INDU Rapport du Comité
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CHAPITRE 2 : LE SECTEUR MANUFACTURIER Vente de produits et expéditions Les ventes de produits manufacturés canadiens ont progressé régulièrement, mais modestement — chaque année entre 2002 et 2007 en dépit de l’appréciation du dollar canadien — et n’ont commencé à reculer légèrement qu’en 2008 (paradoxalement à un moment où le dollar canadien commençait en fait à fléchir). Les fabricants canadiens ont vendu pour 559,9 milliards et 607,3 milliards de dollars de produits en 2002 et 2007 respectivement, ce qui représente une augmentation de seulement 9,6 % durant cette période de cinq ans. À titre de comparaison, les ventes de produits manufacturés canadiens avaient progressé de 29,4 % dans les cinq ans qui ont précédé l’appréciation du dollar canadien — une période notable pour la glissade du dollar canadien qui est tombé à un creux sans précédent de 61,79 ¢ US. Les ventes de produits manufacturés ont été ramenées à 604,7 milliards de dollars en 2008, soit une baisse de seulement 0,4 % par rapport à 2007. Graphique 4 Source : Statistique Canada, Le Quotidien, Enquête mensuelle sur les industries manufacturières, 15 mai 2008 et divers autres numéros. En fait, les données annuelles masquent une tendance plus troublante. En 2008, les ventes de produits manufacturés présentaient une légère baisse, mais cette baisse tenait surtout de facteurs autres que l’évolution de la valeur du dollar canadien. En fait, le repli du dollar canadien depuis novembre 2007 a porté les ventes de produits manufacturés durant les second et troisième trimestres de 2008 à un sommet. Quand on distribue les données de 2008 par trimestre, cependant, on voit clairement que la piètre performance du secteur manufacturier a été limitée au dernier trimestre de 2008 (voir le graphique 4) et tient à la récession mondiale. En effet, les ventes de produits manufacturés du Canada se sont chiffrées à 143,2 milliards de dollars au quatrième trimestre de 2008, en baisse de 9 % par rapport aux 157,4 milliards du troisième trimestre. La récession a continué d’affecter les ventes du secteur en 2009. Elles ont totalisé 126 milliards de dollars au premier trimestre de 2009, ce qui représente un recul de 12 % par rapport au quatrième trimestre de 2008. Ces deux baisses trimestrielles consécutives ont été les plus importantes baisses d’un trimestre sur l’autre depuis que Statistique Canada a commencé à recueillir ces données en 1992. La plus importante baisse en importance après celles-ci en représentait moins de la moitié, à savoir -4,4 %, entre le quatrième trimestre de 2000 et le premier trimestre de 2001. Le secteur manufacturier canadien est concentré en Ontario, le Québec et l’Alberta venant ensuite, loin derrière. Ces trois provinces ont compté pour plus de 85 % des expéditions totales de produits manufacturés du Canada en 2008. Comme on pouvait s’y attendre, c’est en Ontario qu’on a observé la plus forte baisse des expéditions, en termes absolus et en termes relatifs, entre 2002 et 2008. En fait, celles de 2008 étaient supérieures à celles de 2002 dans toutes les provinces sauf en Ontario. Ainsi, l’Ontario, qui avait compté pour 53 % des expéditions canadiennes totales en 2002 n’a justifié que de 46 % des expéditions à l’échelle du Canada en 2008. La contraction de la demande de l’étranger et les piètres résultats financiers — conséquence de la forte appréciation du dollar canadien — ont entraîné de nombreuses fermetures d’usines, permanentes et temporaires, et plusieurs séries de licenciements dans le secteur manufacturier. Depuis le sommet de 2,3 millions d’emplois en novembre 2002, les emplois baissent dans le secteur manufacturier. En juillet 2008, il y en avait un peu moins de 2 millions. Le nombre total de salariés licenciés durant cette période a été de 375 100 personnes ou 16,1 % des personnes occupées dans le secteur en novembre 2002 (voir le graphique 5). Graphique 5 Source : Statistique Canada, Enquête sur la population active, diverses dates. La situation de l’emploi dans le secteur s’est redressée pendant trois mois après juillet 2008 — quand le dollar canadien a reculé et que les ventes de produits manufacturiers ont rebondi —, mais quand la récession s’est installée aux États-Unis durant le second semestre, l’emploi a de nouveau reculé. En mars 2009, le secteur manufacturier employait 1,8 million de personnes au Canada, ce qui représentait une nouvelle baisse de 136 900 personnes en huit mois seulement (depuis juillet 2008). En outre, les pertes d’emplois durant le premier trimestre de 2009 se sont élevées à 102 400 emplois, soit une perte deux fois plus importante que les pertes trimestrielles enregistrées lors de la flambée des cours des marchandises. Ainsi, la récession mondiale a été beaucoup plus néfaste pour l’emploi dans le secteur manufacturier du Canada que la flambée des cours mondiaux des marchandises. Avec le recul des expéditions à partir de 2001 — la chute des prix en termes réels ou en termes de pouvoir d’achat (c’est-à-dire que les prix augmentent moins vite que le taux général d’inflation) à compter de 2001 — et l’augmentation considérable des coûts de l’énergie depuis 1998, les bénéfices d’exploitation du secteur manufacturier ont reculé, passant de 54,7 milliards de dollars en 2000 à 33,5 milliards de dollars en 2003, ce qui représente une baisse de 39 % en seulement trois ans. La concurrence s’étant avivée, les entreprises ont réagi par d’importants licenciements et la fermeture de nombreuses usines en 2003, si bien que les bénéfices d’exploitation ont rebondi pour atteindre 45,2 milliards de dollars en 2004 et tournent autour de ce chiffre depuis. Sur une base trimestrielle, les bénéfices d’exploitation étaient de l’ordre de 11 à 12 milliards de dollars jusqu’à ce que la récession intervienne au quatrième trimestre de 2008, durant lequel ils sont tombés à 10,5 milliards (voir le graphique 6). Graphique 6 Source : Statistique Canada, L’Observateur économique canadien, diverses dates. Les bénéfices nets du secteur manufacturier ont évolué dans le même sens que les bénéfices d’exploitation, passant de 35,6 milliards de dollars en 2000 à 19,5 milliards de dollars en 2001 — une chute de 45 % en un an seulement — pour remonter à 30,4 milliards de dollars en 2007. Les bénéfices nets de 2007 et 2008 ont été inférieurs d’environ 15 % à ceux de 2000. Enfin, la marge bénéficiaire et le rendement des capitaux engagés du secteur, qui étaient d’environ 8 % et 9 % respectivement en 2000, ont tous les deux baissé pour s’établir approximativement à 7 % durant cette période. L’évolution de l’emploi dans le secteur manufacturier entre 2002 et 2008 contraste vivement avec l’évolution des ventes du secteur et la contribution de celui-ci au PIB. En 2008, l’emploi dans le secteur était en baisse de 13,8 % par rapport à 2002, mais l’apport du secteur manufacturier au PIB n’a baissé que de 2,1 % durant la même période (voir le graphique 7). La différence entre ces deux indicateurs amène à conclure que la perte de compétitivité du secteur manufacturier canadien résultant de la forte appréciation du dollar canadien a forcé les fabricants à relever la productivité du travail en sabrant les effectifs et non en investissant davantage dans les machines et le matériel susceptibles d’accroître la productivité. Graphique 7 Source : Statistique Canada, Produit intérieur brut par industrie et Enquête sur la population active, diverses dates. L’évolution des investissements du secteur manufacturier dans les machines et le matériel suit l’évolution de ses bénéfices d’exploitation avec un décalage d’un an. L’investissement dans les machines et le matériel a culminé à 18,8 milliards de dollars en 1999, est tombé à 15,1 milliards de dollars en 2002, pour ensuite remonter à 17,0 milliards de dollars en 2008 (voir le graphique 8). Durant toute la période, l’investissement dans les machines et le matériel a représenté en moyenne environ 40 % des bénéfices d’exploitation[15]. Graphique 8 Source : Statistique Canada, tableau CANSIM 281-0009. Graphique 9 Source : Russell Kowaluk et Will Gibbons, Fabrication : bilan de l’année 2007, Statistique Canada, no 11-261-M au catalogue, avril 2008. Malgré les résultats respectables du secteur manufacturier sur le plan des mesures qu’il pouvait prendre en réaction à la conjoncture (réallocation de la production, compressions d’effectifs, réduction des gammes de produits, externalisation de la production des intrants non essentiels) entre 2002 et 2007, la perte d’économies d’échelle imputable au fléchissement de la demande et la stagnation de l’investissement dans les machines et le matériel causée par la rentabilité relativement faible se sont conjuguées pour faire évoluer la productivité du travail en dents de scie. Celle-ci a progressé en moyenne de 1,7 % par an entre 2002 et 2007, ce qui est bien en deçà du taux de plus de 4 % par année enregistré de 1998 à 2000 (voir le graphique 9). Sur une note plus positive, sur ce plan, le secteur manufacturier l’a emporté sur le secteur des entreprises, où la productivité du travail n’a progressé que de 1,1 % entre 2002 et 2007. Perspectives : nouvelles commandes, occasions d’affaires et financement L’analyse qui précède couvre le passé et nous amène au présent. Nous étudierons maintenant l’avenir proche et pour cela, le Comité s’en remet au témoignage des personnes qu’il a entendues et aux indicateurs économiques qu’elles lui ont présentés. Le Comité a trouvé particulièrement instructifs les résultats de l’enquête sur la conjoncture menée en mars 2009 par Manufacturiers et Exportateurs du Canada (MEC) et à laquelle ont participé 717 entreprises de tout le pays allant de petites entreprises comptant un seul salarié à des entreprises en comptant plus de 500. Environ la moitié des fabricants qui ont répondu à l’enquête ont dit s’attendre à une baisse des nouvelles commandes pour les trois mois suivant l’enquête, le tiers prévoyant un niveau analogue à celui du premier trimestre de 2009 et les 18 % restants se disant convaincus d’une progression de leurs commandes au second trimestre de 2009 (voir le tableau 2). Si le bilan de l’enquête n’est pas particulièrement encourageant, il est néanmoins meilleur que celui des réponses de février aux mêmes questions. Tableau 2
Source : Manufacturiers et Exportateurs du Canada. Dans l’ensemble, les stocks de matériel et de produits finis des fabricants sont considérés comme trop élevés (voir le tableau 2). On a donc des raisons de penser que les nouvelles commandes, en baisse, seront remplies le plus souvent à partir des stocks de produits finis, ce qui limitera la nouvelle production (et les besoins de main-d’oeuvre). Le recours aux stocks de matériel attendu dans les trois mois suivant l’enquête indique que la demande de matériel devrait baisser (et les nouvelles commandes ne devraient pas stimuler non plus les emplois indirects). Tableau 3
Source : Manufacturiers et Exportateurs du Canada. Lors d’un ralentissement économique, les entreprises ont tendance au début à essayer de conserver leurs salariés. Elles ne veulent perdre ni leurs employés ni les compétences spécialisées qu’ils ont acquises — et elles ne procèdent à des licenciements que lorsqu’il devient évident que la reprise va se prolonger et qu’elles vont s’affairer à survivre. À ce stade-là, les entreprises cherchent à s’autofinancer ou demandent une augmentation de leur marge de crédit d’exploitation pour compenser l’insuffisance des rentrées de fonds. Au cours des trois mois précédant l’enquête menée par MEC, 22 % seulement des fabricants ont demandé une augmentation de leur marge de crédit; 78 % n’ont pas eu besoin de le faire (voir le tableau 3). Plus de la moitié des entreprises qui ont demandé une augmentation de leur marge de crédit l’on fait pour couvrir leurs dépenses courantes (52 %) et 37 % l’ont fait pour développer leur entreprise (dépenses courantes ou dépenses de R-D). La moitié environ des entreprises qui ont cherché à faire relever leur marge de crédit ont eu gain de cause (49 %), le tiers ont vu leur demande rejetée, et les autres (18 %) n’avaient pas encore eu de réponse au moment de l’enquête. Parmi ceux qui avaient demandé une augmentation et ne l’ont pas obtenue, dans 31 % des cas l’institution financière estimait que le secteur d’activité du demandeur présentait trop de risques, dans 27 % des cas l’entreprise n’avait pas suffisamment de biens à donner en garantie, dans 12 % des cas l’entreprise était trop endettée et dans 4 % des cas, l’entreprise a retiré sa demande en raison des frais bancaires élevés. De nombreuses entreprises canadiennes se rendent compte qu’elles doivent se positionner de manière à être prêtes à saisir les possibilités que présentera la reprise. Un des témoins entendus par le Comité a bien décrit la situation : Il ne faut pas oublier qu'en ces temps économiques difficiles, les compagnies peuvent également saisir certaines occasions. À la fin de cette récession, nous savons que les consommateurs voudront d'autres choses, fournies différemment, et la nature du secteur manufacturier va changer également. Il faut réfléchir à la situation actuelle du secteur, mais aussi à ce qu'il sera dans les 10 prochaines années, ou à la sortie de cette récession. Jayson Myers, Manufacturiers et Exportateurs du Canada, 6: 9:15 Les témoins ont parlé des transformations structurelles du secteur manufacturier. En particulier, la Chine et les autres économies émergentes livrent maintenant une vive concurrence aux entreprises canadiennes dans la production de produits intermédiaires et de produits de consommation, particulièrement dans le cas des produits qui exigent peu de compétences spécialisées et un faible niveau technologique. Un témoin en particulier a commenté l’apparition de la Chine sur la scène internationale et l’augmentation des exigences des manufacturiers canadiens en matière de compétences : Il y a aussi une plus grande concurrence de la part des marchés émergents. L'exemple le plus probant est peut-être l'émergence de la Chine sur la scène mondiale après son entrée à l'OMC en 2001 […] L'exigence de meilleures compétences de notre main-d’œuvre manufacturière est un autre grand changement. On demande de plus en plus de qualification, et cela veut dire que les manufacturiers font de plus en plus concurrence à d'autres secteurs de l'économie pour trouver de la main-d’œuvre. Finalement, il y a une disparition des industries à faible valeur ajoutée et à forte intensité de main-d’œuvre au Canada. Michael Burt, Conference Board du Canada, 6: 9:10 Le Comité pense que ces phénomènes ne sont pas totalement indépendants l’un de l’autre : l’apparition de la Chine sur la scène internationale avec son vaste éventail de produits manufacturés à forte intensité de main-d’œuvre peu qualifiée a entraîné une restructuration de l’industrie canadienne vers des produits manufacturés à forte intensité de main-d’œuvre qualifiée et de technologies de pointe. Cet ajustement structurel signifie que les fabricants canadiens doivent continuer d’évoluer, de s’adapter et de réorienter leurs activités en conséquence : Aujourd'hui, l'argent n'est pas dans la production. Il est dans les services, la conception, l'ingénierie, la recherche, l'innovation, la logistique, la livraison et les services à la clientèle que cette production implique. Cependant, le produit est un point d'ancrage important. Jayson Myers, Manufacturiers et Exportateurs du Canada, 6: 9:15 Le Comité pense que, règle générale, les manufacturiers canadiens comprennent l’évolution de la situation et les défis qu’elle présente. Beaucoup se rendent compte aussi que le changement peut présenter des possibilités intéressantes, mais cela exigera un financement externe. Malheureusement, 59 % des manufacturiers disent avoir du mal à obtenir un financement suffisant, surtout en ce qui concerne des lignes de crédit, du fonds de roulement, des immobilisations et des investissements dans les nouvelles technologies (voir le tableau 4). Tableau 4
Source : Manufacturiers et Exportateurs du Canada. En conclusion, le Comité est conscient du fait que, en période de récession, les conditions du crédit se resserrent, ce qui peut empêcher les entreprises qui ont de bons projets d’investissement de trouver du financement par emprunt. Avec le temps, les conditions du crédit vont s’assouplir et permettront aux manufacturiers (en général) d’investir dans les machines et le matériel de manière à accroître leur productivité pour mieux soutenir la concurrence des entreprises étrangères sur les marchés mondiaux. Le Comité pense aussi qu’avec la reprise, il est probable qu’une nouvelle flambée des cours des produits de base se manifeste; occasionnée encore une fois par la demande émanant de pays comme la Chine, l’Inde et les pays du Sud-Est asiatique, de même qu’une appréciation concomitante du dollar canadien qui portera celui-ci presque à parité avec le dollar américain. Dans ce scénario, le secteur manufacturier devra investir dans les machines et le matériel pour réaliser des gains de productivité au lieu de se contenter comme maintenant de réduire l’emploi. Les politiques des pouvoirs publics doivent refléter cette nouvelle réalité fondamentale. [15] Statistique Canada, tableau CANSIM 281-0009. |