CIIT Rapport du Comité
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IV. Réserves que suscite l'éventualité d'un libre-échange avec la Corée du Sud
Certains témoins ont formulé de vives réserves devant l'éventualité de la conclusion d'un accord de libre-échange entre le Canada et la Corée. Pour certains, le choix de la Corée comme partenaire de libre-échange est malavisé. La composition des échanges Canada-Corée, la difficulté de pénétrer le marché coréen et l'effet de l'augmentation de la concurrence étrangère dans certains secteurs de l'économie justifieraient l'abandon des négociations. D'autres ne critiquent pas tant l'idée même du libre-échange, mais la manière dont le processus se déroule. Ces personnes souscrivent en principe à la négociation d'un accord de libre-échange, mais pensent qu'un accord négocié à la va-vite - sans égard aux problèmes et enjeux spécifiques - risque de causer de sérieux torts à l'économie canadienne. Les principales préoccupations de ces témoins sont résumées ci-dessous.
A. Préoccupations associées à la négociation d'un accord de libre-échange entre le Canada et la Corée
1. Répercussions sur le secteur manufacturier du Canada
C'est là sans doute la préoccupation la plus souvent mentionnée au Comité. Plusieurs témoins ont dit douter que les retombées prévues du libre-échange avec la Corée dans d'autres secteurs compensent les coûts de l'accord qui, à leur avis, seront assumés directement par le secteur manufacturier.
Bien que les droits de douane coréens sur les biens industriels soient plus élevés que les taux correspondants appliqués au Canada, de nombreux représentants des industries manufacturières et des syndicats concernés sont convaincus que le libre-échange va susciter une vague d'importations de produits finis au Canada et entraîner des pertes d'emplois, d'autant plus que la Corée est un marché notoirement difficile à pénétrer pour les fabricants étrangers en raison des nombreux obstacles non tarifaires qui en gênent l'accès.
On a fait valoir également que, du point de vue des fabricants, le moment était particulièrement mal choisi pour conclure un accord de libre-échange. Le secteur manufacturier a déjà perdu beaucoup d'emplois ces dernières années, en partie à cause de l'appréciation considérable du dollar canadien (par rapport au dollar américain). Comme la vigueur du dollar canadien rend les produits canadiens moins concurrentiels à l'étranger, la signature d'un accord de libre-échange dans un proche avenir exposerait le secteur manufacturier canadien à la concurrence de la Corée à un moment où le taux de change fait augmenter le prix des produits canadiens dans le monde entier.
On a signalé aussi au Comité que les emplois perdus dans le secteur manufacturier sont souvent remplacés par des emplois de moindre qualité dans les autres secteurs. Plusieurs témoins ont réclamé que le gouvernement canadien se dote d'une politique industrielle propre à aider le secteur manufacturier à s'adapter à l'évolution de la conjoncture et à protéger ces importantes industries canadiennes.
La question des subventions et autres aides publiques accordées à certaines industries coréennes fait aussi réfléchir. Le Comité a entendu à cet égard notamment l'Association de la construction navale du Canada et la Shipyard General Workers' Federation qui craignent toutes deux les conséquences d'une libéralisation des échanges avec la Corée, un pays qui non seulement est le plus grand producteur mondial de navires, de plates-formes de forage en mer et de produits connexes, mais qui s'est hissé à cette position grâce à une aide financière considérable de la part de l'État. À leur avis, comme un accord de libre-échange entre le Canada et la Corée ne peut pas mettre un terme aux subventions du gouvernement coréen à l'industrie navale, le Canada ne doit pas exposer indûment sa propre industrie de construction navale à la concurrence déloyale de produits coréens subventionnés.
La polémique entourant la question de savoir si le libre-échange risque de faire du tort aux fabricants canadiens est alimentée dans une certaine mesure par les résultats ambigus des diverses études des retombées économiques éventuelles d'un tel accord. Trois grandes études ont été réalisées, mais la validité de leurs constatations est grandement contestée.
La première étude a été réalisée par Industrie Canada et met l'accent sur les retombées d'un ALE Canada-Corée sur la production canadienne de véhicules légers. En se fondant sur les taux courants des droits de douane sur les véhicules importés de Corée (6,1 %), les auteurs de l'étude ont conclu qu'un ALE aurait des répercussions minimales : une modeste baisse de la production canadienne d'automobiles et une augmentation supérieure des importations coréennes, laquelle se ferait largement aux dépens d'importations en provenance d'autres pays qui produisent des véhicules similaires.
La seconde étude, une étude indépendante commanditée par le gouvernement du Canada et réalisée par Johannes Van Biesebrouck à l'Université de Toronto, mettait l'accent elle aussi sur le montage de véhicules automobiles et a abouti à des conclusions analogues à celles de l'étude d'Industrie Canada.
La troisième étude, Employment Implications of Trade Liberalization with East Asia, a été produite par Jim Stanford, un économiste du Syndicat des travailleurs canadiens de l'automobile (TCA), et Daniel Poon de l'Université Carleton. Les auteurs ont examiné d'abord les répercussions des accords de libre-échange conclus précédemment par le Canada avec les États-Unis, le Mexique, le Chili, Israël et le Costa Rica sur la balance commerciale du Canada avec ces partenaires pour ensuite prédire les conséquences d'un accord de libre-échange entre le Canada et la Corée sur la base des tendances ainsi dégagées.
À en juger par cette étude, un accord de libre-échange ferait augmenter le déficit commercial du Canada avec la Corée du Sud de 10,9 milliards de dollars (dans le secteur de la fabrication) par rapport à ce qu'il était en 2005 (2,8 milliards de dollars), ce qui coûterait à l'économie canadienne 33 358 emplois, soit l'équivalent d'une baisse de l'emploi de 0,2 % environ par rapport aux niveaux courants. Ce total comprend une perte prévue de 4 061 emplois dans la fabrication des véhicules automobiles et des pièces d'automobile.
Ces trois études ont suscité d'âpres débats durant les audiences du Comité. Les représentants du MAECI et d'autres personnes comme Yuen Pau Woo ont vivement critiqué la méthodologie des auteurs du rapport des TCA, mais plusieurs autres témoins estiment que les conclusions de cette étude représentent le résultat le plus probable de la conclusion d'un accord de libre-échange avec la Corée. Jim Stanford (économiste en chef, Syndicat des travailleurs canadiens de l'automobile) et d'autres contestent la méthodologie et les résultats des deux études commandées par le gouvernement du Canada.
2. Le libre-échange cantonnerait le Canada dans le rôle d'une économie de ressources
On a aussi fait valoir au Comité que la structure actuelle du commerce Canada-Corée ne faisait pas de la Corée un bon partenaire de libre-échange pour le Canada. On a mentionné en particulier le déficit commercial considérable du Canada vis-à-vis de la Corée. De plus, comme l'a dit Étienne Couture (président, Réseau des ingénieurs du Québec), la majorité des produits importés de Corée sont des biens finis à forte valeur ajoutée tandis que les exportations canadiennes sont constituées en général de produits à base de ressources naturelles.
M. Couture, comme d'autres témoins d'ailleurs, craint que l'abaissement des droits de douane sur les produits finis coréens n'accentue ce déséquilibre. Pour les tenants de cette thèse, le déficit commercial du Canada vis-à-vis de la Corée se creuserait et les gains réalisés au chapitre des exportations de produits à base de ressources seraient compensés, et au-delà, par des pertes dans le secteur manufacturier.
Pour certains témoins, la conclusion de cet accord va à l'encontre de ce que le Canada devrait faire. À leur avis, le libre-échange avec la Corée va porter atteinte à l'industrie manufacturière canadienne et reléguer le Canada au rôle de fournisseur de matières premières. Pour Teresa Healy (analyste principale, Congrès du travail du Canada), il serait mauvais pour le Canada d'accroître les exportations de produits à base de ressources aux dépens du secteur manufacturier. À son avis, le Canada doit plutôt chercher à moderniser son secteur manufacturier et à assurer le secteur des biens d'équipement.
3. Un accord de libre-échange ne ferait rien pour supprimer les obstacles non tarifaires au commerce avec la Corée
Si beaucoup de témoins estiment que le Canada n'a rien à gagner d'un accord de libre-échange avec la Corée, c'est à cause de la présence de nombreuses barrières non tarifaires sur le marché coréen. Cependant, comme on l'a dit plus haut, certaines personnes voient justement dans la négociation d'un accord de libre-échange, l'occasion d'aborder aussi ces questions. D'autres en revanche, surtout les représentants de l'industrie automobile et des syndicats concernés, sont persuadés que les obstacles non tarifaires à la vente d'automobiles et de pièces canadiennes sur le marché coréen sont omniprésents, imprécis et pratiquement insurmontables.
Comme l'a dit Scott Sinclair (conseiller de recherche principal, Centre canadien de politiques alternatives), le marché coréen est pratiquement fermé aux véhicules étrangers en raison de barrières non tarifaires nébuleuses et mouvantes. La présence de ces barrières est facile à discerner à son avis; il suffit de comparer les chiffres du commerce automobile entre le Canada et la Corée : les exportations de la Corée à destination du Canada sont dans un rapport de 153 contre un avec les exportations du Canada en Corée.
La Corée est notoire dans le monde pour être un marché fermé aux véhicules étrangers. Comme Mark Nantais (président, Association canadienne des constructeurs de véhicules) l'a rappelé au Comité, les États-Unis et la Corée ont signé deux protocoles d'entente dans les années 1990 pour éliminer des obstacles non tarifaires précis en Corée et encourager les échanges bilatéraux. Or, d'après M. Nantais, le gouvernement coréen n'a supprimé que quelques-unes de ces barrières, mais en a par ailleurs créé de nouvelles, de telle sorte que le marché coréen demeure, à toutes fins utiles, fermé.
Les barrières non tarifaires et le commerce automobile ont constitué une poire de discorde aussi lors de la négociation des autres accords de libre-échange de la Corée; cette question a notamment grandement compliqué les négociations avec les États-Unis. L'Union européenne également éprouve des difficultés dans ses négociations avec la Corée.
D'après certains représentants de l'industrie de l'automobile, si les États-Unis et l'Union européenne n'arrivent pas à se frayer un chemin sur le marché coréen, comment peut-on imaginer que le Canada réussira là où d'autres ont échoué? Gerald Fedchun (président, Association des fabricants de pièces d'automobile) figure parmi ceux-là. D'après lui, le Canada ne doit pas conclure d'accord de libre-échange avec la Corée tant que celle-ci n'aura pas prouvé, chiffres à l'appui sur le solde du commerce automobile, qu'elle a supprimé toutes les barrières non tarifaires.
Mark Nantais a précisé que le projet d'accord de libre-échange avec la Corée est le seul du genre que l'Association canadienne des constructeurs de véhicules n'appuie pas ouvertement, pour la simple et bonne raison que, à son avis, la conclusion d'un accord commercial a peu de chances d'ouvrir le marché coréen aux véhicules canadiens.
Depuis que l'interdiction absolue d'importer des véhicules finis a été levée, le gouvernement de la Corée a eu recours à toutes sortes de barrières non tarifaires très complexes et récurrentes pour que son marché reste fermé. [.] Malheureusement, les possibilités du Canada dans le marché sain et vibrant de la Corée du Sud sont limitées par les gestes protectionnistes du gouvernement[4].
D'autres témoins étaient moins pessimistes. Ceux-là admettent l'importance des barrières non tarifaires, en particulier dans le secteur de l'automobile, mais pensent néanmoins que la négociation d'un accord de libre-échange pourrait être l'occasion de régler certains problèmes. Ils ont fait remarquer que l'entente Corée-États-Unis contient des dispositions sur le commerce des automobiles qui prévoient notamment un mécanisme de résolution accélérée des différends, ainsi qu'une disposition de rétablissement automatique du tarif de la nation la plus favorisée si le mécanisme de règlement des différends détermine que la Corée a manqué à ses engagements au sujet des barrières non tarifaires.
4. Le Canada n'aura pas nécessairement le même accès au marché coréen que d'autres pays
On a fait valoir à plusieurs reprises au Comité que le Canada doit se garder de toute hâte intempestive, car un accord de libre-échange Canada-Corée pourrait faire plus de mal que de bien s'il ne permet pas de rétablir l'équilibre de la concurrence pour les exportateurs canadiens vis-à-vis de leurs concurrents internationaux sur le marché coréen.
La question inquiète particulièrement les représentants de l'agriculture et du secteur agroalimentaire. En effet, plusieurs des concurrents du Canada sur le marché des produits agroalimentaires ont déjà signé un accord de libre-échange avec la Corée - les États-Unis, le Chili et l'AELE, par exemple - et d'autres (comme l'Union européenne) sont en train d'en négocier un.
On a dit au Comité que, si le Canada devait signer un accord de libre-échange qui ne lui offrirait pas le même accès au marché coréen que ses concurrents, les producteurs canadiens auraient beaucoup de mal à soutenir la concurrence sur ce marché. Autrement dit, ce n'est pas tant le niveau des droits de douane négociés qui importe que de voir à ce que les modalités d'accès des Canadiens au marché coréen soient les mêmes que celles de leurs concurrents, surtout leurs concurrents américains. À l'extrême, si les produits canadiens devaient être condamnés à être continuellement plus chers que leurs concurrents, ils seraient exclus du marché.
John Masswohl (directeur, Relations gouvernementales et internationales, Canadian Cattlemen's Association) a rappelé au Comité que « [l]'un des objectifs déclarés du gouvernement quand il tente de conclure de tels accords de libre-échange est de s'assurer que les exportateurs canadiens restent concurrentiels sur les marchés bénéficiant déjà d'un accord de libre-échange avec les États-Unis[5] ». Il a dit craindre que l'accord de libre-échange récemment conclu avec le Pérou ne réponde pas à cet objectif dans le cas de l'industrie du bouf. À son avis, il faut se garder de faire la même erreur dans les négociations avec la Corée.
La parité tarifaire est importante non seulement parce qu'elle évite aux exportateurs canadiens de se trouver dans une position concurrentielle défavorable, mais aussi, comme l'a signalé M. Masswohl, parce que son absence menacerait la viabilité à long terme des activités agroalimentaires à valeur ajoutée au Canada :
[C]haque fois que les États-Unis obtiennent un meilleur accès sur un marché donné pour leur bouf que le Canada, il devient de plus en plus difficile de justifier l'abattage du bétail au Canada, et nous devenons de plus en plus dépendants de l'obligation d'expédier des bovins sur pied aux États-Unis pour qu'ils s'y fassent abattre[6].
L'importance de la parité tarifaire ne touche pas uniquement les produits semblables, mais les substituts directs aussi. Pour Dave Hickling (vice-président, Utilisation du canola, Conseil canadien du canola), il est important d'obtenir, pour les graines et l'huile de canola, les mêmes réductions tarifaires - et le même calendrier de réduction des droits de douane - que ce qu'ont obtenu les producteurs américains d'huile de soja, faute de quoi le libre-échange avec la Corée n'aura pas les retombées espérées. Jan Westcott (président et chef de la direction, Spirits Canada, Association des distillateurs canadiens) a présenté le même argument au sujet des whiskies canadiens et du bourbon américain.
5. Consultation des parties concernées
Plusieurs témoins ont abordé aussi la question de la consultation des parties concernées, mais les vues à ce sujet étaient partagées. Dans l'ensemble, la plupart des syndicats, des fédérations et certains groupes de politique publique ont dit que leur organisation n'avait pas été consultée par les autorités fédérales durant les négociations et ils estiment en conséquence que leurs vues et préoccupations ne seront pas suffisamment prises en compte à la table des négociations.
Par contre, la presque totalité des grandes entreprises, des associations industrielles et des groupes d'entreprises ont dit qu'ils avaient été consultés, et la plupart estiment que la consultation a été plus que suffisante, tant avant que durant les négociations, même dans des secteurs comme la construction navale où la concurrence à long terme avec la Corée suscite de vives préoccupations. Le vice-amiral à la retraite Peter Cairns (président, Association de la construction navale du Canada) a affirmé que les intérêts de l'industrie canadienne de la construction navale avaient été bien présentés par les négociateurs canadiens.
Cela ne veut pas dire pour autant que tous les groupes étaient satisfaits des résultats des consultations gouvernementales. Certains ont admis avoir été consultés, mais ne trouvent pas que le niveau de consultation a été suffisant et sont frustrés que leurs propositions n'aient pas été suffisamment prises en considération par les négociateurs canadiens. Mark Nantais, notamment, a déclaré :
Nous avons fait plusieurs recommandations et certaines propositions très importantes au sujet de la réduction des tarifs, des mécanismes de règlement des différends, et ainsi de suite. Certaines de ces propositions ont été élaborées par des juristes de renom spécialisés dans le droit commercial au Canada. Malheureusement, ces propositions ont été écartées du revers de la main sous prétexte qu'une telle approche n'avait jamais été utilisée auparavant dans un accord de libre-échange[7].
6. Transition et mécanismes de soutien
Enfin, les témoins ont dit craindre les répercussions éventuelles d'un accord de libre-échange avec la Corée sur l'économie canadienne. Plusieurs ont insisté pour que soient mis en place des mesures de transition et des mécanismes d'aide pour faciliter l'adaptation des travailleurs et des industries du Canada au libre-échange avec la Corée - en particulier dans le secteur manufacturier. Étienne Couture, par exemple, nous a dit que tout accord de libre-échange avec la Corée devrait :
[.] être accompagné d'un engagement formel du gouvernement de soutenir davantage les entreprises canadiennes, particulièrement celles du secteur industriel, pour qu'elles développent une plus grande présence sur les marchés internationaux[8].
D'autres personnes ont exprimé des opinions similaires. Jean-Michel Laurin a déclaré que la croissance future du secteur manufacturier dépend de la capacité des entreprises d'investir dans la modernisation de leurs usines, dans le perfectionnement des compétences de leurs salariés, dans l'innovation et le développement des marchés. Shirley-Ann George est du même avis. D'après elle, tout accord commercial fait des gagnants et des perdants; les pays dont l'économie croît et qui s'adaptent bien à la mondialisation des échanges sont souvent ceux qui ont su instituer les mécanismes d'adaptation appropriés.
Les principales préoccupations formulées par les témoins ont été décrites ci-dessus, mais d'autres encore méritent mention. Certains témoins, comme Josée Lamoureux (conseillère syndicale, Confédération des syndicats nationaux), ont parlé des droits des travailleurs, ici et en Corée. D'autres s'inquiètent de la présence de dispositions sur les rapports entre investisseurs et États analogues à celles du chapitre 11 de l'Accord nord-américain de libre-échange (ALENA) dans l'accord final. D'autres encore s'inquiètent des répercussions environnementales de l'accord. Enfin, certaines personnes sont fondamentalement contre l'emploi de l'ALENA comme modèle dans la négociation d'accords commerciaux bilatéraux, estimant que le Canada doit, dans la négociation d'accords commerciaux, se concentrer sur le commerce équitable et la justice sociale.
B. Et maintenant poursuivre ou abandonner les négociations?
Compte tenu des préoccupations décrites ci-dessus et des résultats ambigus des évaluations des retombées économiques d'un accord, certains témoins sont carrément contre la signature d'un accord de libre-échange avec la Corée ou y souscriraient à certaines conditions irréalisables dans un proche avenir. Tout simplement, ces personnes ne croient pas que, dans le contexte actuel, les avantages prévus d'un tel accord l'emporteraient sur les coûts qu'il infligerait à l'économie canadienne. À leur avis, donc, le Canada devrait se retirer des négociations.
D'autres ne sont pas contre un accord en principe, mais ont néanmoins des réserves, car ils ne croient pas le gouvernement fédéral capable de négocier un accord répondant à leurs besoins particuliers, notamment sur le plan de l'accès au marché coréen. Ils ont fourni au Comité des informations importantes au sujet de ces préoccupations.
Malgré le volume considérable d'informations recueillies, le Comité note qu'il reste encore de nombreuses questions sans réponse au sujet de la négociation d'un accord de libre-échange entre le Canada et la Corée et des répercussions éventuelles d'un tel accord. Premièrement, il est difficile de se faire une idée de la valeur d'un accord de libre-échange Canada-Corée à partir des études d'impact économique publiées à ce sujet. L'étude d'Industrie Canada et celle de M. Van Biesebrouck sont centrées sur le secteur de l'automobile et concluent que les pertes d'emplois minimes dans le secteur de la production automobile du Canada seraient compensées par des gains dans les autres secteurs. En outre, ces études n'ont pas abordé la question de l'effet du libre-échange sur les emplois au Canada.
Par contre, la conclusion la plus souvent citée de l'étude des TCA repose non pas sur une étude du commerce Canada-Corée en tant que tel, mais sur une analyse rétrospective des résultats du libre-échange du Canada avec d'autres pays. On signale notamment que, en moyenne, les accords de libre-échange conclus par le Canada jusqu'à maintenant ont suscité une augmentation des exportations de 100 % et une progression des importations de 250 %. Les auteurs de l'étude des TCA sont partis de l'hypothèse qu'un ALE Canada-Corée aurait le même résultat. Par ailleurs, ils assimilent les déficits commerciaux du Canada à des pertes d'emplois au Canada. Enfin, si l'étude des TCA a l'avantage d'être de portée plus vaste que les deux autres études, elle est bornée au secteur manufacturier. L'agriculture et les services - les deux secteurs qui devraient normalement avoir le plus à gagner d'un accord de libre-échange - débordaient le cadre de l'étude.
Par ailleurs, ces trois études, comme d'ailleurs presque toutes les analyses d'impact économique des accords de libre-échange, présentent deux autres grandes limitations. Premièrement, ces analyses ont tendance à se concentrer sur les répercussions des réductions des droits de douane à l'exclusion de tout le reste. Ce n'est pas tant un défaut en soi qu'une limitation technique. Oui, les accords de libre-échange ont pour objet principal de réduire voire d'éliminer les droits de douane, mais, comme nos audiences l'ont fait ressortir, les accords modernes touchent bien d'autres choses que la seule réduction des droits de douane. Les barrières non tarifaires, les restrictions de l'accès aux marchés, la protection des investissements, les ententes sur l'environnement et le travail, la protection de la propriété intellectuelle et les marchés publics figurent tous dans les accords commerciaux contemporains. Or, il est presque impossible de saisir ces autres éléments des ALE dans des modèles économiques. Par comparaison, la prévision des effets de l'élimination des droits de douane est simple. Jean-Michel Laurin nous a dit :
Je crois que le problème principal, lorsqu'on essaie d'évaluer l'impact de cet accord commercial, c'est qu'il est très difficile de chiffrer l'amélioration de l'accès [au marché qui] en résultera en Corée, parce qu'on parle de barrières non tarifaires. Si on parle de barrières tarifaires, on peut facilement les insérer dans une équation, préparer un modèle économique et faire le calcul. Mais on parle ici de barrières non tarifaires, et tout dépend donc de quel genre de meilleur accès cela donnera[9].
Le second problème, c'est qu'il est impossible de prédire les répercussions d'un accord de libre-échange sans savoir ce qu'il contient. Or, la négociation d'un accord entre le Canada et la Corée est toujours en cours. Selon Shirley Ann George, il est encore trop tôt pour tirer des conclusions puisqu'il reste trop de questions sans réponse. En l'absence d'un accord final, toute évaluation des conséquences d'un accord commercial ne peut être que conjectures.
Tout bien considéré, le Comité estime que le Canada ne doit pas, comme certains l'ont suggéré, se retirer des négociations avec la Corée, pour éventuellement y revenir dans l'avenir. À notre avis, il serait prématuré de préjuger de l'issue des négociations. Nous croyons que le Canada doit continuer de négocier de bonne foi en cherchant à maximiser les avantages potentiels de l'accord pour les Canadiens. Une fois l'accord signé, le Comité et la population en général seront mieux en mesure de juger de ses avantages et de ses inconvénients.
[4] Comité permanent du commerce international, Témoignages, réunion no 8, 11 décembre 2007, http://cmte.parl.gc.ca/Publication.aspx?DocId=3204190&Language=F&Mode=1&Parl=39&Ses=2.
[5] Comité permanent du commerce international, Témoignages, réunion no 11, 4 février 2008, http://cmte.parl.gc.ca/HousePublications/Publication.aspx?DocId=3243949&Language=F&Mode=1&Parl=39&Ses=2.
[6] Ibid.
[7] Comité permanent du commerce international, Témoignages, réunion no 8, 11 décembre 2007, http://cmte.parl.gc.ca/Publication.aspx?DocId=3204190&Language=F&Mode=1&Parl=39&Ses=2.
[8] Comité permanent du commerce international, Témoignages, réunion no 9, 13 décembre 2007, http://cmte.parl.gc.ca/HousePublications/Publication.aspx?DocId=3214668&Language=F&Mode=1&Parl=39&Ses=2.
[9] Ibid.