RNNR Rapport du Comité
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CHAPITRE 2 — UNE INDUSTRIE EN CRISE L’industrie forestière canadienne vit actuellement une des périodes les plus difficiles de son histoire. Comme l’a dit John Allan, PDG du Council of Forest Industries dans son témoignage devant le Comité, « l’industrie vit une crise d’une ampleur sans précédent[2] ». Plus que jamais, des ajustements structurels à grande échelle semblent nécessaires pour permettre à l’industrie de s’adapter au ralentissement actuel, et éventuellement de passer outre. Ressources naturelles Canada fait état de la fermeture de plus de 300 usines depuis 2003 (papeteries, machines à papier, scieries, etc.) et de la perte de quelque 33 000 emplois en usine[3]. Les pertes d’emplois se sont accélérées en 2006 et 2007. Le type de pertes d’emplois varie selon la région et la province. Dans l’ensemble, depuis 2003, près du tiers des emplois perdus dans le secteur forestier l’ont été au Québec. Mises à pied dans le secteur forestier
canadien par province
Source : Ressources naturelles Canada Les fermetures d’usine et pertes d’emplois ont des répercussions dans toute l’économie. Les entreprises qui fournissent les produits et services aux compagnies forestières subissent également l’impact économique de la crise. Ces fermetures d’usines et pertes d’emplois ont eu un impact socioéconomique profond; des dizaines de localités dépendantes de la forêt pour leur survie font maintenant face à un avenir incertain. Le Comité a entendu le témoignage de plusieurs maires et préfets de ces localités : les fermetures et pertes d’emplois ont un impact social et économique considérable sur leurs localités. Dans de nombreuses localités, des gens partent et quittent leur famille, les centres de santé et les écoles subissent des pertes et les infrastructures municipales ne sont pas renouvelées. Jim Scarrow, maire de Prince Albert en Saskatchewan, a dit au Comité que sa ville a déjà perdu plus de 3,3 millions de dollars de recettes fiscales annuelles à cause des fermetures d’usines. La clientèle scolaire locale a diminué considérablement : le réseau scolaire de Prince Albert aurait perdu plus de 1 000 élèves[4]. Les élus municipaux et les chefs syndicaux qui ont comparu devant le Comité conviennent généralement que les gouvernements n’ont pas réagi assez vite et n’ont pas fourni suffisamment de ressources pour aider les nombreuses populations mises à mal par le ralentissement du secteur forestier. Comme le dit Joe Hanlon dans son témoignage : « Les habitants de White River et de Dubreuilville et les autres collectivités qui connaissent le même sort méritent mieux. Ce sont des gens qui ont une vraie famille et qui vivent dans de vraies collectivités. Dans bon nombre de ces petites villes, il n'y a pas d'autres emplois. Comment ces petites localités du nord de l'Ontario pourront-elles continuer à offrir des services publics si personne ne paie de taxes et d’impôts? Comment les habitants de ces villes et villages pourront-ils continuer à vivre là? Ils ne le pourront pas — une fois leurs prestations d'assurance-emploi épuisées, ils n'auront plus de revenus[5]. » La Fiducie nationale pour le développement communautaire, fonds triennal doté d’un milliard de dollars, a été créée par le gouvernement fédéral pour venir en aide aux collectivités et aux travailleurs confrontés aux défis de l’adaptation aux changements dans les secteurs forestier et manufacturier. Chaque province recevra un forfait de dix millions de dollars et chaque territoire, trois millions; le solde sera réparti au prorata de la population. On prévoit que les fonds seront affectés par les provinces et territoires au recyclage des travailleurs, aux plans de transition locaux et à la diversification économique. Il est encore trop tôt pour parler ici des projets financés et des résultats atteints. Certains des témoins craignent que cette mesure soit trop modeste et que ses objectifs soient trop larges pour vraiment aider nos collectivités forestières en crise. D’autres disent espérer que les provinces et territoires utiliseront les fonds pour aider les travailleurs victimes du ralentissement de l’industrie forestière. Facteurs de la crise du secteur forestier canadien Plusieurs facteurs, au pays et à l’étranger, ont entraîné une baisse de la production et de la rentabilité, des fermetures d’usines et des pertes d’emplois dans le secteur forestier canadien. Mentionnons l’effondrement du marché de l’habitation aux États-Unis, l’intensification de la concurrence internationale, l’appréciation rapide du dollar canadien, le déclin de la productivité, etc. Marché de la construction résidentielle aux États‑Unis La construction résidentielle aux États‑Unis a toujours été un marché clé pour nos producteurs de bois d’œuvre. Récemment, la demande pour des semi‑produits comme le bois d’œuvre et les panneaux de bois a baissé considérablement avec le ralentissement du secteur domiciliaire américain. Les mises en chantier de maisons ont diminué aux États‑Unis de 27 p. 100 en 2007 par rapport à l’année précédente. Nos exportations de bois y ont diminué en conséquence d’environ 25 p. 100. La concurrence étrangère, notamment des producteurs chinois de contreplaqué, aggrave cette baisse. Selon Ressources naturelles Canada, le prix du bois de charpente a atteint en février 2008 son plus bas niveau depuis 1991. Chute de la demande de papier journal et intensification de la concurrence étrangère Le Canada a toujours été un grand producteur de papier journal. La demande nord‑américaine de papier journal est cependant en train de s’effondrer, ce qui met une pression énorme sur les producteurs canadiens. Concrètement, la demande a chuté de plus de 30 p. 100 depuis 2001 et devrait continuer de baisser : les consommateurs des pays industrialisés boudent de plus en plus les journaux au profit d’Internet et des médias électroniques. Ainsi, Ressources naturelles Canada signale que février 2008 marque le 57e mois consécutif de baisse annuelle de la consommation de papier journal aux États-Unis. En outre, nos producteurs de papier journal sont incapables de concurrencer les producteurs à faibles coûts d’Asie et d’Amérique du Sud, et se font évincer de ce marché autrefois lucratif. Bien des témoins qui ont comparu devant le Comité voient un avenir très sombre pour la production canadienne de papier journal. Appréciation de la devise canadienne Le dollar canadien est passé d’un creux de 62 ¢ américains en janvier 2002 à la parité (et au-delà) en moins de six ans. L’appréciation rapide de notre devise par rapport à celle de notre premier partenaire commercial a sensiblement réduit la rentabilité des compagnies forestières canadiennes étant donné que la plupart de leurs produits sont vendus en dollars américains alors que les intrants (fibre, main-d’œuvre, énergie) sont libellés en dollars canadiens. La plupart des compagnies forestières sont incapables de s’adapter suffisamment rapidement à l’appréciation rapide du dollar canadien. PricewaterhouseCoopers estime que chaque appréciation annuelle moyenne d’un cent du dollar canadien par rapport au dollar américain coûte à notre secteur forestier environ 500 millions de dollars[6]. Selon l’industrie, la force de notre dollar a nui à la compétitivité des entreprises canadiennes à court terme, la plus grande partie de la rationalisation dans l’industrie du papier journal s’étant opérée de notre côté de la frontière. Plusieurs témoins nous ont dit qu’une des raisons pour lesquelles le secteur forestier canadien éprouve présentement des problèmes, c’est qu’il a trop longtemps négligé d’investir suffisamment en recherche et développement, dans les technologies nouvelles, les nouvelles usines et les nouvelles machines. Il y a à cela plusieurs causes plausibles : ainsi, on a évoqué le fait que depuis dix ans, beaucoup de compagnies forestières canadiennes ont misé sur la faible valeur du dollar canadien, qui constituait leur principal avantage concurrentiel, et n’ont pas fait les investissements nécessaires pour améliorer leur productivité et leur position concurrentielle sur la scène internationale. Alors que certaines compagnies forestières canadiennes ont mis à niveau leurs usines et leur équipement, le fait demeure que les capitaux investis dans le secteur forestier canadien dans son ensemble sont âgés et moins productifs en moyenne que chez nos concurrents étrangers[7]. Résultat, nos compagnies sont plus vulnérables aux baisses du marché, et moins capables de soutenir la concurrence mondiale. La force du dollar canadien par rapport au dollar américain donne à certaines entreprises l’occasion d’acheter de la machinerie et de l’équipement dernier cri des fabricants américains, et d’améliorer ainsi leur compétitivité. Épidémie du dendroctone du pin La Colombie‑Britannique est aux prises avec une infestation de dendroctone du pin qui est la plus grave épidémie d’une espèce de scolyte dans l’histoire de l’Amérique du Nord. Ce ravageur a déjà détruit d’immenses étendues des forêts de pin ponderosa dans cette province. À partir du taux actuel de propagation, Ressources naturelles Canada extrapole qu’environ 50 p. 100 des forêts adultes de pins de la province seront mortes d’ici la fin de l’année et 80 p. 100 (ce qui représente environ 1 milliard de mètres cubes), d’ici 2013. Cette épidémie aura des conséquences à long terme sur l’industrie forestière britanno-colombienne et sur les localités touchées. Déjà présente en Alberta, l’épidémie menace aujourd’hui la forêt boréale canadienne située plus à l’est, ainsi que ses écosystèmes et le bien-être économique de nombreuses localités dépendantes de la forêt. Dans le budget 2006, le gouvernement fédéral a alloué jusqu’à 200 millions de dollars pour lutter contre l’infestation du dendroctone et pour aider l’industrie et les collectivités touchées à en gérer les répercussions économiques. La moitié de la somme est allée à RNCan pour diverses actions anti-dendroctone (voir le tableau ci-après). L’autre moitié a été partagée entre Diversification de l’économie de l’Ouest (56 M$) et Transports Canada (44 M$) pour permettre que soient apportées les améliorations nécessaires à l’infrastructure et pour appuyer une plus grande diversification économique.
Source : Ressources naturelles Canada (16 avril 2008) Plusieurs témoins ont affirmé que le coût élevé de la fibre ligneuse[8] constitue un désavantage concurrentiel pour certaines compagnies forestières canadiennes. Le coût de la fibre varie d’une région à l’autre. Dans l’intérieur de la Colombie‑Britannique, le coût du bois est remarquablement concurrentiel, surtout à cause de l’augmentation considérable ‑ mais temporaire ‑ des volumes de coupe de pins morts après l’infestation du dendroctone. À l’opposé, le coût de la fibre dans presque tout l’Est du Canada est considéré comme très élevé par rapport à la moyenne internationale, en particulier lorsqu’on le compare au coût dans des pays émergents comme le Brésil, où les arbres de bonne qualité poussent très vite. Des témoins ont dit que le coût de la fibre au Québec est parmi les plus élevés du monde. Les répercussions sur les localités et les producteurs forestiers canadiens de l’Accord sur le bois d’œuvre passé entre le Canada et les États‑Unis ne font pas l’unanimité chez les témoins. Certains, comme Bob Matters, président du Conseil du bois des métallos, soutiennent que l’Accord nuit à l’industrie canadienne et devrait être revu, voire abandonné[9]. D’autres, comme John Allan du Council of Forest Industries, disent que l’Accord est de loin préférable aux poursuites et aux différends qui persistaient avec les États‑Unis[10]. Coûts de transport et d’énergie élevés Les coûts relatifs au transport de la fibre et des produits finis, ainsi que ceux reliés à l’énergie lors de la transformation, représentent une part importante de l’ensemble des coûts de production de l’industrie canadienne des produits forestiers. L’Association des produits forestiers du Canada (APFC) estime que « [l]es coûts de transport sont au deuxième rang en importance parmi les éléments de coûts du secteur[11] ». Évidemment, l’augmentation des coûts du carburant au cours des dernières années a aussi contribué de façon sensible à l’augmentation des coûts de transport des produits forestiers. Par ailleurs, les coûts de l’énergie sont aussi un important facteur de coût. De fait, le secteur des pâtes et papiers est le plus grand utilisateur industriel d’énergie au Canada. Bien que ce secteur génère lui-même près de 60 p. 100 de l’énergie dont il a besoin à partir de sources renouvelables, il a souffert de la hausse des prix des combustibles fossiles et des tarifs industriels d’électricité. Malgré cet état de fait, il reste qu’au chapitre de l’énergie, certaines régions du Canada bénéficient encore de tarifs concurrentiels, ce qui au dire de l’APFC procure au Canada un réel avantage en tant que producteur mondial de fibre de résineux[12]. Si beaucoup de facteurs présentés ici échappent largement au contrôle de l’industrie, au moins un témoin estime que la gravité de la crise actuelle dans l’industrie forestière peut s’expliquer par des facteurs structurels[13]. Parmi les facteurs cités, le plus important est de loin la priorité accordée par l’industrie canadienne aux productions de faible valeur comme le papier journal et le bois d’œuvre destinés aux États-Unis. Un autre témoin a affirmé que notre industrie forestière peine aujourd’hui à être concurrentielle parce qu’elle a été trop longtemps sur le « pilote automatique »[14]. Comme on l’expliquera plus loin, il est essentiel que l’industrie développe ses forces et s’attaque à de nouveaux produits à valeur ajoutée et à de nouveaux marchés, y compris au Canada, si elle veut pouvoir survivre et prospérer. [2] John Allan, Council of Forest Industries, Témoignages du Comité, 4 mars 2004. [3] Note : Ces chiffres n’incluent pas les pertes d’emploi en forêt, dans le secteur de l’abattage. [4] Jim Scarrow, Ville de Prince Albert, Témoignages du Comité, 11 mars 2008. [5] Voir par exemple le témoignage de Joe Hanlon du Syndicat des Métallos, Témoignages du Comité, 13 mars 2008. [6] Association des produits forestiers du Canada. Mémoire présenté au Comité. [7] Association des produits forestiers du Canada, L’industrie à la croisée des chemins: choisir la voie vers le renouvellement, Rapport du Groupe de travail sur la compétitivité de l'industrie des produits forestiers, mai 2007. [8] RNCan définit la fibre ligneuse comme suit : Matériau obtenu par réduction du bois suivant un procédé mécanique ou chimique ou par la combinaison des deux. La fibre vierge réfère à la matière ligneuse non encore transformée des arbres tandis que la fibre dite recyclée réfère à la fibre qui a d’abord été extraite d’un premier produit avant d’être traitée de nouveau dans le but d’être incorporée dans un nouveau produit. [9] Bob Matters, Conseil du bois pour les Métallos, Témoignages du Comité, 13 mars 2008. [10] John Allan, Council of Forest Industries, Témoignages du Comité, 4 mars 2008. [11] Association des produits forestiers du Canada, présentation au Comité permanent des ressources naturelles, 1er avril 2008. [12] Les coûts de l’énergie peuvent représenter jusqu’à 21 p. 100 des coûts de production du papier journal dans l’Est canadien, selon l’Association des produits forestiers du Canada (2007), op. cit. [13] Hugo Asselin, Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue, Témoignages du Comité, 11 mars 2008. |