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CIIT Rapport du Comité

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Opinion dissidente —
Bloc Québécois

Politique commerciale : un ré enlignement s’impose

Un rapport très mal avisé qui provoquerait une grave crise industrielle au Québec

Le Bloc Québécois est en désaccord avec le présent rapport du Comité du commerce. Ce rapport, qui s’appuie sur une idéologie courante dans les années ’80 et ’90 selon laquelle l’ouverture des marchés ne provoque aucun effet secondaire néfaste et n’a pas besoin d’être balisée, est aujourd’hui complètement dépassé et inadapté à la réalité économique du Québec.

En effet, sans égard pour les pressions et les difficultés que subit notre secteur manufacturier du fait de la hausse du dollar et de la concurrence féroce des économies émergentes, le comité :

  • demande de libéraliser davantage le commerce sans y poser de balises,
  • propose de mettre en sourdine la priorité que nous avons toujours donnée au système multilatéral par la multiplication d’accords bilatéraux,
  • appuie sans réserve ces accords bilatéraux même si aucune étude évaluant leur impact n’a été faite,
  • demande de multiplier des accords de protection des investissements basés sur le chapitre 11 de l’ALÉNA même si ce chapitre a été décrié par tous,
  • demande la levée de tous les obstacles à la libéralisation du commerce avec la Chine même si le Québec y importe 10 fois plus qu’il y exporte,
  • ouvre la porte à l’abandon de la gestion de l’offre dans le domaine agricole même si ce système permet, sans subvention et sans coût pour les consommateurs, d’assurer un revenu décent aux agriculteurs,
  • demande d’assouplir les lois commerciales pour faciliter la vie aux importateurs, sans égard pour le fait que ce sont les producteurs qui souffrent actuellement d’une concurrence féroce et souvent déloyale.

Bref, le comité du commerce a choisi d’adopter une position doctrinaire peu adaptée à la réalité commerciale d’aujourd’hui et particulièrement contraire aux intérêts du Québec. Le Bloc Québécois ne peut y souscrire et, tant que nous aurons un gouvernement minoritaire, utilisera la balance du pouvoir pour empêcher sa mise en œuvre et éviter la ruine de l’économie québécoise.

L’environnement commercial s’est considérablement détérioré

Entre 2003 et 2006, le Québec est passé d’un surplus commercial de 7 milliards $ à un déficit commercial de près de 10 milliards $. En 2006, chaque Québécois a ainsi consommé pour 1300 $ de plus que ce qu’il a produit. Et on ne parle ici que de la balance commerciale internationale, à laquelle il faudrait ajouter un autre 5 milliard $ de déficit commercial interprovincial. Nous nous sommes considérablement appauvris l’an dernier.

En Alberta, le secteur manufacturier ne représente que 6,7 % des emplois. Mais le Québec n’est pas l’Alberta. Notre richesse, elle ne jaillit pas du sol. Les livraisons manufacturières représentent 60 % du PIB du Québec et plus de 85 % de ses exportations.

Or, notre secteur manufacturier s’est dangereusement affaibli. Entre 2003 et 2006, il a perdu 100 000 emplois, la majorité des emplois perdus dans ce domaine au Canada, dont 35 000 pendant la seule année 2006. Et 2007 s’annonce pire encore avec 29 000 emplois perdus dans les deux premiers mois de l’année, soit 96 % du total canadien.

Loin d’affaiblir les lois commerciales, il faut les rendre plus efficaces

Le rapport du comité propose d’affaiblir les lois commerciales pour faciliter la vie aux importateurs. Ces lois visent à prémunir nos producteurs contre les pratiques commerciales déloyales. Lorsqu’un concurrent étranger cause un dommage grave à nos producteurs en pratiquant du dumping (le fait de vendre un bien en bas de son prix normal) ou en jouissant de subventions à l’exportation, le gouvernement a l’obligation d’imposer des droits antidumping ou compensateurs.

Or, les lois commerciales ont déjà été affaiblies. Contrairement à l’Union Européenne et aux États-Unis, le Canada s’est mis à considérer en 2003 que la Chine avait une économie de marché, rendant très difficile la prise de droits antidumping. Résultat : entre 2003 et 2006, le nombre de produits sur lesquels s’appliquent des droits antidumping a diminué de moitié. De 2001 à 2006, les importations chinoises au Canada ont presque triplé, passant de 12 à 32 milliards $, causant les dommages qu’on connaît dans notre industrie. Le Bloc a déposé un projet de loi pour régler ce problème.

En complet déni de réalité, le comité propose d’affaiblir encore les lois commerciales en rendant plus difficile la prise de droits provisoires. Notons ici que le comité permanent de l’industrie, dans son rapport unanime sur le secteur manufacturier adopté en février 2007, va exactement dans le sens contraire. Nous comprenons mal que les députés libéraux et conservateurs demandent de renforcer les lois commerciales au comité de l’industrie et de les affaiblir au comité du commerce.

Ouvert au commerce mais pas n’importe comment

Le Québec est une nation commerçante. Nos entreprises, en particulier nos entreprises de pointe, ne pourraient survivre sur le marché intérieur. Les exportations internationales représentent le tiers du PIB du Québec. Si on y ajoute le commerce interprovincial, les exportations du Québec représentaient 52 % de son PIB en 2005. Une position protectionniste serait contraire à nos intérêts et c’est la raison pour laquelle le Québec, et en particulier les souverainistes québécois, ont massivement approuvé l’accord de libre-échange avec les États-Unis puis l’ALÉNA.

En revanche, il serait naïf et faux de prétendre que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. Si la libéralisation du commerce a globalement entraîné un accroissement de la richesse, elle a aussi généré son lot de perdants. L’absence totale de considérations sociales, humaines, culturelles et environnementales dans les accords commerciaux est un frein à une mondialisation équitable dont tous profiteraient. Il est temps de s’interroger sur l’architecture même des accords commerciaux.

Après le dumping commercial, il faut s’en prendre au dumping social. Le commerce d’un produit fabriqué au mépris des principaux accords internationaux sur le travail, l’environnement ou les droits de la personne est une forme de concurrence déloyale. Il exerce d’énormes pressions sur notre industrie, donne un avantage aux délinquants sur les pays qui respectent leurs engagements internationaux et favorise l’exploitation des travailleurs étrangers et la détérioration de l’environnement. Ce modèle de développement est insoutenable à long terme.

Pour que le commerce soit une source d’enrichissement pour tous, il faudra faire plus que le libéraliser. Il faudra le civiliser pour rétablir une saine concurrence internationale et assainir les termes des échanges. Pour avoir accès aux marchés étrangers, les pays devraient en contrepartie respecter certaines règles.

Le Bloc Québécois estime que ce chantier doit devenir la grande priorité commerciale du Québec et du Canada et déplore vivement que le Comité du commerce passe à côté de cette question qui risque de devenir l’un des principaux enjeux internationaux dans les années à venir.

N’abandons pas le multilatéralisme

Si le projet de zone de libre-échange des Amériques est sur la glace et que la ronde de Doha à l’OMC est moribonde, ce n’est pas parce que le système multilatéral est inefficace. C’est parce que les bases de négociations sont mauvaises. Plusieurs pays semblent considérer que les concessions qu’on leur demande sont plus importantes que les bienfaits qu’ils espèrent tirer d’un éventuel accord. Si tout le monde a l’impression d’y perdre au change, c’est qu’il y a un problème.

Globalement, le système multilatéral a été d’une redoutable efficacité. Les accords visant à libéraliser le commerce ont complètement changé la face du monde. Aujourd’hui, la majorité des produits, représentant plus de 80 % du commerce mondial, circulent librement. Avec le GATT de 1947 et ses successeurs, il n’est plus nécessaire d’envahir un pays pour avoir accès à ses ressources ou son marché. Le GATT, puis l’OMC, ont sonné le glas aux empires et probablement évité bien des guerres. C’est un gain énorme.

Or le temps est venu de corriger les effets pervers de la libéralisation du commerce et de veiller à ce que les échanges commerciaux soient source de progrès pour tous. Et ce magnifique chantier ne peut s’accomplir qu’en contexte multilatéral. C’est uniquement en procédant à ce ré enlignement de notre politique commerciale qu’on pourra relancer les discussions.

Malheureusement, plutôt que de revoir la position de négociation à l’OMC, le comité recommande de contourner le blocage en se lançant tous azimuts dans des négociations bilatérales. La récente analyse de la politique commerciale canadienne réalisée par l’OMC note avec raison que « la participation du Canada aux négociations et aux accords commerciaux préférentiels suscite des préoccupations quant aux ressources qui sont ainsi détournées du système commercial multilatéral ».

La position du comité est non seulement douteuse quant à son efficacité mais elle est très imprudente. Le Canada négocie actuellement quatre accords de libre-échange. Les fonctionnaires du ministère du Commerce et ceux du ministère de l’Industrie ont admis n’avoir réalisé aucune étude leur permettant d’évaluer si ces accords seraient bénéfiques pour notre économie. Peu importe si c’est bon ou pas, le comité demande au gouvernement de conclure ces accords. C’est complètement irresponsable!

Pire, le comité recommande de se lancer tous azimuts dans d’autres négociations bilatérales, là encore sans aucune étude permettant d’évaluer si elles seraient bénéfiques. Il envisage même un accord de libre-échange avec la Chine. En 2005, les importations canadiennes de produits chinois ont totalisé 32 milliards $ et généré un déficit commercial de 26 milliards $, 1000 dollars par habitant.

Quant le commerce avec un pays génère 5 fois plus d’importations que d’exportations, la grande priorité devrait être d’équilibrer les termes des échanges, pas de libéraliser davantage. Le Bloc Québécois est abasourdi par la désinvolture avec laquelle le Comité du commerce recommande d’aller de l’avant sans se préoccuper des conséquences.

Ne touchez pas à la gestion de l’offre

Le système de gestion de l’offre, qui régit le commerce des produits laitiers, de la volaille et des œufs, est le pilier de l’agriculture québécoise. Ce système est efficace, ne requiert aucune subvention, assure un revenu décent et stable aux producteurs et ne génère aucun coût pour le consommateur.

Traditionnellement, la position des parlementaires canadiens était d’insister sur l’importance de protéger ce joyau de notre économie agricole. Le Comité du commerce rompt avec cette tradition. Pour permettre la relance des discussions à l’OMC, le comité recommande au Canada de faire des concessions douloureuses. Le Bloc Québécois est très inquiet et réitère que sa position demeure inchangée : ne touchez pas à la gestion de l’offre.

Oui aux accords de protection des investissements; non aux mauvais accords

Les investissements directs étrangers sont en croissance exponentielle. Pour créer un environnement prévisible et s’assurer qu’un investisseur étranger ne se fera pas déposséder de son bien ou nationaliser sans compensation, les pays concluent des traités relatifs à la protection des investissements. C’est tout à fait normal et le Bloc est en faveur de tels traités. L’accord de libre-échange canado-américain, qui comportait un chapitre sur la protection des investissements (le chapitre 16), a été le premier accord au monde à y assortir un mécanisme de règlement des différends.

Or, nous avons assisté à une dérive avec le chapitre 11 de l’ALÉNA sur les investissements. Avec le chapitre 11, les investisseurs étrangers peuvent s’adresser eux-mêmes aux tribunaux internationaux, passant outre le filtre du bien public opéré par les gouvernements. La notion d’expropriation est tellement vaste que toute loi qui aurait pour effet de diminuer les profits d’un investisseur peut équivaloir à une expropriation et générer une poursuite. Finalement, le montant de la poursuite n’est pas limité à la valeur de l’investissement mais inclut l’ensemble des profits potentiels dans l’avenir. C’est complètement abusif.

Pourtant, le Comité recommande au gouvernement de multiplier de tels accords. Le Bloc Québécois s’opposera à la conclusion d’accords sur les investissements basés sur le modèle du chapitre 11 de l’ALÉNA. Il demande de revenir à la formule antérieure de traités, lesquels ne constituaient pas une charte des multinationales au détriment du bien commun.

Pour une politique commerciale conforme aux intérêts du Québec

Par le passé, les Québécois ont considéré que leurs intérêts commerciaux et ceux du Canada étaient assez semblables. Le présent rapport du comité marque une rupture. S’il reflète les intérêts du Canada et préfigure la politique commerciale canadienne, il semble que le Québec et le Canada aient maintenant des intérêts diamétralement opposés. L’adoption par le gouvernement de la politique commerciale recommandée par le comité provoquerait la désindustrialisation du Québec. Le fait d’être soumis à la politique commerciale canadienne est une véritable épée de Damoclès sur le Québec.

Le Bloc Québécois tient à marquer son opposition et faire connaître sa vive inquiétude. Il nous apparaît urgent que le Québec soit en mesure de développer lui-même une politique commerciale conforme à ses intérêts. Or, pour cela, il faudra devenir souverain.