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AANO Rapport du Comité

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Opinion dissidente —
du parti Conservateur

Position du Canada :
Projet de déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones

Introduction

Le 29 juin 2006, le Canada a voté contre l’adoption du Projet de déclaration sur les droits des peuples autochtones à la séance inaugurale du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies.

Le Canada est avantageusement connu pour défendre les droits ancestraux et les droits issus de traités sur la scène nationale et il est déterminé à poursuivre ses efforts pour faire valoir les questions autochtones dans les tribunes internationales. Depuis le milieu des années 1980, les gouvernements canadiens qui se sont succédé se sont employés à produire une déclaration qui assurerait la défense et la protection, sans discrimination, des droits de la personne et des libertés fondamentales de tous les Autochtones et qui reconnaîtrait les droits collectifs des peuples autochtones partout dans le monde.

Tout aussi important, le Canada s’était engagé à produire une déclaration qui établirait des partenariats et des relations harmonieuses entre les peuples autochtones et les États où ils vivent, qui trouverait un équilibre entre les droits des parties, qui clarifierait les responsabilités et les engagements respectifs et qui donnerait des conseils pratiques aux États.

Malheureusement, certaines parties de la déclaration actuelle ne contribuent pas à donner des conseils pratiques aux États, aux peuples autochtones et aux organismes multilatéraux : des parties du texte sont vagues et ambiguës et susceptibles d’être interprétées de manières différentes, voire contradictoires. Le Canada a tenté de poursuivre les négociations, particulièrement en ce qui a trait à un nouveau texte proposé par le président rapporteur qui n’a pas fait l’objet de discussions par tous les États et d’autres parties, afin de produire un document plus efficace et acceptable.

En proposant la poursuite des négociations, le Canada espérait contribuer à l’élaboration d’une déclaration qui expose de façon plus claire les droits des peuples autochtones et les engagements des États par rapport à ces droits. Le Canada cherchait à élargie le consensus autour du texte pour que la déclaration soit finalement adoptée et défendue par le plus grand nombre d’États possible.

Comme la majorité des membres du Conseil des droits de l’homme n’a pas voulu prolonger la durée des discussions sur la déclaration, le Canada s’est opposé à son adoption en raison de l’ampleur de ses préoccupations et du fait que la déclaration ne remplit pas son objectif d’efficacité.

Le présent exposé retrace l’historique de la participation du Canada au processus de négociation du Projet de déclaration jusqu’à ce jour. Les raisons qui ont motivé le Canada à adopter cette position de principe y sont exprimées clairement et les grandes lignes des changements qu’il faudrait apporter au texte pour que le Canada plaide en faveur de son adoption y sont exposées. En outre, les positions et les déclarations d’autres États par rapport au Projet de déclaration y sont aussi examinées.

Contexte

Le processus engagé pour aboutir à un projet de déclaration remonte à plus de vingt ans. En 1985, le Groupe de travail des Nations Unies sur les populations autochtones a décidé qu’il conviendrait de produire un projet de déclaration sur les droits des peuples autochtones qui pourrait être soumis à l’Assemblée générale en vue de son adoption et de sa proclamation.

Un groupe d’experts indépendants a dirigé le processus de production d’un projet de déclaration dans le cadre duquel des milliers de représentants autochtones ont présenté des propositions. Bien que des États, dont le Canada, y aient participé, il était clair pour les représentants canadiens que les experts étaient en train d’élaborer une déclaration conçue par et pour les peuples autochtones et que les préoccupations des États n’étaient pas suffisamment prises en compte.

En 1993, le Groupe de travail sur les populations autochtones a présenté un projet de déclaration à la Sous Commission de la promotion et de la protection des droits de l’homme, que l’on a appelé le « texte de la Sous commission ». Le Canada a rapidement établi que le texte ne serait pas applicable dans le contexte canadien. Les dispositions relatives aux terres et aux ressources, à la reconnaissance des systèmes juridiques autochtones et à l’autodétermination, entre autres, ne pourraient pas s’appliquer au Canada sans mettre en péril les cadres juridiques et stratégiques qui ont été établis pour traiter des questions autochtones.

Le texte de la Sous Commission a été présenté à la Commission des droits de l’homme en 1994. L’année suivante, la Commission a créé le Groupe de travail des Nations Unies sur le projet de déclaration (GTPD), un groupe de travail intersessions à composition non limitée chargé de se pencher sur le Projet de déclaration. Les États se sont engagés à élaborer et à adopter une déclaration avant la fin de la Décennie internationale des peuples autochtones (1994-2004), et des procédures ont été mises en place pour assurer la participation active des organisations autochtones. Tout au long de ce processus, le Canada a pris l’initiative de préconiser des changements au texte de la Sous Commission pour essayer de le rendre plus pragmatique.

Les négociations étaient ardues et avançaient lentement. En 1997, deux articles [1] ont été adoptés provisoirement, à savoir l’article 6 qui prévoit que « tout Autochtone a droit, à titre individuel, à une nationalité » et l’article 14 qui dispose que « tous les droits et libertés reconnus dans la présente Déclaration sont garantis de la même façon à tous les Autochtones, hommes et femmes ».

En 2000, pour tenter de donner son second souffle aux négociations, le Canada a commencé à présider des consultations d’intersession informelles entre des États, auxquelles ont assisté dans l’ensemble tous les principaux acteurs dans le processus. Bien que critiquées par des groupes autochtones, ces consultations ont favorisé une meilleure compréhension, parmi les États, des préoccupations du Canada et d’autres parties par rapport au texte de la Sous Commission. Ces rencontres se sont poursuivies jusqu’en 2003.

En 2002, le Canada a aidé le président rapporteur à produire un rapport consignant pour la première fois des libellés de rechange se rapportant aux questions fondamentales du Projet de déclaration. Au cours des négociations, il est apparu que tous les États et la plupart des groupes autochtones avaient accepté que le processus du Groupe de travail fasse l’objet d’un examen et la possibilité qu’on y mette un terme à l’occasion de la séance de 2005 de la Commission des droits de l’homme si aucun progrès appréciable n’avait été réalisé.

En 2003, des représentants du Canada, de l’Australie et des États-Unis se sont rencontrés à plusieurs reprises pour discuter d’un libellé de rechange sur la question des terres et des ressources. Ces réunions ont donné lieu à une proposition sur ces deux questions, qui a reçu un très mauvais accueil de nombreux États et représentants autochtones après son dépôt. Toutefois, elle a réussi à amener un plus grand nombre d’États à prendre conscience que le libellé sur les terres et les ressources présentait des failles auxquelles il fallait remédier.

En 2004, le Canada, confronté à la fin du mandat initial du Groupe de travail, a relancé le dialogue avec des organisations autochtones nationales au Canada sur le Projet de déclaration dans le but de trouver un terrain d’entente pendant l’étape ultime des négociations. Entre-temps, un groupe d’États dont la Norvège, le Danemark, la Suède, la Finlande, l’Islande, la Nouvelle-Zélande et la Suisse ont produit un tout nouveau texte de déclaration fondé sur une approche de « changement minimal » au texte à l’étude par le GTPD. Une proposition des peuples autochtones sur l’autodétermination a été déposée et le Canada a été parmi les premiers États à l’appuyer.

Bien qu’aucun consensus ne se soit fait autour des questions fondamentales durant les négociations de 2004, des progrès suffisants ont été réalisés pour que le mandat du Groupe de travail soit prolongé d’un an. Par la suite, la Commission des droits de l’homme a révisé le mandat du Groupe de travail en 2005 et, suivant des négociations difficiles au cours desquelles certains États ont préconisé que l’on mette un terme au processus du Groupe de travail, une résolution visant à prolonger son mandat d’un an a été adoptée.

En 2005, pour tenter d’aplanir les différends concernant les portions les plus difficiles du Projet de déclaration, le président rapporteur a soumis des propositions à l’examen de toutes les parties. La 11e séance du Groupe de travail (du 5 au 16 décembre 2005 et du 30 janvier au 3 février 2006) a constitué une étape décisive dans les négociations. Toutes les parties, les États comme les Autochtones, ont montré un empressement à engager des négociations sur le fond dans le but d’arrêter un texte qui ferait l’objet d’un consensus en utilisant les propositions du président rapporteur comme base de discussion.

On est parvenu à une entente provisoire sur une bonne partie du Projet de déclaration, mais il n’a pas été possible de s’entendre sur des questions fondamentales comme l’autodétermination et les terres et ressources, compte tenu de la diversité des opinions parmi les participants du Groupe de travail.

À la fin de la 11e séance, le président rapporteur a informé le Groupe de travail qu’il ferait des propositions relatives aux dispositions en litige, basées sur les discussions qui ont eu lieu durant les séances. Le président rapporteur a décidé que les propositions révisées seraient présentées à la Commission des droits de l’homme dans l’espoir qu’elles soient considérées comme un texte de compromis définitif.

Le texte du président rapporteur a été publié à la fin de février 2006 et il a été transféré pour étude au Conseil des droits de l’homme des Nations Unies (qui venait d’être créé en remplacement de la Commission des droits de l’homme). Les États et les représentants autochtones n’ont pas eu la possibilité de discuter de ces propositions.

Position du Canada devant le Conseil des droits de l’homme

Le Canada est venu à la réunion du Conseil des droits de l’homme en juin 2006 avec l’espoir d’engager des consultations sur le Projet de déclaration. L’objectif de ces consultations aurait été de clarifier les questions de fond, d’élaborer des propositions spécifiques propres à élargir au maximum le consensus, et de faire ensuite rapport au Conseil des droits de l’homme.

Malheureusement, cette proposition n’a pas recueilli le soutien nécessaire, même si le Canada, certains autres pays et quelques représentants autochtones ont fait état dans leurs déclarations respectives des difficultés que leur pose un processus où le libellé de plusieurs dispositions clés n’a pas fait l’objet de discussions par toutes les parties.

Le Canada a fait valoir que d’autres améliorations étaient à la fois possibles et nécessaires à cet égard et qu’il fallait plus de temps pour travailler avec les autres États et les peuples autochtones à la préparation d’un document susceptible d’être adopté par consensus avant que le Conseil des droits de l’homme ne transmette le Projet de déclaration à l’Assemblée générale pour adoption.

Le travail effectué sur le Projet de déclaration, surtout ces dernières années, a montré que les États et les représentants autochtones de tous les horizons peuvent conjuguer leurs efforts et qu’il est possible de faire abstraction de nos différences dans la poursuite d’un but commun.

Le Canada voulait élaborer une déclaration qui aurait promu et protégé, sans discrimination, les droits de la personne et les libertés fondamentales de tous les Autochtones, et qui aurait reconnu les droits collectifs des peuples autochtones partout dans le monde.

Pour être vraiment efficace, la déclaration doit décrire clairement ce qu’on attend des États où vivent des peuples autochtones. Malheureusement, certaines portions du texte présenté au Conseil des droits de l’homme ne répondent pas à ce critère.

Comme il le mentionne dans sa Déclaration au Conseil des droits de l’homme, le Canada estime que les dispositions sur les terres, territoires et ressources sont générales et vagues et qu’elles se prêtent à de multiples interprétations. On pourrait les invoquer pour revendiquer de vastes droits de propriété sur des territoires traditionnels, même lorsque ces droits ont été légalement cédés par traité. Ces dispositions pourraient aussi gêner nos processus de revendications territoriales où les droits des Autochtones relatifs aux terres et aux ressources sont fondés sur un équilibre avec ceux des autres Canadiens, dans le cadre de la Constitution canadienne, laquelle définit notre façon de travailler ensemble.

En outre, dans le Projet de déclaration, la notion de consentement préalable, libre et informé est utilisée dans de nombreux contextes. Elle pourrait être interprétée comme donnant aux peuples autochtones un droit de veto sur plusieurs questions administratives, lois, propositions de développement et activités de défense nationale qui intéressent la population en général et qui pourraient les toucher.

Quant aux dispositions sur l’autonomie gouvernementale, elles n’indiquent pas clairement comment les gouvernements autochtones pourraient travailler avec les autres ordres de gouvernement, notamment en ce qui concerne les lois d’une importance nationale majeure et les questions de financement.

Le Canada jouit d’une longue et fière tradition non seulement pour ce qui est d’appuyer, mais aussi de faire activement progresser à l’échelle nationale les droits autochtones et les droits relatifs aux traités, et il est fermement déterminé à poursuivre ses efforts pour faire valoir les questions autochtones sur la scène internationale.

Malheureusement, le Canada a été obligé de demander la mise aux voix du Projet de déclaration. Résultats officiels : 30 voix pour, 12 abstentions et deux contre (Canada et Russie). Certains États ont fait des déclarations d’interprétations qui ont mis l’accent sur diverses préoccupations au sujet du Projet de déclaration, dont bon nombre étaient partagées par le Canada. Au moment du vote, le Canada a pris la position que la déclaration n’a pas d’effet légal au Canada et n’est pas représentative du droit international coutumier.

En réponse à une question des médias concernant la position du Canada, l’ambassadeur Paul Meyer a dit : « Lorsque l’on fait ce qu’il convient de faire, on ne se soucie pas d’être isolé ou non. Je pense qu’un certain nombre de pays ont fait savoir qu’ils partageaient certaines de nos préoccupations concernant les lacunes du processus et du contenu qui nous ont amenés à voter contre le projet. » [traduction]

Positions d’autres États membres du Conseil des droits de l’homme [2]

Avant et après le vote du Conseil des droits de l’homme, un certain nombre d’États ont fait des déclarations relativement au Projet de déclaration. Manifestement, même pour les États qui ont voté pour l’adoption de la déclaration, des problèmes se posaient tant sur le plan du processus que sur celui du fond. Les citations suivantes en font état.

L’Argentine s’est abstenue de prendre part au vote, en invoquant le manque de temps pour s’occuper de certaines dispositions particulièrement importantes, notamment l’autodétermination et l’intégrité territoriale.

Tout en reconnaissant l’importance de la déclaration, le Bangladesh s’est abstenu de prendre part au vote parce que [traduction] « le texte n’a pas suivi la procédure habituelle pour aboutir à une décision ».

Le Brésil a voté en faveur du texte et a déclaré comprendre que l’exercice des droits des peuples autochtones [traduction] « est conforme au principe de l’unité politique et de l’intégrité territoriale des États souverains et indépendants qu’ils habitent ».

La France a voté en faveur de l’adoption de la déclaration, mais a indiqué que [traduction] « les droits collectifs ne peuvent pas l’emporter sur les droits individuels » et que le droit à l’autodétermination doit être exercé dans le contexte des normes constitutionnelles nationales.

L’Allemagne aussi a voté en faveur de l’adoption de la déclaration, mais elle a nuancé son appui avec une déclaration soulignant [traduction] « l’importance primordiale des droits individuels ». Elle a aussi indiqué comprendre qu’aux termes de la déclaration, l’autodétermination est un nouveau droit spécifique pour les peuples autochtones seulement, qui n’influera pas sur la souveraineté ou l’intégrité territoriale. L’Allemagne a souligné la nature juridiquement non contraignante de la déclaration et indiqué que des groupes ethniques ou minoritaires en Allemagne n’ont pas qualité de peuple autochtone.

L’Inde a voté en faveur de l’adoption de la déclaration en indiquant que la population entière de l’Inde était autochtone et que les dispositions relatives à l’autodétermination [traduction] « ne s’appliquent qu’aux peuples sous domination étrangère et que ce concept ne s’applique pas aux États indépendants […] ». Elle a poursuivi en indiquant que « ce droit à l’autodétermination sera exercé par des peuples autochtones en fonction de leur droit à l’autonomie gouvernementale ».

L’Indonésie a aussi voté en faveur de l’adoption en précisant que le principe du droit à l’autodétermination [traduction] « ne doit pas être interprété comme encourageant ou autorisant toute mesure démantelant […] en tout ou en partie l’intégrité territoriale ou politique des États souverains et indépendants ».

Le Japon aussi a voté en faveur de l’adoption de la déclaration, mais il s’est dit [traduction] « gravement préoccupé par une question de procédure, à savoir que le Groupe de travail n’a pas encore discuté de la dernière proposition de ce projet de déclaration. » Le Japon s’est aussi dit inquiet de certaines questions de fond. Par rapport au droit à l’autodétermination, il a déclaré que cela ne donne pas « aux peuples autochtones le droit d’être séparés et indépendants de leur pays de résidence » et il a formulé des préoccupations concernant l’intégrité territoriale et l’unité politique. Le Japon a aussi affirmé qu’il « n’accepte pas le concept de droits collectifs en droit international […] mais que les peuples autochtones ont les droits énoncés dans la déclaration ». Le Japon considère aussi les droits aux terres et aux ressources comme « étant restreints dans les limites du raisonnable en harmonie avec les droits de tierces parties ».

Maurice a voté pour l’adoption de la déclaration en indiquant comprendre les appréhensions des autres. Maurice a dit craindre que certains groupes puissent exploiter le droit à l’autodétermination et faire pression pour se séparer ou prétendre indûment au statut de peuple autochtone.

Le Maroc a indiqué qu’il s’était abstenu de prendre part au vote parce qu’il aurait préféré que la résolution soit adoptée par consensus et parce qu’il y avait des ambiguïtés par rapport à des questions fondamentales qui n’ont pas été discutées faute de temps.

Les Philippines se sont abstenues de pendre part au vote en expliquant que les questions complexes sur lesquelles portait la déclaration méritaient plus ample étude et discussion. Les Philippines voulaient aussi s’assurer que le texte [traduction] « était entièrement compatible avec [leur] constitution et lois nationales pour qu’il soit mis en œuvre d’une manière sérieuse ».

La Russie, comme le Canada, a voté contre la déclaration, indiquant que [traduction] « le texte ne fait pas le consensus complet, car il n’a pas fait l’objet d’une concertation suffisante ». Elle a dit craindre que son adoption crée un précédent négatif pour les travaux futurs du Conseil des droits de l’homme.

Le Royaume-Uni, bien qu’ayant voté en faveur de l’adoption de la déclaration, a regretté [traduction] « qu’il n’ait pas été possible de parvenir à un consensus plus large […] et que certains États avec des populations autochtones importantes aient estimé qu’ils ne pouvaient que demander la mise aux voix […] ». Le Royaume-Uni a déclaré qu’il « n’accepte pas l’idée de droits collectifs en droit international ». Il a déclaré que le droit à l’autodétermination de la déclaration était « séparé et différent » de la conception actuelle de ce concept en droit international et il a réaffirmé ses préoccupations concernant l’intégrité territoriale et l’unité politique. Le Royaume-Uni a fait d’autres déclarations d’interprétation concernant la propriété et la réparation culturelles, intellectuelles, religieuses et spirituelles et insisté sur le fait que cette déclaration n’est pas juridiquement contraignante.

L’Ukraine s’est abstenue de prendre part au vote en indiquant que la déclaration [traduction] « prétend créer une nouvelle conception du droit à l’autodétermination qui n’est pas conforme au droit international » et qui « pourrait être interprétée à tort comme l’octroi [à des peuples autochtones] du droit unilatéral à l’indépendance et à la sécession ». L’Ukraine s’est aussi dite préoccupée par les dispositions relatives aux terres et aux ressources et a regretté que « le Projet de déclaration ait été déposé avant que les États membres aient la possibilité de commenter officiellement le texte […] et d’établir un consensus sur les éléments en controverse ».

Enfin, l’Australie, la Nouvelle-Zélande et les États-Unis d’Amérique, bien qu’ils ne soient pas membres du Conseil des droits de l’homme, ont publié une déclaration commune indiquant que le texte du président rapporteur présentait des « failles fondamentales » et ne faisait pas l’objet d’un consensus, et que les États n’avaient pas eu la possibilité d’en discuter ensemble. La déclaration commune a aussi indiqué que le texte actuel [traduction] « prête à confusion et son application risque de donner lieu à des interprétations et à des débats incessants et contradictoires ». La déclaration commune a indiqué que la manière dont le droit à l’autodétermination a été formulé dans la déclaration « pourrait être déformée pour conférer un droit unilatéral à l’autodétermination et à la sécession éventuelle […] et menacer ainsi l’unité politique, l’intégrité territoriale et la stabilité des États membres des Nations Unies ». La déclaration commune soulève aussi des questions relativement à la notion du consentement préalable, libre et informé, aux terres et ressources, à la possibilité que des groupes séparatistes et minoritaires s’identifient comme des peuples autochtones, ainsi qu’au rapport entre droits individuels et droits collectifs. En réclamant des négociations additionnelles, ces États ont indiqué que « l’adoption de ce texte risque de produire une déclaration qui pourrait être sapée et désavouée et dont l’intention pourrait être dénaturée au moyen de longues déclarations d’interprétation ».

Intérêts du Canada relativement au Projet de déclaration

Bien que le Canada soutienne généralement les buts de la déclaration, il continue à avoir des préoccupations à propos de certaines portions du texte dans son état actuel, tout comme d’autres pays. Il importe de noter que la déclaration comprenait le texte de compromis élaboré par le président rapporteur après la dernière séance du groupe de travail. Le Canada n’a pas reçu ces propositions avant la fin de février 2006 et il n’a pas eu l’occasion d’en discuter avec toutes les parties. Il a donc demandé plus de temps pour se pencher sur le texte avec les États et les peuples autochtones.

Plus important encore, des parties de la déclaration actuelle pourrait être interprétées comme étant non conformes à la Loi constitutionnelle de 1982, à la Charte canadienne des droits et libertés et à des décisions de la Cour suprême du Canada. Tout au long des négociations, le Canada a cherché à obtenir une déclaration qui pourrait s’appliquer dans le cadre constitutionnel du Canada.

Au Canada, la Constitution prévoit la reconnaissance et l’affirmation des droits ancestraux existants et des droits issus des traités. Les tribunaux canadiens ont interprété le contenu de ces droits. L’interprétation du Projet de déclaration pourrait aller au-delà de l’état actuel du droit au Canada. Par exemple, le libellé de la déclaration concernant les droits aux terres, territoires et ressources pourrait être interprété comme un appui à l’élargissement de droits aux peuples autochtones qui ne sont pas actuellement reconnus par la Loi constitutionnelle. En outre, le libellé de la déclaration ne tient pas compte des intérêts différents que les peuples autochtones pourraient avoir, par exemple, par rapport aux terres et il pourrait, par conséquent, aller au-delà des lois et pratiques canadiennes et des protections découlant de la Constitution canadienne.

La déclaration aborde les droits collectifs autochtones et, dans certains cas, les droits individuels des peuples autochtones. La Charte canadienne des droits et libertés prévoit la protection des droits et libertés de toutes les personnes, y compris les Autochtones, ainsi que la manière de les équilibrer avec l’intérêt public en tant que partie intégrante des valeurs fondamentales des Canadiens. Toutefois, les dispositions de la déclaration relatives aux droits pourraient être interprétées de manière à modifier l’équilibre prévu dans la Charte. Par exemple, certains termes employés dans la déclaration sont très normatifs. La Cour suprême a établi des critères pour l’exercice de l’atteinte parfois nécessaire à des droits individuels, mais l’article 46 de la déclaration qui prévoit l’équilibre entre les droits collectifs et individuels pourrait être interprété comme une restriction de l’article un de la Charte, ou par la jurisprudence relative à l’article 15 de la Loi constitutionnelle, 1982.

La Cour suprême du Canada a statué sur des droits autochtones allant du respect des pratiques traditionnelles, comme la pêche et la chasse, aux titres ancestraux donnant un droit d’usage et d’occupation exclusif d’un territoire. Certaines dispositions de la déclaration pourraient être interprétées comme allant au-delà de la jurisprudence de la Cour suprême du Canada concernant les droits collectifs des peuples autochtones aux termes de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, comme les droits de pratique de la pêche, de la chasse et de la cueillette.

Il y a d’autres problèmes fondamentaux, notamment en ce qui concerne les terres et les ressources, l’utilisation de la notion de consentement préalable, libre et informé, et l’approche à l’autodétermination de la déclaration, entre autres.

Le texte actuel sur les terres et ressources est ambigu et peut se prêter à diverses interprétations qui pourraient ne pas tenir compte des différents types de droits dont jouissent les peuples autochtones par rapport aux terres et aux ressources au Canada, ni des différents régimes législatifs et de la protection législative qui s’appliquent à ces terres. On pense ici aux terres cédées en raison d’un traité, d’une loi ou d’autres processus, y compris les terres détenues et administrées à titre de réserve indienne et les terres détenues en fief simple. Les peuples autochtones peuvent aussi avoir des droits d’usage des terres et ressources pour la chasse, la pêche et d’autres fins. Dans les régions du Canada où les intérêts des Autochtones relatifs aux terres et ressources ne font pas l’objet d’un traité ou d’un autre acte juridique, les peuples autochtones peuvent avoir divers droits par rapport aux terres et aux ressources dans les territoires utilisés traditionnellement, allant des titres ancestraux ou de la propriété de certaines terres aux droits d’usage des terres et des ressources à des fins diverses. Comme les déclarations sont non contraignantes, elles sont souvent rédigées sous forme d’aspirations. Le texte concernant les terres et ressources est toutefois rédigé de manière à soulever des questions à propos de son effet rétroactif potentiel.

En ce qui concerne l’article 25, le Canada aurait préféré que la déclaration confirme de manière plus explicite que le but de cet article est d’affirmer la relation spirituelle, plutôt que de créer de droits concrets. Cela est particulièrement problématique dans l’utilisation du terme « eaux et mers littorales ».

L’article 26 contient la plus problématique des dispositions relatives aux terres et territoires, particulièrement la phrase suivante : [traduction] « Les peuples autochtones ont droit aux terres, territoires et ressources qu’ils possèdent ou qu’ils occupent ou exploitent traditionnellement. » Le texte ne prend pas en considération les intérêts différents que les peuples autochtones peuvent avoir par rapport aux terres, ni les protections et régimes législatifs différents qui s’appliquent à ces terres. De plus, le texte ne reconnaît pas que les droits aux terres et ressources doivent être équilibrés avec les droits des autres. Dans un autre paragraphe de la même disposition, l’obligation des États relativement à la portée de la reconnaissance légale n’est pas claire. L’article 26 est un autre exemple de l’absence de conseils pratiques quant à l’interprétation de certaines dispositions clés dans la déclaration.

Le texte actuel de l’article 27 pourrait être interprété comme exigeant des mécanismes d’arbitrage spécifiques pour déterminer les droits fonciers, et comme étant normatif de manière à exclure d’autres approches pour résoudre des questions relatives aux revendications territoriales qui ont produit de bons résultats dans le passé. Citons ici les négociations directes entre les représentants des peuples autochtones et des gouvernements. À la dernière réunion du Groupe de travail, la délégation canadienne a constaté que les représentants des gouvernements et des groupes autochtones dans les négociations sur les revendications territoriales ne sont « ni indépendants ni impartiaux ». La Cour suprême du Canada a toujours affirmé que la négociation est le moyen privilégié d’effectuer la réconciliation. La politique du Canada consiste à avoir recours aux négociations comme moyen privilégié de reconnaître et de clarifier les droits fonciers et les droits en matière de ressources des peuples autochtones. Comme le Canada a longtemps préconisé l’inclusion de termes faisant référence à des processus pour résoudre et clarifier les droits fonciers, le texte proposé est décevant.

Quant à l’article 28 qui traite du droit de recours pour les pertes ou dommages aux terres, territoires ou ressources, le Canada aurait préféré que la déclaration confirme que cet article ne propose pas un effet rétroactif et qu’il ne peut pas être interprété comme s’appliquant aux terres détenues antérieurement, mais dont les droits ont été abolis légalement aux termes d’un traité ou d’un autre acte juridique. Si le Canada avait réussi à obtenir plus de temps pour poursuivre les négociations, il aurait cherché à s’assurer que les dispositions relatives aux terres et aux ressources ne peuvent pas être interprétées comme une réouverture des accords actuels et que les dispositions relatives au droit de recours ne pourraient pas être interprétées comme ayant un effet rétroactif.

L’article 29 reconnaît des droits dont l’existence juridique n’est pas admise dans le droit international, notamment le droit à la préservation et à la protection de l’environnement. Le Canada aurait préféré un texte garantissant que les obligations des États relativement à la protection de l’environnement en général sont compatibles avec les obligations relativement aux terres autochtones. D’autres modifications du texte pour s’assurer que les peuples autochtones ont droit à l’égalité d’accès aux programmes d’aide pour la protection et la préservation de l’environnement auraient aussi été souhaitables pour prendre en compte les intérêts du Canada.

L’article 32 stipule que [traduction] « les peuples autochtones ont le droit de fixer des priorités et d’élaborer des stratégies pour la mise en valeur et l’utilisation de leurs terres, territoires et autres ressources », que les États obtiendront le consentement « avant l’approbation de tout projet ayant une incidence sur leurs terres ou territoires » et que les États « fourniront des mécanismes efficaces pour une réparation juste et équitable » à cet égard. Le Canada aurait voulu que cet article exprime clairement que les peuples autochtones peuvent avoir des intérêts variés relativement aux terres et territoires et que parfois il peut y avoir de nombreux groupes qui ont des intérêts dans un territoire donné. De plus, pour prendre en compte l’intérêt du Canada, il faudrait que cet article reflète que les incidences éventuelles du développement peuvent varier. L’utilisation dans cet article de l’expression « consentement, exprimé librement et en toute connaissance de cause » fait également problème.

Dans la disposition concernant l’autonomie gouvernementale (article 4), le texte actuel reconnaît le droit aux moyens de la financer. En outre, il n’est pas clair en ce qui a trait à la suprématie des lois fédérales ou provinciales ayant une importance primordiale. Le Canada considère que les compétences ou pouvoirs dont aurait besoin un groupe autochtone devraient concerner les affaires internes du groupe, les questions faisant partie intégrante de sa culture autochtone distincte et, enfin, tous les éléments essentiels pour lui permettre de fonctionner en tant que gouvernement ou institution. Dans les négociations relatives à l’autonomie gouvernementale, il est dans l’intérêt du Canada d’assurer l’harmonie entre les lois fédérales et provinciales et celles des gouvernements autochtones. Pour prendre en compte ces intérêts, le Canada aurait préféré que la déclaration exprime clairement que des règles de priorité négociées peuvent énoncer le caractère prépondérant des règles de droit autochtones dans des circonstances déterminées, mais que les lois de l’État l’emportent sur les règles de droit autochtones conflictuelles lorsqu’il s’agit de l’intérêt national et que les conséquences vont au-delà des collectivités. De plus, il aurait fallu que la déclaration explique clairement que les gouvernements autochtones doivent partager la responsabilité du financement de leurs fonctions.

On fait référence à la notion de consentement préalable, libre et informé (articles 10, 11, 19, 28, 29 et 32) relativement à des mesures administratives et législatives, à des recours, au développement, à la protection de l’environnement et à des activités militaires. La déclaration pourrait être interprétée comme donnant aux peuples autochtones un droit de veto sur plusieurs questions qui les touchent, y compris des questions qui intéressent aussi la population en général. Cela pourrait être interprété comme allant au-delà de la Loi constitutionnelle, 1982. Bien que le veto ou le consentement puisse être approprié dans certains cas (par exemple, l’article 29 prévoit qu’aucune matière dangereuse ne sera stockée ou déchargée sur les terres des peuples autochtones sans leur accord), ce n’est manifestement pas une norme appropriée dans tous les cas. La jurisprudence canadienne exige que la Couronne justifie une atteinte aux droits des peuples autochtones et impose un devoir de consultation et, le cas échéant, la prise en compte des droits revendiqués par les Autochtones lorsque la Couronne envisage une action qui pourrait influer sur ces droits.

La déclaration prévoit que les États doivent consulter et coopérer avec les peuples autochtones en vue d’obtenir leur consentement relativement à de nombreuses questions. Cela est particulièrement problématique en ce qui concerne l’article 19 qui pourrait être interprété comme obligeant les États à obtenir le consentement des peuples autochtones en ce qui concerne pratiquement toutes les actions gouvernementales qui pourraient les toucher.

Tel qu’indiqué plus tôt au niveau international et en accord avec des décisions récentes de la Cour suprême, le Canada engage des consultations de bonne foi en tenant compte des droits ou intérêts différents que les peuples autochtones pourraient avoir par rapport aux terres dont il est question. Il est plus utile de concevoir un « continuum » d’approches dont le consentement est une option importante. Le Canada croit que l’essentiel ici est de faire en sorte que les collectivités ou peuples autochtones soient davantage consultés et plus souvent appelés à participer et, le cas échéant, que leurs intérêts soient pris en compte lorsque des décisions sont prises relativement au développement ou d’autres domaines, qui ont un effet direct sur leurs droits.

Dans ce contexte, la déclaration doit clarifier la notion du consentement préalable, libre et informé pour faire en sorte que son utilisation soit conforme à l’interprétation que le Canada en fait. Par exemple, par rapport à l’article 19, l’obtention du consentement relativement à des mesures administratives ou législatives pourrait ne pas être justifiée, ni réaliste. La suppression des termes « consentement, exprimé librement et en toute connaissance de cause » de l’article 19 ou l’emploi de mots moins normatifs conduirait à une disposition plus réaliste, sans en modifier l’esprit, ni l’objet.

En ce qui concerne les questions militaires (en particulier les articles 10 et 30), il est dans l’intérêt du Canada de s’assurer que rien n’empêche le déplacement des populations autochtones pendant des catastrophes, des conflits armés ou d’autres situations d’urgence et que le Projet de déclaration n’interdit pas que des activités militaires aient lieu au-dessus des terres et territoires des peuples autochtones ou sur ces terres et territoires, comme l’autorisent les lois nationales ou les traités ou autres accords négociés avec les peuples autochtones. Toutefois, la déclaration pourrait être interprétée d’une façon qui limite la capacité des forces armées de remplir leur mandat aux termes de la Loi sur la défense nationale, surtout en ce qui concerne la réinstallation durant les catastrophes, les conflits armés ou d’autres situations d’urgence conformément au droit canadien ou international.

L’article 36 prévoit des contacts transfrontaliers étendus, mais ne précise pas que ces contacts doivent être effectués « conformément aux lois en matière de contrôle frontalier », libellé proposé par le Canada avec l’appui de plusieurs États. Cette disposition pourrait être interprétée comme autorisant un droit inconditionnel de transit et de commerce transfrontaliers. Bien que le Canada soit favorable aux contacts transfrontaliers entre peuples autochtones, un droit en ce sens doit respecter le droit souverain des États de contrôler leurs frontières, notamment par le contrôle de l’immigration, des contrôles douaniers et des droits de douane. Il aurait fallu que le Projet de déclaration fasse état de ce fait. Le Canada aurait appuyé l’emploi de la formule « conformément aux lois en matière de contrôle frontalier » dans ce contexte.

Il y a d’autres dispositions qui ne prennent pas en compte les intérêts du Canada, notamment la façon dont les dispositions relatives à la langue, à la culture, à l’éducation, à la propriété intellectuelle et aux systèmes juridiques autochtones ont été rédigées. Si le Canada avait réussi à obtenir plus de temps pour des négociations additionnelles, d’autres préoccupations semblables auraient été abordées dans le contexte d’une déclaration émise au moment de l’adoption.

[1]
Veuillez noter que la numérotation des articles du Projet de déclaration utilisée dans le présent exposé est celle de la Résolution 2006/2 du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, datée du 29 juin 2006.
[2]
Ces déclarations sont disponibles dans le site Web du Centre de documentation, de recherche et d’information des peuples autochtones.