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LANG Rapport du Comité

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3. IMMIGRATION

« Maintenant, je pense qu'il faut livrer la marchandise. »[107]

Tout comme celui de la santé, le secteur de l’immigration a été identifié comme un élément prioritaire permettant de soutenir la vitalité des communautés de langue officielle en situation minoritaire. Puisque la croissance démographique des communautés demeure le critère ultime par lequel évaluer leur vitalité, il est clair que la natalité ne permettra pas à elle seule de freiner la baisse du nombre de familles qui parlent français à la maison à l’extérieur du Québec, ni de celles qui parlent anglais à la maison au Québec. Cela est vrai pour la population canadienne dans son ensemble, mais devient une véritable nécessité pour la santé à long terme des communautés de langue officielle en situation minoritaire. Cela est surtout vrai pour les communautés francophones à l’extérieur du Québec. Malgré le privilège explicite qu’accorde la législation québécoise en faveur de l’immigration francophone, la communauté anglophone du Québec, avec la qualité de ses institutions, sa solidité économique et sa richesse culturelle, constitue un pôle d’attraction dont la force n’est nullement comparable à celle des communautés francophones en situation minoritaire qui doivent avant tout faire connaître leur existence auprès des immigrants potentiels avant de pouvoir attirer qui que ce soit. Il faut évidemment faire des nuances en ce qui concerne les communautés anglophones à l’extérieur de Montréal qui vivent des situations analogues, et doivent tenter de retenir ceux qui viennent par exemple étudier en provenance des autres provinces et devront choisir de repartir ou de demeurer au Québec.[108]

De la même manière que la rétention des familles passe par la richesse de la vie communautaire, l’attraction de nouveaux arrivants passe par la chaleur de l’accueil. Une personne ou une famille acceptera de faire des sacrifices en termes de satisfaction professionnelle ou économique si elle ressent un attachement pour les personnes qui, pour elle, représentent la communauté. Sans cet attachement, à perspectives économiques égales, les enfants iront à l’école anglaise. Encore une fois, la condition de la réussite passe par la capacité d’accueil et d’intégration des réseaux communautaires. L’autre condition, comme nous verrons plus loin, est l’implication active du gouvernement provincial. Si ce dernier ne conçoit pas l’avantage de stimuler l’immigration parmi ces communautés francophones, les investissements fédéraux pourront difficilement donner des résultats. La stratégie proactive de certains gouvernements provinciaux, en particulier de celui du Manitoba, constitue une illustration éloquente de cette nécessaire collaboration qu’implique le fédéralisme canadien.

Dans certaines communautés francophones du pays, surtout dans les grandes villes, l’immigration est déjà devenue une réalité quotidienne. La clientèle du Centre francophone de Toronto, par exemple, est principalement composée de nouveaux arrivants[109]. Le Conseil scolaire francophone de Vancouver dessert quant à lui une population provenant de 72 pays différents, et qui, en plus de sa connaissance du français, parle 58 autres langues[110].

L’intégration d’un sous-volet « Immigration » au volet « Développement des communautés » du Plan d’action pour les langues officielles fut certainement l’un des premiers gestes concrets permettant de signaler l’intention du gouvernement fédéral de favoriser cet outil de développement. Ce geste était lui-même une réponse qui découlait des consultations entreprises préalablement auprès des communautés par la Fédération des communautés francophones et acadiennes du Canada, efforts qui avaient parallèlement été soutenus par des études coordonnées par le Commissariat aux langues officielles et auxquelles nous ferons brièvement référence dans ce qui suit.

Ce qu’il faut signaler d’abord, c’est que les investissements du Plan d’action sont modestes, 9 millions de dollars sur cinq ans, et qu’ils semblent avoir encouragé une certaine mobilisation des communautés, mais dont les résultats sont pour le moment impossibles à mesurer[111]. On peut donc affirmer que, jusqu’à aujourd’hui, le soutien à l’immigration a été davantage un pari timide qu’une véritable stratégie[112]. C’est pourquoi le Comité s’est réjoui du lancement, en septembre 2006, du Plan stratégique pour favoriser l’immigration au sein des communautés francophones par le gouvernement fédéral. Nous évaluerons un peu plus loin si ce plan possède la cohérence et la souplesse nécessaires qui lui permettront d’atteindre ses objectifs ambitieux.

Cette section présente d’abord l’état des connaissances sur l’immigration francophone au Canada. Elle présente ensuite les divers éléments du plan fédéral visant à favoriser cette immigration francophone. Finalement, elle présente les points de vue exprimés dans les témoignages recueillis par le Comité quant aux réalisations des diverses initiatives à ce jour, aux lacunes qui persistent, et aux pistes de solution permettant de faire de l’immigration une source de renforcement de la vitalité des communautés qui soit plus qu’anecdotique.

3.1. État des connaissances sur l’immigration francophone en situation minoritaire

Le Commissariat aux langues officielles a publié deux études sur le problème de l’immigration dans les communautés francophones en situation minoritaire, mais leur analyse est controversée et le Plan stratégique pour favoriser l’immigration au sein des communautés francophones n’a pas jugé bon d’en intégrer les résultats[113]. Le Comité directeur mandaté par Citoyenneté et Immigration Canada pour préparer ce plan stratégique a par contre utilisé une étude de la Fédération des communautés francophones et acadiennes du Canada (FCFA) [114]. Cette dernière étude trace un profil démographique de l’immigration francophone au Canada entre 1981 et 1996. Elle ne permet pas de vérifier la rétention des immigrants francophones par les communautés francophones en situation minoritaire, ni la mobilité de ces immigrants, mais pourrait constituer un point de départ.

D’après les données du recensement de 2001, telles que compilées par la Fédération des communautés francophones et acadiennes du Canada, 122 395 immigrants, dont la première langue officielle parlée est le français, ont choisi de s’établir à l’extérieur du Québec, soit 12,4 p. 100 de l’ensemble des francophones à l’extérieur du Québec. Cette proportion atteint 16,5 p. 100 en Ontario, la province où sont établis près des trois quarts de l’ensemble de ces immigrants, et atteint 32,0 p. 100 en Colombie-Britannique où sont établis près de 20 000 immigrants francophones.

Nombre d'immigrants francophones, 2001, Provinces et territoires

 

Total

Ameriques

Caraïbes

Europe

Afrique

Asie

Autres

Canada moins le Québec

122 395

10 170

4 350

52 960

20 995

33 335

585

Terre-Neuve et Labrador

215

30

0

110

20

0

55

Île-du-Prince-Édouard

105

25

0

55

10

15

0

Nouvelle-Écosse

1 585

215

40

760

85

400

85

Nouveau-Brunswick

2 820

1 595

60

550

265

240

110

Ontario

87 315

5 705

3 760

36 345

16 880

24 475

150

Manitoba

2 390

270

65

1 395

390

270

0

Saskatchewan

820

160

0

400

120

140

0

Alberta

7 890

670

205

3 860

1 275

1 850

30

Colombie-Britannique

19 015

1 480

210

9 330

1 905

5 935

155

Yukon

135

10

0

110

15

0

0

Territoires du Nord-Ouest

75

10

0

35

20

10

0

Nunavut

30

0

10

10

10

0

0

Source: Statistique Canada

Note: Il s’agit ici de personnes ayant reçu le statut d’immigrant au Canada, ou l’ayant déjà eu, pour qui le français est la première langue officielle portée.

M. Jean-Pierre Corbeil de Statistique Canada, brosse cependant un tableau qui semble beaucoup moins encourageant : « Pour ce qui est des enquêtes menées par Statistique Canada sur l'immigration de langue française, on en est à la case départ. »[115]

Il remet d’ailleurs en question les données précédentes, ce qui réduit de moitié le nombre réel d’immigrants francophones s’étant établis à l’extérieur du Québec :

Les statistiques tirées du recensement de 2001 révèlent qu'en utilisant le critère de la première langue officielle parlée, on comptait près de 53 000 immigrants de langue française à l'extérieur du Québec, soit à peine plus de 1 p. 100 de la population immigrante. Pour la population non immigrante, cette proportion atteignait 5 p. 100. Notons que de ces 53 000 immigrants ayant le français comme première langue officielle parlée, la majorité habite Toronto et Ottawa, là où leur nombre respectif oscille autour de 11 000 personnes. Mentionnons par ailleurs qu'en plus de ces 53 000 immigrants, ayant le français comme première langue officielle parlée, on trouve près de 70 000 immigrants pour lesquels on ne peut déterminer laquelle des langues, entre le français et l'anglais, est la première langue officielle parlée. Statistique Canada crée donc une catégorie résiduelle qu'elle nomme « première langue officielle parlée français-anglais ». En utilisant l'information fournie à la question sur les autres langues parlées de façon régulière au foyer, on note toutefois qu'une forte proportion de ces immigrants semblent s'orienter davantage vers l'anglais que vers le français, même s'ils indiquent avoir une connaissance des deux langues officielles.[116]

3.2. Le Plan d’action 2003-2008 et le Plan stratégique de 2006

Le Plan d’action pour les langues officielles de 2003 prévoyait 9 millions en cinq ans accordés à Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) afin « d’entreprendre des études de marché et concevoir des documents de promotion destinés à l’étranger[117] », ainsi que pour « appuyer des projets de centre d’information pour les immigrants francophones ainsi que des cours de français à distance axés sur les besoins des nouveaux arrivants ». Il semblerait plutôt que les sommes dépensées aient surtout servi à renforcer la capacité bilingue des organismes fédéraux susceptibles d’être impliqués dans l’accueil des immigrants, de même qu’au travail de planification du Comité directeur de Citoyenneté et Immigration Canada[118].

Le 11 septembre 2006, le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, l’honorable Monte Solberg, ainsi que la ministre de la Coopération internationale et ministre de la Francophonie et des Langues officielles, l’honorable Josée Verner, lançaient conjointement le Plan stratégique pour favoriser l’immigration au sein des communautés francophones. Ce Plan est le fruit de la réflexion du Comité directeur Citoyenneté et Immigration Canada — Communautés francophones en situation minoritaire (ci-après Comité directeur).

Selon le recensement de 2001, les Canadiens résidant à l’extérieur du Québec, dont la première langue officielle parlée est le français, représentent 4,4 p. 100 de la population canadienne. Le Plan vise à créer une équivalence entre la proportion actuelle de francophones hors Québec et la proportion d’immigrants « d’expression française » qui, chaque année, choisissent de s’établir à l’extérieur du Québec.[119] L’objectif principal du Plan est d’atteindre cette proportion annuelle en 2008, à partir de diverses initiatives s’étalant jusqu’en 2011 afin de consolider cette croissance. Considérant qu’environ 1 p. 100 seulement de l’ensemble des immigrants au Canada ont le français comme première langue officielle parlée et résident à l’extérieur du Québec, l’atteinte de cet objectif en 2008 constituerait un revirement spectaculaire.

3.2.1. Historique et mandat du Comité directeur

Le Comité directeur a été mis sur pied en mars 2002 suite aux consultations menées entre 1999 et 2001 par la Fédération des communautés francophones et acadiennes du Canada (FCFA) auprès des communautés francophones en situation minoritaire. Ces consultations ont révélé le potentiel de l’immigration dans le soutien de la vitalité des communautés francophones, et ont été renforcées par les analyses du Commissariat aux langues officielles[120].

Le Comité directeur est composé de dix représentants de CIC, de différentes directions générales et directions générales régionales, de douze ministères fédéraux, de six provinces, d'un territoire, d'un représentant du Réseau des affaires francophones et intergouvernementales et de onze représentants communautaires. Son mandat initial se définissait comme suit :

§         collaborer à l’élaboration d’une stratégie visant à sensibiliser les communautés francophones en situation minoritaire aux enjeux liés à l’immigration et à accroître leur capacité d’accueil;

§         collaborer à l’élaboration d’une stratégie de sensibilisation auprès des employés, des fournisseurs de services et des clients de CIC au Canada et à l’étranger, en ce qui a trait au caractère bilingue du Canada, aux résultats souhaités en matière d’immigration ainsi qu’à la présence de collectivités de langue officielle en situation minoritaire dans chaque province et territoire en vue d’accroître l’établissement d’immigrants au sein des communautés francophones en situation minoritaire;

§         collaborer à l’élaboration d’une stratégie visant à assurer la liaison avec les communautés francophones en situation minoritaire afin de faciliter leur participation aux activités et aux consultations publiques de CIC et, ainsi, d’accroître leur expertise dans le domaine de l’immigration;

§         collaborer à l’élaboration d’une stratégie de promotion, de recrutement et de sélection afin d’augmenter le nombre d’immigrants qui choisiront de s’établir au sein des communautés francophones en situation minoritaire;

§         participer à la mise en œuvre d’une nouvelle stratégie d’intégration des immigrants au sein des communautés francophones en situation minoritaire;

§         définir les priorités de CIC dans le cadre du protocole d’entente signé avec Patrimoine canadien concernant la mise en œuvre du Partenariat interministériel avec les communautés de langue officielle (PICLO);

§         faire exécuter des études et des recherches sur les enjeux liés à l’immigration au sein des communautés francophones en situation minoritaire pour voir à la mise en œuvre des stratégies;

§         se livrer à d’autres activités jugées essentielles par les membres du Comité directeur[121].

Afin de concrétiser le sous-volet « Immigration » du Plan d’action pour les langues officielles de 2003, le Comité directeur a publié en novembre 2003 le Cadre stratégique pour favoriser l’immigration au sein des communautés francophones en situation minoritaire (ci-après Cadre stratégique)[122].

Le Cadre stratégique de 2003 proposait cinq objectifs :

1.      Accroître le nombre d’immigrants d’expression française de manière à accroître le poids démographique des communautés francophones en situation minoritaire;

2.      Améliorer la capacité d’accueil des communautés francophones en situation minoritaire et renforcer les structures d’accueil et d’établissement pour les nouveaux arrivants d’expression française;

3.      Assurer l’intégration économique des immigrants d’expression française au sein de la société canadienne et des communautés francophones en situation minoritaire en particulier;

4.      Assurer l’intégration sociale et culturelle des immigrants d’expression française au sein de la société canadienne et des communautés francophones en situation minoritaire;

5.      Favoriser la régionalisation de l’immigration francophone à l’extérieur de Toronto et Vancouver.

Un bilan provisoire des initiatives développées pour la réalisation de ces objectifs a été publié en mars 2005 sous le titre de : Vers la francophonie canadienne de demain : Sommaire des initiatives 2002-2006 pour favoriser l’immigration au sein des communautés francophones en situation minoritaire[123]. Malgré toute la qualité de ces initiatives, elles sont essentiellement demeurées des projets ponctuels de courte durée dont la portée est insuffisante pour faire augmenter de manière significative la proportion des immigrants francophones qui choisissent les communautés en situation minoritaire.

C’est pour répondre à cette lacune que le Comité directeur a développé le Plan stratégique qui maintient les objectifs définis en 2003.

3.2.2. Contenu du Plan stratégique

Le Plan « tente de mieux cerner les défis à surmonter ainsi que les différents enjeux, propose des actions ciblées pour les cinq prochaines années, et donne une orientation à long terme[124] ».

La première partie du Plan porte sur les défis qui sont au nombre de quatre :

1.      Le nombre d’immigrants et la composition de l’immigration de personnes d’expression française dans les communautés;

2.      La mobilité des immigrants;

3.      L’intégration économique et sociale des immigrants;

4.      Le manque de capacité en matière de recrutement, d’accueil et d’intégration des immigrants d’expression française dans les communautés.

La deuxième partie du Plan porte sur les choix stratégiques, c’est-à-dire sur les options offertes que le Comité directeur juge les plus susceptibles d’entraîner des résultats si elles se traduisent par des actions concrètes. Des suggestions d’initiatives sont esquissées, ainsi que des indicateurs possibles de rendement de ces initiatives. Cependant, le lien entre les « choix stratégiques » et les « défis » esquissés dans la partie précédente n’est pas défini.

La troisième partie du Plan résume l’encadrement législatif et les politiques gouvernementales, et la quatrième partie décrit la stratégie de mise en œuvre du plan quinquennal qui permettra l’atteinte des objectifs. Ce plan quinquennal contient des mécanismes de coordination, des priorités d’action et des considérations financières.

Les mécanismes de coordination à l’échelle locale et provinciale sont laissés à l’initiative des communautés. Pour la coordination nationale, le Comité directeur propose que son mandat soit renouvelé et que lui soit adjoint un Comité de mise en œuvre qui sera chargé de traduire le plan stratégique en actions concrètes.

Les priorités d’action pour la période de 2006 à 2011 sont :

§         la mise en place et l’appui aux réseaux locaux;

§         la sensibilisation de la communauté locale;

§         la mise en place d’une formation linguistique en anglais et/ou français;

§         la formation pour la mise à jour des compétences professionnelles et des habiletés en matière d’employabilité;

§         la recherche;

§         l’appui à la création de micro-entreprises;

§         l’appui à des établissements postsecondaires de langue française en vue du recrutement et de l’intégration d’étudiants internationaux;

§         la promotion et la sélection des immigrants potentiels;

§         l’appui aux réfugiés.

Différentes pistes sont suggérées pour le financement éventuel des initiatives.

3.2.3. Lacunes du Plan

Les membres du Comité s’accordent sur la pertinence des objectifs poursuivis par le Plan stratégique et reconnaîtront le progrès que représente l’adoption d’une démarche visant à favoriser l’immigration des francophones au sein des communautés en situation minoritaire. Ils souhaitent également s’assurer que ces objectifs seront réalisés, et que toutes les personnes et organisations impliquées dans sa mise en œuvre seront en mesure d’en suivre la progression. Or, dans sa forme actuelle, le Plan comporte de nombreuses lacunes qui menacent sérieusement sa capacité à atteindre ces objectifs. Les plus importantes sont les suivantes :

3.2.3.1. Absence d’un état de situation

Un plan stratégique consiste à identifier un point de départ, un point d’arrivée souhaitable et les moyens d’y parvenir en tenant compte des contraintes existantes. Le Plan ne comporte aucun état de situation quant au nombre réel d’immigrants vivant au sein des communautés francophones à l’extérieur du Québec, et se contente de reprendre les données publiques fragmentaires de Statistique Canada et du ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration. Aucune étude particulière n’a été faite ou commandée par le Comité directeur. Les auteurs du Plan concluent eux-mêmes que : « Citoyenneté et immigration Canada devra améliorer sa capacité de mesurer la connaissance des langues officielles chez les immigrants afin de déterminer avec plus de précision l’évolution du portrait démographique de l’immigration dans les communautés de langue officielle en situation minoritaire[125] ». Il s’agit là d’une lacune considérable puisque la possibilité d’établir des cibles dépend également de la capacité d’identifier les conditions initiales.

La même critique s’applique aux données du Plan touchant la mobilité des immigrants puisque, s’il est impossible de savoir où ils sont, il est impossible de savoir où ils vont. Étant donné les limites des connaissances sur leur nombre et leur mobilité, toute mesure visant leur éventuelle intégration sociale et économique se fondera sur des analyses très hypothétiques, si jamais elles existent. La documentation portant sur les capacités d’accueil des communautés est plus solide puisqu’une étude réalisée en 2004 par la firme Prairie Research Associates pour le compte de la FCFA[126] permet d’en tracer les éléments pertinents.

Lors de son témoignage, M. Jean-Pierre Corbeil de Statistique Canada a informé le Comité des moyens les plus susceptibles de répondre à ces lacunes :

L'une des enquêtes importantes de Statistique Canada sur l'établissement des immigrants au Canada est l'Enquête longitudinale auprès des immigrants du Canada. Compte tenu de la taille relativement petite de son échantillon, [elle] ne permet cependant pas d'obtenir des estimations fiables sur les immigrants de langue française à l'extérieur du Québec. Il est cependant clair que si des dispositions étaient prises pour effectuer un suréchantillonnage d'immigrants de langue française, une telle enquête longitudinale fournirait une mine très riche d'informations sur le processus d'établissement de ces immigrants au sein des communautés francophones en milieu minoritaire.[127]

Un tel suréchantillonnage a déjà permis d’en connaître beaucoup sur la dynamique des allophones au Québec :

On a réussi à avoir un échantillon considérable au Québec, non seulement pour les anglophones du Québec selon la langue maternelle, mais aussi pour tous les immigrants allophones qui s'orientent vers l'anglais. Étant donné que la concurrence entre l'anglais et le français est un enjeu important au Québec, on a suréchantillonné de façon importante les allophones qui s'orientent vers le français, pour comprendre la dynamique. On pose donc toutes les mêmes questions concernant l'accès aux soins de santé et les divers modules de développement de la vitalité des communautés.[128]

Une approche similaire contribuerait sans doute à combler cette lacune importante concernant les données de base permettant de prendre des décisions éclairées qui pourraient permettre d’accueillir davantage d’immigrants au sein des communautés francophones en situation minoritaire.

3.2.3.2. Ambiguïté des cibles

Lors du lancement du Plan stratégique, les cibles initiales du Plan ont été maintenues, soit que 4,4 p. 100 de toute l’immigration en 2008 soit composée de francophones s’installant dans des communautés francophones à l’extérieur du Québec. Sachant que le Canada entend accueillir entre 240 000 et 265 000 immigrants en 2007, et en supposant que ce nombre soit maintenu au cours des deux années suivantes, cela voudrait dire entre 10 560 et 11 660 immigrants francophones par année dans les communautés francophones hors du Québec. Or, le Plan stratégique affirme également que « selon les prévisions, environ 15 000 immigrants d’expression française devraient s’établir à l’extérieur du Québec au cours des cinq prochaines années » (p. 3), soit presque quatre fois moins que les objectifs fixés, ce qui crée une confusion très importante. Le Plan indique également qu’il faudra une quinzaine d’années avant d’atteindre la cible annuelle de 8 000 à 10 000 immigrants d’expression française dans les communautés francophones en situation minoritaire[129]. Autrement dit, il faudra attendre jusqu’en 2021 avant d’atteindre des objectifs inférieurs à ceux que le Plan maintient pour 2008[130]. À l'occasion du lancement du Plan stratégique, le ministre Solberg a également annoncé le renouvellement du mandat du Comité directeur pour cinq ans, de 2006 à 2011, afin de voir à sa mise en œuvre.

Lors de son témoignage devant le Comité, le sous-ministre responsable du Plan stratégique nous a indiqué que cette confusion découlait tout simplement d’un malentendu portant sur la définition « d’immigrant d’expression française » qui devrait désormais se lire ainsi : « un immigrant d’expression française est celui dont le français est la langue maternelle ou, s’il a une langue maternelle autre que le français ou l’anglais, dont le français est la première langue officielle canadienne d’usage » (p. 4). Cette clarification apparente n’est en fait qu’une confusion supplémentaire puisque cette définition correspond exactement à la définition de « première langue officielle parlée », telle qu’utilisée par Statistique Canada, et cette définition est justement celle qui a permis de fixer à 4,4 p. 100 les cibles d’immigration. Autrement dit, cet apparent changement de définition n’aurait jamais dû entraîner de modification des cibles puisque les cibles ont justement été établies à partir de cette définition.

Si on fait fi de ces incohérences et qu’on accepte tout simplement que les nouvelles cibles sont d’environ 15 000 au cours des cinq prochaines années (p. 3), c’est-à-dire en moyenne de 3,000 par année, cela correspondrait à 1,25 p. 100 de l’immigration canadienne totale, ce qui nous place très loin de l’objectif de 4,4 p. 100 annoncé initialement. Or, dans le Plan lui-même, on peut lire : « Selon Statistique Canada, le nombre d’immigrants qui s’établissent à l’extérieur du Québec et dont la langue maternelle est le français varie entre 1 p. 100 et 1,5 p. 100 depuis plusieurs années » (p. 4). Autrement dit, les nouvelles cibles que le Plan permettra d’atteindre correspondent en fait à la situation qui prévaut depuis des années.

Ces ambiguïtés ne sont pas de nature à favoriser la réussite du Plan stratégique ni à mobiliser les intéressés en vue de l’atteinte d’une cible claire, alors que ses objectifs sont louables et obtiennent un appui enthousiaste des communautés. Il serait donc dommage de mettre en péril la réussite d’initiatives favorisant l’immigration au sein des communautés francophones en situation minoritaire, pour la seule raison que le travail préparatoire est confus.

Finalement, s’il n’est pas possible d’identifier le point de départ réel et que les cibles sont floues, il devient à toutes fins pratiques impossible de vérifier l’atteinte des objectifs du Plan. Aucun mécanisme de suivi n’est décrit dans le Plan et aucun échéancier n’est prévu pour suivre la progression des résultats, par exemple à tous les ans ou à mi-parcours. Autrement dit, même si le Plan atteignait ses objectifs ou même les dépassait de manière spectaculaire, il serait impossible de le savoir. Par conséquent, le Comité recommande :

Recommandation 6

Que Citoyenneté et Immigration Canada, en collaboration avec les provinces et territoires :

§         demande à Statistique Canada d’effectuer un suréchantillonnage des immigrants de langue française dans le cadre de l’Enquête longitudinale auprès des immigrants du Canada;

§         demande à Statistique Canada de procéder à une étude rigoureuse portant sur la démographie des immigrants francophones en situation minoritaire et sur les particularités de leur mobilité;

§         identifie les meilleures pratiques quant à l’intégration harmonieuse des immigrants au sein des communautés francophones en situation minoritaire;

§         procède à une réévaluation complète des cibles et des définitions contenues dans le Plan stratégique pour favoriser l’immigration au sein des communautés francophones en situation minoritaire, en particulier en ce qui concerne la progression anticipée du nombre d’immigrants s’établissant dans les communautés francophones en situation minoritaire suite à la mise en œuvre de ce Plan stratégique;

§         définisse un échéancier et élabore un mécanisme de suivi rigoureux qui permettra de vérifier régulièrement l’atteinte des résultats.

3.3. Mesures budgétaires 2006-2007

Lors de sa comparution devant le Comité, le ministre Solberg a confirmé qu’une enveloppe de 307 millions de dollars serait consacrée à de nouvelles mesures visant à soutenir l’établissement des immigrants dans leurs communautés d’accueil. Un montant de 111 millions de dollars sera versé en 2006-2007 et un autre de 196 millions de dollars est prévu pour 2007-2008. Les trois quarts de cette enveloppe globale de 307 millions, soit 230 millions, sont destinés à l’Ontario, et 77 millions de dollars aux autres provinces à l’exception du Québec.

Ces sommes s’ajoutent aux 90 millions de dollars sur deux ans déjà prévus dans le Budget 2005-2006. Cela porte donc les engagements totaux du gouvernement pour les deux prochaines années à 146 millions de dollars en 2006-2007 et 251 millions de dollars en 2007-2008 pour le soutien à l’établissement des immigrants. Sans pouvoir anticiper sur les budgets 2008-2009 et les suivants, le budget total de soutien à l’immigration dans son ensemble dépassera vraisemblablement le milliard de dollars au cours des quatre prochaines années. (voir tableau de la page 99)

Le Budget 2006-2007 ne fait état d’aucune enveloppe spécifique qui serait réservée aux communautés francophones en situation minoritaire, mais selon Daniel Jean, co-président de la partie gouvernementale du Comité directeur Citoyenneté et Immigration Canada — Communautés francophones en situation minoritaire, « il est certain qu'une partie de ces fonds favorisera l'immigration et contribuera à combler les besoins d'intégration particuliers des immigrants francophones[131] ». Ces augmentations devraient évidemment se faire sentir davantage en Ontario :

Dans une province comme l'Ontario, qui compte une importante population francophone, les organismes francophones qui s'occupent de l'établissement des immigrants vont bénéficier d'une grosse augmentation du financement qu'ils obtiennent. Dans cette province, le ministère intervient directement dans la répartition de ce financement, mais il tient compte de l'avis des organismes d'établissement et des autorités de la province. Donc, il va effectivement y avoir une forte augmentation du financement de tous les organismes d'établissement.[132]

Les sommes prévues dans le budget seront distribuées aux provinces qui les géreront par l’intermédiaire de leurs agences d’établissement (settlement agencies). Certaines de ces agences sont à l’œuvre dans les communautés francophones en situation minoritaire, et il est vraisemblable qu’elles recevront leur part de ce financement, sans que des proportions précises aient été établies.

Ces investissements de 307 millions de dollars sont indépendants du Plan stratégique pour favoriser l’immigration au sein des communautés francophones en situation minoritaire lancé en septembre 2006 par les ministres Solberg et Verner. Ce Plan stratégique ne contenait aucun engagement financier. M. Jean a toutefois précisé certaines pistes qui pourraient permettre de financer l’atteinte des objectifs du Plan stratégique :

Le financement […] sera, en partie, accessible par le biais de programmes existants. Premièrement, le Plan d'action pour les langues officielles, lancé en mars 2003, a alloué 9 millions de dollars sur cinq ans pour la promotion de l'immigration au sein des communautés francophones. Deuxièmement, les fonds d'établissement additionnels qui ont été annoncés dans le budget de 2006, pour le ministère de l'Immigration, pourront appuyer certaines initiatives du Plan stratégique. Ces nouveaux fonds doivent servir à combler les besoins immédiats des immigrants dans l'amélioration des programmes existants et à développer des projets-pilotes pour des groupes de clients ciblés, incluant les francophones en situation minoritaire. Troisièmement, nous misons sur l'effet de levier qui peut être créé en favorisant les partenariats solides avec d'autres ministères, qu'il s'agisse du ministère du Patrimoine, de celui de la Santé ou d'autres. Quatrièmement, le Comité de mise en oeuvre examinera le mécanisme existant de financement de la mise en oeuvre du Plan stratégique et identifiera les manques à gagner pour assurer son succès[133].

MESURES BUDGÉTAIRES TOUCHANT L’IMMIGRATION

 

2005-2006

2006-2007

2007-2008

2008-2009

2009-2010

TOTAL

 

 

 

 

 

 

 

Budget 2005

Intégration et établissement

20

35

55

80

108

298

Service à la clientèle

20

20

20

20

20

100

Total mesures déjà annoncées

40

55

75

100

128

398

 

Budget 2006 

Établissement

 

111

196

   

307

Droit de résidence perm.

 

134

90

   

224

Reconnaissance des compétences

 

6

12

   

18

Totales nouvelles mesures

 

251

298

   

549

 

Total des deux budgets

40

306

373

100

128

947

Le premier défi pour les communautés sera de s’assurer qu’elles seront en mesure de recevoir leur juste part de ces investissements considérables. Selon M. Arnal, coprésident, Partie communautaire, Comité directeur Citoyenneté et Immigration Canada — Communautés francophones en situation minoritaire, il en coûterait 50 millions de dollars sur cinq ans pour réaliser adéquatement les objectifs du Plan stratégique dévoilé en septembre 2006.[134]

3.4. Le modèle manitobain

Il existe des différences importantes entre les provinces quant à l’intensité des initiatives en immigration qui y ont été développées. À Terre-Neuve-et-Labrador, l’ébauche d’un programme structuré visant à attirer des immigrants francophones, dont des candidats en provenance de la Roumanie, en est à ses tout premiers balbutiements. En Alberta, aucune mesure précise de recrutement n’a encore été mise en place, en raison notamment de la nécessité de gérer d’abord la migration interprovinciale : « Pour l'instant, les gens viennent d'eux-mêmes en Alberta. »[135]

C’est au Manitoba que les réalisations les plus importantes ont été accomplies. Plusieurs témoignages en ont fait état : « Ce qui a lancé tout le mouvement au Manitoba a été une mission au Maroc, où on a fait des présentations. La Société franco-manitobaine s'est retrouvée avec une vingtaine de personnes sur son perron un beau jour et elle n'était pas du tout prête à les recevoir. Cela a provoqué la mise en place de structures[136] ».

Deux éléments principaux parmi d’autres ont été évoqués afin d’expliquer cette réussite :

§         la densité géographique des populations francophones qui permet d’offrir un milieu de vie en français plus aisément que les communautés plus dispersées; et,

§         l’implication active de la province dans le développement et le financement des structures d’accueil.

Dans le cas du Manitoba, la collaboration entre le gouvernement provincial et le gouvernement fédéral semble avoir été déterminante : « Le Manitoba a mis sur pied des structures d'accueil, ciblé le genre d'immigrants qui voudraient rester au Manitoba et enfin, conçu des outils de recrutement avec nous tout en développant les leurs. C'est ce qu'il faut faire. Il faut que le travail comporte plusieurs étapes. »[137] Les efforts de la province ont d’abord découlé d’une prise de position énergique en faveur de l’immigration tout court, notamment grâce à ce qui s’appelle le Programme des candidats qui permet à la province de cibler les immigrants en fonction de critères adaptés à ses besoins particuliers :

Jusqu'à présent, la province qui a tiré le meilleur parti du Programme des candidats des provinces est le Manitoba. L'année dernière, cette province a attiré 4 600 personnes dans le cadre de ce programme, alors que ma province, l'Alberta, n'en a reçu que 661, et la Colombie-Britannique, 800, je crois. Le Manitoba est donc très dynamique et a mis en œuvre plusieurs mesures. Il se sert du programme pour cibler certains groupes déjà établis dans la province, en particulier les Philippins. Il existe déjà une communauté de Philippins, notamment à Winnipeg, et la province s'adresse aux gens des Philippines en leur disant : « Venez. Nous vous trouverons un emploi, nous avons déjà une communauté accueillante à laquelle vous pouvez vous joindre. »[138]

Afin de s’assurer d’obtenir l’appui des communautés francophones, le gouvernement du Manitoba a consenti à faire des efforts supplémentaires afin d’aider les communautés francophones à recruter des candidats : « Le gouvernement provincial a fixé un objectif de 7 p. 100 d'immigration francophone pour une population de 4 p. 100, reconnaissant qu'il fallait des effets réparateurs. »[139]

Ce qu’il faut souligner ici, c’est que l’initiative de soutenir l’immigration comme un dossier prioritaire est venue conjointement de la province et des réseaux communautaires dans le cadre du projet « Agrandir l’espace francophone » lancé en 2001. Les affinités entre cette initiative et les objectifs que poursuivait le gouvernement fédéral, notamment dans le cadre du Plan d’action pour les langues officielles, se sont par la suite renforcées mutuellement dans ce cas précis, mais beaucoup moins dans les autres provinces. C’est là un autre exemple de l’effet multiplicateur de cette alliance entre les réseaux communautaires, les provinces et territoires, et le gouvernement fédéral, tel que manifesté également dans les réalisations de la Société Santé en français. On sent également dans la teneur des propos qui accompagnent la description de ces initiatives qu’il se développe une dynamique d’entraide mutuelle qui déborde des seuls dossiers qui l’ont fait naître.

L'année dernière, le Manitoba a accueilli un peu plus de 300 immigrants francophones. C'est beaucoup si on compare ce chiffre à ce que nous avons accueilli il y a quatre ou cinq ans, et nous avons l'intention d'aller encore plus loin. […] Nous nous sommes fixé l'objectif suivant : une moyenne de 700 immigrants par an au cours des 20 prochaines années. Au début, ce sera un peu plus lent, mais je crois qu'on va dépasser ce nombre dans quelques années. De plus, nous collaborons avec la province du Manitoba, qui est un chef de file mondial sur le plan de l'immigration. Cette année, la province vise à accueillir 10 000 immigrants. On a presque atteint ce chiffre et, dans le dernier discours du Trône, on s'est fixé un nouvel objectif, celui d'accueillir 20 000 personnes d'ici 2011. Nous voulons conserver la même proportion de francophones et nous assurer qu'il y ait des francophones qui immigrent au Manitoba. Nous constituons une terre d'accueil et sommes très fiers de ce que nous faisons.[140]

Cette nécessaire collaboration ne signifie évidemment pas que tout soit facile et que tout devienne soudainement harmonieux entre les communautés francophones et le gouvernement provincial, comme l’exprime bien le président de la Société franco-manitobaine :

On facilite l'immigration francophone. Je ne peux pas dire qu'on nous consulte, mais dans les cas dont nous nous sommes occupés, la province nous a aidés à faire venir les immigrants au Canada le plus rapidement possible. Le gouvernement a réduit le temps d'attente. Au Manitoba, le délai est de trois à six mois, ce qui est absolument impossible dans d'autres provinces : ce n'est pas faisable. […] Notre partenariat avec la province est surtout dans ce domaine, et nous travaillons en collaboration très étroite avec ses représentants à cet égard.[141]

Il existe également une situation très difficile en ce qui concerne le logement dans le secteur de Saint-Boniface où un grand nombre d’immigrants désirent s’installer, et les ressources du bureau d’accueil sont insuffisantes. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration a confirmé que les nouveaux investissements pourraient justement servir à améliorer ce genre de situation : « Des mesures ont déjà été prises à Saint-Boniface. Grâce à notre nouvelle stratégie, des initiatives ont déjà été mises en place afin d'aider les gens à trouver des logements adéquats, étant donné qu'il s'agit d'un véritable problème. Nous sommes au courant, et la stratégie ainsi que les 307 millions de dollars nous donnent des moyens de mettre en œuvre la stratégie de façon efficace. »[142]

Il n’en demeure pas moins que l’exemple du Manitoba est globalement très positif et qu’il pourrait servir à inspirer des initiatives dans d’autres provinces :

Le Manitoba est devenu une terre d'attraction. Si les francophones qui viennent d'ailleurs veulent venir s'implanter dans ce genre de région, c'est aussi pour assurer un avenir à leurs enfants. C'était mon argument de vente quand j'allais à l'étranger pour vendre mon établissement, le Collège universitaire de Saint-Boniface. Je disais aux gens de venir au Manitoba, car ils pourraient continuer d'étudier en français et, en même temps, vivre dans une ambiance anglophone, ce qui les rendrait parfaitement bilingues. Souvent, les gens désirent s'établir au Manitoba parce qu'ils veulent que leurs enfants deviennent bilingues.

Les immigrants ont compris que la dualité linguistique était une richesse extraordinaire. D'ailleurs, les immigrants ont changé la dynamique linguistique de nos institutions. En effet, c'est grâce aux immigrants si on entend de plus en plus parler français dans les couloirs du collège universitaire. Il y a aussi des gens qui viennent de l'immersion. Cela crée une nouvelle dynamique et une richesse. Il faudrait que les initiatives mises sur pied par les communautés soient appuyées.

Il faut d'abord un changement de mentalité avant d'arriver à cela, et je pense qu'on a pris le bon virage. Ce n'est pas pour rien que je suis là aujourd'hui : je suis peut-être l'arbre qui cache la forêt. Il y a des tas de gens talentueux qui ne demandent qu'à servir le Canada, à s'implanter ici, à y fonder leur famille et à se trouver des créneaux afin d'apporter la richesse requise dans cet environnement.[143]

3.5. Le rôle du gouvernement fédéral

Lorsque le gouvernement provincial est bien impliqué avec les communautés dans le développement de certains projets, le gouvernement fédéral peut servir de facilitateur. Cette collaboration entre les provinces et les communautés de langue officielle en situation minoritaire est cependant loin d’aller de soi. Dans certains cas même, pour les organismes communautaires, le fait d’impliquer la province dans les ententes en immigration peut également causer certains irritants, comme le fait de devoir démontrer la pertinence d’offrir des services en français, alors qu’évidemment personne ne les demande puisqu’ils n’existent pas. Le rôle du gouvernement fédéral devient alors de faire respecter ses propres engagements en vertu de la Partie VII de la Loi sur les langues officielles et d’être persuasif envers les provinces et territoires lorsqu’il s’agit de négocier des paiements de transfert.

Si la province ne voit pas clairement l’importance de consacrer une partie des enveloppes reçues à la mise en place d’agences d’établissement francophones pour les immigrants, les besoins sont tellement importants du côté majoritaire qu’elle aura peu d’incitatifs pour le faire. Actuellement, les ententes signées avec les provinces en immigration comportent des clauses qui obligent les provinces à tenir compte des communautés de langue officielle en situation minoritaire et à faire rapport des initiatives réalisées en ce sens. Cependant, ces clauses peuvent être interprétées différemment par les gouvernements provinciaux et elles ne sont pas assorties d’exigences financières spécifiques, par exemple, de consacrer un montant proportionnel égal ou supérieur au pourcentage que représentent les communautés francophones de la province. En raison de cette nécessité de faire valoir la pertinence d’investir dans les structures d’accueil pour les francophones, certains ont perçu la signature de ces ententes comme un recul, en comparaison des ententes bilatérales entre le gouvernement fédéral et les communautés qui pouvaient auparavant servir à financer des projets en immigration[144].

Selon la même logique, les communautés du nord de l’Ontario voudraient avoir les moyens d’accueillir plus d’immigrants, surtout dans les régions comme celle de Sudbury où règne un quasi plein emploi, mais le fait que les immigrants vont naturellement vers les grands centres les empêche de recevoir un financement. Si elles recevaient ce financement, ces communautés seraient en mesure d’attirer de nombreux immigrants francophones ailleurs qu’à Toronto :

Il nous faut convaincre l'immigrant ou l'immigrante qui s'installe en Ontario de le faire dans le Nord, où des possibilités d'emploi s'offrent à lui ou à elle. […] L'industrie minière fonctionne bien. Nous avons besoin de structures d'accueil adéquates […]. À l'heure actuelle, nous n'avons pas d'appuis pour mener l'enquête ou faire l'analyse du dossier d'un immigrant qui vient d'un pays qu'on connaît peu ou qu'on ne connaît pas. Comment peut-on mieux faciliter la transition de ce nouveau Canadien vers le Canada, vers des milieux d'éducation, pour compléter l'éducation, si nécessaire, et ce, à l'extérieur de Toronto? Il serait intéressant d'avoir des mesures incitatives directes pour que le nouveau Canadien s'installe à Sudbury, à Timmins, à Hearst, etc.[145]

Le gouvernement fédéral a intégré des clauses linguistiques dans la plupart des ententes signées avec les provinces dans le domaine de l’immigration, mais ces clauses ne semblent pas entraîner d’obligations spécifiques de la part des provinces si elles n’en voient pas le bien-fondé :

Dans les ententes signées avec les provinces, nous avons inséré une disposition où on demande de faire des efforts. De façon pratique, on veut montrer aux autres provinces les résultats des initiatives, comme ce qui a été fait au Manitoba, afin de les encourager. On rencontre également les communautés de ces villes et de ces provinces pour qu'elles encouragent aussi leur province à faire de même.[146]

Il semble donc s’agir davantage d’un incitatif que d’une véritable condition que le gouvernement imposerait aux provinces pour recevoir le financement. Afin de bien situer le rôle du gouvernement fédéral, qui consiste à rappeler au besoin aux provinces leurs obligations envers les communautés de langue officielle en situation minoritaire, et reconnaissant le rôle réparateur que doit assumer directement le gouvernement du Canada envers ces communautés, le Comité recommande :

Recommandation 7

Que, conformément à ses obligations en vertu de la partie VII de la Loi sur les langues officielles, le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, lors du paiement des transferts vers les provinces et territoires dans le cadre du programme d’aide à l’établissement et à l’intégration des immigrants, invite les provinces et territoires autres que le Québec à consacrer à la communauté francophone une proportion de ces transferts supérieure d’au moins un point de pourcentage à la proportion de résidants de la province, dont la première langue officielle parlée est le français.

De plus, il existe des provinces où il n’y a pas d’agence d’établissement reconnue chargée de desservir les besoins spécifiques des immigrants francophones. Le coordonnateur du dossier de l’immigration auprès de la Fédération des francophones de Colombie-Britannique mentionnait à cet effet que :

L'accueil est fait par des organismes anglophones. Ils ne sont donc pas autant que nous au courant de tous les services en français auxquels les immigrants peuvent avoir accès, par exemple les écoles, les centres de formation continue, les associations francophones, les centres communautaires, etc. Il y a des choses qu'on voudrait retenir du modèle québécois. On fait déjà de la promotion à l'extérieur du Canada pour l'immigration francophone hors Québec, en particulier en Colombie-Britannique, mais on voudrait aussi garder le modèle qui nous permet d'aller chercher des immigrants, en plus de pouvoir les intégrer nous-mêmes, c'est-à-dire d'avoir nos propres services d'accueil et d'orientation en Colombie-Britannique, et que ce soit fait par des organismes francophones, et non par des organismes anglophones.[147]

Le Comité recommande donc :

Recommandation 8

Que Citoyenneté et Immigration Canada invite les provinces et territoires autres que le Québec à désigner au moins un organisme communautaire par province ou territoire qui serait chargé de coordonner les efforts d’intégration et d’établissement des immigrants francophones, et que cet organisme puisse procéder à des initiatives de recrutement autonomes.

3.6. Recrutement à l’étranger

À de nombreuses reprises, la difficulté pour les communautés francophones d’attirer des immigrants francophones quand la promotion de la Francophonie canadienne à l’étranger est monopolisée par les efforts du gouvernement québécois a été mise en évidence. Ces efforts sont évidemment bien compréhensibles, mais il semble incohérent que le gouvernement du Canada développe d’un côté un Plan stratégique pour favoriser l’immigration francophone à l’extérieur du Québec et que de l’autre côté, il ne prenne pas tous les moyens nécessaires afin de donner à la dualité linguistique canadienne toute la visibilité souhaitable à l’étranger, notamment dans ses ambassades. Par conséquent, le Comité recommande :

Recommandation 9

Que Citoyenneté et Immigration Canada intensifie ses efforts de recrutement d’immigrants francophones à partir de ses ambassades à l’étranger et appuie les efforts de recrutement des communautés francophones en situation minoritaire, notamment en conscientisant et en formant adéquatement le personnel des ambassades, et en garantissant la disponibilité des documents d’information dans les deux langues officielles.

L’efficacité des efforts du gouvernement québécois à l’étranger se manifeste également dans le recrutement d’étudiants internationaux. Les ententes bilatérales que signent le Québec et certains pays de la Francophonie offre des droits de scolarité que les autres établissements francophones au Canada ne peuvent pas concurrencer. Il en coûte par exemple environ 2000 dollars par année pour un étudiant international en provenance de la Tunisie qui désire étudier au Québec, alors qu’il en coûterait 17 000 dollars par année au même étudiant s’il choisissait d’étudier en Alberta. Des témoins impliqués dans l’éducation postsecondaire francophone à l’extérieur du Québec ont affirmé aux membres du Comité que cela compromettait l’un des moyens les plus efficaces de recruter des immigrants. Le Comité recommande donc :

Recommandation 10

Que le gouvernement du Canada négocie une entente avec le Québec, les autres provinces et territoires et les institutions postsecondaires, afin de trouver une formule satisfaisante pour les toutes les parties qui permettrait de stimuler équitablement le recrutement d’étudiants internationaux francophones dans l’ensemble du pays.


[107]    M. Marc Arnal (coprésident, Partie communautaire, Comité directeur Citoyenneté et Immigration Canada — Communautés francophones en situation minoritaire), Témoignages, 3 octobre 2006, à 9 h 40

[108]    Voir à ce sujet le témoignage de M. Robert Donnely (président, Voice of English-Speaking Québec), Témoignages, 8 novembre 2006, à 10 h 50.

[109]    M. David Laliberté (président, Centre francophone de Toronto), Témoignages, 9 novembre 2006, à 9 h 15.

[110]    Mme Marie Bourgeois (directrice générale, Société Maison de la francophonie de Vancouver), Témoignages, 4 décembre 2006, à 8 h 35.

[111]    Pour un aperçu de certaines mesures concrètes, voir le témoignage de M. Daniel Jean (coprésident, Partie gouvernementale, Comité directeur Citoyenneté et Immigration Canada — Communautés francophones en situation minoritaire), Témoignages, 3 octobre 2006, à 10 h 05.

[112]    Pour certains toutefois, l’ajout d’un volet « immigration » constitue la plus grande réussite du Plan d’action, notamment grâce à la mobilisation provoquée par la mise sur pied du Comité directeur Citoyenneté et Immigration Canada. Voir le témoignage de M. Luketa M'Pindou (coordinateur, Alliance Jeunesse-Famille de l'Alberta Society), Témoignages, 5 décembre 2006, à 10 h 55.

[113]    Jack Jedwab, L’immigration et l’épanouissement des communautés de langue officielle au Canada : politiques, démographie et identité, février 2002, disponible en ligne à :http://www.ocol-clo.gc.ca/archives/sst_es/2002/immigr/immigr_2002_f.htm; et Carsten Quell, L’immigration et les langues officielles : Obstacles et possibilités qui se présentent aux immigrants et aux communautés, novembre 2002, disponible en ligne à : http://www.ocol-clo.gc.ca/archives/sst_es/2002/obstacle/obstacle_f.htm.

[114]    FCFA, Évaluation de la capacité des communautés francophones en situation minoritaire à accueillir de nouveaux arrivants, disponible en ligne à : http://www.fcfa.ca/media_uploads/pdf/51.pdf.

[115]    M. Jean-Pierre Corbeil, Analyste principal de la population, Division de la démographie, Statistique Canada, Témoignages, 17 octobre 2006, à 9 h 10.

[116]    Ibid., à 9 h 10. La différence importante entre les données des deux sources est vraisemblablement attribuable au fait que la FCFA n’a pas fait la distinction entre la « première langue officielle parlée » et la catégorie résiduelle « première langue officielle parlée français-anglais » et a amalgamé les deux catégories, ce qui a, par erreur, gonflé le nombre réel d’immigrants francophones.

[117]    Plan d’action pour les langues officielles, p. 48.

[118]    Voir le témoignage de M. Marc Arnal (doyen, Campus St-Jean, Université de l'Alberta), Témoignages, 5 décembre 2006, à 8 h 30.

[119]    Cette proportion avait été établie suite aux changements apportés en 2003 à la Loi canadienne sur l’immigration et le statut de réfugié qui stipulaient en préambule que « les programmes d'immigration au Canada doivent respecter la démographie actuelle du pays et la refléter ».

[120]    Jack Jedwab, L’immigration et l’épanouissement des communautés de langue officielle au Canada :politiques, démographie et identité, février 2002, accessible en ligne à : http://www.ocol-clo.gc.ca/archives/sst_es/2002/immigr/immigr_2002_f.htm; et Carsten Quell, L’immigration et les langues officielles : Obstacles et possibilités qui se présentent aux immigrants et aux communautés, novembre 2002, accessible en ligne à :
http://www.ocol-clo.gc.ca/archives/sst_es/2002/obstacle/obstacle_f.htm.

[121]    Cadre stratégique pour favoriser l’immigration au sein des communautés francophones en situation minoritaire, Annexe A.

[122]    Plan stratégique, p. II.

[124]    Plan stratégique, p. II.

[125]    Plan stratégique pour favoriser l’immigration au sein des communautés francophones en situation minoritaire, p. 4.

[126]    Fédération des communautés francophones et acadiennes du Canada, Évaluation de la capacité des communautés francophones en situation minoritaire à accueillir de nouveaux arrivants, disponible en ligne à : http://www.fcfa.ca/media_uploads/pdf/51.pdf.

[127]    M. Jean-Pierre Corbeil, Analyste principal de la population, Division de la démographie, Statistique Canada, Témoignages, 17 octobre 2006, à 9 h 10.

[128]    Ibid., à 9 h 30.

[129]    Ibid.

[130]    D’autres cibles particulières sont identifiées dans le Plan : 6 000 immigrants économiques d’expression française par année (p. 9), 2 000 étudiants internationaux par année dans les établissements postsecondaires de langue française à l’extérieur du Québec (p. 10), et 1 600 réfugiés dans les communautés de langue officielle en situation minoritaire (p. 10). Cependant, les motifs permettant de justifier ces cibles ne sont pas explicités.

[131]    M. Daniel Jean, coprésident, Partie gouvernemental, Comité directeur Citoyenneté et Immigration Canada — Communautés francophones en situation minoritaire, Témoignages, 3 octobre 2006, à 9 h 45.

[132]    L'hon. Monte Solberg, ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, Témoignages, 24 octobre 2006, à 10 h 35.

[133]    M. Daniel Jean, coprésident, Partie gouvernementale, Comité directeur Citoyenneté et Immigration Canada — Communautés francophones en situation minoritaire, Témoignages, 3 octobre 2006, à 9 h 10.

[134]    M. Marc Arnal, doyen, Campus St-Jean, Université de l'Alberta, Témoignages, 5 décembre 2006, à 8 h 30.

[135]    M. Luketa M'Pindou, coordinateur, Alliance Jeunesse-Famille de l'Alberta Society, Témoignages, 5 décembre 2006, à 11 h 05.

[136]    M. Marc Arnal, coprésident, Partie communautaire, Comité directeur Citoyenneté et Immigration Canada — Communautés francophones en situation minoritaire, Témoignages, 3 octobre 2006, à 9 h 50.

[137]    M. Daniel Jean, coprésident, Partie gouvernementale, Comité directeur Citoyenneté et Immigration Canada — Communautés francophones en situation minoritaire, Témoignages, 3 octobre 2006, à 9 h 40.

[138]    L'hon. Monte Solberg, ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, Témoignages, 24 octobre 2006, à 10 h 35.

[139]    M. Marc Arnal, doyen, Campus St-Jean, Université de l'Alberta, Témoignages, 5 décembre 2006, à 8 h 30.

[140]    M. Daniel Boucher, président-directeur général, Société franco-manitobaine, Témoignages, 6 décembre 2006, à 20 h 30.

[141]    M. Daniel Boucher, président-directeur général, Société franco-manitobaine, Témoignages, 6 décembre 2006, à 20 h 40.

[142]    L'hon. Monte Solberg, ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, Témoignages, 24 octobre 2006, à 10 h 10.

[143]    Me Ibrahima Diallo, président du Conseil, Société franco-manitobaine, Témoignages, 6 décembre 2006, à 20 h 50.

[144]    M. Jamal Nawri, coordonnateur, Immigration, Fédération des francophones de la Colombie-Britannique, Témoignages, 4 décembre 2006, à 9 h 45.

[145]    M. Denis Hubert, président, Collège Boréal, Témoignages, 10 novembre 2006, à 10 h 25.

[146]    M. Daniel Jean, coprésident, Partie gouvernementale, Comité directeur Citoyenneté et Immigration Canada — Communautés francophones en situation minoritaire, Témoignages, 3 octobre 2006, à 10 h 15.

[147]    M. Jamal Nawri, coordonnateur, Immigration, Fédération des francophones de la Colombie-Britannique, Témoignages, 4 décembre 2006, à 8 h 55.