INDU Rapport du Comité
Si vous avez des questions ou commentaires concernant l'accessibilité à cette publication, veuillez communiquer avec nous à accessible@parl.gc.ca.
CHAPITRE 2
TENDANCES ET DÉFIS DANS LE
SECTEUR MANUFACTURIER
LES TENDANCES DANS LE SECTEUR MANUFACTURIER CANADIEN
Que ce soit au Canada ou dans d'autres pays membres de l'OCDE, le secteur manufacturier n'était pas au centre de la toute dernière poussée de croissance de l'économie. En effet, l'expansion de l'économie mondiale était essentiellement axée sur les matières premières, surtout l'énergie et les métaux de base. Par conséquent, toute hausse de la production manufacturière n'était au mieux qu'une conséquence de ce boom des produits de base, attribuable aux effets multiplicateurs des revenus et des dépenses de ces secteurs axés sur les ressources naturelles. Pour les pays exportant ces produits, d'autres effets économiques sont entrés en ligne de compte et ont eu une incidence plus notable sur le secteur manufacturier. Au Canada, la montée des cours des matières premières s'est accompagnée d'une appréciation de la monnaie, qui a immédiatement miné la compétitivité des entreprises manufacturières par rapport à leurs rivales étrangères. Et de fait, les expéditions de produits manufacturiers ont chuté et sont restées déprimées pendant à peu près trois ans, pendant lesquels le dollar canadien se raffermissait (figure 11). Mais, après une restructuration considérable, le secteur manufacturier a regagné du terrain au chapitre de la compétitivité et les expéditions de produits manufacturiers ont repris, affichant des taux de croissance annuels de 8,5 % et de 3,0 % en 2004 et 2005 respectivement, ce qui est considéré comme une performance saine et dynamique au regard de la plupart des normes. Ces expéditions ont représenté 611,5 milliards de dollars en 2005.
Avec le repli des expéditions à partir de 2001, la productivité du travail et la rentabilité des entreprises manufacturières ont reculé et sont devenues négatives pendant deux ans. Combinés, ces facteurs se sont soldés par de nombreuses fermetures d'usines et une nouvelle vague de licenciements. Depuis son sommet de 2,32 millions au quatrième trimestre de 2002, l'emploi dans le secteur manufacturier recule (figure 12). Le nombre total d'employés qui y ont été licenciés de fin 2002 à août 2006 frise les 233 900, et depuis, le nombre total d'employés dans ce secteur est demeuré autour de 2,1 millions. Étant donné que le dollar canadien semble avoir atteint son sommet à 90,1 cents américains en mai 2006 seulement, il se pourrait que l'emploi dans le secteur manufacturier ait passé le creux de la vague.
Source : Russell Kowaluk « Industries manufacturières : l'année 2005 en revue », Statistique Canada, numéro 11-621-MIF au catalogue
http://www.statcan.ca/francais/research/11-621-MIF/11-621-MIF2006045.pdf.
Source : Statistique Canada et Banque du Canada.
La situation récente de l'emploi dans le secteur manufacturier n'est pas seulement attribuable à l'appréciation du dollar canadien. D'autres facteurs sont à l'œuvre. Les changements structurels qui défavorisent le secteur manufacturier et privilégient les services dans la plupart des vieux pays développés membres de l'OCDE ainsi que l'Accord de libre-échange canado-américain (ALE) continuent de jouer un rôle.
L'ALE a eu une incidence sur le moment où les fabricants canadiens ont décidé des licenciements. C'est ce que révèlent les données sur l'emploi dans ce secteur et sur le cours du dollar canadien (figure 12). L'évolution de l'emploi dans le secteur manufacturier est manifestement retardée par rapport à celle du dollar canadien. Lorsque le dollar canadien se raffermit, l'emploi dans le secteur manufacturier chute; lorsque le dollar canadien perd de sa valeur, l'emploi dans le secteur manufacturier s'améliore. Il reste seulement à établir la durée exacte de ce décalage.
Le dollar canadien s'est apprécié de façon soutenue à deux reprises et l'emploi dans le secteur manufacturier a réagi de façon également soutenue par une baisse à deux reprises. Le premier épisode est antérieur à la conclusion de l'ALE et le second a eu lieu une fois l'ALE fermement établi et entièrement mis en place[10]. Avant l'adoption de l'ALE, il s'est écoulé trois ans entre l'amorce de l'appréciation du dollar canadien et le début des licenciements dans le secteur manufacturier. Lorsque le dollar a cessé sa remontée cinq années trois quarts plus tard, son appréciation de 23,7 % a coïncidé avec la perte de 372 300 emplois, soit un recul de 17,4 % de l'emploi, quatre années et demie plus tard[11]. Lors du second épisode, il s'est écoulé neuf mois entre le début de l'appréciation du dollar canadien et le début des licenciements dans le secteur manufacturier. L'appréciation de 42,2 % du dollar sur une durée d'à peine quatre années et quart a été suivie d'une perte de 208 900 emplois, ce qui représente un déclin de 9,2 % de l'emploi en quatre ans.
Ces données donnent à penser que l'élaboration de l'ALE et l'élimination de droits de douane considérables imposés sur les biens manufacturiers, surtout dans le cas du Canada, ont intensifié la concurrence entre fabricants canadiens et américains. Le taux de change entre nos deux monnaies donne un avantage concurrentiel accru et, par conséquent, les fabricants canadiens sont contraints de répondre plus rapidement à l'évolution du cours de la monnaie (en procédant plus rapidement à des licenciements quand le dollar canadien s'apprécie).
L'emploi dans le secteur manufacturier, en proportion de l'emploi dans toutes les industries canadiennes, est tombé à 13,7 % en 2005[12], soit le niveau le plus bas enregistré depuis 1976. La plupart des pays de l'OCDE ont connu le même phénomène (figure 13). Des recherches menées par l'OCDE laissent entendre que le recul relatif de la part de l'industrie manufacturière dans la production et dans les résultats au chapitre de la valeur ajoutée tient essentiellement au fait que la demande de produits manufacturiers croît bien plus lentement que la demande de services. Le déclin en termes relatifs et absolus de l'emploi dans ce secteur est essentiellement dû à la vigueur de la croissance de la productivité, mais il est également lié à la croissance de la capacité manufacturière des pays non membres de l'OCDE. Cependant, toujours selon l'OCDE, la perte d'emplois dans le secteur manufacturier des pays membres ne peut pas être attribuée à un transfert de production manufacturière à des pays non membres, étant donné que l'emploi dans ce secteur n'a pas vraiment augmenté dans ces derniers.
Europe = Autriche, Danemark, Finlande, France, Allemagne, Irlande, Espagne et Suède
Source : Mémoire d'Industrie Canada au Comité permanent de l'industrie, des sciences et de la technologie de la Chambre des communes, séance du 13 juin 2006, et base de données pour l'analyse structurelle STAN de l'OCDE.
Enfin, la croissance de la productivité du travail s'est redressée vigoureusement dans le secteur manufacturier canadien. Après trois années de piétinement — taux moyen de 0,1 % par an — voire de recul, elle a enregistré un taux de 3,5 % et de 5,7 % en 2004 et 2005 respectivement (figure 14). D'ailleurs, depuis deux ans, en raison d'une restructuration considérable qui a signifié fermetures d'usines et licenciements, le secteur manufacturier affiche une performance supérieure à celle du secteur des affaires avec un taux de croissance de la productivité du travail trois fois plus élevé. Le secteur manufacturier légèrement allégé est beaucoup plus solide et plus résilient qu'au paravant.
Source : Russell Kowaluk, « Industries manufacturières : l'année 2005 en revue », Statistique Canada, numéro 11-621-MIF au catalogue
http://www.statcan.ca/francais/research/11-621-MIF/11-621-MIF2006045.pdf.
LE SECTEUR MANUFACTURIER CANADIEN ET SES GRANDS DÉFIS
1. Appréciation rapide du dollar canadien
Comparativement au secteur des services, le secteur manufacturier est plus exposé aux échanges internationaux. Comme le prix de ses exportations est souvent établi en dollars américains, et que le dollar canadien s'est apprécié, les marges se sont resserrées à mesure que le prix des exportations diminuait en dollars canadiens. Pour des raisons de compétitivité ou parce que le prix des exportations peut être fixé longtemps à l'avance en dollars américains, de nombreuses entreprises ont été incapables de hausser leurs prix en dollars américains.
Les Manufacturiers et Exportateurs du Canada (MEC) ont présenté au Comité les résultats de deux sondages qu'ils ont menés dans le cadre de Fabrication 20/20 : l'un portait sur les défis stratégiques des fabricants et l'autre sur les freins à la croissance des exportations. Il est ressorti des deux sondages que ce sont les taux de change qui sont le facteur le plus contraignant. Dans le premier, les répondants ont cité la vigueur du dollar et la baisse des prix qui s'en est suivie, et dans le deuxième ils ont cité la gestion des taux de change, laissant entendre qu'un régime de taux de change flottant (même lorsque les fluctuations ne sont pas importantes) crée des difficultés (figure 15).
Facteurs freinant la croissance des exportations
Source : Mémoire de Manufacturiers et Exportateurs du Canada au Comité permanent de l'industrie, des sciences et de la technologie de la Chambre des communes, séance du 16 mai 2006.
2. Augmentation et imprévisibilité des coûts de l'énergie
Le secteur manufacturier a également souffert de l'augmentation des coûts de production. Les industries très énergivores, comme les pâtes et papiers, les produits chimiques, les raffineries de pétrole et les industries de métaux primaires constituent environ 29 % du PIB manufacturier[13], et ont particulièrement souffert de la hausse des coûts de l'énergie (électricité, mazout et gaz naturel). Entre le premier trimestre de 2000 et le quatrième trimestre de 2005, les manufacturiers ont vu leurs coûts d'énergie grimper de 94,3 % (figure 16). De plus, bien que la déréglementation du secteur de l'électricité survenue dans certaines provinces ait entraîné un gain d'efficience dans la production et une baisse proportionnelle des prix, certains manufacturiers des provinces en question ont dû composer avec un approvisionnement incertain (par exemple, réductions de tension et pannes de courant).
Les sondages qu'a effectués la Fédération canadienne de l'entreprise indépendante auprès de ses membres en arrivent aux mêmes conclusions que ceux de MEC. Les prix de l'énergie sont jugés être le principal facteur entravant l'activité des entreprises manufacturières.
L'imprévisibilité des prix de l'énergie exacerbe le problème. La prise de décision stratégique concernant certains procédés de fabrication très énergivores tient beaucoup à l'évolution actuelle et prévue des prix de l'énergie. Les fluctuations des coûts compliquent à la fois la planification et la prise de décision.
Variation en pourcentage des coûts des intrants
(1er trimestre 2000 — 4e trimestre 2005)
Source : Mémoire de Manufacturiers et Exportateurs du Canada au Comité permanent de l'industrie, des sciences et de la technologie de la Chambre des communes, séance du 16 mai 2006.
3. Concurrence des économies émergentes
Le secteur manufacturier canadien a été touché par la concurrence mondiale et en particulier celle de la Chine. Marché vaste et en pleine expansion pour les matières premières, les biens industriels, les biens d'équipement et les produits de consommation, la Chine est devenue un fabricant de premier plan, non seulement de textiles et de produits de consommation, mais aussi d'appareils électroniques, de logiciels et d'autres produits de technologie. Sa main-d'œuvre coûte en moyenne un quarantième de celle du Canada, ce qui lui donne un avantage concurrentiel dans la fabrication de produits à forte intensité de main-d'œuvre. Ce pays fait maintenant partie des chaînes d'approvisionnement mondiales du secteur manufacturier[14]. Le Canada est aussi confronté à la concurrence des produits à faible prix et à valeur élevée d'autres économies émergentes comme l'Inde.
Bien que la pénétration au Canada des importations provenant de tous les pays ait été relativement stable au cours des dix dernières années, on remarque un changement dans la position relative des pays d'origine des importations. En particulier, la pénétration des importations en provenance de la Chine a augmenté. Certaines industries manufacturières très exposées aux échanges ont enregistré une baisse de leurs marges de profit, de leurs prix ou de leurs volumes de vente dans leur marché intérieur en raison de la concurrence accrue des importations et en particulier de celles de la Chine (figure 17).
Pénétration des importations de la Chine :
industries manufacturières les plus exposées(en %)
Nota : La pénétration des importations est calculée comme étant la valeur des importations chinoises divisée par la valeur du marché intérieur (expéditions plus importations moins exportations).
Source : Mémoire d'Industrie Canada au Comité permanent de l'industrie, des sciences et de la technologie de la Chambre des communes, séance du 13 juin 2006.
L'émergence de l'économie chinoise sur le marché canadien est un défi que bon nombre de fabricants canadiens devront surmonter, surtout pour les produits dont la fabrication fait appel à un investissement en main‑d'œuvre, moyen ou élevé. Il faut aussi noter comme grand défi pour notre secteur la présence au Canada de produits chinois à forte concentration de capital qui sont vendus à des prix inférieurs à ceux fixés dans leur marché d'origine (faisant peut-être l'objet de dumping ou de subvention), le gouvernement chinois ayant choisi d'appuyer la fabrication de certains biens d'exportation qu'il juge stratégiques pour l'industrialisation rapide du pays. On pense immédiatement à l'acier et aux produits de l'acier.
4. Offre de main-d'œuvre qualifiée
Malgré le délestage actuel en matière d'emploi, le secteur manufacturier, comme tous les autres secteurs de l'économie canadienne, a dû faire face à une pénurie de main-d'œuvre qualifiée (réelle ou potentielle, selon l'industrie ou la région). Depuis dix ans, trois grands facteurs façonnent la main-d'œuvre canadienne : 1) la demande croissante de compétences liées aux technologies de pointe et à l'économie du savoir; 2) une population d'âge actif de plus en plus âgée; et 3) la dépendance croissante à l'égard de l'immigration comme source de main-d'œuvre qualifiée[15]. S'ajoute à ces tendances à long terme un facteur structurel assez récent qui appelle une réaffectation de la main-d'œuvre d'un secteur de l'économie à un autre et d'une région à l'autre : la vigueur du dollar canadien.
Principales pénuries de main-d'œuvre spécialisée dans le secteur manufacturier
Source : Mémoire de Manufacturiers et Exportateurs du Canada au Comité permanent de l'industrie, des sciences et de la technologie de la Chambre des communes, séance du 16 mai 2006.
Selon un sondage mené par les MEC en 2003[16], plus de 40 % des manufacturiers estiment que les pénuries de main-d'œuvre les empêchent sérieusement d'améliorer leur rendement et de prospérer. Environ 17 % des entreprises interrogées ont indiqué que les pénuries de main-d'œuvre constituaient un obstacle majeur à leur capacité de développer et de commercialiser de nouveaux produits. Enfin, un peu plus de 25 % ont déclaré que le manque de personnel qualifié et expérimenté allait modifier fondamentalement la nature de leur entreprise au cours des 5 à 10 prochaines années. Le sondage a aussi fait ressortir les pénuries de main-d'oeuvre qualifiée avec lesquelles le secteur manufacturier est aux prises, par catégorie d'emploi (figure 18).
Dans un autre sondage mené auprès de ses membres par la Fédération canadienne de l'entreprise indépendante (FCEI) en janvier 2005, ces derniers ont indiqué que la pénurie de main‑d'œuvre qualifiée était au troisième rang des priorités commerciales des petites et moyennes entreprises (PME). Cette pénurie est donc un défi de taille pour le secteur manufacturier.
5. Réglementation
De nombreux témoins ont indiqué que la réglementation représentait un fardeau pour leur industrie et pour l'ensemble des secteurs de l'économie. Les grandes associations commerciales (Manufacturiers et Exportateurs du Canada, Chambre de commerce du Canada, Conseil canadien des chefs d'entreprise, Fédération canadienne de l'entreprise indépendante, Conference Board du Canada) ont indiqué qu'un moyen économique d'accroître la productivité et d'aider les entreprises de toutes les tailles et de tous les secteurs consistait à simplifier la réglementation et à réduire les modalités administratives.
Source : Mémoire de la Fédération canadienne de l'entreprise indépendante au Comité permanent de l'industrie, des sciences et de la technologie de la Chambre des communes, séance du 16 mai 2006.
Dans le sondage de la FCEI mentionné, les entreprises sondées ont indiqué que la réglementation publique représentait la deuxième priorité des PME. Dans ce même sondage, les membres de la FCEI (fabricants et autres) ont énuméré les types de règlements fédéraux les plus contraignants (voir figure 19). La réglementation fiscale figurait en tête de liste : TPS, charges sociales et impôts sur le revenu.
[10] Au cours du premier épisode, l'appréciation du dollar canadien a commencé avant l'entrée en vigueur de l'ALE, alors que les pertes d'emplois dans le secteur manufacturier (du début à la fin) ont coïncidé avec la conclusion de cet accord.
[11] Pour Daniel Trefler, les baisses des tarifs douaniers canadiens expliquent environ la moitié des pertes d'emplois au cours de la période allant de 1988 à 1995 (voir Daniel Trefler, « The Canada-U.S. Free Trade Agreement: An Assessment for Canadian Manufacturing », 1998. Voir aussi Daniel Trefler et Noel Gaston, « The Labour Market Consequences of the Canada-U.S. Free Trade Agreement », Revue canadienne d'économique, XXX(1), février 1997, pages 18-41, http://www.nber.org/ftp/trefler/FTA/readme.html).
[12] Russell Kowaluk, Industries manufacturières: l'année 2005 en revue, Statistique Canada, juin 2006, http://www.statcan.ca/francais/research/11-621-MIF/11-621-MIF2006045.htm.
[13] Données présentées par M. Howard E. Brown, sous-ministre adjoint, ministère des Ressources naturelles, au Comité permanent de l'industrie, des sciences et de la technologie de la Chambre des communes, séance du 13 juin 2006.
[14]
Manufacturiers et Exportateurs canadiens, Manufacturing
Challenges in Canada
http://www.cme-mec.ca/mfg2020/Challengespdf.pdf.
[15]
Statistique Canada, Recensement de 2001 : série « Analyses » : Profil changeant de la population active
au Canada, 2003,
http://www12.statcan.ca/francais/census01/Products/Analytic/companion/paid/pdf/96F0030XIF2001009.pdf
[16] Manufacturiers et Exportateurs du Canada, enquête auprès des membres citée dans Manufacturing Challenges in Canada, http://www.cme-mec.ca/mfg2020/Challengespdf.pdf