiées pour qu'on se débarrasse de cette taxe. Si nous imposons ce genre de taxe à l'exportation, nous devrions savoir comment nous en débarrasser afin que nous ayons un jour une forme quelconque de libre-échange à la frontière dans le secteur du bois d'oeuvre.

    Oui, il faut trouver un règlement, mais pas à n'importe quel prix parce que cela envoie un très mauvais message aux États-Unis.

+-

    M. Elliott Feldman: Selon ce que j'ai entendu, vous avez posé trois questions.

    Je crois que votre première question portait sur la conversion du processus de contestation extraordinaire à un processus d'appel ordinaire, et vous demandiez si cela renforcerait le processus en lui donnant plus d'intégrité. Cela ne pourrait se faire qu'au prix d'un des principes sous-jacents du chapitre 19, soit l'examen rapide. Actuellement, le processus prend plus de temps qu'une affaire entendue par le tribunal américain du commerce international, mais le bon côté est que, en théorie, on a fini une fois que la décision a été rendue. À moins d'arriver à éliminer les retards actuels, on ne ferait qu'élargir le processus au-delà de ce qui se passe dans les tribunaux, sans grand avantage apparent, et on se trouverait à provoquer un important changement institutionnel. On ne ferait pas qu'institutionnaliser l'appel. Cela voudrait dire que, lorsqu'on est devant un groupe spécial binational, il faudrait monter un dossier en vue d'un appel. Cela change complètement la nature du processus. Ainsi, c'est une décision qu'il faudrait prendre après mûre réflexion car il faudrait repenser l'objectif initial, qui était un examen rapide et peu coûteux.

    Dans votre deuxième question, si j'ai bien compris, vous demandiez comment on pourrait amener les États-Unis à accepter de changer ou de corriger quoi que ce soit étant donné qu'ils ne veulent pas vraiment le faire, et je crois que nous sommes tous d'accord pour dire que les États-Unis ne veulent pas vraiment de changements.

    Lorsqu'il s'agit de répondre à ces questions, je crois que nous avons tous des opinions différentes. Je voulais dire que la gêne a un impact dans les affaires internationales et qu'il y aurait un certain élément de gêne ici si le Canada—le plus grand allié et ami des États-Unis, ou du moins perçu comme tel par le reste du monde—disait très publiquement que les États-Unis ne respectent pas l'accord qu'ils ont conclu avec le Canada. D'après ma perception du système américain, cela provoquerait une réaction d'inquiétude qui ferait qu'on voudrait essayer de corriger ces problèmes.

    Au-delà de la gêne, a-t-on assez d'influence pour amener des changements? Je ne crois pas, du moins pas vraiment. L'idée de rouvrir l'accord ou de le renégocier, qui a été mentionnée, serait certes une grave erreur. Je ne crois pas qu'on veuille rouvrir cet accord; je crois qu'on veut que toutes les parties en respectent les dispositions.

    Enfin, sur la question du bois d'oeuvre, je plaide dans ce dossier depuis 1991. Je crains que, dans la discussion que nous avons ici aujourd'hui, on exagère un peu le problème du bois d'oeuvre pour ce qui est de son lien avec le chapitre 19. Je plaide aussi dans le dossier du magnésium depuis 1991. Le réexamen, qui a fait l'objet d'un appel et aurait dû mettre un terme aux ordonnances concernant le magnésium... Cet appel a débuté il y a cinq ans. On attend maintenant le nouveau réexamen.

    Qu'est-il arrivé? Eh bien, un des membres américains du groupe spécial s'est récusé deux semaines avant la date où la décision devait être rendue. Nous ne pouvons que spéculer quant aux raisons de cette récusation, mais nous pensons que cela pourrait être lié aux accusations et aux allégations portées contre un membre du groupe spécial dans le dossier du bois d'oeuvre. Le remplaçant a été nommé l'été dernier. Nous attendons toujours la décision de ce groupe spécial, sans aucun moyen de savoir s'il s'est réuni ou non ou ce qu'il compte faire.

    Et ce n'était là que le dernier épisode. Il y a eu trois récusations avant cela, et mon client, Magnola, a dû cesser ses activités à cause de cette affaire. Sa fonderie au Québec a coûté près d'un milliard de dollars; elle est maintenant fermée, et rien n'a été fait pour régler ce problème. Il ne s'agit pas ici de bois d'oeuvre, mais de magnésium, et il y a d'autres exemples.

    Alors j'ai seulement une mise en garde à faire. La question du bois d'oeuvre est particulièrement difficile pour diverses raisons qui, je crois, ne sont pas directement liées à la présente audience, mais elle n'est pas un cas unique pour ce qui est de son lien avec le chapitre 19.

º  +-(1645)  

+-

    Le vice-président (M. Ted Menzies (Macleod, PCC)): Nous pouvons permettre rapidement à M. Herman de répondre à cette question. Je dois intervenir ici. Nous aurons bientôt un vote. Le timbre commencera à sonner à 17 h 15, alors nous devons nous efforcer de limiter à dix minutes chacune des périodes de questions. Nous ne cherchons certainement pas à vous enlever des occasions de nous éclairer sur ces questions, mais nous n'avons presque plus de temps.

    Alors, rapidement, je vous prie, monsieur Herman.

+-

    M. Lawrence L. Herman: Je ne crois pas que nous puissions faire un examen vraiment approfondi de la question du bois d'oeuvre ici. Le processus concernant le bois d'oeuvre devra suivre son cours, et je crois que la stratégie employée par le gouvernement, c'est-à-dire le recours à des procédures judiciaires en même temps qu'une démarche axée sur la négociation, est la bonne. Laissons les procédures judiciaires suivre leur cours et poursuivons dans cette voie tout en voyant si les négociations parallèles peuvent donner des résultats positifs.

    Pour ce qui est du chapitre 19 tel qu'il existe actuellement, permettez-moi d'être bien clair : c'est un processus utile qui fonctionne assez bien. C'est un processus limité. Peut-on l'améliorer sans rouvrir l'accord? Je ne parle pas ici d'essayer de renégocier une disposition de l'accord, ce qui soulèverait toute une série de problèmes. Peut-on l'améliorer tel qu'il est maintenant? Oui. Y a-t-il des moyens à la disposition du Canada pour apporter ces améliorations maintenant? Oui.

    Un des problèmes a déjà été mentionné, soit les retards dans la constitution des groupes spéciaux. C'est un problème. Trouver des gens pour faire partie de ces groupes spéciaux est un problème. Les gouvernements doivent trouver des personnes qui sont prêtes à servir et qui ne sont pas dans une situation de conflit. Et si elles ne sont pas dans une situation de conflit, sont-elles prêtes à servir? Dans une certaine mesure, cela est directement lié à la question de la rémunération et des services de soutien que les membres des groupes spéciaux peuvent obtenir. Cette question peut être réglée dans le cadre des dispositions actuelles du chapitre 19. Tout ce qu'il faut, c'est la volonté politique de le faire.

    Une autre question qui, à mon avis, peut être réglée au niveau politique dans le cadre du chapitre 19 est la suivante : lorsqu'un organisme commercial américain comme l'International Trade Commission présente son rapport sur une affaire qui a fait l'objet d'un renvoi et met en doute la légitimité de l'ordonnance du groupe spécial, le gouvernement du Canada devrait soulever cette question auprès du gouvernement américain au niveau politique. Franchement, ce genre de comportement est scandaleux.

    Donc, sur ces deux plans, nous pouvons faire quelque chose dès maintenant pour améliorer le chapitre 19. Ce que je disais dans ma déclaration préliminaire, c'est que même si nous voulons peut-être rêver un peu à certaines améliorations modestes qui pourraient nécessiter des modifications à l'accord—peut-être qu'il ne serait pas nécessaire de le rouvrir ou peut-être que oui, c'est un peu difficile à dire—il y a certaines mesures qui peuvent être prises dès maintenant dans le cadre de l'ALENA sans radicaliser l'accord, et l'une de ces mesures est la permanence institutionnelle. Je crois qu'une bonne partie de cela pourrait se faire sans qu'on ait à modifier l'accord. Je crois que l'institutionnalisation aidera à légitimiser les processus de l'ALENA, y compris les décisions des groupes spéciaux.

º  +-(1650)  

+-

    Le vice-président (M. Ted Menzies): Merci beaucoup.

    Monsieur Paquette.

[Français]

+-

    M. Pierre Paquette (Joliette, BQ): Merci, monsieur le président.

    Merci pour vos présentations, qui sont très riches, mais que nous devrons digérer au cours des prochains jours, je suppose.

    Je retiens d'à peu près toutes vos interventions qu'il est important, à ce moment-ci dans le conflit du bois d'oeuvre, de ne pas mettre les règles de côté. Vous suggérez qu'on en arrive à un règlement qui soit respectueux des règles que l'on s'est données en vertu de l'Accord de libre-échange nord-américain. Si on veut améliorer le chapitre 19 et l'ensemble de l'ALENA, il y a une question d'institutionnalisation d'un certain nombre d'entités: la commission, le secrétariat, etc.

    À mon avis, il y a un problème majeur, que l'on voit beaucoup dans le conflit du bois d'oeuvre. Les irritants que nous avons par rapport au chapitre 19 portent sur quelques dossiers: le bois d'oeuvre, le porc, etc.

    Au fond, un des problèmes n'est-il pas les lois américaines elles-mêmes, qui permettent, par exemple dans le cas du bois d'oeuvre, d'harceler l'industrie canadienne? On pourrait avoir un règlement le mois prochain, mais qui nous dit que l'industrie américaine ne va pas, dans quelques mois, refaire encore une pétition? N'y a-t-il pas un problème dans l'application des mécanismes prévus dans l'Accord de libre-échange nord-américain? N'y a-t-il pas un problème—et je pense que quelqu'un l'a mentionné—dans la conception, dans la vision des lois commerciales américaines par rapport à ces traités internationaux?

    On le voit aussi dans l'amendement Byrd. Malgré les engagements du président américain, il n'y a pas encore eu un mouvement sur plan politique qui laisse entendre qu'on va modifier la loi commerciale pour enlever l'amendement Byrd. Je voudrais d'abord savoir si vous pensez qu'il y a un problème à de ce côté.

    Qu'est-ce que M. Martin pourrait faire le 23 mars prochain, quand il va rencontrer les présidents Bush et Fox, pour enclencher un processus politique afin d'améliorer la situation? Quelle devrait être la proposition canadienne à cet égard?

[Traduction]

+-

    Le vice-président (M. Ted Menzies): Qui aimerait répondre à cela?

+-

    M. Elliott Feldman: Je serais heureux de me pencher sur ces deux questions, mais je ne suis pas certain d'y répondre.

º  +-(1655)  

+-

    Le vice-président (M. Ted Menzies): Encore une fois, nous allons essayer de répondre aux questions sans dépasser la limite de dix minutes, si c'est possible.

+-

    M. Elliott Feldman: Je vais répondre en anglais, si vous le voulez bien.

+-

    M. Pierre Paquette: Cela me va.

+-

    M. Elliott Feldman: Une bonne partie du droit commercial international s'inspire de la loi américaine. L'empreinte des États-Unis sur le Cycle d'Uruguay est très forte. Si vous concentriez vos préoccupations sur un défaut dans la loi américaine, vous vous trouveriez essentiellement à remettre en question le régime commercial international. Ce n'est peut-être pas faux, mais c'est probablement irrémédiable.

    L'expérience du chapitre 19 montre que, sous le régime de la loi américaine, ce sont les intérêts canadiens qui, de façon générale, ont prévalu. Je ne crois pas que le problème soit inhérent à la loi américaine elle-même. Il a plutôt à voir avec la capacité des arrangements institutionnels de faire respecter les résultats.

    Par exemple, M, Potter faisait allusion au problème de la valeur des groupes spéciaux sur le plan de l'établissement de précédents. Bien sûr, la faiblesse est que les groupes spéciaux sont traités comme le sont les tribunaux de première instance aux États-Unis, soit les tribunaux de district. Le tribunal de commerce international n'établit pas de précédent non plus. Ses décisions ne sont pas traitées comme des précédents. Seules les cours d'appel établissent des précédents. Le poids d'une décision émanant d'un groupe spécial binational est le même que le poids d'une décision du tribunal de commerce international, c'est-à-dire qu'il ne va pas au-delà de son pouvoir de persuasion dans les procédures subséquentes.

    Le problème est que les États-Unis refusent de respecter le principe de préclusion accessoire, ce qui fait qu'une question qui a déjà été débattue et réglée pour un programme précis et pour un produit précis n'est pas traitée de la même façon dans un examen subséquent. Cela a été testé dans le processus des groupes spéciaux bilatéraux, et un groupe spécial a rejeté la notion de préclusion accessoire dans un cas. Je connais particulièrement bien cet argument parce que c'est celui que j'avais défendu, et j'ai perdu.

    Je ne crois pas que ce dossier soit clos. J'aimerais bien que cette question refasse surface. Les notions de préclusion accessoire et de res judicata devraient être réintégrées dans le processus. Je crois que ce sont là les problèmes que M. Potter a mentionnés. Ce ne sont pas des défauts inhérents à la loi américaine. La plupart de ces causes ont en fait été gagnées.

    En ce qui concerne votre deuxième question au sujet du 23 mars, j'ai compris aujourd'hui que l'ALENA n'est peut-être déjà pas à l'ordre du jour du 23 mars. Je comprends aussi qu'il l'est peut-être encore de façon sous-entendue, mais peut-être pas officiellement.

    Je crois que, le 23 mars, M. Martin devrait demander des consultations sur le chapitre 19 aux termes du chapitre 20. Il devrait avoir le président Fox comme allié.

+-

    Le vice-président (M. Ted Menzies): Monsieur Potter.

[Français]

+-

    M. Simon V. Potter: Monsieur Paquette, pour ce qui est de votre première question, à savoir si les lois américaines sont le problème, je suis d'accord avec M. Feldman que, dans une grande mesure, non, les lois sont bien. Il y a des exceptions, par exemple l'amendement Byrd, qui a été adopté pour prendre l'argent, les droits et les distribuer aux plaignants américains. C'était un problème, et le Canada a fait ce qu'il devait faire: il a contesté l'amendement auprès de l'OMC et il a gagné. Ainsi, l'amendement Byrd est maintenant illégal, en droit international, et doit être retiré. C'est ainsi qu'il faut aborder les problèmes relatifs aux lois américaines.

    Il y a d'autres exemples, où le Canada n'a pas réagi. Or, nous avons le pouvoir, en vertu de l'ALENA, de dire aux États-Unis que telle ou telle autre modification à leur loi ne s'appliquera pas à nous. Nous avons ce pouvoir en vertu du chapitre 19 mais, malheureusement, nous ne l'utilisons pas assez.

    En ce qui concerne la deuxième partie de votre question, je suis tout à fait d'accord avec M. Feldman que le président Fox du Mexique est un allié dans tout cela, et c'est le genre de forum qui convient parfaitement à la stratégie de gêne dont parlent certains ici. Les États-Unis veulent se servir d'une bonne expérience dans le cadre de l'ALENA pour aller vendre leur salade à d'autres pays. Nous serions seulement honnêtes envers ces autres pays si nous leur disions que tout n'est pas parfait.

+-

    M. Pierre Paquette: Je voudrais savoir, de M. Feldman ou de quelqu'un d'autre, en quoi le chapitre 20 peut nous aider? On a beaucoup parlé du chapitre 19. M. Carl Grenier, qui est venu ici, l'a évoqué. Je ne suis pas un grand spécialiste de l'accord, je ne le lis pas tous les soirs avant de me coucher, je n'ai pas de problèmes d'insomnie à ce point. Peut-être pourriez-vous nous illustrer davantage comment on pourrait se servir du chapitre 20 pour améliorer les mécanismes de règlement des différends.

[Traduction]

+-

    Le vice-président (M. Ted Menzies): Monsieur Feldman.

+-

    M. Elliott Feldman: L'idée du chapitre 20 est de fournir un mécanisme pour régler tous les différends liés à l'ALENA qui ne sont pas couverts dans un autre chapitre. L'administration du chapitre 19 est un problème énorme. Le chapitre 19 lui-même prévoit un mécanisme à cette fin, et Jon Johnson y a fait allusion dans ses remarques. C'est un genre de bombe atomique. Dans l'article 1905, on pourrait faire sauter l'accord, essentiellement, à cause de différends au sujet du chapitre 19.

    Notre formulation est plus modeste. Le chapitre 20 est une invitation, quoique très publique, à régler les questions découlant des difficultés liées au chapitre 19. Jusqu'à maintenant, la position du gouvernement du Canada a été qu'il y a un dialogue continu avec les États-Unis; les gens discutent de ces questions tout le temps et ils essaient de les régler.

    Selon nous, ce genre de processus non officiel va à l'encontre des intérêts nationaux du Canada, du moins en ce qui concerne ces questions. Le Canada a besoin d'être plus direct et plus public dans sa démarche, et cela revient à l'idée de la gêne que j'ai mentionnée plus tôt. Ce processus public au moyen duquel on exigerait des consultations, que les États-Unis seraient obligés d'accepter et auxquelles ils devraient participer, permettrait d'examiner toutes les questions qui ont été mentionnées ici, que ce soit l'institutionnalisation des procédures des groupes spéciaux ou la modification de la structure d'appel. Toutes ces solutions seraient sur la table dans une procédure aux termes du chapitre 20.

»  +-(1700)  

+-

    M. Ted Menzies: Monsieur Johnson, brièvement, je vous prie.

+-

    M. Jon R. Johnson: Ce qu'une procédure aux termes du chapitre 20, ou la bombe atomique que M. Feldman a mentionnée—l'article 1905, plus précisément—donnerait au Canada, c'est le droit d'annuler des avantages de l'ALENA.

    Il est préférable d'avoir ce droit au lieu d'avoir un droit semblable dans le cadre de l'OMC pour quelques raisons. Premièrement, le Canada peut choisir quels avantages il va annuler, contrairement à la procédure prévue par l'OMC où le Canada doit aller devant l'organe de règlement des différends et demander la permission d'user de représailles. Aux termes de l'ALENA, on n'a pas à faire cela. Si on gagne la cause et qu'on a le droit d'user de représailles, on peut annuler les avantages qu'on veut et il incombe alors aux États-Unis de dire que cela est excessif. Dans le dossier du bois d'oeuvre, les chiffres en cause sont énormes. Il est difficile de déterminer ce qui est excessif.

    Deuxièmement, dans le cadre de l'OMC, on vise généralement des cibles commerciales—échanges commerciaux, produits, importations—avec une bonne dose de dissension publique, évidemment, de la part des importateurs touchés. Aux termes de l'ALENA, il y a diverses autres cibles qu'on peut viser qui préoccupent particulièrement les Américains, par exemple l'énergie, la sécurité énergétique, la protection des investissements et d'autres choses de ce genre.

[Français]

+-

    M. Pierre Paquette: Est-ce qu'on pourrait, par exemple, remettre en cause les avantages supplémentaires accordés au chapitre 11 pour la protection des investissements étrangers par rapport à ce qui existait dans l'Accord de libre-échange initial? Est-ce que cela pourrait être une mesure de rétorsion? Je veux seulement comprendre.

+-

    M. Lawrence L. Herman: En théorie, oui, mais en réalité, non.

+-

    M. Pierre Paquette: Pouvez-vous préciser un peu votre réponse, s'il vous plaît?

[Traduction]

+-

    M. Lawrence L. Herman: Nous entrons dans un sujet très obscur. Je ne sais pas si le comité veut se lancer dans ce genre de discussion.

+-

    Le président: Cela prendrait probablement 20 minutes, monsieur Herman, et le temps presse. M. Paquette a écoulé ses 10 minutes.

    J'interviens parce que je sais que le timbre sonnera à 17 h 15 ou vers cette heure-là pour la tenue du vote. Pour être équitables envers les autres qui veulent poser des questions, nous devons bien gérer notre temps.

    Si vous désirez répondre par écrit, je vous invite fortement à le faire. Les autres membres du comité voudraient également être informés.

    Madame Jennings, vous avez la parole. Je surveillerai l'heure de très près, car je sais que M. Julian doit suivre et qu'il aura lui aussi des questions à poser.

+-

    L'hon. Marlene Jennings (Notre-Dame-de-Grâce—Lachine, Lib.): Je vous remercie, monsieur le président.

    Je remercie tous les témoins des exposés qu'ils ont présentés cet après-midi.

    Lorsque le ministre du Commerce international a comparu devant le comité pour l'entretenir expressément du chapitre 19 de l'ALENA, je lui ai posé plusieurs questions au sujet des problèmes que présente le chapitre 19 et des mesures que, selon moi, le gouvernement canadien devrait prendre. Il a pris beaucoup de notes, mais je n'en ai plus entendu parler depuis.

    Quelques-unes des mesures que j'ai proposées rejoignent en fait celles dont vous avez parlé. Par exemple, les décisions des groupes spéciaux sur une question précise dans laquelle les faits sont clairs ne font pas intervenir le principe de préclusion accessoire. Deux ans, deux mois, deux semaines ou deux jours plus tard, une nouvelle contestation peut porter sur les mêmes faits, sur la même question, et il n'existe aucune jurisprudence. Le Canada devrait insister sur le principe de préclusion accessoire. C'est le premier point que je désirais soulever.

    J'ai également dit que, s'il est possible de procéder sans modifier la version actuelle de l'ALENA, le Canada devrait envisager des moyens pour que soit pénalisée une partie qui présente des contestations ou des plaintes manifestement frivoles ou vexatoires. Le droit administratif canadien prévoit une telle disposition. Notre droit administratif découle essentiellement du droit britannique et ressemble au droit américain. Cette disposition est bien connue. Certaines lois issues du droit administratif offrent cette possibilité, et je voudrais qu'on puisse y recourir. Pouvez-vous me dire si cela est possible sans modifier l'ALENA?

    L'autre point que je n'ai pas abordé—mais j'ai bien aimé votre proposition—consisterait à dénoncer vertement les Américains devant d'autres pays avec lesquels ils cherchent à négocier de nouveaux accords commerciaux binationaux. Faisons-le. Si nous pouvons le faire aux termes du chapitre 20 sans mettre en danger le Canada et ses intérêts, n'hésitons pas. Par contre, si vous pensez qu'invoquer le chapitre 20 pourrait représenter un danger pour le Canada, faisons-le tout simplement publiquement. Je suis tout à fait d'accord. Plaçons des annonces dans les journaux de la Corée du Sud et dans quelques-unes des nouvelles républiques de l'ex-Union Soviétique. Faisons-le. Les Américains veulent élargir leurs marchés, mais d'autres pays seront réticents s'ils constatent que le meilleur partenaire commercial des États-Unis, son plus proche voisin, dit avoir des problèmes à amener les États-Unis à respecter cet accord. Je ne crois pas que cela serait très profitable pour les Américains.

    Alors, battons-nous sur leur propre terrain. Prenons-nous-en aux États américains, aux districts des sénateurs américains et à leurs représentants. Faisons-le.

»  +-(1705)  

+-

    Le président: Monsieur Herman, je présume que vous voulez être le premier à répondre à cela.

+-

    M. Lawrence L. Herman: Pour répondre très rapidement, tout d'abord, les différends qui dominent le commerce bilatéral sont le bois d'oeuvre et l'ESB. Je crois que le gouvernement veut que ces deux cas se règlent tout seuls, en quelque sorte. Le climat est actuellement très tendu, et il y a des limites à ce que nous pouvons faire entre-temps. Le gouvernement veut résoudre ces différends, et je crois qu'il doit traiter les questions bilatérales avec prudence, sur les plans juridiques et politiques, en attendant le règlement de ces différends, car nous gardons toujours espoir de les régler.

    Que pouvons-nous faire? Je crois que le gouvernement doit prendre soin de ne pas nuire à la possibilité de conclure une entente bilatérale au sujet des différends portant sur le bois d'oeuvre et l'ESB. Cela ne veut pas dire qu'il ne vaut pas la peine d'étudier vos propositions, mais je crois que le gouvernement doit agir avec prudence.

    En outre, il ne faut pas oublier que l'ALENA est un accord trilatéral. Je ne crois pas que toutes ces questions peuvent être examinées dans un contexte trilatéral. Certaines d'entre elles sont purement bilatérales et, pour prendre des mesures dans le cadre de l'ALENA, il faudrait obtenir l'appui du Mexique. Il faut tenir compte de ce facteur. Nous pensons souvent qu'il s'agit d'un accord bilatéral, mais il est trilatéral.

+-

    Le président: Quelqu'un d'autre désire-t-il prendre la parole?

    Monsieur Potter.

+-

    M. Simon V. Potter: Madame Jennings, au sujet de votre question concernant les plaintes frivoles, les accords de l'OMC prévoient diverses dispositions visant à prévenir ces plaintes. Par exemple, lorsqu'un plaignant canadien dépose une plainte pour dumping contre les États-Unis, cette plainte doit être examinée par l'ASFC, qui doit rendre une décision motivée pour justifier la prise de mesures et affirmer qu'il semble y avoir des motifs raisonnables de prendre ces mesures et de croire que la plainte n'est pas frivole.

    Il existe donc des mécanismes correctifs et, dans le droit américain, des mesures semblables obligent les États-Unis à respecter ces dispositions de l'OMC. Je ne sais pas au juste ce que nous retirions de plus, par exemple, en exigeant le versement de frais si une plainte était rejetée. Le fait est qu'il est toujours coûteux de déposer une plainte.

    Je n'ai pas beaucoup d'espoir que des pays consentiraient à pénaliser des parties dont les plaintes ont été jugées non fondées, même si ces plaintes étaient examinées par l'ASFC, par exemple.

+-

    L'hon. Marlene Jennings: Et pour ce qui est de dénoncer vertement les Américains?

+-

    M. Simon V. Potter: Je crois que nous avons tous dit que nous devrions dénoncer ouvertement et publiquement le fait que les États-Unis ne semblent pas respecter l'esprit de cet accord.

+-

    L'hon. Marlene Jennings: Y aurait-il un danger à le faire en invoquant le chapitre 20? Serait-il dangereux pour le Canada d'invoquer le chapitre 20 pour dénoncer publiquement tous ces différends et ces problèmes?

+-

    M. Simon V. Potter: M. Feldman a raison de dire qu'invoquer le chapitre 20 éviterait le risque de la « bombe atomique » que créerait le fait d'invoquer l'article 1905, et le chapitre 20 nous permettrait d'obtenir des décisions sur la question. J'ai été membre d'un groupe spécial constitué aux termes du chapitre 20. On obtient une décision motivée et fondée, qui est parfois unanime, et parfois non; néanmoins, on peut déterminer si la partie en cause respecte ou non l'engagement pris aux termes de l'ALENA. Je dis depuis longtemps que nous devrions invoquer le chapitre 20.

»  +-(1710)  

+-

    L'hon. Marlene Jennings: Cela a-t-il eu un effet?

+-

    M. Simon V. Potter: Cela a des effets. Si on obtient gain de cause, cela a effectivement un effet.

+-

    Le président: Je vous remercie.

    Nous passons à M. Julian. Vous disposerez de dix minutes.

+-

    M. Peter Julian (Burnaby—New Westminster, NPD): Vos observations m'intéressent beaucoup. Cette question est extrêmement importante pour ma province. Je suis originaire de la Colombie-Britannique. Nous avons perdu 20 000  emplois dans le secteur du bois d'oeuvre; il ne s'agit donc pas d'une question théorique pour les habitants de nos collectivités. Il y a des pertes d'emplois et des gens et leur famille éprouvent d'énormes difficultés. Le niveau de mécontentement augmente.

    J'ai été intéressé par les observations, surtout celles que vous avez faites, monsieur Johnson, au sujet des avantages que les États-Unis retirent de l'ALENA, particulièrement de la disposition de proportionnalité concernant les ressources énergétiques—cet accès privilégié, préférentiel à nos ressources énergétiques, qui se situent au deuxième rang parmi les plus vastes réserves au monde. Il me semble que ce fait pourrait influer sur la réaction des Américains.

    J'ai fait partie de la délégation qui s'est rendue à Washington. Lorsque je me suis entretenu avec des membres du Congrès, j'ai été étonné par leur réaction au sujet du différend sur le bois d'oeuvre. Dans l'esprit de plusieurs d'entre eux, il était très clair que le Canada était injuste, que nous faisions du dumping sur le marché américain et que l'industrie américaine agissait correctement. J'ai eu nettement l'impression qu'ils n'ont compris aucune des procédures que nous avons lancées par l'entremise de l'ALENA. Ils ont le sentiment que nous n'agissons pas correctement.

    Pour revenir aux questions concernant l'énergie et les dispositions d'investissement, aux questions que les Américains jugent très avantageuses pour eux dans le cadre de l'ALENA, j'aimerais obtenir votre opinion sur ce que les Américains perçoivent comme étant les aspects avantageux de l 'ALENA pour eux et sur la façon dont nous pourrions influer sur ces questions pour parvenir à un règlement sans céder, comme M. Potter l'a dit si éloquemment, pour parvenir à un règlement respectueux, qui tienne compte des intérêts des Canadiens.

+-

    M. Elliott Feldman: J'aimerais laisser à Jon le soin de répondre à la question concernant les liens, car c'est lui qui l'a soulevée, mais je voudrais dire quelques mots sur la question du lobbying que vous avez évoquée.

    Vous avez engagé des procédures judiciaires pendant 20 ans et vous avez établi que le bois d'oeuvre canadien n'était pas subventionné. Vous avez engagé pendant 20 ans des procédures qui ont établi à maintes reprises que le commerce du bois d'oeuvre ne cause ni ne risque de causer un préjudice à une industrie des États-Unis. Et pourtant, vous vous êtes rendu compte que des membres du Congrès américains ne le croient pas.

    La conclusion à tirer, c'est que l'industrie américaine réussit fort bien à convaincre le Capitole, ce qui n'est pas le cas pour l'industrie canadienne. Une des raisons à cela, c'est que vous avez des alliés aux États-Unis dans ce dossier et dans d'autres. Les importateurs américains sont nombreux. Il y a beaucoup de magasins américains, par exemple, Home Depot, et la National Association of Home Builders, qui sont tous des alliés, mais qui n'ont pas les moyens financiers pour défendre votre cause devant le Capitole. Et le gouvernement du Canada a travaillé de façon irrégulière, pour mettre les choses au mieux, pour s'en faire des alliés.

    Donc, dans ce dossier, comme dans d'autres, il importe d'identifier et de reconnaître les alliés qui se trouvent aux États-Unis. Il est important de les mobiliser, de collaborer avec eux, de les aider et de défendre leurs intérêts, pour que le Congrès tienne compte de ces intérêts.

+-

    M. Jon R. Johnson: En ce qui concerne les dispositions de l'ALENA qui intéressent particulièrement les Américains, les États-Unis comptent parmi les champions mondiaux de la protection des investissements. Ils ont élaboré leur modèle de traités bilatéraux d'investissement; ils ont conclu des traités bilatéraux d'investissement avec plusieurs pays. Ils avaient à coeur de se défaire de l'Agence d'examen de l'investissement étranger dans l'accord initial canado-américain, ou du moins d'en réduire considérablement l'influence. L'investissement étranger et des questions de ce genre occupaient manifestement une place élevée dans la liste de leurs priorités. En outre, l'administration Bush a mentionné maintes fois la sécurité énergétique, pour des raisons évidentes. Je crois donc qu'il est très évident que ces dispositions de l'ALENA sont très importantes pour les États-Unis.

    Admettons, par exemple, que les États-Unis continuaient d'insister pour dire que procéder aux termes de l'ALENA ferait une différence et que vous ne récupériez pas votre argent, ou que la Corée appliquait ses lois intérieures et que vous récupériez votre argent. Dans ces circonstances, si le différend était réglé en faveur du Canada dans une procédure prévue au chapitre 20 ou à l'article 1905—ce qui ne représenterait pas forcément une bombe atomique... Quoi qu'il en soit, si le Canada avait alors le droit d'user de rétorsion, ce qui serait le cas, les États-Unis auraient le choix entre régler le différend, négocier un règlement—autrement dit, remettre le chapitre 19 sur les rails—ou accepter la mesure de rétorsion, et le Canada pourrait envisager ce genre de mesure de rétorsion. Le truc serait de...

»  +-(1715)  

+-

    M. Peter Julian: Selon vous, quelle impression cela donnerait-il?

+-

    M. Jon R. Johnson: Cela me paraît tout à fait acceptable. Cela ne serait pas très avantageux pour bien des intérêts aux États-Unis.

+-

    M. Peter Julian: Le Canada pourrait donc disposer de quelques options.

+-

    M. Jon R. Johnson: Certainement, mais pas autant qu'avec les importations.

    C'est cela la difficulté. La rétorsion, le retrait des avantages, cela pose toujours des problèmes dans le pays, parce que des gens en souffriront.

+-

    M. Donald McRae: Qu'est-ce que ça signifie?

+-

    Le président: Cela signifie que le timbre sonne pour la tenue du vote de ce soir. Il sonnera pendant 15 minutes. Il nous reste 13 minutes.

    M. Julian disposera de ses dix minutes, puis M. Menzies et M. Eyking se partageront quatre autres minutes.

    Monsieur Julian.

    Je suis désolé, monsieur McRae, vous vouliez répondre.

+-

    M. Donald McRae: Je voudrais tout simplement dire qu'un grand nombre d'observations que vous avez entendues, notamment au cours de cette dernière partie de l'audience, signifient que, pour tenter de traiter avec les États-Unis, il faut séparer divers éléments. Nous disons qu'il faut réagir face aux États-Unis, mais le problème est multiple. Une partie du problème concerne le lobbying. Une autre concerne le fonctionnement des organismes intérieurs; ils refusent d'écouter les groupes spéciaux binationaux. Une autre partie du problème réside dans le fait que le pouvoir exécutif des États-Unis n'a absolument aucune mainmise sur le Congrès.

    Alors, dans toute stratégie, il faut considérer qu'on doit examiner différemment les différents aspects qui sont propres aux États-Unis. Des mesures de rétorsion semblent toujours acceptables, jusqu'à ce qu'on essaie de savoir qui en souffrira dans notre pays, car de telles mesures entraînent généralement des difficultés pour certains habitants du pays.

    Cela signifie que, d'abord, nous n'avons pas affaire aux États-Unis en un seul bloc. La stratégie doit être appliquée à plusieurs niveaux. Ensuite, bien que j'accepte l'argument de M. Feldman selon lequel on ne peut pas dissocier le différend sur le bois d'oeuvre du chapitre 19 pour y trouver des solutions—comme Larry Herman l'a dit, je crois—on ne peut pas régler ce différend en invoquant le chapitre 19. Il faut examiner ce dossier séparément, le régler séparément, puis examiner les questions prévues au chapitre 19, dont certaines sont semblables et d'autres distinctes. Il est important de dissocier les deux pour trouver des solutions.

+-

    Le président: Vous dites « séparément ». Quel mécanisme utiliseriez-vous pour régler le différend?

»  +-(1720)  

+-

    M. Donald McRae: À mon avis, le règlement du différend sur le bois d'oeuvre doit être négocié. Il est important de recourir à toutes les stratégies juridiques qui sont appliquées; elles aident à exercer de la pression. Mais je ne crois pas, en fin de compte, qu'une décision juridique sera rendue et que les États-Unis diront : « Oui, nous nous rendons compte que nous avons tort et nous allons accepter la position du Canada. » Les stratégies doivent être juridiques, mais, en dernière analyse, les deux gouvernements devront négocier.

+-

    Le président: Monsieur Feldman.

+-

    M. Elliott Feldman: J'ai tâché de ne pas intervenir dans le sujet concernant le bois d'oeuvre, mais je ne peux pas m'en empêcher ici.

    Des voix: Oh, oh!

+-

    Le président: Nous savons que ce sujet intéresse vivement M. Julian. Alors, que répondez-vous?

+-

    Dr. Elliott Feldman: Je crains être totalement en désaccord avec M. McRae sur ce point. En outre, je pense que le Canada n'a pas agi judicieusement, pendant trois ans, en incorporant des négociations dans le processus de contestation, ce qui a miné le processus et encouragé les États-Unis à l'élargir en ayant la conviction que le Canada céderait à tout moment; par conséquent, les États-Unis n'auraient qu'à reculer un peu, puis les pourparlers seraient inévitables et le Canada céderait. Cette façon de faire a été regrettable, et il est maintenant temps de dire très clairement que le processus juridique doit prendre fin et que le Canada a le droit d'être dédommagé après trois ans de contestations de la sorte.

    Il est possible qu'il faudra conclure un autre accord sur le bois d'oeuvre à long terme. Je n'en suis pas sûr, car je suis de ceux qui ne croient pas qu'il y aura un cinquième accord sur le bois d'oeuvre. Je ne le crois pas parce que Georgia-Pacific a mené les négociations sur le troisième accord, puis s'est retiré de la mêlée. Nous avons de très bonnes raisons de croire qu'International Paper ne veut pas recommencer l'expérience, et il est le leader des négociations sur le quatrième accord. Personne ne peut savoir qui sera le prochain leader qui sera disposé à dépenser 100 millions de dollars ou plus pour contester un cinquième accord au détriment du Canada. Je doute donc qu'il y aura un cinquième accord.

    Même s'il y a un cinquième accord, on pourra le séparer du processus prévu dans le chapitre 19, parce que la solution au cinquième accord n'est pas la même que la solution au quatrième, et la solution au quatrième est actuellement l'objet d'une contestation judiciaire.

+-

    Le président: Vous pouvez poser une courte question, monsieur Julian. Vous avez dix minutes, mais j'ai pris une minute de votre temps.

+-

    M. Peter Julian: Vous êtes tous très versés dans le droit et vous savez que, dans notre système juridique, une partie du processus est l'accessibilité au système de justice, où les choses ne se déroulent pas qu'ouvertement, mais où les jugements sont rendus conformément aux voies régulières de droit.

    Parmi les témoins que nous avons entendus ici il y a quelques semaines au sujet des dispositions du chapitre 11, certains se sont dits très inquiets des dispositions secrètes de ce chapitre. On a fait allusion au groupe spécial concernant le magnésium et sur le fait que nous ne savions pas ce qui se passait dans ce dossier. Les aspects secrets de l'ALENA, à part ceux du chapitre 19, vous dérangent-ils de quelque façon que ce soit? Je parle du chapitre 11, mais également du chapitre 19, car il est impossible de prendre connaissance de ces procédures.

+-

    M. Lawrence L. Herman: Une plus grande transparence s'impose, et les parties en parlent dans le chapitre 11. Je ne crois pas que nous voulions parler du chapitre 11 ici.

+-

    M. Peter Julian: Non. Je demandais seulement si cela vous dérange.

+-

    M. Donald McRae: Disons que, en principe, oui, les procédures secrètes me dérangent.

+-

    Le président: Nous devons passer rapidement à deux questions et deux réponses.

    Je vais donner la parole à M. Menzies, avec votre autorisation, secrétaire parlementaire Eyking, car on m'a dit que la question sera très courte.

+-

    L'hon. Mark Eyking (Sydney—Victoria, Lib.): J'espère que ce sera une bonne question.

+-

    M. Ted Menzies: Je crois savoir que M. Eyking est très malade et n'a pas beaucoup de voix.

+-

    L'hon. Mark Eyking: Mais je peux encore voter.

+-

    M. Ted Menzies: J'ai une observation à faire, plutôt qu'une question à poser. Des sources excellentes m'ont dit qu'à Washington, la semaine dernière, en raison de l'amendement Byrd, les 4 milliards de dollars... On m'a corrigé à ce sujet. Mes sources m'ont dit qu'il y a eu une fuite. Une partie de cet argent a déjà disparu. Je demanderais un court commentaire à ce sujet.

    Un ancien président de la Commission du commerce international m'a également demandé pourquoi le Canada n'a pas usé de mesures de rétorsion contre l'amendement Byrd. Pourquoi n'avons-nous pas protesté au sujet des produits provenant notamment de la Virginie-Occidentale—la circonscription de M. Byrd—et ceux de son appuyeur, l'Iowa? Pourquoi ne l'avons-nous pas fait?

+-

    M. Elliott Feldman: Je serais ravi de répondre à ces deux questions.

    Environ 5 millions de dollars ont été accordés en décembre, à la suite de l'écoulement de marchandises en provenance de sociétés des provinces maritimes assujetties uniquement à l'ordonnance de droits antidumping et non à l'ordonnance sur les droits compensatoires. Ces trois derniers jours, plusieurs sociétés du Québec situées en bordure de la frontière et dans les Maritimes, y compris quelques-unes des grandes sociétés des Maritimes, se sont retirées de l'examen des droits antidumping et assujettissent donc leurs marchandises admises à un écoulement. Nous ignorons quel montant cela représentera, mais il sera appréciable. Des montants sont donc disponibles encore une fois en raison de l'amendement Byrd.

    L'amendement Byrd est assujetti à un calendrier et les montants ne pourront donc être distribués qu'à l'automne. Entre-temps, le gouvernement du Canada s'est engagé, mais ne l'a pas encore fait, à intenter une procédure devant le Tribunal de commerce international des États-Unis aux termes de l'article 1902.2, pour faire valoir que l'amendement Byrd ne s'applique pas aux marchandises canadiennes. Comme j'ai élaboré cette théorie, je serais heureux d'en discuter plus longuement si vous le désirez.

    La théorie juridique, c'est qu'il y a trois critères de l'article 1902.2 selon lesquels les modifications au droit commercial des États-Unis s'appliquent au Canada ou au Mexique. Il s'agissait d'une modification à la partie VII. Le Canada n'en a pas été avisé. Le Canada et le Mexique ne sont pas désignés dans l'amendement et, comme M. Potter l'a souligné plus tôt avec raison, l'amendement n'est pas conforme aux règles de l'OMC. Donc, l'amendement Byrd ne répond pas aux trois critères énoncés à l'article 1902.2. L'amendement ne devrait pas s'appliquer.

    Nous avons également appris de sources proches du Capitole que le sénateur Byrd cherche à modifier son amendement pour contrer la contestation judiciaire que le Canada s'apprête à lancer. Par conséquent, ce chapitre n'est pas encore écrit.

»  -(1725)  

+-

    Le président: Il semble y avoir de la lumière au bout du tunnel.

    Je donne la parole à M. Eyking.

+-

    L'hon. Mark Eyking: Je ne ferai pas un long préambule. J'ai probablement deux questions à poser.

    La première est celle-ci: Si le premier ministre s'entretient avec le président Fox avant d'assister au barbecue, le président aura-t-il bien des choses à lui raconter? Ce que je demande, c'est si les Mexicains ont bon nombre des mêmes problèmes que nous. Le Mexique a-t-il beaucoup de problèmes avec son accord commercial, suffisamment pour justifier d'en parler à cette occasion?

    Ensuite, on a parlé ici de mesures de rétorsion. Il semble que la plupart d'entre vous s'opposent à ces mesures. Devrions-nous recourir à ce moyen pour frapper les producteurs de vin de la Californie, ou qui que ce soit, afin de réveiller les Américains, parce que c'est le seul moyen dont nous disposons?

+-

    M. Elliott Feldman: Permettez-moi de tenter de répondre rapidement aux deux questions. D'autres témoins auront peut-être autre chose à ajouter.

    Il y a quelques semaines, le gouvernement du Mexique a déposé un mémoire lors de la procédure de contestation extraordinaire mettant en cause le Canada et les États-Unis. Personne ne s'y attendait. C'est un mémoire qui appuie entièrement la position du Canada. Par la suite, j'ai communiqué avec de hauts fonctionnaires du gouvernement mexicain. Ils étaient très inquiets au sujet du chapitre 19. Alors, je crois que si une question était soulevée auprès du président Fox, il y prêterait l'oreille.

+-

    M. Simon V. Potter: La mise en oeuvre de l'ALENA soulève plusieurs plaintes au Mexique. Ses plaintes ne sont pas toutes identiques à celles du Canada, mais le Mexique voudra certainement contester les mesures des États-Unis à deux contre un. Que ce soit sur le bois d'oeuvre ou sur des questions d'ordre général, le Canada devrait faire beaucoup plus pour collaborer avec le Mexique dans leurs contestations dans le cadre de l'ALENA.

    En ce qui concerne les mesures de rétorsion, je crois que notre groupe ici présent appuie ces mesures. Nous devons faire valoir un argument lorsque nous avons gain de cause. Si nous avons gain de cause, mais que nous n'agissons pas, à quoi cela sert-il d'avoir gain de cause?

+-

    M. Jon R. Johnson: Il est préférable d'être en mesure d'user de rétorsion que de ne pas pouvoir le faire. Qu'on le fasse ou non, il vaut mieux avoir le droit d'user de rétorsion.

+-

    Le président: Je vous remercie.

    Je voudrais vous remercier beaucoup de vos observations, messieurs. Elles nous ont certes beaucoup éclairés.

    Je devrais peut-être lever la séance, car il reste deux minutes avant le vote. Nous avons entendu votre opinion et le mot « rétorsion », et nous avons également entendu d'autres gens par le passé... Monsieur Potter, vous avez dit que beaucoup de choses se déroulent correctement et que nous faisons beaucoup de bonnes choses pour accroître le pourcentage du commerce. Par contre, vous dites que nous devons agir sévèrement. Je n'ai pas entendu le mot « liens » et beaucoup de gens disent que nous ne devrions pas les évoquer. On a soulevé la question de l'énergie, mais il doit y avoir d'autres moyens d'aborder la question.

    Je crois que, ce que nos électeurs nous demandent le plus, c'est de trouver un moyen d'obliger les États-Unis à se conformer aux décisions. Il devra exister un mécanisme permettant d'exiger le respect et le maintien des décisions. Il y a beaucoup de mécontentement à cet égard. Nous pourrions avoir les organismes, nous pourrions les appuyer financièrement—des membres permanents, des membres compétents dans le secteur—mais à quoi cela sert-il, si je puis dire, si une décision n'est pas respectée en fin de compte? Où est le mécanisme...

+-

    M. Lawrence L. Herman: La solution consiste à continuer d'exercer des pressions sur tous les plans, et nous n'avons pas eu la sagesse de le faire dans le cas du différend sur le bois d'oeuvre.

+-

    M. Elliott Feldman: Si vous le permettez, monsieur le président, tout n'est pas encore terminé. Il n'y a pas encore eu un véritable non-respect d'une décision. Nous n'en sommes pas encore là.

-

    Le président: Très bien.

    Je tiens à vous remercier, et je suis désolé de vous presser. Nous devons nous rendre à la Chambre, car nous devons jouer avec des chiffres, comme vous le savez. Les votes d'hier, d'aujourd'hui et de demain sont très importants.

    La séance est levée. Je vous remercie beaucoup de votre présence.