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JUST Rapport du Comité

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CHAPITRE DEUX : PORTRAIT DE LA PROSTITUTION AU CANADA

Les quelque 300 témoins issus de tous les horizons que nous avons rencontrés tout au long de notre examen des lois en matière de prostitution ont soutenu des positions différentes et souvent contradictoires. Les opinions différaient autant sur la nature de la prostitution, ses causes et ses effets que sur les solutions.

Les recherches se sont davantage intéressées aux personnes qui vendent des services sexuels à partir de la rue. Or, comme le montrera le présent rapport, la prostitution comporte plusieurs autres formes de pratique et implique bien d’autres acteurs que la seule personne qui vend ses services sexuels (client, proxénète, propriétaire d’agence, etc). Les recherches empiriques dans ce domaine sont par ailleurs souvent silencieuses en regard de certaines questions fréquemment associées au phénomène de la prostitution, dont le crime organisé, le commerce de la drogue et la traite des personnes à des fins de prostitution.

Le présent chapitre fait le point sur les connaissances accumulées par le Sous-comité au cours de son examen des lois en matière de prostitution en ce qui a trait à la prostitution dans son ensemble, à sa portée, aux personnes qui s’y livrent, à celles qui en tirent profit, à leurs expériences et aux raisons qui les ont amenées à se livrer à de telles activités.

A. LA PROSTITUTION AU CANADA

1. Les divers types de prostitution

Dès qu’il est question de prostitution, c’est souvent la prostitution de rue qui vient à l’esprit. Pourtant, selon les témoignages que nous avons recueillis et la plupart des études qui traitent de cette question, la prostitution de rue ne représenterait que de 5 à 20 p. 1009 de l’ensemble des activités de prostitution qui ont cours au pays.

La prostitution de rue est la manifestation la plus visible tant pour les citoyens que pour les policiers, souvent appelés à intervenir auprès des prostitué(e)s de rue en réponse à des plaintes déposées par des résidants. Nous verrons d’ailleurs, au chapitre quatre du rapport, que l’application des lois en matière de prostitution se concentre essentiellement sur les personnes qui se livrent à la prostitution de rue pendant que ceux et celles qui se livrent aux autres formes de prostitution «  agissent en toute impunité, ou peu s’en faut 10  ». Nous y verrons également que ce sont les personnes qui vendent leurs services sexuels qui subissent davantage les effets de cette criminalisation, alors que les clients s’en sortent plus ou moins indemnes.

Il y a plusieurs formes de prostitution, dont plusieurs sont facilitées par les annonces et les développements technologiques en matière de communication, tels la téléphonie cellulaire et l’Internet. La prostitution se pratique dans la rue, par l’entremise d’agences d’escortes et de call-girls, dans les salons de massage, les appartements privés et les clubs et bars spécialisés, y compris les bars de danseuses, les hôtels et certains restaurants.

2. La diversité des expériences et des contextes de pratique

Outre les différents types de prostitution pratiqués au Canada, des témoins ont noté la diversité des contextes de pratique de la prostitution et des expériences qui en découlent. Au dire de ces derniers, il existe une pluralité d’expériences dans le milieu de la prostitution en ce qui a trait à la maîtrise qu’ont les personnes qui s’y livrent sur leur corps, leurs horaires, leurs clients, leur argent, etc.

John Lowman, un criminologue qui mène des études sur la prostitution depuis près de trente ans, décrit le contexte canadien de la prostitution dans ces termes :

Le commerce des services sexuels avec contact au Canada — ce que l’on appelle habituellement la «  prostitution  » — couvre toute la gamme à partir de l’esclavage sexuel des femmes (le proxénète qui force une personne à se prostituer) et de la prostitution de survie (la vente de services sexuels par des personnes n’ayant pratiquement pas le choix, comme les jeunes
sans abri et les femmes vivant dans la pauvreté) jusqu’au commerce sexuel plus bourgeois (qui comprend une partie de la prostitution de rue)11 mettant en scène deux adultes consentants, bien que la relation soit marquée par le sexe, la profession, l’ethnicité, le statut socio-économique et les valeurs culturelles de chacun des deux participants12.

Les distinctions faites par le professeur Lowman ont été corroborées par un bon nombre des anciennes et actuelles personnes prostituées qui ont témoigné devant le Sous-comité.

Pour Maggie deVries, auteure d’un livre qui raconte l’histoire de sa sœur Sarah (disparue, comme beaucoup d’autres femmes qui vendaient des services sexuels dans les rues de Vancouver), il faut faire certaines distinctions pour comprendre les fluctuations dans la vie de ces personnes et pour mieux réagir au phénomène. Sur la base d’entretiens réalisés avec des personnes prostituées dans le secteur est du centre-ville de Vancouver, elle a écrit ces quelques paragraphes qu’elle a ensuite présentés au Sous-comité :

Il est important de faire la distinction entre le travail sexuel pour survivre et l’esclavage sexuel. Aucune des femmes que j’ai interrogées n'était détenue contre sa volonté. Elles se débrouillaient de leur mieux dans une situation difficile; la vie ne leur avait pas laissé beaucoup de choix. Mais elles n’avaient pas besoin d’être secourues comme on secourt des gens qui sont en captivité. Ce qu’il leur fallait, c’était plus de choix, plus de liens avec le reste du monde, plus de services, plus d’éducation, plus de sécurité.

Quand on met tout sur le même plan, par exemple en disant que toute forme de prostitution constitue de l’esclavage sexuel, on se prive de la possibilité de faire des nuances, de comprendre les véritables fluctuations de l’existence des gens. Et on nie leur libre arbitre.

Ma soeur se prostituait pour survivre. Elle n’avait pas beaucoup de choix, car elle ne voyait pas comment s’en sortir. Elle était totalement emprisonnée dans sa toxicomanie. Mais elle conservait sa dignité. Dans son contexte de vie, elle faisait des choix chaque jour. Je crois qu’elle avait le droit de vendre des services sexuels, peu importe si elle aimait cela ou si elle le détestait. Elle avait le droit de se droguer, d’être une toxicomane. Elle ne pouvait renoncer à cette vie que si elle le faisait librement. Je ne crois pas que nous avions d'autre moyen de l’aider que de lui donner une plus grande liberté13.

Lors de son témoignage, Raven Bowen, coordonnatrice de la Prostitution Alternatives Counselling and Education Society et membre de la BC Coalition of Experiential Women, a aussi abordé ce sujet, en disant :

La PACE Society fait une distinction entre le travail sexuel et la prostitution à des fins de survie. Pour nous, la prostitution à des fins de survie désigne l’absence de possibilités d’exercer en tout temps le droit de refuser des clients, peu importe les circonstances. 

Au cours de notre examen, nous avons rencontré des personnes qui se livraient à la prostitution pour composer avec une dépendance à la drogue, une extrême pauvreté, une maladie mentale ou les conséquences d’un passé marqué par la violence. Nous avons aussi rencontré des personnes qui nous ont dit vendre des services sexuels par choix et avec une relative autonomie. Dans chacun de ces groupes, des femmes ont dit avoir choisi ce métier (notons que c’est ainsi que la majorité d’entre elles le définissent) de leur propre gré parce qu’elles y voyaient plus d’avantages que d’inconvénients, notamment des horaires flexibles, des salaires décents, compte tenu de leur niveau d’éducation, et la possibilité de faire des rencontres intéressantes14.

La notion de choix

Les témoins que nous avons rencontrés au cours de notre examen ne reconnaissaient pas tous l’existence d’une prostitution exercée par choix et de plein gré.15 Pour eux, lorsqu’il n’est pas fait sous la menace d’une tierce personne, c’est le manque de choix qui explique le passage à l’acte de prostitution.

Des témoins ont tout simplement remis en cause l’usage de la notion de choix dans le débat sur la prostitution. Ils ne le considèrent pas pertinent, puisque la prostitution est selon eux une activité en soi violente, dégradante, qui relève de l’exploitation et de l’oppression des femmes par les hommes. Voici ce que nous a dit, notamment, Yolande Geadah sur la notion de choix :

Évidemment, dans le domaine de la prostitution, le concept même de consentement est une forme de violence et d'exploitation. C’est clair et toutes les données l’indiquent. Dans ce milieu, on ne peut pas parler de consentement. Je pense qu’il faut changer notre façon de voir la prostitution. Il faut cesser de la voir comme un choix individuel sans conséquence. C’est en fait un choix qui a des conséquences terribles sur les individus, même ceux qui n’ont pas subi la pression d’une autre personne.

Pour les tenants de cette perspective, les personnes qui achètent des services sexuels de même que ceux qui vivent des fruits de la prostitution sont nécessairement des abuseurs, alors que les personnes qui se livrent à la prostitution sont reléguées au rang de victimes : d’abord d’expériences de vie empreintes de violence et d’abus — notamment des agressions sexuelles pendant l’enfance, de l’inceste, ou encore des problèmes de toxicomanie — et ensuite d’une société marquée par l’oppression des femmes, tant sur le plan de leur sexualité que sur le plan économique.

Les expériences de prostitution étant, selon eux, toujours marquées par l’exploitation, la réponse sociétale doit viser l’éradication complète de la prostitution sous toutes ses formes.

B. QUE SAVONS-NOUS DE L’AMPLEUR DE LA PROSTITUTION?

En raison de la nature illégale de plusieurs activités associées à la prostitution, de la diversité des lieux de pratique et de l’opprobre social qui entoure cette activité, il est très difficile de déterminer l’ampleur des activités de prostitution qui ont cours chaque année au Canada ou encore le nombre de personnes qui s’y livrent ou qui en tirent profit (que ce soit les clients, les proxénètes, les propriétaires de bars spécialisés, les propriétaires d’hôtels, etc.).

Aucun des témoins rencontrés au cours de cet examen ne s’est risqué à nous fournir une approximation chiffrée de l’ampleur de la prostitution au Canada. Ceux qui ont traité de cette question, surtout des policiers et des organismes communautaires, limitaient leurs approximations à une ville ou une région donnée et reconnaissaient généralement que les estimations dans ce domaine sont très peu fiables16. Elles varient notamment en fonction de la saison et de la température, du contexte économique, de la présence d’évènements spéciaux, tels un festival ou un événement sportif, et du mouvement des personnes d’un type de prostitution à un autre ou encore d’une ville à l’autre.

Quant aux données officielles en matière d’arrestations aux termes des articles 210 à 213 du Code criminel17, tous s’entendent pour dire qu’elles reflètent davantage les tendances en matière d’application de la loi que le niveau réel des activités de prostitution au Canada. Lors de sa comparution, le directeur du Centre canadien de la statistique juridique à Statistique Canada, Roy Jones, a dit ceci :

[l]es données ne représentent que les incidents signalés par la police et soumis au système judiciaire; elles ne doivent pas être considérées comme une mesure globale de la prévalence des infractions en matière de prostitution18.

Les statistiques relatives aux infractions au Code criminel se rattachant à la prostitution révèlent que les personnes qui sollicitent à partir de la rue sont plus susceptibles d’être accusées. Historiquement, plus de 90 p. 100 des cas de prostitution signalés par la police tombent dans la catégorie des crimes visés à l’article 213, qui interdit la communication sur la voie publique à des fins de prostitution19. Le lecteur trouvera une analyse des données sur les arrestations liées à la prostitution au chapitre quatre du présent rapport.

C. QUE SAVONS-NOUS DES PERSONNES QUI VENDENT DES SERVICES SEXUELS?

Il est très difficile de tracer un portrait représentatif des personnes qui vendent des services sexuels au Canada, pour les mêmes raisons qu’il est difficile de déterminer l’ampleur du phénomène. Rappelons que les activités de prostitution se pratiquent généralement dans la clandestinité, rendant la grande majorité des personnes qui s’y livrent invisibles à la recherche conventionnelle. Il ne faut donc pas se surprendre que ce soit sur un groupe particulier que les recherches dans le domaine de la prostitution se concentrent, soit les personnes qui se prostituent à partir de la rue20.

Cette situation est problématique puisque la prostitution de rue ne représente qu’une infime partie de la prostitution au Canada. Elle rend ainsi périlleuse toute tentative de généralisation des résultats de recherche à l’ensemble de la population. Claire Thiboutot a rendu compte de cette difficulté dans un article déposé devant le Sous-comité.

Les médias et la plupart des recherches effectuées à ce jour ayant porté leur attention principalement sur les segments les plus visibles des pratiques de travail du sexe, il est difficile de faire des généralisations à propos de l’ensemble des travailleuses du sexe à partir de leurs résultats et de leurs portraits. Nous avons des informations concernant des prisonnières, des personnes en cure de désintoxication, etc. Quelques-unes de ces informations sont relatives au travail du sexe dans le parcours de vie de ces femmes. Par contre, nous avons peu d’informations sur des femmes qui ont pratiqué le travail du sexe au cours de leur vie mais qui n’ont jamais été emprisonnées ni traitées en désintoxication ou qui n’ont jamais fréquenté des ressources en santé ou en hébergement offrant directement des services aux prostituées et aux autres travailleuses du sexe21.

Depuis quelques années, des chercheurs en sciences sociales ont tenté de pallier ces lacunes de la connaissance par la réalisation de recherches empiriques menées en collaboration avec des organisations qui défendent les droits des personnes qui se livrent à la prostitution22. Ces études tendent à démontrer que la plupart des généralisations dans ce domaine renvoient plus précisément aux personnes qui se prostituent à partir de la rue et non à l’ensemble de ceux et celles qui se livrent à la prostitution23.

1. Que savons-nous du profil démographique des personnes qui vendent des services sexuels?

(a) Les femmes

Les témoignages recueillis au cours de cet examen de même que la plupart des études nous apprennent que ce sont surtout des femmes qui vendent des services sexuels. Au Canada, elles représenteraient entre 75 et 80 p. 100 de toutes les personnes qui se livrent à de telles activités24. Selon les informations que nous avons recueillies, l’âge moyen de leur première expérience de prostitution se situerait entre 14 et 18 ans25.

Alors que pour certaines, la prostitution est une activité passagère, pour d’autres il s’agit d’une activité sporadique qui aura cours pendant une période  de temps variable. Au cours de notre examen, plusieurs témoins ont insisté sur le fait que très peu de femmes pratiquent la prostitution toute leur vie26. Ils ont indiqué que certaines le font dans un but financier précis et abandonnent lorsque ce but est atteint.

Nos témoignages suggérent que les raisons qui conduisent à la prostitution sont nombreuses. Certaines personnes se prostituent parce qu’elles y sont contraintes par une tierce personne, d’autres le font pour arrondir leurs fins de mois, payer le loyer, la nourriture ou encore composer avec une dépendance à la drogue ou à une vie marquée par la violence, l’inceste27, le rejet, etc. Pour beaucoup de ces personnes malheureusement, la prostitution est un piège dont elles ont du mal à se dégager. Dans son témoignage, Jane Runner, gestionnaire du programme TERF (Transition, Education and Resources for Females) et ancienne prostituée, a souligné qu’il faut en moyenne de cinq à dix ans pour que quelqu’un réussisse à quitter le commerce du sexe. Elle a ajouté ceci :

Cela veut dire des années et des années de souffrance et de mauvais traitements, et il faut des années et des années pour guérir et beaucoup de travail et de courage de la part de ces personnes. Voilà un facteur dont il faut tenir compte dans les programmes s’adressant aux travailleurs et travailleuses de l’industrie28.

Bien que cette question des motivations du passage à l’acte de prostitution ait suscité l’expression de plusieurs théories et opinions, beaucoup de témoins s’entendaient pour dire qu’un nombre considérable de femmes sont poussées vers la prostitution en raison de leur situation économique précaire. Dans bien des cas, les emplois précaires et non qualifiés dans le secteur des services n’offrent pas à es femmes la sécurité et les salaires suffisants pour leur assurer une sécurité en regard du logement ou encore pour subvenir aux besoins de leurs enfants. Cette pauvreté des femmes est aussi liée notamment à la pénurie de logements abordables29, à des expériences de travail insuffisantes et à un faible niveau d’instruction.

Enfin, il convient de souligner que les femmes vendant des services sexuels que nous avons rencontrées n’étaient pas toutes peu scolarisées ou sans expérience professionnelle. Certaines rencontrées lors d’audiences privées possédaient des diplômes universitaires ou encore plusieurs années d’expérience professionnelle dans différents secteurs légaux de l’économie, notamment l’administration, le droit et le travail social. Ces femmes avaient choisi de se livrer à la prostitution de plein gré en évaluant les avantages et les désavantages qu’elles y voyaient. Certaines ont soutenu, notamment, que la prostitution leur permettait de rencontrer des gens intéressants, de travailler des heures flexibles et de gagner des salaires décents.

La présence marquée de femmes autochtones

Dans certaines régions du Canada, il y a une forte présence de femmes autochtones dans le milieu de la prostitution. À Winnipeg, par exemple, le conseiller Harry Lazarenko et le service de police estime qu’elles représentent 70 p. 100 des femmes qui vendent des services sexuels à partir de la rue. La ville de Winnipeg n’est pas la seule dans cette situation. La plupart des grandes villes canadiennes présentent un nombre disproportionné de femmes autochtones se prostituant à partir de la rue.

Comparativement aux autres femmes impliquées dans la prostitution, les Autochtones seraient plus souvent confrontées à des problèmes de toxicomanie et à l’extrême pauvreté30. Selon un rapport d’Amnistie internationale Canada, au moins le tiers des 70 femmes et plus disparues dans le secteur est du centre-ville de Vancouver étaient Autochtones31.

Le Sous-comité a été informé que les femmes autochtones font aussi face à des problèmes particuliers, dont le profilage racial et des interventions policières excessives32. Voici ce que Cheryl Hotchkiss, une militante des droits de la personne pour Amnistie internationale Canada, a noté à propos des femmes autochtones impliquées dans la prostitution au Canada :

L’isolement et la marginalisation sociale, qui augmentent les risques de violence pour les femmes qui travaillent dans le commerce du sexe, sont des problèmes qui se posent avec une acuité particulière pour les femmes autochtones33.

Des témoins ont souligné l’importance de reconnaître les besoins et les problèmes particuliers des femmes et des jeunes filles autochtones impliquées dans le milieu de la prostitution. Pamela Downe, professeure au département de l’étude de la condition féminine et de l’étude sur les sexes de l’Université de la Saskatchewan, a indiqué dans son témoignage que les interventions à leur égard doivent tenir compte du fait que les femmes autochtones du Canada «  ont vécu des expériences uniques qui découlent d’un historique de colonialisme  »34. Elle a ajouté que la société : «  fait fausse route à essayer de dégager leur expérience personnelle de l’histoire de leur peuple  »35.

(b) Les mineurs exploités par la prostitution

Il est très difficile de déterminer le niveau d’exploitation des mineurs dans le milieu de la prostitution. En plus des difficultés inhérentes à l’étude d’une activité clandestine, les chercheurs font face à des difficultés particulières dans le cas des jeunes en raison de leur statut juridique. De peur d’être dénoncés aux agences de protection de l’enfance, peu d’entre eux avoueront leur âge à un chercheur ou à un intervenant, ou reconnaîtront qu’ils vendent des services sexuels.

Malgré ces difficultés, des témoins ont soutenu que les jeunes sont de plus en plus nombreux à être exploités dans le milieu de la prostitution au Canada. D’autres ont plutôt laissé entendre que leur nombre est à peu près semblable, mais que les activités d’un bon nombre de jeunes qui pratiquaient à partir de la rue se sont déplacées vers d’autres lieux, en raison de l’augmentation de l’activité policière dans la rue36. Il n’existe toutefois, à l’heure actuelle, aucune donnée nationale pouvant corroborer ou infirmer ces observations.

Selon les témoignages entendus, plusieurs raisons pousseraient les jeunes et même les enfants à s’adonner à la prostitution. Cela dit, à la différence des adultes, les jeunes dans le milieu de la prostitution seraient plus souvent exploités et contraints de se prostituer par une tierce personne (proxénétisme).

Les extraits de témoignages qui suivent dressent le portrait des jeunes et des enfants exploités à des fins de prostitution au Canada et traitent des raisons de cette exploitation :

[p]our décrire les jeunes qui s'adonnent à la prostitution, il vaut mieux parler de prostitution de survie. Ce sont des activités qui sont en général sporadiques et qui constituent une source de revenus parmi d’autres. Pour ces gens-là, les rapports sexuels peuvent être échangés contre de l'argent de la nourriture, un endroit chaud où dormir ou de la drogue. Ils les considèrent comme une forme de troc pratique et utilitaire destiné à répondre à leurs besoins immédiats.

Leur problème n'est pas la prostitution comme telle mais tout un éventail beaucoup plus large de marginalisation sociale, d’absence de possibilités économiques, de soutien familial et de services sociaux. Et ces éléments doivent être mis en place pour aider les jeunes afin qu'ils puissent développer leur propre autonomie et avoir le type de soutiens qui les rendent moins vulnérables au genre de conditions dont vous avez précisément parlé37.

En réalité, si les jeunes tombent dans ce milieu, c’est parce qu’on a miné leurs espoirs, leurs rêves et leurs choix. Si une personne qui n'a pas terminé sa dixième année quitte une petite collectivité pour se rendre à Toronto, ses possibilités de survie, d'emploi et de logement sont minimales, à moins qu’elle trouve un moyen de faire de l'argent. Notre corps nous appartient, et on peut l’utiliser aisément. On a abordé la question de la toxicomanie dans le cadre d'un grand nombre de discussions, et beaucoup de jeunes tombent dans la prostitution pour nourrir leur dépendance. Réciproquement, nous savons également que de nombreux jeunes entrent dans ce milieu parce qu'ils minimisent la portée des problèmes qui viennent avec la prostitution38.

Beaucoup d'enfants proviennent de foyers où il y avait beaucoup de violence, et vous pouvez me croire, je leur ai parlé. J’ai travaillé avec eux, pour les services d'approche, pendant 14 ans. Leur sort était plus enviable dans la rue que s’ils avaient été placés sous la garde des Services d'aide à l'enfance ou dans un foyer, ou ailleurs que dans la rue39.

Nous avons appris que les jeunes fugueurs sont très vulnérables à l’exploitation sexuelle à des fins commerciales, particulièrement ceux qui ont fui pour échapper à une situation familiale problématique. Marc Drapeau, du Projet Intervention Prostitution Québec Inc., a soutenu qu’un enfant qui se dissocie de son corps en raison d’un abus sexuel risque davantage d’être exploité dans le milieu de la prostitution40.

(c) La prostitution des hommes, des travestis et des transgenres

Selon John Lowman et Frances Shaver, les hommes, les travestis et les transgenres représentent environ 20 p. 100 de toutes les personnes qui se prostituent à partir de la rue. Il existe à l’heure actuelle très peu d’informations concernant la participation de ces groupes à la prostitution qui a cours hors-rue.
Néanmoins, selon les informations recueillies, tout porte à croire que la prostitution masculine hors-rue serait davantage confinée dans des établissements et des clubs privés41.

Comparativement aux femmes, les études suggèrent que les hommes subissent moins de violences physiques de la part de leurs clients42. Ils seraient toutefois plus susceptibles d’être victimes d’actes de violence de la part des membres du grand public, en particulier les travestis et les transgenres en raison de leur double marginalisation.

2. Toxicomanie et prostitution

Plusieurs des témoins rencontrés pendant l’examen des lois du Sous-comité, que ce soit des personnes qui vendaient des services sexuels, des citoyens, des policiers ou des chercheurs, ont discuté de la relation drogue-prostitution. Pour certains des témoins rencontrés, les deux notions sont indissociables, particulièrement quand il est question de prostitution de rue. Le témoignage du détective Howard Page, du Service de police de Toronto, en est un exemple :

J’ai parlé à des centaines de prostituées de la rue au cours des cinq dernières années, et cette expérience m’a permis de conclure que c’est la dépendance au crack qui les pousse à lutter pour leur survie dans la rue. Ce qui arrive, c’est que cela devient un cercle vicieux. La dépendance au crack est si forte qu’on offre, dans la rue, une dose de crack à 20 dollars. Cette dose durera 15 minutes.

Ce qui arrive, c’est qu’une femme se tient sur le coin de la rue, au centre-ville, et vend son corps au client, pour aussi peu que 20 dollars pour un acte sexuel. Encore une fois, le cercle vicieux […] elle retourne au vendeur qui se tient tout près, et se procure du crack, et le cercle vicieux continue43.

Parlant de la situation qui a cours dans son quartier, Agnès Connat, une résidante des Faubourgs de Montréal, a elle aussi entretenu le Sous-comité de la relation étroite qui semble exister entre la consommation abusive de drogues et la prostitution de rue. Elle a noté :

La prostitution de rue, chez nous, est très souvent associée à la toxicomanie. L’argent reste très peu de temps entre les mains de la prostituée, et on le voit. Elle sort de la voiture avec un billet de 20 dollars et elle va directement le donner au pusher, parce que 20 dollars, c’est le prix d’une dose. Je ne sais pas si vous le savez, mais une personne qui est cocaïnomane peut se piquer 20, 30 ou 40 fois par jour. Cela prend évidemment beaucoup d’argent et cela prend beaucoup de travail dans la rue44.

Bien qu’un expert ait affirmé que la relation de cause à effet entre la consommation de drogues et la prostitution n’est pas prouvée45, il ne fait aucun doute que la prostitution constitue dans certains cas un moyen pour subvenir à une dépendance à la drogue. Cela dit, les témoignages que nous avons recueillis46 indiquent clairement que ce ne sont pas toutes les personnes qui se prostituent à partir de la rue qui sont toxicomanes.

Quant à la consommation excessive de drogues chez les personnes qui pratiquent la prostitution hors-rue, les études suggèrent qu’elle serait beaucoup moins importante47. Cette situation pourrait s’expliquer par le fait que, dans bien des établissements de prostitution et agences d’escortes, la consommation de drogue et même d’alcool est interdite ou fortement déconseillée48.

Bien que les résultats des recherches sur cette question soient souvent contradictoires, il ne fait aucun doute que les personnes qui sont aux prises avec des problèmes de dépendance risquent davantage d’être exposées à toutes sortes de violences et de maladies, en raison notamment des vulnérabilités liées à leur style de vie, des échanges de seringue, etc. Selon le chef adjoint du Service de police de Vancouver, Doug Le Pard, ce sont par ailleurs les personnes qui souffrent des plus graves dépendances aux drogues qui risquent davantage d’être la cible de tueurs en séries :

Les travailleuses du sexe qui souffrent des toxicomanies les plus graves sont les plus susceptibles de devenir victimes d’un tueur en série. Leurs toxicomanies sont plus puissantes que les craintes pour leur propre sécurité49.

3. La santé des personnes prostituées

Des témoins ont noté que la santé des personnes qui se livrent à la prostitution de rue est souvent fragile, particulièrement celle des personnes qui s’injectent des drogues50. Selon des intervenants, les problèmes de santé observés chez les personnes qui se livrent à la prostitution, particulièrement celles qui le font à partir de la rue, sont divers et s’inscrivent, dans bien des cas, dans une problématique plus large reliée à l’absence d’un logement convenable. Janine Stevenson, une infirmière qui travaille auprès de personnes prostituées a noté dans son témoignage : «  [C]ela va de la malnutrition au manque de sommeil, en passant par la pneumonie, des maladies de la peau […] des troubles mentaux  »51.

Les études ont par ailleurs démontré que les personnes qui se prostituent sans toutefois utiliser des drogues injectables ont tendance à adopter des pratiques sexuelles plus sécuritaires que la population en général, particulièrement en ce qui a trait au port du condom52. Les connaissances accumulées sur cette question nous enseignent que les dangers d’infection auxquels sont confrontées les personnes qui se livrent à la prostitution sont davantage reliés au lien qu’elles entretiennent avec leur amoureux qu’avec leurs clients. Cette situation s’expliquerait par le fait que plusieurs d’entre elles se servent du port du condom pour différencier la prostitution de leur relation amoureuse. Il convient enfin de noter que les études de prévalence des infections au VIH/sida reconnaissent depuis longtemps que ce sont les utilisateurs de drogues par injection qui posent les plus grands risques d’infection et de propagation d’ITSS, et non les personnes qui se livrent à la prostitution, pris collectivement53.

4. Une expérience partagée : la violence

Les prostituées sont des éléments très vulnérables de la société. Elles sont exposées à l’humiliation, à l’exploitation sexuelle et à la violence des clients, des proxénètes et des commerçants54.

Avec les disparitions et les meurtres sadiques de plusieurs femmes qui se livraient à la prostitution, particulièrement à Vancouver et à Edmonton, le public a pris conscience de la violence dont sont victimes les personnes prostituées au Canada. Cette violence n’est pas nouvelle et elle est loin de se limiter à la ville de Vancouver ou encore à celle d’Edmonton. En effet, les personnes qui s’adonnent à la prostitution, particulièrement celles qui pratiquent à partir de la rue, sont aux prises avec tout un éventail de formes d’abus et de violence, allant des coups de sifflet et des insultes, aux agressions, au viol et au meurtre. La violence se vit aussi bien avec certains clients, certains proxénètes ou revendeurs de drogues, qu’avec des membres du grand public, des collègues de travail et même certains policiers.

Bien que la plupart des études reconnaissent que ces violences sont plus fréquentes à l’endroit de ceux et celles qui opèrent à partir de la rue, elles ne sont pas exclusives à ce milieu de pratique. Interrogé au sujet de la violence dans les établissements de prostitution, le surintendant Kevin Vickers de la Gendarmerie royale du Canada a noté : «  J'ai fait enquête sur la mort de jeunes prostituées qui travaillaient pour des agences d'escorte. À Calgary, en particulier, je me souviens de deux femmes qui travaillaient justement pour un service d'escorte à Calgary même. Il y a de la violence55.  » Colette Parent, professeure au département de criminologie de l’Université d’Ottawa, a aussi parlé de ce phénomène. Elle a raconté au Sous-comité que les conditions de travail dans les établissements de prostitution et les agences sont variables, pouvant aller de très bonnes et respectueuses à des conditions qui s’apparentent à l’esclavage. Au dire de cette chercheure, certains salons de massage forcent les femmes à réaliser toutes les fantaisies des clients, alors que d’autres respectent leurs choix et s’intéressent davantage à leur bien-être. C’est également le discours qu’a tenu le criminologue John Lowman quand il a noté lors de son témoignage :

Nous voulons par ailleurs faire très attention à ne pas envisager les pratiques hors-rue comme un bloc monolithique. Il existe des endroits haut de gamme où les femmes ont une grande marge de manœuvre sur leurs conditions de travail, mais dans d'autres, les femmes sont séquestrées et soumises à une espèce de système de servitude pour dettes, qui à mes yeux n'est rien de moins que de l’esclavage. Elles travaillent sous le joug d'une dette qu’elles ne réussiront jamais à rembourser56.

(a) Une activité dangereuse selon les données sur l’homicide

D’après les données sur l’homicide publiées par le Centre canadien de la statistique juridique (CCSJ), la prostitution au Canada est une activité très dangereuse. De 1994 à 2003, au moins 79 personnes prostituées auraient été tuées pendant qu’elles se livraient à cette activité. Il convient de souligner que ce nombre est presque assurément en deçà des données réelles, puisque seuls les cas où les policiers ont pu déterminer que le décès s’était produit pendant les activités de prostitution sont ici rapportés.

La presque totalité des personnes ainsi tuées étaient des femmes, soit 95 p. 100 de femmes contre 5 p. 100 d’hommes. Quant aux auteurs de ces homicides, ils étaient dans plus de 85 p. 100 des cas des clients, tel que le suggère une étude réalisée par Statistique Canada dans les années 90. Les trois quarts des 79 homicides répertoriés par le CCSJ se seraient produits dans les six régions métropolitaines suivantes : Vancouver, Edmonton, Toronto, Montréal, Winnipeg et Ottawa-Gatineau57.

Cette violence extrême à l’endroit des personnes qui se livrent à des activités de prostitution intéresse également le criminologue John Lowman, de l’Université Simon Fraser, qui a procédé à la compilation de données relatives aux homicides perpétrés contre des personnes prostituées en Colombie-Britannique de 1960 à 1999. Notons que contrairement à la compilation du CCSJ, les données d’homicide compilées par le professeur Lowman ne se limitent pas aux homicides perpétrés à l’endroit de personnes prostituées pendant qu’elles se livraient à des activités de prostitution.

Le tableau qui suit présente le résultat de sa compilation. Mentionnons que pour la dernière période, soit de 1995 à 1999, les données sont incomplètes, puisque plusieurs des femmes portées disparues au cours de cette période dans le secteur est du centre-ville de Vancouver n’ont pas encore été retrouvées.

Nombre d’homicides perpétrés en Colombie-Britannique
à l’endroit de personnes prostituées
1960 — 1999

Années

Nombre d’homicides

1960-1964

0

1965-1969

0

1970-1974

0

1975-1979

3

1980-1984

8

1985-1989

22

1990-1994

24

1995-1999*

50

*Données fragmentaires étant donné que toutes les femmes disparues au cours de cette période n’ont pas été retrouvées.
Source : Mémoire déposé au Sous-comité par John Lowman, 2005.

À la lecture du tableau, on observe une augmentation importante des homicides perpétrés à l’endroit de personnes prostituées connues au milieu des années 80: de 8 homicides commis entre 1980 à 1984, on est passé à 22 homicides pour la période 1985 à 1989. Au dire de M. Lowman, cette augmentation est liée à l’introduction dans le Code criminel de l’article qui a rendu illégale la communication à des fins de prostitution dans un lieu public (article 213) et à la tendance, née à peu près en même temps, à nettoyer les rues de la prostitution. M. Lowman a soutenu lors de son témoignage que la loi pénale met en danger les personnes prostituées en les forçant à conclure trop rapidement leurs négociations avec leurs clients, en compromettant leur chance de signaler à la police les incidents de violence dont elles sont victimes, et en les contraignant à pratiquer la prostitution dans une grande clandestinité. Mentionnons, enfin, que cette question de l’impact des lois sur la pratique de la prostitution fera l’objet d’une discussion en profondeur au chapitre cinq.

(b) L’expérience de la violence selon les données fondées sur des entretiens avec des personnes pratiquant la prostitution

Les études fondées sur des entretiens en profondeur avec des personnes impliquées dans la prostitution font aussi largement état de la violence dirigée à l’endroit des personnes prostituées. Selon certaines recherches, les agressions de toutes sortes, y compris les agressions sexuelles, seraient chose courante chez ceux et celles qui se livrent à des activités de prostitution, particulièrement ceux qui pratiquent à partir de la rue. Les résultats d’une enquête réalisée à Vancouver ont révélé que les trois quarts des personnes interrogées avaient été victimes d’un acte de violence au cours des six mois ayant précédé l’enquête58.

Les connaissances se rapportant à la violence dirigée envers les personnes qui se livrent à la prostitution hors-rue sont beaucoup moins développées. Ces personnes, nous l’avons vu, sont souvent invisibles, plus difficile d’accès pour la recherche conventionnelle. Au dire des témoins, il semblerait néanmoins que les personnes qui pratiquent de telles activités font face, de façon générale, à moins de violence59.

Pour ceux et celles qui pratiquent à partir de la rue, les insultes et le harcèlement provenant du public, de commerçants ou encore de policiers sont des réalités quotidiennes60. La stigmatisation des personnes qui se livrent à la prostitution les expose à une variété de formes de violence. Les considérant bien souvent comme des criminel(le)s et comme des citoyens et citoyennes de seconde classe, certains se croient autorisés à les humilier, à les harceler, à leur jeter des objets, ou encore à abuser d’eux physiquement.

Au dire de certains témoins, les médias contribuent grandement à cette stigmatisation61. Les propos de Kyla Kaun, directrice des relations publiques de la société PEERS (Prostitutes Empowerment Education and Resource Society) de Vancouver, résument bien le sentiment qu’ont partagé avec nous plusieurs personnes qui vendaient des services sexuels :

Je crois que ce sont les médias qui contribuent le plus à [la stigmatisation] en employant le genre de termes qu’ils emploient et qui équivalent pour nous, honnêtement, à de la propagande haineuse. Ce n’est pas en parlant de «  pute camée  » qu’on invite le grand public à faire preuve de compassion à l’égard de ces personnes. Il y a aussi les images. On emploie presque toujours les pires photos qui existent de ces personnes. Ne me faites pas croire qu’il n’y aurait pas une photo d’école ou une photo plus jolie. Non, on publie toujours la photo signalétique, prise quand la personne est à son plus bas. C’est en publiant des photos comme cela qu’on amène les gens à se demander pourquoi il faudrait tenter de sauver ces personnes. Si on publiait plutôt la photo d’école d’une prostituée ou une photo la montrant avec sa famille ou ses enfants, on donnerait une impression différente de celle qu’on aurait en voyant la photo prise lors de son arrestation62.

Dans son étude, le Sous-comité a appris que beaucoup de policiers, surtout ceux qui font partie des escouades locales de la moralité, sont sensibles au mode de vie des personnes prostituées. En fait, de nombreuses personnes qui vendent leurs services sexuels ont dit au Sous-comité qu’elles avaient une bonne relation avec ces policiers.

Cependant, d’autres témoignages ont mis en évidence les relations difficiles qui peuvent exister entre les personnes prostituées et les policiers. Selon des témoins rencontrés, il arrive même que des policiers les agressent physiquement63. Voici ce que Maggie deVries a soutenu lors de son témoignage en évoquant l’expérience de sa sœur Sarah avec certains policiers du secteur est du centre-ville de Vancouver :

Elle m’a relaté toutes sortes d’expériences qu’elle a vécues avec la police. Il s’agit d’agents de police en particulier — non pas de la police en général, mais d’agents de police — qui l’avaient battue. C’est le genre d’histoire que j’entends sans cesse chez les travailleuses du sexe de Vancouver, des femmes qui ont connu la violence aux mains d’agents de la police. Ce n’est pas quelque chose qui s’est produit une fois ou deux, c’est quelque chose dont elles sont régulièrement victimes, à des moments différents et avec des agents de police différents64.

Cette violence a également été documentée par la Pivot Legal Society dans un rapport intitulé To Serve and Protect : A Report on Policing in Vancouver’s Downtown Eastside. Ce rapport documente des actes de violence qui auraient été commis par des membres du service de police du secteur est du centre-ville de Vancouver à l’endroit de 50 personnes qui pratiquaient la prostitution dans ce secteur en 200265.

La violence à l’endroit des personnes prostituées tient également au fait que certains policiers ne prennent pas aux sérieux la violence dont elles sont victimes, considérant bien souvent que cette violence est inhérente à la pratique prostitutionnelle et que toute personne qui s’adonne à ce genre d’activités ne devrait pas s’étonner d’être maltraitée66. Une intervenante chez Cactus Montréal, Darlène Palmer, a fait cette observation :

Il arrive que des femmes viennent à moi et me disent avoir discuté avec un policier d'une blessure ou d'un mauvais client se trouvant alors sur les lieux, pour se faire dire par le dit policier : «  Ma chérie, ça fait partie de la game  ». Non, ça ne fait pas partie de la game67.

Lors de sa comparution, Renée Ross, présidente du programme Stepping Stone à Halifax, a tenu à souligner l’attitude variable des membres du service de police d’Halifax :

D’un côté, vous avez une partie du service de police qui leur vient en aide et qui leur donne du soutien, et, d’un autre côté, il y a l’escouade de la moralité qui pose beaucoup de problèmes. Il y a quelques mois, une de nos clientes a été sauvagement battue. Elle est rentrée chez elle et a appelé la police. Un policier s'est présenté à sa porte. Lorsqu’il l’a vue, étant donné qu’elle est connue du milieu policier, il a téléphoné au poste pour dire qu’il ne s’agissait que d'une prostituée, puis il est reparti68.

Nous avons aussi appris que la majorité des personnes prostituées ne rapportent pas les agressions dont elles sont victimes de peur de ne pas être prises au sérieux, d’être jugées ou encore d’être criminalisées pour avoir participé à des activités de prostitution.

D. QUE SAVONS-NOUS DES CLIENTS DE LA PROSTITUTION?

Nous savons très peu de choses sur les clients de la prostitution, sinon qu’il s’agit majoritairement d’hommes69. Peu d’études ont porté sur ce sujet au Canada. Lors de l’examen du Sous-comité, seulement quelques témoins, dont Rose Dufour, John Lowman et Richard Poulin, ont présenté des données à ce sujet.

Dans son témoignage, Richard Poulin a noté que de 10 à 15 p. 100 des hommes en Amérique du Nord achètent des services sexuels70. Selon John Lowman, qui étudie les clients de la prostitution depuis les années 1990, ces derniers ne recherchent pas tous une relation sexuelle puisque de 15 à 20 p. 100 d’entre eux seraient à la recherche d’affection. Il a noté que ce serait davantage le besoin d’être touchés, d’avoir des relations de camaraderie, qui les amènerait à acheter les services d’une personne prostituée. Les témoignages de personnes impliquées dans la prostitution corroborent les conclusions du professeur Lowman. Beaucoup ont parlé des services qu’elles offrent à des clients qui n’ont pas accès, sans payer, à cette forme de rapport intime, et ce pour plusieurs raisons (ces personnes peuvent être victimes d’un handicap important, avoir de la difficulté à socialiser, etc.).

Les témoignages entendus suggèrent aussi qu’il n’y a pas un type de client mais bien une diversité de genres. Melissa Farley, chercheure à l’emploi de l’organisme Prostitution Research and Education, note « qu'il n'y a pas de profil type du client moyen. L'âge des hommes varie de 14 à 80 ans; ce sont des hommes de tout âge; ce sont des hommes de toute race et de toute origine ethnique; ce sont des hommes qui exercent toutes sortes de professions71  ». Sur la base d’entrevues réalisées avec 64 clients de la prostitution, l’anthropologue Rose Dufour a noté que deux tiers des clients avaient été ou étaient mariés au moment des entrevues, environ le tiers étaient célibataires et la moitié pères de famille. Elle a aussi noté que près de 40 p. 100 des clients étaient à la recherche d’un rapport de domination dans la prostitution.

Les témoignages sur cette question indiquent que la majorité des clients ne sont pas des hommes violents. Des témoins ont noté que «  bon nombre des clients des prostituées, leurs clients réguliers, sont bons pour elles. Ils paient. Ils en prennent soin  »72.

Enfin, les recherches du professeur Lowman suggèrent qu’il existe des différences importantes entre les clients de la prostitution de rue et ceux qui utilisent les services de prostitution hors-rue. Selon Lowman, l’anonymat que permet la prostitution de rue fait en sorte que les clients violents et abuseurs choisissent cette forme de prostitution plutôt que les autres. Il a noté que les clients qui veulent abuser d’une personne prostituée savent pertinemment que le risque d’être vu et, par conséquent, dénoncé est plus grand avec la prostitution qui a cours dans les établissements et par l’entremise d’agences. Voici les propos qu’il a tenus à ce sujet :

Si un homme est un prédateur misogyne qui cherche à faire souffrir les femmes, il va se diriger vers la prostitution de rue où il est impossible de le trouver, où il passe inaperçu, où il ne risque pas d’être vu, enfin ce genre de situation73.

E. QUE SAVONS-NOUS DES PROXÉNÈTES ET DES PERSONNES QUI VIVENT DES FRUITS DE LA PROSTITUTION?

Le Code criminel définit comme un «  entremetteur  » quiconque tient un commerce de prostitution ou vit des gains de la prostitution. Il s’agit en fait d’une définition plus large que l’image que l’on a généralement du proxénète, c’est-à-dire une personne qui exploite une ou plusieurs personnes par la prostitution sous la contrainte. D’après les témoins entendus, il existe différents types de proxénétisme, selon le genre de relations entretenues (coercitives, d’affaires, romantiques, amicales, etc.).

La différence entre cette définition plus générale de l’entremetteur et celle, plus étroite, d’un proxénète peut expliquer certaines des contradictions qui ressortent des témoignages recueillis par le Sous-comité sur cette question. Par exemple, les chiffres élevés mentionnés par Richard Poulin, selon lequel «  entre 85 et 90 p. 100 des personnes prostituées en Occident sont sous la coupe d’un proxénète74  », et Aurélie Lebrun, qui affirme qu’une grande partie des personnes qui se prostituent travaillent pour un proxénète75, pourraient s’expliquer par l’emploi de la définition plus large d’un entremetteur.

Dans les observations qui suivent, le Sous-comité utilise le terme «  proxénétisme  » pour rendre l’image traditionnelle du mac, celui qui exerce un pouvoir de coercition, et non pour désigner l’ensemble plus vaste des activités qu’englobe la définition d’un entremetteur dans le Code criminel.

Le public croit généralement que les adultes qui se livrent à des activités de prostitution y sont forcés par une tierce personne. Pourtant, selon les témoignages recueillis lors de notre examen, les personnes qui sont retenues contre leur volonté par une tierce personne dans la prostitution sont loin de représenter la majorité, du moins en ce qui a trait à la prostitution adulte sur laquelle a porté l’étude du Sous-comité. Dans son témoignage devant le Sous-comité, Deborah Brock, professeure au département de sociologie de l’Université York, a signalé que la plupart des recherches canadiennes remettent en doute cette association quasi automatique entre le proxénète et l’adulte qui s’adonne à la prostitution :

[u]ne grande partie de la recherche — par exemple, les travaux de John Lowman, de Fran Shaver, et d'autres partout au pays — indique que le rôle des proxénètes en prostitution est peut-être exagéré et que la majorité des femmes, en fait, exercent ce métier de façon indépendante76.

Au cours de notre examen, des policiers ont noté que c’est plus souvent une dépendance à la drogue qu’un proxénète qui pousse des personnes à se prostituer sur la rue. Voici ce que nous a dit à ce sujet le détective Howard Page du Service de police de Toronto :

Le cliché hollywoodien du proxénète qui se tient au coin de la rue et attend que la prostituée vienne lui remettre l'argent ne correspond pas à la réalité du centre-ville de Toronto. Je le répète, le proxénète des prostituées qui travaillent dans les rues du centre-ville de Toronto, c’est la drogue elle-même, le crack77.

F. QUEL RÔLE LE CRIME ORGANISÉ JOUE-T-IL DANS LA PROSTITUTION?

Un sondage réalisé dans les années 1980 pour le compte du Comité Fraser avait révélé que 60 p. 100 des répondants considéraient le crime organisé comme étant un élément central de la prostitution. Cette perception n’avait toutefois pas été confortée par les informations recueillies par ce dernier aux fins de son étude. Le Comité Fraser concluait ainsi : «  Sur la base des autres informations dont nous disposons, il nous faut conclure que le public se trompe78.  » Dans une autre section du rapport, le Comité soulignait par ailleurs :

[…] rien ne prouve qu’il y ait un lien entre la prostitution et le crime organisé. Autrement dit, il n’existe pas d’organisation à grande échelle qui recrute, contrôle ou déplace, de façon très organisée, les femmes et les hommes à l’intérieur de réseaux de prostitution. Bien sûr, certaines prostituées de rue sont sous la coupe de souteneurs et certaines prostituées de luxe dépendent d’entremetteuses pour lesquelles elles travaillent, mais ce type d’organisation fonctionne à petite échelle et les opérations sont indépendantes d’une ville à l’autre79.

Dans le cadre de notre examen des lois en matière de prostitution, cette association entre crime organisé et prostitution a été faite à plusieurs reprise80. De nombreux témoins ont signalé l’implication du crime organisé dans le milieu de la prostitution au Canada et à l’étranger. C’est ainsi que Yolande Geadah, chercheure et auteure du livre La prostitution : Un métier comme un autre a souligné au cours de son témoignage :

[…] toutes les études faites au niveau international, dans tous les pays, reconnaissent que le crime organisé contrôle l’industrie du sexe, y compris aux Pays-Bas, le pays qui est allé le plus loin dans la libéralisation. C'est toujours le crime organisé qui a la haute main sur l’industrie. Il y a deux raisons à cela : d'une part, c’est très profitable, et d'autre part, cela lui permet de faire du blanchiment d'argent81.

Richard Poulin a lui aussi défendu ce lien qu’il considère très fort sur la base de recherches menées à l’étranger :

L’attitude est de considérer les prostitués comme les victimes d'un système de prostitution qui est aujourd’hui à la fois mondial et national et qui est lié au crime organisé, ce qui est très bien connu des forces policières. Tous les rapports d’Europol et d’Interpol le montrent très bien, les rapports américains aussi : le lien est très fort82.

Or, très peu de personnes qui se livraient à des activités de prostitution ont soutenu devant notre Sous-comité que le crime organisé était un élément central du milieu de la prostitution adulte. Ce furent également les propos qu’ont tenus plusieurs intervenants et porte-parole qui travaillent de près avec ces personnes et nombre de chercheurs intéressés par la question. Frances Shaver, par exemple, a soutenu lors de sa comparution que :

[r]ien ne permet de croire que le crime organisé est impliqué [dans la prostitution]. C’est d’ailleurs la conclusion du Comité Fraser il y a plus de 20 ans… je ne suis au courant d’aucune étude indiquant que les criminels organisés y jouent un rôle important83.

La professeure Colette Parent a elle aussi posé un regard critique sur cette tendance à associer la prostitution au crime organisé. Elle a souligné :

L’association que l’on fait entre le crime organisé et la prostitution est, à mon avis, surfaite. Je ne dis pas qu’il n’y a jamais aucun lien entre les deux, mais dans les recherches que nous avons menées, nous n’avons pas noté une présence marquée du crime organisé. Je ne pourrais absolument pas affirmer cela84.

Bien que les témoignages entendus par le Sous-comité ne permettent pas de confirmer nécessairement le lien que plusieurs ont proposé entre crime organisé et prostitution adulte, les préoccupations concernant l’implication du crime organisé sont sérieuses et importantes et elles méritent qu’on s’y attarde davantage.

Le Sous-comité appuie donc les efforts déployés par les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux pour tenter d’améliorer la lutte au crime organisé. Mentionnons qu’en 1998, les ministres fédéral, provinciaux et territoriaux de la justice ont reconnu officiellement la nécessité d’un effort concerté de lutte contre le crime organisé de la part des gouvernements et des organisations d’application de la loi en signant la Déclaration conjointe sur le crime organisé. En 2000, ils ont reconnu la lutte au crime organisé comme étant une priorité nationale en adoptant le Programme national de lutte contre le crime organisé, lequel comporte quatre grandes composantes, soit la coordination, les instruments législatifs et réglementaires, la recherche85 et l’analyse de même que les communications et la sensibilisation du public.

G. QUE SAVONS-NOUS DE LA TRAITE DES PERSONNES (ET DE L’EXPLOITATION D’ILLÉGAUX) À DES FINS DE PROSTITUTION?

Le phénomène de la traite des personnes s’est imposé sur la scène internationale dans les années 90. La prolifération d’écrits sur le sujet constitue l’un des signes tangibles de la préoccupation grandissante à l’égard de ce phénomène que l’on qualifie souvent de «  nouvelle forme d’esclavage à l’échelle mondiale  », de même que « d’activité criminelle qui connaît la plus forte croissance à l’échelle internationale  »86.

Les Nations Unies estiment que plus de 700 000 personnes sont victimes de la traite dans le monde chaque année. Cette activité produirait, selon l’ONU, 10 milliards de dollars US à l’échelle mondiale87.

Même si on ne dispose pas de toute l’information nécessaire au Canada pour mesurer l’étendue de ce problème à l’échelle nationale, il est évident que la traite des personnes joue un rôle dans le milieu de la prostitution et que les personnes qui en sont victime comptent parmi les plus vulnérables du milieu. À la lumière des témoignages entendus, les victimes de la traite courent plus de risques liés à leur santé et à leur sécurité. Certaines personnes profitent de leur vulnérabilité, en sachant qu’elles ne vont pas se plaindre de crainte d’être expulsées. Les victimes de la traite et les immigrants illégaux exploités dans la prostitution sont aussi particulièrement vulnérables parce que leur statut juridique leur interdit souvent l’accès aux soins de santé et aux services sociaux.

En conséquence, la Chambre des communes a adopté le projet de loi C-49 en novembre 200588. Ce projet de loi a modifié le Code criminel par la création de nouvelles infractions et l’introduction de diverses modifications ayant pour but de prévenir ce crime odieux, de mieux protéger les victimes et de faciliter la poursuite des auteurs de la traite89.

Le projet de loi C-49 est venu combler une lacune importante dans nos lois en introduisant pour la première fois des dispositions visant à protéger spécifiquement les droits des victimes de la traite. Plus récemment, en juin 2006, l’adoption du programme de permis temporaires pour les victimes de la traite est venue faciliter l’accès des victimes à divers services essentiels visant la promotion de leur santé et de leur sécurité. On peut s’attendre à ce que les permis faciliteront le témoignage des victimes et, du coup, la poursuite des exploiteurs. Le nouveau programme permet aux agents d’immigration de délivrer aux victimes de la traite des permis de séjour temporaire. Les détenteurs de ces permis sont exemptés des frais de traitement et sont admissibles à des conseils d’ordre médical et social, ainsi qu’à d’autres soins de santé couverts par le Programme de santé intérimaire.



9De nombreux témoins ont présenté des données à ce sujet, dont Yolande Geadah qui a souligné le 7 février 2005 que la prostitution de rue ne représente que 3 p. 100 de la prostitution globale. Voir également les témoignages de Joe Ceci, Elizabeth Hudson, Leslie Ann Jeffrey, Gayle MacDonald, François Robillard, Wendy Babcock et le City of Toronto Task Force on Community Safety, A Community Safety Strategy for the City of Toronto, février 1999, disponible à l’adresse Internet suivante : www.toronto.ca/safety/sftyrprt.htm, de même que Frances Shaver, «  Prostitution: a Female Crime », dans Conflict within the Law: Women in the Canadian Justice System, Vancouver, Press Gang Publishers, 1993. D’après Ronald Weitzer, la situation est la même aux États-Unis. Voir «  Flawed Theory and Method in Studies of Prostitution  », dans Violence Against Women, 2005, 11(X), p. 11.
10Le Groupe de travail fédéral-provincial-territorial sur la prostitution créé en 1992 par les ministres de la Justice pour se pencher sur les mesures législatives, les politiques et les pratiques visant certaines activités liées à la prostitution, a soutenu dans son rapport que l’accent mis sur la prostitution de rue «  a favorisé l’émergence d’une industrie à deux paliers. Les prostitués détenant un permis et ne travaillant pas dans la rue, dont les services sont plus chers, agissent en toute impunité, ou peu s’en faut, tandis que les clients et les prostitués moins nantis, qui se trouvent pour la plupart dans la rue, se font régulièrement arrêter  ». Rapport et recommandations relatives à la législation, aux politiques et aux pratiques concernant les activités liées à la prostitution, décembre 1998, p. 65.
11Une personne qui s’est déjà livrée à la prostitution a confirmé cette distinction en soulignant que la prostitution de rue n’équivaut pas nécessairement à une prostitution de survie. Elle a souligné que certaines personnes choisissent la rue pour vendre leurs services sexuels pour les avantages que la rue peut offrir, dont la flexibilité des horaires, un meilleur contrôle sur les prix et une possibilité accrue de choisir les clients.
12John Lowman, Prostitution Law Reform in Canada, 1998. Disponible à l’adresse Internet suivante : http://mypage.uniserve.ca/~lowman/ [traduction].
13Extrait du livre Missing Sarah, Penguin Canada, 2003, témoignage devant le Sous-comité, 16 février 2005.
14Pour Anastasia Kusyk, membre de la Sex Workers Alliance of Toronto, il convient en effet de distinguer la variété des expériences dans le milieu de la prostitution en ce qui a trait à la notion de choix tout autant qu’à la relation souteneur-prostitué(e). Elle a affirmé lors de son témoignage : « Beaucoup plus de femmes choisissent de devenir des travailleuses du sexe. À 16 ans, je faisais le trottoir. Je n’avais pas de proxénète, je n’ai jamais fumé du crack. Vous ne pouvez pas mettre tout le monde dans le même panier. » Témoignage devant le Sous-comité, 15 mars 2005. Plusieurs autres personnes prostituées ont témoigné dans ce sens, dont Evan Smith, coordonateur du University of Toronto Genderqueer Group. « Je suis un travailleur du sexe parce que j’ai choisi de l’être. On ne m’a pas fait violence. Personne ne m’a forcé à entrer dans cette industrie. Je n’ai pas de souteneur, il n’y a que mon propriétaire qui me réclame un loyer. J’ai choisi ce mode de vie parce que, pour moi, c’est une manière de faire de l’argent avec mon corps ». Témoignage devant le Sous-comité, 15 mars 2005.
15Témoignage devant le Sous-comité, 7 février 2005.
16Il y aurait, à titre d’exemple, plus de 600 personnes qui se livrent à la prostitution connues par les services policiers dans la ville de Winnipeg. Voir le témoignage de Harry Lazarenko, 1er avril 2005. Des policiers ont aussi appris au Sous-comité que, chaque nuit, de 30 à 100 personnes vendent du sexe dans les rues de Vancouver.
17Une discussion en profondeur de ces articles de loi est présentée au chapitre 4 du présent rapport.
18Témoignage devant le Sous-comité, 16 mai 2005.
19Ministère de la Justice du Canada, Statistiques relatives aux infractions se rattachant à la prostitution, Unité de recherche en justice pénale, Division de la recherche et de la statistique, janvier 2005, p. 2.
20Voir entres autres les témoignages de Mme Aurélie Lebrun, agente de recherche pour l’Alliance de recherche IREF-Relais femmes et de Mme Frances Shaver, professeure au Département de sociologie et d’anthropologie de l’Université Concordia. Le Comité Fraser soulignait lui aussi dans son rapport l’absence d’informations en ce qui a trait aux autres formes de prostitution.
21Claire Thiboutot (Stella), Lutte des travailleuses du sexe: perspectives féministes, 2005. Disponible à l’adresse Internet suivante : http://www.cybersolidaires.org/prostitution/docs/ffq2.html.
22Voir entre autres les recherches présentées au Sous-comité par John Lowman de l’Université Simon Fraser, Christine Bruckert et Colette Parent de l’Université d’Ottawa, Frances Shaver de l’Université Concordia, Deborah Brock de l’Université York, Leslie Ann Jeffrey de l’Université du Nouveau-Brunswick, Gayle MacDonald de l’Université St. Thomas, de même que Jacqueline Lewis et Eleanor Maticka-Tyndale de l’Université Windsor. Les données émanant de leurs recherches et bien d’autres sont présentées dans les sections qui suivent.
23Voir entre autres les témoignages de Christine Bruckert, Colette Parent, John Lowman et Frances Shaver.
24John Lowman a soutenu lors de son témoignage qu’il y «  aurait environ cinq vendeuses de services sexuels pour chaque vendeur [sur la rue], ce qui comprend les garçons qui s’habillent en garçons; les travestis et les transgenres, c'est-à-dire les personnes qui sont en voie de changer de sexe…. Pour ce qui est du commerce hors rue, l’estimation devient beaucoup plus difficile  », témoignage devant le Sous-comité, 21 février 2005.
25Mentionnons que cette question est très controversée, comme en font foi les nombreux témoignages contradictoires entendus par le Sous-comité à ce sujet.
26Voir notamment le témoignage de Marie-Andrée Bertrand, professeure émérite de l’École de criminologie, Université de Montréal, 14 février 2005.
27Certains témoins, dont le regroupement québécois des Calacs, Lyne Kurtzman de l’Alliance de recherche IREF-relais femme et Rose Dufour, chercheure indépendante et auteure d’un livre sur la prostitution, ont soutenu lors de leur passage devant le Sous-comité qu’il existe un lien étroit entre l’inceste, l’agression sexuelle et la prostitution. Les statistiques présentées pour établir ce lien ont été fortement critiquées. Des chercheurs, dont Frances Shaver de l’Université Concordia, ont mis en doute ce lien en disant : « Si nous voulons vraiment savoir dans quelle mesure le fait d’avoir été l’objet de sévices physiques et sexuels pendant l’enfance est un facteur dans la décision de devenir prostituée, nous devons commencer par mener une étude qui repose sur un échantillon de Canadiens. Ensuite il faudra faire le tri des répondants en fonction de ceux qui ont été abusés et ceux qui ne l’ont pas été, en cherchant à déterminer, d’une part, quelle proportion font autre chose, et d’autre part, quelle proportion de ceux qui n’ont pas été abusés finissent dans l’industrie du sexe par rapport à ceux qui ne pratiquent pas le métier de prostitué. Cette recherche n’a pas encore été faite. » Frances Shaver, témoignage devant le Sous-comité, 7 février 2005.
28Témoignage devant le Sous-comité, le 1er avril 2005.
29Une membre de la Edmonton’s Safer Cities Advisory Committee, Kate Quinn, a ainsi soutenu lors de son témoignage : « Nous savons par exemple que la pénurie de logements contribue à la prostitution. Ainsi, 53 p. 100 des femmes qui ont eu recours à notre programme d'aide pour échapper à la prostitution n’avaient pas un domicile fixe au moment de leur arrestation. Certaines étaient absolument sans abri, d’autres dormaient dans des refuges pour toxicomanes, s’entassaient avec d’autres dans des appartements d’une chambre à coucher, avaient une chambre dans un hôtel bon marché ou demandaient à différents amis de les laisser coucher un soir sur un canapé. Dans notre ville, beaucoup de femmes vendent leur corps pour payer leur loyer. Il est difficile d’échapper à la rue quand on ne peut aller nulle part. Il est impossible de se sentir en sécurité si on n’a pas un lieu sûr pour se reposer et retrouver des forces ».
30Voir notamment les témoignages de Maurganne Mooney, Aboriginal Legal Service of Toronto, 15 mars 2005 et Beverly Jacobs, Association des femmes autochtones du Canada, 1er avril 2005.
31Voir On a volé la vie de nos sœurs : discrimination et violence à l’égard des femmes autochtones, rapport d’Amnistie internationale, 2004.
32Voir les témoignages de Maurganne Mooney, Aboriginal Legal Service of Toronto, 15 mars 2005, et Beverly Jacobs, Association des femmes autochtones du Canada, 1er avril 2005.
33Témoignage devant le Sous-comité, 11 avril 2005.
34Les politiques d’assimilation ont façonné la vie sociale, économique et politique des Autochtones au Canada, entraînant souvent du même coup la disparition entre autres choses des langues et des traditions autochtones,. Pour plus d’information à ce sujet, voir les témoignages de Maurganne Mooney, Cheryl Hotchkiss et Beverly Jacobs.
35Témoignage devant le Sous-comité, 20 avril 2005.
36Tel que l’a fait observer Susan Miner, directrice, Street Outreach Services, en parlant de la situation en Ontario : «  L'étendue du problème de l'exploitation sexuelle commercialisée des enfants et des jeunes en Ontario est à la fois flagrante et cachée. La prostitution de rue est considérée comme étant de “premier niveau” et est évidente et visible; les services d'escorte, les téléphones portables, les lieux de massage, le “cybersexe”, le proxénétisme et les annonces personnelles sont autant de lieux cachés, et le nombre de jeunes qui y sont mêlés est interminable.  » Témoignage devant le Sous-comité, 15 mars 2005.
37Deborah Brock, professeure au département de sociologie, Université York, témoignage devant le Sous-comité, 9 février 2005.
38Susan Miner, directrice, Street Outreach Services-SOS, témoignage devant le Sous-comité, 15 mars 2005.
39Anastasia Kusyk, intervenante et membre de la Sex Work Alliance of Toronto, témoignage devant le Sous-comité, 15 mars 2005.
40Témoignage devant le Sous-comité, 16 mars 2005.
41Voir notamment le témoignage devant le Sous-comité du Sergent d’état-major Terry Welsh du Service de police d’Ottawa, 6 avril 2005.
42Susan McIntyre, Strolling Away, ministère de la Justice, août 2002; P. Aggleton, éd., Men Who Sell Sex : International on Male Prostitution and HIV/AIDS, Philadelphie, Temple University Press, 1999; R. Valera et coll., “Perceived Health Needs of Inner-City Street Prostitutes”, American Journal of Health Behaviour, n25, 2001, p. 50-59; Frances Shaver et coll., “Gendered Prostitution in the San Francisco Tenderloin”, Archives of Sexual Behaviour, no 28, 1999, p. 503-521; Frances Shaver, Prostitution Portraits: A Cautionary Tale, document remis au Sous-comité. Cette information a aussi été corroborée au cours des audiences à huis clos.
43Détective Howard Page du Service de police de Toronto, témoignage devant le Sous-comité, 15 mars 2005.
44Agnès Connat, membre de l’Association des résidants et résidantes des Faubourgs de Montréal, Témoignage devant le Sous-comité, 16 mars 2005.
45Selon le criminologue Serge Brochu, la relation entre la drogue et la prostitution en serait plutôt une d’interdépendance. Voir Serge Brochu, Drogues et criminalité, une relation complexe, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, 1995.
46Dont John Lowman, Maggie deVries, Frances Shaver, Valérie Boucher et des personnes impliquées dans la prostitution.
47Les études de Frances Shaver et de John Lowman, entre autres, tendent à montrer que la majorité des personnes qui se livrent à la prostitution ne consomment pas de drogues dures. Voici ce qu’a déclaré à ce sujet Frances Shaver, au cours de son témoignage : «  Les conclusions de projets de recherche canadiens plus récents indiquent que beaucoup de travailleurs du sexe ne consomment pas de drogues dures, ou s'ils le font, sont à même de contrôler leur accoutumance. Il est d'autant plus probable que ceux qui travaillent hors-rue soient dans la même situation.  » Voir aussi : Conseil permanent de la jeunesse, Vu de la rue : les jeunes adultes prostitué(e)s — Rapport de recherche, gouvernement du Québec, 2004.
48Audiences à huis clos.
49Témoignage devant le Sous-comité, 30 mars 2005.
50Voir les témoignages devant le Sous-comité de Glenn Betteridge du Réseau juridique canadien du VIH/sida, 15 mars 2005, et de Maria Nengeh Mensah, professeure-chercheure à l’école de travail social de l’Université du Québec à Montréal, 2 mai 2005.
51Témoignage devant le Sous-comité, 30 mars 2005.
52Témoignage de Maria Nengeh Mensah, professeure-chercheure à l’École de travail social de l’Université du Québec à Montréal, 2 mai 2005.
53Ibid. Voir aussi Des politiques publiques saines : évaluer l’impact que les lois et politiques ont sur les droits de la personne, la prévention et les soins pour le VIH. Rapport sommaire, Réseau juridique canadien VIH/sida, 2003; Sex, Work, Rights: Reforming Canadian Criminal Laws on Prostitution, Réseau juridique canadien VIH/Sida, juillet 2005, p. 25-26.
54Gwendolyn Landolt, vice-présidente nationale, Real Women Canada, témoignage devant le Sous-comité, 14 février 2005.
55Témoignage devant le Sous-comité, 13 avril 2005.
56John Lowman, professeur, Université Simon Fraser, 21 février 2005.
57Roy Jones, directeur, Centre canadien de la statistique juridique, Statistique Canada, témoignage devant le Sous-comité, 16 mai 2005.
58John Lowman et L. Fraser, Violence Against Persons Who Prostitute : The Experience in British Columbia, Direction générale de la recherche, de la statistique et de l’évaluation, ministère de la Justice, 1995.
59Voir, par exemple, les témoignages de Frances Shaver, Colette Parent, John Lowman, Leslie Anne Jeffrey et de nombreuses personnes qui se livrent à la prostitution.
60Il est important de reconnaître que les collectivités sont victimes elles aussi des activités liées à la prostitution. Le but premier du Sous-comité est de trouver un juste équilibre afin de causer le moins de tort possible aux collectivités et aux personnes qui se livrent à la prostitution. Le chapitre 3 traite plus longuement de la question des ravages causés dans les collectivités par la prostitution.
61Voir, par exemple, les témoignages de Cherry Kingsley, Nick Ternette, Jen Clamen et Kyla Kaun. Il est important de savoir que cette question a été soulevée à maintes reprises pendant les audiences à huis clos avec des personnes qui se livraient à des activités de prostitution.
62Témoignage devant le Sous-comité, 29 mars 2005.
63Voir entre autres les témoignages de la Pivot Legal Society, de Maggie deVries et de Renée Ross, du programme Stepping Stone à Halifax.
64Témoignage devant le Sous-comité, 16 février 2005.
65Ce document est accessible à l’adresse Internet suivante : http://www.pivotlegal.org/.
66Voir notamment Groupe de recherche STAR, La sécurité et le bien-être des travailleurs et travailleuses du sexe, mémoire présenté au Sous-comité, juin 2005.
67Témoignage devant le Sous-comité, 16 mars 2005.
68Témoignage devant le Sous-comité, 17 mars 2005.
69Selon les témoignages recueillis, il y aurait de plus en plus de femmes et de couples qui utiliseraient les services de personnes prostituées.
70Richard Poulin, témoignage devant le Sous-comité, 9 février 2005.
71Témoignage devant le Sous-comité, 30 mars 2005.
72Jeannine McNeil, directrice exécutive, Stepping Stone, 17 mars 2005.
73John Lowman, professeur au département de criminologie de l’Université Simon Fraser, témoignage devant le Sous-comité, 21 février 2005.
74Témoignage devant le Sous-comité, 30 mai 2005.
75Témoignage devant le Sous-comité, 21 février 2005
76Deborah Brock, témoignage devant le Sous-comité, 9 février 2005.
77Témoignage devant le Sous-comité, 15 mars 2005.
78Comité spécial d’étude de la pornographie et de la prostitution, Rapport du Comité spécial d’étude de la pornographie et de la prostitution, volume 2, 1985, p. 428.
79Ibid., p. 408-409.
80Voir entre autres les témoignages de Lee Lakeman de l’Association canadienne des centres contre les agressions sexuelles, Richard Poulin de l’Université d’Ottawa, Yolande Geadah, Janice Raymond de la Coalition Against Trafficking in Women, Surintendant principal Frank Ryder de l’Association canadiennes des chefs de police, Gwendolyn Landolt de la REAL Women of Canada, Melissa Farley de la Prostitution Research and Education ou encore Jacqueline Lynn.
81Yolande Geadah, chercheure et auteure indépendante, témoignage devant le Sous-comité, 7 février 2005.
82Richard Poulin, professeur au département de sociologie, Université d’Ottawa, témoignage devant le Sous-comité, 9 février 2005.
83Frances Shaver, professeur au département de sociologie et d’anthropologie, Université Concordia, témoignage devant le Sous-comité, 7 février 2005.
84Colette Parent, professeure au département de criminologie, Université d’Ottawa, témoignage devant le Sous-comité, 9 mars 2005.
85Notons que le Centre canadien de la statistique juridique de Statistique Canada a entrepris en 2001 l’élaboration d’un outil de cueillette de données policières à l’échelle nationale portant sur les activités des organisations criminelles. Certaines données seront disponibles en 2006 par l’entremise de la déclaration DUC 2.2, qui, depuis 1988, permet au CCSJ de recueillir des données policières précises sur la criminalité. Le Canada sera le premier pays au monde a recueillir des données nationales sur le crime organisé. Pour plus d’information, consulter l’article de Lucie Ogrodnik, «  Le recensement du crime organisé  », Gazette, Gendarmerie royale du Canada, vol. 66, no 44, 2004. Disponible à l’adresse Internet suivante : http://www.gazette.rcmp-grc.gc.ca/article-fr.html?category_id=55&article_id=81.
86Irwin Cotler, Le ministre de la Justice dépose un projet de loi sur la traite des personnes, Communiqué, Ministère de la Justice, 12 mai 2005. Disponible à l’adresse Internet suivante : http://canada.justice.gc.ca/fr/news/nr/2005/doc_31482.html.
87Ministère de la Justice Canada, La traite des personnes : une brève description, 12 mai 2005. Disponible sur le site Internet du ministère à l’adresse suivante : http://canada.justice.gc.ca/fr/news/nr/2005/doc_31486.html.
88Le projet de loi C-49 faisait suite à un engagement pris par le gouvernement le 5 octobre 2004, à l’occasion du discours du Trône ouvrant la première session de la trente-huitième législature, p. 12. Disponible à l’adresse Internet suivante : http://www.pm.gc.ca/fra/sft-ddt.asp.
89Aux termes de ce projet de loi, la traite des personnes comprend le recrutement, le transport ou l’hébergement de victimes à des fins d’exploitation dans le milieu de la prostitution ou pour le travail forcé.