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PACP Rapport du Comité

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L'opportunité de renoncer au privilège parlementaire pour le témoignage de Barbara George

 

CONTEXTE

Conformément à l’alinéa 108(3)g) du Règlement, le Rapport du vérificateur général du Canada de novembre 2006 a été renvoyé au Comité permanent des comptes publics de la Chambre des communes. Le 21 février 2007, le Comité a examiné le chapitre 9 de ce rapport, L'administration des régimes de retraite et d'assurances - Gendarmerie royale du Canada. Il s’est réuni avec divers responsables, nommément, du Bureau du vérificateur général du Canada : Hugh McRoberts, vérificateur général adjoint; Gordon Stock, directeur principal; de la Gendarmerie royale du Canada : Beverley Busson, commissaire; Barbara George, sous-commissaire, Ressources humaines; Paul Gauvin, sous-commissaire, Gestion générale et contrôle; Brian Aiken, chef de la vérification interne; du Service de police d’Ottawa : Vince Bevan, chef; Vince Westwick, conseiller; du Secrétariat du Conseil du Trésor : Phil Charko, secrétaire adjoint, Secteur des pensions et avantages sociaux.

À cette audience, on a demandé à la sous-commissaire George qui avait ordonné le présumé congédiement du sergent d’état-major Mike Frizzell de l’enquête du Service de police d’Ottawa connue sous le nom de Project Probity sur des allégations de fraude et d’abus dans la gestion des régimes de retraite et d’assurances de la GRC. La sous-commissaire George a nié toute intervention et déclaré qu’elle ne savait pas qui avait ordonné le congédiement du sergent d’état major Frizzell.

Le Comité des comptes publics a par la suite invité d’autres témoins à comparaître devant lui le 28 mars 2007, nommément : le sergent d’état-major Ron Lewis, le sergent d’état-major Mike Frizzell, le surintendant en chef Fraser Macaulay, le commissaire adjoint David Gork, le sergent d’état-major Steve Walker et Denise Revine. Le 26 mars 2007, deux jours avant l’audience, la commissaire intérimaire s’est réunie avec eux. Suite à cette réunion, la commissaire Busson a demandé à la sous-commissaire George de quitter son poste de sous-commissaire aux Ressources humaines et de partir en congé de préretraite et d’étude.

À l’audience du 28 mars 2007, le Comité a reçu des témoignages qui semblaient contredire le témoignage de la sous-commissaire George en date du 21 février 2007. Des témoins ont prétendu que la sous-commissaire George avait pris part au congédiement du sergent d’état-major Frizzell, ce que corroboraient plusieurs courriels. Le 29 mars 2007, la commissaire Busson a suspendu la sous-commissaire George de son poste et ouvert une enquête interne pour déterminer si elle avait ou non violé le Code de déontologie de la GRC. Le 3 avril 2007, le surintendant principal Bob Paulson, l’agent de la GRC chargé de mener l’enquête disciplinaire interne, a ouvert une enquête criminelle sur l’allégation que la sous-commissaire George avait violé l’article 131 du Code criminel du Canada, à savoir qu’elle se serait parjurée en faisant une fausse déclaration sous serment.

La sous-commissaire George a par la suite demandé à la Cour fédérale de mettre fin à ces deux enquêtes et de les déclarer invalides au motif que le privilège parlementaire protège les déclarations faites devant le Comité des comptes publics. Dans la décision qu’elle a rendue publique le 29 mai 2007, la juge de la Cour fédérale Danièle Tremblay-Lamer confirme le principe du privilège parlementaire et ordonne à la GRC de mettre fin à l’enquête déontologique relativement au témoignage devant le Comité des comptes publics. Elle écrit ceci :

[traduction] En ouvrant une enquête interne sur la question de parjure devant la Chambre avant que la Chambre elle-même ne la tranche, les tribunaux ou la commissaire de la GRC s’ingèrent dans un domaine où le Parlement a compétence exclusive[1].

La Cour fédérale juge qu’elle n’est pas compétente pour statuer si le privilège parlementaire s’applique aux enquêtes policières vu que ces enquêtes relèvent de la compétence des cours supérieures provinciales. Elle souligne cependant que, dans le contexte des enquêtes et des poursuites : « [traduction] Il est clair que toute question liée au privilège parlementaire reste posée[2]. »

C’est ainsi que le surintendant principal Paulson a demandé par écrit le 5 juin 2007 au Président de la Chambre des communes Peter Milliken de renoncer au privilège dans les termes suivants :

Le maintien de la confiance dans le Parlement exige qu’on défende l’intégrité du privilège en poursuivant ceux qui peuvent en avoir abusé. Le Parlement dispose bien entendu de divers moyens pour agir contre quelqu’un qui a porté un témoignage faux ou trompeur. L’un des moyens consiste à renoncer au privilège et à autoriser que le témoignage soit invoqué dans une enquête criminelle et admis en preuve dans une poursuite au criminel. […] Je demande donc respectueusement à la Chambre des communes d’envisager de renoncer au privilège entourant le témoignage que la sous-commissaire George a porté le 21 février 2007 afin qu’il puisse être admis en preuve devant un tribunal pénal.

Le 6 juin 2007, le Président Milliken a informé par écrit le surintendant principal Paulson que le Comité des comptes publics se pencherait sur la question et formulerait ses recommandations à la Chambre des communes. Le présent rapport constitue la réponse du Comité des comptes publics à la demande du surintendant principal Paulson.

LE PRIVILÈGE PARLEMENTAIRE

Le privilège de liberté d’expression et de débat dans les assemblées législatives est l’un des principes fondamentaux du parlementarisme. Il remonte au moins au Bill of Rights de 1689, dont l’article 9 dispose que « ni la liberté de parole, ni celle des débats ou procédures dans le sein du Parlement, ne peut être entravée ou mise en discussion en aucune cour ni en aucun lieu quelconque que le Parlement lui-même ». Ce principe est consacré dans la Loi constitutionnelle de 1867, article 18[3], et la Loi sur le Parlement du Canada, articles 4 et 5[4].

La liberté d’expression dans les délibérations parlementaires est considérée par la plupart des observateurs comme l’aspect le plus important du privilège. Elle permet aux députés de s’exprimer librement sans craindre que leurs propos ne soient retenus contre eux devant les tribunaux ou d’autres instances. Elle est essentielle au bon fonctionnement de la Chambre. Les députés doivent avoir l’assurance d’une entière liberté d’expression pour pouvoir être aussi ouverts et francs que possible dans les discussions et les débats parlementaires.

Les témoins des comités parlementaires ont droit aux mêmes protections[5], sans quoi la fonction d’enquête du Parlement serait compromise du fait de la réticence des témoins. Ceux-ci doivent être confiants que leur témoignage est à l’abri de contestations subséquentes dans d’autres instances. Les témoignages reçus par un comité parlementaire, y compris le Comité permanent des comptes publics de la Chambre des communes, sont donc protégés par le privilège. Son invocation est interdite dans les procédures extérieures aux Communes. Le 30 avril, le président du Comité des comptes publics, Shawn Murphy, a résumé la question en ces termes :

Il importe que tous les témoins du comité soient assurés que leurs témoignages ne peuvent pas être utilisés contre eux dans une autre instance. La crédibilité des témoignages et des travaux du comité sera sérieusement compromise si les témoins peuvent être intimidés par des actions prises contre eux ou s'ils s'inquiètent des actions qui pourraient être prises contre eux.

Ce n’est pas à dire que les députés soient disposés à prendre à la légère les allégations suivant lesquelles un témoin aurait menti à un comité parlementaire ou l’aurait induit en erreur. Si un comité constate qu’un témoin a porté un faux témoignage, il peut en référer à la Chambre des communes pour qu’elle renonce à ses privilèges à l’égard du témoignage et demande à la justice de décider s’il faut accuser le témoin de parjure pour avoir menti sciemment à un comité parlementaire aux termes de l’article 132 du Code criminel : « Quiconque commet un parjure est coupable d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de quatorze ans. » Cependant, tant que la Chambre des communes n’a pas jugé bon d’y renoncer, le privilège protège les témoignages que reçoivent ses comités, et qui ne peuvent par conséquent être utilisés à d’autres fins ni pour des procédures judiciaires, y compris les enquêtes.

Par ailleurs, quiconque porte un faux témoignage devant l’une ou l’autre chambre ou ses comités peut être reconnu coupable d’outrage au Parlement. Induire en erreur un comité parlementaire, c’est porter atteinte à la dignité et à l’autorité du Parlement du fait que l’exercice de ses fonctions s’en trouve bloqué ou entravé. L’outrage au Parlement est passible des diverses sanctions que peut infliger la Chambre, de la réprimande à l’emprisonnement.

LE RENONCEMENT AU PRIVILÈGE PARLEMENTAIRE

À l’automne 2004, le commissaire de la Commission d’enquête sur le programme de commandites et les activités publicitaires du gouvernement du Canada a demandé à la Chambre des communes de renoncer au privilège que le Comité des comptes publics avait accordé à ses témoins pendant ses audiences sur le programme de commandites. Il voulait repérer des contradictions dans les déclarations faites devant la commission d’enquête et le Comité des comptes publics. Dans le rapport qu’il a déposé aux Communes à ce sujet, le Comité réaffirme que le privilège parlementaire protège les témoignages, les observations et les dépositions de ceux qui participent à ses travaux[6]. La Chambre des communes a adopté ce rapport le 15 novembre 2004.

Après avoir examiné la question, le Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre a conclu qu’il revenait à la Chambre d’examiner les allégations de parjure et d’outrage au Parlement et de punir les fautifs[7]. Autoriser l’utilisation de témoignages livrés dans le cadre de délibérations parlementaires dans des procédures judiciaires ébranlerait et remettrait en cause le principe établi depuis longtemps de l’autonomie et de l’indépendance des autorités législatives et judiciaires. En outre, le renoncement au privilège minerait la confiance que les députés et les témoins doivent avoir dans leur droit à la liberté d’expression au Parlement. Les dérogations au privilège parlementaire font qu’il est difficile sinon impossible de savoir quand des déclarations risquent d’être contestées hors du Parlement, ce qui minerait la confiance que le privilège est destiné à protéger.

Le privilège appartient à la Chambre des communes et non aux témoins. Seule la Chambre des communes peut y renoncer. Le Président a demandé au Comité d’examiner s’il conviendrait d’y renoncer en l’occurrence et, si nécessaire, de déposer à la Chambre un rapport assorti de recommandations.

Le Comité croit qu’il faut défendre et maintenir ce privilège. Par conséquent, en ce qui concerne la demande du surintendant principal Paulson portant que la Chambre des communes renonce au privilège parlementaire aux fins de l’examen dans le cadre d’une enquête criminelle du témoignage que Barbara George a livré devant le Comité des comptes publics le 21 février 2007, le Comité recommande :

 

Recommandation 1
Que la Chambre des communes réaffirme les privilèges et immunités parlementaires y incluant l’interdiction d’utiliser des témoignages reçus par un comité parlementaire dans d’autres procédures judiciaires, y compris des enquêtes qui pourraient mener à des poursuites au criminel.
RECOMMaNDATION 2
Que la Chambre des communes ne renonce pas au privilège parlementaire pour les besoins de quelque enquête criminelle de parjure fondée sur le témoignage livré par Barbara George ou par tout autre témoin devant le Comité permanent des comptes publics.
[1]
Cour fédérale du Canada, Sous-commissaire Barbara George c. Procureur général du Canada (29 mai 2007), CF 564, paragraphe 79 (passage souligné dans l’original).
[2]
Ibid., paragraphe 52 (passage souligné dans l’original).
[3]
Loi constitutionnelle de 1867 : « Les privilèges, immunités et pouvoirs que posséderont et exerceront le Sénat et la Chambre des Communes et les membres de ces corps respectifs, seront ceux prescrits de temps à autre par loi du Parlement du Canada; mais de manière à ce qu'aucune loi du Parlement du Canada définissant tels privilèges, immunités et pouvoirs ne donnera aucuns privilèges, immunités ou pouvoirs excédant ceux qui, lors de la passation de la présente loi, sont possédés et exercés par la Chambre des Communes du Parlement du Royaume-Uni de la Grande-Bretagne et d'Irlande et par les membres de cette Chambre. »
[4]
Loi sur le Parlement du Canada, article 4 : « Les privilèges, immunités et pouvoirs du Sénat et de la Chambre des communes, ainsi que de leurs membres, sont […] ceux que possédaient, à l’adoption de la Loi constitutionnelle de 1867, la Chambre des communes du Parlement du Royaume-Uni ainsi que ses membres, dans la mesure de leur compatibilité avec cette loi. » Article 5 : « Ces privilèges, immunités et pouvoirs sont partie intégrante du droit général et public du Canada et n’ont pas à être démontrés, étant admis d’office devant les tribunaux et juges du Canada. »
[5]
En 1818, la Chambre des communes britannique a adopté à l’unanimité une résolution en ce sens. Voir aussi Gagliano c. Procureur général du Canada, 2005 CF 576 (CanLII) — 2005-04-27.
[6]
Comité permanent des comptes publics de la Chambre des communes, 38e législature, 3e rapport, Le chapitre 3, Programme de commandites, le chapitre 4, Activités de publicité, et le chapitre 5, Gestion de la recherche sur l'opinion publique du Rapport de novembre 2003 de la vérificatrice générale du Canada renvoyé au Comité le 10 février 2004, privilèges, pouvoirs et immunité de la Chambre des communes, novembre 2005.
[7]
Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre des communes, 38e législature, 14e rapport, Privilèges, pouvoirs et immunités de la Chambre des communes, novembre 2005. La Chambre a adopté ce rapport le 18 novembre 2004.