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JUST Rapport du Comité

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Comité permanent de la justice et des droits de la personne

Opinion supplémentaire concernant la conduite avec facultés affaiblies

Produit le 11 juin 2009 au nom de M. Comartin, député (Windsor-Tecumseh) NPD Porte-parole en matière de justice

INTRODUCTION

Le Comité permanent de la justice et des droits de la personne, conformément à son mandat de superviser toutes les questions de justice pénale qui sont soumises à la Chambre des communes, effectue depuis février 2008 une étude intensive des questions relatives aux répercussions criminelles, sociales et humaines de la conduite avec facultés affaiblies au Canada.

Entre le 7 février 2009 et le 2 mars 2009, le Comité de la justice a consulté des témoins provenant d’un large éventail milieux, notamment l’application de la loi, la fonction publique fédérale, le milieu universitaire, l’industrie et les organismes de défense des victimes. Cette série diversifiée de témoins a vraiment éclairé les délibérations du Comité et a permis de présenter à ses membres et au public un aperçu équilibré et objectif des paramètres historiques et contemporains de la conduite avec facultés affaiblies au Canada.

Un fort consensus entre les diverses parties selon lequel la conduite avec facultés affaiblies était une préoccupation importante se percevait tout au long du travail du Comité. Tous les membres ont exprimé leur conviction que des mesures législatives et réglementaires sévères étaient nécessaires pour s’attaquer au fléau persistant de la conduite avec facultés affaiblies, dont la dure réalité a été exposée par des tragédies personnelles intimes et souvent déchirantes décrites avec de vives émotions par plusieurs témoins.

Le ton du travail du Comité était à quelques exceptions près admirablement collégial et les membres de toutes les parties ont traité dans l’ensemble les délibérations avec le professionnalisme qui s’imposait.

Le rapport majoritaire produit en bout de ligne après l’enquête du Comité contient plusieurs recommandations importantes qui reçoivent l’aval de toutes les parties et en arrive à un équilibre entre les priorités contradictoires des intervenants. Le présent rapport minoritaire est produit pour mettre en relief quelques lacunes qui pourraient être comblées pour assurer que les recommandations finales du Comité sur cette question de politique publique cruciale servent les Canadiens de la meilleure façon possible.

LE CONTEXTE CONTEMPORAIN DE LA CONDUITE AVEC FACULTÉS AFFAIBLIES AU CANADA

À la fin des années 1990, il y a eu un déclin considérable de la prévalence de la conduite avec facultés affaiblies au Canada et en même temps une baisse du nombre d’inculpations, de condamnations et de mortalités connexes[1]. Bien que la détermination de la cause précise de ce déclin soit dans une certaine mesure un exercice politiquement subjectif, il est généralement convenu que l’application renforcée de la loi par les autorités provinciales et territoriales, conjuguée à une intensification limitée et périodique des sanctions du Code criminel pendant cette période sont certainement des facteurs qui y ont contribué de façon importante. En outre, la campagne d’éducation publique nationale contre la conduite avec facultés affaiblies menée par des groupes comme MADD et nos services de police est une contribution positive pour changer les habitudes de conduite sous l’influence de l’alcool.

Toutefois des éléments importants laissent entendre que les autorités aux deux paliers de gouvernement ont récemment laissé leur fierté justifiée à l’égard de cette réussite dégénérer en complaisance. À l’exception d’un petit déclin en 2003-2004, les mortalités imputables aux incidents de conduite avec facultés affaiblies ont augmenté de façon constante au cours de la présente décennie. Il convient de noter que cette résurgence de mortalités s’est produite exactement au moment où les gouvernements provinciaux/territoriaux ont intensifié les pénalités pour les infractions liées à la conduite avec facultés affaiblies et où les nouvelles dispositions du Code criminel ont crée de toutes nouvelles catégories d’infractions, ciblant explicitement les conducteurs avec facultés affaiblies et ont éliminé les échappatoires techniques qui avaient pour l’effet d’empêcher indument les contrevenants d’être promptement reconnus coupables[2]. Bien que les statistiques finales ne soient pas encore disponibles pour 2007 ou 2008, il semble évident que l’augmentation s’est poursuivie.

Des consultations auprès de plusieurs organisations représentant le personnel de l’application de la loi au Canada et du milieu juridique élargi révèlent que la principale faille de notre cadre national pour traiter la conduite avec facultés affaiblies a toujours été et reste toujours matérielle. Accablés par les contraintes budgétaires accrues, les gouvernements fédéral et provinciaux ont trop souvent adopté la pratique contreproductive de renforcer les pénalités tout en ne finançant pas suffisamment la police, les procureurs et les juges pour traduire ces pénalités sévères en condamnations.

Lorsqu’il s’agit d’une pratique d’application de la loi qui exige beaucoup de surveillance, comme la conduite avec facultés affaiblies, même les peines les plus sévères imaginables auront peu d’effet si la police est trop éparpillée et sa couverture trop diluée pour appliquer adéquatement la loi ou si la Couronne et le système judiciaire sont inondés par une charge de travail impossible à gérer, comme c’est le cas, de façon démontrable dans plusieurs administrations provinciales aujourd’hui.

LES AVANTAGES D’UNE NORME NATIONALE DU TAUX D’ALCOOLÉMIE DE 0,05

La norme nationale de la conduite avec facultés affaiblies au Canada est établie à l’article 253 du Code criminel, qui fixe la limite criminelle d’intoxication maximale pendant la conduite d’un véhicule automobile à un taux d’alcoolémie de 0,08. Les provinces ont une grande latitude pour imposer des restrictions plus rigoureuses en matière de conduite avec facultés affaiblies, mais la marque de 0,08 représente la norme nationale statutaire.

Au niveau provincial, les lois sur la conduite avec facultés affaiblies sont définies par un ensemble de mesures disparates relâchées et inefficaces. Les diverses approches des provinces se traduisent par différentes politiques de suspension du permis qui varient largement entre des suspensions relativement minimes de 24 heures pour tout taux d’alcoolémie inférieur à la limite légale de 0,08 en vertu de la Traffic Safety Act de l’Alberta, à une suspension comparativement rigoureuse de trois jours pour un taux d’alcoolémie de 0,05 en vertu du Code de la route de l’Ontario et les pratiques sont encore plus divergentes lorsque les règlements provinciaux recoupent avec le Code criminel[3]. Ces dernières années, plusieurs provinces ont pris des mesures incohérentes pour imposer des pénalités plus sévères aux récidivistes qui, selon les statistiques, sont plus susceptibles de dépasser la limite du taux d’alcoolémie par une grande marge et être impliqués dans des accidents dangereux. Il est documenté que certaines provinces et régions, particulièrement le Québec et le milieu rural au Canada ont des niveaux d’application et des ratios arrestations-condamnations inférieurs dans les cas de conduites avec facultés affaiblies.

Bien que le cadre constitutionnel du Canada soit suffisamment unique que des comparaisons directes avec les systèmes fédéraux d’autres nations soient difficiles à établir, la gravité persistante du problème de la conduite avec facultés affaiblies nous oblige à envoyer un message de portée nationale convaincant et non équivoque, qui mérite mieux qu’un ensemble de mesures provinciales disparates. Seul une norme nationale rigoureuse peut obliger les autorités provinciales récalcitrantes à agir.

Comme plusieurs témoins l’ont suggéré, en vertu des dispositions actuelles du Code criminel, le Canada permet dans la pratique un taux d’alcoolémie parmi les plus élevés au monde. Ce problème est particulièrement aigu lorsque l’on considère que nos cours ont invariablement accordés aux accusés de généreuses réductions en évoquant la marge d’erreur dans leur évaluation des cas de conduite avec facultés affaiblies. Cela signifie que l’exigence technique d’un taux d’alcoolémie de 0,08 devient habituellement une limite de facto de 0,1 au moment de la poursuite et de la condamnation.

D’innombrables organismes reconnus ont démontré que les administrations dans le monde qui appliquaient une limite du taux d’alcoométrie de 0,05 pour une condamnation par procédure sommaire réduisent invariablement de façon marquée les arrestations et les mortalités liées à la conduite avec facultés affaiblies. Le taux d’alcoolémie de 0,5 a été appliqué avec succès dans pratiquement tous les pays de l’OCDE, y compris les économies les plus avancées de l’UE, sans soumettre le système judiciaire à une charge de travail non gérable ou être déclaré constitutionnellement invalide. Il y a eu presque sans exception une corrélation directe entre le laxisme des lois régissant le taux d’alcoolémie et la prévalence d’incidents de conduite avec facultés affaiblies criminelle[4].

La science médicale au Canada et à l’étranger a déterminé avec assurance que le taux d’alcoolémie de 0,05 représente le seuil auquel les facultés d’un être humain pour conduire un véhicule automobile, sous réserve de variations normales selon la masse corporelle, le sexe, le régime alimentaire et des facteurs d’hydratation, deviennent suffisamment affaiblies pour que le conducteur présente un danger imminent pour lui-même et pour les autres[5].

RÉPONDANT AUX CRITIQUES SUR LE TAUX D’ALCOOLÉMIE DE 0,05

Pressions logistiques exercées sur le système judiciaire

L’opinion majoritaire prétend que si le Code criminel est changé pour abaisser la limite du taux d’alcoolémie, cela entraînera un influx énorme de poursuites au criminel, alourdissant ainsi davantage le système[6]. Bien que le volume actuel de cas de conduite avec facultés affaiblies puissent avoir été écrasant, les modifications apportées au Code criminel, particulièrement l’article sur la « preuve contraire », aidera à atténuer cette préoccupation.

Actuellement, 40 p. 100 des accusés inculpés de conduite avec facultés affaiblies plaident non coupable[7]. Les accusés choisissent d’aller en cour pour diverses raisons et l’une d’entre elles, qui est haute sur la liste, a été la présence de la disposition sur la « preuve contraire » dans le Code criminel, mieux connue sous le nom de défense deux bières. En vertu de cette défense, l’accusé pouvait contester la présomption du test du taux d’alcoolémie dépassant la limite en présentant la preuve contraire en démontrant que dans les faits, l’accusé n’avait pas dépassé la limite. Il est certain que le plus grand nombre d’accusés qui plaident non coupables et vont en procès a une incidence directe sur l’utilisation des ressources et sur la charge de travail qui est imposée au système. À compter de juillet 2008, cette défense n’est plus disponible parce qu’elle a été abrogée par voie de modifications au Code criminel.

Même si les statistiques pour 2007 et 2008 ne sont pas encore disponibles, l’élimination de la défense deux bières est presque certainement la cause de la baisse importante du nombre de plaidoyers de non-culpabilité à des inculpations de conduite avec facultés affaiblies. Il s’ensuit que les ressources seront libérées ce qui dégagera le système de la congestion habituelle avant que le Code criminel ne soit modifié pour éliminer la défense deux bières. Par conséquent, la baisse du taux d’alcoolémie ne causera pas plus de congestion, en grande partie à cause de l’élimination d’une défense utilisée couramment par les personnes accusées de conduite avec facultés affaiblies.

Norme applicable

Il est établi clairement à l’alinéa 253(1) (b) du Code criminel qu’une personne qui a un taux d’alcoolémie de 0,08 pendant qu’elle conduit, conduit avec des facultés affaiblies. Bien que la limite fédérale établisse clairement le taux limite d’alcoolémie à 0,08, il reste qu’aucune poursuite n’est intentée contre les conducteurs dont les facultés sont affaiblies lorsque leur taux d’alcoolémie est inférieur à 0,1. Par conséquent, même si la limite légale est de 0,08, en réalité la vraie limite applicable au Canada se situe à 0,02 point au-dessus de la limite légale en cours.

La limite applicable a été établie à la suite de la croyance générale en l’erreur humaine et de la machine. Autrement dit, il y a une marge d’erreur lors de la prise du taux d’alcoolémie d’un conducteur soupçonné d’avoir les facultés affaiblies et, plutôt que de poursuivre un accusé qui peut démontrer une preuve d’erreur, il est plus efficient et prudent de poursuivre le conducteur avec facultés affaiblis qui a un taux d’alcoolémie de 0,1, parce que la marge d’erreur les place toujours légalement au-delà de la limite du taux d’alcoolémie acceptable. Le recours à ce genre de limite applicable est vraiment dangereux puisqu’une dégradation grave des compétences utilisées pour conduire survient à un taux d’alcoolémie de 0,05, soit la moitié du montant de la limite en vigueur.

Pour que le Canada puisse avoir l’avantage d’un système de justice transparent et authentique, les tribunaux doivent appliquer le Code criminel avec rigueur et selon la législation en cours. Le recours à une pratique mettant en oeuvre d’une limite applicable ne va pas dans ce sens; cette pratique érode la confiance du public à l’égard du système de justice pénale et donne le pouvoir aux personnes qui veulent contester les lois du Canada et conduire un véhicule automobile avec les facultés affaiblies.

Si le Parlement est d’avis que la limite du taux d’alcoolémie devrait rester à 0,08 dans la loi au Canada, la démarche la plus prudente est d’abaisser la limite légale à un taux d’alcoolémie limite de 0,05 de sorte que la limite applicable se situe au niveau du taux d’alcoolémie de 0,08. En fait, la limite légale serait abaissée, mais compte tenu du recours continu à la limite applicable basée sur la marge d’erreur, des poursuites ne seraient pas intentées pour des taux inférieurs à 0,08 ou 0,07.

RECOMMANDATIONS

Le Comité recommande donc ce qui suit :

Recommandation 1 :

Contrairement à la première recommandation du rapport majoritaire, le Canada devrait modifier le Code criminel pour qu’une norme nationale relative au taux d’alcoolémie limite soit établie à 0,05.

Recommandation 2 :

Le gouvernement fédéral doit respecter tous ses engagements précédents pour soutenir l’administration provinciale de justice et d’application de la loi et fournir tout soutien financier ou organisationnel nécessaire pour permettre la mise en oeuvre rapide et rentable de la recommandation 1.


[1]          Statistiques de JURISTAT sur le nombre de mortalités liées à la conduite avec facultés affaiblies au Canada, 1995-2006

[2]          Rapport majoritaire du Comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes, juin 2009

[3]          Rapport majoritaire du Comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes, juin 2009

[4]          Professeur Robert Solomon et professeur E. Chamberlain, Reforming the Federal Impaired Driving Legislation: Next Steps. Présentation au Comité permanent le 2 mars 2009.

[5]          Lettre de M. Robert Ouelett, M.D., F.R.C.P.C., président de l’Association médicale canadienne à M. Ed Fast, député, président du Comité permanent de la justice et des droits de la personne, 4 mars 2009.

[6]          Rapport majoritaire du Comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes, juin 2009

[7]          Fondation de recherche sur les blessures de la route au Canada, Recommendations for Improving Federal Impaired Driving Laws, Présentation au Comité permanent de la justice et des droits de la personne, mars 2009