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NDDN Rapport du Comité

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CHAPITRE 1 — LE CONTEXTE

GÉNÉRALITÉS

Parmi les conclusions que le Comité tire de son étude, la plus importante est sans doute que les Forces canadiennes accomplissent en Afghanistan une noble mission d’une grande complexité. C’est une mission extrêmement difficile qui ne se prête pas à des solutions miracles. Force est de constater aussi que, en dehors de ceux qui y ont un intérêt direct, les Canadiens en général sont très mal renseignés sur cette mission, si bien qu’ils en saisissent mal les enjeux et n’ont pas une bonne idée du rôle des Forces canadiennes.

Par ailleurs, le Comité a été étonné par le défaitisme de nombreux analystes qui ont tendance à penser que le problème afghan est peut-être trop ardu. Cette perception négative est aggravée en partie par l’absence d’un plan de communication cohérent de la part du gouvernement qui présenterait aux parlementaires une information à jour sur les détails des nombreuses réalisations de la Force opérationnelle interarmées en Afghanistan. Avec plus de transparence et de clarté, on permettrait aux Canadiens de se faire une idée meilleure et plus complète de la mission militaire du Canada en Afghanistan.

Au début de 2002, les soldats canadiens ont combattu aux côtés des forces américaines et d’autres forces de la Coalition en Afghanistan contre les vestiges des talibans et des membres d’Al-Qaïda dans le contexte de la participation du Canada à la campagne mondiale de lutte contre le terrorisme. Quatre soldats canadiens sont tombés durant cette campagne. En 2003, des unités des Forces canadiennes ont été dépêchées en Afghanistan dans le cadre de la FIAS constituée sous l’égide de l’OTAN; elles ont été affectées à la sécurité de Kaboul et de la région environnante. Trois autres soldats ont été tués au combat avant le départ de ces unités de l’Afghanistan en 2005. Ensuite, les Forces canadiennes ont pris la direction d’une équipe provinciale de reconstruction (EPR) à Kandahar en août 2005 et, au début de 2006, elles ont fourni l’élément de commandement et un groupement tactique d’infanterie à la brigade multinationale du Commandement régional Sud dans le cadre de l’opération américaine Enduring Freedom. Le printemps et l’été ont été marqués par d’intenses combats, et 13 autres soldats et un diplomate canadiens ont été tués avant la réintégration des soldats à la FIAS à la fin de juillet 2003. Les opérations de la FIAS n’ont offert aucun répit à nos soldats durant le reste de 2006. À la fin de l’année, 25 autres soldats canadiens avaient été tués, portant à 45 le total des décès de soldats canadiens en Afghanistan depuis 2002. Treize autres soldats canadiens sont morts en Afghanistan en 2007. Voilà à peu près ce que savent la plupart des Canadiens.

À ce sujet, on a fait valoir aussi au Comité que, depuis 2003, ni le gouvernement ni les médias n’ont su communiquer une information suffisamment fouillée et détaillée sur la mission des Forces canadiennes en Afghanistan pour que la population puisse se faire une idée juste et complète de la raison d’être de la mission et des réalisations de nos soldats[1]. À cet égard, le Comité note la publication d’un rapport gouvernemental sur les progrès réalisés par la mission canadienne en Afghanistan[2].

LE CANADA ET l’AFGHANISTAN

Officiellement appelé Accord définissant les arrangements provisoires applicables en Afghanistan en attendant le rétablissement d'institutions étatiques permanentes en Afghanistan, l’Accord de Bonn a été le premier d’une série d’accords visant le rétablissement de l’État d’Afghanistan après l’invasion de ce pays par les États-Unis en 2001. Comme il n’y avait pas eu de gouvernement élu au suffrage populaire en Afghanistan depuis 1979, on a estimé nécessaire de prévoir une période de transition avant l’établissement d’un gouvernement permanent. En décembre 2001, un groupe d’Afghans éminents[3] s’est réuni à Bonn, en Allemagne, sous les auspices de l’ONU pour dresser un plan pour le gouvernement du pays. C’est ainsi qu’est née l’Autorité intérimaire afghane, investie dans ses fonctions le 22 décembre 2001 avec un mandat de six mois, après quoi une autorité de transition prendrait la relève pendant deux ans, puis des élections auraient lieu.

Les conditions de l’Accord de Bonn ont été satisfaites avec la conclusion de l’élection présidentielle de 2004 et des élections parlementaires nationales en 2005.

Dans la foulée de l’Accord de Bonn, le Pacte pour l’Afghanistan a vu le jour lors d’une conférence coprésidée par l’Afghanistan, l’ONU et le Royaume-Uni tenue à Londres du 31 janvier au 1er février 2006. Il constitue le cadre de l’action de la communauté internationale en Afghanistan pour la période 2006-2011. La conférence réunissait des représentants de la communauté internationale, notamment ceux du Canada, lesquels ont promis le plein appui du Canada.

Véritable feuille de route, le Pacte énonce des objectifs et étapes détaillés suivant un calendrier préétabli. Il impose en outre des obligations mutuelles aux parties de manière à assurer une plus grande cohérence des efforts déployés par le gouvernement afghan et la communauté internationale.

Le Pacte n’est pas un simple programme d’aide au développement. Il vise à constituer des capacités et à bâtir des institutions publiques et de la société civile efficaces et durables en mettant l’accent sur le développement du capital humain. Il met l’accent sur trois secteurs critiques interdépendants :

a.      La sécurité;

b.      La gouvernance, la règle de droit et les droits de la personne;

c.      Le développement économique et social.

Les enjeux de la réussite du Pacte sont considérables pour la population locale comme pour la communauté internationale, mais la tâche sera ardue. La situation actuelle est le résultat de plus de trente ans de dysfonctionnement de l’État. Un survol de cette tragique dégénérescence nous aidera à mieux comprendre l’énormité du défi devant lequel se trouve placé l’Afghanistan, et maintenant le Canada.

D’UN  ÉTAT CHANCELANT…
[4]

L’Afghanistan est un pays montagneux et âpre, peu densément peuplé, d’une superficie d’environ 652 000 kilomètres carrés (à peu près celle du Manitoba). Il a des frontières avec la Chine, l’Iran, le Pakistan, le Tadjikistan, le Turkménistan, l’Ouzbékistan et un secteur du Jammu-et-Cachemire, un territoire disputé, administré par le Pakistan. La moitié environ du pays se trouve à plus de 2 000 mètres d’altitude. Suivant des estimations de 2006, l’Afghanistan compte environ 31,1 millions d’habitants[5]. On y parle plusieurs langues, principalement le pachtou et le dari (une forme de persan).

L’Afghanistan compte 34 provinces, dont la province méridionale de Kandahar, où sont basées les Forces canadiennes. Celle-ci, d’une superficie de plus de 54 000 kilomètres carrés (à peu près l’équivalent de la Nouvelle-Écosse), abrite environ un million d’habitants. Suivant des estimations de 2006, plus de 450 000 personnes vivent dans la ville de Kandahar, la capitale de la province.

L’Afghanistan a adhéré à l’ONU en 1946. Il a rarement été administré par un véritable gouvernement central en raison de l’influence historique des chefs tribaux et seigneurs de la guerre locaux opposés à la centralisation du pouvoir à Kaboul.

En 1973, le roi Mohammed Zaher Chah est renversé durant un coup d’État mené par son cousin et ancien premier ministre, Mohammed Daoud Kahn. En avril 1978, des officiers gauchistes renversent et assassinent Daoud, et Noor Mohammed Taraki devient président. En septembre 1979, après une longue et âpre insurrection, Taraki est déposé, puis assassiné. Il est remplacé par son vice-président, Hafizullah Amin, qui ne réussit pas plus à mâter les rebelles. Inquiète de cette instabilité sur sa frontière sud, l’Union des Républiques socialistes soviétiques (URSS) dépêche des forces militaires en Afghanistan le 25 décembre 1979 et prend Kaboul. Babrak Karmal, le chef d’une faction relativement souple, est installé à la présidence, mais la rébellion persiste et, pendant une dizaine d’années, les moudjahidines, financés et équipés en sous-main par les Américains (à l’époque, la guerre froide n’est pas encore terminée), harcèlent les troupes soviétiques dans tout le pays.

En novembre 1987, Karmal est remplacé par Mohammed Nadjibullah. Un peu plus tôt dans l’année, l’Afghanistan, le Pakistan, l’URSS et les États-Unis ont signé, sous les auspices de l’ONU, les Accords sur le règlement de la situation concernant l’Afghanistan. Ces accords prévoient la fin de l’intervention étrangère en Afghanistan, et le retrait des troupes soviétiques commence. L’ONU établit une mission de contrôle du retrait des forces étrangères — la Mission de bons offices des Nations Unies en Afghanistan et au Pakistan (UNGOMAP) — et dresse des plans en vue de la prise en charge des réfugiés dont on prévoit le rapatriement. Le retrait des forces soviétiques s’achève en février 1989. Cependant, les rebelles qui n’ont pas signé les Accords poursuivent leur lutte contre le gouvernement de Nadjibullah.

La guerre civile opposante des factions adverses se poursuit après le retrait des Soviétiques, et le nombre des civils qui fuient les combats ne cesse d’augmenter. L’Afghanistan est la scène d’un des plus importants exodes de personnes déplacées du monde : en 1990, on comptait 6,3 millions de réfugiés afghans — 3,3 millions au Pakistan et 3 millions en Iran.

Les combats s’intensifient en 1992. Les forces rebelles encerclent Kaboul et le gouvernement de Nadjibullah tombe. Le 24 avril 1992, aux termes de l’Accord de Peshawar, les dirigeants des forces moudjahidines — à l’exception d’un seul, Gulbuddin Hekmatyar — conviennent de former un gouvernement autour de Sigbatullah Modjaddedi. Aux termes de l’Accord, Modjaddedi dirigerait une commission de transition pendant deux mois et serait par la suite remplacé par un conseil suprême devant durer quatre mois et dirigé par Burhannudin Rabbani.

Rabbani est déclaré président de l’État islamique d’Afghanistan en juillet 1992. Aux termes de l’Accord, il doit renoncer au pouvoir en octobre, mais demeure. À ce moment-là, son ministre de la Défense, Ahmad Shah Massoud, se trouve en confrontation armée avec Hekmatyar à Kaboul.

En 1993, deux accords de paix — l’un signé à Islamabad le 7 mars et l’autre signé à Jalalabad le 18 mai — sont négociés entre le président Rabbani et huit autres chefs afghans. Les parties conviennent de constituer un gouvernement provisoire de 18 mois et d’amorcer un processus électoral. En décembre 1993, l’ONU institue la Mission spéciale des Nations Unies en Afghanistan (MSNUA) chargée de sonder les dirigeants afghans sur ce que peut faire l’ONU pour faciliter la réconciliation nationale et la reconstruction.

Malgré ces progrès, Kaboul est de nouveau assiégé, d’abord par les moudjahidines de diverses factions, puis par les talibans, un mouvement originaire de Kandahar qui a initialement gagné en popularité en tant qu’opposition aux moudjahidines, auxquelles ils reprochent d’avoir corrompu la société afghane.

À la fin de 1994 et au début de 1995, les talibans gagnent du terrain et affirment leur emprise sur une bonne partie du sud et de l’ouest du pays, notamment dans les provinces de Kandahar et d’Hérat. En septembre 1996, les talibans prennent Kaboul. Le gouvernement se retranche à Taloqan et Mazar-i-Sharif et forme une nouvelle coalition appelée l’Alliance du Nord.

Les combats entre les talibans et les groupuscules de l’Alliance du Nord se poursuivent entre 1997 et 2000 sans amener grand changement dans les positions militaires. En juillet et août 1998, les talibans reprennent de nombreuses provinces du nord de même que les villes de Mazar-i-Sharif et Taloqan, où le gouvernement s’était installé. Des milliers de civils sont massacrés à Mazar-i-Sharif après que les talibans se sont emparés de la ville.

Après les attentats terroristes du 7 août 1998 perpétrés contre les ambassades des États-Unis de Nairobi au Kenya et de Dar es-Salaam en Tanzanie, le Conseil de sécurité des Nations Unies adopte une résolution exprimant ses préoccupations devant la présence continue de terroristes en territoire afghan. Le Conseil de sécurité condamne les attaques menées contre du personnel des Nations Unies dans les régions sous la mainmise des talibans, notamment le meurtre de deux fonctionnaires afghans du Programme alimentaire mondial et du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés à Jalalabad, et celui du conseiller militaire de la Mission spéciale des Nations unies en Afghanistan à Kaboul. Il condamne aussi la capture du consulat général de l’Iran à Mazar-i-Sharif.

Le 8 décembre 1998, dans une autre résolution, le Conseil de sécurité exige que les talibans cessent d'offrir un refuge et un entraînement aux terroristes internationaux et que toutes les factions afghanes secondent l'action entreprise pour traduire en justice les personnes accusées de terrorisme. Une semaine plus tard, les talibans étant restés sourds à cette exigence, le Conseil de sécurité impose de vastes sanctions aux termes de la Charte des Nations Unies.

Au début de 1999, dans une autre résolution, le Conseil de sécurité note qu’Oussama ben Laden est poursuivi aux États-Unis pour les attentats à la bombe commis en août 1998 contre les ambassades américaines et exige que les talibans le remettent à la justice. Là encore, les talibans font la sourde oreille et d’autres sanctions sont imposées.

Ce ne sont pas là les seuls problèmes. Dans une déclaration en date du 22 octobre 1999, le Conseil de sécurité des Nations Unies exprime aussi sa profonde consternation devant des informations faisant état de la participation aux combats en Afghanistan, du côté des talibans, de milliers de non-Afghans dont certains ont moins de 14 ans. il déplore la détérioration de la situation humanitaire et de la situation des droits de la personne (déplacement forcé de populations civiles, exécutions sommaires, mauvais traitements systématiques et détention arbitraire de civils, violence et discrimination persistante à l'encontre de la population féminine et bombardements sans discrimination). La capture du consulat général de l’Iran à Mazar-i-Sharif, et le meurtre de diplomates iraniens et d’un journaliste sont qualifiés de violations flagrantes du droit international. Profondément préoccupé par l'augmentation notable de la culture, de la production et du trafic de drogues en Afghanistan, en particulier dans les zones tenues par les talibans, le Conseil de sécurité exige qu’on mette un terme à ces activités illégales.

Le conflit en Afghanistan se poursuit en 2000 et 2001. En raison de l’absence de gouvernement efficace, les difficultés politiques et les problèmes de sécurité causent de fréquentes interruptions de l’aide humanitaire, et plusieurs crises forcent l’évacuation temporaire du personnel des Nations Unies et des collaborateurs des organisations non gouvernementales d’aide au développement.

Déjà éprouvée par les effets dévastateurs de la guerre civile, la population afghane est frappée, à la fin des années 1990, par une série de catastrophes naturelles — en commençant par des tremblements de terre en février et en mai 1998 qui ont fait plus de 7 000 victimes et privé 165 000 personnes de leur gagne-pain et de leur logement. En juin, quelque 6 000 personnes ont été tuées dans de graves inondations, lesquelles ont été suivies d’une longue période d’intense sécheresse.

Devant l’ampleur des besoins, rien qu’en 2000, l’ONU achemine en Afghanistan plus de 94 000 tonnes d’aide alimentaire destinées à 1,13 million de personnes; elle fait vacciner quelque 5,3 millions d’enfants contre la poliomyélite et contribue à la prestation d’une éducation non discriminatoire à plus de 300 000 enfants — notamment dans des projets d’enseignement à domicile pour les filles. Il reste qu’à l’époque, le quart des enfants nés en Afghanistan mouraient de maladies évitables avant l’âge de cinq ans. Les femmes afghanes risquaient cinq fois plus de mourir en couches que dans les autres pays en développement. Les épidémies de typhoïde et de choléra étaient courantes, et la pneumonie et la malaria menaçaient de nouveau la santé publique. La condition des femmes s’était notablement détériorée, et une fille sur vingt seulement recevait une forme quelconque d’éducation.

La situation était compliquée par le fait que les réfugiés rentrant chez eux retournaient dans ce que le Programme de déminage des Nations Unies a qualifié de pays le plus lourdement miné du monde, avec un total stupéfiant de 9,7 millions de mines terrestres. Le Programme a permis de dégager environ 68 kilomètres carrés, mais il restait encore beaucoup à faire.

Le 4 septembre 2001, l’ONU publie un rapport intitulé The Deepening Crisis, mettant en relief la situation désespérée des Afghans et l’aggravation de la crise humanitaire. Celle-ci devait cependant continuer de s’amplifier.

... À UN ÉTAT DÉFAILLANT
[6]

Après les attentats du 11 septembre 2001 contre les États-Unis, le gouvernement des talibans en Afghanistan a refusé de remettre Oussama ben Laden aux autorités comme l’exigeaient les États-Unis et est de ce fait devenu la cible de la puissance militaire américaine.

La riposte militaire américaine a commencé le 7 octobre 2001. Les Américains avaient des objectifs multiples : faire comprendre aux dirigeants talibans qu’il est inacceptable d’abriter des terroristes, obtenir des renseignements sur les ressources d’Al‑Qaïda et des talibans, établir des relations avec les groupes opposés aux talibans, empêcher que l’Afghanistan ne devienne un refuge pour les terroristes, et détruire les ressources militaires des talibans pour permettre aux forces de l’opposition de l’emporter[7]. Enfin, le recours à la force militaire devait faciliter l’acheminement de l’aide humanitaire à la population afghane.

En décembre 2001, les principaux dirigeants de l’opposition afghane et de la diaspora se rencontrent à Bonn en Allemagne et s’entendent sur un plan (accord de Bonn) pour la mise en place d’un nouveau gouvernement démocratique. Hamid Karzaï, un Pachtoune de la ville méridionale de Kandahar, est nommé président de l’Autorité intérimaire afghane. En janvier 2002, la première étape marquante de la concrétisation de l’Accord de Bonn est atteinte avec l’annonce de la Commission indépendante spéciale pour la convocation d’une Loya Jirga (un mot pachtou signifiant « grand conseil » — une tribune traditionnelle où les anciens de chaque tribu se réunissent pour régler les problèmes). Une Loya Jirga d’urgence réunissant quelque 1 500 délégués se réunit en juin 2002 pour constituer l’administration de transition du président par intérim Hamid Karzaï.

En 2004, le pays convoque une Loya Jirga (conseil des anciens) constitutionnelle et, l’année suivante, ratifie une nouvelle constitution. Hamid Karzaï devient président de la République islamiste d’Afghanistan en 2004.

Des élections législatives ont lieu en septembre 2005. L’Assemblée nationale — la première législature librement élue d’Afghanistan depuis 1973 — siège en décembre 2005.

Il reste cependant que la fragile sécurité en Afghanistan continue de menacer les progrès accomplis durant la récente transition : les incidents se multiplient, causés par des terroristes, des éléments criminels et des conflits entre factions. L’étendue de la culture du pavot et du trafic des stupéfiants demeure préoccupante, car ceux-ci ne font que compromettre davantage la sécurité. Les programmes d’aide et de développement en souffrent, car le déploiement de personnel de l’ONU, des ONG et d’autres organes d’aide humanitaire est restreint en raison des craintes pour leur sécurité.

LA SITUATION ACTUELLE

Le gouvernement de l’Afghanistan tente de reconstruire le pays après plus de trente ans de guerres intestines. Il tente également d’établir un régime démocratique.

Le gouvernement actuel, démocratiquement élu, a fort à faire : la corruption est endémique, son autorité est sapée par les seigneurs de la guerre et il subit les assauts des talibans, qui mènent une rébellion basée dans les provinces du sud et de l’est du pays, proches de la frontière du Pakistan. Il s’ensuit un climat d’insécurité qui gêne la reconstruction et le développement. Les efforts de développement international ont abouti à certaines réalisations dans l’ouest et le nord, mais il reste encore beaucoup à faire dans le sud et l’est.

C’est l’ONU qui coordonne l’aide humanitaire et l’aide au développement en Afghanistan, notamment une aide au développement substantielle émanant du Canada. Par ailleurs, de concert avec d’autres grands alliés de l’OTAN, le Canada a affecté des forces militaires à la FIAS mandatée par l’ONU et dirigée par l’OTAN, laquelle mène des opérations militaires pour neutraliser les forces des talibans, soutenir la projection du cercle d’influence du gouvernement afghan et protéger les activités de développement et de reconstruction. S’il reste encore fort à faire, des progrès tangibles considérables ont été accomplis.

Durant l’été et l’automne de 2006, on a réclamé une augmentation des effectifs de l’OTAN dans le sud du pays. Le Canada, parmi d’autres, se demande si tous les alliés de l’OTAN assument leur juste part des opérations de combat. Dans certains cercles, on affirme en revanche que ce qui importe, ce n’est pas tant d’envoyer d’autres soldats en Afghanistan, mais de l’aide au développement. Pour beaucoup, ce n’est pas avec des balles et des bombes qu’on se gagnera le cœur des Afghans, mais avec de la nourriture et des médicaments. De l’avis de ces gens-là, la mission du Canada est mal équilibrée et devrait comporter des volets « diplomatie » et « développement » plus robustes.

Sur cette question, le Comité s’est fait dire à maintes reprises que, pour le moment, l’impératif de sécurité l’emportait encore sur toute autre considération. Au bilan, presque tous les témoins entendus par le Comité conviennent que le développement ne pourra progresser qu’en tandem avec la sécurité et que, dans le sud, cette dernière était encore trop précaire pour permettre une généralisation de l’aide au développement. Cependant, l’horizon n’est pas complètement sombre et l’aide financière du Canada à la reconstruction commence à augmenter à Kandahar.

Certaines sources prévoyaient une nouvelle offensive des insurgés talibans au printemps, à l’instar de celle du printemps de 2006, mais la FIAS, qui compte des soldats canadiens, a mené des opérations préemptives destinées à désorganiser les forces talibanes. En fait, au début de 2007, l’OTAN a considérablement accru ses effectifs dans le sud et lancé l’opération Achilles contre les talibans, principalement dans la province voisine d’Helmand. James Appathurai, le porte-parole de l’OTAN, a expliqué que « [d]epuis la tenue du sommet de Riga [en novembre 2006], 7 000 nouveaux soldats sont venus grossir les rangs [des forces de l’OTAN] ». Dans le sud, le nombre des soldats est passé en dix-huit mois de 1 000 à environ 12 500 dont 2 500 Canadiens[8].

Les soldats canadiens délogent les talibans des districts de Panjwayi et de Zhari, et ils ont réussi à débusquer et tuer d’importants chefs talibans. La sécurité s’améliorant, les civils commencent à revenir. Ce constat, couplé à l’annonce par le gouvernement du Canada en février 2007 de l’octroi d’une nouvelle tranche de 200 millions de dollars[9] pour la reconstruction sur deux ans fait espérer des jours meilleurs dans la province de Kandahar.

Nos alliés ne sont pas oisifs non plus. Les Américains déploient une nouvelle brigade dans les provinces de l’est de l’Afghanistan et ont promis une somme additionnelle de 11,8 milliards de dollars en aide militaire et civile sur les deux prochaines années, qui financera essentiellement l’expansion et l’instruction de la police et de l’armée afghanes. La Grande-Bretagne aussi a renforcé ses effectifs dans le sud avec l’arrivée de 2 000 soldats de plus et de renforts pour les forces d’opérations spéciales. Ce complément de forces britanniques fournit au commandement régional Sud un bataillon de réserve qui peut être déployé en cas d’urgence où que ce soit en Afghanistan[10].

L’Équipe provinciale de reconstruction australienne de la province d’Uruzgan travaille en étroite collaboration avec les forces hollandaises. Même si les travaux de reconstruction vont bon train, le ministre australien de la Défense a annoncé récemment dans un communiqué[11] l’envoi par son gouvernement d’une force opérationnelle de 300 soldats des opérations spéciales qui travaillera avec la FIAS dans la province d’Uruzgan, au sud, pour y améliorer la sécurité,  couper les voies de commandement, de contrôle et d’approvisionnement des extrémistes talibans, soutenir le développement des forces de sécurité nationales afghanes et contribuer à renforcer la légitimité du gouvernement afghan.

La Pologne, qui n’a pas exprimé de réserves quant à l’emploi de ses forces[12], doit envoyer 1 000 soldats en Afghanistan; environ 400 soldats polonais s’y trouvent déjà depuis le début de 2007. L’Allemagne enverra six autres avions de reconnaissance et les Italiens, des drones de surveillance et un avion de transport.

« Dans l’immédiat, nous ne nous débarrasserons certainement pas des talibans, mais nous serons en mesure de les contenir », a dit le général britannique David Richards, dont le mandat à titre de commandant de la FIAS a pris fin en février dernier. On a fait le pari que les talibans ne lanceront pas une nouvelle offensive classique mais intensifieront les embuscades et les attentats-suicides[13]. De fait, il n’y a effectivement pas eu d’offensive des talibans ce printemps.

En dehors de la sphère militaire, on observe des signes de progrès dans de nombreuses régions du pays, notamment au niveau de l’éducation et des soins de santé, ce qui n’est pas rien, et le retour de plus de quatre millions de réfugiés. Selon le représentant spécial adjoint du Secrétaire général de l’ONU pour l'Afghanistan Christopher Alexander, le système de santé, pratiquement inexistant sous les talibans, donne maintenant à 85 p. 100 des Afghans accès à des soins de santé primaires; 7,3 millions d’enfants ont été vaccinés; 5,4 millions d’enfants (dont 34 p. 100 de filles) sont maintenant scolarisés; le PIB de l’Afghanistan est passé de 4 milliards de dollars en 2002 à 8,9 milliards de dollars en 2006; la réforme de la monnaie tient, et le budget de l’État est équilibré[14].

Ainsi, le Canada et l’OTAN ont abordé le printemps de 2007 avec un optimisme prudent, mieux préparés qu’à la même époque de l’année dernière, mais exposés au même éventail de menaces.

LES MENACES
Les talibans

Les talibans et les partisans d’Al-Qaïda, aidés par les narcotrafiquants, les fonctionnaires corrompus et les criminels de droit commun, sont tout aussi actifs en Afghanistan qu’au Pakistan[15]. Dans le sud du pays, la principale menace militaire directe à la sécurité de l’Afghanistan et à l’autorité du gouvernement afghan dûment élu est constituée des talibans, des groupes rebelles menés par l’islamiste afghan Gulbuddin Hekmatyar[16] et des combattants étrangers du djihad[17],[18]. Ils sont aussi la principale menace militaire pour les soldats canadiens en poste dans la province de Kandahar.

Les Afghans sont de valeureux guerriers qui ont plus d’une fois repoussé des envahisseurs et des forces d’occupation dans une guerre d’insurrection asymétrique. Les grandes batailles classiques opposant un grand nombre de combattants pied à pied ne sont pas leur style. Leur tactique consiste plutôt à infiltrer une région et à harceler l’ennemi par de vicieuses attaques ponctuelles. Beaucoup de gens se demandent d’ailleurs  comment nous pouvons espérer une victoire militaire en Afghanistan quand ce pays a réussi à défaire les armées d’occupation d’Alexandre le Grand, de la Grande-Bretagne et de l’Union soviétique. Comme nous le verrons plus loin, ce genre de question simplifie à l’excès la situation et est sans doute sans rapport avec les opérations actuelles de la FIAS. Contrairement à ses prédécesseurs, la FIAS n’est pas une force d’invasion ou d’occupation. Elle se trouve en Afghanistan à la demande du gouvernement élu et sa mission est sanctionnée par l’ONU.

Le mot « taliban » est la forme pachtoune pluriel du mot arabe طالب tālib, « étudiant ». Les talibans sont un mouvement musulman sunnite fondamentaliste et nationaliste pachtoune qui a régné sur presque tout l’Afghanistan de 1996 à 2001. Ils sont originaires des régions pachtounes du pays. De nombreux talibans ont grandi dans des camps de réfugiés au Pakistan et le gros des troupes actuelles a été recruté parmi les étudiants des écoles religieuses, ou madrasas, au Pakistan.

Le mouvement des talibans s’est constitué aux alentours de 1993-1994. Les autorités militaires et les services de renseignement pakistanais établis dans la ville de Quetta, près de la frontière afghane, avaient constitué un mouvement de miliciens composé d’étudiants recrutés dans les écoles coraniques pakistanaises pour tenter de maîtriser le gouvernement moudjahidine afghan. Le chef du mouvement était le mollah Mohammed Omar. Au début de 1994, le mollah Omar réunit des recrues des écoles coraniques et son mouvement prend de l’ampleur. En octobre de la même année, environ 200 talibans s’emparent de la ville frontière de Spin Boldak, dégageant ainsi une voie d’acheminement de l’aide pakistanaise aux sympathisants des talibans afghans, lesquels étaient basés à Kandahar.

Le gouvernement afghan refuse d’accepter la présente de talibans parrainés par le Pakistan. Le conflit s’envenime et une longue bataille s’ensuit entre les talibans et le gouvernement au sud de Kaboul, bataille qui finit par gagner les villes du nord comme Herat et Kunduz. Le Pakistan commence à aider, à mobiliser et à élargir le mouvement taliban. Les madrasas pakistanaises fournissent aux talibans une source sûre de recrues.

Les talibans capturent la capitale afghane en 1996 et, en 1998, ils ont la haute main sur plus de 90 p. 100 du pays. Les Afghans se retrouvent alors sous le joug d’un régime puritain et austère qui interdit la télévision, la plupart des formes de divertissement, la musique et les statues profanes, comme les bouddhas géants de Bamiyan, que les talibans détruisent en mars 2001.

En 1996, Oussama ben Laden quitte le Soudan pour s’établir en Afghanistan. Durant son séjour dans le pays, il contribue au financement des talibans. Après les attentats d’Al-Qaïda contre les ambassades des États-Unis au Kenya et en Tanzanie en 1998, les États-Unis se mettent à soutenir activement l’Alliance du Nord, opposée aux talibans, et exigent que les talibans livrent Oussama ben Laden au gouvernement américain[19]. Les talibans protègent ben Laden et continuent de lui donner asile même après les attentats du 11 septembre 2001 contre les États-Unis.

Le 7 octobre 2001, les États-Unis, aidés du Royaume-Uni, du Canada et d’une coalition d’autres pays, lancent des opérations militaires en Afghanistan. La campagne terrestre est menée essentiellement par l’Alliance du Nord, les derniers éléments des forces antitalibans, que ceux-ci n’ont jamais réussi à détruire. Au début de décembre, les talibans abandonnent leur dernier bastion, Kandahar, et se replient dans les montagnes de la frontière afghano-pakistanaise, où ils ne sont pas restés oisifs.

Les talibans refont surface à l’occasion de l’élection présidentielle d’octobre 2004, qu’ils tentent de contrarier, mais en dépit d’attentats sporadiques dans les semaines précédant le scrutin, l’élection se déroule relativement bien. Vers la fin de 2005, les talibans adoptent de nouvelles tactiques contre les forces américaines, canadiennes et alliées dans le sud du pays, notamment des attentats-suicides et d’autres actions adaptées de la guerre en Irak. Le renseignement révèle par ailleurs le recours à des combattants étrangers.

La rébellion se poursuit. À moins de cent kilomètres de Kandahar, juste de l’autre côté de la frontière pakistanaise, se trouvent les terres tribales de la province du Baloutchistan dont la capitale, la ville pakistanaise de Quetta, est la principale agglomération. Certains affirment que les talibans et les combattants d’Al-Qaïda opèrent dans la région en toute impunité[20]. D’autres estiment que le gouvernement pakistanais ne se contente pas de tolérer la présence des talibans dans la région mais qu’en fait celui-ci, et en particulier les services de renseignement pakistanais (ISI), l’appuie activement[21].

Pis, certains experts sont convaincus que l’Afghanistan est à deux doigts de devenir un narco-État[22]. Avec des seigneurs de la guerre corrompus et des narcotrafiquants de mèche avec les talibans et une récolte de pavot qui constituait le gros de l’offre mondiale d’opium en 2006, le problème est colossal.

On ne pourra pas mâter les insurgés et le trafic des stupéfiants tant que la frontière afghano-pakistanaise demeurera une zone non contrôlée. Les talibans continuent de trouver asile au Pakistan, que ce soit avec l’aval du gouvernement pakistanais (comme le prétend le président Karzaï) ou en dépit des efforts déployés pour les stopper (comme l’affirme le président Moucharraf). Dans le sud-est, les Américains ont renforcé leur présence à la frontière pakistanaise, mais dans les secteurs canadien et britannique, la frontière n’est pratiquement pas patrouillée. Malgré les renforts que prévoit l’OTAN, il n’y aura sans doute guère plus qu’une faible présence de forces des opérations spéciales pour surveiller cette section de la frontière[23].

Les opérations de combat de la FIAS dans le sud de l’Afghanistan depuis un an illustrent bien combien les talibans semblent n’avoir aucun mal à traverser la frontière sans se faire repérer pour lancer des attaques contre les forces afghanes et celles de la FIAS, notamment contre des soldats canadiens. Quand ils sont défaits, ils réussissent à regagner le Pakistan où ils semblent jouir d’une relative sécurité. Les dirigeants politiques afghans et ceux de l’OTAN cherchent, par les voies diplomatiques, à faire pression sur le président Moucharraf pour qu’il stoppe les insurgés talibans qui vivent au Pakistan, mais celui-ci dit qu’il fait ce qu’il peut. Le ministre des Affaires étrangères Peter MacKay a dit au Comité :

Malgré les nombreux efforts déployés, il demeure que près de 40 millions de Pachtounes vivent le long de cette frontière et c'est parmi ces tribus pachtounes que les insurgés talibans qui attaquent nos troupes trouvent la majorité de leur appui […] De plus, on estime qu'environ 30 000 Pachtounes franchissent quotidiennement la frontière sans obstacle[24].

Le problème de la frontière afghano-pakistanaise est abordé plus longuement au chapitre 4.

Les talibans ne s’en prennent pas seulement aux forces de la FIAS. Ils attaquent les mosquées où des imams modérés prêchent contre eux. Ils attaquent les hôpitaux et les autres services sociaux financés par la communauté internationale. Ils assassinent les enseignants qui instruisent des filles. Un chef taliban non identifié a déclaré au réseau de télévision Al-Jazeera : « Grâce à Dieu, nous entendons nous gagner la confiance et l’appui de la population afghane, en particulier leur appui à des opérations suicides, qui vont se poursuivre. Nous disposons déjà d’un fort contingent de combattants de la liberté afghans prêts à se sacrifier[25]. »

Le 23 février 2007, Radio Liberté rapportait que des groupes de talibans avaient lancé une série d’attaques dans l’ouest, le sud et l’est de l’Afghanistan marquant le début d’une offensive printanière attendue. L’OTAN signale la présence des forces talibanes dans au moins cinq des provinces du sud et de l’ouest du pays, Helmand, Kandahar, Farah, Uruzgan et Ghor. Un peu plus tôt, le 2 février 2007, des éléments talibans ont investi la ville de Musa Qala dans la province d’Helmand, située à 25 kilomètres environ du barrage hydroélectrique de Kajaki, en voie de reconstruction. Des correspondants à Kajaki ont signalé que plusieurs centaines de soldats britanniques appartenant aux British Royal Marines ont bataillé jour après jour pour tenir les talibans en respect suffisamment loin du barrage pour que les travaux puissent se poursuivre.

À l’ouest, dans la province de Farah, plusieurs centaines de combattants talibans ont saisi le district isolé de Bakwa le 19 février pour l’abandonner dans les 24 heures; un jour plus tard, un contingent de 200 soldats afghans a été déployé dans la ville, où il n’a rencontré aucune opposition. Toujours le 19 février, à l’est, dans la province de Kunar, des escarmouches ont opposé des soldats américains et des talibans près de la frontière pakistanaise. Le même jour, des militants du sud de la province d’Uruzgan ont tendu une embuscade à des soldats afghans et des soldats de l’OTAN qui tentaient de désamorcer une bombe en bord de route. Puis, le 20 février, un kamikaze taliban déguisé en médecin a blessé sept soldats américains quand il s’est fait sauter dans un hôpital dans la province de Khost, au sud-est de l’Afghanistan.

En 2007, comme le prévoyait la FIAS, les talibans sont revenus à une tactique faite d’attaques à la sauvette et d’attentats suicides contre les civils afghans pour monter ceux-ci contre la FIAS et contre les étrangers en général. Ils ont attaqué  et repris des bourgades isolées, se dispersant avant d’avoir à affronter la puissance de feu supérieure de la FIAS. Auparavant, en 2006, chaque fois que les talibans se sont réunis pour s’attaquer de front à la FIAS, ils ont été défaits de manière décisive, comme ils l’ont été par les soldats canadiens durant les opérations Mountain Thrust, Medusa et Falcon Summit. L’ancien commandant de la FIAS, le général britannique David Richards, a dit au Comité à l’occasion d’une rencontre en Afghanistan en janvier 2007 que, à son avis, on surestimait les talibans comme force de combat classique, mais qu’ils n’étaient pas pour autant inoffensifs. Pour sa part, la FIAS a tiré les leçons de l’expérience en 2006 et mène des opérations offensives dans le sud de l’Afghanistan pour désorganiser les activités prévues des talibans.

L’opération Achilles, la plus importante opération de l’OTAN en l’Afghanistan, a été lancée dans la province d’Helmand en mars 2007 pour établir un vaste périmètre de sécurité autour du barrage de Kajaki afin qu’on puisse y effectuer des travaux de réfection et en assurer le fonctionnement continu par la suite pour fournir de l’électricité à la région. Une équipe de combat canadienne dirigée par le major Alex Ruff a été déployée à la frontière des provinces de Kandahar et d’Helmand où elle a mené des opérations visant à empêcher les insurgés d’échapper aux autres forces alliées de l’OTAN.

D’autres opérations de l’OTAN ont été menées dans le sud de l’Afghanistan depuis trois mois qui ont eu pour effet d’empêcher une grande offensive des insurgés au printemps. À la mi-avril, le général américain Dan McNeill, commandant de la FIAS, a dit que la grande offensive attendue de la part des insurgés ne s’était pas matérialisée, mais que la violence pourrait néanmoins quand même atteindre les niveaux de l’année dernière[26].

Corruption, seigneurs de la guerre et opium

Les talibans constituent peut-être la menace militaire la plus directe à la sécurité nationale de l’Afghanistan, mais la corruption endémique, les seigneurs de la guerre indépendants et le trafic des stupéfiants naissant constituent un mélange délétère extrêmement dangereux au niveau intérieur. Mme Janice Stein du Munk Centre for International Studies de l’Université de Toronto nous a dit que le gouvernement du président Karzaï aura du mal à éradiquer la corruption endémique, et que nous devons modérer nos attentes quant au temps qu’il faudra pour y arriver[27].

Les réformes politiques se heurtent à un autre obstacle, à savoir le rôle des seigneurs de la guerre, investis de grands pouvoirs avec la bénédiction apparente du gouvernement afghan et de la communauté internationale. Diverses allégations persistent quant à leur participation à des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre, et certains demeurent notoirement corrompus. Beaucoup travaillent pour le gouvernement, mais s’affranchissent par ailleurs largement des stratégies et priorités nationales. C’est une des principales raisons qui expliquent le désenchantement de la population[28].

Le problème n’est peut-être pas près d’être réglé. Une version révisée d’un projet de loi accordant l’amnistie à des groupes contre lesquels pèsent des allégations de crimes de guerre a été adoptée par le Parlement afghan, lequel compte de nombreux anciens chefs de milice, et promulguée par le président Hamid Karzaï le 10 mars 2007. Ainsi, l’État ne peut poursuivre personne pour crime de guerre en l’absence d’accusation émanant d’une victime présumée. Par ailleurs, la mesure confère l’immunité à tous les groupes qui ont été partie à des conflits avant 2002 et non pas seulement aux chefs des diverses factions qui auraient commis des crimes de guerre durant la résistance à l’envahisseur soviétique dans les années 1980 et durant la guerre civile. La nouvelle loi protège donc les talibans et les autres groupes responsables de violations des droits de la personne qui étaient actifs avant l’instauration de l’Administration intérimaire de décembre 2001[29]. Les détracteurs du projet de loi soutiennent qu’il contrevient peut-être à la Constitution de l’Afghanistan et à certains traités internationaux relatifs aux droits de la personne.

L’idée est répandue parmi la population afghane que les forces externes exploitent les seigneurs de la guerre, les commandants des forces de sécurité et les fonctionnaires à leurs propres fins stratégiques. Cette manipulation compromet les droits et les moyens de subsistance des Afghans[30].

Dernier problème, et non le moindre, l’économie associée au trafic des stupéfiants est en plein essor en dépit des nombreux efforts déployés pour lutter contre la production d’opium. Jusqu’à présent, les mesures prises par la communauté internationale pour éradiquer la culture du pavot ont été vaines. Selon l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC), la production de pavot asiatique en Afghanistan a atteint un sommet de 6 100 tonnes métriques en 2006, une augmentation de 49 p. 100 par rapport à 2005.  Les programmes d’éradication du pavot affectent surtout les paysans pauvres qui, en l’absence de culture de rechange, se trouvent placés devant l’alternative suivante : continuer de vivre dans la misère ou travailler pour les talibans.

Le trafic des stupéfiants est source de corruption. La lutte contre ce trafic incite certains fonctionnaires, notamment d’anciens commandants de milice qui ont intégré le ministère de l’Intérieur après leur démobilisation, à exiger d’énormes pots-de-vin des trafiquants. On dit que, dans les districts où l’on cultive le pavot, les postes de chef de police sont vendus au plus offrant : on aurait payé jusqu’à 100 000 $ pour une affectation de six mois dans un poste appelant une rémunération mensuelle de 60 $. Et tandis que les talibans protègent certains petits agriculteurs contre les efforts d’éradication, pas un haut fonctionnaire n’a encore été poursuivi pour corruption liée à la drogue[31].

Une analyse détaillée de toutes ces questions déborderait le cadre de notre étude, et les Forces canadiennes n’ont aucun rôle direct dans les régions concernées. Elles ne participent ni aux efforts d’éradication de la culture du pavot, ni aux activités de lutte contre le trafic de stupéfiants. Elles peuvent cependant avoir une certaine influence bénéfique sur les Afghans qu’elles emploient et qu’elles encadrent comme les cadres de l’Armée nationale afghane. Au-delà de cela, il faudra une autre étude pour faire la lumière sur ces troublantes questions.

Notre propre impatience

Le Comité ne sait pas trop comment aborder cette question, qui elle aussi peut-être déborde son mandat, mais il nous a semblé que, dans le débat sur la mission du Canada en Afghanistan, et en particulier sur le volet militaire de cette mission, on sent une certaine impatience d’en finir. Cela tient peut-être à une tendance à voir le problème avec des yeux d’Occidentaux et, en toute honnêteté, à le considérer comme nous distrayant de nos véritables priorités. Les Afghans n’ont pas le luxe d’analyser la situation difficile dans laquelle ils se trouvent avec autant de détachement.

L’historien remarquera peut-être que, depuis la Seconde Guerre mondiale, l’Occident tolère assez mal les conflits qui perdurent. Loin de la réalité des champs de bataille, l’opinion publique peut tourner casaque du jour au lendemain et forcer les gouvernements à rapatrier leurs soldats simplement parce que la population en a assez[32]. Cela peut paraître peu charitable à certains égards, surtout quand on n’essaie même pas d’imaginer ce qui arrivera à ceux que nous tentons d’aider si nous plions bagage.

Presque toutes les personnes que nous avons entendues nous ont dit qu’il faudrait plusieurs dizaines d’années pour que l’Afghanistan se redresse et redevienne un élément vigoureux de la communauté internationale. Selon l’ambassadeur Christopher Alexander[33], il faudra une période de l’ordre de celle qui a été nécessaire dans les Balkans[34].

En dernière analyse, le Comité pense que l’impatience des personnes mal informées risque d’avoir des conséquences fâcheuses sur notre volonté nationale et notre détermination à faire ce qu’il faut pour atteindre les objectifs stratégiques fixés par le gouvernement. Nous ne nous sommes pas appesantis sur ce point, mais il est resté présent à notre esprit dans l’étude de la manière dont le gouvernement et les médias s’y prennent pour tenir les Canadiens au courant de la situation.


[1]              La question a été soulevée notamment par le porte-parole de l’OTAN James Appathurai. Il a dit au Comité « que les médias ne veulent certainement pas couvrir, et ne couvriront certainement pas, sauf dans les circonstances les plus extrêmes, les avancées positives […] . J'ai [rencontré les médias pour] leur demander ce qu'il fallait […] pour qu'ils couvrent la construction d'une école ou d'une route. Ils ont été très clairs: ils ne le feront pas. Ils le feront seulement si l'école est ravagée par un incendie ».

[2]              Gouvernement du Canada, La mission du Canada en Afghanistan.

[3]              Certains Afghans influents ont choisi de ne pas participer à cette rencontre, notamment Gulbuddin Hekmatyar, ancien premier ministre de l’Afghanistan, qui refuse l’influence et la présence des États-Unis en Afghanistan. Chef important parmi les groupes d’insurgés, il est toujours en fuite.

[4]              Tiré du site Web anglais de la Mission d’assistance des Nations Unies en Afghanistan, http://www.unama-afg.org/about/info.htm.

[5]              Voir CountryReports.org à l’adresse http://www.countryreports.org/country.aspx?countryid=1.

[6]              Une partie de l’information qui suit est tirée du site de GlobalSecurity.org à l’adresse http://www.globalsecurity.org/military/ops/enduring-freedom.htm, consulté en novembre 2006.

[7]              Conférence de presse du Département de la Défense des États-Unis tenue le 7 octobre 2001, http://www.globalsecurity.org/military/library/news/2001/10/mil-011007-usia04.htm (site consulté en novembre 2006).

[8]              James Appathurai, Témoignages, Comité permanent de la défense nationale, 27 février 2007, p. 16.

[9]              Le premier ministre a fait cette annonce le 26 février 2007. On lit ce qui suit sur le site Web du Cabinet du premier ministre : « Le Premier ministre Stephen Harper a aujourd’hui annoncé un financement supplémentaire pouvant atteindre 200 millions de dollars pour des activités de reconstruction et de développement en Afghanistan […] Les crédits à verser cette année et l’an prochain en plus de la somme de 100 millions de dollars consacrée aux activités de développement en Afghanistan serviront à financer les cinq priorités suivantes : gouvernance et développement (120 millions de dollars), lutte contre les stupéfiants (30 millions de dollars), services de police (20 millions de dollars), déminage (20 millions de dollars) et construction de routes (10 millions de dollars) ». Voir : http://www.pm.gc.ca/fra/media.asp?category=1&id=1552.

[10]           Communiqué de la FIAS, British troops ready to respond to immediate threats, 17 mai 2007, http://www.nato.int/isaf/Update/Press_Releases/newsrelease/2007/pr070517-377.htm.

[11]           Defence Direct, avril 2007, http://www.minister.defence.gov.au/defencedirect/apr2007/april.htm.

[12] Zaryn Bogdan, Polish Radio External Service, 10 mai 2007, http://www.polskieradio.pl/zagranica/gb/dokument.aspx?iid=52203.

[13]           « A Double Spring Offensive », The Economist, 22 février 2007.

[14]           Christopher Alexander, Témoignages, Comité permanent de la défense nationale, 27 février 2007, p. 16.

[15]           Barnett R. Rubin et Abubakar Siddique,. « Resolving the Pakistan-Afghanistan Stalemate », Special Report. United States Intitute of Peace, octobre 2006.

[16]           Gulbuddin Hekmatyar a été deux fois premier ministre de l’Afghanistan dans les années 1990, mais il a été forcé de se réfugier en Iran avant la fin de cette décennie. Opposé à l’invasion de l’Afghanistan par les États-Unis, il a fini par prendre la tête d’un mouvement hostile au gouvernement afghan. Il a été invité à participer à l’Accord de Bonn en 2001, mais a refusé, critiquant l’ingérence des États-Unis. Il est toujours en liberté et continue de soutenir des attaques de rebelles contre le gouvernement de l’Afghanistan et les soldats étrangers en Afghanistan.

[17]           Ibid., p. 3.

[18]           Seth Jones, « Pakistan’s Dangerous Game », Survival, vol. 49, no 1, printemps 2007, p. 15-32.

[19]         Ahmad Shah Massoud, le charismatique chef de l’Alliance du Nord, a été tué dans un attentat suicide le 9 septembre 2001, deux jours avant les attentats du 11 septembre perpétrés contre les États-Unis. Certains analystes sont convaincus que cette date n’est pas anodine et qu’Oussama ben Laden a ordonné cet assassinat pour se gagner la protection et la coopération des talibans en Afghanistan.

[20]         Seth Jones, « Flagging Ally: Pakistan's Lapses Are Hurting the War on Terror », San Diego Union-Tribune, 14 janvier 2007. Seth Jones est un spécialiste du terrorisme et de la regénération de pays à la RAND Corporation .

[21]           Christina Lamb, « Britain says Pakistan is hiding Taliban chief », Times Online, 8 octobre 2006, http://www.timesonline.co.uk/tol/news/uk/article665054.ece. « Le lieutenant-général David Richards se rendra demain à Islamabad pour tenter de persuader Pervez Moucharraf de rappeler à l’ordre ses services de renseignement militaire qui, d’après Richards, entraînent les talibans à attaquer les soldats britanniques. » [traduction]

[22]           Mark Dodd, « Afghanistan warns of narco-state danger », The Australian, 20 février 2007. Le 19 février 2007, l’ambassadeur de l’Afghanistan en Australie, Mohammed Anwar Anwarzai, a dit : « Je dois avouer que nous sommes malheureusement sur le point de devenir un narco-État. » [traduction]

[23]           Ibid.

[24]           Peter MacKay, Témoignages, Comité permanent de la défense nationale, 22 novembre 2006.

[25]           Canadian Broadcasting Corporation, In Depth Afghanistan: The Taliban, Afghanistan’s Fundamentalist Leaders, mis à jour le 21 mars 2006.

[26]           C.J. Chivers,  « Major Taliban offensive hasn’t materialized, NATO General says », International Herald Tribune,  18 avril 2007.

[27]           Janice Stein, à l’émission The Agenda, TV Ontario, 20 février 2007.

[28]           Conseil de coordination des secours à l’Afghanistan, Brief to the United Nations Security Council on the Situation in Afghanistan.

[29]           Caitlin Price, « Afghanistan president signs war crimes amnesty bill into law », Jurist Legal News and Reseach, University of Pittsburgh, 11 mars 2007, http://jurist.law.pitt.edu/paperchase/2007/03/afghanistan-president-signs-war-crimes.php.

[30]           Ibid.

[31]           Barnett Rubin, « Saving Afghanistan », Foreign Affairs, janvier-février 2007, http://www.foreignaffairs.org/20070101faessay86105/barnett-r-rubin/saving-afghanistan.html.

[32]           Les forces américaines ont remporté succès après succès pendant la guerre du Vietnam, ce qui n’a pas suffi à contrer le mouvement pacifiste. Aux yeux de l’opinion américaine, la guerre avait tout simplement trop duré et avait coûté trop cher pour un trop faible bénéfice apparent.

[33]           Christopher Alexander, représentant spécial adjoint (affaires politiques) du Secrétaire général pour l'Afghanistan, Témoignages, Comité permanent de la défense nationale, 27 février 2007.

[34]           La Force de protection des Nations Unies (FORPRONU) est entrée en Croatie en 1992. La Force de mise en oeuvre de l’OTAN (IFOR) est entrée en Bosnie en 1995 et est devenue la Force de stabilisation de l’OTAN (SFOR) en 1996.