FEWO Rapport du Comité
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CHAPITRE II. CADRE DE LA BUDGETÉTISATION SENSIBLE À LA SEXOSPÉCIFICITÉ Les femmes représentent la moitié de l’électorat et presque la moitié des contribuables canadiens, par rapport à seulement 30 % il y a une génération. Selon les dernières statistiques, nous avons versé 42 milliards de dollars, seulement sous forme d’impôts sur le revenu, et ce montant continue à grimper. Nous sommes un groupe très important et nous méritons que chaque budget préparé par chaque gouvernement au Canada nous réserve une place de respect et d’égalité[4]. Le présent chapitre contient de l’information de base permettant de situer la budgétisation sensible à la sexospécificité dans le cadre des engagements nationaux et internationaux du Canada à l’égard de l’égalité entre les sexes. Il commence par un aperçu des données statistiques portées à la connaissance du Comité quant à la condition actuelle des femmes au Canada. Il explique ensuite de quelle façon l’analyse comparative entre les sexes et les budgets sensibles à la sexospécificité contribuent à l’atteinte de l’objectif de l’égalité entre les hommes et les femmes. Le Comité reconnaît que toute discussion relative à l’établissement de budgets sensibles à la sexospécificité doit tenir compte des obligations internationales du Canada. A. Aperçu de la condition féminine au Canada Même si la condition des femmes s’est grandement améliorée au Canada au cours des cinquante dernières années, des témoins ont signalé au Comité qu’ils s’inquiètent du terrain qu’a perdu le Canada sur le plan de l’écart entre les femmes et les hommes. Depuis la fin des années 1990, le Canada a perdu son premier rang remarqué dans l’indice du développement humain et l’indicateur sexospécifique de développement humain, dans les rapports de l’ONU sur le développement humain. Il perd du terrain d’année en année, surtout en ce qui concerne les femmes. Il s’est retrouvé récemment au septième rang dans le monde, alors qu’il était au premier il y a à peine quelques années. Un nouvel ensemble d’indicateurs qui mettent davantage l’accent sur le fonctionnement économique des indicateurs plaçait le Canada au 14e rang en 2006 et au 18e en 2007 pour ce qui est de l’écart entre hommes et femmes. Les femmes régressent donc au Canada en termes monétaires[5]. Le Comité reconnaît que les femmes sont plus nombreuses sur le marché du travail et plus scolarisées qu’autrefois. Par exemple, le taux de participation[6] de la population canadienne à la vie active a considérablement évolué sur le plan de la représentation hommes-femmes au cours des trois dernières décennies. La figure 1 montre une représentation graphique de cette évolution. Le taux de participation des femmes à la population active du Canada est passé de 46,5 % en 1977 à 62,1 % en 2006. Celui des hommes a toutefois diminué légèrement, tombant de 77,6 % à 72,5 % pour la même période. En outre, le niveau de scolarité des femmes par rapport à celui des hommes s’est beaucoup amélioré au cours des dernières décennies. La figure 2 présente une comparaison graphique du nombre de baccalauréats ou autres grades de premier cycle obtenus par les hommes et les femmes en 1992 et en 2004. Néanmoins, le Comité est préoccupé par les inégalités qui persistent entre les femmes et les hommes dans la société canadienne. Des témoins ont fourni au Comité des statistiques et des indicateurs nationaux qui témoignent des inégalités entre les sexes au Canada. Par exemple, Kathleen Lahey de l’Université Queen’s a déclaré que les données indiquent que les femmes continuent d’accomplir la plus grande partie du travail non rémunéré. Les femmes travaillent plus que les hommes dans cette économie, mais ce sont elles qui ont la part du lion du travail non rémunéré [alors que les hommes ont la part du lion du travail rémunéré]. L’un des objectifs de l’égalité entre les genres vise à éliminer ces écarts. Il ne s’agit pas seulement de donner aux femmes un salaire égal à celui des hommes. Il faut aussi veiller à ce que les femmes aient un meilleur équilibre entre le travail rémunéré et le travail non rémunéré et que ce soit la même chose pour les hommes afin que la population dans son ensemble s’enrichisse, devienne plus productive, etc.[7] Comme le montre la figure 3, les femmes sont beaucoup plus nombreuses que les hommes à effectuer cinq heures ou plus de travail ménager non rémunéré par semaine. Le Comité a appris aussi que la disparité salariale entre les sexes continue d’exister au Canada et qu’elle est d’environ 30 %. Pour ce qui est de l’écart salarial, il n’a pas beaucoup changé depuis les sept, huit ou neuf dernières années. Il est stable à environ 30 % et ne semble pas évoluer[8]. Les représentants de Statistique Canada ont signalé au Comité que même les jeunes femmes sont touchées par la disparité salariale. Selon les analyses récentes qui examinent l’écart salarial pour les jeunes femmes — en pensant que les baby-boomers ont peut-être encore un effet négatif — même chez les jeunes femmes très instruites, cet écart est encore de 20 %. Il s’explique probablement par une ségrégation occupationnelle : les femmes occupent des emplois pour lesquels le salaire n’augmente pas alors que les hommes occupent des emplois où ces salaires augmentent[9]. Comme l’indique la figure 4, la disparité salariale entre les hommes et les femmes occupant un emploi à plein temps est considérable, bien qu’elle soit plus ou moins marquée selon le genre de travail effectué. Cette figure porte sur la rémunération des employés à plein temps, selon le genre de travail accompli en 2006. La distribution de la rémunération[10] selon le sexe est une représentation graphique de la proportion d’hommes et de femmes à chaque niveau de rémunération. Comme le montre la figure 5, la proportion de femmes dont la rémunération se situe sous le niveau de 30 000 $ à 34 999 $ est plus élevée que celle des hommes; ce niveau est également le point d’intersection de la distribution de la rémunération des hommes et des femmes. Pour tous les niveaux de rémunération supérieurs à celui du point d’intersection, la proportion d’hommes est plus élevée que celle des femmes. Le Comité a entendu dire à maintes reprises que les revenus des femmes se situent dans les fourchettes d’imposition les plus basses. Comme le montre le tableau 1, 68 % des femmes, comparativement à 49 % des hommes, ont un revenu imposable de moins de 40 000 $. Tableau 1 : Revenus imposables des hommes et des femmes, 2005[11]
Enfin, le Comité constate que les femmes continuent d’être extrêmement sous-représentées dans les postes de pouvoir au sein des gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux. Le tableau qui suit porte sur la représentation des femmes parlementaires à la Chambre des communes et au Sénat au 1er mai 2008. Tableau 2 : Représentation des femmes parlementaires au Canada, mai 2008
Au moment de la rédaction du présent rapport, le Cabinet fédéral comptait sept femmes ministres, soit environ 22 % du nombre total de ministres du Cabinet. B. Obligations internationales du Canada Plusieurs témoins ont mentionné au Comité qu’en examinant l’approche du Canada visant l’égalité des sexes et l’élaboration de budgets sensibles à la sexospécificité, il faut déterminer si celui-ci respecte ses obligations internationales découlant de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW) des Nations Unies ainsi que de la Déclaration et du Programme d’action de Beijing. Adoptée en 1979 par l’Assemblée générale des Nations Unies, la CEDAW est souvent décrite comme la déclaration internationale des droits de la femme. Lorsque le Canada l’a ratifiée en 1981, il s’est engagé à établir un plan d’action national pour mettre fin à la discrimination à l’égard des femmes. Mis sur pied en 1982, le Comité d’experts des Nations Unies sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes a produit un rapport sur la conformité du Canada à la CEDAW dans lequel il a formulé plusieurs recommandations. Nancy Peckford, directrice de programmes de l’Alliance canadienne féministe pour l’action internationale (AFAI), a engagé le Comité à prendre ces recommandations en considération dans le cadre de l’établissement de budgets sensibles à la sexospécificité : […] l’une des autres raisons pour laquelle il convient d’adopter la budgétisation sexospécifique est d’aider les pays à concilier leurs engagements internationaux et les réalités intérieures. Pour le Canada, l’une des meilleures façons d’y arriver consisterait à examiner les recommandations qui ont été faites par le Comité des Nations Unies sur l’élimination de la discrimination contre les femmes en 2003. Il y a toute une série de recommandations qui tiennent compte des réalités féminines, qui englobent, entre autres, les logements abordables, la pauvreté, l’emploi, les services de garde d’enfants et la discrimination contre les femmes autochtones[12]. Les obligations internationales du Canada découlent également de son adoption de la Déclaration et du Programme d’action de Beijing. En 1995, la Quatrième Conférence mondiale des Nations Unies sur les femmes s’est tenue à Beijing, en Chine, où les États membres des Nations Unies, dont le Canada, ont adopté la Déclaration et le Programme d’action de Beijing. Depuis, les États membres ont participé aux évaluations et examens quinquennaux du respect des engagements pris à l’égard de l’égalité des sexes. Le Canada a participé aux examens de Beijing +5 et de Beijing +10 en 2000 et 2005 respectivement[13]. La Déclaration et le Programme d’action de Beijing ont défini des objectifs stratégiques et des mesures à prendre dans 12 domaines prioritaires, soit la pauvreté, l’éducation et la formation, la santé, la violence à l’égard des femmes, les conflits armés, l’économie, la prise de décisions, les mécanismes institutionnels de promotion de la femme, les droits fondamentaux des femmes, les médias, l’environnement, et les petites filles[14]. En adoptant la Déclaration et le Programme d’action de Beijing, des gouvernements du monde entier se sont engagés à intégrer dans l’ensemble de leurs activités, politiques, plans et décisions une perspective qui tienne compte des différences entre les hommes et les femmes. Ils sont également tenus d’évaluer les incidences sur les hommes et les femmes de leurs projets de loi et de leurs initiatives politiques avant de les mettre en application. Au Canada, le gouvernement fédéral a mis en place deux plans quinquennaux sur l’égalité entre les sexes : le Plan fédéral pour l’égalité entre les sexes (1995-2000) et le Programme d’action pour l’égalité entre les sexes (2000-2005). L’analyse comparative entre les sexes est un élément clé de ces deux plans. Dans son plan d’action de 1995 pour la mise en œuvre de la Déclaration et du Programme d’action de Beijing, intitulé À l’aube du XXIe siècle : plan fédéral pour l’égalité entre les sexes[15], le gouvernement du Canada a adopté une politique exigeant que les ministères et les organismes fédéraux effectuent des analyses comparatives entre les sexes (ACS) de leurs politiques et de leurs lois. Bien que chaque ministère doive effectuer ses propres ACS, il revient à Condition féminine Canada, en tant qu’organisme responsable de l’égalité entre les sexes, d’offrir de l’aide et de la formation aux ministères à cet égard[16]. Tout récemment, il a été annoncé dans le Budget fédéral de 2008 que le gouvernement fédéral élaborera un « plan d’action visant à faire progresser l’égalité des femmes au Canada[17] ». C. Outils pour atteindre l’égalité entre les femmes et les hommes Plusieurs témoins ont déclaré au Comité que les budgets sensibles à la sexospécificité et l’analyse comparative entre les sexes sont des outils qui favorisent l’égalité entre les femmes et les hommes et l’amélioration du processus d’établissement des politiques gouvernementales. Ellen Russell, professeure de l’École d’administration et de politique publique de l’Université Carleton, a précisé ce qui suit : Vous pourrez élaborer des politiques beaucoup mieux conçues pour atteindre les objectifs souhaités parce que vous aurez tenu compte des différences entre les sexes dans le contexte où ces politiques doivent s’appliquer. Voici une comparaison. Vous pouvez engager un architecte pour faire les plans d’une maison, et il peut faire un très bon travail du point de vue technique, mais à moins qu’il n’aille voir sur le terrain — y a-t-il une pente, un problème d’écoulement de l’eau, de l’érosion? —, il ne dessinera pas les plans en connaissant bien les obstacles qui existent sur le terrain[18]. Des témoins ont présenté au Comité leurs définitions de ces outils et l’importance que ceux-ci ont pour eux. Plusieurs témoins ont insisté sur le fait que ces outils donnent peu de résultats s’ils ne sont pas intégrés à une vision globale et à un ensemble d’objectifs. L’un des témoins a fait remarquer qu’un budget sexospécifique, en tant qu’outil, ne sert à rien en soi, s’il n’est pas développé dans le cadre d’un plan d’action[19]. Georgina Steinsky-Schwartz, ancienne présidente du Groupe d’expertes sur les mécanismes de responsabilisation pour l’égalité des sexes, a fait remarquer que les budgets sensibles à la sexospécificité et l’analyse comparative entre les sexes sont des outils mais « pas le résultat final [20] ». 1. Qu’est-ce que l’analyse comparative entre les sexes? L’analyse comparative entre les sexes (ACS) est un outil permettant de déterminer les répercussions différentes que les politiques peuvent avoir sur les hommes et sur les femmes. Une bonne ACS exige un certain niveau de compétences techniques. Comme l’a mentionné un des témoins, [l]’analyse comparative entre les sexes n’est pas une idée saugrenue sortie de nulle part. Ce genre d’analyse n’est pas extraordinairement complexe, mais elle doit se fonder sur certaines compétences techniques[21]. Deux définitions de l’ACS ont été présentées au Comité. Tout d’abord, Condition féminine Canada a fourni au Comité la définition utilisée par le gouvernement fédéral. L’ACS est un outil analytique, un aspect important d’une analyse socioéconomique complète des politiques gouvernementales. L’ACS tient compte des écarts sociaux et économiques entre les sexes à toutes les étapes de l’élaboration de politiques afin de s’assurer que les répercussions distinctes et éventuelles peuvent être découvertes. De plus, elle voit à ce que les politiques actuelles et proposées produisent les résultats escomptés et soient équitables pour les deux sexes. Les relations entre les sexes sont l’élément central de l’ACS. L’ACS vise autant les initiatives qui sont axées sur les femmes que les politiques et les programmes visant l’intégration de l’égalité entre les sexes. L’ACS comprend de nombreuses étapes, certaines d’entre elles peuvent être exécutées immédiatement, alors que d’autres requièrent plus de temps pour être mises au point ou complétées[22]. Puis, Mme Peckford a présenté au Comité la définition plus générale énoncée dans le Plan fédéral pour l’égalité entre les sexes de 1995. L’analyse comparative entre les sexes repose sur l’hypothèse selon laquelle certains arrangements sociaux, économiques, culturels et politiques sont indissociables des politiques gouvernementales. Telle complexité exige un ensemble de réponses stratégiques et celles-ci ne peuvent manifestement négliger la nécessité d’évaluer les répercussions différentes que les politiques peuvent avoir sur les femmes et les hommes. Une démarche fondée sur les différences entre les sexes assure que, dans l’élaboration, l’analyse et l’application des politiques, on tienne compte de la différence entre les sexes, soit de la nature des relations entre les hommes et les femmes, ainsi que des réalités sociales, de leurs attentes et des circonstances financières différentes des femmes et des hommes[23]. Le Comité a également entendu un témoignage sur le cadre de l’ACS adapté à la culture que l’Assemblée des Premières Nations a élaboré. Comme l’a expliqué Kathleen McHugh, présidente intérimaire du Conseil des femmes de l’Assemblée des Premières Nations, [n]ous sommes convaincus que notre ACS produira de meilleurs résultats que d’autres approches pour les femmes des Premières Nations parce qu’[elle] est étayée par une compréhension historique de notre culture. On demande aux décideurs de prendre en compte le rôle central que jouaient les femmes dans les cultures amérindiennes avant l’arrivée des Européens, ainsi que les changements survenus, et leurs motifs, après les contacts avec les Européens. On leur demande de proposer des options fondées sur ce contexte. En somme, notre document explique comment les femmes des Premières Nations se perçoivent à l’heure actuelle et comment elles entrevoient leur l’avenir[24]. 2. Qu’est-ce qu’un budget sensible à la sexospécificité? John Bartle, directeur de l’École d’administration publique de l’Université du Nebraska, a expliqué au Comité qu’un budget sensible à la sexospécificité est « un budget gouvernemental qui intègre explicitement les différences entre les sexes à une partie ou à la totalité de la prise de décisions sur [l’affection des ressources] et sur la production de revenus[25] ». Dans le mémoire qu’il a présenté au Comité, le Centre de recherches pour le développement international mentionne que la budgétisation sensible à la sexospécificité exige que « les responsables gouvernementaux adoptent une nouvelle conception des finances » afin de « [dépasser] le cadre des ménages et d’examiner comment les budgets répondent aux besoins de leurs membres masculins et féminins[26] ». Mme Russell a déclaré qu’un budget sensible à la sexospécificité est un « excellent moyen de s’assurer que toutes les politiques sont bien conçues, rentables et responsables[27] ». Selon Armine Yalnizyan, économiste principale du Centre canadien de politiques alternatives, ce genre de budget « permet de lever le voile sur l’action gouvernementale et qui en bénéficie ». Quand on parle d’un budget sexospécifique, on ne parle pas uniquement du nombre de fois où l’on mentionne les femmes ou de mesures qui influent exclusivement sur les femmes. Une analyse comparative entre les sexes, effectuée à l’égard d’un budget, permet de lever le voile sur l’action gouvernementale et qui en bénéficie. Elle révèle le coût élevé des programmes politiques qui donnent la priorité aux réductions d’impôts depuis plus d’une décennie[28]. Selon Mme Lahey, compte tenu des obligations internationales du Canada en matière de droits de la personne et de l’engagement du gouvernement découlant du Plan fédéral pour l’égalité entre les sexes de 1995, le budget sexospécifique peut être considéré comme un mécanisme d’intégration de l’analyse comparative entre les sexes dans le tissu du fonctionnement gouvernemental[29]. Mme Lahey a expliqué que ces outils sont étroitement liés étant donné que l’ACS ne peut être menée sans qu’ait été conçu un budget sensible à la sexospécificité : Je dirais donc que l’analyse sexospécifique ne peut [être menée] tant qu’on n’a pas aussi conçu un budget sexospécifique. L’analyse est appliquée à tous les postes des dépenses et des impôts de façon à en établir les impacts matériels et comportementaux sur les femmes et les hommes. Mais tant qu’un budget sexospécifique n’est pas sur la table, aux côtés des autres documents budgétaires, le processus n’est pas achevé [30]. David Good, professeur de l’École d’administration publique de l’Université de Victoria, croit qu’il est « erroné » de qualifier un budget de sexospécifique. Il a signalé au Comité que la différence entre les sexes est un facteur dont il faut tenir compte parmi plusieurs autres facteurs dans le processus budgétaire. Dire qu’un budget est différencié selon les sexes est un facteur parmi tant d’autres qui entrent en ligne de compte dans un budget; toutefois, à mon avis, il est exagéré de dire que tous les budgets doivent nécessairement être différenciés selon les sexes. Il y a de nombreux autres facteurs qui seront pris en considération dans le budget[31]. Il a mentionné qu’il préférerait voir « un budget éclairé en fonction des différences hommes-femmes, c’est-à-dire un budget qui est alimenté par l’analyse, les priorités, le dialogue, la réflexion et le débat, pour que les répercussions sur les sexes soient prises en considération, analysées, soupesées et reflétées dans le budget[32] ». Mme Budlender, spécialiste du domaine de la budgétisation sexospécifique, a déclaré au Comité que l’expression qu’elle privilégie est « budgétisation sensible à la sexospécificité[33] ». Cette expression reflète l’approche du Comité relative à l’intégration de la différence entre les sexes au processus budgétaire et aux politiques de dépenses et d’imposition du gouvernement fédéral. D. Pourquoi concevoir des budgets sensibles à la sexospécificité? Selon le Forum économique mondial[34], l’inégalité entre les sexes est inefficace et coûteuse pour les femmes, les hommes, les filles et les garçons. Ces coûts se manifestent par un niveau inférieur de productivité, de compétitivité et de bien-être[35]. Diane Elson, professeure à l’Université Exeter et spécialiste de l’élaboration de budgets sensibles à la sexospécificité, soutient que, « si les femmes elles-mêmes exercent un plus grand contrôle sur les ressources, l’ensemble de la société en profitera, mais, si l’inégalité entre les sexes persiste, il y aura des pertes constantes pour toute la société[36] ». Un budget national sensible aux différences entre les sexes tient compte des inégalités sous-jacentes entre les hommes et les femmes et les corrige au moyen de la répartition des ressources publiques[37]. Il considère aussi les femmes non pas comme les membres « d’un groupe vulnérable à qui les gouvernements accordent de l’aide, mais plutôt comme des personnes qui ont des droits et dont les gouvernements sont tenus d’assurer la protection et de favoriser l’autonomie[38] ». Clare Beckton, coordonnatrice pour Condition féminine Canada, a déclaré au Comité que l’avantage de la budgétisation sensible à la sexospécificité est « la réduction des inégalités socioéconomiques entre les sexes ». Ce genre de budgétisation peut « également améliorer l’efficacité, l’efficience, la responsabilisation et la transparence des budgets du gouvernement[39] ». Mme Peckford a signalé au Comité que les initiatives de budgétisation sensible à la sexospécificité sont devenues un phénomène mondial et sont mises en œuvre à la fois dans des pays développés et dans des pays en développement. Les budgets sensibles à la sexospécificité constituent un outil pour corriger les inégalités entre les sexes. Ce que nous trouvons très utile, en réfléchissant à cette question, c’est que ce phénomène ne se manifeste pas uniquement dans les pays du sud du monde; il est présent dans les pays du monde entier. Ce n’est pas uniquement pour améliorer la qualité ou l’efficacité de l’aide au développement que l’on adopte la budgétisation sexospécifique; c’est quelque chose qu’on fait lorsqu’on a à cœur la responsabilisation, la transparence, un gouvernement réceptif et sensible, et la bonne gouvernance[40]. Mme Peckford a également souligné la nécessité de reconnaître « l’impératif de l’égalité des femmes » dans l’analyse comparative entre les sexes d’un budget : Je m’inquiète de ce que la méthode employée pour effectuer une analyse comparative entre les sexes ne tienne pas compte en premier lieu de l’impératif de l’égalité des femmes. S’il est nécessaire d’assujettir le budget fédéral à une analyse comparative entre les sexes, c’est uniquement parce que nous craignons que la situation des femmes par rapport à l’économie, à la société et à leur famille soit différente et que, par conséquent, les mesures budgétaires — tant du côté des recettes que du côté des dépenses — aient une incidence différente sur elles. C’est un élément qu’il faut absolument garder à l’esprit dans le contexte de l’analyse comparative entre les sexes[41]. E. Évaluation de la qualité de l’analyse comparative entre les sexes d’un budget Dans le mémoire qu’elle a présenté au Comité, Mme Lahey a décrit sommairement le cadre d’évaluation de la qualité d’une analyse comparative entre les sexes d’un budget. Le tableau suivant résume les différents types d’ACS applicables à cette évaluation : Tableau 3 : Types d’analyse comparative entre les sexes[42]
Le budget est devenu un élément essentiel à la gouvernance et en est venu à refléter les priorités du gouvernement. M. Good a rappelé au Comité que « le budget est un processus fondamentalement analytique ainsi qu’un processus largement politique[43] ». Selon lui, le budget peut se diviser en cinq éléments distincts :
Robert Wright, sous-ministre des Finances, a mentionné au Comité que « le budget est un processus — c’est une véritable machine qui se met en branle entre septembre et la fin de février pour produire un certain résultat[45] ». Comme il sera indiqué dans les chapitres suivants, les organismes centraux contribuent de façon importante au processus budgétaire. Le Comité a aussi été informé du rôle que joue le ministre des Finances dans le processus budgétaire : Le ministre, par exemple, rencontre tous ses collègues du Cabinet au sujet du processus budgétaire; il rencontre aussi ses collègues du caucus; il rencontre les chefs de l’opposition; il écoute les comités comme celui-ci et comme le comité des finances, qui procède à des consultations générales; et il rencontre de nombreux Canadiens[46]. Le sous-ministre des Finances a expliqué au Comité que le rôle du ministère consiste à faire en sorte que le ministre des Finances et le gouvernement prennent des décisions éclairées[47]. Finances Canada a commencé à effectuer l’analyse comparative entre les sexes des modifications apportées aux politiques fiscales en 2006. Le Comité a reçu les rapports de l’ACS de 2006, 2007 et 2008 de Finances Canada et il a entendu des témoins qui ont analysé l’approche du ministère en ce qui a trait à l’ACS. Les chapitres V et VI examinent plus en détail les préoccupations du Comité concernant l’approche adoptée par Finances Canada en ce qui a trait à l’ACS. De plus, des témoins ont expliqué au Comité qu’au moment d’examiner les budgets, il faut considérer à la fois les dépenses et le traitement fiscal. Comme M. Good l’a fait remarquer, [l]es deux ont des répercussions et des ramifications considérables en ce qui concerne les sexes. Ils ont des impacts différentiels, selon les indicateurs utilisés, tant sur le plan des dépenses que sur celui des impôts — par impacts différentiels, on entend les conséquences des diverses politiques pour les hommes et les femmes[48]. Les dépenses publiques peuvent prendre la forme de dépenses directes ou de dépenses fiscales telles que les réductions des taux d’imposition, les déductions, les avantages fiscaux, les suppléments et les crédits d’impôt. Un budget sensible à la sexospécificité tient compte des incidences de ces types de dépenses sur les femmes et les hommes et sur des groupes de femmes et d’hommes. Dans leur publication sur les budgets sensibles à la sexospécificité, M. Bartle et Mme Rubin ont expliqué ce qui suit : Les budgets de gouvernement présentent généralement des agrégats financiers et ne mentionnent pas de façon précise les hommes ou les femmes. Ils semblent donc être établis sans distinction de sexe. Toutefois, un budget n’est pas sans distinction de sexe si les décisions en matière de revenus et de dépenses ont des incidences différentes sur les hommes et sur les femmes; un budget est indifférent à la sexospécificité s’il ne tient pas compte de ces différences[49]. [4] Armine Yalnizyan, économiste principale, Centre canadien de politiques alternatives, FEWO Témoignages, 13 mars 2008 (0915). [5] Kathleen Lahey, professeure, Institute of Women's Studies, Université Queen’s, FEWO Témoignages, 28 novembre 2007 (1540). [6] Le taux de participation à la vie active d’un groupe particulier (selon l’âge, le sexe, la situation de famille, la région géographique, etc.) est le nombre total de membres du groupe faisant partie de la population active, exprimé sous forme de pourcentage des personnes de 15 ans et plus. [7] Kathleen Lahey, professeure, Institute of Women’s Studies, Université Queen’s, FEWO Témoignages, 1er avril 2008 (1020). [8] Heather Dryburgh, chef de l’Enquête sociale générale, Division de la statistique sociale et autochtone, Statistique Canada, FEWO Témoignages, 17 avril 2008 (1020). [9] Ibid. [10] Rémunération provenant à la fois d’un emploi rémunéré (traitements et salaires) et du travail autonome. [11] Armine Yalnizyan, Budget 2008: What’s In It for Women?, Centre canadien de politiques alternatives, mars 2008, p. 14. [12] Nancy Peckford, directrice de programmes, Alliance canadienne féministe pour l’action internationale, FEWO Témoignages, 13 mars 2008 (0945). [13] Condition féminine Canada, « Beijing +10 : Fiches de renseignements », http://www.cfc-swc.gc.ca/pubs/b10_factsheets/factsheet_3_f.html. [14] Nations Unies, Déclaration et Programme d’action de Beijing, Quatrième Conférence mondiale des femmes, Beijing, Chine, septembre 1995. [15] Condition féminine Canada, À l’aube du XXIe siècle : plan fédéral pour l’égalité entre les sexes, août 1995, http://www.cfc-swc.gc.ca/pubs/066261951X/index_f.html. [16] Comité permanent de la condition féminine, L’analyse comparative entre les sexes : Les fondements de la réussite, avril 2005, p. 2. [17] Gouvernement du Canada, Le plan budgétaire de 2008 – Un leadership responsable, février 2008, p. 124. [18] Ellen Russell, professeure, École d’administration et de politique publique, Université Carleton, FEWO Témoignages, 3 décembre 2007 (1715). [19] Armine Yalnizyan, directrice de la recherche, Community Social Planning Council of Toronto, FEWO Témoignages, 5 décembre 2007 (1540). [20] Georgina Steinsky-Schwartz, présidente et chef de la direction, Imagine Canada, et ancienne présidente du Groupe d’expertes sur les mécanismes de responsabilisation pour l’égalité entre les sexes, FEWO Témoignages, 8 avril 2008 (0900). [21] Dorienne Rowan-Campbell, conseillère en matière de développement et d’égalité entre les sexes et ancienne membre du Groupe d’expertes sur les mécanismes de responsabilisation pour l’égalité entre les sexes, FEWO Témoignages, 8 avril 2008 (0905). [22] Condition féminine Canada, définition de l’analyse comparative entre les sexes (ACS). [23] Nancy Peckford, directrice de programmes, Alliance canadienne féministe pour l’action internationale, FEWO Témoignages, 13 mars 2008 (0940); Condition féminine Canada, À l’aube du XXIe siècle : plan fédéral pour l’égalité entre les sexes, août 1995. [24] Kathleen McHugh, présidente intérimaire, Conseil des femmes de l’Assemblée des Premières nations, FEWO Témoignages, 10 avril 2008 (1005). [25] John R. Bartle, directeur et professeur, École d’administration publique, Université du Nebraska à Omaha, FEWO Témoignages, 3 décembre 2007 (1535). [26] Centre de recherches pour le développement international, « L’établissement de budgets plus favorables à l’égalité entre les sexes », mémoire présenté au Comité permanent de la condition féminine de la Chambre des communes, 25 avril 2008. [27] Ellen Russell, professeure, École d’administration et de politique publique, Université Carleton, FEWO Témoignages, 3 décembre 2007 (1545). [28] Armine Yalnizyan, économiste principale, Centre canadien de politiques alternatives, FEWO Témoignages, 13 mars 2008 (0915). [29] Kathleen Lahey, « Le budget sexospécifique : Analyse comparative entre les sexes des revenus et des dépenses », mémoire présenté au Comité permanent de la condition féminine de la Chambre des communes, 28 novembre 2007, p. 6 et 7. [30] Kathleen Lahey, professeure, Institute of Women's Studies, Université Queen’s, FEWO Témoignages, 28 novembre (1610). [31] David Good, professeur, École d’administration publique, Université de Victoria, FEWO Témoignages, 28 février 2008 (0915). [32] Ibid. (0915). [33] Debbie Budlender, chercheuse spécialisée, Agence communautaire pour enquête sociale, Afrique du Sud, FEWO Témoignages, 10 décembre 2007 (1645). [34] Le Forum économique mondial est une organisation internationale, indépendante et non partisane qui permet aux dirigeants d’établir des partenariats afin de définir des stratégies mondiales, régionales et industrielles. Pour en savoir plus, consulter le site http://www.weforum.org/en/index.htm (en anglais seulement). [35] Le Forum économique mondial a intégré l’égalité entre les sexes comme mesure de la compétitivité économique et il a conçu un indice de l’inégalité entre les sexes. [36] Diane Elson, « Integrating Gender into Government Budgets within a Context of Economic Reform », dans Debbie Budlender et autres, Gender Budgets Make Cents, Commonwealth Secretariat, Londres, 2002, p. 25. [37] Helena Hofbauer Balmori, Gender and Budgets, BRIDGE, Université de Sussex, février 2003, p. 5. [38] Noleen Heyzer, « Preface », dans Diane Elson, Budgeting for Women's Rights: Monitoring Government Budgets for Compliance With CEDAW, UNIFEM 2006, p. 1. [Traduction] [39] Clare Beckton, coordonnatrice, CFC, FEWO Témoignages, 10 décembre 2007 (1545). [40] Nancy Peckford, directrice de programmes, Alliance canadienne féministe pour l’action internationale, FEWO Témoignages, 13 mars 2008 (0940). [41] Ibid. (0945). [42] Kathleen Lahey, « Critique de l’analyse comparative entre les sexes des mesures fiscales dans les budgets de 2006 et de 2007 du ministère des Finances », mémoire présenté au Comité permanent de la condition féminine, 1er avril 2008. [43] David Good, professeur, École d’administration publique, Université de Victoria, FEWO Témoignages, 28 février 2008 (0905). [44] David Good, The Politics of Public Money, University of Toronto Press, Toronto, 2008, p. 46. [45] Robert Wright, sous-ministre, Finances, FEWO Témoignages, 15 avril 2008 (0855). [46] Ibid. (0845). [47] Ibid. [48] David Good, professeur, École d’administration publique, Université de Victoria, FEWO Témoignages, 28 février 2008 (0905). [49] Marilyn M. Rubin et John R. Bartle, « Integrating Gender into Government Budgets: A New Perspective », Public Administration Review, vol. 65, no 3, 2005, p. 259-272, p. 260. [Traduction] |